[2,13] CHAPITRE XIII. Que Dieu nous avertit quelquefois par des signes. C'est aussi un effet de la divine bonté que de fortifier notre ignorance par des signes. Car on croit que l'apparition d'une comète présage une assemblée d'états pour élire un nouveau prince. Quoi, ne savez-vous pas ? "Que la comète change et détruit les empires". {Lucain, La guerre civile, I, 529} Personne de ceux qui ont tant soit peu feuilleté l'Histoire n'ignore quels prodiges arrivèrent un peu avant la ruine de l'Italie. Les livres des Historiens sont remplis de ces signes, et de ces présages. Vous ne douterez pas enfin qu'il n'en ait paru quantité sous Élie et sous Élisée. Les Ninivites firent pénitence à la prédication de Jonas épouvantés par des signes, car ils convainquent l'infidélité et fortifient une foi encore tendre et faible, d'où vient que les juifs en demandaient à Jésus-Christ, disant : "Quel signe nous montres-tu ?" (Jean, II, 18} Et vous lisez dans S. Paul, "Que les juifs cherchaient des miracles, et les Grecs de la sagesse". {Paul, I Corinthiens 1,22} [2,14] CHAPITRE XIV. Qu'est-ce qu'un signe dont les songes sont une espèce. Nous prenons donc ici les signes pour tout ce qui nous declare la volonté de dieu. Car le signe est ce qui touche le sens pour dénoter quelque autre chose â l'entendement. Il en est pourtant qui ne montrent rien aux sens corporels, mais qui font voir seulement à l'esprit la vérité et la fausseté, ou, par le moyen des espèces de chaque objet, ou même sans aucun moyen car les signes sont quelquefois vrais et quelquefois trompeurs. Qui ne sait assez que les songes ont diverses significations, approuvées par l'usage et par l'autorité des anciens. Car dans les songes les facultés animales qui sont les sens que l'on appelle corporels, quoiqu'ils procèdent de l'âme, se reposent, et alors les facultés naturelles sont davantage tendues à cause du sommeil. Il arrive cependant que l'âme délivrée de l'exercice du corps revient en soi-même plus librement et contemple la vérité avec moins d'empêchements, tantôt dans des énigmes et dans des figures, et tantôt sans voile et toute nue. Virgile l'entendit bien quand il mit deux portes des songes, l'une d'ivoire, et l'autre de corne, car la corne est transparente à la vue, qui ne se trompe pas souvent, et l'ivoire étant d'une nature plus dense, quoiqu'il soit rendu tenue jusqu'à l'extrémité, ne peut être percée par la pointe de la vue la plus subtile. L'un est plus semblable aux dents, l'autre, parce qu'il est diaphane, est plus semblable aux yeux : au travers de la corne il ne passe que des songes véritables mais au travers de l’ivoire "Il ne monte ici haut que des songes trompeurs". {Virgile, L'Énéide, VI, 897}