[7,0] DISCOURS CONTRE LES JUIFS. SEPTIÈME DISCOURS. [7,1] Est-ce que vous avez pris en dégoût la lutte contre les Juifs, ou si vous voulez que nous traitions encore aujourd'hui le même sujet? Quelque longuement que nous en ayons déjà parlé, il me semble que vous êtes désireux d'en entendre parler encore. Quiconque, en effet, ne se lasse pas d'aimer Jésus-Christ, ne se lassera non plus jamais du combat livré à ceux qui haïssent Jésus-Christ. Outre cette raison, le discours d'aujourd'hui sera encore nécessaire pour un autre motif : leurs fêtes ne sont pas encore toutes passées. Si leurs trompettes étaient pires que celles qu'on entend sur les théâtres, et leur jeûne, plus honteux que toute espèce d'ivresse et d'orgie : les tentes qui se dressent maintenant chez eux ne valent guère mieux que les auberges où logent les prostituées et les joueuses de flûte. Et que personne n'accuse de témérité ces paroles : la dernière des témérités et la souveraine prévarication est de ne pas penser ainsi sur leur compte. Quand, en effet, ils luttent par leurs Oeuvres contre Dieu et résistent à l'Esprit-Saint, comment ne pas porter contre eux cette sentence? La fête des Tabernacles était vénérable autrefois, quand elle se célébrait selon la Loi et le commandement de Dieu, mais maintenant, elle ne l'est plus : toute sa dignité lui a été ôtée, parce qu'elle ne se célèbre plus selon l'intention de Dieu. Ceux qui méprisent le plus la Loi et les fêtes anciennes sont ceux que l'on voit les célébrer maintenant avec le plus de zèle. Ce ne sont pas les Juifs qui honorent la Loi, c'est nous, nous qui la laissons en repos comme un homme devenu vieux, nous qui ne l'entraînons pas dans l'arène avec ses cheveux blancs, et ne la forçons pas à combattre après le temps. Que ce ne soit plus maintenant le temps de la Loi ni des anciennes institutions, nous l'avons assez démontré précédemment; courage donc, encore quelques efforts, et notre oeuvre sera achevée. Il suffisait, à la vérité, pour terminer à notre avantage cette controverse avec les Juifs, d'avoir démontré que c'est une prévarication et une impiété de célébrer ces fêtes hors de Jérusalem. Quand même; en effet, il serait vrai, comme ils s'en vantent partout et le murmurent constamment à l'oreille, qu'ils recouvreront leur ville, même en ce cas leur prévarication serait un chef d'accusation sous le poids duquel ils succomberaient nécessairement. Néanmoins, nous avons encore démontré par surcroît, et que la ville ne sera pas relevée et qu'ils ne recouvreront pas leur constitution antique. Cela démontré, on est d'accord sur tout le reste, c'est-à-dire, que ni la forme du sacrifice, ni celle de l'holocauste, ni la force de la Loi, ni aucune autre partie de leurs institutions, ne pourront rester debout. Et d'abord, la Loi prescrivait que, trois fois l'an, toute personne du sexe masculin montât au temple (Exod. XXIII, 17); or, le temple étant détruit, il est impossible que cela se fasse. Puis, elle ordonnait encore que celui qui avait une gonorrhée ou la lèpre, que la femme dans le temps de la menstruation ou après ses couches, offrissent des sacrifices (Lév. XV); or, c'est encore là une chose impossible, puisqu'on ne voit plus ni l'emplacement du temple, ni l'autel. Elle ordonnait aussi de chanter des hymnes sacrées, et nous avons montré précédemment que cela est maintenant défendu en raison du lieu, et que les prophètes font des reproches aux Juifs qui, sans tenir compte de cette défense, lisaient la Loi dehors, et chantaient des cantiques de louange. Puisqu'ils n'avaient pas même le droit de lire la Loi hors de la ville, comment donc auraient-ils le droit de la pratiquer hors de la ville ? Aussi le Prophète leur dit-il en usant même de menace : Je ne visiterai pas vos filles quand elles se prostitueront, ni vos jeunes femmes quand elles commettront l'adultère. (Osée. IV, 14.) Qu'est-ce à dire ? J'essayerai de vous éclaircir ce texte en citant une ancienne loi. Quelle est donc cette loi ? Si une femme prévarique contre son mari, qu'elle le néglige par mépris, qu'elle ait un commerce criminel avec un autre homme, et quelle ait trompé les yeux de son mari, qu'il n'y ait pas de témoin contre elle, qu'elle n'ait pas été surprise, et que l'esprit de jalousie s'empare du mari sans que sa femme soit souillée (Nomb. V, 12, 14.) En d'autres termes : Si une femme commet l'adultère, et que le mari le soupçonne, ou si elle ne le commet pas, et qu'il le soupçonne néanmoins, sans qu'il y ait de témoin, sans que la grossesse le prouve, il la conduira au prêtre, est-il dit, et il présentera pour elle, en offrande, de la farine d'orge. (Nomb. V, 15.) Pourquoi pas de la fleur de froment ni de la farine de blé, mais d'orge? Parce que ce qui avait lieu ici était un deuil, une accusation et un soupçon mauvais, et que la forme du sacrifice devait représenter le malheur domestique. C'est pourquoi il est dit ensuite: Tu n'y répandras point d'huile, et tu ne mettras pas d'encens dessus. Ensuite (car il faut abréger), le prêtre amènera la femme, il prendra de l'eau pure dans un vase d'argile, et prenant de la terre qui est sur le pavé, il la jettera dans l'eau ; puis il fera tenir la femme debout, il l'adjurera et lui dira: Si tu ne t'es pas souillée en prévariquant contre ton mari, sois sauve de l'eau de la répréhension; mais si tu as prévariqué et si tu t'es souillée, si quelqu'un s'est approché de toi, à l'exception de ton mari, que le Seigneur te rende un objet de malédiction et d'exécration au milieu du peuple. (Ibid. V, et suiv.) Qu'est-ce à dire un objet de malédiction et d'exécration ? Cela veut dire : Afin que tu serves d'exemple aux autres et que l'on dise en voyant ton châtiment : qu'il ne m'arrive pas ce qui est arrivé à telle femme ! Continuons : Que le Seigneur fasse enfler ton ventre, et que l'eau maudite entre dans ton estomac pour le faire crever. Et la femme dira : Ainsi soit-il, ainsi soit-il! Et il arrivera, si elle est souillée, que l'eau de la répréhension entrera, et fera crever son ventre, et la femme sera un objet de malédiction; mais si la femme n'a pas été souillée, elle ne ressentira aucun mal, et pourra encore enfanter. (Ibid.) Comme rien de tout cela ne devait plus être possible lorsque les Juifs seraient emmenés en captivité, puisqu'il n'y aurait plus ni temple, ni autel, ni tabernacle, ni sacrifice offert, c'est pourquoi Dieu dit sous forme de menace : Je ne visiterai pas vos filles quand elles se prostitueront, ni vos jeunes femmes quand elles commettront l'adultère. (Osée. IV, 14.) [7,2] Vous le voyez, la Loi tire du lieu toute sa vertu! Qu'il ne puisse pas même y avoir de prêtre chez les Juifs, depuis qu'ils sont privés de leur cité, voici qui le prouve d'une manière évidente. De même qu'il ne peut y avoir de roi, s'il n'y a ni armées, ni diadème, ni pourpre, ni rien de tout ce qui compose essentiellement la royauté : ainsi ne peut-il y avoir non plus de prêtres, quand le sacrifice a été abrogé, l'oblation défendue, les choses saintes foulées aux pieds, tout l'ancien état de choses aboli, car le sacerdoce consistait en toutes ces choses. Il nous suffisait donc, comme nous l'avons dit précédemment, pour prouver que ni les sacrifices ni les holocaustes, ni le reste des purifications ni aucune autre partie des institutions judaïques ne reviendront plus, il suffisait de donner la preuve que le temple ne sera plus jamais relevé. Tout, en effet, est aboli, maintenant que le temple n'existe plus, et que ce qu'on paraît faire n'est qu'une audacieuse prévarication : et la raison par laquelle on démontre que le temple ne sera jamais rebâti, démontre, en même temps, que les rites et le culte judaïques ne seront jamais rétablis, et qu'il n'y aura plus chez ce peuple ni prêtre, ni roi. N'étant plus ici dépendants, il est clair qu'ils ne peuvent avoir de roi, car, la défense faite aux simples particuliers de la nation juive de servir les étrangers oblige à plus forte raison leurs rois. Mais, puisque nos efforts et nos soins ont pour but non seulement de fermer la bouche à nos adversaires, mais aussi d'instruire votre charité, démontrons par de nouvelles raisons que tout ce qui appartient à leurs sacrifices et à leur sacerdoce a pris fin, pour ne plus jamais revivre. Qui le dit? L'admirable et grand prophète David. C'est lui qui déclare que ce genre de sacrifice doit être rejeté et un autre introduit, et qui l'annonce en ces termes : Vous avez fait, vous, Seigneur mon Dieu, un grand nombre d'oeuvres merveilleuses, et il n'est personne qui vous soit semblable dans vos pensées. J'ai annoncé et j'ai parlé. (Ps. XXXIX, 6.) Voyez la sagesse du prophète. Après avoir dit : Vous avez fait, vous, Seigneur mon Dieu, beaucoup d'œuvres merveilleuses, il est ravi d'admiration à la vue de la puissance étonnante de Dieu, et néanmoins, lorsqu'il veut nous découvrir la cause de ce ravissement, il ne nous entretient aucunement de la création visible, du ciel, de la terre, de la mer, de l'eau, du feu, ni des prodiges extraordinaires accomplis en Egypte, ni d'aucun autre miracle semblable ; mais quelles sont les merveilles dont il parle? Vous n'avez pas voulu de sacrifice ni d'oblation. (Ibid. V, 7.) Que dites-vous, de grâce ? Est-ce là quelque chose de prodigieux et d'étonnant ? Non assurément; mais il voyait autre chose ; d'un regard prophétique éclairé d'en-haut, il apercevait l'admission des Gentils dans l'Eglise de Dieu, il voyait comment ceux qui étaient alors comme cloués aux faux dieux, qui honoraient des pierres et étaient plus aveugles que des brutes, recouvreraient subitement la vue, reconnaîtraient le Maître de tout, et abandonnant le culte criminel des démons, adoreraient Dieu avec pureté et sans effusion de sang; il prévoyait encore que les meilleurs et les plus sincères de la nation juive, se détachant d'un culte tout matériel et qui consistait dans les sacrifices et les holocaustes, embrasseraient, eux aussi, la nouvelle religion; il réfléchissait à l'amour ineffable de Dieu pour les hommes, amour qui surpasse tout entendement ; et, saisi d'admiration à la vue du changement si considérable qui devait s'accomplir dans l'état du monde, de la transformation étonnante que devait opérer la puissance divine dans les moeurs des hommes qui cesseraient d'être des démons pour devenir des anges, transformation qui s'est accomplie lorsqu'une religion digne du ciel a fait son entrée dans le monde, et lorsque les anciens sacrifices ont disparu pour faire place au sacrifice nouveau, le sacrifice par le corps de Jésus-Christ; ravi, dis-je, et étonné de tant de merveilles, le Prophète s'écrie : Vous avez fait, vous, Seigneur mon Dieu, un grand nombre d'œuvres merveilleuses ! Et comme dans cette prophétie il parle au nom de Jésus- Christ, après avoir dit : Vous n'avez voulu ni sacrifice ni oblation, il ajoute : mais vous m'avez préparé un corps, parlant du corps du Seigneur, du sacrifice commun institué pour le monde entier, qui a purifié nos âmes, détruit les péchés, fait cesser la mort, ouvert le ciel, découvert à nos yeux de nombreuses et grandes espérances, et disposé toutes les autres merveilles dont saint Paul, lorsqu'il les vit aussi, parla en s'écriant : O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la connaissance de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables! (Rom. XI, 33.) Voilà donc ce que voyait David lorsqu'il disait : Vous avez fait, vous, Seigneur mon Dieu, beaucoup d'oeuvres merveilleuses! Puis parlant au nom et à la place de Jésus-Christ, il dit : Vous n'avez pas eu pour agréables les holocaustes ni le sacrifice pour le péché; à quoi il ajoute : Alors j'ai dit : Voici que je viens. (Ps. XXXIX, 7, 8) Alors, quand? Quand est venu le temps d'un enseignement plus parfait, car le moins parfait, il convenait de le recevoir des serviteurs; mais le plus sublime, celui qui surpasse la nature humaine, c'est du législateur même et du Maître qu'on devait le recevoir. C'est pourquoi Paul aussi a dit : Dieu ayant bien des fois et en beaucoup de manières parlé jadis à nos pères par les prophètes, nous a parlé, en ces derniers jours, par son Fils qu'il a établi héritier de toutes choses, par qui il a fait aussi les siècles. (Héb. I, 1, 2.) Et Jean à son tour : La Loi a été donnée par Moise, mais la grâce et la vérité ont été apportées par Jésus-Christ. (I, 17) Aussi, le plus grand éloge mérité par la Loi, c'est qu'elle a préparé la nature humaine à recevoir le Seigneur. Ne croyez pas qu'il soit un Dieu récent ou qu'il ait introduit quelque nouveauté; écoutez en effet ce que dit le Prophète : En tête du Livre il est écrit de moi (Ps. XXXIX, 9), c'est-à-dire autrefois les prophètes ont prédit mon avènement, et dès le commencement des Ecritures, ils ont découvert ma divinité aux hommes. [7,3] Quand Dieu dit au commencement de la création : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance (Gen. I, 26), il nous découvre énigmatiquement la divinité du Fils avec lequel il s'entretient. Et pour montrer ensuite que la dernière institution n'est pas opposée à la précédente, mais que la destruction du premier sacrifice et la substitution du nouveau entraient harmonieusement dans les desseins de Dieu, et qu'il faut voir dans ce changement non une contradiction mais le point de départ et l'ouvrage même de la régénération du monde, après avoir dit : En tête du Livre il est écrit de moi, le Prophète continuant de faire parler Jésus-Christ, ajoute : Que je ferai votre volonté, ô Dieu, c'est aussi ce que j'ai voulu, et votre loi a été au fond de mon coeur. (Ps. XXXIX, 8, 9) Puis, déclarant quelle est la volonté de Dieu, il néglige de parler du sacrifice, des holocaustes, des offrandes, des travaux et des sueurs, et il dit : J'ai annoncé la justice dans une grande assemblée. (Ibid. V, 10.) Qu'est-ce à dire, j’ai annoncé la justice? Il ne dit pas simplement : j'ai donné, mais : j'ai annoncé. Pourquoi donc enfin? Parce que ce n'est pas par des bonnes oeuvres, ni par des travaux, ni par une compensation, mais par la grâce seule, qu'il a justifié notre race. C'est aussi ce que Paul déclare, quand il dit : Maintenant sans la Loi, la justice de Dieu a été manifestée (Rom. III, 21), la justice de Dieu produite par la foi en Jésus-Christ, non par aucune peine ni par aucun travail. Puis, s'emparant de ce témoignage, il parle de la sorte: La Loi ayant l'ombre des biens à venir, et non la forme des choses, ne peut jamais, par les victimes offertes constamment chaque année, rendre parfaits ceux qui s'approchent. C'est pourquoi le Fils de Dieu, entrant dans le monde, dit: Vous n'avez voulu ni sacrifice, ni oblation, mais vous m'avez formé un corps (Hébr. X, 1-5) : paroles qui marquent l'avènement du Fils unique dans le monde, par l'incarnation. C'est ainsi, en effet, qu'il s'est approché de nous, non en passant d'un lieu à un autre (comment aurait-il pu le faire, étant partout et remplissant tout?) mais en se manifestant à nous par la chair. Toutefois, puisque nous n'avons pas à combattre seulement les Juifs, mais encore les païens et bon nombre d'hérétiques, laissez-moi vous découvrir ici quelque dessein plus profond, et rechercher pourquoi Paul, qui pouvait citer beaucoup d'autres témoignages pour prouver l'abolition de la Loi et des anciennes institutions judaïques, invoque celui-ci de préférence. Il ne le fait pas légèrement et au hasard, mais pour une raison importante et avec une sagesse ineffable. Que l'Apôtre eût pu donner sur ce sujet d'autres témoignages plus étendus et plus forts, s'il avait voulu les apporter, tout le monde en conviendra. Voici d'abord Isaïe qui dit : Vous n'accomplissez pas ma volonté: je suis rassasié des holocaustes de béliers, et je ne veux pas de la graisse des agneaux ni du sang des taureaux et des boucs, même si vous veniez en ma présence. Car, qui vous a demandé d'avoir tous ces dons en vos mains ? Si vous m'apportez de la fleur de farine, c'est inutilement : l'odeur de votre encens m'est en abomination. (Is. I, 11-13.) Et ailleurs : Je ne t'ai pas appelé maintenant, Jacob, et je ne t'ai pas fatigué, Israël ; tu ne m'as pas glorifié par tes sacrifices, ni servi par tes présents ;je ne t'ai pas non plus importuné pour de l'encens, et tu n'as pas donné ton argent pour m'acheter des parfums. (Ib. XLIII, 22, 23.) Et Jérémie : Pourquoi m'apportes-tu de l'encens de Saba, et du cinnamome d'une terre éloignée ? Vos holocaustes ne m'ont pas réjoui. (VI, 20.) Et encore : Joignez vos holocaustes à vos sacrifices, et mangez-en la chair. (Id. VII, 21.) Un autre prophète exprime la même pensée : Eloigne de moi le son de tes chants, et je n'écouterai pas l'accord de tes instruments. (Amos, V, 23.) Comme les Juifs disaient : Le Seigneur aura-t-il les holocaustes pour agréables; lui donnerai-je mes premiers-nés pour mon impiété, et le fruit de mes entrailles pour le péché de mon âme ? (Mich. VI, 7) Voici ce que leur répondait le prophète Michée : On t'a annoncé, ô homme, ce qui est bon et ce que le Seigneur (347) ton Dieu demande de toi! c'est exclusivement que tu aimes la miséricorde, que tu observes le jugement et la justice, et que tu sois tout prêt à suivre le Seigneur ton Dieu. (Ibid. V, 8.) David ne parle pas autrement : Je ne recevrai point de veaux de votre maison, ni de boucs de vos troupeaux. (Ps. XLIX, 9.) Pourquoi donc ayant à citer tant de témoignages par lesquels Dieu rejette les sacrifices, les néoménies, les sabbats, les fêtes, l'Apôtre les omet-il tous pour ne se souvenir que de celui seul que nous avons rapporté? Ce n'est pas légèrement et au hasard, mais pour une raison très sage que nous allons indiquer. Beaucoup d'infidèles et de Juifs même, dans leurs controverses avec nous, disent que l'ancien ordre de choses a été détruit, non à cause de son imperfection ni pour introduire notre religion comme préférable, mais à cause de la perversité de ceux qui offraient alors des sacrifices. Ils appuient cette thèse sur un témoignage d'Isaïe : Si vous étendez vos mains, je détournerai de vous mes yeux, et si vous multipliez les prières, je ne vous exaucerai pas. Pourquoi ? parce que vos mains sont pleines de sang. (I, 15.) Ce n'est pas là, dit-on, une accusation contre les sacrifices, mais une accusation intentée contre la méchanceté de ceux qui les offraient; et si Dieu n'a pas agréé les sacrifices, c'est parce qu'ils lui étaient offerts par des mains que le crime avait souillées. Ils invoquent encore l'autorité de David qui dit : Je ne recevrai point de veaux de votre maison, ni de boucs de vos troupeaux (Ps. XLIX, 9), mais qui ajoute : Dieu a dit au pécheur Pourquoi célèbres-tu mes justices, et pourquoi mon alliance est-elle dans ta bouche? Tu as haï la discipline, et tu as jeté mes paroles derrière toi. Si tu voyais un séducteur, tu courais avec lui, et tu prenais parti pour les adultères. Ta bouche était remplie d'iniquité, et ta langue enveloppait des tromperies. Tu parlais assidûment contre ton frère, et tu tendais un piège contre le fils de ta mère. (Ps. XLIX, 16-20.) D'où il est évident qu'il n'a pas rejeté les sacrifices purement et simplement, mais parce que ceux qui les offraient commettaient l'adultère, parce qu'ils volaient, parce qu'ils tendaient des embûches à leurs frères. Et chaque prophétie, disent-ils, en accusant ceux qui offraient des sacrifices, déclare que Dieu les a rejetés pour cette raison. [7,4] Voilà ce que nous objectent nos adversaires; mais Paul leur oppose le passage en question, et c'est un coup terrible qu'il porte à ces effrontés, et bien suffisant pour les réduire au silence. Pour montrer que Dieu a rejeté et annulé l'antique institution à cause de son imperfection, il s'empare de ce témoignage, dans lequel il n'y a aucune accusation contre ceux qui offrent les sacrifices, mais où l'imperfection de l'institution mosaïque se montre d'elle-même à découvert. Le Prophète, en effet, n'accuse aucunement les Juifs, mais il dit simplement : Vous n'avez voulu ni hostie ni oblation, mais vous m'avez formé un corps; vous n'avez pas eu pour agréables les holocaustes ni le sacrifice pour le péché. (Ps. XLIII, 7.) Paul interprétant cette pensée dit encore : Il ôte le premier afin d'établir le second. (Héb. X, 9.) S'il avait dit: vous n'avez voulu ni hostie ni oblation, et qu'il n'eût rien ajouté, il eût laissé quelque latitude aux Juifs pour se défendre; mais en disant : Vous m'avez formé un corps, et en montrant l'introduction d'un autre sacrifice, il ne laisse aucun espoir de voir jamais le premier rétabli. Expliquant cela même, Paul dit encore : Par cette oblation la volonté de Jésus-Christ nous a sanctifiés. (Ibid. 8-10.) Car, si le sang des taureaux et des boucs, dit-il, et l'aspersion de la cendre d'une génisse sanctifient ceux qui sont souillés de manière à purifier leur chair, combien plus le sang de Jésus-Christ, qui par l'Esprit-Saint s'est offert lui-même victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes? (Héb. IX, 13, 14.) Que ces sacrifices aient cessé, qu'un autre leur ait été substitué, et qu'ils ne doivent plus revenir, voilà, sans aucun doute, quelque chose qui le démontre péremptoirement. Reste une question dont nous poursuivons depuis longtemps la solution: il s'agit de prouver que cette forme du sacerdoce ne reparaîtra, ne reviendra plus ; c'est ce que nous allons faire aussi explicitement et aussi bien que possible par les Écritures mêmes, après quelques explications préliminaires indispensables pour rendre plus claire l'explication que nous avons à donner. Abraham, revenu de la Perse, engendra Isaac ; celui-ci, Jacob; et Jacob, les douze patriarches, de qui sont sorties douze ou plutôt treize tribus; succédant, en effet, à Joseph, ses enfants, Ephraïm et Manassé, devinrent chefs de tribus. Et de même qu'une tribu tirait son nom de chacun des fils de Jacob, celle de Ruben, de Siméon, de Lévi, de Juda, de Nephthali, de Gad, d'Aser, de Benjamin; ainsi après Joseph, ses enfants, Manassé et Ephraïm, donnèrent leurs noms à deux tribus, et il y en avait une qui s'appelait la tribu d'Ephraïm, et l'autre, celle de Manassé. Or, de ces treize tribus, douze avaient des champs et des revenus nombreux, elles se livraient à l'agriculture et aux autres occupations par lesquelles on se procure les choses nécessaires à la vie ; mais la tribu de Lévi, honorée du sacerdoce, était seule déchargée de ce soin ; on ne s'y livrait pas à l'agriculture, on ne s'y adonnait pas aux arts, ni à rien de semblable; les hommes de cette tribu s'appliquaient uniquement aux fonctions du sacerdoce, et ils recevaient de tout le peuple la dîme du vin, du froment, de l'orge et autres denrées ; tous leur donnaient la dîme, c'étaient là leurs revenus. Les membres des autres tribus ne pouvaient être prêtres. Aaron était de cette tribu privilégiée, je veux dire de celle de Lévi ; ses descendants héritaient du sacerdoce; les Israëlites appartenant aux autres tribus n'y pouvaient point parvenir, ils nourrissaient les Lévites en leur payant la dîme. Mais, même avant Jacob et Isaac, sous Abraham, lorsque Moïse n'était pas encore, qu'il n'y avait ni loi écrite, ni sacerdoce lévitique institué, ni temple, ni tabernacle, ni tribus distinctes, que Jérusalem n'apparaissait pas, et que rien absolument de ce qui se voit chez les Juifs n'avait commencé, alors existait un certain Melchisédech, prêtre du Dieu très haut. Ce Melchisédech était tout ensemble roi et prêtre, car il était la figure de Jésus-Christ, ce que l'Ecriture mentionne très clairement. Quand Abraham, après avoir attaqué et défait les Perses, et arraché de leurs mains Loth son neveu, revenait chargé des dépouilles des vaincus, l'Ecriture parle à peu près ainsi de Melchisédech : Et Melchisédech, roi de Salem, offrit des pains et du vin; or, il était prêtre du Dieu très haut, et il bénit Abraham et dit : Béni soit Abraham par le Dieu très haut qui a créé le ciel et la terre, et béni soit le Dieu très haut qui a livré tes ennemis entre tes mains. Et Abraham lui donna la dîme de tout. (Genès. XIV, 18-20). Si donc il s'est trouvé quelque prophète pour dire qu'après Aaron et son sacerdoce, et ces sacrifices, et offrandes, il s'élèvera un autre prêtre, non de la tribu de Lévi, mais d'une autre d'où il n'est jamais sorti de prêtre, non selon l'ordre d'Aaron, mais selon l'ordre de Melchisédech, il est bien évident que l'ancien sacerdoce a cessé, et qu'un sacerdoce nouveau lui a été substitué. Car, si l'ancien devait rester en vigueur, il ne fallait pas dire selon l'ordre de Melchisédech, mais selon l'ordre d'Aaron. Qui donc a prédit si nettement l'abolition du sacerdoce d'Aaron? Celui-là même qui, après avoir parlé des sacrifices, dit ceci sur Jésus-Christ : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite. (Ps. CIX, 1.) [7,5] Et, pour qu'on ne suppose pas que ces paroles se rapportent à un homme de la multitude, ce n'est pas Isaïe qui les prononce, ni Jérémie, ni quelqu'autre prophète d'une condition privée, mais c'est le Prophète-roi lui-même : or, un roi ne peut appeler personne son Seigneur, sinon Dieu seul. S'il avait été d'une condition privée, peut-être quelque effronté aurait-il dit qu'il parle d'un homme; mais un roi, comme il l'était, n'aurait pas appelé un homme son Seigneur. Comment, en effet, s'il avait ainsi parlé d'un homme de la multitude, David aurait-il dit que cet homme était assis à la droite de cette ineffable et souveraine Majesté? Cela n'aurait pas de sens. Voici donc ce que David dit de Jésus-Christ : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied (Ps. CIX, 1, 2) Ensuite, pour montrer qu'il parle de quelqu'un de fort et de puissant, le Prophète ajoute : Avec vous est la principauté, au jour de votre puissance. (Ibid. VIII, 3.) Désignant encore plus manifestement le même Jésus-Christ, il dit : Je vous ai engendré de mon sein avant l'étoile du matin. Or, avant l'étoile du matin aucun homme n'a été engendré. Vous êtes prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech. (Ibid. VIII, 4; Héb. V, 6.) Il ne dit pas selon l'ordre d'Aaron. Demandez donc aux Juifs pourquoi, si l'ancien sacerdoce ne devait pas être détruit, le Saint-Esprit introduit ici un prêtre selon l'ordre de Melchisédech. Saint Paul a lui-même éclairci ce passage. Après avoir dit de Jésus-Christ : Vous êtes prêtre selon l'ordre de Melchisédech (Ib. V, 11), il ajoute : Sur quoi j'aurais à dire de grandes choses, mais difficiles à expliquer. Puis, après une réprimande faite aux disciples, réprimande que je ne citerai pas pour abréger, il dit ce qu'est Melchisédech, et il rapporte son histoire en ces termes (Ib. VII, 1, 2.) : C'est ce Melchisédech qui rencontra Abraham lorsque celui-ci revenait de tailler en pièces les rois, qui le bénit, et à qui Abraham accorda la dîme de tout le butin. Ensuite découvrant le sens caché de la figure: Considérez, dit-il, combien grand était celui-ci, à qui le patriarche Abraham donna la dîme de ses plus riches dépouilles. (Ib. V. 4.) Et ce commentaire, l'Apôtre ne le fait pas au hasard, mais dans le dessein de faire voir que notre sacerdoce est de beaucoup préférable à celui des Juifs. La figure même fait apercevoir par avance l'excellence de la réalité. Abraham était père d'Isaac, aïeul de Jacob, et bisaïeul de Lévi, puisque Lévi était fils de Jacob. Or, le sacerdoce, chez les Juifs, tire son origine de Lévi. Mais, ce même Abraham, ancêtre des Lévites et des prêtres juifs, a gardé le rang de laïque sous Melchisédech, qui était la figure de notre sacerdoce, et il l'a clairement montré de deux manières : en lui donnant la dîme, puisque ce sont les laïques qui donnent la dîme aux prêtres; et en recevant de lui la bénédiction, puisque les laïques sont bénits par les prêtres. Voyez encore combien grande est l'excellence de notre sacerdoce, puisqu'on trouve Abraham, le patriarche des Juifs et l'aïeul des Lévites, béni par Melchisédech et lui donnant la dîme. (Genès. XIV.) L'Ancien Testament, en effet, atteste ces deux choses : et que Melchisédech bénit Abraham, et qu'il en reçut la dîme. Ayant donc exposé ces faits, Paul disait : Considérez combien grand était celui-ci. Qui, celui-ci? Melchisédech, à qui le patriarche Abraham a donné la dîme de ce riche butin. Les fils de Lévi qui reçoivent le sacerdoce ont aussi l'ordre de lever la dîme sur le peuple, c'est-à-dire, sur leurs frères, bien qu'ils descendent comme eux d'Abraham. (Héb. VII, 4, 5.) Voici le sens de ces paroles : Les Lévites, qui sont prêtres chez les Juifs, sont autorisés par la Loi à recevoir les dîmes des autres Juifs. Bien que les Lévites descendent d'Abraham, comme le reste du peuple, ils reçoivent néanmoins les dîmes de leurs frères. Mais Melchisédech qui ne descendait pas d'Abraham, qui par conséquent n'appartenait pas à la tribu lévitique, Melchisédech, entendez bien, qui n'était pas de la race d'Abraham, leva la dîme sur Abraham. Abraham lui paya volontairement la dîme. Il y a plus, Melchisédech bénit encore celui qui avait reçu les promesses, Abraham lui-même. Que conclure de là? Qu'Abraham était inférieur à Melchisédech, parce que, sans contredit, celui qui reçoit la bénédiction est inférieur à celui qui la donne. (Ibid. V, 7) Par conséquent, si Abraham, l'aïeul des Lévites, n'avait pas été inférieur à Melchisédech, celui-ci ne l'aurait pas béni, et Abraham n'aurait pas non plus donné la dîme à Melchisédech. Puis, insistant sur ce point, l'Apôtre poursuit en ces termes : De sorte que Lévi, qui reçoit les dîmes, les a pour ainsi dire payées lui-même dans la personne d'Abraham. (Ibid. 9.) Quoi donc : Lévi a payé la dîme ? Oui, l'Apôtre l'affirme, avant qu'il fût né, Lévi a donné la dîme à Melchisédech dans la personne de son père. Car, il était encore dans Abraham, son père, quand Melchisédech rencontra celui-ci; et comme cette vérité pouvait surprendre, l'Apôtre ajoute : Pour le dire ainsi. A quoi tend ce raisonnement? Saint Paul nous l'apprend par ce qu'il ajoute : Si donc la perfection était attachée au sacerdoce lévitique, sous lequel le peuple a reçu la Loi, quel besoin y avait-il encore qu'il s'élevât un autre prêtre selon l'ordre de Melchisédech, et non selon l'ordre d'Aaron? (Ibid. 11.) Comprenez bien le sens de ces paroles, elles veulent dire ceci : Si les institutions judaïques avaient été parfaites, si la Loi avait été autre chose que l'ombre des biens à venir, si elle avait pu consommer heureusement l'oeuvre du salut du monde, si elle n'avait pas dû céder la place à une autre loi; et si le premier sacerdoce n'avait pas été destiné à disparaître pour faire place a un autre, le Prophète n'aurait pas dit : Tu es prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech! (Ps. CIX, 4) Il fallait dire alors : Selon l'ordre d'Aaron. Saint Paul a donc raison de dire : Si la perfection était attachée au sacerdoce lévitique, quel besoin y avait-il encore qu'il s'élevât un autre prêtre, appelé prêtre selon l'ordre de Melchisédech, et non selon l'ordre d'Aaron? Il est évident par là que ce sacerdoce a pris fin, et qu'un autre lui a été substitué, bien meilleur et plus sublime. Ce point une fois établi, on conviendra aussi qu'en même temps ont dû être introduites d'autres institutions en rapport avec le nouveau sacerdoce, à savoir, les nôtres, ainsi qu'une législation meilleure. C'est ce que saint Paul déclare quand il dit : Le sacerdoce étant changé, il est nécessaire qu'il y ait un changement de loi, et ces choses sont l'oeuvre d'un seul. (Héb. VII, 12.) La plupart des prescriptions légales étant relatives au ministère sacerdotal, puisque le premier sacerdoce a été rejeté, pour faire place à un autre plus sublime, il est bien évident qu'il fallait aussi qu'une législation plus parfaite fût substituée à la première. Ensuite il devient plus précis et désigne clairement celui à qui se rapportent ces paroles : Celui dont il est ainsi parlé, dit-il, fait partie d'une autre tribu dont aucun membre n'a servi à l'autel. Il est certain en effet que Notre-Seigneur est sorti de Juda, tribu à laquelle Moïse n'a jamais attribué le sacerdoce. (Héb. VII, 13, 14.) Quand donc il est constant que Jésus-Christ est de la tribu de Juda, et qu'il est prêtre selon l'ordre de Melchisédech, comme Melchisédech est bien plus vénérable qu'Abraham, n'est-on pas obligé de reconnaître qu'un sacerdoce beaucoup plus sublime que l'autre a été introduit par Jésus-Christ dans le monde à la place du premier. Si le sacerdoce judaïque n'égalait pas en dignité celui de Melchisédech, à quelle distance ne restera-t-il pas au-dessous du sacerdoce de Jésus-Christ dont celui de Melchisédech n'était que l'ombre et la figure ! C'est aussi ce qu'ajoute saint Paul : Et ceci paraît encore plus clairement, s'il s'élève un autre prêtre à la ressemblance de Melchisédech, qui n'est point établi selon la loi d'une succession charnelle, mais selon la puissance d'une vie immortelle. (Ibid. V, 15, 16) Qu'est-ce à dire : non selon la loi d'une succession charnelle, mais selon la puissance d'une vie immortelle ? Cela signifie qu'il n'y a rien de charnel dans ses commandements. Le Christ, en effet, n'a pas ordonné d'immoler des brebis ni des veaux, mais de servir Dieu par la vertu de l'âme, et il nous a assigné, pour prix de ces combats, une vie qui ne finira jamais. De plus, en venant, il nous a ressuscités, nous qui étions morts par les péchés, et il nous a vivifiés, en détruisant une double mort, celle du péché et celle de la chair. C'est à cause de ces biens spirituels qu'il est venu nous apporter que saint Paul dit : Non selon la loi d'une succession charnelle, mais selon la puissance d'une vie impérissable. [7,6] Il nous resterait à démontrer la convenance et la nécessité d'une loi nouvelle, mais cette démonstration, nous l'avons donnée implicitement en prouvant qu'un sacerdoce nouveau devait prendre la place de l'ancien. Cependant nous aurions pu démontrer explicitement cette vérité par le témoignage des prophètes qui disent que la loi sera changée, que l'institution mosaïque sera transformée et rendue plus parfaite, et que désormais on ne verra plus de roi parmi les Juifs. Mais, pour ne pas surcharger vos mémoires, nous réservons cette question pour un autre temps, et, en attendant, nous terminerons ici le discours, en exhortant votre charité à vous souvenir de nos paroles et à les rattacher à ce qui a été dit précédemment; et ce que nous vous avons déjà demandé, nous vous le demandons encore maintenant : sauvez vos frères. Parmi ceux qui sont avec vous membres d'un même corps, il y en a de malades, donnez-leur tous vos soins. C'est pour procurer leur guérison que nous nous sommes chargé d'un tel travail ; ce n'est pas pour jeter des paroles en l'air, ni obtenir des applaudissements et de bruyantes acclamations, mais pour ramener au chemin de la vérité ceux qui s'en étaient écartés. Et que personne ne me dise : Je n'ai rien de commun avec cet homme; plaise à Dieu que je conduise à bonne fin mes propres affaires ! Personne ne peut conduire à bonne fin sa propre affaire, sans aimer le prochain et sans veiller à son salut. C'est pourquoi Paul dit aussi : Que personne ne cherche exclusivement son bien propre, mais chacun, celui d'autrui (I Cor. X, 24), sachant que l'utilité de chacun consiste dans l'utilité d'autrui. Vous êtes bien portant, vous, mais votre frère est malade. Si donc vous êtes sage, vous serez sensible aux infirmités de vos frères, et vous imiterez encore en cela ce bienheureux apôtre qui dit : Qui est faible sans que je sois faible? qui est scandalisé sans que je brûle ? (II Cor. XI, 29.) Que si, pour avoir donné deux oboles et dépensé un peu d'argent en faveur des pauvres, nous éprouvons une vraie satisfaction, quelle joie ne recueillerons-nous pas, si nous pouvons sauver des âmes? quelle récompense n'obtiendrons-nous pas dans le siècle futur? Nous ressentons même dès ici-bas un grand plaisir chaque fois que nous rencontrons ceux que nous avons aidés, parce que leur présence nous rappelle nos bienfaits envers eux; mais au dernier jour, quand nous les verrons autour du tribunal redoutable, nous participerons à leur crédit, à leur faveur auprès de Dieu. Quand les hommes qui commettent l'injustice, qui fraudent, qui ravissent le bien d'autrui et causent au prochain une infinité de maux, seront arrivés là, et qu'ils verront ceux qui ont souffert de leurs crimes (car ils les verront, est-il dit, bon gré mal gré, comme il est évident par l'histoire du riche et de Lazare), ils ne pourront ouvrir la bouche, ni parler et se défendre devant leurs victimes, mais ils seront couverts d'une grande confusion et accablés sous le poids de leur condamnation, pour être entraînés loin de leurs regards et plongés dans les fleuves de feu : au contraire lorsque ceux qui veillent au salut de leurs frères, qui les instruisent et les catéchisent, verront ceux qu'ils ont sauvés prendre leur défense devant le redoutable Juge, ils seront remplis d'une grande assurance. C'est ce que saint Paul déclare, en disant : Nous sommes votre gloire, comme vous êtes, vous aussi, la nôtre (II Cor. I, 14), au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Jésus-Christ, à son tour, adresse cette exhortation: Faites-vous des amis avec les richesses d'iniquité, afin que quand vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans leurs tabernacles éternels. (Luc, XVI, 9) Ne l'oubliez pas, ces bienfaits que nos frères reçoivent de notre charité, deviendront un gage assuré de salut pour nous. Que si, pour un peu d'argent donné aux pauvres, Dieu promet de si riches couronnes, un salaire si abondant, une récompense si magnifique ; que ne recevrons-nous pas pour les services que nous aurons rendus aux âmes? Si Tabitha, pour avoir vêtu les veuves et secouru les pauvres, est revenue de la mort à la vie (Act. IX, 36); et si les larmes de ceux à qui elle avait fait du bien, ont ramené dans son corps, avant le jour de la résurrection, son âme qui en était sortie; que ne produiront pas les larmes de tous ces hommes sauvés par vous? De même que les veuves qui entouraient cette femme l'ont rendue vivante, de morte qu'elle était, ainsi ceux qui sont sauvés maintenant et qui alors vous entoureront, vous feront obtenir une grande bienveillance de la part de Dieu, et vous arracheront au feu de l'enfer. Sachant donc cela, ne soyons pas fervents et vigilants seulement pour l'heure présente, mais communiquez le feu qui est maintenant en vous; une fois sortis d'ici, portez de tout côté le salut dans la ville, et, si vous n'en connaissez pas qui aient besoin de vos secours, recherchez-les avec soin. Si vous suivez ces conseils nous vous parlerons avec plus d'ardeur, comprenant par les effets que nous n'avons pas semé sur la pierre, et vous-mêmes vous serez plus zélés aussi dans la pratique de la vertu. Celui qui a gagné deux pièces d'or, éprouve une plus grande envie d'en recueillir et d'en ramasser dix et vingt, ainsi arrive-t-il pour la vertu : celui qui a fait quelque bonne oeuvre et rendu un service, tire de ce service même un encouragement et une exhortation à en rendre d'autres. Afin donc de sauver nos frères, de nous ménager à nous-mêmes le pardon de nos fautes, ou plutôt un gage assuré de salut, afin surtout de procurer la gloire de Dieu, sortons pour cette chasse des âmes, sortons avec nos femmes, nos enfants et nos domestiques, arrachons du filet du diable ceux qu'il y a pris selon sa volonté, et ne nous arrêtons pas avant d'avoir fait pour eux ce qui est en notre pouvoir, qu'ils le veuillent ou ne le veuillent pas; mais il est impossible qu'étant chrétiens ils ne le veuillent pas. Néanmoins, afin que vous n'ayez pas même ce prétexte, je vous dis ceci : Quand vous aurez dépensé vainement beaucoup de paroles, et accompli tout ce qui est en votre pouvoir, si vous voyez qu'on ne se soumet pas, amenez le récalcitrant aux prêtres, et bon gré mal gré, par la grâce de Dieu, ils s'en rendront maîtres, et toute la récompense sera pour vous. Maris, dites cela à vos femmes; femmes, dites-le à vos maris; pères, dites-le à vos enfants; amis, dites-le à vos amis. Que les Juifs sachent, et ceux qui paraissent faire une même société avec nous, mais qui pensent comme eux dans le fond, que nous ne sommes pas sans exercer nos soins, notre sollicitude et notre vigilance sur nos frères qui passent de leur côté. Alors, bon gré mal gré, ils repousseront avant nous ceux des nôtres qui vont les joindre; ou plutôt, personne n'osera plus désormais chercher un refuge chez eux, le corps de l'Eglise sera pur. Que Dieu, dont la volonté est que tous les hommes se sauvent et arrivent à la connaissance de la vérité, nous fortifie pour cette chasse des âmes, ramène les Juifs de leur égarement, et, nous sauvant tous ensemble, nous rende dignes du royaume des cieux pour sa gloire, parce que à lui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.