[1,4] CHAPITRE IV. 1. Ils faisaient la lecture de cette pièce quand le domestique envoyé par Timoclée arriva. Ils se disposaient à l'entendre ; mais dans cette première impatience ils craignaient de faire des questions a un homme qu'ils voyaient saisi de frayeur. Ce domestique crut ne pouvoir prendre trop de précaution, pour rendre compte de ce qu'il venait d'apprendre et pria Timoclée de trouver bon qu'il lui parlât en particulier. Il n'était point maître de cacher son embarras, mais Timoclée en femme prudente et pour lui ôter occasion de répandre sur le champ dans la maison le secret qu'il avait à lui dire, le conduisit dans une chambre écartée, où ayant prié Arcombrote et Poliarque de la suivre, elle lui commanda de parler et de rapporter fidèlement ce qu'il avait appris. Il obéit et prit ainsi la parole. "A peine ai-je été arrivé dans la Ville que j'ai vu plusieurs personnes rassemblées qui ne savaient où aller, comme il arrive d'ordinaire dans un premier trouble ; il y avait de la lumiere à toutes les portes, et tout le monde partagé en différentes troupes, paraissait consterné. Je me suis approché de la première que j'ai rencontrée, j'y ai appris qu'on cherchait Poliarque accusé du crime de lèse- majesté, qu'on devait lui trancher la tête, et que c'était là le sujet de ces feux allumés. Craignant qu'on ne se trompât de nom, ou qu'il ne fût commun à plusieurs, je me suis informé quel était ce Poliarque, et pourquoi on l'avait condamné ; chacun m'a fait la même réponse, que Poliarque était un jeune étranger, demeurant depuis plus d'un an dans la Sicile, fort connu par sa bravoure, et par la faveur du Roi ; qu'on ignorait son crime, mais qu'il était condamné et dénoncé publiquement. Passant de cette troupe à une autre, j'y ai appris la même chose ; voyant que personne ne se contredisait, j'ai cru n'être que trop bien informé, je viens vous en rendre compte. 2. Arcombrote et Timoclée eurent pendant ce détail, les yeux attachés sur Poliarque, qui fut lui-même saisi d'une frayeur, qui ne partait point d'une conscience troublée par le crime, mais plutôt de cette vertu solide qui s'alarme aux moindres reproches. Dans sa surprise, il interrogeait de nouveau le domestique et lui demandait, s'il rapportait fidèlement ce qu'il avait entendu ; il s'informait de Timoclée, si ce valet était une personne sûre, et si l'on pouvait compter sur ce qu'il disait. Agité comme une personne que trouble l'horreur d'un songe, il demeura quelque temps sans parler, de crainte que dans ses premiers transports, il ne lui échappât quelque reproche contre le destin ou contre Méléandre. Une circonstance si délicate, cette maison dont il ne connaissait point toute la fidelité, semblaient ne lui laisser que peu de temps pour prendre un parti. Après avoir levé les mains et les yeux au Ciel : "O vous" ,dit-il, "grands Dieux, défenseurs de la Sicile, protecteurs de l'innocence ! Vous Dieux tutélaires dei Méléandre, qui avez daigné me recevoir, je vous révère et vous conjure de ne point m'épargner, si jamais j'ai rien entrepris contre Méléandre ou contre cc royaume. SI j’ai violé par aucune de mes actions ou i -mes conseils, la fidélité qu'un étranger doit au pays qui le reçoit, ou si j'ai donné quelque occasîon au crime dont on m'accuse, que je devienne la victime de votre justice ; tirez vous mêmes la funeste vengeance, qui est due à un forfait si noir. Mais si je n'ai cherché que le bien de l'état, si ce que l'on m'impute, n'a pour fondement que la jalousie de mes ennemis, grands Dieux, prenez ma défense et permettez qu'au moins justifié auprès du roi et dans l'esprit da peuple, il me soit libre d'abandonner cette île et que je n'aie pas le malheur, étant innocent, d'y laisser la réputation d'un coupable. Pour vous, Timoclée, vous ne devez pas être enveloppée dans ma disgrâce, je veux m'éloigner d'une maison, où tout deviendrait criminel, si j'y demeurais plus longtemps, c'est assez d'un innocent condamné". 3. Arcombrote eut dans ce moment quelque peine à retenir sa colère, et cette tendre amitié qu'il avait d'abord ressentie pour Poliarque, avait fait en un jour de si grands progrès, qu'il lui promit de lui rendre tous les services dont il était capable, même au péril de sa vie. A leurs visages animés à l'impétuosité de leurs ressentiments à l'action dont ils parlaient, on n'aurait pu juger sur qui des deux le coup devait tomber, si ce n'est qu'Arcombrote se livrait plus librement à ses transports. Mais Timoclée, par un trait de prudence, feignant de ne point encore ajouter foi à ce qu'on venait de lui rapporter, dit qu'elle allait envoyer quelqu'autre de ses gens pour en apprendre des nouvelles plus certaines commanda cependant à celui-ci de demeurer dans la salle. Elle conduisit Poliarque et Arcombrote dans une chambre voisine, pour voir ensemble le parti qu'il y avait à prendre.