[0,0] {GALLICANUS} ARGUMENT DE GALLICANUS. Conversion de Gallicanus, prince de la milice, qui, sur le point d'aller faire la guerre aux Scythes, obtient d'être fiancé à Constance, vierge consacrée à Dieu et fille de l'empereur Constantin. Au plus fort de la mêlée, Gallicanus, près de succomber, se convertit par le conseil de Jean et Paul, primiciers de Constance II reçoit le baptême et se voue au célibat. — Quelques années plus tard, Gallicanus, exilé par Julien l'Apostat, reçoit la couronne du martyre. Cependant Paul et Jean, mis à mort en secret par ordre du même prince, sont inhumés clandestinement dans leur maison ; mais peu après, le fils de l'exécuteur, dont le démon s'est emparé, ayant proclamé le meurtre commis par son père et confessé le mérite des martyrs, est délivré de la possession et reçoit le baptême ainsi que son père. [1,0] {GALLICANUS} PERSONNAGES. CONSTANTIN, empereur. {GALLICANUS} CONSTANCE, fille de Constantin. ARTÉMIA, fille de Gallicanus. ATTICA, fille de Gallicanus. JEAN et PAUL, primiciers de Constance. Seigneurs de la cour. BRADAN, roi des Scythes. Tribuns. Soldats romains. Soldats scythes. HÉLÈNE, mère de Constantin; personnage muet. [1,1] SCENE PREMIERE. CONSTANTIN, GALLICANUS, Seigneurs. {CONSTANTIN} Je suis fatigué, Gallicanus, de toutes ces lenteurs; vous tardez trop à attaquer les Scythes, ce peuple qui, vous le savez, refuse seul la paix de Rome et résiste témérairement à notre puissance. Vous n'ignorez pas cependant qu'en considération de votre valeur, je vous ai réservé le commandement de l'armée chargée de la défense de la patrie. {GALLICANUS} Auguste empereur, dévoué fermement et sans réserve à votre personne, j'ai fait de constants efforts pour que ma conduite répondît par des effets aux vœux de votre excellence auguste. Je n'ai jamais cherché à me soustraire à mes devoirs. {CONSTANTIN} Est-il besoin de me le rappeler ? Tous vos services sont présents à ma mémoire. Aussi ai-je employé plutôt les exhortations que les reproches pour vous presser d'agir suivant mes vues. {GALLICANUS} Je vais m'en occuper sur-le-champ. {CONSTANTIN} Je m'en réjouis. {GALLICANUS} Jamais le soin de ma vie ne m'empêchera d'exécuter vos ordres. {CONSTANTIN} Votre zèle me plaît. Je loue le dévouement que vous montrez à ma personne. {GALLICANUS} Mais ce zèle sans bornes que je voue à votre service attend une récompense qui lui soit proportionnée. {CONSTANTIN} Rien n'est plus juste. {GALLICANUS} On affronte plus aisément la difficulté d'une entreprise, quelque grande qu'elle soit, quand on est soutenu par l'espoir d'une récompense assurée. {CONSTANTIN} Cela est évident. {GALLICANUS} Veuillez donc, de grâce, m'assurer, dès aujourd'hui, le prix des dangers que je vais courir, afin que tout entier à mon ardeur guerrière, je ne sois point abattu par la sueur du combat, et trouve de nouvelles forces dans l'espoir de cette récompense. {CONSTANTIN} Je ne vous ai jamais refusé, jamais je ne vous refuserai le prix que le sénat tout entier regarde comme le plus désirable et le plus glorieux, l'admission dans mon intimité et les premières charges du palais. {GALLICANUS} J'en conviens; mais ce n'est pas là aujourd'hui le but de mon ambition. {CONSTANTIN} Si vous désirez autre chose, il faut le déclarer. {GALLICANUS} Oui, je désire autre chose. {CONSTANTIN} Quoi? {GALLICANUS} Si j'ose le dire.... {CONSTANTIN} Vous ferez bien. {GALLICANUS} Vous vous irriterez. {CONSTANTIN} Point du tout. {GALLICANUS} Cela est certain. {CONSTANTIN} Non. {GALLICANUS} Vous serez transporté d'indignation. {CONSTANTIN} Ne le craignez pas. {GALLICANUS} Eh bien ! je parlerai, puisque vous l'ordonnez. J'aime Constance, votre fille.... {CONSTANTIN} Et il est juste, en effet, et convenable que vous aimiez respectueusement la fille de votre maître, et la respectiez avec amour. {GALLICANUS} Vous interrompez ma requête. {CONSTANTIN} Je ne l'interromps pas. {GALLICANUS} Et je désirerais, si votre bonté daigne y consentir, la recevoir de vous pour fiancée. CONSTANTIN, aux seigneurs de la cour. Certes, il ne demande pas là une petite récompense : il aspire à une faveur inouïe et jusqu'ici, mes seigneurs, sans exemple parmi vous. {GALLICANUS} Hélas ! hélas! il me dédaigne ! Je l'avais prévu, (Aux seigneurs.) Joignez, je vous prie, vos prières aux miennes. {LES SEIGNEURS} Illustre empereur, il convient à votre dignité, et en considération de son mérite, de ne pas rejeter sa demande. {CONSTANTIN} Je ne la rejette pas, quant à moi; mais je crois devoir apporter le plus grand soin à m'assurer du consentement de ma fille. {LES SEIGNEURS} Cela est juste. {CONSTANTIN} Je vais me rendre auprès d'elle, et, si vous le désirez, Gallicanus, je la consulterai sur ce sujet. {GALLICANUS} C'est là tout mon désir. [1,2] SCÈNE II. CONSTANCE, CONSTANTIN. {CONSTANCE} à part. L'empereur notre maître vient vers nous plus triste que de coutume. Je cherche avec un extrême étonnement ce qu'il peut vouloir. {CONSTANTIN} Approchez, Constance, ma fille, j'ai quelques mots à vous dire. {CONSTANCE} Me voici, mon seigneur; dites, que me voulez-vous ? {CONSTANTIN} Je suis en proie à une grande anxiété de cœur, et j'éprouve une profonde tristesse. {CONSTANCE} Tout à l'heure en vous voyant venir, je me suis aperçue de cette tristesse, et, sans en savoir la cause, j'en ai ressenti du trouble et de la crainte. {CONSTANTIN} C'est à cause de vous que je m'afflige. {CONSTANCE} De moi ? {CONSTANTIN} De vous. {CONSTANCE} Vous m'effrayez. Qu'y a-t-il, mon seigneur? {CONSTANTIN} Je crains, en le disant, de vous affliger. {CONSTANCE} Vous m'affligerez bien davantage en ne le disant pas. {CONSTANTIN} Gallicanus, ce général qu'une suite de triomphes a élevé au premier rang parmi les seigneurs de ma cour, et dont l'aide nous est si souvent nécessaire pour la défense de la patrie.... {CONSTANCE} Eh bien! Il.... {CONSTANTIN} Il désire vous avoir pour femme. {CONSTANCE} Moi? {CONSTANTIN} Vous-même. {CONSTANCE} J'aimerais mieux mourir. {CONSTANTIN} Je l'avais prévu. {CONSTANCE} Cela ne peut vous étonner, puisqu'avec votre permission et votre consentement, j'ai voué à Dieu ma virginité. {CONSTANTIN} Je me le rappelle. {CONSTANCE} Aucun supplice ne m'empêchera jamais de garder mon serment pur de toute atteinte. {CONSTANTIN} Cette résolution est convenable ; mais je me vois par là jeté dans une extrême perplexité. Car si, comme le veut mon devoir de père, je vous permets d'exécuter votre dessein, la république n'en souffrira pas médiocrement ; et si, au contraire, ce qu'à Dieu ne plaise ! je mets obstacle à vos projets, je m'expose à souffrir les peines éternelles. {CONSTANCE} Si je désespérais de l'assistance divine, ce serait moi surtout, moi, plus que nulle autre, qui aurais sujet de me livrer à la douleur. {CONSTANTIN} C'est la vérité. {CONSTANCE} Mais il ne peut y avoir de place pour la tristesse dans un cœur qui se fie en la bonté divine. {CONSTANTIN} Que vous parlez bien, ma Constance ! {CONSTANCE} Si vous daignez prendre mon conseil, je vous indiquerai un moyen d'échapper à ce double danger. {CONSTANTIN} Oh ! plût au ciel ! {CONSTANCE} Feignez d'être disposé à satisfaire les vœux de Gallicanus, aussitôt après l'heureuse issue de la guerre; et, pour lui faire croire que ma volonté s'accorde avec la vôtre, persuadez-le de laisser auprès de moi, pendant son absence, ses deux filles Attica et Artémia, comme gage de l'amour qui nous doit unir; de son côté, qu'il se fasse accompagner de Paul et Jean, mes primiciers. {CONSTANTIN} Et que ferai-je s'il revient victorieux ? {CONSTANCE} Il nous faudra invoquer, avant son retour, le créateur de toutes choses, pour qu'il détourne Gallicanus de ce dessein. {CONSTANTIN} O ma fille, ma fille ! le charme de vos paroles a si bien adouci l'amer chagrin de votre père, que je n'éprouve plus désormais d'inquiétude à ce sujet. {CONSTANCE} Il n'y a pas lieu d'en avoir. {CONSTANTIN} Je vais rejoindre Gallicanus, et je le séduirai par cette agréable promesse. {CONSTANCE} Allez en paix, mon seigneur. [1,3] SCENE III. GALLICANUS, Seigneurs. {GALLICANUS} O princes, je mourrai de curiosité avant d'apprendre le résultat du long entretien de notre auguste seigneur avec sa fille, notre maîtresse. {LES SEIGNEURS} Il l'engage à se rendre à vos désirs. {GALLICANUS} Oh ! puisse la persuasion prévaloir ! {LES SEIGNEURS} Elle prévaudra, nous l'espérons. {GALLICANUS} Paix, silence ! l'empereur revient, non plus le front soucieux, comme il est parti, mais avec un visage tout à fait serein. {LES SEIGNEURS} La fortune est favorable ! {GALLICANUS} Si, comme on le dit, le visage est le miroir de l'âme, la sérénité qui paraît sur le sien annonce les sentiments bienveillants de son cœur. {LES SEIGNEURS} Nous le croyons. [1,4] SCÈNE IV. Les précédents, CONSTANTIN, Gardes. {CONSTANTIN} Gallicanus ! {GALLICANUS} Qu'a-t-il dit? LES SEIGNEURS, à Gallicanus. Avancez, avancez ; il vous appelle. {GALLICANUS} Dieux propices ! prêtez-moi votre aide ! {CONSTANTIN} Partez sans crainte pour la guerre, Gallicanus. A votre retour, vous recevrez le prix que vous désirez. {GALLICANUS} Ne vous jouez-vous pas de moi ? {CONSTANTIN} Pouvez-vous bien demander si je me joue? {GALLICANUS} Mon bonheur serait au comble, si je savais seulement une chose. {CONSTANTIN} Quelle est cette seule chose ? {GALLICANUS} Sa réponse. {CONSTANTIN} La réponse de ma fille? {GALLICANUS} Oui, d'elle-même. {CONSTANTIN} Il n'est pas juste de demander qu'une vierge pudique réponde à une telle question. La suite des événements prouvera assez son consentement. {GALLICANUS} Si je le savais, je m'inquiéterais fort peu de sa réponse. {CONSTANTIN} Vous en aurez la preuve. {GALLICANUS} Je le souhaite avec ardeur. {CONSTANTIN} Elle a décidé que ses primiciers Paul et Jean demeureront auprès de vous, jusqu'au jour de vos noces. {GALLICANUS} Pour quelle raison ? {CONSTANTIN} Pour qu'en vous entretenant souvent avec eux, vous puissiez connaître à l'avance sa vie, ses mœurs, ses habitudes. {GALLICANUS} Cette pensée est excellente et me plaît infiniment. {CONSTANTIN} Elle désire aussi qu'à votre tour vous permettiez à vos deux filles d'habiter, pendant le même temps, auprès d'elle, pour qu'elle apprenne dans leur société à faire tout ce qui peut vous être agréable. {GALLICANUS} Ah ! bonheur ! bonheur ! Tout répond à mes vœux. {CONSTANTIN} Donnez ordre qu'on amène vos filles au plus vite. {GALLICANUS} Quoi ! vous n'êtes pas partis, soldats ? Allez, courez, amenez mes filles aux pieds de leur souveraine. [1,5] SCÈNE V. CONSTANCE, Gardes; ensuite ATTICA ET {ARTÉMIA} {LES GARDES} O Constance, notre maîtresse! Voici que se présentent les illustres filles de Gallicanus qui, par l'éclat de leur beauté, de leur sagesse et de leur vertu, sont tout à fait dignes de votre intimité. {CONSTANCE} Bien. (On les introduit) ― O Christ ! Amant de la virginité, toi qui souffles la chasteté dans nos cœurs, et qui, exauçant les prières de ta sainte martyre Agnès, m'as préservée à la fois de la lèpre du corps et des erreurs païennes ; toi qui m'as montré pour exemple le lit virginal de ta mère, où tu t'es manifesté vraiment Dieu; toi qui, avant le commencement des choses, naquis de Dieu le père, et qui, dans le temps, es né du sein d'une mère, homme véritable ; je t'en supplie, vraie sagesse, coéternelle à celle du Père, qui créas, maintiens et gouvernes l'univers; fais que Gallicanus, qui veut éteindre, en se l'appropriant, l'amour que je te porte, renonce à son injuste dessein et soit attiré vers toi; daigne aussi prendre ses filles pour épouses, et fais pénétrer goutte à goutte dans leurs pensées la douceur infinie de ton amour, en sorte qu'abhorrant tous liens charnels, elles méritent d'être admises dans la société des vierges qui te sont consacrées. {ARTÉMIA} Salut, Constance, notre auguste maîtresse ! {CONSTANCE} Salut, mes sœurs, Attica et Artémia ! Restez, restez debout; ne vous prosternez point : donnez-moi plutôt le baiser d'amour. {ARTÉMIA} Nous venons avec joie vous offrir nos hommages, madame ; nous nous mettons, avec un entier dévouement, à votre discrétion, seulement pour jouir de la plénitude de vos grâces. {CONSTANCE} Le Seigneur seul, qui est aux cieux, doit être servi par nous avec un dévouement d'esclave. L'amour et la fidélité que nous lui devons exigent qu'unies de cœur avec lui, nous conservions la parfaite intégrité de notre corps, pour mériter d'entrer dans le palais de la céleste patrie, avec la palme des vierges. {ARTÉMIA} Nous n'opposons aucune résistance; au contraire, nous nous efforcerons d'obéir à tous vos préceptes, surtout en ce qui touche la connaissance de la vérité et la résolution de conserver notre pureté virginale. {CONSTANCE} Cette réponse est convenable et tout à fait digne de votre vertu; aussi ne douté-je pas que par l'inspiration de la grâce divine, vous ne soyez déjà parvenues à croire. {ARTÉMIA} Comment pourrions-nous, servantes des idoles, avoir aucune sage pensée, sans l'illumination de la bonté céleste? {CONSTANCE} La fermeté de votre foi me donne l'espoir que Gallicanus aussi croira bientôt. {ARTÉMIA} Il ne faut que l'instruire, et il est certain qu'il croira. CONSTANCE, aux Gardes. Faites venir Jean et Paul. [1,6] SCÈNE VI. Les mêmes, PAUL et {JEAN} {JEAN} Voici devant vous, madame, ceux que vous avez mandés. {CONSTANCE} Allez sur-le-champ trouver Gallicanus, et, vous attachant à sa personne, instruisez-le peu à peu du mystère de notre foi. Peut-être Dieu daignera-t-il se servir de nous pour le gagner à lui. {PAUL} Que Dieu nous donne le succès ! Pour nous, nous offrirons à Gallicanus de continuelles exhortations. [1,7] SCÈNE VII. GALLICANUS, PAUL et JEAN, les tribuns, l'armée romaine. {GALLICANUS} Vous arrivez à propos, Jean et vous Paul ; je vous attendais depuis longtemps avec inquiétude. {JEAN} Dès que nous avons entendu les ordres de notre souveraine, nous sommes accourus tous deux pour vous offrir nos services. {GALLICANUS} Je reçois vos offres de services avec beaucoup plus de joie que d'aucune autre part. {PAUL} Ce n'est pas sans raison ; car on dit vulgairement : Celui qui accueille bien nos amis devient notre ami lui-même. {GALLICANUS} Cela est vrai. {JEAN} L'affection que vous porte la maîtresse qui nous envoie nous conciliera votre bienveillance. {GALLICANUS} Certainement. — Venez, tribuns et centurions, rassemblez les troupes! Venez, vous tous, soldats, sous mes ordres ! Voici Jean et Paul, dont l'absence m'empêchait de me mettre en route. {LES TRIBUNS} Précédez-nous. (Les tribuns suivent en troupe Gallicanus) {GALLICANUS} Montons d'abord au Capitole, entrons dans les temples, et apaisons la majesté des dieux par les sacrifices accoutumés : c'est le moyen d'obtenir pour nos armes un heureux succès. {LES TRIBUNS} L'accomplissement de ces rites est nécessaire. {JEAN} Retirons-nous en attendant. {PAUL} La bienséance le commande. [1,8] SCÈNE VIII. Les mêmes. {JEAN} Voici le général qui sort du temple; montons à cheval et allons à sa rencontre. {PAUL} Sans perdre un instant. {GALLICANUS} D'où venez-vous? Où étiez-vous? {JEAN} Nous venons de préparer nos bagages; nous les avons envoyés devant, pour pouvoir vous accompagner en liberté. {GALLICANUS} C'est bien. [1,9] SCÈNE IX. Les mêmes, BRADAN, soldats scythes. {GALLICANUS} Par Jupiter ! ô tribuns ! j'aperçois les légions d'une innombrable armée. La diversité de leurs armes offre un spectacle effrayant. {LES TRIBUNS} Par Hercule ! ce sont les ennemis ! {GALLICANUS} Résistons avec courage et combattons en hommes. {LES TRIBUNS} A quoi peut-il nous servir de combattre une telle multitude ? {GALLICANUS} Et qu'aimez-vous mieux faire ? {LES TRIBUNS} Nous soumettre au joug. {GALLICANUS} Qu'Apollon nous préserve de cette honte ! {LES TRIBUNS} Par Pollux ! il faut bien le faire ; voyez, nous sommes enveloppés de toutes parts : on nous blesse, on nous massacre. {GALLICANUS} Hélas ! qu'arrivera-t-il si les tribuns méprisent mes ordres et se rendent? {JEAN} Faites vœu au Dieu du ciel d'embrasser la religion du Christ, et vous serez vainqueur. {GALLICANUS} Je fais ce vœu et je l'accomplirai. {LES ENNEMIS} Hélas ! roi Bradan, la fortune qui nous avait montré la victoire, se joue de nous. Voyez, nos bras faiblissent, nos forces s'épuisent ; une incroyable faiblesse de cœur nous force d'abandonner la bataille. {BRADAN} Je ne sais que vous dire : le même mal dont vous vous plaignez me frappe. Il ne nous reste qu'à nous rendre au général romain. {LES ENNEMIS} C'est notre unique voie de salut. {BRADAN} Général Gallicanus, ne vous obstinez pas à notre perte ; laissez-nous la vie, et disposez de nous comme de vos esclaves. {GALLICANUS} Cessez de craindre ; ne tremblez point ; donnez-moi seulement des otages, reconnaissez-vous tributaires de l'empereur, et vivez heureux sous la paix romaine. {BRADAN} Vous n'avez qu'à fixer vous-même le nombre et la qualité des otages, ainsi que le poids du tribut que vous exigez. {GALLICANUS} Soldats, déposez vos armes ; ne tuez, ne blessez personne ; embrassons comme alliés ceux que nous combattions comme ennemis publics. {JEAN} Combien est plus efficace une prière fervente que toute la présomption humaine ! {GALLICANUS} Cela est vrai. {PAUL} Quel appui secourable la miséricorde divine accorde à ceux qui se recommandent à elle par une humble dévotion! {GALLICANUS} J'en ai la preuve évidente. {JEAN} Mais le vœu qu'on a fait pendant la tourmente, il faut l'accomplir lorsque le calme est revenu. {GALLICANUS} C'est bien mon sentiment. Aussi désiré-je d'être baptisé le plus tôt possible et de consacrer le reste de ma vie au service de Dieu. {PAUL} Ce sera justice. [1,10] SCÈNE X. Les mêmes. {GALLICANUS} Voyez comme à notre entrée dans Rome tous les citoyens accourent et nous apportent, selon l'usage, les insignes de la gloire. {JEAN} Cet accueil est mérité. {GALLICANUS} Ce n'est pourtant ni à notre valeur ni à la protection de leurs dieux qu'est dû l'honneur du triomphe. {PAUL} Non, assurément; c'est au vrai Dieu. {GALLICANUS} Je pense donc que nous devons passer devant les temples, sans nous y arrêter.... {JEAN} Votre pensée est juste. {GALLICANUS} Et entrer, au contraire, dans l'église des saints apôtres en humbles confesseurs de la foi. {PAUL} Oh ! que vous êtes heureux de penser ainsi ! Vous venez de témoigner que vous êtes un vrai chrétien. [1,11] SCÈNE XI. CONSTANTIN, soldats romains. {CONSTANTIN} Je m'étonne, à soldats ! que Gallicanus se dérobe aussi longtemps à nos regards. {LES SOLDATS} A peine entré dans Rome, il a porté ses pas vers l'église de Saint-Pierre, et, prosterné jusqu'à terre, il a rendu grâce au Tout-Puissant, qui lui a donné la victoire. {CONSTANTIN} Gallicanus ? {LES SOLDATS} Lui-même. {CONSTANTIN} Voilà qui est incroyable. {LES SOLDATS} Il vient ; vous pouvez l'interroger. [1,12] SCÈNE XII. Les mêmes, GALLICANUS. {CONSTANTIN} Depuis longtemps je vous attendais, Gallicanus, pour apprendre de vous les circonstances et l'issue du combat. {GALLICANUS} Je vous les raconterai de point en point. {CONSTANTIN} C'est pourtant là ce qui m'intéresse le moins. Dites-moi d'abord ce que je désire surtout d'apprendre. {GALLICANUS} Qu'est-ce ? {CONSTANTIN} Pourquoi en partant êtes-vous entré dans les temples des dieux, et à votre retour avez-vous visité l'église des saints apôtres ? {GALLICANUS} Vous le demandez! {CONSTANTIN} Avec la plus vive curiosité. GALLICANCS. Je vais vous l'expliquer. {CONSTANTIN} Je le souhaite. {GALLICANUS} Empereur très sacré, à mon départ, je le confesse, j'entrai dans les temples, comme vous m'en faites le reproche, et je me présentai aux dieux et aux démons en suppliant. CONSTANTIN Cette coutume a été de toute antiquité reçue chez les Romains. {GALLICANUS} Coutume funeste. {CONSTANTIN} Déplorable. {GALLICANUS} Ensuite, les tribuns arrivèrent avec leurs légions et accompagnèrent ma marche. {CONSTANTIN} Vous êtes sorti de Rome dans un très pompeux appareil. {GALLICANUS} Nous allâmes en avant, nous rencontrâmes les ennemis, nous combattîmes, et nous fûmes vaincus. {CONSTANTIN} Les Romains vaincus ! {GALLICANUS} Complètement. {CONSTANTIN} O événement cruel et dont aucun siècle n'offre d'exemples ! {GALLICANUS} Je recommençai les sacrifices criminels ; mais aucun dieu ne vint à mon secours. Au contraire, la fureur du combat ne fit que s'accroître, et beaucoup des nôtres périrent. {CONSTANTIN} Ce récit me confond. {GALLICANUS} Enfin, les tribuns cessèrent d'obéir à mes ordres et se rendirent. {CONSTANTIN} A l'ennemi ? {GALLICANUS} A l'ennemi. {CONSTANTIN} O ciel ! et qu'avez-vous fait ? {GALLICANUS} Que pouvais-je faire que de prendre la fuite ? {CONSTANTIN} Non. {GALLICANUS} Il est trop vrai. {CONSTANTIN} Quelles angoisses dut alors souffrir votre courage? {GALLICANUS} Les plus pénibles. {CONSTANTIN} Et comment êtes-vous sorti de ce danger? {GALLICANUS} Mes deux fidèles compagnons Jean et Paul me conseillèrent de faire un vœu au Créateur. {CONSTANTIN} Salutaire conseil ! {GALLICANUS} Je l'ai bien éprouvé. A peine avais-je ouvert la bouche pour prononcer ce vœu, que je ressentis l'effet du secours céleste. {CONSTANTIN} Comment cela ? {GALLICANUS} Un jeune homme de haute stature m'apparut. Il portait une croix sur son épaule et m'ordonna de le suivre, l'épée à la main. {CONSTANTIN} Ce jeune homme, quel qu'il fût, était un envoyé du ciel. {GALLICANUS} J'en eus bientôt la preuve. A l'instant même, je vis à mes côtés des soldats dont le visage m'était inconnu, et qui me promettaient leur aide. {CONSTANTIN} C'était la milice céleste. {GALLICANUS} Je n'en doute point. Alors, suivant les pas de mon guide, je pénétrai sans crainte au milieu des rangs ennemis, et je parvins jusqu'à leur roi, nommé Bradan, qui, saisi tout à coup d'une incroyable terreur, et se jetant à mes pieds, se rendit avec les siens et s'engagea à payer un tribut perpétuel au maître du monde romain. {CONSTANTIN} Grâces soient rendues à l'auteur de notre victoire, qui ne souffre pas que ceux qui mettent leur espoir en lui soient confondus. {GALLICANUS} L'expérience me l'a bien prouvé. {CONSTANTIN} Je voudrais savoir ce que firent ensuite les tribuns fugitifs. {GALLICANUS} Ils s'empressèrent de se réconcilier avec moi. {CONSTANTIN} Et les avez-vous reçus à merci? {GALLICANUS} Moi ! recevoir à merci des hommes qui m'avaient abandonné dans le péril, et s'étaient rendus à l'ennemi ! non, certes. {CONSTANTIN} Et que fîtes-vous? {GALLICANUS} Je leur proposai un moyen d'obtenir leur pardon. {CONSTANTIN} Lequel ? {GALLICANUS} Je déclarai que ceux qui embrasseraient la religion chrétienne rentreraient dans leur grade et recevraient même de nouveaux honneurs, et que ceux qui s'y refuseraient n'obtiendraient point leur grâce et seraient dégradés. {CONSTANTIN} Cette condition était juste, et vous aviez le droit de l'imposer. {GALLICANUS} Pour moi, purifié par les eaux du baptême, je me suis donné si complètement à Dieu, que je renonce même à votre fille, que j'aimais cependant plus que toutes choses au monde, afin qu'en m'abstenant du mariage, je puisse plaire au fils de la Vierge. {CONSTANTIN} Approchez, approchez, que je me jette dans vos bras ! Aujourd'hui, Gallicanus, le moment est venu de vous révéler ce que, pour un temps, j'ai dû couvrir d'un voile. {GALLICANUS} Et quoi ? {CONSTANTIN} Ma fille et les deux vôtres sont entrées dans la voie sainte que vous avez choisie. {GALLICANUS} Je m'en réjouis. {CONSTANTIN} Et elles ont un si ardent désir de garder leur virginité, que ni les prières, ni les menaces ne pourraient ébranler leur résolution. {GALLICANUS} Qu'elles y persévèrent! je le désire. {CONSTANTIN} Entrons dans l'appartement qu'elles occupent. {GALLICANUS} Marchez devant, je vous suivrai. {CONSTANTIN} Les voici ; elles accourent, avec l'auguste Hélène, ma glorieuse mère. Elles versent toutes des larmes de joie. [1,13] SCENE XIII. Les mêmes, CONSTANCE, ATTICA, ARTÉMIA, HÉLÈNE, PAUL et JEAN. {GALLICANUS} Vivez heureuses, ô vierges saintes! Persévérez dans la crainte de Dieu, et conservez l'honneur intact de votre virginité! C'est ainsi que le monarque éternel vous jugera dignes de ses embrassements. {CONSTANCE} Nous garderons notre virginité d'autant plus aisément que nous vous voyons disposé à ne pas contrarier notre désir. {GALLICANUS} Je n'y mets ni opposition, ni empêchement, ni obstacle ; au contraire, je cède si volontiers à vos vœux, que je ne souhaite rien tant que de vous voir achever ce que votre volonté a entrepris, ô ma Constance! vous que j'ai achetée avec tant d'ardeur aux prix de mon sang. {CONSTANCE} Dans ce changement apparaît la main du très Haut. {GALLICANUS} Si Dieu ne m'avait changé et rendu meilleur, je ne pourrais consentir à l'accomplissement de votre vœu. {CONSTANCE} Que le protecteur de la pureté virginale, que l'auteur de toutes les bonnes résolutions, que celui qui vous a fait renoncer à un mauvais dessein, et qui s'est réservé ma virginité, daigne, pour prix de notre séparation corporelle, nous réunir un jour dans les joies de l'éternité. {GALLICANUS} Puisse cela arriver ! {CONSTANTIN} A présent que le lien de l'amour du Christ nous unit dans une même communion, il convient qu'on vous honore comme gendre des Augustes, et que vous partagiez nos honneurs en venant habiter avec nous dans le palais. {GALLICANUS} Il n'y a pas de tentation plus à craindre que la séduction des yeux. {CONSTANTIN} Je ne puis le nier. {GALLICANUS} Il n'est pas à propos que je voie trop souvent une vierge que j'aime, vous le savez, plus que mes parents, plus que ma vie, plus que mon âme. {CONSTANTIN} Faites votre volonté. {GALLICANUS} Aujourd'hui, grâce à Jésus-Christ et à mes soins, vous avez une armée quadruple. Permettez donc que je serve à présent sous le drapeau de l'Empereur, par la protection duquel j'ai vaincu, et à qui je dois tout ce que j'ai eu de succès dans ma vie. {CONSTANTIN} A lui sont dues la louange et les actions de grâces. Toute créature doit le servir. {GALLICANUS} Surtout celles qu'il a assistées le plus généreusement dans les dangers. {CONSTANTIN} Cela est vrai. {GALLICANUS} De tout ce que je possède, je fais d'abord une part de ce qui appartient à mes filles, je m'en réserve une autre pour le soulagement des pèlerins ; avec le reste, je veux enrichir mes esclaves rendus à la liberté, et subvenir aux besoins des pauvres. {CONSTANTIN} Vous disposez sagement de vos richesses, aussi ne serez-vous pas privé de la récompense éternelle. GALLICANES. Quant à moi, je brûle de me rendre à Ostie, auprès du saint homme Hilarianus, et me faire son compagnon inséparable, afin de pouvoir passer là le reste de ma vie à louer Dieu et à soulager les pauvres. {CONSTANTIN} Que l'Être unique, à qui la puissance ne manque jamais, vous permette d'exécuter heureusement vos projets et de vivre selon sa volonté ! Qu'il vous conduise à la possession des joies éternelles, celui qui règne et se glorifie dans l'unité de la Trinité ! {GALLICANUS} Amen.