[0] Grégoire le Grand, Discours au peuple. [1] Les fléaux de Dieu, que nous aurions dû redouter quand ils étaient encore à venir, il faut du moins, frères très chers, qu’ils nous inspirent de la crainte maintenant qu’ils sont présents et que nous les ressentons. Laissons la souffrance nous ouvrir la voie de la conversion, et les châtiments mêmes qui nous frappent attendrir la dureté de notre cœur. Car ainsi que l’a prédit le témoignage du prophète, «le glaive a pénétré jusqu’à l’âme» (Jér IV, 10). Vous voyez en effet le peuple entier frappé du glaive de la colère céleste, et tous les hommes victimes de ces coups imprévus. La maladie ne précède plus la mort, mais comme vous le constatez, c’est la mort elle-même qui prend les devants sur la maladie. Celui qui est frappé se voit enlevé avant d’avoir pu recourir aux larmes de la pénitence. Considérez donc dans quel état se présente aux regards du Juge rigoureux celui qui n’a pas le temps de pleurer ce qu’il a fait. [2] Ce n’est pas une partie des habitants qui est emportée, mais ils tombent tous ensemble. Les maisons se retrouvent vides; les parents assistent aux funérailles de leurs enfants, et leurs héritiers les précèdent dans la tombe. Que chacun de nous cherche donc un refuge dans les lamentations de la pénitence, pendant qu’il a encore le temps de pleurer avant d’être frappé. Remettons devant les yeux de notre esprit tous nos errements passés, et expions dans les larmes le mal que nous avons commis. «Hâtons-nous de nous présenter devant lui par la confession» (Ps. 95, 2), et comme le demande le prophète, «élevons nos cœurs avec nos mains vers Dieu» (Lam. III, 41). Elever son cœur avec ses mains vers Dieu, c’est soutenir son effort de prière avec les mérites de ses bonnes œuvres. Comme il donne, oh oui! comme il donne confiance à notre crainte, celui qui crie par la voix du prophète : «Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive» (Ezech. XXXIII, 11). Que personne ne désespère à cause de l’énormité de ses crimes : une pénitence de trois jours a effacé les fautes invétérées des Ninivites (cf. Jon 3), et le larron converti a mérité la récompense de la vie à l’instant même de la sentence qui le condamnait à la mort (cf. Luc XXIII, 40-43). Changeons donc nos cœurs, et soyons persuadés que nous avons déjà reçu ce que nous demandons. Le Juge se laisse plus vite fléchir par la prière si celui qui demande se corrige de ses dérèglements. [3] En face de ce glaive menaçant qui nous châtie si terriblement, persévérons dans nos prières jusqu’à en être importuns. L’importunité, qui a coutume d’ennuyer les hommes, plaît à la Vérité qui nous juge, car le Dieu bon et miséricordieux veut que le pardon lui soit demandé avec insistance dans la prière : il ne veut pas se mettre en colère autant que nous le méritons. Aussi dit-il par la bouche du psalmiste : «Invoque-moi aux jours de ta détresse; je te délivrerai, et tu me glorifieras.» (Ps. XLIX, 15). C’est donc lui-même qui témoigne de son désir de faire miséricorde à ceux qui l’invoquent, puisqu’il nous exhorte à l’invoquer. [4] Le cœur contrit, et après avoir rectifié notre conduite, nous viendrons donc, frères très chers, dès l’aube de demain mercredi, former sept processions, qui psalmodieront les litanies dans la ferveur de l’âme et dans les larmes, suivant l’ordre que je vais vous indiquer. Que nul d’entre vous ne sorte travailler aux champs, que nul ne se livre à une occupation quelconque, en sorte que nous nous réunissions tous à l’église de la sainte Mère du Seigneur, et qu’après avoir péché tous ensemble, nous pleurions aussi tous ensemble le mal que nous avons commis. Le Juge rigoureux, nous voyant ainsi nous punir nous-mêmes de nos fautes, nous fera grâce de la condamnation qu’il avait portée contre nous. La procession des clercs sortira de l’église du bienheureux Jean-Baptiste; celle des hommes, de l’église du bienheureux martyr Marcel; celle des moines, de l’église des martyrs Jean et Paul; celle des servantes de Dieu, de l’église des bienheureux martyrs Côme et Damien; celle des femmes mariées, de l’église du bienheureux Etienne, premier martyr; celle des veuves, de l’église du bienheureux martyr Vital; celle des pauvres et des enfants, de l’église de la bienheureuse martyre Cécile.