[10,0] COLLOQUE X : AVIS D'UN MAITRE LE MAITRE, L'ENFANT. {Le Maître} On dirait que vous êtes né non à la cour mais dans une basse-cour, tant vos manières sont impolies.Un enfant noble doit avoir des manières nobles. Chaque fois que quelqu'un à qui vous devez le respect vous adresse la parole, tenez-vous debout et la tête découverte. Que votre visage ne soit ni triste, ni maussade, ni impudent, ni effronté, ni évaporé, mais qu'il y règne de la modestie et de la gaieté; que vos yeux discrets soient toujours attachés sur la personne à qui vous parlez; ayez les pieds joints, les mains en repos. Ne vous balancez pas tantôt sur une jambe, tantôt sur une autre; ne gesticulez pas des bras, ne vous mordez pas la lèvre, ne vous grattez pas la tête, ne mettez pas les doigts dans vos oreilles. Ayez aussi une mise décente, afin que votre costume, votre air, votre tenue et votre extérieur annoncent une modestie honnête et un bon naturel. {L'Enfant} Si j'essayais? {Le Maître} Essayez. {L'Enfant} Est-ce bien comme cela? {Le Maître} Pas encore. {L'Enfant} Et comme cela? {Le Maître} Peu s'en faut. {L'Enfant} Comme cela? {Le Maître} Ah! vous y êtes, retenez-le bien. Ne soyez ni babillard ni étourdi. Que votre esprit ne batte pas la campagne, mais soyez attentif à ce que l'on vous dit. Si vous avez à répondre, faites-le en peu de mots et sagement, en employant des termes respectueux et en ajoutant quelquefois le surnom de la personne par considération pour elle; de temps en temps fléchissez le genou, surtout en terminant votre réponse. Ne vous retirez pas sans demander permission à votre interlocuteur, ou sans qu'il vous congédie. Maintenant, voyons, donne-moi un échantillon de votre savoir-faire. Combien y a-t-il de temps que vous avez quitté la maison maternelle? {L'Enfant} Il y a environ six mois. {Le Maître} Il fallait ajouter : Monsieur. {L'Enfant} Il y a environ six mois, Monsieur. le Matine. Ne regrettez-vouss point votre mère? {L'Enfant} Oui, quelquefois. {Le Maître} Désirez-vous la revoir ? {L'Enfant} Je le désirerais, Monsieur, si vous daigniez me le permettre. {Le Maître} Il fallait ici fléchir le genou. C'est bien, continuez de la sorte. Quand vous parlez, prenez garde de vous presser, d'hésiter ou de marmotter entre vos dents, mais habituez-vous à prononcer distinctement, clairement, en articulant bien. Si vous passez devant un vieillard, un magistrat, un prêtre, un docteur ou toute autre personne respectable, n'oubliez pas de vous découvrir et ne craignez pas de fléchir le genou. Faites-en de même quand vous passerez devant une église ou devant l'image de la croix. A table, montrez-vous gai, tout en gardant la décence qui convient à votre âge. Tendez votre assiette le dernier; si on vous offre un morceau délicat, refusez modestement; si on insiste, acceptez en remerciant, puis, après en avoir coupé une petite tranche, rendez le reste à celui qui vous l'a servi ou à l'un de vos proches voisins. Si quelqu'un boit à votre santé, remerciez-le gracieusement, mais pour vous buvez peu; si vous n'avez pas soif, approchez le verre de vos lèvres. Ayez un air riant pour ceux qui vous parlent; ne parlez jamais qu'on ne vous interroge. Si l'on tient des propos déshonnêtes, ne souriez point, mais gardez votre sérieux comme si vous ne compreniez pas. Ne dénigrez personne, ne vous mettez au-dessus de personne. Ne vantez point vos avantages, ne rabaissez pas ceux d'autrui. Soyez poli même envers vos camarades peu fortunés; ne dénoncez personne, ne causez pas indiscrètement. En vous conduisant de la sorte vous obtiendrez des éloges sans exciter l'envie, et vous vous ferez des amis. Si le repas vous parait trop long, sortez de table après avoir demandé permission et salué les convives. Souvenez-vous bien de ces avis. {L'Enfant} Je tâcherai de ne point les oublier, mon cher précepteur. Avez-vous encore quelque choie à me dire? {Le Maître} Retournez maintenant à vos livres. {L'Enfant} J'y vais.