De Vatican II à Vatican III ? "IL N'Y A RIEN à faire de décisif tant que.l'Eglise romaine ne sera pas sortie totalement de ses prétentions seigneuriales et temporelles. Il faudra que tout cela soit détruit. Et cela le sera." Ce cri de révolte d'Yves Congar, l'un des plus grands théologiens du XX` siècle, remonte au 14 octobre 1962. Trois jours plus tôt, avec faste, s'ouvrait à Rome le concile Vatican II, sous la présidence prophétique du pape Jean XXIII. Le Père Congar, qui sous Pie XII avait commencé dans la dissidence, finit cardinal sous Jean-Paul II.
Son volumineux Journal du Concile - qu'il avait donné l'ordre de ne publier qu'après sa mort et l'an 2000 - vient de sortir aux éditions du Cerf.
Quarante ans après, son cri résonne encore. Détruites les prétentions "seigneuriales et temporelles" de l'Église ? L'un des principaux acquis de Vatican II (1962-1965) est sans doute le consentement à une plus grande modestie, la renonciation à la pompe liturgique que symbolisaient le latin et la soutane, la responsabilité confiée au laïcat, le dialogue fraternel avec les autres expressions d'Église et les confessions non chrétiennes (judaïsme, islam, bouddhisme, etc.), autrefois ignorées et maltraitées.
A ces mutations, le pape Jean-Paul II a ajouté sa touche particulière. Si la volonté de peser sur les moeurs s'est renforcée, toute revendication de puissance temporelle a disparu. Les anathèmes doctrinaux sont devenus l'exception. L'heure est à la repentance pour les fautes commises contre les juifs ou les hérétiques.
L'aggiornamento, promis le 11 octobre 1962 par Jean XXIII, est si bien entré dans les moeurs qu'il est cité en exemple dans l'ordre civil ou religieux. A destination de la puissante orthodoxie russe dont l'intuition conciliaire de 1917 a été brisée par la révolution bolchevique et ne s'en est, jamais remise. A destination d'un islam dont les soubresauts, non maîtrisés par des magistères centraux, inquiètent le monde.

Avec peine, et au prix d'un schisme (celui des traditionalistes de Mgr Lefebvre),1'Eglise a su rompre avec une conception fixiste de sa tradition, renouer avec ses racines scripturaires (ce que les protestants avaient fait quatre siècles plus tôt), restaurer la notion de « peuple de Dieu » occultée par un pouvoir pyramidal, ultraclérical, dogmatique, discerner les « signes du temps » lui permettant d'épouser la société moderne.

Un historien catholique, parfois contestataire, comme Jean Delumeau affirme que Vatican II est allé si loin qu'aucun revirement n'est plus désormais possible. On en veut pour preuves la part prise hier par les Eglises dans la chute des régimes communistes et des dictatures d'Amérique latine, la dénonciation de tout « enseignement du mépris » des autres religions, les paroles de « repentance » du pape à Rome et à Jérusalem, ses visites aux mosquées de Casablanca et de Damas, les rencontres d'Assise pour faire reculer l'intégrisme.
Au plan intérieur, jamais les laïcs n'avaient été autant associés, malgré des grincements, à la marche des communautés, invités à approfondir leur foi, rencontrer celle des autres, dialoguer avec l'intelligence contemporaine et les cultures lointaines.

Pourtant, quarante ans après Vatican II, jamais on n'avait parlé autant de ... Vatican III. Sans le ton imprécateur et prophétique d'un Congar, des voix s'élèvent pour estimer que l'Eglise de Rome n'est pas allée au bout de son aggiornamento, que des scléroses n'ont pas été guéries et que d'autres sont réapparues, que la prétention au monopole catholique de la Vérité revient à grands pas, que l'autorité qui devait être « collégiale », c'est-à-dire partagée entre la papauté et les Eglises locales, tourne à l'omnipotence des structures vaticanes.

En 1999, le cardinal Martini, alors encore à la tête du diocèse de Milan, avait exprimé le souhait d'une nouvelle assemblée de type conciliaire en vue de dénouer les crises dues à l'insuffisance du nombre de prêtres ou à des disciplines aussi archaïques que l'interdiction de la pratique sacramentelle imposée aux divorcés remariés. D'autres évêques et théologiens des Etats-Unis, des Pays-Bas, de Suisse, de France rêvent aussi d'un concile largement cecuménique, à Jérusalem, berceau des monothéismes, ou en Amérique latine où vivent quatre catholiques sur dix. Les nostalgiques chagrins de l'Eglise « préconciliaire » sont désormais moins nombreux que les partisans d'une nouvelle ère de réformes.

Les crispations portent sur le dialogue cecuménique qui paraît bloqué, sur l'accès de laïcs à des ministères ordonnés (diacres, prêtres), sur le décalage entre l'évolution accélérée des mneurs et un discours de l'Eglise jugé immobile, sur l'épuisement des procédures de concertation (comme les synodes épiscopaux) et l'extrême centralisation des décisions. Les anathèmes contre les protestants, anglicans et orthodoxes ont disparu, mais un document comme Dominus Jesus, publié il y a deux ans, réaffirmant la supériorité absolue de la foi catholique, est apparu comme une régression. Le vieux rêve de Jean-Paul II de réconcilier les deux « poumons » - oriental et occidental - du christianisme bute aussi sur le raidissement de la principale Eglise orthodoxe, celle de Russie, exsangue et isolée après soixante-dix ans de persécution communiste. Le rapprochement entre catholicisme et anglicanisme est également au point mort depuis la décision de Canterbury d'ordonner des femmes prêtres (et bientôt évêques).

LE SOUHAIT DES FIDÈLES La crise du sacerdoce est plus grave en Europe et en Amérique du Nord que dans les pays de l'hémisphère Sud. Mais, en aucun lieu, la promotion du laïcat voulu par Vatican II n'a compensé les impasses de la pastorale liées à l'effondrement du nombre des prêtres, en particulier dans les pays de vieille chrétienté comme la France, l'Allemagne, le Benelux et même l'Italie et l'Espagne, où des prêtres polonais ou africains sont appelés à la rescousse. Le diaconat (dignité proche de la prêtrise) restauré par le concile et ouvert à des hommes mariés reste interdit aux femmes. Liée au caractère entier et sacré du sacerdoce, l'obligation du célibat du prêtre demeure l'une des raisons de la raréfaction des vocations qui pénalise des communautés entières dans les zones de banlieues ou de campagnes.

Obéissance à l'autorité ou autonomie de la conscience ? Centralisation ou diversification des disciplines, des discours, des formes rituelles ? Des questions ne cessent d'être soulevées devant la distance prise par les fidèles dans l'orientation de leur vie morale ou sexuelle, devant le mode romain de gouvernement d'une Eglise dont la majorité n'est plus blanche, ni européenne, devant l'obstacle que représentent les pouvoirs de la papauté pour les autres Eglises largement décentralisées, au risque d'être démangées, comme les Eglises orthodoxes, par le nationalisme.
Dans une enquête publiée en juin 2000 par l'hebdomadaire La Vie, neuf catholiques pratiquants sur dix en France exprimaient le souhait d'un nouveau concile, portant sur le célibat des prêtres, la place des laïcs et des femmes ou le dialogue interreligieux. Mais Vatican III, s'il advient, devra avoir plus d'ambition. L'enjeu ne serait rien alors d'autre que l'avenir d'une Eglise défiée parla progression des sectes en Amérique latine, contestée, voire désertée, dans ses fiefs européens et nord-américains, marginale dans l'océan des sagesses et religions asiatiques, enfin menacée en Orient où elle est née par l'instabilité politique et l'intégrisme musulman.