La France supplétive Cette météorite de haine tombée sur Manhattan a bel et bien changé la face du monde. En surface, l'onde de choc ébranle le vieil échiquier, découvre d'improbables alliances. Mais chez nous, en Occident, elle irradie en profondeur une inquiétude diffuse. Crainte de récession, de chômage ? Bien sûr, mais pas seulement: on s'interroge sur les « valeurs » endormies du vieil Occident. Et, ma foi, pour aborder une guerre énigmatique longue et périlleuse, ce réveil de la conscience publique ne sera pas de trop! Nous sommes, nous, Français, dans le séisme, à distance de l'épicentre. Solidaires, pour l'essentiel, de l'Amérique, certes ! mais loin des élans churchilliens de la communauté anglo-américaine. Dans l'épreuve, l'Angleterre - sur son sol, d'une complaisance détestable à l'islamisme - retrouve, au grand large, sa vraie famille. Blair caracole de Washington à Karachi en vice-président d'une alliance atlantique impromptue. Nous y figurons, pour l'heure, en sup- plétifs. Faut-il s'en réjouir ? Pas sûr ! Au lendemain de l'attentat, il y avait aux Etats-Unis quatre-vingts officiers britanniques conviés par le Pentagone. Pas un Français ! Pourquoi fûmes-nous ainsi tenus à distance ? Pour notre modestie militaire ? Oui, en partie, mais pas seulement : malgré la diète budgétaire, malgré son porte-avions handicapé et son manque de missiles de croisière, la capacité française n'est pas notoirement inférieure à l'anglaise. Les vraies raisons sont ailleurs : l'Amérique nous tient pour un allié incommode, voire peu sûr. Sur l'estomac américain pèsent, depuis longtemps, de multiples reproches : notre refus de survol en 1986, lors du raid punitif sur la Libye terroriste; nos piques multiples contre l'embargo imposé à l'Irak; notre prétention d'affranchir d'avance l'Europe (infantile) de la Défense de plusieurs liens atlantiques. Dans le conflit israélo-palestinien, nos critiques d'une Amérique tantôt accusée d'en faire trop pour Israël, tantôt pas assez pour lui tenir la bride courte. Dans la guerre du Kosovo, nos arguties pour la définition des frappes... « Plus jamais ça! » dit le Pentagone. De surcroît, on souligne, à Washington, que la cohabitation empêche la France de trancher, vite et fort. On grimace devant le rechigneux Jospin, de plus en plus jugé «petit bras ». On n'oublie pas, enfin, que notre président et son Premier ministre entrent en campagne électorale : ils y louvoient pour ménager un électorat perplexe, une communauté musulmane en partie mal intégrée, une gauche verte et rouge droguée à l'antiaméricanisme et au pacifisme genre années 30. Tous ces ressentiments font oublier que, dans le traitement du terrorisme islamiste, la France avait manifesté un savoir-faire qui aura manqué à l'Amérique. Nous avons pu, en 1994, enlever Carlos en plein Khartoum, là même où la CIA manqua de très peu le rapt de Ben Laden avant qu'il ne s'établisse en Afghanistan. De même le GIGN, la même année 1994, dans son assaut à Marseille contre l'Airbus piraté d'Alger, aura pu éviter que Paris, avant les tours de New York, ne subisse un semblable sinistre. Enfin, la pénétration policière de l'islamisme terroriste paraît, dans une France déjà échaudée, mieux conduite qu'ailleurs. Faut-il, dans l'avenir, nous satisfaire de notre statut d'allié supplétif 7 Oui, disent les tièdes ou les finasseurs. Je les crois de courte vue. Pourquoi ? Parce que la traque d'un homme, Ben Laden, dans les pierrailles d'Afghanistan n'est qu'un début. Parce que la guerre s'étendra contre un vaste réseau souterrain dans toute l'aire arabo-musulmane, comme dans ses multiples infiltrations en Occident. Parce que l'amalgame que nous nous interdisons, à raison, entre l'islam et sa perversion se faufile bel et bien - mais contre nous! - dans l'équivoque où flottent maintes opinions musulmanes. Parce que seule la laïcité des Etats - contre quoi l'Islam archaïque résiste - peut prévenir le clash redouté des religions. Parce que l'antisémitisme islamiste a trouvé en Israël un bouc émissaire idéal. Parce que notre prudence cafarde ne nous gagnera, chez les enragés, aucune indulgence : qui donc nous a remerciés d'avoir, en Bosnie et au Kosovo, protégé les musulmans des exactions serbes ? Il est naturel et sain qu'en temps ordinaires nos intérêts n'épousent pas servilement ceux de l'Amérique. Mais le choc du terrorisme islamiste exige de se serrer les coudes. L'Amerique avec sa vitalité tiendra bon. Il ne faut pas que la France et une Europe encore en gésine, peu à peu, « décrochent »: ni l'une ni l'autre n'en sortiraient indemnes. Voyons plutôt que les terroristes font ce qu'ils annoncent : ils embarquent tous les « infidèles » dans un même bateau-cible. À bord, le temps est, pour nous, venu de l'énergie et de la conviction. Dans la conduite des nations, a dit un jour Macmillan, le plus difficile, ce sont ... les «événements ». Le 11 septembre 2001 en était un. Et de taille!