La guerre inédite Il n'aura donc pas fallu un an pour que le XXIe siècle connaisse sa première grande guerre. Guerre d'un genre nouveau, puisqu'elle n'est pas dirigée contre un pays mais contre une idéologie et une pratique, le terrorisme, qui n'avaient jamais connu jusqu'au 11 septembre une telle ampleur. Guerre inédite encore dans la mesure ou elle regroupe, autour des Etats-Unis, des pays qui jusqu'à maintenant, ou par idéologie, ou par jeu d'autres alliances, ou par situation géographique, n'étaient assurément pas du côté américain. En ce sens, le fait que les résolutions votées à l'ONU l'aient été à l'unanimité, après que Washington a accepté des amendements, témoigne déjà d'une innovation. Tout cela confirme que lesEtats-Unis, s'ils sont bien une hyperpuissance, ont aussi besoin des autres nations pour assurer leur défense de manière digne et consensuelle. En quelque sorte, en moins d'un mois, les Etats-Unis ont découvert le monde et se sont mêlés à lui. En moins d'un mois aussi, un homme, George W. Bush, lui que certains disaient mal-élu, falot voire borné, s'est affirmé comme un président fort et habile: il a tenu le calendrier qu'il avait promis à ses concitoyens - sans le leur dire ouvertement ; il a su apparaître, passées quelques expressions malheureuses, omme ayant une vision large et ouverte ; il n'a jamais insulté l'islam et s'est refusé à mettre la pression sur ses alliés. Son discours d'hier soir, confirmant les frappes, était de la même veine : le ton restait calme mais ferme ; le souci de rappeler combien la coalition était large et fondée sur une approche morale (« nous sommes soutenus par la volonté collective du monde ») était prégnant ; la détermination demeurait évidente, y compris dans l'avertissement voilé selon lequel, dans un tel conflit, il ne peut y avoir d'attitude neutre. Et si les quelques images des premières frappes rappelaient celles de la guerre du Golfe, l'approche en semble heureusement différente. Bien évidemment ce conflit-là sera long: les nouvelles menaces du groupe de Ben Laden, même si elles ont été enregistrées avant le début de l'offensive américaine, témoignent également de la ténacité terroriste. Leur « combat » ne s'est pas achevé le 11 septembre, il s'inscrit dans un mouvement vécu par ces ennemis de la démocratie comme une lutte de longue haleine. Sans doute alors ne faut-il pas croire qu'on en aura fini en quelques jours, ou même en quelques semaines. On a hélas appris que des frappes, même ciblées, ne venaient pas rapidement à bout de l'ennemi. L'illusion la plus dangereuse serait de croire qu'on puisse éradiquer le terrorisme simplement parce qu'on l'aurait décidé. Le péril reste menaçant, ne serait-ce que parce qu'il est nourri à la fois par le souvenir d'un passe brillant, la flèvre religieuse et le désespoir de peuples obsédés par la puissance occidentale. Le moment n'est pas encore venu de tirer les leçons de ce constat puisque l'urgence est à l'action. Mais on n'échappera pas à la nécessité de la réflexion.