[10,0] LIVRE DIXIÈME. [10,1] CHAPITRE 1er. QUE LES GRECS DOIVENT AUX BARBARES LES PLUS ESTIMABLES DE LEURS SCIENCES ET DE L'ANTIQUITÉ DES HEBREUX. Ayant fait précéder l'exposition des causes pour lesquelles nous avons préféré la philosophie des Hébreux à celle des Grecs, et les motifs par lesquels nous avons admis leurs livres sacrés; après avoir montré que les Grecs eux-mêmes n'ont pas méconnu l'existence de ce peuple, qu'ils ont positivement nommé, dont ils ont admiré les institutions sociales et domestiques; qu'ils ont fait un grand état de sa royale métropole et de toute son histoire ; nous ajouterons que non seulement ils ont rappelé la mémoire de leurs saintes écritures, mais qu'ils se les sont proposés comme modèles dans l'enseignement d'une doctrine semblable à la leur, par la divulgation des dogmes propres à élever l'âme à un haut degré de perfection. Et de même que chacun de ceux qui se sont fait un nom dans la Grèce, ont rapporté des divers pays barbares qu'ils ont parcourus, comme je le ferai bientôt voir, l'un la géométrie, l'autre l'arithmétique, celui-ci la musique, celui-là l'astronomie, un autre la médecine, puis les premiers éléments de la grammaire, enfin les inventions innombrables des arts et les institutions qui embellissent notre existence; comme déjà les livres précédents ont prouvé que l'opinion concernant la pluralité des dieux, que les mystères, puis les histoires et récits fabuleux à l'égard de ces mêmes dieux, ainsi que les explications allégoriques des fables, et tout l'ensemble des erreurs superstitieuses, avaient été importés de chez les Barbares. Lorsque les plus anciens Grecs voyageant dans une grande partie de l'univers, non comme des êtres infortunés, mais animés de l'amour de la science, avaient tenu de l'hospitalité des nations barbares ces traditions dont ils ont composé, à l'usage de leurs compatriotes, une théologie dont nous avons dévoilé le secret : de même tout ce qui a rapport au culte d'un Dieu unique et universel, les dogmes qui traitent des plus grands intérêts de l'âme ( ce qui embrasse les questions essentielles de la philosophie ), n'ont pu être puisés ailleurs que chez les Hébreux, comme nous en donnerons bientôt la démonstration. Que si l'on niait cette vérité, en soutenant qu'on pouvait s'élever à la composition d'un corps de doctrine pareille par la seule méditation et par l'étude de la nature, nous admettrons cette possibilité, non pour ces vérités venues d'en haut, et révélées aux seuls Hébreux par des théologiens, doués du don de prophétie ; mais pour celles dues sinon à tous, du moins à quelques génies illustrés dans la Grèce, et aux discussions philosophiques des écoles entre lesquelles il existe une sorte de rivalité. Et encore que le nombre de ceux qui ont fait de semblables découvertes soit très restreint, d'après le proverbe qui dit, que les belles choses sont difficiles ; comme néanmoins ceux qui tiennent le premier rang parmi les philosophes, pour augmenter leur propre célébrité, ont encore cherché à éclipser les rivaux qui pouvaient partager leur gloire, on ne doit point s'étonner s'ils mettent tout en œuvre pour ravir aux Hébreux les dogmes qu'ils leur doivent, lorsque non seulement ils s'accordent pour dépouiller les Égyptiens, les Chaldéens et les autres nations barbares, des découvertes qui leur appartiennent; mais que même on les surprend se pillant l'un l'autre par rivalité d'auteurs, se glorifiant comme d'un travail personnel, des larcins qu'ils se sont faits, soit en expressions, soit en pensées, ou pour des portions entières d'ouvrages. Et ne croyez pas que cette accusation vienne de moi seul : veuillez écouter de nouveau les hommes les plus savants, qui donnent la preuve de ces plagiats réciproques. Puisque nous avons abordé cette question, il est nécessaire d'y jeter un coup d'œil rapide, qui fera voir quelle est la manière d'agir de nos adversaires. Notre Clément, dans le sixième livre des Stromates, a traité largement cette preuve. Prenez-le donc d'abord, et lisez ses propres paroles. [10,2] CHAPITRE II. DE CLÉMENT SUR LE PLAGIAT DES ÉCRIVAINS GRECS. « Ayant porté jusqu'à l'évidence, la preuve que le génie les Grecs s'est éclairé des lumières de la vérité, qui brille dans les écritures qui nous ont été données; ce qui irait jusqu'au point de pouvoir dire d'eux, si le terme n'était pas injurieux, qu'ils sont convaincus du vol de la vérité; continuons cette démonstration, en citant les Grecs eux-mêmes, en témoignage des larcins qu'ils se sont faits. Car, ceux qui ouvertement se pillent entre eux, justifient l'opinion qu'ils sont des voleurs; et qu'ayant reçu de nous la vérité, ils ont dû se l'approprier, pour la répandre furtivement parmi leurs compatriotes. Si, en effet, ils n'ont pas respecté les leurs, à combien plus forte raison n'auront-ils pu s'abstenir de porter la main sur notre bien. Je garderai le silence sur ce qui est des dogmes de philosophie, puisque ceux qui se sont érigés en chefs de sectes confessent, dans leurs écrits, qu'ils se rendraient coupables d'ingratitude, s'ils ne rapportaient pas à Socrate l'honneur des dogmes principaux qu'ils avouent tenir de lui. Me contentant donc d'un petit nombre de témoignages, empruntés à des auteurs souvent cités, et jouissant parmi les Grecs d'une estime générale, je ferai ressortir l'espèce de leurs larcins, en puisant indifféremment dans les différentes époques de leur histoire, puis je retournerai à l'accomplissement du plan que je me suis tracé.» S'étant exprimé en ces termes, comme dans une sorte de préambule, Clément ajoute immédiatement les preuves de ce qu'il avance, preuves tirées d'une foule d'exemples, d'abord de ceux des poètes qui ont dérobé à d'autres poètes les vers qu'il cite, en en justifiant par le rapprochement des passages comparés. Après quoi il ajoute ce qui suit. « En sorte, que nous ne trouvons à l'abri de cette imputation, ni la philosophie, ni l'histoire, ni l'art oratoire, ce dont un petit nombre d'exemples suffiront pour convaincre.» Il fait suivre cette assertion de morceaux tirés d'Orphée, d'Héraclite, de Platon, de Pythagore, d'Hérodote, de Théopompe, de Thucydide, de Démosthène, d'Eschine, de Lysias, d'Isocrate et de mille autres, dont il n'est pas besoin que j'enregistre ici les paroles, puisque l'ouvrage de ce grand homme subsiste, et qu'on peut facilement y trouver les garanties des faits qu'il allègue. Puis il ajoute : « Ces différentes espèces de plagiat de pensées, étant telles que je viens de les rapporter, chacun de ceux qui veulent en acquérir une démonstration évidente peuvent en faire la recherche; je n'en dirai pas plus à cet égard. Maintenant, je vais donner la preuve que ce ne sont pas seulement des pensées ou des expressions qu'ils se sont appropriés, comme on l'a montré, mais que leurs larcins vont ouvertement à s'attribuer des récits entiers, comme j'en donnerai la conviction; ils ont donc transporté dans leurs propres écrits, des relations entières qu'ils avaient dérobées à d'autres écrivains. Ainsi Eugamon de Cyrène a pris dans Musée tout le livre qui traite des Thesprotes.» Après avoir donné encore un grand nombre de preuves de cette vérité, il ajoute en terminant : « Ma vie ne suffirait pas, si j'essayais de parcourir un à un les plagiats volontaires des Grecs, pour prouver qu'ils s'approprient la découverte des dogmes les plus excellents de leur philosophie, qu'ils nous ont dérobés. Cependant ils ne se sont pas contentés, comme cela est prouvé, de dérober des dogmes aux barbares; mais, de plus, imitant les actes de la puissance divine opérés parmi nous d'une manière merveilleuse, en faveur des hommes qui ont vécu saintement, et pour notre conversion, ils les ont remaniés et transformés en merveilles de la mythologie hellénique. Et si nous leur demandions si ce qu'ils racontent est vrai ou faux? Faux, il ne l'avoueraient pas; car comment peut-on, de gaîté de coeur, se donner le cachet de la sottise la plus grande, en s'avouant coupable de mensonges dans ses écrits? Ils affirmeraient donc forcément que leurs récits sont véridiques. Or, comment ne pas se refuser à croire, comme leur étant arrivées, des choses que Dieu a opérées miraculeusement, en faveur de Moïse et des autres prophètes ? « Le Dieu tout-puissant embrassant dans sa Providence toute la race humaine, appelle au salut les uns par les commandements, les autres par les menaces, ceux-ci par des signes et des prodiges, ceux-là par de doux avertissements. Or, les Grecs ayant éprouvé une sécheresse prolongée qui avait désolé toute la contrée, et tari dans leur germe la reproduction des fruits, ceux des habitants qui échappèrent, dit-on, aux dangers directs de l'intempérie, pressés par la disette, vinrent en suppliants au temple de Delphes et interrogèrent la Pythie sur ce qu'ils devaient faire, pour se soustraire aux maux auxquels ils étaient en proie. La prêtresse leur répondit que le seul moyen d'éloigner d'eux le fléau serait qu'ils eussent recours aux prières d'Éaque. Éaque donc s'étant laissé persuader par eux, il monta sur le sommet du mont Hellénique, élevant des mains pures vers le ciel, invoquant Dieu, le père commun des hommes, pour qu'il eût pitié de la Grèce infortunée. Il eut à peine achevé sa prière qu'un tonnerre d'heureux augure fit entendre des roulements modérés, toute l'atmosphère se remplit de nuages, des pluies abondantes et continues tombant avec fracas pénétrèrent dans le sol : de là une profusion de fruits de toute espèce vint apporter là richesse et la prospérité; et une récolte réparatrice fut due aux prières d'Éaque. « Samuel, dit la Sainte Écriture, invoqua le Seigneur, et le Seigneur fit entendre sa voix, et la pluie vint au jour nécessaire pour la récolte. Vous voyez que c'est Dieu qui fait pleuvoir sur les bons et sur les méchants par le moyen des puissances soumises à ses ordres ; » et ce qui suit. Clément a rattaché à ce récit des nombreuses et irréfragables preuves qu'il a découvertes et qui établissent que les Grecs étaient des plagiaires; mais si son témoignage vous paraît suspect, en ce que, pareillement à nous, il a préféré la philosophie des Barbares à celle des Grecs, laissons-le; encore bien que ce ne soit pas par ses paroles, mais par celles des Grecs eux-mêmes, qu'il a prouvé la vérité de son opinion. Mais que diriez-vous si vous appreniez de vos fameux philosophes les mêmes choses qu'il a dites? accueillez donc leurs témoignages. [10,3] CHAPITRE III. DE PORPHYRE, SUR CE QUE LES GRECS ÉTAIENT PLAGIAIRES, TIRE DU PREMIER LIVRE DE L'ENSEIGNEMENT PHILOLOGIQUE. « Lorsque Longin, célébrant par un banquet, à Athènes, l'anniversaire de Platon, nous avait invités en grand nombre, là se trouvaient Nicagoras, le sophiste ; Major ; Apollonius, le grammairien: Démétrius, le géomètre; Prosenés, le péripatéticien et le stoïcien, Calietès, près desquels j'étais couché en septième. Le repas étant déjà avancé, et la conversation étant tombée, entre autres choses, sur l'historien Éphore : Ecoutons, dit il, quel est ce bruit à l'occasion d'Éphore (Caystre et Maxime entamaient une dispute). Celui-ci préférait Éphore à Théopompe ; Caystre au contraire le traitait de plagiaire : Qu'est-ce qu'Éphore a réellement en propre ? n'a-t-il pas transporté dans son histoire jusqu'à trois mille lignes entières de Daïmaque, de Callisthène et d'Anaximène? A quoi le grammairien Apollonius repartit : Eh ! ne savez-vous pas que ce Théopompe, à qui vous donnez la préférence, est atteint du même mal? n'a-t-il pas copié jusqu'aux expressions de l'Aréopagitique d'Isocrate, dans le onzième livre des Philippiques? {uerba graeca; Isocr., Areop., § 2} Et ce qui suit (qu'aucun des biens ou des maux n'arrive jamais seul aux hommes). Et cependant, il se place au-dessus d'Isocrate et a soin de nous dire que ce dernier a été vaincu par lui dans le concours des panégyriques de Mausole, lui, son disciple. Il fait encore disparaître la trace de ses larcins, en transportant aux uns ce qui est arrivé aux autres, en sorte qu'il se rend coupable de mensonge par cette manière. En effet, Andron, ayant relaté dans son trépied, sous le nom de Pythagore, les prédictions qui furent faites par ce philosophe, et ayant dit qu'ayant eu soif à Métaponte, il fit tirer de l'eau d'un certain puits, et qu'en ayant bu, il annonça que dans trois jours il y aurait un tremblement de terre. Il ajouta, après avoir donné plusieurs autres explications : Eh bien, tout ce qu'Andron a attribué à Pythagore, Théopompe le lui a dérobé; car s'il l'avait raconté de Pythagore, aussitôt tout le monde s'en serait aperçu et se serait écrié : J'aurais bien pu en dire autant ; au lieu qu'il a rendu le plagiat méconnaissable en changeant le nom. Il a fait usage des mêmes faits, et substitué un autre nom : c'est Phérécyde de Syros qu'il fait intervenir comme ayant prédit ces choses; il ne masque pas son larcin à l'aide du nom seulement, mais aussi en déplaçant les lieux. Andron avait dit que la prédiction du tremblement de terre avait eu lieu à Métaponte ; Théopompe en place la scène à Scyros. Ce n'est pas de Mégare en Sicile, mais de Samos qu'il dit qu'on a vu ce qui est relatif au vaisseau, et il a changé la prise de Sybaris en celle de Messine ; mais pour paraître dire quelque chose de nouveau, il a ajouté le nom de l'étranger qu'il dit s'appeler Périlaüs. « Pour ma part, dit Nicagoras, en parcourant les Helléniques de cet historien et ceux de Xénophon, j'ai acquis la preuve qu'il avait interpolé un grand nombre de passages de ce dernier; et ce qu'il y a de fâcheux, c'est qu'il les a changés en plus mal. J'en donnerai pour exemple la conférence entre Pharnabaze et Agésilas (livre IV, chap. 1er, § 29 des Helléniques de Xénophon), et les conversations qu'ils eurent, la foi qu'ils se donnèrent ; ce qui est écrit avec autant de grâce que de dignité dans le quatrième livre de Xénophon. Ayant transporté ces mêmes récits dans le onzième livre de ses Philippiques, Théopompe les a vendus sans mouvement, sans intérêt et d'une manière tout-à-fait aride, précisément à cause de son plagiat : voulant donner de la force et du fini à son style, il a alangui sa narration, et lui a donné l'apparente hésitation d'un temporisateur, corrompant tout ce qu'il y a d'animé et d'énergique dans le récit de Xénophon, Lorsque Nicagoras eut terminé : Comment serions-nous étonnés, dit Apollonius, que Théopompe et Éphore aient éprouvé les atteintes de la maladie du plagiat, ; quand nous voyons que Ménandre lui-même a été infecté de ce vice, et qu'Aristophane le grammairien, malgré l'excessive tendresse qu'il lui porte, n'a pas pu s'empêcher de lui en faire doucement le reproche, en opposant ses larcins aux passages semblables qu'il s'est appropriés. Mais Latinus a dévoilé tous les vols qu'il a commis, dans les six livres qui portent pour titre : Des choses qui n'appartiennent pas à Ménandre. De même que Philostrate d'Alexandrie, a composé tout un livre sur les plagiats de Sophocle, Cœcilius, comme s'il avait fait une grande découverte, dit que Ménandre a transporté dans son g-Laisidaimohn ( le superstitieux), toute la comédie d'Antiphane g-oiohnisteh (l'augure). Puisqu'il vous a plu, je ne sais pourquoi, dit A..., de parler des plagiaires, je vous dénoncerai à mon tour le bel Hypéride qui a dérobé une foule de choses à Démosthène, dans le discours contre Diondas, et dans celui contre Euboulos pour cause de corruption ; car il est évident que l'un des deux a pris l'autre, attendu qu'ils sont contemporains. Et ce serait votre affaire, ô Apollonius, de démêler, d'après le calcul des temps, celui qui a dépouillé l'autre. Quant à moi, je suppose qu'Hypéride est le coupable. En tout cas, dans l'incertitude, j'admire Démosthène, parce qu'en prenant à Hypéride, il a su rectifier et placer convenablement ce que l'autre avait dit, ou je reproche à Hypéride d'avoir gâté Démosthène en le dépouillant. » Puis après quelques observations, il ajoute : « Que vous dirai-je? que les institutions barbares (g-ta g-barbarica g-nomima) d'Hellanicus, sont toutes puisées dans Hérodote et dans Damaste, ou bien que la plus grande partie du second livre d'Hérodote est tirée mot pour mot de la Périegèse (description) d'Hécatée de Milet. Celui-là ayant seulement raccourci ce qui concerne le phénix, l'hippopotame et la chasse aux crocodiles. « Que dirai je encore? Que les considérations d'Isée sur les tortures, dans le discours pour la succession de Ciron, se retrouvent reproduites dans le discours d'Isocrate, intitulé Trapeziticus et dans celui de Démosthène en revendication g-exboulehs, contre Onetore, à peu près dans les mêmes termes; que Dinarque, dans son premier discours contre Cléomédon pour sévices, avait transporté beaucoup d'idées avec les mêmes expressions prises du discours de Démosthène contre Conon ; également pour Simonide, que cette maxime d'Hésiode : "L'homme ne peut rien prendre de meilleur qu'une bonne femme, rien de pire qu'une méchante" {uerba graeca}a été prise par Simonide qui l'a placée dans son onzième livre, ainsi qu'il suit : {uerba graeca} Euripide l'a introduite dans la Ménalippe captive : {uerba graeca} «Euripide a dit : Femmes, nous sommes la créature la plus malheureuse.» {uerba graeca}. Théodecte dans l'Alcméon, dit : {uerba graeca} « Ce dernier ne s'est pas contenté d'y puiser l'idée, mais il l'a revêtue des mêmes paroles que, par une insigne malice, il a voulu faire passer pour un proverbe, et a mieux aimé faire croire qu'il l'avait recueillie de la bouche de tout le monde, que d'avouer qu'il l'avait prise dans son auteur. Antimaque pillant Homère, le réforme en le gâtant : Homère avait dit : {uerba graeca} Antimaque : {uerba graeca} Lycophron approuve ce changement qui, selon lui, donne plus de gravité au vers (le Spondaïque). Je ne parlerai pas du: {uerba graeca}. « L'abus qu'Homère a fait du {uerba graeca} ayant fourni l'occasion à Cratinus de traduire ce poète sur la scène. Eh bien, malgré sa fréquente répétition, Antimaque ne craint pas de s'en emparer. Homère a dit : {uerba graeca}. « Il a encore dit ailleurs : {uerba graeca}. « Antitmaque, déplaçant ces hémistiches, en a fait : {uerba graeca}. Cependant, de peur qu'en faisant le procès des plagiaires, on ne m'accuse de plagiat, je vais faire connaître ceux qui ont dévoilé dans leurs écrits les larcins de ce genre. Il existe des livre de Lysimaque sur les plagiats d'Éphore. Alcée, l'auteur des Iambes satyriques et des épigrammes, a parodié les larcins d'Éphore en les faisant connaître. Il existe une lettre de Polion à Soterindas, sur les larcins de Ctésias, et un livre du même, sur ceux imputés à Hérodote. Dans l'ouvrage intitulé : Les Investigateurs, on en cite beaucoup de Théopompe. Dans la composition d'Arétadas sur la Synemptose (la Coïncidence), on peut apprendre beaucoup de traits de ce genre. » Après d'autres remarques, Prosénès dit : « Vous avez bien dévoilé les plagiaires; mais le divin Platon lui-même, dont nous célébrons aujourd'hui la fête éponyme, a beaucoup fait usage de ceux qui l'ont devancé. Je n'ose me servir du terme de larcin en parlant de lui; mais ne comprenez-vous pas? Que dites-vous, s'écria Callietès, je ne me borne pas à le dire, je veux encore le prouver : les livres de ceux qui ont écrit avant Platon sont rares, sans quoi peut-être découvrirait-on un plus grand nombre de plagiats du philosophe. Je suis cependant, par un hasard de fortune, tombé sur quelques-uns : je lisais le traité de Protagore sur l'être, contre ceux qui veulent que l'être soit un, et j'ai trouvé qu'il usait des mêmes objections que Platon, dont je me suis étudié à me rappeler les propres expressions. Et en disant cela, il cita de nombreux exercices de ces imitations. » Cependant, je crois que ce qui vient d'être dit suffit, entre dix mille preuves qu'on pourrait ajouter, pour faire connaître la manière d'agir des écrivains Grecs, qui ne se sont pas même ménagé les accusations mutuelles entre eux. Maintenant, pour préparer la voie à la démonstration de l'utilité, que ces mêmes Grecs ont retirée de l'instruction des Hébreux, il me paraît nécessaire de passer en revue toute cette science tant vantée, et cette philosophie grecque, et de montrer que les premiers rudiments de ces sciences et les mystères de la logique, leur ont été importés des barbares; en sorte que l'on n'aura plus à récriminer, quand on saura pourquoi nous avons préféré les doctrines religieuses et philosophiques des barbares à celles dont les Grecs tirent vanité. [10,4] CHAPITRE IV. QUE CE N'EST PAS SANS MOTIF QUE NOUS AVONS PRÉFÉRÉ LA THÉOLOGIE DES HÉBREUX A LA PHILOSOPHIE DES GRECS. On jugera facilement que ce n'est pas sans mûre réflexion, ni sans examen approfondi, déterminés à placer en second ordre la philosophie des Grecs, lui préférant la théologie des Hébreux, lorsqu'on apprendra que ceux d'entre les Grecs qui ont le mieux saisi les doctrines philosophiques, et se sont plus complètement éloignés des traditions populaires concernant les dieux, n'ont trouvé de dogmes véritables, qu'autant qu'ils étaient conformes à ceux que les Hébreux avaient professés avant eux. En effet, parmi les philosophes, les uns se laissant emporter çà et là, au courant des opinions erronées et diverses, se sont précipités dans l'abîme d'une loquacité sans borne; les autres, s'appuyant sur un discernement assez judicieux, dans tous les points où ils se sont rencontrés avec la vérité, ont participé à l'enseignement des Hébreux. Il est donc rationnel d'en conclure que ces hommes studieux à l'excès, et curieux investigateurs des us et coutumes, aussi bien que des sciences des nations étrangères, n'ont pas été sans connaître la philosophie hébraïque ; en considérant surtout qu'ils sont d'un siècle bien plus récent, non seulement que tous ces peuples, soit Hébreux, soit Phéniciens, soit Égyptiens; mais même plus nouveaux que les anciens Hellènes auxquels Cadmus, fils d'Agénor, enseigna les mystères, les initiations, les consécrations de statues, les hymnes, les odes et les épodes du culte phénicien, et que le thrace Orphée ou tel autre, soit Grec, soit barbare, fondateur de l'erreur parmi les Grecs, qui fit de même, pour ce qu'il importa de l'Egypte. Or, il n'est personne en Grèce, qui ne confesse ne pas connaître de plus anciens instituteurs de leurs ancêtres qu'Orphée, qui les précède tous, puis Linus, puis Musée, qu'on dit avoir fleuri vers les temps de Troie, ou peu d'années auparavant. La civilisation dont la Grèce leur est redevable, n'est donc pas autre que celle qu'ils tenaient de la théologie erronée des Phéniciens et des Égyptiens. C'étaient les mêmes erreurs ou d'autres analogues, qui alors régnaient sans partage chez toutes les autres nations, dans les campagnes et dans les villes, dans les temples et dans les mystères. C'est ainsi que prévalut chez tous les peuples cette opinion que nous venons de signaler, de la multiplicité des dieux; que des temples magnifiques, ornés de décorations de toute espèce, et d'innombrables consécrations, ont été construits de toutes parts; que des statues de toutes les matières, sculptées à l'effigie de toutes les sortes d'animaux mortels, ont été fabriquées avec beaucoup d'art, et qu'enfin on a vu surgir de tous côtés et à l'envi cette profusion d'oracles. C'est alors surtout qu'apparut dans tout son éclat le vénérable Dieu (g-ho g-semnos) des Grecs, le Pythien, le Clarien et le Dodonéen. Puis vient Amphiaraüs, Amphiloque, et après ceux-ci, une foule innombrable de prophètes errants, qui surpassait celle des poètes et des Rhapsodes. C'est après des temps infiniment postérieurs à ces créations, que la philosophie s'étant fait jour parmi les Grecs, et n'ayant rien trouvé dans toutes les traditions des siècles antécédents qui lui fût profitable, a renversé comme superflus et tout à fait inutiles ces oracles divins, admirés et célébrés par tous les peuples. Voilà la cause pour laquelle elle classa dans un ordre secondaire toutes ces choses, comme ne pouvant servir en rien à la découverte des vérités utiles. C'est alors que, comme une mendiante dénuée de toute instruction et de toute science indigène, elle se mit à parcourir les contrées étrangères et barbares, pour y recueillir les choses utiles, qu'à force de recherches, elle pourrait y découvrir çà et là, chez des peuples différents. Et elle n'en rapporta pas seulement ce qui manquait aux Grecs, en science de véritable théologie, mais ce qui, dans les autres sciences ou les autres arts, pouvait améliorer leur existence. Les Grecs, en effet, avouent unanimement que ce n'est qu'après Orphée, Linus et Musée, qu'ils considèrent comme les plus anciens et les premiers de leurs théologiens, c'est-à-dire comme les auteurs de l'erreur du Polythéisme parmi eux, que les hommes admirés à cause de leur philosophie, qu'on a surnommés Sages, se firent connaître. Ils ont fleuri sous Cyrus, roi des Perses, el cette époque est celle où les derniers des prophètes se produisirent parmi les Hébreux; elle est postérieure de plus de 600 ans à la guerre de Troie; et n'est pas de beaucoup moins de 1500 ans plus récente que Moïse. Je ne tarderai pas à vous en donner la preuve, en mettant sous vos yeux les calculs des temps. Eh bien, quelque nouveaux qu'ils soient dans l'ordre des temps, ces sept Sages qu'on cite comme les auteurs d'une réforme morale, ne sont cependant connus que par les sentences qui les ont rendus célèbres. Ce n'est que plus tard, et à des époques bien postérieures, que les philosophes proprement dits ont brillé sur le sol de la Grèce. C'est Pythagore, le disciple de Phérécyde, qui le premier, ayant imaginé le nom de philosophie, en introduisit l'usage. Les uns, disent qu'il était de Samos; les autres qu'il était Tyrrhénien; il en est qui le font Syrien, d'autres lui donnent Tyr pour patrie. Vous êtes donc forcé de convenir que le premier de vos philosophes, celui dont le nom est sans cesse à la bouche de tous les Grecs, était barbare et non pas Grec. Et Phérécyde lui-même, qu'on reconnaît comme le maître de Pythagore, on lui assigne la Syrie pour patrie. Ce n'est pas tout, et il ne fut pas le seul dont Pythagore ait fréquenté l'école. On dit encore qu'il s'est mis en relation avec les mages de Perse, qu'il a reçu des leçons des prophètes Égyptiens dans un temps où la migration, tant en Égypte qu'à Babylone, était fréquente. Ce Pythagore, tout en allant à la recherche des sages doctrines répandues chez chaque peuple, parcourut la Babylonie, l'Égypte et la Perse, et devint disciple des mages et des prêtres. On dit même qu'il prit des leçons des Brachmanes, qui sont les philosophes des Indiens. Des uns, il apprit l'astrologie, des autres la géométrie; ceux-ci lui enseignèrent l'arithmétique, ceux-là la musique; et ayant rassemblé de la sorte les connaissances diverses de différents maîtres, les Grecs furent les seuls dont il ne trouva rien à apprendre, tant était grande la pénurie de sagesse et l'ignorance profonde dans laquelle ils étaient plongés. Au contraire, ce Pythagore tel que nous l'avons dépeint, à l'aide des acquisitions qu'il avait faites au dehors, devint pour les Grecs la cause de leur instruction. La première secte de philosophie émanée de lui, fut celle qui prit la dénomination d'Italique, qu'elle dut à sa résidence en Italie; après celle-ci, celle qui prit le nom d'Ionique, reconnaît pour son chef Thalès, l'un des sept sages; ensuite vint l'Éléatique, dont le père est Xénophane de Colophon. Or quelques historiens veulent que Thalès ait été Phénicien, d'autres le supposent de Milet; on déclare également qu'il eut des entretiens avec les prophètes Égyptiens : Solon, l'un des sept sages, qui passe pour le législateur d'Athènes, fut aussi s'instruire auprès des Égyptiens, à ce que dit Platon, précisément à l'époque où les Hébreux étaient revenus habiter l'Égypte. Il le fait intervenir dans son Timée, comme recevant des leçons d'un barbare, lorsque cet Égyptien lui dit : « O Solon, Solon, vous autres Grecs êtes toujours enfants, il n'est pas un seul vieillard parmi les Grecs; et l'on ne voit pas chez vous de science blanchie par l'âge. » Or, ce Platon qui avait fréquenté les écoles Pythagoriciennes en Italie, ne se borna pas à ce seul mode d'enseignement; on dit encore qu'il fit voile vers l'Egypte, et qu'il s'appliqua pendant un temps fort long à l'étude de la philosophie Égyptienne. Il rend souvent lui-même, dans ses propres écrits, ce témoignage aux barbares, et avec raison, à mon avis, en avouant de bonne foi que les plus beaux préceptes introduits dans la philosophie émanent des barbares. Entre de nombreuses citations que je pourrais en faire, je me contenterai d'indiquer le passage dans l'Epinomis où rappelant la mémoire en commun des Syriens et des Phéniciens, il dit : « Le premier auteur, et celui qui le premier, entrevit ces vérités, fut un barbare. C'est une contrée bien ancienne en effet, qui a nourri ceux qui, les premiers, conçurent de telles choses, à cause de la délicieuse température dont jouissent constamment l'Egypte et la Syrie ; d'où, après avoir été mûrie pendant d'innombrables siècles, elles se sont disséminées en tout lieu, et parvinrent jusqu'ici.» Il ajoute : « Admettons même, que tout ce que les Grecs reçoivent des barbares, ils l'embellissent jusqu'à la perfection.» Voici en quels termes s'énonce Platon. « Mais déjà avant lui, dit-on, Démocrite avait fait connaître les discours moraux des Babyloniens, lorsque parlant de lui-même avec orgueil, il dit : « Je suis, de tous mes contemporains, celui qui ai parcouru le plus de pays, scrutant les points les plus éloignés, ayant vu le plus de températures et de contrées diverses, ayant écouté les discours des hommes plus savants que qui que ce soit; et personne au monde ne m'a surpassé en connaissances géométriques, ni dans l'art de la démontrer, ni les Arpedonaptes, ainsi nommés par les Égyptiens; attendu que j'ai consacré quatre-vingts ans de mon existence à visiter les nations étrangères. » En effet, il avait parcouru la Babylonie, la Perse et l'Égypte, où il s'est rendu disciple des prêtres. Que serait-ce, si j'ajoutais à cette liste Héraclite et tous les autres Grecs qui ont donné la preuve que la civilisation de leur pays, pendant un temps infini réduite à la mendicité, était dépourvue de toute instruction. La Grèce tirait alors vanité de ses statues consacrées aux dieux, et de leurs érections, de ses oracles, de ses prédictions et de tout cet étalage de divinités menteuses; mais elle était dénuée de toute véritable sagesse et des connaissances utiles à la société humaine: en effet, ses inutiles oracles ne lui étaient d'aucun secours pour la découverte des véritables doctrines. Ce n'est ni le merveilleux dieu Pythien qui les secondait le moins du monde dans l'étude de la philosophie, ni aucun autre dieu qui leur venait en aide pour une découverte nécessaire, quelle qu'elle fût. Errants ça et là, passant leur vie entière en voyages, ils se paraient des plumes étrangères, comme dans l'Apologue, en sorte que toute leur philosophie n'est qu'un recueil formé d'apports divers; et que s'étant appropriés les différentes sciences qu'ils tiennent de différents peuples, ils doivent aux Égyptiens la géométrie, l'astrologie aux Chaldéens, d'autres à d'autres ; mais ils n'ont trouvé chez aucun autre peuple le bien que quelques-uns des leurs ont dérobé aux Hébreux : il consiste dans la connaissance du dieu universel, et la réprobation de leurs dieux domestiques; comme en suivant notre discours, nous le démontrerons sous peu. Quant à présent, il entre dans notre plan, de faire voir que, non seulement les anciens habitants de la Grèce étaient privés de la connaissance de la vraie théologie, aussi bien que des enseignements essentiellement utiles de la philosophie; mais qu'en outre ils manquaient d'institutions sociales et politiques; car je pense que la preuve de cette vérité entre comme moyen dans le but que je me suis proposé: puisqu'on effet nous avons entrepris la justification de l'option raisonnable que nous avons faite de la théologie des Hébreux, qu'ils qualifient de barbare, à l'exclusion de la philosophie Grecque. Si donc il était évident qu'ils ont tout pris des barbares, qu'ils n'ont trouvé dans leurs dieux aucun secours pour la philosophie, mais qu'au contraire ils peuvent justement leur reprocher tout ce que leur reprochent ceux qui, parmi eux, ont préféré l'athéisme au culte de leurs divinités ; comment peut-on encore élever une accusation contre nous, et comment ne doit-on pas plutôt nous approuver et nous louer, de ce qu'embrassant la meilleure part, on plutôt découvrant et adoptant la seule doctrine véritable, nous nous sommes éloignés de l'erreur, sans cependant, à l'instar des sages Grecs, nous tourner vers l'athéisme, ou bien, comme les philosophes fameux, sans essayer d'associer l'erreur du polythéisme à la notion pure du dieu universel; le mensonge ne pouvant s'unir à la vérité ? Mais ce n'est pas encore ici le lieu de traiter cette question : déduisons d'abord les arguments qui prouvent que les Grecs ont dérobé aux barbares, non seulement toutes les disciplines philosophiques, mais aussi toutes les inventions utiles à la vie commune et sociale. [10,5] CHAPITRE V. QUE LES GRECS ONT TIRÉ EN TOUTES CHOSES DE GRANDS SECOURS DES BARBARES. Le premier qui ait introduit en Grèce les lettres communes, c'est-à-dire les premiers éléments de la grammaire, est certainement Cadmus, Phénicien d'origine ; ce qui a autorisé quelques anciens à nommer les lettres g-phoenikehia. Il est des auteurs qui en rapportent la découverte aux Syriens ; or, les Hébreux sont Syriens, voisins de la Phénicie, et habitant un pays nommé anciennement Phénicie, puis Judée, et aujourd'hui Palestine. Les noms qu'on donne aux lettres grecques ne sont pas très différents de ceux des leurs; mais, chez eux, le nom de chaque lettre a une valeur significative, qu'il n'a pas pour les Grecs. Vingt-deux éléments composent tout l'alphabet chez les Hébreux ; le premier en est Alph, qui, traduit dans la langue grecque, voudrait dire "instruction", le deuxième Beth, s'interprète par le mot "maison", le troisième Gimel est "le complément", le quatrième Delth est le signe de "tablettes", le cinquième E, veut dire "même". Ces caractères rapprochés l'un de l'autre, donnent cette phrase : "L'instruction de la maison est le complément même des tablettes" ; après ceux-ci vient le sixième élément qu'ils prononcent Vau (g-en g-auteh), ce qui veut dire "en elle"; ensuite Zaï signifie "vit". Après vient Eth, qui est "le vivant": en sorte que le tout ensemble a la signification suivante : "En elle vit le vivant". A la suite, le neuvième élément le Teth, veut dire "Beau" ; après quoi Joth, se traduit par "commencement", et les deux ensemble : "Le beau commencement". Après ceux-ci vient Chaph, qui est : "cependant"; ensuite Labd, qui est "apprenez", et le tout : "cependant apprenez"; en suivant, vient le treizième élément Mem, qui veut dire "d'eux" ou "d'elles"; puis Noun qui est "éternel" : après Samch, qu'on traduit par "secours", de manière que lue ensemble, cette série de lettres veut dire : "Le secours éternel vient d'elles". Après quoi vient Aïn, dont la signification, en le traduisant, est : "source" ou "œil"; à la suite Phé, "bouche", et toujours en continuant Sadé, qui est "justice", le sens total : "La source ou œil et la bouche de la justice"; à la suite de cet élément vient Coph, qu'on rend par "appel". Après Rhès, qui est "tête", et après ceux-ci Sen : "les dents". Puis le vingt-deuxième élément est Thau, qui veut dire "signes" ; en sorte qu'on trouve pour sens : "l'appel de la tête et les signes des dents". Voici donc la métaphrase ou interprétation de ces éléments qui ont le sens complet, correspondant à la valeur d'idée du nom de chacun d'eux, ce qu'on ne pourrait pas trouver chez les Grecs. D'où l'on est forcé d'avouer que ces éléments ne sont pas nés en Grèce, mais y ont été évidemment transportés d'une langue barbare. On peut encore s'en convaincre par la dénomination de chacun des éléments. En quoi Alpha diffère-t-il d'Alph, Beta de Beth, Gamma de Ghimel, Delta de Delth, l'Héta de l'E, le Zeta du Zaï, le Teth du Thêta, et tous les autres pareillement? en sorte qu'il est incontestable que toutes ces voix ne sont pas originaires de la Grèce; mais bien venues des Hébreux chez lesquels on a montré que chacune d'elles possède un sens spécial. Ces éléments donc ayant eu un principe d'existence chez ce peuple, ils se sont propagés chez les autres, et sont parvenus défintivement chez les Grecs. J'en ai assez dit de mon chef sur les premiers éléments. Clément a'aussi traité la même question, entendons-le parler. [10,6] CHAPITRE VI. SUR LE MÊME SUJET TIRÉ DE CLÉMENT. « Les historiens nous enseignent qu'Apis découvrit la médecine, et qu'ensuite Esculape accrut cet art : Atlas l'Africain est le premier qui construisit un navire et qui le lança à la mer : les Égyptiens apportèrent les premiers dans la race humaine l'astrologie : les Chaldéens en firent autant. Il en est qui disent que les Cariens sont les inventeurs de la divination par les astres; mais ce sont les Phrygiens qui, les premiers, observèrent le vol des oiseaux. Les Thusques, peuple voisin de l'Italie, perfectionnèrent l'aruspice ; les Isauriens et les Arabes ont cultivé la science des augures, de même que les Telmisses, celle de la divination par les songes; les Tyrrhéniens ont inventé la salpinx (trompette), et les Phrygiens la flûte : Olympe et Marsyas étaient Phrygiens. Les Égyptiens, les premiers, ont montré le secret de faire brûler les lampes; ils ont divisé l'année en douze mois, ont prohibé la cohabitation avec les femmes dans les temples: ils ont également fait une loi, pour qu'après la cohabitation, on ne pût pas entrer dans les temples sans s'être purifié par les ablutions ; ils ont été les inventeurs de la géométrie. Celmis et Damnameneus Dactyles des Idéens, sont les premiers qui, en Crête, découvrirent le fer ; Delas, autre Idéen, inventa l'alliage du bronze. Suivant Hésiode, il était Scythe. Les Thraces, les premiers, imaginèrent l'harpe, qui est un glaive recourbé ; ils se servirent aussi les premiers à cheval, du bouclier que les Illyriens ont pareillement trouvé. On dit que les Toscans ont invente la plastique, et queTritanus, premier (celui-ci était Samnite), fabriqua un grand bouclier rond. Cadmus, le Phénicien, inventa la taille des pierres et ouvrit des mines d'or dans les flancs du mont Pangée. Les Cappadociens sont encore une nation étrangère ; ce sont eux cependant qui ont trouvé l'instrument appelé Nabla; de la même sorte que le Dichorde a été imaginé par les Assyriens. Les Carthaginois sont les premiers constructeurs de quadrirèmes, et l'Autochthon Bosporos en fut le charpentier. Médée, fille d'AEta, de la Colchide, mit la première en usage l'art de se teindre les cheveux; cependant les Noropes (c'est une nation de la Péonie qui se nomment aujourd'hui Noriques ), ont les premiers fait usage de l'airain, et purifié le fer. Amycus, roi des Bebryces, inventa les lanières pour le pugilat; quant à la musique, ce fut Olympus le Mydien qui donna les règles de l'harmonie Lydienne : les peuples qu'on nomme Troglodytes trouvèrent la Sambuce ; c'est un instrument de musique. On dit que la flûte oblique ou Syringe fut une création de Satyre le Phrygien ; le Trichorde et l'harmonie diatonique sont dus à Hyagnis, qui était également Phrygien; les mesures musicales qui se marquent en frappant, sont également attribuées au Phrygien Olympus. Enfin Marsyas, qui est du môme pays que ceux que nous venons de nommer, inventa le mélange des mélodies Lydienne et Phrygienne. Le chant dorien a été trouvé par Thamyris le Thrace. Nous savons par tradition que les Perses ont les premiers construit un char, un lit, un tabouret ; et que les Sidoniens ont fabriqué le premier vaisseau à trois rangs de rameurs. Les Sicules, qui habitent près de l'Italie, sont les premiers inventeurs de la Phorminx, qui ne diffère pas beaucoup de la Cithare; ils ont aussi imaginé les Crotales (ou clochettes ). Les historiens placent sous Sémiramis, reine des Assyriens, l'invention des vêlements de coton. Atossa qui régna en Perse fut, dit Hellanicus, celle qui organisa la première le service des lettres épistolaires. Scamon de Mitylène, Théophraste d'Erèse, Cydippe de Mantinée, Antiphane, Aristodème et Aristote, en outre de ceux-ci, Philostephanus et Straton le Péripatéticien ont rapporté tous, des faits semblables dans leurs ouvrages sur les découvertes. J'en ai extrait une très faible partie, en confirmation du génie inventif des nations barbares et des services qu'elles ont rendus à l'Immunité, dont les Grecs ont profité dans leurs institutions sociales. » Telles sont les propres paroles de Clément dans ses Stromates, auxquelles je crois à-propos d'annexer ce qui se trouve dans le Juif Josèphe, qui a entrepris de constater la haute antiquité du peuple Hébreu, dans un ouvrage en deux livres. Il y prouve que les Grecs sont un peuple récent, qu'il a tiré de grands secours des Barbares, et que ses écrivains ne sont pas d'accord entre eux. Comme ses réflexions donneront une confirmation pleine et étudiée de ce qui précède, prêtez attention à-la citation textuelle que je vais en faire. [10,7] CHAPITRE VII. DE JOSÈPHE SUR LE MÊME SUJET. « Mon premier besoin est de marquer l'extrême étonnement que j'éprouve, en voyant qu'il y ait des gens qui croient qu'on ne doit donner attention qu'aux Grecs pour tout ce qui concerne les temps primitifs: que ce sont les seuls qu'on doive interroger sur la véritable origine des choses ; au lieu de cela, suivant eux, on doit bien se tenir sur la réserve envers nous et tous les autres peuples, tandis qu'en effet, c'est tout le contraire qui a lieu à ce qu'il m'apparaît. Si l'on ne veut pas se laisser entraîner au gré des fausses opinions, mais rechercher la justice dans les faits eux-mêmes, on découvrira que tout est nouveau chez les Grecs, d'hier ou du jour précédent, comme dit le proverbe : savoir les fondations de villes, les inventions d'arts, les rédactions de lois. « Mais, de toutes les inventions, celle qu'ils ont adoptée la dernière est sans contredit l'usage d'écrire l'histoire; tandis que, de leur aveu, on trouve la tradition la plus ancienne et la plus persévérante des événements mémorables, chez les Égyptiens, les Chaldéens, les Phéniciens (je veux bien ne pas comprendre notre nom dans cette énumération) : tous ces peuples, habitant les contrées les moins exposées aux révolutions atmosphériques, ont eu de plus la prévoyance de ne laisser échapper, sans en faire mention, aucun des événements advenus chez eux, qui en était digne ; ayant, en tout temps, confié aux hommes les plus instruits le soin d'en conserver le souvenir dans les actes publics. Contrairement à cela, le sol de la Grèce a subi des catastrophes nombreuses qui ont effacé la trace des faits historiques; en recommençant chaque fois une existence nouvelle, chacune de ses peuplades se persuadait que l'univers avait eu le même principe qu'elle. C'est bien tard, en effet, et après bien des efforts, qu'ils ont connu la nature des caractères d'écriture, dont, en voulant faire remonter le plus haut possible l'usage parmi eux, ils se vantent de l'avoir appris des Phéniciens et de Cadmus ; et cependant il n'est personne qui puisse montrer de rédaction historique conservée de ce temps, ni dans les temples ni dans les archives publiques : puisque, même à l'égard des guerriers qui, tant d'années après Cadmus, combattirent devant Troie, c'est une question douteuse et fort débattue, de savoir s'ils se sont servis des lettres. La vérité semble plutôt pencher vers l'opinion qui leur refuse d'avoir fait emploi d'une écriture semblable à la nôtre. En général, on ne trouve chez les Grecs rien de bien constant sur les poèmes d'Homère, lequel paraît bien postérieur aux temps de la prise de Troie; on va même jusqu'à dire qu'il n'a pas laissé par écrit les poèmes qui portent son nom, mais que s'étant conservés dans la mémoire, c'est plus tard qu'ils ont été réunis en corps d'ouvrage, et que c'est à cette cause que l'on doit attribuer les nombreuses variantes de leur texte. « Quant à ceux qui ont entrepris d'écrire l'histoire parmi eux, je veux parler de Cadmus de Milet, d'Acusilas d'Argos, et s'il en est d'autres qu'on puisse leur adjoindre, ils n'ont précédé que de peu de temps l'époque de l'invasion des Perses en Grèce. On convient unanimement que les premiers philosophes qui, en Grèce, se sont occupés de l'étude des choses et divines, sont Phérécyde de Syros, Pythagore et Thalès ; qu'ils ont été disciples des Égyptiens et des Chaldéens, qu'ils ont laissé peu d'écrits. Voici donc, de tous les ouvrages publiés par des Grecs, ceux qui paraissent plus anciens, et cependant, les Grecs ont peine à croire qu'ils aient pour véritables auteurs ceux dont ils portent les noms. Comment donc ne considérerait-on pas comme insensée cette jactance des Grecs à prétendre être les seuls qui connaissent les événements anciens et qui en aient sondé la vérité avec soin ; ou, qui en lisant ces historiens eux-mêmes, ne comprendrait pas facilement qu'ils ont écrit sans rien savoir avec certitude, mais suivant qu'ils se figuraient que les choses devaient être telles ; car il est impossible de s'accuser de mensonge plus qu'ils ne le font mutuellement dans leurs livres, où ils ne craignent pas de dire les choses les plus contradictoires? Ce serait abuser de la patience des lecteurs, qui le savent mieux que moi, si je venais leur apprendre combien Hellanicus est en désaccord avec Acusilas sur la question des généalogies ; combien de fois Acusilas redresse Hésiode; de quelle manière Éphore montre qu'Hellanicus en a imposé dans mille circonstances ; comment Timée accuse Éphore, et ceux qui sont venus après Timée l'accusent lui-même ; comment enfin tous se réunissent contre Hérodote. Mais quoi! dans ce qui ne concerne que la Sicile, Timée n'a pas cru devoir s'accorder avec Antiochus, Philiste ou Callias; de même que les historiens particuliers de l'Attique n'ont pas suivi les mêmes traditions pour le pays d'Athènes, ni ceux de l'Argolide pour Argos. Mais, à quoi bon parler d'historiens, de localités et d'événements les plus minimes, lorsque les plus illustres historiens de l'expédition des Perses sont divisés entre eux sur les faits qui s'y sont passés? Thucydide est accusé par certains auteurs, comme ayant dit beaucoup de faussetés, et cependant Thucydide passe pour avoir écrit avec la plus minutieuse exactitude, l'histoire de son temps. Les causes de si étonnants désaccords pourraient paraître nombreuses et diverses à quiconque voudrait se donner la peine d'en faire la recherche. Quant à moi, j'en imputerai la majeure part à deux raisons principales que je vais faire connaître : la première, et celle qui me paraît prépondérante, tient à ce qu'il n'existait pas chez les Grecs, dès l'origine, d'annales publiques, dans lesquelles ou avait eu soin d'inscrire journellement tous les événements mémorables; ce qui fournissait une vaste carrière aux falsifications, par la liberté illimitée de mentir, chez ceux qui dans les temps postérieurs voulurent écrire l'histoire des anciens temps. Cette négligence ne s'est pas bornée aux autres peuples de la Grèce ; on la retrouve même chez les Athéniens, qui ont la prétention d'être Autochtones, c'est-à-dire nés du sol, et qui ont toujours mis un grand prix à l'instruction. Ils avouent, en effet, que leurs plus anciens recueils d'écritures publiques sont les lois en matière de meurtres, écrites pour eux par Dracon, qui fleurit peu avant la tyrannie de Pisistrate. Que dirai-je des Arcadiens, qui se prévalent d'une haute antiquité ? C'est à peine si longtemps après cette époque ils avaient acquis la connaissance de l'écriture. Ainsi donc, dans l'absence de tout recueil de documents antérieurs, qui auraient pu instruire ceux qui auraient eu la volonté d'apprendre la vérité et de réfuter les menteurs de propos délibéré, il devait naître entre les historiens une divergence immense. Il faut déduire la seconde cause qui s'est jointe à celle-ci; c'est que les auteurs qui entreprirent d'écrire l'histoire n'avaient pas un amour sincère de la vérité; quoiqu'ils en fissent toujours un étalage de parade. Ils voulaient se distinguer par la force de leur éloquence: et quels que fussent les moyens par lesquels ils supposaient qu'ils l'emporteraient sur leurs rivaux, ils s'en emparaient avidement. Ainsi, les uns se sont tournés vers les fables de la mythologie, les autres ont cherché à captiver la bienveillance des républiques ou des rois, en les louant outre mesure; d'autres se sont livrés à la censure des faits ou des historiens, pensant s'illustrer ainsi. Mais, en somme, ils n'ont cessé d'écrire de la manière la plus opposée à une véritable histoire. Car le signe incontestable d'une histoire sincère, est lorsque tous parlent ou écrivent de même sur les mêmes choses. Tandis que ceux-ci ont cru se montrer plus véridiques que tous les autres, lorsqu'ils n'écrivaient rien qui fût en harmonie avec leurs rivaux. » C'est ainsi que s'énonce Josèphe. Et pour mettre le sceau à tout ce qui vient d'être dit, j'invoquerai le témoignage de Diodore, en tirant les propres paroles de cet auteur, du 1er livre du recueil qu'il a publié sous le titre de Bibliothèque. [10,8] CHAPITRE VIII. DE DIODORE SUR LE MÊME SUJET. « Toutes ces choses ayant été bien exposées, on doit dire combien de Grecs distingués par l'esprit et les connaissances, dans les anciens temps, se transportèrent en Égypte pour s'instruire des usages de ce pays, et s'initier aux doctrines qu'on y enseignait. Les prêtres égyptiens racontent en effet, d'après ce qui a été inscrit dans leurs livres sacrés, qu'Orphée, Musée, Mélampe et Dédale, se rendirent près d'eux. Après ceux-ci vinrent Homère le poète, et Lycurgue le Spartiate; à la suite, Solon l'Athénien et Platon le philosophe. On y vit aussi accourir Pythagore de Samos et le mathématicien Eudoxe, Démocrite l'Abdéritain, et OEnopide de Chio. Ils montrent des signes de leurs voyages à tous; pour les uns des statues ; pour les autres, les lieux ou les établissements auxquels ils ont donné leurs noms. Ils apportent des preuves du genre d'étude pour lequel chacun d'eux a montré de l'émulation; car ils soutiennent qu'ils ont remporté d'Égypte toutes les connaissances qui leur ont mérité l'admiration des Grecs. Ainsi Orphée a reçu des Égyptiens la plupart des initiations mystiques, et les orgies qu'il a instituées dans ses voyages, aussi bien que sa mythologie sur les enfers. Le mystère d'Osiris a été converti par lui en celui de Bacchus, et celui qu'ils consacrent à Isis ne diffère en rien de celui de Cérés; il n'y a que les noms de changés. Les châtiments des impies dans l'enfer, et les prairies des hommes pieux, les images funèbres que l'on voit moulées chez les gens du commun, n'ont été introduites par lui, qu'en imitation de ce qui se pratique dans les funérailles de l'Égypte. « C'est d'après un usage très ancien chez les Égyptiens que l'Hermès Psychopompe (Mercure conducteur d'âmes), ayant amené le corps d'Apis jusqu'à un lieu déterminé, le remet entre les mains d'un personnage qui s'est couvert du masque de Cerbère. C'est ce qu'Orphée a montré chez les Grecs, et ce qu'Homère, sur les traces de ce dernier, a transporté dans son poème, lorsqu'il dit : Mercure cyllenius évoquait les âmes des héros, tenant une verge à la main.» Après avoir continué celte exposition, Diodore reprend : « Ils disent que Mélampe a rapporte de l'Égypte les mystères qu'on célèbre chez les Grecs, en l'honneur de Bacchus, et les fables qui concernent Saturne : tout ce qui se rapporte au combat des Titans, et l'histoire entière des souffrances qu'ont essuyées les dieux ; ils disent que Dédale a imité les égarements du labyrinthe qui subsiste encore aujourd'hui, lequel fut construit, à ce que les uns rapportent, par Mendès, suivant les autres, par le roi Marus, bien des années avant que Minos régnât en Crète. La pose des statues anciennes un Égypte, est la même que celles des statues sorties des mains de Dédale, qui sont répandues dans la Grèce. Ce fut Dédale qui donna les plans architectoniques du magnifique Propylée de Vulcain à Memphis, si justement admiré. Il existe dans le même temple une statue en bois exécutée par ses mains : enfin, à cause de son génie, ayant été jugé digne des plus grands honneurs, car on lui doit de nombreuses découvertes, il a obtenu des hommages qui l'assimilent aux dieux ; et dans une des îles avoisinant Memphis, on voit encore maintenant un temple de Dédale, en grande vénération parmi les habitants. « Quant à la venue d'Homère, ils en donnent d'autres marques évidentes, et surtout le médicament qu'Hélène donna à Télémaque venu chez Ménélas, qui avait la propriété de faire oublier les maux passés; car ce poète dit positivement que le Nepenthès venait des Égyptiens; et ce qu'il ajoute, qu'Hélène le tenait de Polydamna, femme de Thonus, prouve l'exactitude de ses recherches, car aujourd'hui même encore, on dit que ce sont les femmes qui, dans ce pays, administrent ce remède héroïque, et que depuis les temps anciens, les seules femmes de Diospolis ont trouvé le remède à la colère et à la douleur. Or, Diospolis est la même ville que Thèbes. Vénus est nommée Vénus dorée parmi les habitants, d'après une vieille tradition; il existe une plaine près de la ville, appelée Momemphis. Et toutes les fables concernant Jupiter et Junon, et ce qui tient à leur cohabitation, à leur voyage en Éthiopie, Homère n'a pu le savoir que de là. Chaque année en effet le temple (portatif) de Jupiter chez les Égyptiens, est transporté au delà du fleuve, dans la Lybie proprement dite, et après un certain nombre de jours déterminés, on le rapporte; comme si le dieu revenait de l'Ethiopie; puis, la cohabitation de ces deux divinités est figurée en ce que, dans certaines solennités, leurs deux temples sont transportés sur une montagne toute couverte de fleurs, par les soins des prêtres. Ils disent que Lycurgue, Platon et Solon ont ordonné, dans leur législation, la pratique de beaucoup d'usages existant en Égypte ; que Pythagore a appris des Égyptiens tout ce qui concerne le discours sacré, les théorèmes de géométrie, la science des nombres et la métempsychose, commune à tous les animaux; ils supposent que Démocrite a passé cinq ans parmi eux, et qu'il y a puisé beaucoup d'enseignements astrologiques ; qu'également Œnopide ayant eu des fréquentations nombreuses avec les prêtres et les astrologues, en a remporté d'autres instructions, et surtout le cercle héliaque, par lequel le soleil aurait une marche oblique et inverse de celle des autres astres ; que pareillement Eudoxe, ayant fait de l'astrologie chez eux, et y ayant appris beaucoup de choses utiles, il en dota la Grèce, et mérité la gloire dont il jouit; que de tous les anciens sculpteurs, ceux qui ont eu le plus de renom, avaient étudié chez eux, savoir : Teleclès et Théodore fils de Rhoecus, qui ont exécuté pour les Samiens la statue d'Apollon Pythien.» Telles sont les expressions de Diodore; et je bornerai là une controverse aussi développée et démontrée. Il n'y aura donc plus désormais de raison de nous accuser d'ineptie, pour avoir eu recours aux barbares, si toutefois les Hébreux sont des barbares, dans le désir de connaître le véritable culte, dû à la divinité; puisque ce sont des barbares qui ont été les instituteurs des sages de la Grèce et de ceux qui, parmi eux, ont porté le surnom de Philosophes. Il est temps de fixer l'époque où fleurirent Moïse ainsi que les prophètes qui lui ont succédé. Ce point de doctrine est un des plus essentiels pour l'ouvrage que nous avons entrepris; car devant nous appuyer sur les oracles sortis de la bouche de ces hommes, il importe de fixer leur priorité d'ancienneté; afin que si l'on reconnaissait, parmi les Grecs, des doctrines pareilles à celle des prophètes et des théologiens hébreux, on ne fût pas dans l'incertitude pour savoir quels sont ceux qui, suivant les apparences, ont recueilli ces dogmes des autres; si ce sont les plus anciens qui ont pris aux plus nouveaux, si ce sont les Hébreux qui ont usurpé le bien des Grecs, si ce sont les barbares qui ont été plagiaires des philosophes dont il n'est pas vraisemblable qu'ils aient entendu la voix ; ou, ce qui est beaucoup plus rationnel, si ce ne sont pas les nouveaux venus qui ont profité de ce qu'on dit les plus anciens, et si les Grecs, qui ont parcouru en investigateurs la plupart des autres nations, ont pu ne pas connaître les écrits des Hébreux qui, depuis une haute antiquité, étaient traduits en langue grecque. [10,9] CHAPITRE IX. DE L'ANCIENNETÉ DE MOÏSE ET DES PROPHÈTES CHEZ LES HEBREUX. L'antiquité de Moïse et des prophètes, venus après lui, a déjà occupé un grand nombre d'autres écrivains qui, dans des écrits spéciaux sur ce sujet, ont basé la démonstration de cette vérité sur des preuves recueillies avec soin : je me propose d'en citer bientôt de courts extraits; mais, comme la chronologie que j'ai adoptée diffère tout à fait de la leur, je vais d'abord faire usage de la méthode qui m'est propre. De l'aveu de tout le monde, le temps où vécut Auguste, empereur des Romains, concourant avec celui de la naissance de notre Sauveur; et le Christ ayant commencé à prêcher son évangile la quinzième année du règne de Tibère César, si l'on veut, en remontant de ce point, faire l'addition de toutes les années qui se sont écoulées depuis Darius, roi de Perse, et la reconstruction du temple de Jérusalem qui eut lieu après le retour, par la nation juive, de la Babylonie, on trouvera, depuis Tibère jusqu'à la 2e année de Darius, 548 ans. Or, la 2e année de Darius donne pour synchronisme la 1ere de la 65e Olympiade, et la 15e du règne de Tibère se confond avec la 4e année de la 203e Olympiade: il s'est donc écoulé entre Darius, roi de Perse, et Tibère, roi des Romains, 137 Olympiades qui, additionnées,donnent un total de 548 années, à raison de 4 années par Olympiade. Mais comme la 2e année de Darius complète la 70e de la désolation du temple de Jérusalem, ainsi que cela est constaté par les livres historiques des Hébreux, en reprenant notre calcul ascensionnel de cette 2e année de Darius à la 1ere Olympiade, nous aurons un total de 256 ans, ou 64 Olympiades. Vous trouverez, en effet, un pareil nombre d'années depuis la dernière de la désolation citée du temple, en remontant jusqu'à la 50e année d'Osias, roi des Juifs, pendant laquelle Isaïe et Osée prophétisèrent, aussi bien que les autres prophètes, leurs contemporains, en sorte qu'il y a synchronisme du prophète Isaïe et des autres prophètes, ses contemporains, avec la première Olympiade. Reprenant ensuite de la première Olympiade pour vous élever aux temps antérieurs, vous trouverez, jusqu'à la prise de Troie, une somme d'années de 408, comme le représentent les calculs des temps temps par les Grecs. Du côté des Hébreux, depuis la 50e année d'Osias, en remontant, nous arriverons à la 3e année d'Abdon le juge, pour compléter le nombre égal de 408 ans ; en sorte que la prise de Troie se rapportant à l'époque d'Abdon le juge, elle a précédé de 7 années celles où Samson commanda aux Juifs. Ce Samson, dont la force de corps était invincible, peut être mis en parallèle avec le fameux Hercule grec. Puis, de là, en suivant toujours la même marche ascensionnelle, si l'on ajoute un chiffre de 400 ans, on arrivera, chez les Hébreux à Moïse, chez les Grecs à Cécrops, né de la terre (g-ho g-gehgenehs). Or, tout ce qu'on rapporte de merveilleux dans l'histoire grecque est postérieur aux temps de Cécrops ; c'est après Cécrops, et sous Deucalion, que vint le cataclysme, puis la combustion produite par Phaéton, la naissance d'Erichthion, l'enlèvement de Proserpine, les mystères de Gérés, la fondation du temple d'Eleusis, l'agronomie de Triptolème, l'enlèvement d'Europe par Jupiter, la naissance d'Apollon, l'arrivée de Cadmus à Thèbes; puis, bien longtemps après tous ces événements, Bacchus, Minos. Persée, Esculape, les Dioscures et Hercule. Moïse est donc plus ancien que tous ceux-ci, puisqu'il est constant qu'il a fleuri en même temps que Cécrops. Cependant, en remontant de Moïse à la 1ere année de la vie d'Abraham, vous trouverez 505 ans : or, en additionnant un pareil nombre d'années, à remonter depuis le règne de Cécrops, vous parviendrez à Ninus, l'Assyrien, qui le premier, dit-on, domina sur toute l'Asie, à l'exception des Indes : la ville de Ninus, son éponyme, est nommée Ninive par les Hébreux. C'est de son temps que le mage Zoroastre régnait en Bactriane : Ninus eut pour femme et successeur dans son empire Sémiramis : Abraham a donc été leur contemporain. Ce calcul de temps, extrait des canons chroniques que j'ai composés, y a reçu une démonstration complète. Quant à présent et après tout ce qui a été dit, j'invoquerai en confirmation de l'antiquité de Moïse, un témoin irrécusable ; ce sera l'ennemi le plus acharné et le plus violent, tant des Hébreux que de nous : je veux parler de ce philosophe qui a vécu de nos jours, qui ayant, dans l'excès de sa haine, lancé dans le monde sa diatribe contre nous non seulement nous y accable d'invectives, mais y traite de la même manière les Hébreux, Moïse même et les prophètes qui l'ont suivi. Je crois, par cet aveu de nos ennemis, placer au-dessus de toute controverse la vérité que je proclame ; or Porphyre, dans le quatrième livre de sa diatribe contre nous, écrit en propres termes ce qui suit : « Sanchoniathon de Beryte raconte, avec la plus exacte vérité, tout ce qui a rapport aux Juifs, étant d'accord avec eux tant pour les lieux que pour les noms. Il avait eu en communication des mémoires écrits par Hiérombal, prêtre du Dieu Jeno, qui ayant dédié son histoire à Abibal, roi de Beryte, a reçu, tant de sa part que de celle des critiques par lesquels ce prince l'avait fait examiner, le témoignage d'une entière véracité. Les temps où ces hommes vécurent précèdent ceux de Troie, et se rapprochent à peu près de ceux de Moïse comme le démontrent les tableaux de succession des rois de Phénicie. Sanchoniathon, dont le nom, dans l'idiome Phénicien, signifie ami de la vérité, et qui a recueilli et composé toute l'histoire ancienne sur les documents tirés des archives des villes, et sur les annales conservées clans les temples, naquit sous Sémiramis, reine des Assyriens. » Voici ce que dit Porphyre : cependant il est à propos de tirer les conséquences de ces données. Si Sanchoniathon naquit sous Sémiramis, et si celle-ci, comme on en est d'accord, est d'une date bien antérieure à celle de Troie, Sanchoniathon sera aussi plus ancien que ces mêmes temps; mais on dit que celui-ci reçut des mémoires rédigés par des écrivains plus anciens que lui, et ces mêmes hommes plus anciens que lui, sont dits être à peine d'un temps qui les rapproche de Moïse ; on ne dit pas qu'ils fussent ses contemporains, mais que c'était à peine s'ils approchaient de lui, par le temps où ils ont vécu ; en sorte que Moïse aurait été plus âgé que Sanchoniathon, de toute la différence qui existait entre ce dernier et les hommes qui, plus anciens que lui, ne faisaient encore qu'approcher de Moïse, ainsi qu'on le déclare. Mais de combien d'années était-il calculable qu'ils l'eussent précédé? Voilà ce qui est impossible à dire. C'est pourquoi je crois devoir abandonner toute cette recherche, et supposant que Moïse est venu an monde en même temps que Sanchoniathon et non pas plus tôt, voici comme je procéderai dans ma manière de raisonner : si Sanchoniathon s'est rendu célèbre sous Sémiramis, reine d'Assyrie, en accordant que Moïse ne lui est pas antérieur, mais a fleuri vers cette époque, il aura donc été lui aussi le contemporain de Sémiramis; mais ce que nous avons dit précédemment sur cette princesse, a prouvé qu'Abraham avait existé sous elle, tandis que le philosophe déclare que Moïse était plus ancien. Cependant Sémiramis existait 800 bonnes années avant la guerre de Troie : donc Moïse est d'autant d'années antérieur à la guerre de Troie, suivant le philosophe. Inachus est le premier roi d'Argos : de son temps, les Athéniens n'avaient encore ni existence sociale, ni même de nom, ce premier roi d'Argos était contemporain du cinquième roi d'Assyrie, après Sémiramis, 150 années après elle et après Moïse; années pendant lesquelles l'histoire ne rapporte rien de mémorable arrivé en Grèce, et où nous voyons les Hébreux gouvernés par des juges. Si de nouveau nous descendons encore d'un degré plus bas dans les époques l'histoire, nous trouverons le premier roi d'Athènes, Cécrops, plus de 400 ans bien accomplis après Sémiramis. Ce roi célèbre parmi ses sujets comme Autochthon, régnait lorsqu'Argos avait pour souverain Triopas, septième successeur d'Inachus. C'est entre eux qu'on place le déluge d'Ogygès, et que fleurirent Apis 1er, considéré comme un Dieu en Égypte, Io fille d'lnachus que les Égyptiens adorent sous le nom transformé d'isis, Prométhée et Atlas. Depuis Cécrops jusqu'à la prise de Troie, on compte, à peu de chose près, 400 autres années, pendant lesquelles se sont accomplies toutes les merveilles que nous raconte la mythologie grecque : le déluge de Deucalion, l'embrasement de Phaéton, qui furent vraisemblablement l'expression de désastres nombreux, éprouvés dans différentes localités. On dit que Cécrops fut le premier qui invoqua Jupiter comme Dieu. Jusqu'à cette époque, son nom n'avait pas été prononcé parmi les hommes. Il éleva aussi, le premier, un autel chez les Athéniens, et fut encore le premier à consacrer une statue à Minerve; ce qui prouve que ces divinités n'ont pas existé de toute ancienneté. Ce fut après lui qu'on commença à donner la généalogie de tous les Dieux. Pendant le même temps, les rois de la race de David régnaient sur les Hébreux; et les prophètes, successeurs de Moïse, étaient dans tout leur éclat; de manière qu'en additionnant toutes les années écoulées depuis Moïse jusqu'à la prise de Troie, on obtient un total de plus de 800 ans: toujours en se référant au calcul du philosophe. On rapportera un temps bien postérieur l'existence d'Homère, d'Hésiode, et de tous les autres. Ce sont des gens d'hier, auprès de ceux-ci, que Démocrite et Pythagore, apparurent vers la 50e olympiade, et tous ceux qui après eux prirent le nom de philosophes, environ 700 ans après les événements de Troie. On peut donc conclure, toujours d'après l'aveu de ce même personnage (Porphyre), que Moïse le premier, et les prophètes qui lui succédèrent chez les Hébreux, ont existé 1500 ans avant les philosophes de la Grèce; ce que nous nous sommes bornés à constater succinctement. Maintenant le moment est venu d'exposer les démonstrations du même fait, dues aux auteurs qui nous ont précédé dans la carrière. Il s'est trouvé en effet, dans nos rangs, des hommes de bon jugement, qui ne le cèdent en science à qui que ce soit, et qui s'étant sérieusement adonnés aux études théologiques, ont discuté, avec, beaucoup de pénétration, la question que nous traitons, l'ont faite reposer sur la haute antiquité des Hébreux, mettant en œuvre, pour le démontrer, toute la richesse du savoir et toute la perspicacité de la critique ; les uns procédant d'époques bien connues de l'histoire, en ont déduit leurs calculs chronologiques; les autres ont appuyé la certitude de leur assertion sur des écrits plus anciens qu'eux, empruntés, les uns aux Grecs, les autres aux archives de la Phénicie, de la Chaldée et de l'Égypte, qu'ils ont mises à contribution. Tous ceux qui ont rassemblé dans un même cadre les relations de la Grèce et des contrées barbares, aussi bien que ce qui s'est passé chez les Hébreux, en comparant entre elles les histoires de tous ces pays, et les rapprochant l'une de l'autre, ont classé, sous les mêmes époques, les événements divers qui sont advenus chez tous les peuples. Après quoi, chacun faisant usage des méthodes qui lui sont propres, dans l'exposition de ces mêmes faits, s'est efforcé de faire de cet ensemble une démonstration concordante et qu'on puisse avouer. Voilà le motif qui m'a décidé à céder la place aux propres paroles de ces auteurs, pour que, d'une part, ils ne soient pas privés du fruit de leurs peines, et que la confirmation de la vérité acquière, d'autre part, une sanction incontestable, en ne se fondant plus sur un seul appui, mais sur de nombreux témoins. [10,10] CHAPITRE X. TIRE DU TROISIÈME LIVRE DES CHRONOGRAPHIES D'AFRICANUS. « Jusqu'aux Olympiades, on ne trouve rien de bien certain dans l'histoire grecque ; tous les faits y sont confondus, et le désaccord le plus complet règne dans tout ce qui les a précédées. Les Olympiades, au contraire, ont été traitées avec exactitude par beaucoup d'historiens, parce que le court intervalle qui les divise, n'étant que de quatre années, a permis aux Grecs de rédiger des annales. Je ne veux donc, par cette raison, faire autre chose que parcourir rapidement, et cueillir parmi les fables et les merveilles qui remplissent l'histoire des temps anciens, qui descendent jusqu'à la première Olympiade; quant aux faits advenus depuis, je veux enchaîner, chacun dans sa période, les récits Grecs et ceux des Hébreux, autant qu'ils seront dignes de mémoire, cherchant à expliquer les uns par les autres. Voici de quelle manière je compte m'y prendre : Ayant mis la main sur un fait historique des Hébreux, contemporain d'un récit bien reconnu des Grecs, m'en emparant, retranchant, ajoutant, faisant connaître que tel Grec, tel Persan, ou tel homme célèbre quelconque, était contemporain de cet événement des Hébreux, peut-être atteindrai-je le but que je me propose. « Rien n'est plus avéré que la translation des Hébreux hors de leur patrie, lorsqu'ils furent conduits à Babylone, en captivité, par le roi Nabuchodonosor; elle dura 70 ans, suivant la prophétie de Jérémie (Bérose, le Babylonien, parle de Nabuchodonosor ). Après les 70 ans de la captivité, Cyrus devint roi de Perse, dans l'année où commença la 55e Olympiade, comme on peut le trouver relaté dans la bibliothèque de Diodore, dans les histoires de Thallus et de Castor, aussi dans celles de Polybe, de Phlégon, et de tous ceux qui ont rédigé leur histoire d'après les Olympiades : tous sont unanimes sur cette époque. Cyrus, dans la première année de son règne, qui était aussi la première dé la 55e Olympiade, renvoya la première portion du peuple Juif en Judée, sous la conduite de Zorobabel, lorsque Jésus, fils de Josédec, était grand-prêtre. Alors fut accompli le terme de 70 ans, comme cela est rapporté dans le livre d'Esdras, chez les Hébreux. Voici donc des faits coïncidents: le règne de Cyrus et la fin de la captivité; et nous trouverons le même synchronisme dans les Olympiades. Partant de ce point, nous nous proposons de traiter de la même manière les autres histoires, en les adaptant entre elles. Quant à celles qui ont précède cette période, si nous devons nous en rapporter aux calculs tels quels, de la chronographie attique, en réunissant toutes les années écoulées depuis Ogygès, qui passe chez les Athéniens pour Autochthon, sous lequel arriva le premier grand cataclysme, dans l'Attique, Phoronée étant alors roi d'Argos, à ce que dit Acusilas: nous trouvons jusqu'à la première Olympiade, sous laquelle les temps furent plus rigoureusement comptés, une période de 1.020 années; ce qui est en harmonie avec ce que nous venons de dire, comme nous en donnerons la preuve dans ce qui suivra. Hellanicus, en effet, et Philochore qui ont composé des histoires de l'Attique, Castor et Thallus qui ont écrit celle de Syrie, Diodore qui a embrassé l'histoire universelle dans sa bibliothèque, Alexandre Polyhistor et quelques-uns des nôtres, qui ont apporté un soin curieux à notre histoire, aussi bien que tous les Athéniens, ont dit la même chose. Si donc, dans cette période de 1.020 années, il s'est passé quelque fait d'histoire éclatant, nous le recueillerons suivant le besoin. » Après un court intervalle, il ajoute : « Nous disons à l'égard de cette première partie, qu'Ogygès, qui a donné son nom au premier déluge, ayant été sauvé parmi un grand nombre de victimes, vécut à l'époque où le peuple Hébreu conduit par Moïse faisait sa sortie de l'Égypte, et je le constate ainsi. Je montrerai que 1020 ans se sont écoulés depuis Ogygès jusqu'à la première Olympiade; or, depuis la première Olympiade jusqu'à la première année de la 55e, c'est-à-dire sous le roi Cyrus, qui est aussi la fin de la captivité, nous comptons 217 ans; donc, depuis Ogygès, nous trouvons 1237 ans. Si, par le comput, on remontait de la fin de la captivité à un nombre d'années égal de 1237 ans, on trouverait pour résultat une durée de temps jusqu'à la première année de la sortie d'Egypte du peuple d'Israël sous la conduite de Moïse, égale à celle qui s'est écoulée en remontant de la 55e Olympiade à Ogygès, qui fonda Éleusis. Ce qu'il y a donc de plus rationnel est d'admettre la chronographie athénienne. » Puis, après autres choses : « Voici les événements qui ont précédé Ogygès. C'est vers ce temps que Moïse sortit de l'Égypte ; et voici de quelle manière nous démontrons que cette opinion n'est pas déraisonnable. Depuis la sortie de Moïse jusqu'à Cyrus, qui régnait à la fin de la captivité, il a dû s'écouler 1237 ans; Moïse vécut encore 40 ans; Jésus, qui gouverna après lui, le fit pendant 25 ans ; les vieillards ou juges, qui succédèrent à Jésus, gouvernèrent pendant 30 ans ; les années réunies de tous les juges qui suivirent et sont compris dans la Bible, donnent un total de 490 ans. Les grands-prêtres Heli et Samuel, 90 ans. Toutes les années réunies des rois de Judas donnent 490 ans (à quoi ajoutons 70 ans de la captivité, dont le dernier correspond au premier du règne de Cyrus, comme nous l'avons dit en commençant; en descendant de Moïse à la première Olympiade, nous trouvons 1020 ans, puisque la première de la 55e nous donne 1237, et notre temps concourt avec celui des calculs grecs. Après Ogygès, le pays qui compose maintenant l'Attique demeura sans roi, à cause de la destruction produite par le déluge, jusqu'à Cécrops, pendant 189 ans; car Philochore nie qu'il ait existe un Actœus après Ogygès, non plus qu'aucun des noms de rois forgés qu'on lui donne pour successeurs. » Puis, de nouveau : « Depuis Ogygès donc jusqu'à Cyrus, nous trouvons le même nombre de 1237, comme depuis Moïse. Il est même des écrivains Grecs qui déclarent que Moïse vécut vers cette époque. Polémon, dans la première partie de ses histoires grecques, dit que sous Apis, fils de Phoronée, une partie de l'armée des Égyptiens sortit de l'Égypte, et se retira dans la Syrie, appelée Palestine, pour se fixer non loin de l'Arabie; il est évident que ce sont les compagnons de Moïse. Apion, fils de Plistonicès, le plus minutieux des grammairiens, dans son livre contre les Juifs et dans la quatrième partie de ses histoires, dit : que lorsque Inachos était roi d'Argos et qu'Amosis régnait sur les Égyptiens, les Juifs désertèrent sous la conduite de Moïse. Hérodote rappelle cette défection et nomme Amosis dans son second livre; et en quelque sorte il parle des Juifs eux-mêmes, lorsqu'il les compte au nombre de ceux qui employaient la circoncision, en les nommant Assyriens de la Palestine, peut-être à cause d'Abraham. Ptolémée de Mendès, remontant aux premiers temps de l'histoire des Égyptiens, est d'accord avec tous ceux-ci; en sorte qu'il est impossible qu'une différence un peu sensible dans les temps ait lieu entre eux. On doit remarquer que tout ce que les fables de la Grèce nous citent comme antiquité, ne prend place dans l'ordre des temps qu'après Moïse ; savoir : les déluges et les embrasements, Prométhée, Io, Europe, les Spartes de Cadmus, (hommes nés des dents du serpent) l'enlèvement de Coré (Proserpine) les mystères, les législations, les guerres de Bacchus, Persée, les travaux d'Hercule, les Argonautes, les Centaures, le Minotaure, la guerre d'Ilion, le retour des Héraclides, l'émigration des Ioniens, les Olympiades. Il m'a donc paru convenable d'adopter la chronologie ci-dessus relatée du royaume d'Athènes, dans mon dessein de comparer l'histoire de la Grèce à celle des Hébreux. Il sera facile à quiconque voudra prendre le même point de départ, de faire les mêmes calculs que moi : ainsi, des 1020 années écoulées depuis Moïse et Ogygès jusqu'à la première Olympiade, dans la première, se trouve placée la Pâque et la sortie des Hébreux d'Égypte; dans l'Attique, le déluge sous Ogygès. Et cela est fondé en raison; car les Égyptiens ayant reçu en châtiment, de la colère de Dieu, les grêles et les orages, il était naturel que certaines portions de terre fussent atteintes de celle calamité, et que les Athéniens y participassent plus que d'autres, étant supposés descendre de ces mêmes Égyptiens, comme l'enseignent d'autres historiens, et entre autres, Théopompe dans le Tricarenus. « Le temps qui suit immédiatement est passé sous silence, comme ne contenant aucun fait important en Grèce. Vient ensuite, après 94 ans, Prométhée, que quelques mythologues ont donné pour avoir façonné les hommes, parce que, à l'aide de sa sagesse, il les avait fait passer d'une excessive brutalité à l'instruction et à la civilisation. » Voici ce que dit Africanus. Passons à un autre. [10,11] CHAPITRE XI. DE TATIEN CONTRE LES GRECS SUR LE MÊME SUJET. « Maintenant je crois qu'il convient d'établir par preuves, que notre philosophie est plus ancienne que les institutions pareilles de la Grèce. Nous prendrons pour points de départ Moïse et Homère, parce que l'un et l'autre sont les plus anciens, Homère, des poètes et des historiens; Moïse, de toute la philosophie barbare dont il est le chef. Mettons-nous donc en devoir de les comparer : nous découvrirons en effet que l'instruction chez nous a précédé celle des Grecs ; qu'elle a devancé même l'invention des lettres. J'en prendrai pour garant, non pas nos propres auteurs, mais je tirerai mes principaux auxiliaires des Grecs eux-mêmes. Faire autrement, serait irréfléchi, en ce que vous n'admettriez pas nos autorités; agir ainsi, si je parviens à démontrer ce fait, aura cela de surprenant, qu'en employant vos propres armes, j'éloignerai toute suspicion sur la nature de mes preuves. Quant aux poèmes d'Homère, son origine, le temps où il a fleuri, les plus anciens guides que nous puissions suivre, sont : Théagène de Rhegium, qui vivait sous Cambyse, Stesimbrote de Thasos, Antimaque de Colophon, Hérodote d'Halicarnasse, Denys d'Olynthe ; après ceux-ci Éphore de Cumes, Philochore l'Athénien, Megaclide et Chamaeleon, les Péripatéticiens : plus tard, les grammairiens Zenodote, Aristophane, Callimaque, Cratès, Ératosthène, Aristarque, Apollodore. De ceux-ci Cratès soutient qu'Homère a fleuri à l'époque du retour des Héraclides : 80 ans plus près de nous que la guerre de Troie. Ératosthène le place 100 ans après cette même guerre; Aristarque le recule jusqu'à l'émigration des Ioniens, qui eut lieu 140 ans après Troie; Philochore 40 ans plus tard que cette émigration, sous l'Archontat à Athènes, d'Archippe, 180 ans après les événements d'Ilion. Apollodore le recule jusqu'à 100 ans après l'émigration Ionienne, ce qui ferait 240 ans après Troie ; d'autres l'ont placé immédiatement avant les Olympiades, c'est-à-dire 400 ans après la prise de Troie; d'autres enfin l'ont fait descendre beaucoup plus bas; disant qu'il avait vécu en même temps qu'Archiloque : or Archiloque a fleuri pendant la 23e olympiade, sous Gygès le Lydien, 500 ans après Troie. Sur la fixation de l'époque du poète (c'est-à-dire d'Homère) et sur le désaccord de ceux qui en ont parlé, ce que nous avons dit suffira, quoique sommaire ; il nous eût été possible de développer longuement notre discours, sur ce qu'il y avait en cela d'authentique : car il est donné à tout le monde de pouvoir dire que les opinions sur les doctrines sont fausses mais dans les calculs de temps, du moment où il y a incohérence entre plusieurs, il n'est plus possible qu'on y découvre la vérité historique. » Après un court intervalle : « Toutefois, admettons qu'Homère ne soit pas même postérieur au sac de Troie, mais qu'il ait vécu dans le temps de cette guerre; je vais plus loin, qu'il ait combattu sous Agamemnon, si on le veut même qu'il ait devancé l'invention des lettres, on n'en verra pas moins que Moïse, dont nous avons parlé d'abord, est plus ancien que la prise de Troie d'un grand nombre d'années; puisqu'il est beaucoup plus ancien que la fondation de cette ville, et que les règnes de Tros et de Dardanus. J'aurai, pour le démontrer, les témoignages des Chaldéens, des Phéniciens, des Égyptiens. Qu'est-il besoin de m'étendre plus longuement? quiconque a annoncé avoir l'intention de persuader, doit expliquer avec le plus de concision possible ce qu'il se propose de raconter à ceux qui l'écoutent. Bérose de Babylone prêtre du Dieu Bélus qu'on y adore, contemporain d'Alexandre, qui a mis en ordre l'histoire des Chaldéens, contenue dans trois livres qu'il a offerts à Antiochus troisième après Alexandre et successeur de Séleucus (Nicanor), dans lesquels il passe en revue toutes les actions des rois, raconte à l'occasion de l'un d'entre eux, qui se nommait Nabuchodonosor, qu'il fit la guerre aux Phéniciens et aux Juifs : Événements que nous savons avoir été prédits par nos prophètes, et qui sont arrivés bien postérieurement à l'âge où vécut Moïse, 70 ans avant la domination des Perses. Bérose est un auteur très capable : nous en donnerons pour garant Juba, qui dans tout ce qu'il a écrit sur les Assyriens, déclare qu'il n'a appris leur histoire que par Bérose (deux des livres de Juba sont consacrés aux Assyriens ). « Après les Chaldéens viennent les Phéniciens ; voici les documents que nous tenons d'eux : trois historiens ont existé parmi eux : Théodote, Hypsicrate et Mochus. Lœtus a traduit leurs livres en langue grecque; c'est le même qui a composé avec beaucoup de soin et d'exactitude les biographies des philosophes : or, on trouve dans les histoires écrites par ces auteurs, la mention, sous un de leurs rois, de l'enlèvement d'Europe, l'arrivée en Phénicie de Ménélas, le règne d'Hiram, qui donna sa fille en mariage au roi des Juifs, Salomon, et lui fit présent d'une quantité de bois divers, pour la construction du temple. Ménandre de Pergame a aussi fait une histoire chronologique de ces rois : l'on y voit que le règne d'Hiram se rapproche beaucoup des événements de Troie ; or, Salomon, qui vivait du temps d'Hiram, est d'un âge bien postérieur à celui ou vécut Moïse. Quant aux Égyptiens, nous avons des tableaux chroniques très exacts de leur histoire, qui ont été traduits de leur langue par Ptolémée, non le roi, mais le prêtre de Mendès. Celui-ci, en donnant les actions mémorables des rois, dit que c'est sous Amosis, roi d'Égypte, qu'eut lieu le départ de l'Égypte, des Juifs, vers les contrées où ils voulaient se fixer, sous la conduite de Moïse. Il ajoute que cet Amosis était contemporain d'Inachus. Après lui, Apion le grammairien, homme très distingué, dans le quatrième livre de ses Egyptiaques qui se composent de cinq livres ( il a composé beaucoup d'autres écrits ), dit qu'Amosis démantela la ville d'Abaris, qu'il vécut à l'époque d'Inachus, comme cela est relaté dans les chroniques de Ptolémée de Mendès. Or, du temps d'Inachus à la prise de Troie, nous complétons vingt générations. On le démontre de la manière suivante. « Voici les noms des rois d'Argos dans cet intervalle : Inachus, Phoronée, Apis, Argus, Criasus, Phorbas, Triopas, Crotopus, Sthenelas, Danaüs, Lyncée, Abas, Prœtus, Acrisius, Persée, Euristhée, Atrée, Thyeste, Agamemnon, sous la dix-huitième année du règne duquel Ilion fut pris. Tout homme doué d'intelligence comprendra qu'avec toute l'application possible, on n'a pu connaître ces noms que traditionnellement, les Grecs n'ayant pas alors d'histoire écrite; puisque Cadmus, qui leur apporta les lettres, ne vint en Béotie qu'après bien des générations. « C'est après Inachus et à peine sous Phoronée que se place la limite de la vie sauvage et nomade, et que les hommes commencèrent à se civiliser ; c'est pourquoi, si l'existence de Moïse remonte à Inachus, il est antérieur de 400 ans à la guerre de Troie : on démontre l'exactitude de cette date par la suite des rois d'Athènes, de Macédoine, des Lagides et des Séleucides ; en sorte que si les événements les plus remarquables de la Grèce n'ont été écrits et ne sont connus qu'à dater d'Inachus, il est clair qu'ils sont d'une époque postérieure à celle de Moïse. Ainsi, sous Phoronée, successeur d'inachus, on signale, à Athènes, Ogygès, sous lequel le premier déluge a eu lieu, sous Phorbas, on nomme Actœus, qui fit donner à l'Attique le nom d'Actœa ; sous Triopas, on voit Prométhée, Epimethée et Atlas, de même que Cécrops et Io. Sous Crotopus, on trouve l'embrasement de Phaéton et le déluge de Deucalion ; sous Sthénélas, se place le règne d'Amphictyon, l'arrivée de Danaüs dans le Péloponnèse, la fondation de Dardanie par Dardanus, la navigation d'Europe, la Phénicienne, en Crète; sous Lyncée, l'enlèvement de Coré (Proserpine), la consécration du temple d'Éleusis, l'agriculture de Triptolème, l'arrivée de Cadmus à Thèbes, le règne de Minos; sous Prœtus, la guerre d'Eumolpe contre les Athéniens; sous Acrisius, le passage de Pélops, de Phrygie dans le Péloponnèse, l'arrivée d'Ion à Athènes, le second Cécrops, les aventures de Persée; enfin, sous le règne d'Agamemnon, la prise d'ilion. « Il est donc évident que Moïse apparut sur la scène du monde bien avant tout ce que nous venons de nommer, héros, villes, divinités : or, l'on doit plutôt avoir confiance en celui qui a devancé par l'âge, qu'en ceux qui, comme les Grecs, n'ont fait que puiser à cette source les enseignements des dogmes, sans en avoir le discernement. On découvre, en effet, parmi eux, un grand nombre de sophistes qui, usant d'adresse, ont tenté de dénaturer, par les caractères extérieurs tout ce qu'ils n'ont appris que par Moïse et les sectateurs de sa philosophie; premièrement, dans le but de passer pour n'énoncer que leurs propres conceptions; ensuite, afin qu'en dissimulant, sous les formes apprêtées du langage, ce qu'ils ne comprenaient pas bien, ils donnassent l'autorité et le cachet de la fable, à la vérité. « Lorsque nous engagerons la discussion contre ceux qui ont essayé de nous dévoiler ce qu'est la divinité, nous montrerons ce que les hommes éclairés parmi les Grecs ont dit sur notre existence politique actuelle, sur notre histoire et sur nos lois, quel est leur nombre et leur caractère; pour le présent, hâtons-nous d'éclaircir, avec tout le soin dont nous sommes capables, que non seulement Moïse est plus ancien qu'Homère, mais qu'il a précédé tous les écrivains antérieurs à celui-ci : Linus, Philammon, Thamyris, Amphion, Orphée, Musée, Démodocus, Phémius, la Sibylle, Épimenide le Crétois, qui vint à Sparte, Aristée de Proconèse, auteur du poème des Arimaspes, Asbolus le centaure, Isatide, Drymon, Euclès de Chypre, Orus de Samos et Promantide, l'Athénien. « Linus était le précepteur d'Hercule. Hercule n'a précédé que d'une génération la guerre du Troie; on le voit clairement par son fils Tlépolème, qui prit part à cette expédition. Orphée est du même temps qu'Hercule : d'ailleurs, on prétend que les poèmes qui portent son nom ont été composés par Onomacrite l'Athénien, qui vécut sous la domination des Pisistratides, vers la cinquantième Olympiade. Musée fut disciple d'Orphée. « Amphion, qui n'a précédé que de deux générations la ruine de Troie, nous dispense d'accumuler de nouvelles preuves, pour convaincre les hommes instruits de son époque. Démodocus et Phemius ont vécu pendant que les Grecs étaient devant Troie: car l'un prenait part aux banquets des amants de Pénélope, l'autre était chez les Phéaciens : Thamyris et Philammon ne sont pas beaucoup plus anciens qu'eux. Je crois avoir traité avec toute l'exactitude requise, les deux questions que je m'étais proposé d'éclaircir, la doctrine de chaque peuple et la co-relation des temps. Pour acheter ma tâche, il me reste à étendre ma démonstration sur les hommes décorés du nom de sages. Minos, qui passe pour l'avoir emporté sur tous les hommes, en sagesse, en pénétration, comme législateur, vint au monde sous Lyncée, qui régna après Danaüs, lequel se place à la onzième génération après Inachus. Lycurgue, né bien après la prise de Troie, donna des lois aux Lacédémoniens, cent ans avant les Olympiades. Dracon, au moyen des recherches faites, ne remonte pas plus haut que la trente-neuvième Olympiade : Solon, pas plus que la quarante-cinquième : Pythagore descend à la soixante-deuxième. J'ai déjà fait voir que la première Olympiade est de 407 ans plus récente que la guerre de Troie. Après avoir terminé ces démonstrations, je vais fixer en peu de mots l'âge des sept sages : le plus ancien de tous, Thalès, n'ayant fleuri que vers la cinquantième Olympiade, nous avons à peu près dit, par là, ce qu'on doit penser de tous les autres. « Voici, ô Grecs, ce que moi Tatien, né dans la terre des Assyriens, professant, une philosophie barbare, ai rédigé. Ayant été premièrement élevé dans vos doctrines, je viens en second lieu vous annoncer celles que je professe maintenant : connaissant d'ailleurs, ce qu'est Dieu et quelles sont les choses créées par lui, je me présente devant vous, prêt à répondre aux interrogations qui me seront faites sur mes dogmes, conservant dans mon cœur les sentiments d'un membre de la cité de Dieu, que je ne renierai jamais. » Telles sont les paroles de Tatien ; passons de suite à Clément. [10,12] CHAPITRE XII. DU PREMIER LIVRE DES STROMATES DE CLÉMENT SUR LE MÊME SUJET. « Tatien, dans son discours aux Grecs, a parlé de ces choses avec beaucoup de discernement, et Cassianus a fait de même dans son premier des Exégétiques, néanmoins, la mention que j'en ai faite exige une revue rapide de ce qui a été dit sur ce sujet. Apion le grammairien, surnommé Pléistonicès, dans le quatrième livre de ses histoires égyptiennes, malgré la haine violente, qui l'animait tellement contre les Hébreux, en qualité d'Egyptien, qu'il composa un ouvrage exprès contre eux; Apion, dis-je, en parlant d'Amosis, roi des Égyptiens et des événements qui ont rempli son règne, cite en témoignage Ptolémée de Mendès, et voici ses paroles: « Amosis, qui démantela Abaris, régnait en même temps qn'Inachus le roi d'Argos, comme Ptolémée de Mendès l'a écrit dans ses chroniques.» Ce Ptolémée était un prêtre qui a recueilli en trois livres tous les actes des rois Égyptiens; il dit en parlant d'Amosis, que de son temps eut lieu le départ des Juifs de l'Égypte, sous la conduite de Moïse; d'où résulte le synchronisme de Moïse et d'Inachus. L'établissement du royaume d'Argos, je veux parler de celui fondé par Inachus, est plus ancien que le royaume fondé par Hellenus, comme Denys d'Halicarnasse nous l'enseigne dans le livre des temps (83). Le royaume d'Athènes, fondé par Cécrops, fut de sept générations postérieur à celui-ci. Il eut pour fondateur Cécrops, dit de deux natures qui était Autochthon, originaire du pays : tout cela a été dit en propres termes par Tatien. Neuf générations plus tard, le royaume d'Arcadie eut pour fondateur Pélasge, qu'on déclare aussi avoir été Autochthon. Deux générations encore après celui-ci, vint le royaume de Phthiotie, fondé par Deucalion. Depuis Inachus jusqu'aux temps de Troie, on compte vingt générations ou dix-neuf, et pour le dire en un mot, 400 ans et plus. Or, on va voir la vérité de ce que dit Ctésias, quand il affirme que l'empire d'Assyrie est plus ancien de beaucoup d'années que les États de la Grèce ; c'est la 402e année de l'existence de cet empire, la 33e du règne de Belouchus, qui était son huitième souverain, que la sortie d'Égypte de Moïse eut lieu, sous Amosis, roi d'Égypte, et sous Inachus, roi d'Argos. En Grèce, ce n'est que sous Phoronée, successeur d'Inachus, qu'eut lieu le déluge d'Ogygès, aussi bien que la fondation du royaume de Sicyone, qui eut pour premier roi Aegialeüs, puis Europus, ensuite Telchis; et celle de Crès en Crète. Acusilas nomme Phoronée, le premier des hommes. C'est delà que le poète de la Phoronide dit qu'il fut le père des hommes mortels, et que Platon, dans son Timée, suivant Acusilas, écrit : « Alors voulant les amener à parler sur les antiquités, on le voit essayer de relater ce qu'il y a eu de plus ancien dans notre patrie, sur Phoronée, surnommé le premier des hommes; sur Niobé, sur ce qui suivit le déluge. Sous Phorbas vivait Actœus, qui fit donner à l'Attique le nom d'Actaea; sous Triopas naquirent Prométhée, Épiméthée et Atlas, Cécrops et Io. Sous Crotopus, on trouve l'embrasement de Phaéton et le déluge de Deucalion. Sous Sthénélas se place le règne d'Amphictyon, l'arrivée de Danaüs dans le Péloponnèse, la fondation de Dardanie par Dardanus, qui, dit Homère, fut le premier à qui Jupiter assembleur de nuages donna le jour; puis le transport par mer d'Europe, de Phénicie dans la Crète. Sous Lyncée, l'enlèvement de Coré (Proserpine), la consécration du Temenos (enceinte sacrée), d'Éleusis, l'agriculture de Triptolème, l'arrivée de Cadmus à Thèbes, le règne de Minos. Sous Prœtus, la guerre d'Eumolpe contre les Athéniens. Sous Acrîsius, le passage de Pélops de Phrygie, l'arrivée d'Ion à Athènes, le second Cécrops, les aventures de Persée et de Bacchus : Orphée et Musée. Sous la dix-huitième année du règne d'Agamemnon, Ilion fut pris ; Démophoon, fils de Thésée, régnait alors à Athènes : ce fut le douzième jour du mois de Thargelion, la première année de son règne, à ce que dit Denys l'Argien. Quant à Agis et Dercylus, ils placent cet événement au vingt-deuxième jour du mois Panemus, dans leur troisième livre: Hellanicus au douzième de Thargelion, et quelques-uns de ceux qui ont écrit les {uerbum graecum} au vingt-deuxième du même mois, Ménesthée accomplissant la dernière année de son règne, la lune étant pleine. L'auteur de la petite Iliade l'a ainsi chanté : « La nuit était à moitié, la lune se levait resplendissante.» D'autres le mettent au même jour du mois de Scirophorion. «Thésée, l'émule d'Hercule, avait précédé la guerre de Troie d'une génération; Homère nomme Tlépolème, fils d'Hercule, comme ayant pris part à cette guerre. On prouve donc que Moïse a précédé de 604 ans l'apothéose de Bacchus; puisqu'elle eut lieu la 32e année du règne de Persée, à ce que dit Apollodore dans ses chroniques. Depuis Bacchus jusqu'à Hercule, et les Aristées de Jason (les Argonautes), on compte un nombre de 63 ans. Esculape et les Dioscures en firent partie, à ce que dit Apollonius de Rhodes dans ses Argonautiques. Depuis le règne d'Hercule à Argos, jusqu'à sa consécration et celle d'Esculape, l'intervalle a été de 38 ans: toujours suivant le chronographe Apollodore. De là, jusqu'à l'apothéose de Castor et de Pollux, nous compterons 53 ans : ensuite vient la prise d'Ilion. Si l'on doit s'en rapporter au poète Hésiode : « Maïa, fille d'Atlas, enfanta à Jupiter le glorieux Mercure, messager des immortels, en ayant partagé sa couche sacrée : Sémélé, fille de Cadmus, donna le jour à son illustre fils, Bacchus, qui répand la joie parmi les mortels. » « Cadmus, père de Sémélé, vint à Thèbes sous le règne de Lyncée. Ce fut l'inventeur de l'alphabet grec. Triopas fut contemporain d'Isis, à la septième génération après Inachus. Il est des auteurs qui disent, que le nom d'Io lui a été donné, venant de g-ioh pour marquer qu'en errant, elle avait été dans toute la terre. Istrus, dans son livre sur la colonisation des Égyptiens, dit qu'elle était fille de Prométhée. Or, Prométhée étant contemporain de Triopas, est à la septième génération après Moise; en sorte, que Moise aurait précédé l'anthropogonie, chez les Grecs. Léon, celui qui a composé un traité sur les dieux de l'Égypte, dit qu'Isis est appelée, par les Grecs g-Dehmehtera (Cérés), et qu'elle vécut sous Lyncée, onze générations après Moise. Apis, roi d'Argos, fonda Memphis, à ce que dit Aristippe, dans le premier livre de ses Arcadiques. C'est le même qu'on surnomma Sérapis, et qui est adoré sous ce nom, par les Égyptiens, à ce que dit Aristée d'Argos. Nymphodore d'Amphipolis, dans le troisième livre des moeurs de l'Asie, dit qu'Apis le taureau étant mort, il fut enseveli dans un cercueil, et déposé dans le temple du dieu qu'on adorait, et que de là, vint plus tard l'habitude de le nommer Soroapis, et par contraction Sarapis. Cet Apis, est le troisième roi, depuis Inachus. Enfin, Latone elle-même, n'a vécu qu'en même temps que Tityus, qui porta la main sur cette vénérable concubine de Jupiter (Odyssée, XI. v. 579). Or, Tityus appartient à l'époque de Tantale. Aussi le Béotien Pindare a-t-il raison, lorsqu'il dit {uerba graeca}. Apollon naquit dans ce temps. Et cela n'a rien d'étonnant, quand on le voit au service d'Admète, en relation avec Hercule, pendant toute une année. Zethus et Amphion, les inventeurs de la musique, naquirent pendant la vie de Cadmus, et si l'on vient nous dire que Phémonoë, avant ce temps, rendait des oracles en vers, à Acrisius; qu'on apprenne que 27 ans après elle, naquirent Orphée, Musée, et Linus, maître d'Hercule. Homère et Hésiode sont bien plus jeunes que la guerre de Troie, et bien plus jeunes encore que ceux-ci, sont les législateurs Grecs. Lycurgue et Solon, puis les sept sages; après eux, Phérécyde de Syros et le grand Pythagore, qui sont du temps des Olympiades, comme nous l'avons fait voir. Il reste donc démontré que Moïse est plus ancien, non seulement que les hommes appelés sages, et les poètes des Grecs; mais même que la plupart de leurs dieux. » Voici les expressions de Clément; mais les enfants des Hébreux aussi se sont livrés avec ardeur à l'examen de cette question; il est donc à propos de donner un coup d'oeil rapide à ce qu'ils en ont écrit. Je me bornerai à citer les paroles de Flavius Josèphe. [10,13] CHAPITRE XIII. DU PREMIER LIVRE DE FLAVIUS JOSÈPHE SUR LES ANTIQUITÉS DES JUIFS. « Je commencerai par les écrits des Égyptiens; mais ne pouvant pas alléguer des textes empruntés à leurs originaux, je citerai les paroles de Menethon, Égyptien d'origine, encore qu'il fût initié dans toute l'instruction de la Grèce, comme cela est évident, par la manière dont il a écrit l'histoire de son pays en langue grecque, l'ayant traduite, d'après son aveu, des livres sacrés des Égyptiens : histoire dans laquelle il relève beaucoup d'erreurs d'Hérodote, dues à son ignorance de la langue et de l'histoire de l'Égypte; et puisque j'ai recours à son témoignage, je rapporterai ses propres paroles. « Il y eut un roi parmi nous, du nom de Timaeus, du temps duquel, Dieu étant irrité, je ne sais pour quelle cause, excita contre nous, d'une manière toute miraculeuse, des hommes venus des contrées de l'Orient, hommes sans distinction, mais qui, d'une audace étrange, ayant pénétré en armes dans ce pays, s'en emparèrent violemment, sans peine et sans combat.» Après d'autres récits, il reprend : « Toute cette race portait le nom de Hycoussos; ce qui signifie rois pasteurs. Hyc, dans la langue sacrée, voulant dire roi, et aussos, pasteurs, dans le dialecte vulgaire. C'est ainsi qu'à été formé le nom de Hycoussos. Il est des auteurs qui les déclarent Arabes. Dans d'autres copies , ce n'est pas par rois qu'on traduit le mot Arc, mais par prisonniers, en sorte que Hycoussos signifierait prisonniers pasteurs, dans la langue égyptienne: Hac aspiré ayant évidemment la signification de prisonniers; et celte traduction me paraît d'autant plus exacte, qu'elle est plus en rapport avec l'histoire des temps primitifs. « Les rois donc sus-nommés, qui appartenaient à la nation des pasteurs, aussi bien que ceux qui en descendirent, régnèrent sur l'Égypte pendant une durée de 511 ans. Après quoi les rois de la Thébaïde, et des autres portions de l'Égypte s'étant soulevés contre les Pasteurs, il s'en suivit une guerre longue et acharnée. » Il ajoute que, « sous le règne d'un roi, du nom de Misphragouthosis, les Pasteurs ayant été vaincus, il durent évacuer le reste de l'Égypte, et se renfermer dans une contrée ayant 10.000 aroures de périmètre, connue sous le nom d'Abaris. Manethon dit que les Pasteurs l'environnèrent entièrement d'un mur très fort et très haut, pour y conserver en sûreté ce qu'ils possédaient, et y rapporter le butin qu'ils feraient. Le fils de Misphragouthosis, ayant le nom de Thmouthosis, ayant entrepris de soumettre cette ville, de force, après l'avoir assiégée, il fit camper sous ses murs une armée de 480.000 hommes; enfin désespérant de la prendre d'assaut, il fit avec ses ennemis un traité, pour qu'ils eussent à évacuer l'Egypte et à se retirer, où ils voudraient, sans éprouver aucun trouble. D'après ces conventions, ils se retirèrent avec tout ce qu'ils possédaient, ne formant pas une population moindre de 240.000 têtes, et se dirigèrent, à leur sortie de l'Égypte, vers le désert de Syrie, où redoutant la dynastie des rois d'Assyrie, qui alors commandaient à l'Asie entière, ils se cantonnèrent dans le pays nommé depuis Judée, et y construisirent une ville qui pût les contenir, à laquelle ils donnèrent le nom de Jérusalem.» Ayant, en suivant, donné la succession des rois d'Égypte avec la durée de leur règne, il ajoute : « Voici ce que Manethon a publié, d'où il résulte clairement, d'après la supputation des temps, que les soi-disant Pasteurs ne sont autres que nos ancêtres, qui sont sortis d'Égypte après y être entrés, 393 ans avant que Danaûs, que les Argiens considèrent comme leur plus ancien roi, fût venu à Argos. « Manethon a donc rendu en notre faveur deux témoignages des plus décisifs d'après les écrits égyptiens : le premier, notre venue en Égypte de pays étrangers, ensuite, notre sortie de ce même pays, assez ancienne pour qu'elle ait précédé, d'environ 1000 ans, la guerre de Troie. » Tels sont les faits sur lesquels Josèphe s'est étendu, en les tirant de l'histoire d'Égypte. Ayant également mis à profit les témoignages des historiens Phéniciens, il constate que le temple de Jérusalem a été bâti par le roi Salomon, 143 ans et huit mois avant que les Tyriens fondassent Carthage. Ensuite, passant à l'histoire Chaldéenne, il en tire des témoignages qui confirment l'ancienneté des Hébreux, en alléguant les auteurs qui en ont parlé. [10,14] CHAPITRE XIV. QUE LE TEMPS DES PHILOSOPHES DE LA GRÈCE EST INFINIMENT POSTÉRIEUR A L'HISTOIRE DES HÉBREUX. Qu'est-il besoin cependant d'accumuler une multitude de citations, à l'appui d'un fait qui repose sur une base si solide, sur des preuves si variées de sa réalité, aux yeux de quiconque aime la vérité et se rend sans passion à son évidence? Qu'il nous suffise donc de faire voir que Moïse et les prophètes ont précédé les temps de la civilisation grecque. Et puisqu'il est démontré que Moïse a beaucoup d'antériorité sur la guerre de Troie, passons en revue les prophètes venus après lui. L'histoire, dont Moïse est auteur, montre clairement, que dans l'ordre consécutif des temps, il est venu bien après les véritables Hébreux, Héber, qui Ieur adonné le nom qu'ils portent, Abraham, et les autres patriarches aimés de Dieu. Après Moïse, le premier chef de la nation-juive fut Jésus ou Josué, qui la gouverna pendant 30 ans, à ce que disent quelques auteurs. Après lui, l'Écriture reconnaît que les Juifs furent soumis aux étrangers pendant 8 ans. Gothoniel leur succéda, et gouverna pendant 60 ans. Il eut pour successeur, Eglom, roi de Moab pendant 13 ans; puis Aod pendant 80 ans. Les étrangers revinrent après lui pendant 20 ans. A ceux-ci, succédèrent Debora et Barac; la durée de leur gouvernement fut de 40 ans. Les Madianites paraissent à leur suite, pendant 7 ans, puis, Gédéon pendant 40; Abimélech, 3 ans; Thola, 23 ans; Jaeir, 22; les Ammonites, 18 ans; Jephté, 6 ans; Esbon, 7; Aelom, 10; Abdon, 8; les étrangers, 40; Samson, 20 ans; après quoi, le grand-prêtre Héli qui, d'après le calcul hébreu, retint la puissance pendant 40 ans; l'époque de sa vie concourt avec la prise d'Ilion. A la suite d'Héli, le grand-prêtre Samuel devint le chef du peuple, qui eut pour premier roi, Saül, ce qui donne pour les deux un total de 40 ans; après celui-ci, David régna également 40 ans: Salomon, 40 ans. Ce fut ce prince qui construisit le premier temple dans Jérusalem. Après Salomon, Roboam régna pendant 17 ans; Abias, 3 ans: Asa, 41 ans; Josaphat, 25 ; Joram, 8 ans; Ochosias, 1 an; Gotholia, 7 ans; Joas, 10 ans; Amasias, 49 ans; Azarias, 52 ans ; sous son règne, Osée, Amos, Isaïe et Jonas prophétisèrent. Après Azarias, Joathan monta sur le trône et régna 16 ans. Après lui, vint Achaz pendant 16 ans. C'est sous son règne que fut célébrée la première Olympiade, de laquelle Corœbus d'Élide sortit vainqueur. Ezéchias succéda à Achaz et régna 29 ans. Ce fut de son temps, que Romulus fonda Rome et y régna. Après Ezéchias, Manassé monta sur le trône, qu'il occupa pendant 55 ans. Ensuite Amon, pendant 2 ans; Josias, pendant 31 ans. C'est pendant son règne que parurent les prophètes Jérémie, Baruch, Olda et les autres. Son successeur Joachas ne régna que 3 mois: et Joachim qui vint après lui, eut un règne de 11 ans. Le dernier de tous ces rois fut Sédécias, qui régna 12 ans. Jérusalem fut prise d'assaut, sous lui, par les Assyriens, et le temple ayant été réduit en cendres, toute la population juive fut transportée dans la Babylonie. C'est dans cette contrée que Daniel et Ézéchiel prophétisèrent. Après une révolution de 70 années, Cyrus, roi des Perses, délivra les Juifs de la servitude, ayant accordé à ceux qui le voulaient, la faculté de retourner dans leur pays, et de relever leur temple. Ce fut alors que Jésus, fils de Josédec, et Zorobabel, fils de Salathiel, jetèrent les fondements du nouveau temple : les derniers prophètes, Aggée, Zacharie et Malachie, fleurirent vers cette époque: depuis lors, il n'y eut plus de prophètes parmi les Juifs. C'est pendant la vie de Cyrus, que se rendirent célèbres, l'Athénien Solon, et les sept hommes décorés du nom de sages parmi les Grecs, qui ont précédé tous ceux qui postérieurement furent nommés philosophes. Ces sept sages sont, Thalès de Milet, qui le premier, chez les Grecs, étudia la nature, enseigna la marche du soleil entre les tropiques, la cause des éclipses de la lune, de ses phases lumineuses et des équinoxes : ce fut l'homme le plus illustre entre les Grecs. Thalès eut pour disciple, Anaximandre, fils de Praxiadès, qui était également de Milet. Ce fut le premier constructeur de gnomons, qui servent à connaître les conversions du soleil, les saisons , les heures et les équinoxes. Celui-ci eut pour disciple, Anaximène, fils d'Eurystrate, également de Milet, lequel fut le maître d'Anaxagore, fils d'Hégésiboule de Clazomène. Ce fut le premier philosophe qui réforma la notion des principes ; car non seulement, il raisonna sur la substance en général, comme l'avaient fait ceux qui l'avaient devancé, mais sur la nature du mouvement. « Dans le principe, dit-il, toutes les choses étaient confuses; l'esprit les ayant pénétrées, il introduisit l'ordre dans le chaos» Anaxagore a eu trois disciples, qui furent, Périclès, Archélaüs, et Euripide. Périclès était le premier citoyen d'Athènes, l'emportant sur tous ses concitoyens en richesse et en naissance. Euripide s'étant depuis adonné à la poésie, était appelé le philosophe dramatique. Quant à Archélaûs, il dirigea à Lampsaque, après Anaxagore, l'école que celui-ci y avait ouverte. Étant revenu à Athènes, il y tint école, et attira auprès de lui de nombreux auditeurs, entre lesquels figurait Socrate. Concurremment au temps où parut Anaxagore, on vit fleurir comme philosophes naturalistes, Xénophane et Pythagore, auquel succéda son épouse Théano, ainsi que ses enfants, Télaugués et Mnésarque. Empédocle prit des leçons de Télauguès; Héraclite, le ténébreux, se fit aussi connaître dans le même temps. On dit que Parménide succéda à Xénophane, Mélissus à Parménide, Zénon d'Elée à Mélissus. C'est de ce Zénon qu'on rapporte, qu'ayant été arrêté comme complice d'une conspiration tramée contre un tyran de cette époque, il fut mis à la torture par ce tyran, pour décliner les noms de ceux qui avaient conspiré avec lui; Zénon, sans se mettre en peine des menaces du tyran, mordit sa langue et la lui cracha, puis il mourut en montrant le plus grand courage, au milieu des tourments qu'on lui fit endurer. Leucippe avait été son disciple, il fut le maître de Démocrite et de Protagore, qui fleurirent à la même époque que Socrate. On pourrait encore nommer d'autres philosophes naturalistes disséminés, et ne faisant point école, avant la naissance de Socrate; tous néanmoins ont Thalès pour chef, et n'ont paru que depuis la fondation de la monarchie des Perses par Cyrus, lequel n'a évidemment brillé dans le monde, que lorsque déjà la plus grande portion des années de la captivité des Juifs, en Babylonie, s'était écoulée; lorsque les prophéties avaient cessé parmi les Hébreux: lorsque leur sainte métropole avait été prise et saccagée; de manière qu'on est contraint d'avouer que tous les organes de la philosophie sont bien plus récents que Moïse, que les prophètes venus après lui, surtout ceux qui ont adopté la philosophie de Platon, lequel ayant d'abord suivi les leçons de Socrate, puis s'étant mis en rapport avec les Pythagoriciens, a surpassé tous les autres philosophes, en éloquence, en profondeur de pensée et par la sublimité de ses dogmes. Or, Platon vint au jour pendant les dernières années de la monarchie Persane, peu de temps avant Alexandre de Macédoine, et 400 ans passés avant l'empire d'Auguste. Si conséquemment on peut vous montrer que Platon et les philosophes qui l'ont suivi ont professé une philosophie en harmonie avec celle des Hébreux, le seul soin à prendre, se borne à rechercher l'époque à laquelle il a vécu, et à opposer l'ancienneté des théologiens et des prophètes parmi les Hébreux, à l'âge des philosophes de la Grèce. Toutefois, ces démonstrations ayant atteint un développement suffisant, le moment est venu de retourner à l'examen des sages qui ont été reconnus comme tels parmi les Grecs, et de faire voir qu'ils se sont montrés zélés imitateurs des dogmes Hébreux; de sorte qu'on ne puisse pas nous faire, avec quelque fondement, le reproche d'être des calomniateurs ou des Sycophantes, si nous déclarons que nous vénérons les oracles des Hébreux, tout en rendant hommage aux doctrines semblables, qui ont été proclamées par les philosophes.