[3,0] DÉMONSTRATION ÉVANGÉLIQUE - LIVRE III. PRÉFACE. Après avoir longuement établi ce qui devait précéder la démonstration évangélique, et développé le caractère de la doctrine de notre Sauveur, ainsi que les motifs qui nous ont porté à ne pas embrasser les observances des Juifs, quoique nous ayons reçu leurs livres sacrés; après avoir montré que les prophéties qu'ils gardent entre leurs mains ont prédit notre vocation, et que c'est pour cela que nous les avons reçues comme nous étant propres; il est temps d'aborder notre sujet, et de commencer ce que nous avons promis. Le but que nous nous étions proposé était de faire connaître l'humanité de Jésus, le Christ de Dieu, ce que les prédictions des prophètes nous apprennent de son origine divine, et les promesses de son avènement. Nous prouverons par les événements que ces promesses ne peuvent se rapporter qu'à lui, après avoir montré d'abord, comme il est nécessaire, que les prophètes ont parlé de l'Evangile du Christ. [3,1] CHAPITRE PREMIER. Les prophètes ont parlé de l'Evangile en annonçant le Christ. Isaïe l'atteste par ses paroles quand il dit du Christ qu'il figure : « l'Esprit du Seigneur repose sur moi : aussi il m'a oint, il m'a envoyé évangéliser les pauvres, annoncer aux captifs la liberté, et aux aveugles la lumière.» C'est de ce passage que notre Sauveur, paraissant dans une synagogue devant la multitude des Juifs, dit, en fermant le saint livre : « Aujourd'hui cette prophétie s'est accomplie à vos yeux.» Commençant alors ses prédications divines, il annonça ses béatitudes en mettant les pauvres au premier rang : Bienheureux les pauvres d'esprit, car le royaume des cieux est à eux; à ceux qu'obsédaient les esprits immondes et qui depuis longtemps étaient esclaves de la tyrannie des démons , il annonça leur affranchissement, et il les appela tous à la liberté ét à la délivrance des chaînes qui les retenaient captifs, en disant: « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes accablés, et je vous soulagerai. » Il rendit la vue aux aveugles; il accordait ce bienfait à ceux dont les yeux du corps étaient sans action, pour faire comprendre qu'il donnerait la faculté de voir la lumière de la vérité aux hommes qui ne pouvaient la saisir autrefois. Cette prophétie montre donc que le Christ sera l'auteur et le docteur de l'Evangile: elle désigne ensuite ses disciples comme les ministres, après lui, de la rédemption du monde : « Qu'ils sont beaux, dit-il, les pieds de ceux qui nous annoncent le bonheur, qui apportent la paix!» Ils doivent être beaux les pieds des prédicateurs des bienfaits du Christ ; comment ne le seraient pas les pieds de ceux qui parcoururent l'univers en si peu de jours , et le remplirent de la sainte science de la religion du Christ ! Ce ne fut pas l'éloquence humaine qui leur gagna les peuples; mais la puissance de Dieu, qui concourait avec eux la prédication de l'Evangile, ainsi que le dit le roi prophète (Ps. LVII, 12) : « Le Seigneur conférera sa parole à ses évangélistes, avec une grande puissance; » et, comme dit lsaïe: (Is.., XL, 9): « Montez sur une montagne élevée, vous qui évangélisez Sion. Elevez la voix avec force, vous qui évangélisez Jérusalem; criez plus haut, ne craignez pas. Dites aux villes de Juda, voici votre Dieu ; voici que le Seigneur vient avec sa puissance ; son bras signale sa force, le prix de sa victoire est en ses mains et ses œuvres le précèdent; il dirigera son troupeau comme un pasteur attentif; il pressera ses agneaux entre ses bras, et il soulagera lui-même les brebis pleines.» Lorsque nous aurons pénétré davantage la doctrine de la nouvelle alliance, nous apprécierons le sens de ces paroles : déjà elles révèlent l'Evangile futur, et le nom même de l'Evangile. Nous y voyons clairement encore son auteur le Christ de Dieu, ses hérauts, les apôtres du Christ, et cette puissance surnaturelle qui assure son triomphe, et qu'établissent aussi ces paroles : «Le Seigneur conférera sa parole à ses évangélistes avec une grande puissance. » Que reste-t-il maintenant sinon de choisir dans les livres des Juifs quelques passages des antiques prophéties afin de vous faire connaître les prédictions qui annoncèrent l'Evangile pour l'avenir, l'admirable lumière qui éclaira les prophètes sur les événements futurs et l'exécution des oracles qui eurent leur accomplissement en notre Sauveur et Seigneur Jésus, le Christ de Dieu. [3,2] CHAPITRE II. Ils ont prédit le Christ. Le premier des prophètes, Moïse, a prédit qu'il viendrait un prophète comme lui. Comme la loi qu'il avait établie ne convenait qu'à la nation juive, et alors seulement qu'elle habitait la Judée ou les nations voisines, et qu'elle était impraticable à ceux qui vivaient dans des contrées reculées, ainsi que nous l'avons montré ; il fallait que le Dieu des Juifs, qui est aussi celui des Gentils, offrit à toutes les nations le moyen d'arriver à la connaissance de ses perfections et à son culte ; aussi le saint législateur annonce-t-il la naissance d'un autre prophète en Juda, supérieur à sa loi, et dit-il en suivant l'inspiration divine (Deut., XVIII, 18) :« Je leur susciterai du milieu de leurs frères un prophète semblable à vous; je lui mettrai mes paroles dans la bouche, et il leur dira tout ce que je lui aurai ordonné. Si quelqu'un n'écoute pas les paroles que ce prophète aura dites en mon nom, j'en tirerai vengeance. » Moïse, dans l'interprétation de la parole du Seigneur, qu'il fait au peuple, parle dans le même sens (Ibidem, 15) : « Le Seigneur votre Dieu, dit-il, suscitera du milieu de vos frères un prophète comme moi, vous l'écouterez en tout ce que vous avez demandé au Seigneur votre Dieu à Horeb au jour de l'assemblée.» Est-ce à dire que les prophètes qui sont venus après Moïse, Isaïe, par exemple, Jérémie, Ézéchiel, Daniel ou quelqu'un des douze fût un législateur comme lui? Nullement, l'un d'eux suivit-il les traces de Moïse , on ne saurait l'avancer; chacun d'eux rappelait à la loi de Moïse ceux qui l'écoutaient; ils réprimaient le peuple à cause de ses transgressions, et ne l'exhortaient qu'à pratiquer cette loi ; jamais donc ils n'eurent l'autorité de Moïse. Ce saint législateur ne parla à son peuple que d'un prophète. Or quel est celui que l'oracle sacré désigne comme revêtu d'une autorité égale à celle de Moïse, sinon notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ. Pénétrons maintenant davantage le sens de la prophétie. Moïse fut le premier chef du peuple juif; il le trouva livré aux superstitions de l'Égypte, et le ramena à la vraie religion, en le détournant de l'idolâtrie par des châtiments inévitables : le premier il lui fit connaître la sainte science d'un principe unique, et lui apprit à honorer le Créateur et l'Auteur de toutes choses : comme il fut le premier qui leur traça une règle de vie appuyée sur la religion, il le considéra comme son premier et son seul législateur. Or Jésus-Christ, comme Moïse, et même d'une manière bien supérieure, donna aux nations les enseignements de la religion ; le premier il les ramena des sentiers de l'idolâtrie ; le premier il fit connaître et adorer à tous les hommes le Dieu suprême ; le premier enfin il apparut comme l'auteur et le législateur d'une vie nouvelle et particulière aux fidèles. Moïse a fait connaître aux Juifs la création du monde, l'immortalité de l'âme et tous les autres dogmes semblables de la philosophie; mais Jésus-Christ les a révélés aux nations d'une manière toute divine par la voie de ses disciples, de sorte que Moïse est le premier et le seul législateur de la nation juive, et Jésus-Christ l'est de tous les peuples, suivant la prophétie qui dit à son sujet (Ps. IX, 21) : «Établissez, Seigneur, un législateur sur eux, afin que les peuples sachent qu'ils ne sont que des hommes.» Moïse autorisa par des miracles et des prodiges le culte qu'il fit connaître, et Jésus-Christ, pour confirmer la foi de ceux qui l'entouraient, autorisa par des miracles les nouveaux préceptes de la doctrine évangélique. Moïse a délivré les Juifs de l'insupportable servitude de l'Égypte ; Jésus-Christ a fait passer l'humanité tout entière du culte impie des esprits immondes et des superstitions de l'Égypte à la liberté des enfants de Dieu. Si Moïse annonce aux observateurs fidèles de la loi une terre sainte et des jours passés dans là piété et la faveur de Dieu, Jésus-Christ ne dit-il pas : Bienheureux les doux, car ils posséderont la terre ; et ne promet-il pas à ceux qui obéiront à sa doctrine une terre bien préférable sans doute, vraiment sainte et comblée des faveurs de Dieu; non plus la terre de Juda qui ne diffère pas des autres, mais la terre du ciel si propre aux âmes fidèles : il éclaircit sa promesse en offrant le royaume du ciel à ceux qu'il déclarait bienheureux. Toutes les autres actions du Christ, bien supérieures aux plus insignes prodiges de Moïse, ont cependant avec eux quelques traits de ressemblance. Par exemple (Exode. XXIV, 18), Moïse jeûna pendant quarante jours, comme le témoigne l'Écriture, racontant que Moïse se tint en la présence du Seigneur quarante jours et quarante nuits sans manger de pain ni boire l'eau; de même le Christ : car il est écrit (Luc, IV, 1) « qu'il fut conduit dans le désert pendant quarante jours, où il fut tenté par le diable, et qu'il ne mangea rien en ces jours » Moïse fournit des aliments au peuple dans le désert; l'Écriture dit (Exode, XVI, ): «Voilà que je vous donne un pain du ciel, » et peu après (V. 13) « Il arriva que la rosée couvrit la terre autour du camp, et voici que sur la surface du désert il apparut quelque chose de menu, comme la coriandre blanche, comme la gelée sur la terre : Ainsi notre Sauveur et Seigneur dit à ses disciples : « Pourquoi, hommes de peu de foi, pensez-vous en vous-mêmes que vous n'avez pas pris de pains? Ne me connaissez-vous pas encore ? ne vous rappelez-vous pas les cinq pains qui rassasièrent cinq mille hommes, et les nombreuses corbeilles que vous remplîtes avec les restes ? Avez-vous oublié les sept pains avec lesquels une autre fois, je nourris quatre mille hommes, et les corbeilles que vous emportâtes pleines des morceaux qui étaient restés ? » Moïse marcha au milieu de la mer, et y conduisit son peuple. L'Écriture dit (Exode, XIV, 21) : «Moïse étendit sa main sur la mer, et Dieu en divisa les eaux par un vent d'auster violent qui souffla toute la journée; il dessécha la mer; l'eau fut divisée, et les fils d'Israël passèrent au milieu de la mer par l'endroit desséché, et l'eau leur était comme un mur à droite et à gauche.» Ainsi d'une manière plus digne de sa divinité, Jésus, le Christ de Dieu, marcha sur la mer et y fit marcher Pierre avec lui. Il est écrit (Matth., XIV,25) : « A la quatrième veille de la nuit, Jésus alla vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur les eaux, ils eurent peur; » et un peu plus bas : « Pierre prit la parole et dit : Seigneur, si c'est Vous, commandez-moi d'aller avec vous sur les eaux. Jésus dit : Venez, et Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux, » Moïse condensa la mer par un vent d'auster violent, car l'Écriture dit: «Moïse tendit sa main sur la mer, et Dieu divisa la mer par un vent d'auster violent.» Elle ajoute: «les eaux s'arrêtèrent au milieu de la mer. Ainsi et d'une manière plus digne, notre Sauveur commanda au vent et à la mer ( Id., VIII,26), et il se fit un grand calme.» Lorsque Moïse descendait de la montagne, son visage resplendissait de gloire. Il est rapporté qu'en descendant de la montagne, il ignorait que son visage s'était illuminé de gloire dans son entretien avec le Seigneur (Exode, XXXIV, 29.) Aaron et tous les anciens des fils d'Israël virent Moïse, et son visage était illuminé de gloire. Ainsi, et avec plus de grandeur notre sauveur (Matth., XVII, 2) conduisit ses disciples sur une haute montagne, et il fut transfiguré devant eux: son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent aussi éclatants que la lumière. Moïse guérit la lèpre, car il est écrit (Nombr.,. XII ,10): «Marie parut aussitôt blanche de lèpre comme la neige » et plus bas «Moïse cria vers le Seigneur, et lui dit : « Seigneur, guérissez-la, je vous prie. » Ainsi, mais avec une plus grande force d'autorité, le Christ de Dieu répond au lépreux qui s'approche de lui et lui dit, Si vous voulez, vous, pouvez me guérir : je le veux ; soyez guéri, et sa lèpre fût guérie (Matth., VIII, 2). Et encore Moïse affirme que la loi fut écrite du doigt de Dieu : car il est rapporté (Exode, XXXI,18): «En cessant de parler à Moïse sur le mont Sinaï, Dieu lui donna les deux tables du témoignage, tables de pierre écrites de la main de Dieu.» Il est rapporté dans l'Exode (Id., VIII, 19) : « Les enchanteurs dirent à Pharaon, c'est là le doigt de Dieu » ( Ibidem. ). Ainsi Jésus, le Christ de Dieu dit-il aux pharisiens: « Mais si je chasse le démon par le doigt de Dieu » (Luc XI, 20). En outre Moïse donne à Navé le nom de Jésus; ainsi le Sauveur donne à Simon celui de Pierre. Moïse choisit soixante et dix chefs du peuple, car il est écrit : « Choisissez soixante et dix hommes parmi les anciens d'Israël, et j'ôterai de ton esprit pour le leur donner; » et « le saint patriarche choisit soixante et dix hommes.» Ainsi le Sauveur choisit parmi ses disciples soixante et dix ministres qu'il envoya deux à deux devant lui. Moïse envoya douze hommes pour examiner la terre de la promission : ainsi, mais avec la puissance d'un Dieu, notre Sauveur envoie-t-il douze apôtres examiner le monde. Moïse dit en sa loi : Tu ne tueras point; tu ne commettras pas d'adultère; tu ne voleras pas; tu ne te parjureras pas : et le Sauveur en sa loi nous défend non seulement de tuer, mais encore de se mettre en colère ; non pas de se souiller de l'adultère, mais même de regarder une femme avec une affection déréglée; au lieu de défendre le vol, il ordonne de partager ses biens avec les nécessiteux ; il néglige le parjure, et nous défend ce qui le précède, de jurer jamais. Pourquoi m'arrêter davantage à comparer les nombreux rapports des actions de Moïse et de celles de notre Sauveur, tandis que chacun peut le faire si facilement quand il lui plaira? S'il est dit encore que personne, ne connut la mort de Moïse et le lieu de sa sépulture, de même jamais on ne pourra expliquer la glorification divine de Notre-Seigneur après sa résurrection. Or, si notre Sauveur est le seul dont les actions puissent être rapprochées de celles de Moïse, il faut reporter les yeux sur lui et ne pas appliquer à d'autres la prophétie de ce législateur où le Seigneur annonce qu'il enverra à la terre un prophète semblable à lui, en ces termes : « Je leur susciterai du milieu de leurs frères un prophète semblable à toi, je lui mettrai ma parole dans la bouche, et il dira tout ce que je lut aurai ordonné. Si quelqu'un n'écoute pas les paroles que ce prophète aura dites en mon nom, j'en tirerai vengeance » (Deut., XVIII, 18). Moïse interprète au peuple la parole du Seigneur et dit ; « Le Seigneur votre Dieu suscitera un prophète du milieu de vos frères, vous l'écouterez en tout ce que vous avez demandé au Seigneur votre Dieu à Horeb, au jour de l'assemblée. » Mais, comme nous l'apprend clairement une antique parole de Moïse à notre Sauveur, nul prophète n'apparut, semblable à Moïse ; il est dit : « Il ne parut plus en Israël de prophète comme Moïse que le Seigneur connut, en se manifestant à lui par des signes et des prodiges nombreux. » C'est donc notre Sauveur que l'Esprit saint a annoncé par Moïse, puisque lui seul fut comparable à ce législateur, ainsi que nous l'avons établi d'après les paroles de Moïse lui-même. Voici une autre prophétie tirée de leurs livres sacrés. Notre Sauveur et Seigneur s'étant fait homme suivant la chair dans la race d'Israël, une multitude innombrable de nations l'appela Seigneur, à cause de la puissance divine qui résidait en lui, et c'est ce que Moïse animé de l'esprit de Dieu avait prédit en ces termes : « De sa postérité (il parle d'Israël) il sortira un homme qui régnera sur les nations, et sa puissance s'élèvera.» Si jamais nulle voix ou chef de la nation sainte ne commande à plusieurs nations soumises, et nulle histoire n'en fait mention, la vérité ne crie-t-elle pas bien haut qu'il s'agit de notre Sauveur, puisque c'est lui qu'une multitude innombrable de toutes nations a salué comme le Seigneur, non pas de vaines acclamations, mais dans l'affection du cœur; qui nous peut empêcher de voir en Jésus celui que concernait la prophétie? Or, Moïse n'annonce pas ces événements sans en désigner le jour : il en rapporte l'accomplissement à des temps déterminés. Écoutez ce qu'il dit : «Le prince ne sera point ôté de Juda, ni le chef de sa postérité, jusqu'à ce que vienne celui qui a été promis et qui est l'attente des nations »(Gen., XLIX, 10). Ainsi donc les princes et les chefs se succéderont en Israël jusqu'à la venue de celui qui est attendu. Au moment où cette succession sera interrompue, celui qui est annoncé viendra sur la terre. Par Juda on n'entend pas seulement la tribu de ce nom ; mais comme dans les temps postérieurs, à cause de la tribu royale, on a appelé toute la nation peuple juif, nom qui lui est conservé aujourd'hui encore, Moïse, animé de l'esprit de Dieu donne à ce peuple le nom de juif ainsi que nous le nommons nous-mêmes. Il dit que la puissance des princes et des chefs ne manquera pas, jusqu'à ce qu'apparaisse celui que la prophétie annonce ; qu'aussitôt alors la puissance du peuple sera détruite, et que le verbe de Dieu ne sera plus l'attente des Juifs, mais celle des nations. Or, ce caractère ne peut convenir à un des prophètes; mais seulement à notre Sauveur et Seigneur. Aussitôt que Jésus parut parmi les hommes, le royaume des Juifs fut détruit, la race royale s'éteignit; il n'y eut plus de prince légitime. Auguste, alors le premier empereur romain, et Hérode, l'étranger, le roi de ce peuple, les princes de Juda ne se trouvèrent plus, manquèrent, et selon la prophétie, Jésus, l'attente des peuples de la terre, se manifesta, de sorte que tous ceux qui croient en lui aujourd'hui, rapportent leur espérance à sa venue, d'après la promesse de Dieu. Moïse fait encore sur le Christ bien d'autres prophéties de bonheur, et Isaïe aussi lit dans l'avenir et dit d'un roi de la race et des successeurs de David, «qu'un rejeton naîtra de la tige de Jessé (Matth, II, 1), et qu'une fleur s'élèvera de ses racines. L'esprit du Seigneur se reposera sur lui, esprit de sagesse et d'intelligence, » etc. Il va plus loin sous l'inspiration prophétique, il prédit le retour des nations étrangères, des Grecs ou des Barbares , des hommes les plus agrestes et les plus sauvages à la douceur et à la mansuétude, sous l'influence de la doctrine du Christ. Il dit : « Le loup paîtra avec l'agneau; le léopard reposera auprès du chevreau. Le veau, le taureau et le lion paîtront ensemble, » et le reste qui est semblable, et qu'il explique aussitôt en disant : « Et les nations espéreront en celui qui se lève pour commander les peuples. » Ces créatures formées d'intelligence, et ces bêtes sauvages ne sont que les nations dont les mœurs sont celles des animaux. Sur ces nations régnera celui qui doit s'élever de la race de Jessé dont notre Sauveur et Seigneur est sorti. Aujourd'hui même, les nations qui ont embrassé sa foi espèrent en lui, conformément à la prophétie, « et les nations espéreront en celui qui se lève pour commander les peuples. » Comparez ces paroles à celles de Moïse et voyez-en les rapports. Rapprochez ce passage : « Celui qui se lève pour commander les peuples,» de celui-ci : « De sa postérité il sortira un homme qui régnera sur des nations nombreuses. » Ce trait : « Les nations espéreront en lui, et il sera l'attente des nations.» Quelle différence y a-t-il entre dire: «les nations espèrent en lui» et « il sera l'attente des nations » (Isaïe, XLII, 1 ). Isaïe dit plus loin du Christ : « Voici mon serviteur que j'ai choisi, mon bien-aimé, qui est l'objet de mes complaisances ; il portera la justice parmi les nations. Il ajoute ensuite : «jusqu'à ce qu'il ait établi sa sagesse sur la terre, et les nations espéreront en son nom. » Le prophète marque ici pour la seconde fois que le Christ sera l'attente des nations : les nations espéreront en lui, a-t-il dit plus haut, et ici : les nations espéreront en son nom. De même il fut dit à David, que dans sa postérité il apparaîtrait un homme, et le Seigneur en parle ainsi ailleurs (Ps. CXXXI, 11): «Il me dira : « Vous êtes mon père, et je l'établirai mon premier-né » (Ps. LXXXVIII, 26). Dieu dit encore de lui : «Il régnera de la mer à la mer, et des fleuves aux extrémités de la terre » {Ps. LXXI, 8) ; et : « Toutes les nations lui obéiront, et toutes les tribus de la terre seront bénies en lui » (Ibid., 11). Le lieu précis de sa naissance est annoncé par Michée en ces termes: «Et vous Bethléem Ephrata, vous êtes la plus petite des villes de Juda; de vous sortira le chef qui doit conduire mon peuple Israël (Michée, V, 2) ; et sa sortie est du commencement et des jours de l'éternité; » chacun avoue que Jésus-Christ est lié à Bethléem, et l'on montre à ceux qui viennent des pays étrangers, la caverne où il est venu au monde ; le lieu où il devait naître est annoncé par lui-même. Quant à sa naissance, Isaïe en désigne le prodige. Il le fait avec mystère quand il dit : « Seigneur, qui a cru à notre parole? et à qui s'est révélé le bras du Seigneur? Nous avons annoncé en sa présence comme un enfant, et comme un rejeton dans une terre altérée » {Isaïe, LIII, 1). Aquila traduit ainsi : « et il sera annoncé comme celui qui est allaité en sa présence, et comme un rejeton sorti d'une terre où l'on ne peut marcher. Théodotion met : et il s'élèvera comme celui qui est nourri de lait devant lui , et comme un rejeton dans une terre altérée. Après avoir ainsi rappelé le bras de Dieu qui fut sa parole, le prophète dit : «Nous avons annoncé en sa présence comme un enfant et comme un rejeton d'une terre où l'on ne peut marcher. » Cet enfant allaité et nourri à la mamelle montre évidemment la naissance du Christ. Cette terre inaccessible et altérée est la Vierge sa mère, celle qu'aucun homme n'a approchée, de laquelle, quoique inaccessible, est sortie cette racine bénie, l'enfant qui a sucé le lait de la mamelle ; mais ce prophète qui enveloppe ici de voiles épais ce prodige, l'annonce en termes clairs quand il dit: «Voici qu'une vierge concevra et enfantera un fils, et on le nommera Dieu avec nous » (Isaïe, VII, 14). Tel est en effet le sens du mot Emmanuel. Ainsi le mystère de la naissance du Christ était présenté à la méditation des anciens Juifs ; les prophètes ont-ils donc annoncé le Sauveur comme un prince illustre, comme un roi ou l'un de ces hommes dont la violence consomme de grandes entreprises? on ne saurait le dire, puisque nul n'a apparu de la sorte. Mais ces hommes inspirés, soigneux de ne s'écarter jamais de la vérité, l'ont annoncé tel qu'il fut en ce monde. Isaïe dit donc : «Nous avons annoncé en sa présence comme un enfant, et comme un rejeton dans une terre altérée; il ajoute : il n'a ni éclat ni gloire, nous l'avouons, et il n'a ni éclat ni beauté; son extérieur était méprisable et au-dessous de celui des fils des hommes. Homme de douleur et familiarisé avec les souffrances, il a été méprisé et compté pour rien » (Isaïe, LVI, 2). Que restait-il encore , après avoir dit sa tribu, sa famille, sa merveilleuse naissance, le prodige de la Vierge, sa vie enfin, de raconter sa mort. Or, qu'en prédit encore Isaïe : « Homme de douleur, et familiarisé avec la souffrance, il a été méprisé et compté pour rien; il porte nos iniquités, et il souffre pour nous. Nous l'avons vu dans le travail, les châtiments et l'affliction. Il a été blessé à cause de nos iniquités et il a souffert pour nos crimes. Le châtiment qui doit nous apporter la paix s'est appesanti sur lui ; nous avons été guéris par ses meurtrissures ; nous avons tous erré comme des brebis, et le Seigneur l'a livré à nos péchés ; dans son tourment il n'a pas ouvert la bouche; il a été conduit à la mort comme une brebis, et comme l'agneau demeure sans voix devant celui qui le tond, ainsi n'ouvrit-il pas la bouche. Qui racontera sa génération? car il a été retranché de la terre des vivants, » etc. Le prophète nous fait ainsi comprendre que, pur de toute humaine souillure, le Christ s'est chargé des crimes des hommes. Aussi souffrira-t-il pour nos péchés, et son cœur sera-il transpercé de couleur pour nous seuls et non pour lui. S'il est assailli de blasphèmes, c'est le fruit de nos péchés; car il souffre pour nos crimes; c'est qu'il se charge de nos iniquités et qu'il se couvre des plaies de notre malice, afin que nous soyons guéris par ses meurtrissures. Telle est la cause des supplices cruels que les hommes devaient faire subir à cet innocent. Sans craindre les Juifs qui auront consommé sa mort, l'admirable prophète les inculpe clairement, et ajoute aussitôt en gémissant : « Les iniquités de mon peuple l'ont conduit au supplice. » Il ne tait pas davantage la ruine entière de ce peuple qui suivit le siège de Jérusalem et vint promptement les punir de leur attentat sacrilège contre Jésus. Je frapperai, dit-il, les impies pour sa sépulture, et les riches à cause de sa mort. Il pouvait clore ici la prophétie, s'il n'eût eu rien à annoncer des événements qui devaient suivre la mort du Christ; mais, comme le Sauveur devait ressusciter presque aussitôt après, il ajoute encore ces paroles : « Le Seigneur vient l'exempter de la douleur ; s'il est laissé pour expier le péché, vous verrez une race immortelle. Le seigneur veut diminuer le travail de son âme pour lui donner la gloire » (Isaïe, LIII, 10). Après avoir dit plus haut : « C'est un homme de douleur et familiarisé avec la souffrance, » il dit, maintenant , après sa mort et sa sépulture : « Le Seigneur veut l'exempter de la douleur : » Et comment cela? « S'il est livré pour expier le péché, vous verrez une race immortelle. » Mais il n'est donné de voir cette race immortelle du Christ qu'à ceux qui confesseront leurs péchés, et présenteront an Seigneur des offrandes de propitiation. Ceux-là seuls verront la race immortelle du Christ, soit sa vie éternelle, après la mort, soit la diffusion sur toute la terre de la parole de Dieu immortelle et qui durera toujours. Il avait dit plus haut : « Nous l'avons vu dans le travail; » et maintenant après son supplice et sa mort, il dit : « Le Seigneur veut diminuer le travail de son âme pour lui donner la gloire. » Si donc, le Seigneur Dieu de toute créature a voulu le délivrer de la douleur, et l'entourer de la lumière de gloire, il exécutera sa volonté sans rencontrer d'obstacle ; car tout ce qu'il veut s'exécute. Il a voulu l'exempter et lui donner la gloire ; il l'a fait. Il l'a délivré et lui a donné la gloire. Puisqu'il a voulu, et que, suivant sa volonté, il a déchargé le Christ de ses souffrances pour lui donner la gloire, le prophète ajoute avec raison : « Aussi il aura un peuple nombreux, et il distribuera les dépouilles des forts. » Puis il annonce déjà l'héritage du Christ, comme il en est parlé dans le second psaume où le roi-prophète, ayant annoncé positivement les complots tramés contre le Christ, en ces termes : « Les rois de la terre se sont levés , et les princes se sont lignés contre le Seigneur et contre son Christ, ajoute : « Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon fils; je vous ai engendré aujourd'hui. Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage, el la terre entière pour votre empire. » Ce sont ces nations que le prophète a eues en vue, en disant; « Aussi il aura un peuple nombreux, et il distribuera les dépouilles des forts. » Le Seigneur, en effet, a délivré de la tyrannie des puissances ennemies les âmes des peuples soumis à leur domination, el il les a distribuées à ses disciples comme des dépouilles. Aussi Isaïe dit-il de ces heureux fidèles : « Ils se réjouissent en votre présence comme des vainqueurs qui partagent les dépouilles » (Isaïe, IX, 3). Et le psalmiste chante : « Le Seigneur donnera sa parole avec une grande puissance aux évangélistes. Ce sera le seigneur, roi des armées du bien-aimé (qui donnera cette parole), et qui accordera aussi à celles qui gardent, la maison des dépouilles à partager» {Ps. LXVII, 12). Isaïe dit donc avec raison du Christ : « Aussi il aura un peuple nombreux, et il distribuera les dépouilles des forts.» Il nous fait connaître la cause de cette gloire quand il ajoute : « Parce qu'il a livré son âme à la mort, qu'il a été mis au nombre des impies, il a supporté les iniquités de plusieurs, et il a été livré pour nos iniquités. » pour le récompenser de sa soumission el de sa patience, son Père lui a accordé cette noble conquête; car il a été docile à son Père jusqu'à la mort; aussi aura-t-il pour son héritage les nations de la terre, mais après seulement qu'il se sera livré à la mort et qu'il aura été mis au nombre des impies. C'est pourquoi il a été dit qu'il aura un peuple nombreux et qu'il partagera les dépouilles des forts. Il me semble que ces prophéties désignent évidemment la résurrection du Christ. Comment, en effet, l'entendre autrement de celui qui a été conduit au supplice comme une brebis, qui a été livré à la mort par les Juifs impies, qui a été réputé pour un scélérat, et confié au tombeau ; mais que le Seigneur ensuite a délivré et a ceint de gloire, auquel il a accordé le monde en héritage, et des dépouilles à partager entre ses disciples. David prophétise d'autres circonstances sur la personne du Christ : « Vous n'abandonnerez pas mon âme dans le tombeau; vous ne permettrez pas que votre saint voie la corruption » {Ps. XV, 11). Et ailleurs : « Seigneur, vous avez retiré mon âme du tombeau, et vous m'avez séparé de ceux qui tombent dans l'abîme » (Ps. XXIX, 3); et encore : « Vous qui m'avez retiré des portes de la mort, afin que j'annonce toutes vos gloires » (Ps, IX, 14) Je ne vois pas que les hommes même les plus ignorants puissent jamais résister à ces paroles. Or, la fin de la prophétie d'Israël annonce à l'âme stérile dès longtemps et privée de son Dieu, ou plutôt a l'Église des Gentils, ce bonheur qu'elle nous a fait connaître. Puisque, en effet , le Christ a souffert tous ces tourments pour elle, c'est avec raison que le prophète ajoute aux prédictions qu'il a faites sur lui : « Réjouis-toi, stérile qui n'enfantes pas; élève ta voix et crie, toi qui ne mets pas au monde, parce que l'épouse abandonnée à plus d'enfants que celle qui a un époux (Isaïe, LIV, 1). Car le Seigneur dit : « Étends l'enceinte de ton pavillon, et attache tes tentes; n'épargne rien. Allonge tes cordages, et affermis tes pieux. Développe encore à droite et à gauche, ta postérité possédera les nations. » La parole sainte dit ici de se réjouir à l'Église des Gentils répandue sur toute la terre, du couchant à l'aurore, ce qu'elle manifeste très clairement, lorsqu'elle ajoute: Ta postérité possédera les nations. Ce qui concerne le point en question demanderait une plus longue explication, Nous nous arrêterons cependant, et l'on pourra soi-même choisir les divers passages qui s'y rapportent. Du reste, la suite de la démonstration évangélique offrira, en son temps, avec leur interprétation, chacun des traits de l'Écriture qui peuvent s'y rattacher. Pour le moment, ce que nous avons cité des prophéties sur la venue de notre Sauveur, et la possession du bonheur futur que doivent goûter tous les hommes, peut suffire assurément : ces passages montrent l'avènement d'un nouveau prophète, la religion de ce législateur semblable à Moïse, sa race, sa tribu, le lieu où il est né, le temps de sa venue ; nous y voyons encore sa naissance et sa mort, sa résurrection et l'empire qu'il exercera sur toutes les nations: ces circonstances sont réalisées, et nous ferons sentir bien mieux encore qu'eues n'ont reçu leur accomplissement qu'en notre Sauveur et Seigneur Jésus. Ces divers extraits des oracles sacrés s'adressent aux croyants. Pour répondre aux incrédules, nous ne considérerons d'abord le Christ que comme un homme tout semblable aux autres; mais, lorsque le fils de l'homme se sera montré vraiment incomparable et bien supérieur à tous les héros des temps même les plus reculés, aussitôt nous aborderons ce qui concerne sa nature divine, pour établir par d'invincibles preuves que la puissance qui l'animait n'avait rien d'humain. Nous développerons ensuite, selon nos forces, tout ce qui appartient à la connaissance de ses perfections divines. Or comme la plupart des incrédules le traitent de magicien et de séducteur, et vomissent aujourd'hui même encore mille autres blasphèmes contre lui, nous commencerons par répondre à leurs injurieuses déclamations, et, sans rien tirer de notre propre fonds, nous trouverons chacune de nos réponses dans ses paroles et dans la doctrine qu'il a prêchée. [3,3] CHAPITRE III. Contre ceux qui croient que le Christ de Dieu fut un imposteur. Qu'on nous dise si jamais l'histoire a parlé d'un séducteur qui n'enseigna aux victimes de ses charmes que la mansuétude, la probité, la tempérance et les autres vertus, et s'il est juste de flétrir de ce nom infâme celui qui défend de regarder une femme avec un mauvais désir; qu'on nous dise s'il fut un séducteur, celui qui enseigna la philosophie la plus sublime, et qui apprit à ses disciples à partager leurs biens avec les pauvres, à estimer l'amour du travail et la libéralité ; qu'on nous dise enfin s'il fut un imposteur celui qui éloigna l'homme de la multitude et du tumulte du monde pour lui inspirer l'amour de la science divine ; comment traiter de fourbe celui qui éloigna toute duplicité, et exhorta chacun de ses fidèles à vénérer la vérité; celui qui défendit de jurer et bien plus encore de se parjurer : « Que votre parole, dit-il, soit oui, oui ; non, non »(Matth., V, 37). Qu'est-il besoin que je réunisse plus de preuves, lorsque tout ce qui a été dit plus haut peut faire connaître les principes de la vie nouvelle qu'il a offerte aux hommes. Aussi tout ami de la vérité confessera-t-il que loin d'être un imposteur, le Christ fut un être divin et apprit aux hommes une philosophie sainte et divine, et non pas les vaines spéculations qui partagent le monde. Seul il a renouvelé l'antique vie des patriarches oubliée depuis longtemps, el lui a attiré non pas un petit nombre d'adeptes, mais tout l'univers, ainsi que nous l'avons montré dans le premier livre de cet ouvrage. Aussi peut-on montrer aujourd'hui une multitude innombrable adonnée à la pratique des vertus qui ont sanctifié Abraham el les patriarches, et non seulement parmi les Grecs, mais encore parmi les Barbares. Telles sont les règles de mœurs de son enseignement, voyons donc si le nom d'imposteur lui est applicable pour les principaux de ses dogmes. N'est-il pas écrit de lui que fidèle au culte du Dieu unique, souverain maître et créateur du ciel, de la terre, du monde entier, il y avait ses disciples. Les préceptes de sa doctrine n'élèvent-ils pas et Grecs et Barbares au-dessus des choses créées jusque dans le sein de Dieu ? Fut-il donc un imposteur, parce qu'il ne permit pas de tomber des connnaissances sublimes de la vraie théologie dans les erreurs grossières du polythéisme ? Mais cette doctrine n'était pas nouvelle ; elle ne vint pas de lui. Déjà les anciens Hébreux y avaient été attachés, comme nous l'avons montré en la préparation, et les adeptes de la nouvelle philosophie l'ont goûtée, entraînés par son utilité. Les savants de la Grèce se glorifient des oracles de leurs dieux qui parlent ainsi des Juifs : « Aux Chaldéens seuls est échue la sagesse, ainsi qu'aux Hébreux qui honorent d'une religion pure le Dieu, roi suprême, principe de son existence. » L'oracle appelle ici les Juifs Chaldéens à cause d'Abraham, qui, suivant l'histoire, fut de race chaldéenne. Si donc, même aux anciens jours, les descendants de ces Hébreux dont les oracles publient la sagesse, adressaient leurs adorations au seul Dieu créateur, pourquoi traiter Jésus d'imposteur et ne l'appeler pas un docteur admirable, lui qui par sa puissance invisible et toute divine a promulgué et répandu dans l'univers les vérités connues des seuls Hébreux fidèles, de sorte que, dès lors ce ne fut plus comme autrefois quelques hommes qui suivirent les préceptes de vérité du Seigneur, mais une innombrable multitude de barbares, à la vie sauvage, et de sages de la Grèce qui apprirent par la seule vertu divine de Jésus la religion des prophètes et des justes. Voyons maintenant ce troisième point, si les ennemis doivent l'appeler imposteur parce qu'il n'a pas établi d'honorer Dieu par des sacrifices de bœufs, l'immolation des animaux, l'effusion du sang, la conservation du feu et l'offrande des fruits de la terre brûlés sur l'autel ? Convaincu que ces offrandes de vil prix et terrestres ne convenaient pas à un être immortel, et que l'accomplissement des volontés du Seigneur lui était plus agréable que tout sacrifice. il apprit aux hommes à se conserver purs , a se maintenir dans la lumière et dans la pratique de la foi, afin de devenir semblables à Dieu : « Soyez parfaits, dit-il, comme votre Père céleste est parfait » ( Matth., V. 48). Si quelqu'un des Grecs s'élève contre cette parole, qu'il apprenne bien qu'il s'écarte de l'enseignement de ses maîtres, initiés à la science que notre Sauveur nous a révélée (car je parle ici de philosophes postérieurs la naissance du Christianisme ), voici ce qu'ils ont reconnu en leurs écrits : Il ne faut brûler ou sacrifier au Dieu de l'univers rien de ce qui sort de la terre (Porphyre, de l'abstinence de ce qui a eu vie, livre II). Ainsi que le dit un sage, nous ne devons ni offrir ni consacrer au Dieu du monde, nul être sensible (ce sage est Apollonius de Tyane ). « Dans la matière, en effet, qu'y a-t-il qui ne soit impur aux yeux de celui qui est immatériel. Nos paroles ne peuvent aussi lui plaire , ni celles que nous proférons au dehors , ni celles encore que nous formons au dedans de nous-mêmes, parce qu'elles sont souillées des passions de l'âme. Honorons donc la Divinité suprême dans un silence saint et dans la croyance pure de son existence. Il faut donc qu'unis et rendus semblables à lui, nous lui offrions notre vie comme une victime parfaite. Ce lui sera un hymne de louange, et nous trouverons notre salut dans la quiétude de la vertu. Ce sacrifice s'est consommé par la contemplation de l'essence divine. » Autre fragment semblable, tiré de la théologie d'Apollonius de Tyane. « Plus on s'appliquera à témoigner à la Divinité le respect qu'elle mérite, plus on se la rendra compatissante et favorable, surtout si pour honorer ce Dieu dont nous décrivons les grandeurs, qui est seul et unique, et de qui on peut tout connaître, on évite offrir des sacrifices ou d'allumer du feu ; ou de lui consacrer quelque être animé ; car il ne demande rien même à la créature la plus excellente, qui est l'homme. En effet, il n'est pas de plante que nourrit la terre ni d'animal qu'elle nourrisse elle ou l'air, qui ne soit entaché de quelque souillure ; il ne faut lui présenter que la plus belle des paroles; non pas celle qui frémit sur nos lèvres, mais celle des plus beaux des êtres, des plus nobles des biens qui sont en nous, de notre intelligence qui na pas besoin d'organes; d'interprète. » Si telle est la croyance des grands philosophes et des théologiens de la Grèce, comment donc sera-t-il un insensé, celui qui a laissé à ses disciples, dans ses paroles et bien plus encore dans ses actions, la règle du véritable culte qu'ils devaient rendre à la divinité? Comme nous avons exposé les rites du culte des anciens Hébreux dans le premier livre de cet ouvrage, nous nous contenterons de ce que nous avons dit. Mais puisque nous tenons encore du Christ que le monde a été créé, que le ciel, le soleil, la lune, et les armées du ciel sont l'ouvrage de Dieu, et qu'il faut adresser ses adorations non pas à ses créatures, mais au créateur, nous devons examiner si nous sommes induits en erreur en embrassant cette croyance; or telles furent les convictions des Hébreux ; telles furent aussi les idées des plus célèbres philosophes qui se sont accordés avec eux, pour reconnaître que le ciel, le soleil, la lune, les astres, le monde entier avaient été formés par le Créateur de l'univers. Mais Jésus-Christ a enseigné d'attendre la consommation et le changement de ce monde pour un état plus parfait, suivant en cela les Écritures des Hébreux. Eh quoi ! Platon lui-même n'a-t-il pas reconnu que le ciel, le soleil, la lune et les lumières du ciel étaient essentiellement destructibles? et s'il a avancé que ce monde ne serait pas détruit, c'est parce que la volonté du Créateur y serait opposée. S'il a voulu que nous fussions persuadés que d'un côté nous tenons à leur nature, tandis que nous avons une âme immortelle qui ne ressemble en rien aux animaux privés de raison, mais qui est l'image des perfections divines ; s'il a voulu imprimer cette vérité dans le cœur de tout barbare et des hommes du peuple, n'a-t-il pas élevé ses disciples de tous lieux à une sagesse bien plus sublime que celle des philosophes aux regards sourcilleux, qui ne peuvent mettre l'essence de l'âme au-dessus de la substance du moucheron, du ver ou de la mouche, et qui prétendent que le serpent, la vipère, l'ours, la panthère, le porc, ne diffèrent en rien de la nature de leur intelligence qui jouit de la plus haute sagesse ? Enfin quand il rappela sans cesse le tribunal de Dieu et le jugement futur, quand il décrivit les châtiments et les vengeances qui s'appesantiront pour toujours sur les impies, et la vie éternelle dont les justes doivent jouir dans le sein de Dieu, le royaume des cieux, et le bonheur qu'ils doivent partager avec le Père éternel, put-il tromper? ou plutôt par la vue des récompenses qui doivent couronner les justes, n'a-t-il pas porté les hommes à pratiquer la vertu et par respect des supplices réservés aux pervers, à fuir l'iniquité? Sa doctrine nous a fait connaître qu'au-dessous du Dieu suprême il est des puissances spirituelles, intelligentes et ornées de toutes les vertus qui glorifient le souverain du monde. Plusieurs sont envoyés par le Père auprès des hommes pour accomplir de salutaires desseins de la Providence, et nous savons les reconnaître et leur rendre les honneurs dus à leur dignité, tandis que nous n'adorons que Dieu seul. Nous tenons aussi de Jésus que les puissances infernales, les mauvais esprits et les chefs de leurs phalanges impures, ennemis déclarés des hommes, volent dans l'air qui nous entoure, et demeurent auprès des méchants , et nous avons appris à les fuir de toute notre force, quoiqu'ils s'attribuent le nom de Dieux et les honneurs divins ; et c'est surtout pour cette rivalité et cette guerre qu'elles ont avec Dieu qu'il faut fuir leurs suggestions, ainsi que nous l'avons prouvé au long dans la préparation évangélique. Tels sont les enseignements que comprennent les préceptes du Christ notre Sauveur, les pieuses leçons des anciens Hébreux, ces vrais amis de Dieu, et celles des prophètes. Si dans leur grandeur ils sont précieux, s'ils sont remplis de sagesse et de vertus, qui pourra raisonnablement taxer d'imposture celui qui les a fait goûter aux hommes ? Or, jusqu'ici parlant du Christ comme d'un homme ordinaire, nous avons montré combien ses préceptes étaient utiles et vénérables : voyons maintenant ce qu'il y eut de divin en lui. [3,4] CHAPITRE IV. Les œuvres divines du Christ. Examinons d'abord les miracles qu'il a répandus avec une sorte de prodigalité durant le cours de sa vie mortelle, lorsqu'il purifiait les lépreux par sa vertu divine, qu'il chassait d'un simple mot les démons des hommes qu'ils tourmentaient, et qu'il guérissait toutes sortes d'infirmités et de maladies. Un jour il dit à un paralytique : Levez-vous ; prenez votre lit et marchez : et le malade lui obéit (Matth., IX, 6). Il rendait la vue aux aveugles. Une femme hémorroïsse , affligée depuis de longues années par cette cruelle maladie, vit que la foule qui assiégeait le divin médecin ne lui permettait pas de se jeter à ses genoux pour obtenir sa délivrance. Elle songea à toucher le bord de sou manteau ; elle se glisse, elle saisit la frange, et tient avec elle la guérison de son mal. Elle devient saine aussitôt, recevant ainsi une grande marque du pouvoir divin de notre Sauveur. Un petit prince dont l'enfant était malade, se jette aux pieds de Jésus, et obtient son rétablissement. Un chef de la synagogue recouvre aussi sa fille, qui éjà était morte. Pourquoi taire ce mort de quatre jours qu'éveille la puissance de Jésus, cette mer qu'il affermit sous ses pas, tandis que ses disciples la traversaient sur leur barque ; cet ordre qu'il imposa aux flots soulevés et aux vents qui les agitaient, et le calme où rentrèrent les éléments furieux, comme subjugués par la voix de leur maître ? Avec cinq pains il rassasia un jour cinq mille hommes, sans parler de l'innombrable multitude des femmes et des enfants qui les accompagnaient, et les restes furent si considérables qu'ils remplirent douze corbeilles. Qui n'admirerait ce prodige et ne rechercherait pas la source de la puissance qui résidait dans le Christ ! Mais pour ne pas nous jeter en de longs discours, ne parlons que de sa mort si extraordinaire. Ce ne furent ni une maladie ni le supplice du pendu qui terminèrent ses jours, et même, ainsi qu'on le pratiquait pour ceux qui expiaient leurs crimes par le supplice de la croix, le fer ne brisa pas ses cuisses ; il n'éprouva point de violences de la part des bourreaux; mais quand de plein gré il eut livré son corps aux ennemis qui avaient tramé contre lui, il fut aussitôt élevé au-dessus de la terre. Alors de cet échafaud il jeta un grand cri et recommanda son âme à son Père, en disant : « Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. » Libre et sans contrainte, il abandonna lui-même son corps. Ce corps fut recueilli par ses disciples et déposé dans un sépulcre honorable, et trois jours après il le reprit comme il l'avait quitté. Il se montra alors à ses disciples avec ce corps, ce vêtement de chair, tel qu'il était lui-même avant son trépas. Après les avoir entretenus et être demeuré avec eux quelques jours, il retourna au ciel, s'ouvrant à leurs regards une route dans les airs. Après leur avoir confié les préceptes de la vie nouvelle, il les proclama les maîtres de la religion véritable pour toutes les nations. Telles sont les glorieuses merveilles de la vertu qui animait notre Sauveur; tel est le gage de sa divinité : nous admirons ces miracles dans un respectueux étonnement, et nous les recevons avec une foi solide et fortement établie. Cette foi s'est aussi affermie en notre âme par les autres actions qui nous ont manifesté la divinité du Sauveur, et par lesquelles Notre Seigneur rend sensibles encore aujourd'hui à ceux qu'il choisit quelques traits légers de sa puissance. Elle a encore subjugué notre coeur à l'aide de cette méthode invincible que nous avons coutume d'employer avec ceux qui rejettent ces miracles et qui prétendent que Notre-Seigneur n'a rien exécuté de semblable, ou que, s'il en a fait, c'est par la magie et en fascinant les spectateurs de ses prestiges. S'il faut ici leur répondre, nous ne craindrons pas de le faire ; comment pourrions-nous sans cela nous opposer à eux ? [3,5] CHAPITRE V. Contre ceux qui ne croient pas les merveilles racontées de Notre-Seigneur. Si l'on avance que notre Sauveur n'a rien fait des prodiges et des miracles que racontent ceux qui vécurent avec lui, voyons s'il est possible de croire des personnes qui ne pourront dire comment des disciples se rangèrent autour de lui, et comment le Christ devint docteur. Celui qui enseigne, enseigne les préceptes de quelque science ; et les disciples , entraînés par les charmes de cette doctrine, se livrent au maître pour y être initiés. Mais quelle raison alléguer de l'entraînement qui attacha les disciples à Jésus; quelle fut la cause qui les unit? Quelle science leur enseigna-t-il ? N'est-il pas clair que c'est celle qu'ils ont répandue dans le monde, la science d'une vie pleine de philosophie, qu'il leur décrivît lui-même en ces termes : Ne portez ni or ni argent dans vos ceintures, ni sac en votre route, et le reste ? II voulait qu'ils négligeassent les biens de ce monde, pour s'abandonner à la Providence qui règle tout sur la terre. Il Ies exhortait à s'élever au-dessus des préceptes que Moïse avait donnés aux Juifs. Si ce grand législateur défend de tuer, il s'adresse à un peuple entraîné au meurtre ; s'il les détourne de l'adultère, il parle à des hommes au cœur lascif et dissolu ; il leur recommande de ne pas voler, comme à des esclaves. Mais les disciples du nouveau législateur doivent penser que ces lois ne les concernent pas ; ils estimeront par-dessus tout la parfaite guérison de l'âme, et couperont avec constance au fond de leur cœur, comme à la racine même, les rejetons de la concupiscence. Ils commanderont à leur colère et à toute affection mauvaise, ou plutôt dans la parfaite tranquillité de la partie supérieure de leur âme, ils retiendront leur ardeur el ne regarderont pas une femme avec un mauvais désir; ils ne voleront pas ; au contraire, ils partageront leurs biens avec les indigents. Ils ne seront pas joyeux de ne pas faire injure, mais d'oublier celle qui les a outragés. Pourquoi énumérer ici tout ce que leur maître a enseigné, et ce qu'ils ont appris? Ce maître les exhorte entre autres vertus à aimer tellement la vérité, qu'ils n'aient jamais recours au serment , bien moins encore au parjure; à régler tellement toute leur conduite, qu'elle semble plus digne de foi qu'un serment, et à ne répondre jamais que oui ou non, et n'usant du langage que suivant la vérité. Je demande maintenant s'il est présumable que les disciples d'une si belle doctrine, qui eux-mêmes l'ont enseignée, aient pu jamais inventer ce qu'ils ont attribué à leur maître. Est-il raisonnable de supposer un si parfait accord d'imposture entre les douze disciples de choix et les soixante-et-dix autres que Jésus envoya deux à deux devant lui dans les lieux et les contrées qu'il devait parcourir? Pourquoi encore n'ajouter pas foi à cette multitude d'hommes qui ont embrassé cette religion austère, et abandonné leurs biens et ce qu'ils avaient de plus cher, leurs femmes, leurs enfants, leurs familles, pour pratiquer la pauvreté, et qui se sont réunis pour rendre d'une commune voix, en face de l'univers , le même témoignage sur leur maître ? Telle est la première raison que nous opposons aux adversaires de notre maître, voyons maintenant ce qu'ils y répondent, et d'abord convenons ensemble que Jésus fut maître, que les Juifs qui le suivirent toujours furent ses disciples, supposons ensuite que, loin d'enseigner la doctrine que nous venons d'exposer, ce maître n'ait appris qu'à violer les lois, à outrager la religion, la justice, à offenser et à dépouiller les faibles, et des crimes plus grands encore, et qu'il se soit appliqué à cacher cette morale, et à couvrir ses moeurs du voile d'un enseignement austère et d'une religion nouvelle. Admettons enfin que ses disciples l'aient imité eux-mêmes, et se soient laissé entraîner à de plus grands forfaits par un effet de leur pente naturelle au mal; qu'ils aient élevé bien haut leur maître, sans épargner l'imposture, et qu'ils aient forgé tous les prodiges et les merveilles qu'ils lui supposent, afin qu'on les admirât et qu'on célébrât le bonheur qu'ils ont eu d'être choisis pour ses disciples, voyons maintenant si. avec de semblables coopérateurs, une telle entreprise eût pu subsister. On dit que les méchants ne peuvent aimer ni les méchants, ni même les bons. D'où proviendrait alors dans une si grande multitude de pervers une telle union ? d'où proviendrait une si grande conformité dans leurs récits, cette harmonie que la mort ne peut troubler? qui jamais s'attacherait d'abord à un imposteur débitant une doctrine semblable? Dira-t-on que les disciples ne furent pas moins imposteurs que leur maître? mais ils n'ont donc pas connu la fin de sa vie et sa mort ? Pourquoi donc après un événement si honteux se préparèrent-ils à une fin semblable, en publiant que celui qui venait de mourir était Dieu? mais qui jamais, sans espérance aucune, se déciderait à un supplice si affreux ? Si, comme on peut l'avancer, ses enchantements; il fut sorti du milieu des hommes, ils aimèrent mieux mourir que de renoncer à leur témoignage. Si donc ils n'avaient reconnu rien de vertueux dans la vie de leur maître, dans ses enseignements et dans sa doctrine, s'ils n'avaient rien vu de louable en ses œuvres, s'ils n'avaient retiré de son commerce qu'une profonde perversité et le talent de séduire les hommes, comment étaient-ils joyeux de mourir en affirmant de lui des actions extraordinaires et respectables, tandis que chacun d'eux pouvait vivre sans peine, couler dans la paix et auprès de ses foyers des jours heureux partagés entre ses amis? Comment ces hommes, s'ils eussent aimé le mensonge et l'imposture , eussent-ils souffert la mort pour celui qu'ils auraient su, mieux que qui que ce soit, leur avoir enseigné toute sorte de noirceurs, loin de leur avoir été utile? Pour la justice, un homme sage et vertueux s'exposera raisonnablement à une mort que doit suivre la gloire; mais un voluptueux, un débauché, un homme dont le coeur est perverti, qui n'aime que la vie de ce monde et qui poursuit les délices qu'elle offre, ne préférera jamais la mort à la vie, même pour ses proches et ses amis les plus chers, bien moins encore pour un homme qui serait un scélérat. Si ce juif fut un imposteur et un séducteur, comment donc se peut-il faire que les disciples, qui ne se méprenaient pas sur son compte, el dont les coeurs avaient souillés de l'iniquité la plus honteuse, se soient exposés, pour lui rendre témoignage, à toute sorte de violences de la part de leurs concitoyens , et aux plus cruelles tortures? Non ! telle n'est pas la conduite des méchants ! Et encore si les disciples furent des imposteurs et des fourbes, comment ces gens sans instruction, de la lie du peuple, barbares et qui ne connaissaient que le langage de la Syrie, ont-ils parcouru la terre? Dans quelle pensée ont-ils imaginé cette vaste entreprise? Quelle fut la puissance qui les accompagna dans l'exécution ? Que des gens grossiers soient séduits, entraînent quelques concitoyens et se mettent en mouvement pour leur entreprise, je le conçois ; mais faire retentir toute la terre du nom de Jésus, répandre dans les villes et les bourgades le bruit de ses miracles, envahir l'empire romain et la ville maîtresse de l'univers, pénétrer en Perse, en Arménie, en Thrace, s'avancer jusqu'aux extrémités de la terre, aux frontières de l'Inde, franchir l'Océan pour arriver aux limites de la Bretagne, je n'y vois rien de l'homme, rien de facile et de vulgaire, rien surtout que puisse réaliser l'imposture et la fourberie. Or, comment ces victimes des fascinations d'un criminel imposteur ont-elles établi un si grand accord entre elles ? Tous, en effet, attestaient unanimement de sa puissance, el les guérisons des lépreux, et les délivrances des possédés, et les résurrections de morts, et la vue accordée à des aveugles, et la santé mille fois rendue à des malades et sa résurrection, enfin, dont ils furent les premiers témoins. Comment purent-ils protester tous d'une voix de la vérité de choses extraordinaires et inouïes, et confirmer leur accord merveilleux par leur mort, s'ils ne se sont réunis pour convenir entre eux de leurs récits, et se jurer mutuellement d'inventer des événements qui n'existèrent pas ? et sans doute dans leurs conventions ils se seront servis de paroles semblables? Complice de nos crimes, l'imposteur qui, hier encore, fut notre maître et a souffert sous nos yeux le dernier des supplices, tous nous savons parfaitement quel il fut, nous qui avons partagé ses secrets. Il parut quelquefois vénérable; il voulait être supérieur au vulgaire. Mais en lui rien ne fut grand ni digne du retour â la vie, à moins qu'on ne glorifie ses fraudes et ses impostures , les leçons de fourberies et d'orgueil pour les prestiges qu'il nous donna. Jurons donc ensemble et promettons-nous de répandre la même erreur parmi les hommes ; affirmons que nous sommes témoins qu'il a rendu la vue aux aveugles, ce que nul d'entre nous n'a jamais vu ; qu'il a fait entendre les sourds, ce que nul d'entre nous n'a jamais entendu ; qu'il a guéri des lépreux et ressuscité des morts ; enfin, soutenons comme véritable ce que nous ne lui avons jamais vu faire, ce qu'il n'a jamais enseigné. Toutefois, comme le supplice qui a terminé ses jours est trop connu pour qu'on puisse le déguiser, délivrons-nous de cet embarras, mais en assurant sans rougir qu'après être ressuscité il a conversé avec nous, et s'est assis à la même table et au même foyer. Persévérons dans cette impudence et cette constance dans l'imposture, et que cette folie persévère en nous jusqu'à la mort. Qu'y a-t-il, en effet, d'insensé à mourir pour soutenir le mensonge? qui peut encore détourner de l'exposer sans motif aux fouets et aux tourments ? Supportons, s'il le faut, pour l'imposture , les feux, les outrages et les injures ; que ce soit l'objet continuel de nos pensées. Mentons tous de concert sans aucun avantage ni pour nous ni pour ceux que nous aurons séduits, ni même pour celui dont nous proclamons la fausse apothéose. Que notre fraude n'obtienne pas foi seulement en notre patrie; répandons-nous sur la terre, et accréditons-la parmi tous les hommes. Aux antiques idées de la divinité qui gouvernaient les peuples substituons-en de nouvelles. Ordonnons d'abord aux Romains de ne plus honorer ceux que leurs ancêtres vénérèrent comme des dieux. Pénétrons dans la Grèce, et luttons avec ses sages ; passons en Égypte, et combattons ses dieux, non plus avec les miracles de Moïse, mais par la mort de notre maître, en la montrant comme un prodige redoutable. Ces dogmes, enfin, que toutes les nations ont reçus de ce peuple religieux, détruisons-les, non par la force des discours et de l'éloquence, mais par la puissance d'un maître élevé à une croix. Allons aux barbares, et renversons leur ancien culte. Que nul n'abandonne l'entreprise, car le prix de notre audace ne sera pas méprisable. Au lieu des récompenses vulgaires, les vengeances des lois de toutes les nations nous atteindront avec justice , les fers et les tortures et la prison, le feu et le glaive, la croix et les bêtes du cirque, voilà ce qui doit aiguiser notre courage, et les peines qu'il faut affronter à l'exemple de notre maître. En effet, quoi de plus beau que de se déclarer sans sujet l'ennemi des dieux et des hommes , que de se priver de tout plaisir, de renoncer à ce qu'on a de plus cher, de refuser les biens de ce monde, de se dépouiller de toute espérance honnête, et de se tromper grossièrement soi-même et les autres hommes, c'est là ce que nous nous proposons, ainsi que de nous élever contre les nations, et de déclarer la guerre aux dieux honorés dès l'origine du monde. C'est pour cela que nous proclamons comme Dieu et fils de Dieu, notre maître, crucifié à nos yeux, et que nous sommes prêts à mourir pour cet homme qui ne nous a rien appris d'utile. C'est parce qu'il ne nous a rien appris d'avantageux qu'il faut l'honorer, plus entreprendre tout pour illustrer son nom, et s'exposer pour une fausseté à toute espèce d'injures et de supplices, à la mort même la plus cruelle. Peut-être l'erreur est-elle vérité, et ce qui est contraire au mensonge est-il une imposture. Disons donc que Jésus a ressuscité les morts, qu'il a guéri les lépreux, chassé les démons, et fait bien des merveilles, quoique nous n'en sachions rien, que nous ayons tout imaginé, et trompons ceux que nous pourrons. Si personne ne se laisse séduire, alors nous aurons la digne récompense de nos impostures. Vous semble-t-il croyable et vrai qu'après une convention semblable, ces gens grossiers et de basse extraction aient envahi l'empire romain, que la nature humaine ait dépouillé l'amour naturel quelle a de la vie pour se résigner sans sujet a une mort volontaire? Pourriez-vous présumer que les disciples de notre Sauveur, bien qu'ils n'aient rien vu d'extraordinaire dans les actions de Jésus, en soient venus cependant à ce point d'aveuglement d'inventer de concert tout ce qu'ils en ont publié, et d'être prêts à mourir pour confirmer toutes les prétendues sentences qu'ils lui ont prêtées. Que dire ? Qu'ils ignoraient les supplices ou les exposerait leur témoignage rendu au nom de Jésus, et que c'est ainsi qu'ils allaient le confesser généreusement? Mais il n'est pas présumable qu'ils ignorassent tous les maux qui les attendaient ces hommes qui allaient renverser les dieux des Romains, des Grecs et des Barbares. Leur histoire ne dit-elle pas clairement qu'après la mort de leur maître, quelques-uns de leurs ennemis se saisirent d'eux, les jetèrent en prison, et ne leur en ouvrirent les portes qu'en leur défendant de parler au nom de Jésus? Lorsqu'ils apprirent que, malgré leur défense, ces hommes intrépides proclamaient devant tout le peuple la divinité de Jésus, ils les frappèrent de verges pour la doctrine qu'ils prêchaient. C'est alors que Pierre s'écria qu'il valait mieux obéir à Dieu qu'aux hommes (Act., V,29). La générosité qu'Etienne déploya devant la multitude, le fit lapider ; et alors il s'éleva une furieuse persécution contre ceux qui prêchaient le nom de Jésus. Plus tard, Hérode, roi de Judée, fit décapiter Jacques, frère de Jean, jeta Pierre dans les chaînes, ainsi que le racontent les Actes des apôtres. Et néanmoins, tous les disciples persévérèrent dans la foi de Jésus, se répandirent encore davantage en annonçant le Christ et les œuvres de sa puissance. L'un d'entre eux, Jacques, frère du Seigneur, que le peuple de Jérusalem surnomma le Juste pour sa vertu, interrogé par les princes des prêtres et les docteurs de la loi sur ce qu'il pensait du Christ, répondit qu'il le tenait pour le fils de Dieu, et fut aussitôt lapidé. A Rome, Pierre est crucifié, la tête en bas ; Paul est décapité, et Jean est envoyé en exil à Pathmos. Et cependant, aucun des disciples n'abandonne l'entreprise commune; tous appellent de leurs vœux une semblable récompense de leur piété, et ils publient avec plus de courage encore le nom de Jésus et ses merveilles. Si donc cette doctrine n'était qu'un tissu d'impostures, n'est-il pas admirable qu'une si grande multitude ait gardé un tel concert dans le mensonge jusqu'à la mort, et que nul d'entre eux, pour éviter des supplices semblables à ceux de ses collègues, ne soit sorti de la société, ne se soit levé contre les autres disciples en révélant leurs impostures ? Bien plus, celui qui le trahit durant sa vie ne se fit-il pas aussitôt justice de ses propres mains ? Ne serait-ce pas le comble de la témérité pour des imposteurs de la lie du peuple, qui ne parlait et ne pouvaient comprendre que la langue de leur patrie, de former le dessein de parcourir l'univers ? et la réalisation de ce dessein ne serait-elle pas le plus grand des miracles ? Songez encore que jamais ils n'ont varié sur les actions de Jésus. Or, si dans les questions litigieuses, si devant les grands tribunaux ou dans les discussions entre les particuliers, le concert des témoins détruit tout doute (Deut., XIX, 15), car toute circonstance est garantie par le concert de deux ou trois témoins, comment mettre en question la vérité de ces mêmes actions qu'attestent douze apôtres, soixante et dix disciples choisis, sans compter une innombrable multitude d'hommes, qui tous gardent un concert admirable, qui protestent de la vérité des prodiges de Jésus, non pas sans essuyer d'assauts, mais au milieu des tourments, des outrages, et jusque dans les bras de la mort? Comment en douter lorsque Dieu lui-même leur rend témoignage en prolongeant la force de leur témoignage jusqu'à ce jour et jusqu'au dernier moment du dernier des siècles. En voilà assez sur une supposition aussi absurde. Nous n'avions admis, en effet, que pour éclaircir la question, cette étrange hypothèse contraire à l'Évangile, que Jésus, loin d'avoir été un docteur de sainteté, n'enseigna que l'injustice, l'orgueil et la perversité la plus consommée, et que ses disciples, formés à une telle école, furent les plus ambitieux et les plus corrompus des hommes : hypothèse aussi insensée qu'il serait insensé de calomnier Moïse, en disant que ce n'est que par feinte et par dérision que ce législateur a défendu le meurtre, l'adultère, le vol et le parjure ; qu'il voulait que ceux qui reconnaîtraient son autorité commissent et l'homicide et l'adultère et les autres crimes qu'il a défendus, pourvu qu'ils conservassent les dehors, et sussent s'entourer de l'extérieur de la sainteté. Ainsi encore, l'on peut vilipender les philosophes de la Grèce, leur tempérance et leurs préceptes, en disant qu'ils ont vécu contrairement à leurs écrits, et que, cachant ainsi leurs débordements, ils ont feint qu'ils aimaient la sagesse. Ainsi, pour tout dire enfin, l'on peut taxer d'imposture les histoires des anciens, nier ce qu'elles contiennent, et croire le contraire des faits quelles rapportent. Or. si un homme sage ne balancerait pas à ranger un esprit ainsi disposé au nombre des insensés, pourquoi ne pas traiter de la sorte celui qui, par rapport aux paroles et aux préceptes de notre Sauveur et de ses disciples violenterait la vérité et tenterait de lui supposer des idées opposées à son enseignement. Cependant, dans la force de notre cause, admettons encore cette supposition vraiment absurde, afin de montrer le peu de solidité des rêveries que l'on nous veut opposer. Or, après la discussion précédente, nous pouvons recourir ici aux livres sacrés pour y voir la vie des disciples dé Jésus. Mais, sur leur exposé, quel homme sage pourra refuser croyance à ces hommes qui, grossiers et sans littérature, ont embrassé avec ardeur les dogmes de la philosophie la plus sainte et la plus sublime, et se sont livrés aux pratiques une vie de tempérance et de sueurs, qu'ils ont rendue plus sainte encore par les jeunes, l'abstinence du vin et de la chair, et par la mortification de leur corps, unie à de ferventes prières et à des exercices précédés depuis longtemps déjà de la chasteté et de là pureté du corps et de l'àme? Qui n'admirerait pas cette sublimité de sagesse qui les détache de leurs alliances légitimes, qui les élève au-dessus des plaisirs naturels et du désir de perpétuer leur nom ; car au lieu d'une race mortelle; ils ambitionnaient une immortelle progéniture. Qui n'admirerait leur détachement, ce détachement dont nous pouvons comprendre retendue, lorsque nous les voyons se resserrer auprès de leur maître qui les détournait des richesses, et leur défendait d'étendre jusqu'à une seconde tunique ce qui était à leur usage. Quel homme ne déclinerait un précepte si austère? Et cependant, il est constant qu'ils l'ont accompli, en jour un boiteux tendit la main à Pierre et à ceux qui raccompagnaient. C'était un de ceux qui mendiaient le soutien de leur misérable vie. Pierre, n'ayant rien à donner, avoue qu'il ne possède ni or, ni argent. « Je n'ai ni or, ni argent, dit-il, mais ce que j'ai, je vous le donne au nom de Jésus-Christ : « Levez-vous et marchez » (Act., III, 6). Lorsqu'ils apprenaient les maux qui les menaçaient, de la bouche de leur maître qui les leur annonçait ainsi : Dans le monde vous éprouverez des tribulations, et vous pleurerez, et vous gémirez ; le monde se réjouira (Jean. XVI, 21), ne témoignèrent-ils pas la fermeté et l'élévation de leur courage. Ils ne fuirent pas ces luttes de l'âme, et ne cherchèrent pas les plaisirs de la terre, tandis que pour se les attacher, loin de les flatter et de faire ostentation de sa puissance, leur maître leur annonça sans déguisement les maux qui les menaçaient, inculquant ainsi sa doctrine dans leurs cœurs. Tel était ce qui devait suivre leur témoignage au nom de Jésus, ces citations aux tribunaux des princes et devant les trônes des rois, et ces innombrables supplices dont ils éprouvèrent la violence sans crime ni raison plausible de leur côté, mais seulement pour son nom. En voyant l'accomplissement de cette prophétie se prolonger jusou'à ce jour, ne devons-nous pas être saisis d'admiration? Le nom de Jésus irrite encore l'esprit des princes; et sans qu'ils aient à lui reprocher aucun crime, ils châtient le chrétien qui confesse ce nom comme le dernier des scélérats. Si, au contraire, quelqu'un vient à renier cette croyance et à protester qu'il n'était pas des disciples du Christ, aussitôt on le renvoie libre, de quelques crimes qu'il se soit souillé. Pourquoi chercher à réunir d'autres preuves sur les mœurs des apôtres de notre Sauveur, tandis que celles-là peuvent suffire pour établir notre proposition? Après y avoir ajouté ce qui suit, je passerai à un autre genre de calomniateurs de notre foi. Matthieu, l'apôtre, n'avait pas d'abord suivi un genre de vie grave et honnête: car il était un de ceux qui perçoivent les impôts et cherchent à amasser de l'argent. Nul des autres évangélistes ne nous l'a fait connaître, ni Jean, son frère d'apostolat, ni Luc, ni Marc; Matthieu seul signala sa première vie et fut ainsi son propre accusateur. Voici en quels termes il parle sans déguisement de loi et de son genre de vie, dans l'Evangile qu'il a écrit : « Jésus, en s'éloignant, vit assis au bureau des impôts un homme qui se nommait Matthieu, et il lui dit : Suivez-moi. Le receveur se leva et le suivit. Comme Jésus était assis dans la maison, voici que plusieurs publicains et des pécheurs s'assirent auprès de lui et de ses disciples » {Matt., IX, 9). Plus loin, Matthieu énumère les disciples, et ajoute à son nom le titre de publicain. « Le premier, dit-il, fut Simon, surnommé Pierre, et André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère; Philippe et Barthélemi; Thomas, et Matthieu le publicain » (Matth., X, 2). Ainsi, par un trait de modestie, il révèle l'ignominie de sa première profession ; il se nomme le publicain, sans vouloir cacher ce qu'il fut, et ne se place qu'après son compagnon. Tandis, en effet, que Matthieu et Thomas sont joints l'un à l'autre, comme le sont Pierre et André, Jacques et Jean, Philippe et Barthélemi, l'humble écrivain met avant lui son frère d'apostolat, qu'il vénère comme bien supérieur, quoique les autres évangélisles fassent le contraire ; car Luc, en parlant de Matthieu, ne le nomme pas publicain et ne le place pas après Thomas ; mais comme il le sait supérieur, il le nomme le premier et Thomas le second. C'est encore ce que fait Marc. Voici comme Luc s'exprime : « Lorsque le jour parut, Jésus appela ses disciples. Il en choisit parmi eux douze qu'il nomma apôtres, savoir : Simon qu'il surnomma Pierre, et André son frère ; Jacques et Jean, Philippe et Barthélemi, Matthieu et Thomas. » Luc parle ainsi de Matthieu, suivant le témoignage que lui ont rendu les témoins et les ministres de la parole sainte. L'humilité de Jean est semblable à celle de Matthieu. Sans insérer son nom en quelqu'une de ses épîtres, il ne s'appelle que le vieillard, et jamais apôtre ni évangélîsle. Quand il parle dans l'Evangile de celui qu aima Jésus, jamais il ne trahit son nom. Le profond respect de Pierre pour la parole de Dieu ne lui permit pas de l'écrire. Marc, son ami et son disciple, écrivit d'après les paroles de Pierre les actions de Jésus. Arrivé au moment où Jésus demande à ses disciples ce que les hommes pensent de lui, après que ceux-ci ont répondu ce qu'ils croyaient et que Pierre a confessé qu'il le tenait pour le Christ, cet homme vénérable n'ajoute pas que Jésus-Christ répondit à ce témoignage, mais il dit de suite qu'il leur défendit de le révéler à qui que ce soit. Marc, en effet, ne se trouva pas à cet entretien de Jésus, et Pierre ne jugea pas à propos de lui exposer le témoignage que Jésus lui rendît pour sa foi. Mais Matthieu nous le révèle ainsi : « Et vous , dit Jésus, qui dites-vous que je suis? Simon Pierre répondit : Vous êtes le Christ, le fils du Dieu vivant ; et Jésus lui répondit : Vous êtes heureux, Simon Barjonas; car ce n'est ni la chair ni le sang qui vous l'a révélé, mais mon Père qui est au ciel. Et moi, je vous dis : Vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. Et je vous donnerai les clés du royaume des cieux ; ce que vous lierez sur la terre sera lié dans la ciel, et ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel » (Math., XVI, 18} Marc ne rapporte aucune des paroles de Jésus à Pierre, parce que Pierre, comme il semble , ne les lui a pas fait connaître. Voici ce qu'il dit seulement : « A la demande de Jésus, Simon répondit : Vous êtes le Christ. Et Jésus leur défendit de le révéler à personne. » (Marc, VIII, 29) Pierre jugea qu'il devait taire ce témoignage. C'est pourquoi Marc l'a passé sous silence, tandis qu'il publie bien haut dans le monde son reniement, parce que l'apôtre le pleura avec amertume. Voici comme il en parle : « Pierre était dans la cour ; il vint à lui une servante du grand prêtre, qui l'ayant regardé, dit : Et vous, vous étiez aussi avec Jésus le Nazaréen. Il le nia et dit : Je ne sais ce que vous dites. Il sortit dans la cour, et le coq chanta. La servante le vit de nouveau, et se mit à dire aux assistants : Cet homme était parmi ces gens-là. Pierre le nia encore. Quelques moments après , ceux qui étaietit là dirent à Pierre ; En vérité, vous étiez avec eux, car vous êtes galiléen. Pierre commença à jurer et à protester qu'il ne connaissait point cet homme. Et aussitôt pour la seconde fois le coq chanta » (Marc, XIV. 72). Marc dit la chute de Pierre, et cet apôtre l'atteste : tout ce qu'a écrit cet évangéliste n'est en effet que l'exposé des récits de Pierre. Et ces hommes qui ont tu ce qui pouvait inspirer une bonne opinion d'eux-mêmes, qui, dans leurs écrits, ont divulgué leurs fautes pour toujours, et fait connaître des actions coupables que personne n'eût sues, si on ne l'eût appris de leur témoignage, les accusera-t-on d'amour-propre et d'imposture? Ne faudra-t-il pas plutôt reconnaître dans leurs écrits les caractères les plus évidents de l'amour de la vérité? Ceux au contraire qui les accusent d'imposture et de mensonges, qui les chargent de blasphèmes comme des fourbes, ne sont-ils pas plutôt dignes de dérision? Ne semblent-ils pas coupables d'envie et de calomnie et ennemis de la vérité, ces mêmes hommes qui changent en imposteurs et en subtils sophistes, comme ayant imaginé des aventures merveilleuses et prêté gratuitement à leur maître ce qu'il n'avait pas fait, des gens impies qui nous ont révélé dans leurs écrits leur âme sincère et bien éloignée de la subtilité. Il me semble qu'on doit dire : Il faut croira les disciples de Jésus en tout ou non; mais , si l'on ne peut ajouter foi à ces hommes seulement, on ne le peut pas davantage aux écrivains qui, chez les Grecs ou chez les Barbares, ont fait les vies, les discours ou les mémoires de ceux qui, à diverses époques, ont été célèbres par leurs grandes actions. Si l'on ne refuse croyance qu'aux apôtres, n'est-ce pas une partialité manifeste? S'ils ont menti sur le compte de leur maître ; si, dans leurs écrits, ils ont supposé mille faits sans fondement, n'ont-ils pas aussi enseigné ses souffrances, je veux dire la trahison d'un disciple , les calomnies de ses accusateurs, les railleries et la dérision des juges, les injures et les soufflets qui meurtrirent son visage, les coups de verges qui déchirèrent son corps, la couronne d'épines qui ceignit sa tête d'une ignominie nouvelle, cette robe de pourpre , dont on fit sa chlamyde, cette croix enfin qu'il porta comme un trophée, à laquelle il fut attaché, et ses mains et ses pieds cloués ; le vinaigre qui l'abreuva, le roseau qui frappa sa tête, et les sarcasmes des spectateurs? Mais il faut croire que ces souffrances et les autres de la vie de Jésus sont l'œuvre de l'imposture de ses disciples, ou il faut dire qu'on ne leur accordera de croyance que pour ces tristes circonstances, tandis que pour celles qui relèveraient la gloire et la majesté du maître, on rejettera leur témoignage; mais comment autoriser cette diversité? vouloir que sur le même sujet ils aient dit le vrai et le faux, c'est supposer qu'ils sont tombés en une étrange contradiction ; mais alors comment les combattre? S'ils eussent voulu feindre et embellir le nom de leur maître d'imaginations mensongères, ils n'eussent pas écrit son supplice; ils n'eussent pas révélé aux hommes qu'il fut rempli d'affliction et de tristesse , que son âme fut troublée, et qu'eux-mêmes l'abandonnèrent et s'enfuirent ; que Pierre, son disciple et l'apôtre privilégié, sans avoir à craindre les supplices et les menaces du magistrat, l'a renié trois fois. Si d'autres écrivains eussent raconté de semblables faits, sans doute des disciples qui cherchaient à relever par leurs écrits la gloire de leur maître, eussent dû nier leurs récits. Si donc ils sont véridiques en l'exposé de ces affreuses circonstances, ils le sont bien davantage en celui des traits qui l'honorent; car s'ils avaient formé une fois le dessein de tromper les hommes, ils pouvaient les omettre ou les nier, afin que la postérité n'eût rien à leur reprocher. Pourquoi donc ne pas feindre ? Pourquoi ne pas dire que Judas, qui le trahit par un baiser, aussitôt qu'il eut donné le gage de sa trahison, fut changé en pierre? que celui qui osa le saisir vit aussitôt sa main se dessécher? que Caïphe le grand prêtre, qui écouta favorablement ses zélateurs, fut frappé de cécité ? Pourquoi ne pas s'entendre pour proclamer qu'il ne lui est rien arrivé de sinistre, qu'il disparut de la présence des juges en se riant de leur faiblesse? que, jouets d'une illusion par la permission divine, ceux qui conspirèrent contre sa vie crurent agir contre un homme qui n'était plus en leur puissance? Quoi donc! plutôt que de lui prêter les miracles qu'on en rapporte, n'était-il pas plus beau de raconter qu'il ne fut soumis ni aux malheurs qui éprouvent les hommes, ni à la mort, et qu'après avoir opéré ces prodiges par la puissance divine, il monta au ciel entouré d'une gloire toute céleste? De tels récits ne remporteraient-ils pas sur les merveilles précédentes? Comment, en effet, leur refuser alors son assentiment après le leur avoir déjà accordé sur d'autres merveilles? Comment donc, après avoir déclaré sans altération la vérité de la tristesse et de l'agonie de Jésus, ne seront-ils pas à l'abri de tout soupçon sur les traits de puissance et de sainteté qu'ils en rapportent? Ainsi, le témoignage que les apôtres ont rendu du Sauveur est admissible. Je pense, cependant, qu'il ne sera pas inutile de recourir au témoignage du juif Josèphe, qui, au XVIIIe livre des Antiquités judaïques , dans l'histoire des temps de Pilate, parle ainsi de Jésus : Josèphe sur le Christ. « Alors vivait Jésus, homme sage, s'il est permis de le nommer homme ; car il opérait des merveilles et révélait la vérité à ceux qui l'aimaient. Il attira à lui un grand nombre de sectateurs du judaïsme et de la religion grecque, c'était le Christ. Lorsque, sur les accusations des princes de notre nation, il eut été crucifié par Pilate, ses disciples ne lui en furent pas moins attachés; car il leur apparut trois jours après, suivant les paroles des divines prophéties, qui prédirent plusieurs autres circonstances de sa venue. La société chrétienne fondée alors s'est soutenue jusqu'à ce jour. » Or, si, d'après les paroles de l'historien Juif, il s'attacha les douze apôtres et les soixante et dix disciples, et s'attira un grand nombre des sectateurs du judaïsme et de la religion grecque, assurément il y avait en lui quelque chose de supérieur à ce qui anime les autres hommes. Comment, en effet, eût il pu gagner les partisans de ces croyances sans leur offrir le gage d'actions merveilleuses et d'une doctrine extraordinaire? Les Actes des apôtres attestent qu'une grande multitude de Juifs crurent que Jésus était le Christ de Dieu qu'annoncèrent les prophètes. L'histoire nous apprend encore qu'à Jérusalem était une Église du Christ, très considérable, composée de Juifs, et qui dura jusqu'au siège d'Adrien. Les premiers évêques qui se succédèrent en cette église furent juifs, et leurs noms sont conservés encore par les habitants du pays. Ainsi se trouve anéanti tout ce que l'on élevait contre les apôtres, puisque, par leur témoignage ou sans ce secours , il est reconnu que Jésus-Christ de Dieu s'est attaché par ses oeuvres merveilleuses une multitude de Grecs et de Juifs. Après avoir ainsi répondu à la première classe d'incrédules, tournons-nous vers la seconde, vers ceux qui reconnaissent les merveilles de Jésus, mais qui prétendent que c'est par ses prestiges qu'il a ravi l'admiration de ceux qui l'entouraient, comme le ferait un enchanteur, un magicien. [3,6] CHAPITRE VI. Contre ceux qui croient que le Christ de Dieu fut un magicien. Nous demanderons d'abord à ces hommes ce qu'ils répondraient à ce que nous avons exposé précédemment, ét s'il est possible qu'un homme qui a formé à une vie grave et sainte, qui a répandu une doctrine véritable et pure, comme nous l'avons établi, ait pu être un magicien? Et s'il fut un magicien et un enchanteur, un trompeur ou un charlatan , comment put-il être pour les nations l'auteur d'une doctrine semblable à celle que nous entendons aujourd'hui ? Qui oserait jamais concilier de la sorte des choses si inconciliables ? Le charlatan, toujours aux moeurs corrompues et viles, forme des entreprises déshonnétes et injustes, ne cherche qu'un lucre honteux et sordide. Notre Sauveur et Seigneur Jésus, le Christ de Dieu, s'est-il donc jamais souillé de ces turpitudes? mais pourquoi? comment l'aurail-il fait, celui qui disait à ses disciples, comme ils nous l'apprennent eux-mêmes :« Ne possédez ni or ni argent en vos bourses, ni besaces pour la route, ni souliers.» Comment ces disciples se fussent-ils laissé gagner et eussent-ils jugé à propos de rédiger ses leçons par écrit, s'ils eussent vu leur maître entassant des richesses et détruisant sa doctrine par ses actions ? Ne l'eussent-ils pas abandonné en se riant d'un docteur si étrange et en méprisant ses propos, s'ils eussent vu ce législateur d'une doctrine vénérable ne pas suivre ses propres maximes en sa conduite. Un imposteur, un fourbe s'entoure de gens perdus et souillés de crimes , afin de jouir de plaisirs criminels et affreux, d'entraîner par ses maléfices quelque femme légère pour en faire sa victime ; mais qui pourra jamais dire la pureté de notre Sauveur et Seigneur, qui, au témoignage de ses disciples, ne voulait pas même que l'on regardât une femme avec un mauvais désir. Il a été dit aux anciens : Vous ne commettrez pas d'adultère; et moi je vous dis que quiconque regarde une femme avec un mauvais désir, a déjà commis un adultère en son cœur (Matth., V,27). Lorsque ses disciples le virent tenir avec la Samaritaine un entretien que nécessitait le salut et l'utilité de plusieurs, ils furent surpris qu'il causât avec une femme, étonnés de cette action étrange qu'ils ne lui avaient pas vu faire précédemment. Les discours du Sauveur portaient toujours à la gravité et à l'austérité des mœurs. C'était encore une grande preuve de sa chasteté, ce soin avec lequel il exhortait à purifier le fond du cœur des affections déréglées. Il y a, disait-il à ceux qui l'entouraient, des eunuques qui sont nés tels ; il y a des eunuques qui le sont devenus par la main des hommes, et il y a des eunuques qui le sont devenus volontairement pour le royaume des cieux (Matth., XIX 12). Le fourbe, le séducteur du peuple s'agite ; il s'efforce par ses jactances et ses rêveries de s'élever au-dessus de la multitude et des montagnes et à fuir le séjour si dangereux des villes. Si donc jamais il ne parut rechercher en sa prédication ni la gloire, ni les richesses, ni les plaisirs, comment supposer qu'il fut un imposteur et un fourbe. Revenons-y cependant encore. L'imposteur qui a communiqué sa funeste science aux hommes, qu'en fait-il? Des imposteurs assurément, des hommes pervers, des charlatans semblables en tout à leur maître. Or, a-t-on surpris la société chrétienne fondée par la doctrine de Jésus, s'adonnant à la magie ou à l'imposture? On ne saurait le dire; mais tout le monde peut voir ses disciples rechercher la sagesse, ainsi que nous l'avons montré. Ce!ui donc qui établit parmi les hommes un genre de vie si austère et si vénérable et une religion si relevée, est sans doute le premier des philosophes et le docteur des vrais adorateurs de la Divinité; car tout maître est bien supérieur à ceux qu'il enseigne. Loin de passer pour un fourbe et un imposteur, notre Sauveur et Seigneur doit donc être honoré comme animé de la sagesse et de la religion véritable. S'il s'est toujours montré tel, comment a-t-il accompli ses miracles, sinon par la puissance divine qui résidait secrètement en lui, et par sa religion si pure pour le Dieu de l'univers? Il l'honora comme son père, ainsi que le font sentir les discours qu il en tint. Bien loin donc que l'on puisse laisser planer des soupçons odieux et sinistres sur ses disciples et sur leurs successeurs dans la religion , jamais ils n'ont permis aux malades d'user de quelqu'un de ces moyens que plusieurs multiplient, tels que les signes sur le papier, les talismans ; de récourir à certains enchanteurs, aux propriétés de certaines plantes ou racines, ni aux autres moyens de se délivrer de leurs maux.Tous ces moyens sont rejetés par la doctrine du christianisme, et jamais l'on ne pourra voir un chrétien se servir d'amulettes, de formules magiques, de caractères mystérieux inscrits sur des feuilles, ni d'aucun de ces secours dont l'usage est réputé indifférent par la plupart des hommes. Comment donc penser que ces hommes aient élé les disciples d'un enchanteur et d'un fourbe? Les succès des disciples sont assurément un grand témoignage en faveur du maître. Des hommes habiles et instruits attestent que celui qui leur a communiqué son savoir leur est bien supérieur. Ainsi, les médecins témoignent de l'excellence de celui qui les a formés, les géomètres n'auront eu qu'un géomètre pour maître, les arithméticiens qu'un arithméticien. Par la même raison, les témoins les plus irrécusables des imposteurs, d'un maître, ce sont les disciples , qui se font gloire de suivre ses enseignements. Mais jusqu'ici nul des disciples du Christ n'a paru un faiseur de sortilèges, quoiqu'à différentes époques les magistrats et les rois aient recherché avec soin par les tourments ce qui nous concerne. Ainsi, nul ne se reconnut magicien pour être renvoyé libre et préservé de tout danger, après avoir été contraint de sacrifier. Si parmi nous ou parmi les disciples du Christ nul ne fut convaincu de magie, notre maître fut-il donc un imposteur? Mais afin que cette discussion ne repose pas sur rien d'écrit, empruntons nos preuves à l'histoire. Il est rapporté au livre des Actes que les premiers disciples firent si heureusement changer les mœurs de ceux des Gentils qui embrassèrent leur croyance , qu'un grand nombre, qui, parmi eux, s'étaient livrés aux excès de la magie, apportèrent au milieu de l'assemblée les livres de ces pratiques infimes, et les jetèrent dans un grand feu. Voici comment s'exprime l'Ecriture : « Plusieurs, qui s'étaient livrés à des pratiques superstitieuses, apportèrent leurs livres et les firent brûler devant l'assemblée; on estima leur valeur qui monta à cinq mille pièces d'argent » (Act., XIX, 19). Tels furent les disciples du Sauveur; et la puissance de leur parole sur ceux qui les écoutaient fut si grande, qu'elle pénétrait jusqu'au fond des cœurs; elle atteignait et frappait la conscience, de sorte que leurs auditeurs ne pouvaient plus rien déguiser : ils découvraient leurs secrets les plus intimes, et devenaient ainsi les accusateurs de leur vie et de ses débordements anciens. Tels étaient les fidèles que formaient les disciples ; leurs consciences devenaient pures et saintes : ils n'y retenaient plus de honteux secrets, et pouvaient se glorifier avec confiance d'avoir quitté une vie déréglée pour en embrasser une plus parfaite. Mais s'ils livrèrent aux flammes leurs livres de magie et s'ils les condamnèrent à périr, ces nouveaux convertis n'attestèrent-ils pas qu'ils renonçaient à toute pratique de cette science funeste, et que désormais ils étaient à l'abri de tout soupçon à cet égard ? Si telle fut l'aversion des disciples pour ces criminelles recherches, combien plus grande dut être celle du maître? Si vous voulez connaître de la bouche des disciples eux-mêmes quel fut leur maître, vous pouvez consulter ces innombrables disciples de la doctrine de Jésus, dont un grand nombre, ayant formé une ligue contre les plaisirs de la terre, gardent leur âme pure de toute passion désordonnée, vieillissent et meurent ans une continence parfaite, et peuvent donner une idée fort exacte de la sainteté qu'inspire cette doctrine. Et ce ne sont pas les hommes seulement qui suivent ces exemples ; dans tout l'univers, une inexprimable multitude de femmes , devenant comme les prêtresses du Dieu de toute chair, embrassent la vérité chrétienne, et, ravies d'amour pour la sagesse céleste, abandonnent le soin de leur famille et consacrent leur corps et leur âme au service du Dieu du monde, pour vivre dans la chasteté et la virginité. Les fils de la Grèce vantent avec emphase un homme, un Démocrite, qui seul abandonna un pays dévasté, sous prétexte de se livrer à la philosophie. Cratès est célèbre parmi eux pour avoir abandonné tous ses biens à ses concitoyens, en s'écriant que Cratès avait mis Cratès en liberté. Mais les disciples, qui sont innombrables et ne se réduisent pas à un ou deux hommes, abandonnent leurs richesses et les distribuent aux indigents et aux nécessiteux : générosité dont nous sommes témoins, nous qui vivons au milieu d'eux et qui avons vu la doctrine du Christ, non plus dans la prédication, mais dans les œuvres qu'elle suggère. Faut-il énumérer ici ces milliers de Grecs et de Barbares mêmes qui, à la prédication de la parole de Jésus, ont abandonné les erreurs au polythéisme, pour confesser qu'ils ne connaissent plus qu'un Dieu, le Sauveur et le Créateur du monde...? Platon, qui seul entre tous les philosophes anciens, connut son existence, n'osait pas la proclamer. « S'il est difficile de découvrir le Père et le Créateur du monde, disait-il, il est impossible de divulguer son existence. » S'il lui était difficile de trouver Dieu, dont la connaissance est en effet si élevée, ce sage ne put pas répandre cette connaissance, parce qu'il n'avait pas cette puissante foi qui animait les disciples de Jésus. Aidés de l'assistance de leur maître, il leur fut facile de trouver et de connaître le Père et le Créateur du monde, de manifester son nom aux hommes et d'en répandre la connaissance ; de sorte que de leur prédication jusqu'à nos jours, chez toutes les nations du monde, une foule innombrable d'hommes, de femmes et d'enfants, d'esclaves et de laboureurs, loin de partager le sentiment de Platon, reconnaissent ce seul Dieu comme le créateur du monde et l'ordonnateur de ce bel univers, l'honorent seul et le reconnaissent seul comme Dieu, grâces aux lumières du Christ. Voilà les succès de ce charlatan nouveau : voilà les disciples de Jésus, dont la vie nous fait connaître celle du maître. Maintenant exposons encore une preuve nouvelle. Vous dites donc que Jésus fut un magicien, vous l'appelez un subtil enchanteur et un fourbe adroit ! Fut-il donc l'inventeur de cette triste science? Ou faut-il, comme cela est juste, la rapporter à d'autres? Car si, dépourvu du secours d'un maître, ce personnage a découvert cet art, sans qu'il le tînt d'un homme, ni qu'il le dût à d'autres plus anciens, comment ne pas confesser qu'il fût Dieu, lui qui sans livres, sans leçons et sans maîtres, devina et s'appropria de telles connaissances? Notre faiblesse ne peut ici bas, sans ces secours, comprendre même un art d'expérience, une science un peu élevée, ni même en acquérir les premiers éléments : bien moins encore peut-elle saisir ce qui surpasse notre nature. A-t-on jamais trouvé un grammairien qui n'ait point eu de maître, un rhéteur qui n'ait été formé à une école, un médecin, ou encore un architecte ou un artiste, qui le soient devenus d'eux-mêmes? Et cependant tout cela est bien petit et se rapporte à l'homme. Mais dire que l'auteur de la vraie religion, qui a voulu avouer et attester qu'en lui résidait quelque chose de divin et bien supérieur aux forces humaines? Supposez-vous qu'il s'instruisit dans la société de magiciens, qu'il pénétra les secrets de l'Égypte, les mystères antiques des sages de ce pays, et que c'est à leurs leçons qu'il dut cette illustre renommée dont il jouit? Quoi donc, aurait-on vu en Égypte ou ailleurs quelques charlatans plus habiles qui l'auraient précédé et l'auraient formé par leurs leçons? Mais pourquoi, avant de répandre le nom de Jésus, la renommée n'eût-elle pas proclamé le leur ? Pourquoi leur gloire a est-elle pas comparable aujourd'hui à celle de notre maître? Quel enchanteur grec ou barbare s'est jamais entouré de disciples et leur a donné une loi, comme l'a fait la puissance du Christ? De qui raconta-t-on jamais les guérisons et les merveilles de bienfaisance que l'on rapporte du Sauveur? Quel est l'homme dont les amis et les témoins de ses œuvres protestèrent de la vérité de ce qu'ils en racontaient, au sein des flammes, sous le tranchant du glaive, comme le firent les disciples du Sauveur, qui s'exposèrent aux outrages, à toutes sortes de supplices, et versèrent enfin leur sang pour confirmer les vérités qu'ils annonçaient. Que le contradicteur qui rejette nos preuves nous dise enfin si jamais magicien conçut l'étrange projet de réunir un nouveau peuple sous un nouveau nom? Former un tel projet et vouloir le mettre à exécution, n'est-ce pas au-dessus des forces humaines? Établir contre les lois des rois, des anciens législateurs, des philosophes, des poètes et des prêtres, des lois nouvelles qui attaqueraient l'idolâtrie, qui n'éprouveraient nul obstacle et demeureraient toujours sans altération, quel enchanteur le prétendit jamais ? Le Sauveur et Seigneur n'osa-t-il pas former cette entreprise; n'osa-t-il pas y mettre la main? Et quand il y eut mis la main, ne l'accomplit-il pas, après avoir dit à ses disciples cette seule parole : « Allez, prêchez toutes les nations en mon nom, et enseignez-leur à garder ce que je vous ai appris » {Matth., XXVIII, 19)? Il donna à sa parole une telle puissance, qu'aussitôt Grecs et Barbares, tous embrassèrent sa croyance, et qu'alors se répandirent dans le monde ces lois contraires a toutes superstitions , ces lois ennemies des démons et de l'idolâtrie ; ces lois qui perfectionnèrent les Scythes, les Perses, tous les Barbares, et détruisirent les coutumes cruelles et sauvages; ces lois qui renversèrent les mœurs antiques de la Grèce et leur substituèrent une religion nouvelle et sainte. Les magiciens qui précédèrent le siècle de Jésus, firent-ils jamais quelque oeuvre comparable, qui puisse faire soupçonner qu'il ait eu recours à leurs leçons? Mais s'il est impossible d'en nommer un seul, si nul ne lui a donné une semblable puissance,.il faut reconnaître que la divine essence est descendue sur la terre pour nous enseigner une sagesse inconnue jusqu'alors. Cette preuve établie, nous entreprendrons celui qui résisterait encore, et nous lui demanderons s'il a vu jamais, s'il a connu des enchanteurs et des magiciens qui fascinaient le peuple sans faire des libations ou des sacrifices, sans invoquer les démons et implorer leur assistance ? Or, qui pourra, sur les discours de notre Sauveur et de ses disciples ou de ceux qui partagent leur croyance, élever une semblable accusation? Mais plutôt, n'est-il pas évident au moins clairvoyant que nous agissons bien différemment, nous tous, adorateurs de Jésus, qui préférons subir la mort plutôt que de sacrifier aux démons ; nous qui aimons mieux sortir de ce monde plutôt que de subir le joug des démons. Qui ignore que c'est par l'invocation du nom de Jésus, et par les prières les plus pures que nous chassons les démons ? Ainsi, le nom de Jésus et sa doctrine nous élèvent au-dessus des puissances spirituelles et nous rendent les ennemis déclarés des démons. Sommes-nous donc leurs amis ou leurs partisans, bien moins encore leurs disciples ou leurs sujets ? Celui qui nous a rendus ce que nous sommes, fut-il jamais le serviteur des démons? Mais peut-il se faire qu'il leur ait sacrifié, ou qu'il ail imploré leur assistance en ses opérations, ce Jésus, dont le nom redoutable aux démons et à l'esprit impur, les fait encore trembler, les chasse de leurs demeures et les met en fuite ? Aussi, lorsqu'il vivait parmi les hommes, ils ne supportaient pas sa présence, et criaient de toutes parts : « Laissez-nous ! Qu'y a-t-il entre nous et vous, Jésus, fils de Dieu ? Vous êtes venu avant le temps nous tourmenter » (Matth., Vlll, 29). Si un homme se livre à la magie et à toutes les actions illicites que nous venons d'énumérer, ne manifestera-t-il pas en ses actions les vices de son âme, ses crimes, ses obscénités, ses impiétés, son injustice et son irréligion? Dans ces dispositions, pourrait-il prêcher les maximes de piété et de tempérance, répandre la connaissance de Dieu, annoncer ses justices et ses jugements? Dans l'emportement de ses désirs effrénés, ne profèrera-t-il pas des propos bien différents? Ne reniera-t-il pas Dieu, sa Providence et son jugement; ne se rira-t-il pas de la vertu et de l'immortalité de l'âme? Si telle fut la conduite de notre Sauveur et Seigneur, nous ne pouvons rien alléguer pour sa défense. Mais si en toutes ses actions et en tous ses discours, il s'est montré l'adorateur fidèle de Dieu, le Père et Créateur du monde, s'il s'est appliqué à remplir ses disciples des mêmes sentiments de respect, s'il a été sage et maître de sagesse, auteur et docteur de justice, de vérité, de charité, de toute vertu, de religion enfin pour le Dieu du monde, comment se défendre d'avouer qu'il n'a jamais consommé ses miracles par des enchantements, mais que toujours il agissait par un secours surnaturel et vraiment divin qui résidait en lui. Mais peut-être, dans l'entraînement de l'opposition, vous n'appréciez ni la sagesse de nos paroles, ni la suite de nos raisons, ni le poids de nos preuves, et vous nous soupçonnez d'artifice. Écoutez maintenant vos démons, ces dieux, vains artisans d'oracles, qui rendirent un si illustre témoignage à la piété, à la sagesse et même à l'ascension dans le ciel même de celui que vous accusez de magie. Quel aveu vous paraîtra plus digne de foi que celui de notre ennemi déclaré, qui, au troisième des livres qu'il composa sur la philosophie des sages célèbres, s'exprime ainsi : La grandeur des œuvres manifeste aux amis de la vérité la puissance divine qui résidait en lui. [3,7] CHAPITRE VII. Oracles sur le Christ. Ce que je vais dire semblera bien étrange à plusieurs personnes. Les dieux ont publié la profonde religion du Christ, son immortalité, et n'ont parlé de lui qu'avec respect. Plus loin, il répond ainsi à ceux qui demandaient si le Christ était Dieu : le sage sait que l'âme immortelle est supérieure au corps, et l'âme de cet homme fut remplie d'une religion insigne. Ainsi, il avoue sa piété; il avoue que la mort n'aura pas plus d'empire sur son âme que les chrétiens honorent d'un culte insensé, que sur celle des autres hommes. Voici ce qu'il répondit à ceux qui demandaient pourquoi il fut livré au supplice : « Le corps de l'homme est toujours exposé à la douleur; mais l'âme que la religion anime s'élève aux cieux. Cet écrivain ajoute â cet oracle les paroles suivantes : « Il fut donc saint et s'éleva vers le ciel comme les âmes saintes. Cessez donc de le blasphémer, et ayez plutôt compassion de l'ignorance de ses adorateurs. » Ainsi parlait Porphyre. Maintenant donc, je vous le demande, notre maître, fût-il un imposteur, vous laisserez-vous entraîner par les paroles de ceux dont vous suivez les doctrines? Vous voyez que notre Sauveur Jésus, le Christ de Dieu, loin de passer pour un magicien et un charlatan, est reconnu comme rempli de piété, de justice et de sagesse, et reçu dans les demeures du ciel. Cet homme si vertueux n'a donc opéré ses prodiges que par une puissance divine, puissance reconnue des oracles des dieux, lorsqu'ils confessent que la sagesse et la souveraine puissance a paru parmi nous sous les dehors d'un homme, ou plutôt qu'elle a habité un corps mortel, et qu'elle s'est soumise à toutes les nécessités de cette demeure fragile. Vous reconnaîtrez facilement la divinité de la vertu qui l'anima, si vous cherchez quel dut être cet homme qui arracha les apôtres à leurs filets et à leur obscurité, afin d'en faire les ministres d'une entreprise inouïe : car après avoir formé un plan que personne n'imagina jamais, celui de soumettre les nations à ses lois et à sa doctrine, et de se manifester aux peuples du monde comme l'auteur du nouveau culte envers le Dieu unique, il appela à concourir à son dessein les plus grossiers et les moins éclairés des hommes ; c'était sans doute une étrange conduite. Comment, en effet, des hommes qui pouvaient à peine ouvrir la bouche pour proférer une parole, s'établirent-ils maîtres, non pas d'un homme, mais d'une innombrable multitude ? Comment des gens sans nulle éducation instruisirent-ils les peuples? Mais ce fut l'effet de la volonté divine et de la puissance surnaturelle qui opérait en eux ; car Jésus les ayant appelés, leur dit : «Venez, suivez-moi, je vous ferai pécheurs d'hommes» (Matth.. V, 19). Quand il se les fut attachés, il les anima de l'esprit de Dieu, il les remplit de force et de confiance, et, verbe de Dieu, Dieu lui-même, auteur de miracles aussi grands, il les érigea en pécheurs d'âmes. A cette parole : Venez, suivez-moi, je vous ferai pécheurs d'hommes, il joignit l'action, il en fit les ouvriers et les maîtres de la piété, et les envoya dans l'univers comme les hérauts de sa doctrine. Qui ne serait ravi d'étonnement? qui pourrait croire une entreprise si étrange, que jamais elle n'a été connue, ni même rêvée par quelqu'un de ces hommes dont la renommée conserve les noms, roi, législateur, philosophe, grec, barbare? Chacun se contente de maintenir ses institutions, de porter de bonnes lois, de les mettre en vigueur en ses États. Mais le Christ, dans sa pensée si supérieure à l'humanité, ne prononce-t-il pas une parole vraiment divine, en disant aux pauvres gens dont il fit ses disciples : « Allez, enseignez toutes les nations » (ld., XXVIII, 19) ? Eh ! auraient-ils pu répondre â leur maître, comment le pourrons-nous ? Comment prêcher votre doctrine aux Romains? Comment l'annoncer aux Égyptiens? Nous qui ne connaissons que le langage de la Syrie, en quel idiome nous adresserons-nous â la Grèce, â la Perse, à l'Arménie, à la Chaldée, â la Scythie, aux Indes, à chaque nation barbare en un mot? Comment leur persuaderons-nous d'abandonner les dieux de leur patrie pour s'attacher au culte du Créateur du monde? Quel est notre usage de la parole pour compter sur son efficacité? quelle espérance concevoir de réussir à changer dans le monde les traditions religieuses aussi anciennes que les nations ? Par quelle puissance enfin entreprendre une si audacieuse réforme? A ces difficultés, que purent émettre ou former en eux-mêmes les disciples de Jésus, leur maître offrit une réponse décisive : « Prêchez, dit-il, en mon nom » ( Luc. XXIV, 47 ). Car la mission d'enseigner le monde, qu'il leur confia, ne fut pas vague et indéterminée ; mais avec cette circonstance nécessaire de prêcher en son nom. Or, la puissance de ce nom auguste est si grande, que l'Apôtre a dit : « Dieu lui a donné un nom au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchit au ciel, sur la terre et aux enfers » {Philip., II, 10). Il révéla la force de ce nom, force cachée au grand nombre, lorsqu'il dit à ses disciples : « Aller, enseignez toutes les nations en mon nom. »Puis, il leur annonce avec l'exactitude la plus merveilleuse les grands événements qui devaient avoir lieu : « Il faut, disait-il, que cet Évangile soit annoncé à toute la terre, en témoignage à toutes les nations » (Marc,XlII,10). Ces paroles furent prononcées dans un coin de la terre; elles ne furent recueillies que par ceux auxquels elles s'adressaient. Comment alors Jésus eût-il entraîné leur foi, si d'autres œuvres de sa vertu divine n'eussent déterminé leur confiance. Ce qu'ils crurent sur sa parole, croyez-le, vous aussi, sur la force des preuves. Nul d'entre eux ne refusa son adhésion; mais tous, obéissant à sa voix, abandonnèrent leur patrie pour révéler ses instructions au monde. En peu de temps, le succès prouva la sincérité de la promesse. Quelques jours suffirent pour que l'Évangile fût prêché en témoignage aux nations; Grecs, barbares, tous les hommes entendirent la doctrine de Jésus, prêchée en leur langue, et la virent écrite en leurs caractères. Cependant, qui ne demandera pas ici quelle fut la prédication des disciples? Sans doute ils s'avançaient dans la ville, pour s'arrêter sur la place; et là, appelant à haute voix les passants, ils leur annonçaient la parole de Dieu. Quelles règles suivaient-ils dans des discours qui devaient leur attacher leur auditoire? Comment s'exprimaient ces hommes inhabiles dans l'art de parler et privés de la première éducation? Mais d'abord, loin de réunir autour d'eux une grande multitude, ils s'adressaient seulement à ceux que la Providence leur faisait rencontrer. Alors quelles formes employaient-ils pour persuader? Car ce ne leur était pas chose facile, lorsqu'ils avouaient la mort ignominieuse de celui qu'ils annonçaient. Et même, s'ils l'eussent cachée, s'ils eussent voilé les horribles supplices qu'il souffrit de la rage des Juifs, pour ne rapporter que ce qui pouvait relever sa gloire, c'est-à-dire ses miracles, ses prodiges et ses préceptes de sagesse, il n'eût pas été facile d'entraîner des hommes qui s'exprimaient dans une autre langue, et qui entendaient pour la première fois des merveilles inouïes de la bouche de personnages qui n'appuyaient leur récit d'aucune preuve. Cependant c'était ce qui devait leur attirer le moins de contradiction. Mais annoncer un Dieu fait homme, le Verbe de Dieu incarné, trouvant en sa toute-puissance la source de ses prodiges ; le montrer exposé aux injures et aux invectives des Juifs, et le faire mourir sur une croix, supplice de honte et des plus grands crimes, n'est-ce pas vouloir soulever le mépris? Qui serait encore assez insensé pour les croire, lorsqu'ils avancent qu'ils ont vu ressuscité d'entre les morts celui qui, durant sa vie, ne sut pas se prémunir contre les violences ? Qui se laissera jamais aisément persuader par des gens épais et grossiers de mépriser les dieux de son peuple et de mépriser la folie de tous ceux qui ont vécu avant lui, pour ne croire qu'aux paroles des prédicateurs du crucifié, et pour regarder cette victime de la fureur populaire comme le bien-aimé et le fils unique du seul Dieu du monde. Pour moi, lorsque je viens à examiner ces faits en moi-même, je n'y trouve rien qui les rende croyables, rien d'auguste, rien de digne de foi, ni de probable, même aux yeux d'un insensé. Mais si je reporte mes yeux sur la puissance de l'éloquence de ces artisans grossiers qui a subjugué les peuples, et fondé de grandes églises, non pas en des lieux obscurs ou inconnus, mais au sein des plus illustres cités, dans cette Rome, la reine du monde, dans Alexandrie et dans Antioche, dans l'Égypte et la Lybie, l'Europe et l'Asie, ainsi que dans les bourgs et les hameaux, dans toutes les nations, entraîné par la nécessité , je reviens à en chercher le secret, et je me sens contraint de reconnaître qu'un si prodigieux succès n'a d'explication que dans la puissance surnaturelle et divine et dans le concours de celui qui a dit : « Enseignez toutes les nations en mon nom. » A cet ordre, Jésus ajouta une promesse, afin que leur courage s'affermit, et qu'ils abordassent avec confiance leur immense mission. Il leur dit donc : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles » (Matth., XXVIII, 20). Il les remplit de l'Esprit saint el leur communiqua le pouvoir de faire des miracles et des prodiges en disant : « Recevez le Saint-Esprit » (Jean, XX, 22), et : «Guérissez les malades ; rendez sains les lépreux, et chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Matth., X; 8). Ne voyez vous pas combien leur parole eut de puissance, puisque le livre de leurs Actes contient l'accomplissement des paroles de Jésus? Ils remplissaient d'étonnement, y est-il dit, ceux qui les entouraient, par les miracles qu'ils opéraient au nom de Jésus. Ils excitaient d'abord la surprise par leurs œuvres. Ils faisaient naître le désir de connaître celui dont le nom et la puissance opéraient ces merveilles : et alors ils trouvaient des cœurs déjà soumis par la foi à leur parole ; car, entraînés non par l'éloquence des apôtres, mais par leurs étonnantes actions, ils se prêtaient avec docilité à leur enseignement. Quelques-uns même, dans leur entraînement, apportèrent des offrandes pour les sacrifier à deux des disciples, dont ils croyaient l'un Mercure et l'autre Jupiter; tant était grande l'impression, de leurs œuvres : ils étaient crus en tout ce qu'ils annonçaient de Jésus à des hommes ainsi préparés, et ils attestaient la vérité de sa résurrection, non par des paroles simples et sans autorité, mais par des œuvres, en confirmant les actions de sa vie. Car, si les disciples avançaient que Jésus était Dieu, Fils de Dieu, et reposait dans le sein de son Père avant de descendre au milieu des hommes, comment leurs auditeurs ne l'eussent-ils pas cru facilement, lorsqu'ils tenaient le contraire pour incroyable et impossible, en voyant que les œuvres que l'on faisait en leur présence ne pouvaient provenir de l'efficace humaine, mais seulement de la puissance divine, bien que personne ne le leur eût suggéré? Nous avons donc établi ici ce que nous cherchions, le secret de la puissance qui attachait aux disciples tes hommes qui les entendaient, qui amena les Grecs et les Barbares à regarder le Christ comme le Verbe de Dieu, et qui établit dans les villes du monde et les contrées de la terre l'enseignement du culte de Dieu, unique Créateur de l'univers. Mais qui ne serait frappé d'étonnement qui ne reconnaîtrait que la soumission de la terre à l'empire romain, aux jours du Christ seulement, ne fût pas une œuvre humaine? Car c'est au moment de sa venue merveilleuse parmi les hommes, que la puissance romaine s'est élevée à ce degré de gloire; alors qu'Auguste gouverna en maître des nations, que Cléopâtre fut captive, et que la succession des Ptolémée d'Égypte ne put se maintenir. Dès lors, et jusqu'à ce jour, fut détruite cette monarchie d'Égypte, aussi ancienne que le monde, et Juifs, Syriens, Cappadociens, Macédoniens, Bithyniens et Grecs, tous les peuples disparurent dans l'empire romain. Comment douter encore que ce concours ne soit l'œuvre de Dieu, si l'on songe à la difficulté que les disciples du Sauveur eussent éprouvée à parcourir des nations qui n'avaient point de commerce et qui étaient divisées en une multitude de petites principautés ? Mais quand toutes ces distinctions eurent disparu, ils purent, sans crainte et en toute liberté, accomplir leur œuvre ; Dieu la facilitait en tenant dans le respect d'une grande autorité les sectateurs de l'idolâtrie. Que rien n'eût défendu aux païens de poursuivre la religion du Christ, songez aux séditions populaires, aux poursuites et aux violences dont vous eussiez été témoins, si les adorateurs des dieux eussent été dépositaires de la puissance souveraine. Ce fut donc l'œuvre du Dieu de toute créature seul de soumettre à la crainte d'une grande autorité les ennemis de sa parole. Il voulait qu'elle se répandît tous les jours et multipliât ses fidèles. Pour qu'on ne s'imaginât pas que la foi ne se maintenait que par la protection des princes, Dieu permit que si quelqu'un d'eux venait à concevoir quelque projet hostile à la parole du Christ, il pût l'accomplir. Ainsi se montra à découvert le courage de ceux qui combattirent pour la foi, et il parut clairement que rétablissement de la religion, loin d'être une œuvre humaine, était due à la puissance de Dieu. Qui n'admirerait encore les merveilles qui eurent lieu alors ? Les athlètes de la foi s'élevaient au-dessus des forces humaines, et Dieu les honorait des plus glorieuses récompenses, tandis que leurs ennemis expiaient leurs cruautés sous sa main vengeresse qui accablait leur corps de maladies si cruelles et si affreuses qu'ils étaient contraints de confesser leur impiété contre le Christ. Mais ceux qui portaient un nom vénérable, et se glorifiaient de professer la foi du Christ, après avoir traversé de courtes épreuves en témoignant de leur conviction franche et sincère, possédaient la liberté des enfants de Dieu. Tous les jours leur confession généreuse rehaussait tout l'éclat de la vérité qui s'affermissait au milieu même de ces ennemis acharnés. Antagonistes d'ennemis visibles et invisibles, des démons et des puissances qui se trouvaient dans la partie ténébreuse de l'air qui entoure la terre, les généreux disciples de Jésus les mettaient en fuite par la durée de leur vie, la ferveur de leurs prières à Dieu et l'invocation de son nom auguste, et donnaient ainsi aux témoins de leurs actions le gage des merveilles qu'il opéra sur la terre, et les preuves les plus authentiques de la puissance divine qui le dirigeait. Laissons toutefois ce sujet déjà longuement traité, pour pénétrer les mystères de la nature de Jésus, et contempler le Verbe de Dieu, Dieu lui-même, qui opéra de si grandes merveilles par l'homme auquel il s'unit.