[0] Médée [1] Scène I - vers 1-48 NOURRICE (1-19) Non! Le vaisseau Argo n'aurait pas dû traverser l'azur sombre des Symplégades pour gagner la Colchide! Non! Dans les vallons boisés du Pélion, des pins n'auraient pas dû tomber sous la hache! Non! Des hommes d'exception n'auraient pas dû prendre les rames, eux qui pour Pélias étaient partis à la quête de la Toison d'Or! (5-6)... Non! Car alors Médée, - Médée, c'est ma maîtresse - n'aurait embarqué vers la citadelle d'Iôlcos, avec son coeur terrassé par l'amour de Jason (8). Non! Elle n'aurait pas poussé les filles de Pélias à tuer leur père. Non! (11) Elle ne vivrait pas ici dans la terre de Corinthe avec son mari et leurs petits. Elle s'était fait bien accueillir par les citoyens de ce pays où, fugitive, elle avait abordé (13). D'elle-même, elle vivait en parfait accord avec Jason. Qu'une femme ne soit pas en dispute avec son mari, c'est bien ce qu'il y a de plus rassurant... Or voilà que maintenant, tout se retourne contre elle. Ce qu'elle a de plus cher la rend malade (17-19). Car lui, il a trahi ses petits - oui les siens- et ma maîtresse. Oui, Jason s'est marié pour partager une couche royale. Il a épousé la fille de Créon, le maître de ce pays!... (On perçoit des cris. La nourrice tourne la tête vers la maison, puis reprend. Au cours de son soliloque, les enfants et le précepteur arrivent, ce qu'elle ne remarque pas immédiatement) (20-45) Pauvre Médée! Mais quel outrage! Elle hurle en invoquant leurs serments, leurs mains qui se sont étreintes - c'est le plus grand signe de confiance qu'on puisse s'échanger. Elle prend à témoins les dieux de ce qu'elle reçoit en retour de Jason (23). Elle reste au lit. Elle ne mange plus. Elle abandonne son corps aux tourments. Elle use sa vie à pleurer sans arrêt (26), depuis qu'elle s'est rendu compte de l'outrage de son mari. Elle ne lève pas les yeux, elle les garde rivés au sol. Pas plus qu'un rocher ou une vague de la mer, elle n'entend les mises en garde de ses amis. (30-35) Mais parfois, elle détourne son cou tout blanc, elle rentre en elle-même pour pleurer son père tant aimé et son pays et sa maison qu'elle a trahis pour suivre cet homme qui maintenant lui inflige son dédain (33). Elle qui souffre, elle sait bien, la malheureuse, ce que vaut de ne pas laisser derrière soi la terre de ses aïeux. (36-45) Et ses enfants? Elle les prend en horreur et ne se laisse pas attendrir par leur vue. J'ai bien peur: méditerait-elle quelque chose d'imprévisible? Son âme est redoutable. Elle refusera d'être maltraitée. Moi, je la connais... J'en ai peur. Impitoyable qu'elle est! Et, bien sûr, celui qui a provoqué sa haine ne remportera pas le trophée de la victoire. (46-48) Mais voilà les enfants! Ils ont fini de s'entraîner à la course. Ils ne se soucient pas du tout des malheurs de leur mère. Un esprit jeune n'est pas porté à souffrir... [2] Scène II - vers 49-95 PRÉCEPTEUR (49-52) (Méprisant) Espèce de vieillerie de la maison de ma maîtresse, pourquoi te tiens-tu toute seule devant les portes en te lamentant rien que pour toi sur ce qui va mal. Comment Médée tolère-t-elle que tu la laisses seule sans toi? NOURRICE (53-58) (Servile et plaintive) Vénérable compagnon des petits de Jason, pour de bons esclaves, tout ce qui va mal pour leurs maîtres est un malheur et cela les prend au coeur. Car moi je me suis fait tant de chagrin que l'envie m'a prise de venir ici confier à la terre et au ciel les infortunes de ma maîtresse. PRÉCEPTEUR (59) Encore! La malheureuse n'arrête donc pas de se lamenter? NOURRICE (60) Je voudrais être à ta place! L'épreuve ne fait que commencer et elle n'est pas à mi-chemin! PRÉCEPTEUR (61-62) La folle que voilà - s'il faut ainsi parler de nos maîtres!... (Faisant l'intéressant) Et dire qu'elle ne sait rien de ses derniers malheurs! NOURRICE (63) Qu'est-ce qui se passe, vieillard? Tu ne vas pas refuser de parler! PRÉCEPTEUR (64) Rien! (En aparté) Qu'est-ce je regrette ce que je viens de dire! NOURRICE (65-66) (lui touchant le menton en signe de supplication) Non! Par ton menton, ne cache rien à ta compagne d'esclavage. Car je ne dirai rien de tout cela. PRÉCEPTEUR (67-73) J'ai entendu quelqu'un qui disait... Mais je faisais semblant de ne pas entendre, alors que je m'approchais de joueurs de dés, là, tu sais, où les très vieux vont s'asseoir près de l'auguste fontaine de Pirène - Eh bien! Quelqu'un qui disait que les enfants avec leur mère... que Créon, le tyran de ce pays allait les chasser de la terre de Corinthe. Tout de même, est-ce que cette histoire est exacte?... Je n'en sais rien. Je voudrais qu'il n'en soit pas ainsi. NOURRICE (74-75) Et lui, Jason, il supportera que ses enfants subissent cela, même s'il a un différend avec leur mère? PRÉCEPTEUR (76-77) (Sur le ton de l'évidence) Les anciennes alliances sont délaissées au profit de nouvelles et cet homme-là n'est pas bien disposé envers notre maison. NOURRICE (78-75) C'en est fait de nous, si nous ajoutons un nouveau malheur à l'ancien, avant même d'en avoir vu la fin! PRÉCEPTEUR (80- 81) Toi au moins... Ce n'est pas le moment que la dame sache cela... Tiens-toi tranquille et pas un mot de cela! NOURRICE (82-84) (S'adressant aux enfants) Ô mes petits, vous entendez comment il est avec vous, votre père? S'il pouvait mourir!... Non, quand même! C'est que c'est mon maître. Pourtant on le surprend d'être mauvais envers ceux qui l'aiment. PRÉCEPTEUR (85-88) (Sentencieux) Pour qui n'est-ce pas le cas? Viendrais-tu d'apprendre que toute personne se préfère à son prochain, maintenant que leur père, à cause d'un lit nuptial, ne les chérit plus ? NOURRICE (89-95) (Se ravisant pour s'adresser aux enfants) Allez-y - oui, tout ira bien -, entrez dans la maison, les petits! (Intrigués, les enfants continuent à attendre, sans que la nourrice ne s'en rende compte. Elle s'adresse au précepteur) Toi, le plus possible, tiens-les à l'écart et ne les laisse pas s'approcher de leur mère affligée. Car, déjà, je l'ai vue leur lancer un regard farouche, comme si elle avait envie de faire quelque chose. Elle ne décolérera pas, je le sais bien, avant de se jeter sur quelqu'un. Pourvu quand même qu'elle s'en prenne à des ennemis et non pas à des êtres chers! [3] Scène III – vers 96-130 MÉDÉE (96-97) (se répandant de l'intérieur en longs cris plaintifs) Iô! Malheureuse que je suis! Pitié! Je souffre! Iô! À moi, à moi! Comme je voudrais mourir! NOURRICE (98-110) (Visiblement troublée) C'est comme cela, mes chers enfants. Votre mère Excite son coeur, elle excite sa colère. (Indécis, le précepteur et les enfants restent sur place) Mais dépêchez-vous! Plus vite! Entrez dans la maison! N'approchez pas son regard, N'allez pas au-devant d'elle, mais protégez-vous De sa cruauté et de son odieuse Arrogance. (Même jeu du précepteur et des enfants) Allez-y maintenant, entrez au plus vite! (Ils entrent dans la maison) C'est évident! Cette nuée de lamentations Qui commence à s'élever culminera bientôt Dans trop de fougue. Comment agira jamais Une âme écrasante et inapaisable Qui se sent mordue par les malheurs? MÉDÉE (111-114) Aiaî! J'ai subi, infortunée, subi de quoi haut Et fort me lamenter. Ô enfants Maudits d'une mère odieuse, si vous pouviez périr Avec votre père et toute sa maison aller à sa perte... LA NOURRICE (115-130) (En plein désarroi) Iô! Mais qu'est-ce qui m'arrive? Qu'est-ce qui me tombe dessus? Pourquoi pour toi ces enfants sont-ils aussi fautifs Que leur père? Oui, eux! Pourquoi les traites-tu comme des ennemis? Oimoi! Mes petits, que j'ai du chagrin rien qu'à l'idée qu'il vous arrive quelque chose! (Se calmant et reprenant ses esprits) (119-130) Redoutable est la volonté des tyrans. Ils ne subissent guère d'injonctions, en imposent beaucoup. Difficilement ils laissent passer leurs emportements. Mieux vaut être formé à passer sa vie sur pied D'égalité. Moi, du moins, pourvu que j'arrive sereinement au terme de la vieillesse! Tant pis pour les grandeurs! Si reconnaître le juste milieu Vaut un premier prix, le rechercher Est de loin le meilleur pour les humains. L'excès N'est jamais opportun pour les mortels. De trop grandes malédictions, voilà ce qu'attire Un dieu lorsqu'il s'en prend à une famille. (Le choeur formé de femmes de Corinthe entre en scène) [4] Scène IV – vers 131 – 204 CHOEUR (131-137) (Parodos) J'entendais la voix, j'entendais le cri De la pitoyable Colchidienne toujours inapaisée. Mais toi, vieille, parle. Depuis le coeur de la maison à porte double, sa plainte Je l'entendais. Je ne me réjouis pas, femme, des souffrances de cette demeure Puisque pour moi l'amitié s'y trouve mêlée. NOURRICE (138-143) Il n'y a plus de foyer! Tout cela s'en est allé! Car lui, une couche royale le retient. Elle, dans la chambre conjugale, elle consume sa vie, Ma maîtresse, et d'aucun être cher N'accepte le réconfort d'aucune parole. MÉDÉE (144-147) Aiaî! Qu'à travers la tête une flamme du ciel Me passe. Que me vaut de vivre encore? Pheû! Pheû! Si je pouvais dénouer ma vie odieuse, à la mort l'abandonner... CHOEUR (148-159) (Strophe) As-tu entendu, ô Zeus et toi la Terre et toi la Lumière, Quels cris dans son malheur Fait retentir l'épouse. (Se tournant vers la maison de Médée) Quel désir te prend de l'horrifiante Couche létale? Es-tu démente? Il se hâtera le terme de la mort. N'en fais pas la prière. Si ton propre époux Vénère un nouveau lit, Ne t'emporte pas pour cela contre lui. Zeus prendra fait et cause pour toi! Ne te ronge pas trop en pleurant celui qui partageait ta couche. MÉDÉE (160-167) Ô grand Zeus et toi, auguste Thémis, Voyez-vous ce que je subis, moi qui par de grands serments Me suis attaché mon exécrable Époux? Si je pouvais les voir, lui et sa jouvencelle Mis en pièce sous les ruines même de leur maison! Quelle injure osent-ils sous mes yeux m'infliger! Ô mon père, ô ma cité, dont j'ai été éloignée Dans la honte. Moi qui ai tué mon propre frère... NOURRICE (168-172) Entendez-vous ce qu'elle dit? Elle invoque à cor et cri Thémis la bienveillante et Zeus, lui que comme garant Des serments les humains reconnaissent. Il ne s'en faut pas de peu pour que Ma maîtresse mette fin à son courroux! CHOEUR (173-183) (Antistrophe) Comment pourrait-elle venir près de nous Et, des paroles que nous proférons Percevoir le son, À moins de relâcher son coeur lourd de colère, Et son âme opiniâtre? Que, bien sûr, mon empressement Envers mes amis ne manque pas. Mais entre Dans la maison! Fais-la venir ici! Au-dehors! Insiste aussi sur nos gages d'amitié (181). Dépêche-toi avant qu'elle ne mette à mal ceux qui sont À l'intérieur, car son deuil ne se déchaîne que pour cela. NOURRICE (184-204) Je ferai ainsi, mais j'ai bien peur de ne pas venir à bout De ma maîtresse. Je ne me donnerai cette peine que pour vous obliger. Car d'une lionne qui a mis bas elle lance le regard farouche Sur ses serviteurs quand l'un d'eux Accourt et l'approche de trop près pour lui parler. (Soliloque sur un ton sentencieux) (190-203) En traitant de mal dégrossis et sans sagesse Les gens d'autrefois, tu ne te tromperais pas. Dans les chansons qu'on entend au cours de banquets, De festins et de dîners Ne trouvaient-ils pas la joie de vivre? Mais aux chagrins lugubres, personne N'a trouvé comment par l'inspiration musicale et des chants soutenus par force lyres Mettre fin, quand décès et Infortunes redoutables font chanceler les foyers. Pourtant, cela serait tout profit pour les gens D'y remédier par des chants. Mais dans les banquets Bien servis, pourquoi donnent-ils de la voix, poussent-ils des cris? Pour rien! Car ils ne ressentent alors rien d'autre les mortels Que le bien-être de se sentir repus. (La nourrice entre dans la maison) [5] Scène V – vers 204-213 CHOEUR (Épode) J'ai perçu des sons confus. Comme elle sanglote, l'infortunée! Dans son chagrin elle hurle haut et fort son désarroi Face au traître qu'elle avait dans son lit, mari scélérat. Ulcérée par ses outrages, elle invoque L'épouse de Zeus, garante des serments, Thémis, Qui l'a menée en Grèce, sur une autre rive, Par la mer obscure et le détroit qui s'ouvre Sur l'immensité saumâtre du grand large. (Médée sort de la maison) [6] Scène VI – vers 214-270 MÉDÉE (214- 266) (214-229) Dames de Corinthe, me voici hors de la maison... Non, ne me blâmez pas. Je connais pas mal de gens qui ont fière allure, les uns sous mes yeux, d'autres à l'étranger. Cette désinvolture leur vaut la mauvaise réputation d'être superficiels. Est-il équitable le regard du public? Non, car sans connaître quelqu'un en profondeur, des gens se mettent à le haïr rien qu'à le regarder et sans avoir subi de sa part le moindre mal. Certes, il faut que l'étranger noue des liens avec la ville qui l'accueille et je n'ai jamais non plus donné raison au citadin que son arrogance rend odieux à ses concitoyens qu'il préfère ne pas connaître. Moi, cet événement inattendu qui m'est tombé dessus, m'a complètement détruite. Je suis perdue. Je n'ai plus aucun plaisir de vivre. Je veux en finir, mes amies. Celui qui représentait tout pour moi - je ne le sais que trop! - est devenu le plus abject des hommes... et dire que c'est mon mari. (230-251) De tous les êtres vivants doués de pensée, nous sommes, nous les femmes, la plus malheureuse des espèces. Tout d'abord, il faut - en y mettant le prix! - acheter un époux pour en faire le maître de notre corps. Or, il y a un mal encore bien plus dur à endurer, puisque c'est cela le grand enjeu: tomber sur un mauvais bougre ou un homme de bien. Car ce n'est pas bien glorieux pour des femmes que d'être répudiées et il ne leur est pas possible de refuser un époux. Une fois installée chez son époux, la femme découvre des habitudes et des usages qu'elle ne soupçonnait pas. Il lui faut être devin, puisqu'elle sort de chez elle sans rien savoir, pour se mettre au mieux avec celui qui partage son lit. Et, si nous nous en tirons bien dans cette tâche et que l'époux vit avec nous en portant le joug sans réchigner, alors notre existence est enviable. Mais, si ce n'est pas comme ça, il n' y a plus qu'à mourir. (244-247) L'homme qui ne supporte plus ceux avec qui il vit à la maison, va voir hors de chez lui et il a vite fait de mettre fin au dégoût qui le tient. Mais nous - il ne peut en être qu'ainsi! - nous n'avons qu'un seul être vers qui attacher nos regards. On dit de nous que nous menons une vie sans risques à l'intérieur de nos maisons, tandis que les hommes soutiennent des luttes armées. Quel mauvais raisonnement! (250) Car moi je préférerais combattre trois fois qu'accoucher une seule! (S'adressant au coryphée) (252-266) (252-255) Mais ce qui se passe, c'est que toi et moi, nous ne parlons pas de la même chose. Toi, tu vis dans ta propre ville, où se trouve la maison de ton père, où tu as des moyens d'existence et des amis à fréquenter. (256-266) Mais moi qui suis seule, apatride, arrachée comme un butin à ma terre barbare, je subis les outrages d'un homme, je n'ai ni mère ni frère, pas même un parent (258) auprès de qui jeter l'ancre loin de ce marasme. Quelle est donc la seule chose que je veux obtenir de toi, si je découvre un moyen, un stratagème pour faire payer à mon époux la contrepartie de mes souffrance? Ton silence! (264) Car la femme en général est très peureuse et elle perd ses moyens si on la confronte à la violence et aux armes. Mais si elle est atteinte injustement dans sa vie conjugale, il n'y a pas d'âme plus meurtrière. CORYPHÉE (267-270) C'est ainsi que j'agirai, c'est en toute justice que tu châtieras ton mari, Médée! Je ne m'étonne pas de te voir pleurer sur tout ce qui t'arrive. (Créon, tyran de Corinthe arrive solidement escorté) Mais je vois s'approcher Créon, prince de notre terre, qui vient annoncer ses nouvelles décisions. [7] Scène VII – vers 271-354 CRÉON (271-276) (Criant) Toi avec ta tête d'enterrement! Toi qui te déchaiînes contre ton mari! Médée! Je l'ai dit, va-t-en! Hors de ma terre! Pars en exil, prends tes gosses avec toi! Oui, tous les deux! Tout de suite! Moi, je suis ici pour faire exécuter cet ordre et je ne rentre pas chez moi avant de t'avoir jetée hors des limites de mon territoire. MÉDÉE (277-281) Aiaî! On me détruit, misérable que je suis, on me tue! Mes ennemis mobilisent tout contre moi! (279) Quel havre pour m'arracher à cette malédiction?... (Se reprenant) Je te demanderai quand même, tout affligée que je suis: pourquoi me chasses-tu de ta terre, Créon? CRÉON (282-291) J'ai peur de toi... Non, il ne faut pas donner de prétextes... J'ai peur que tu fasses à mon enfant du mal dont elle ne se remettrait pas. Bien des raisons se recoupent qui expliquent ma crainte: tu es habile de nature et tu t'entends à commettre bien des méfaits.Tu souffres aussi d'être exclue de la couche de ton mari. J'entends dire que tu menaces - oui, on me le rapporte -, que tu menaces de t'en prendre à celui qui a accordé sa fille, et au mari, et à la mariée. Je me protégerai donc avant d'en souffrir. Mieux vaut pour moi me faire détester de toi, femme, que me laisser fléchir et me répandre plus tard en lamentations. MÉDÉE (292-315) Pheû, pheû (Se reprenant et prenant peu à peu Créon à partie) Ce n'est pas seulement maintenant, mais souvent Créon, que ma renommée m'a fait du tort et m'a causé de grands maux irréparables. Il ne faut jamais, quand on a du bon sens, faire inculquer à ses enfants un savoir extraordinaire. Hormis la réputation d'oisifs qu'on leur attribue, ces enfants attirent l'animosité et l'envie de leurs concitoyens. Car, si tu proposes à des ignares de nouveaux savoirs, tu passeras pour quelqu'un d'inutile, mais pas de savant. En revanche, si tu es jugé supérieur à ceux qui passent pour maîtriser un savoir compliqué, tu paraîtras difficile à supporter... Or j'ai moi-même ce sort en partage. Car mon savoir me rend odieuse aux uns, et me fait passer, par contre, pour hostile aux autres. Or, est-il si grand le savoir que je maîtrise? Donc toi, tu me redoutes, tu crains de subir quelque chose de contraire.. (307) Je ne suis pas disposée... - mais ne te mets pas à trembler devant moi, Créon - ... je suis pas disposée à me mettre en faute vis-à-vis d'hommes de pouvoir. Car, quel mal m'as tu fait? Tu as donné ta fille à celui à qui ton coeur te menait... Mais... c'est mon mari! C'est lui que je hais! Quant à toi, je pense, tu agissais de manière sensée et, en ce moment, je ne t'en veux pas d'être dans une situation favorable. Fêtez ce mariage! Puisse-t-il vous réussir! Mais cette terre, permettez-moi de l'habiter. Certes, je suis victime de préjudices, mais je me tairai, car de plus forts ont raison de moi. CRÉON (316-323) Qu'elles sont douces à entendre tes paroles! Mais en mon for intérieur, la frayeur me prend que tu ne médites un forfait. J'en ai d'autant moins confiance en toi qu'auparavant. Car il est plus facile de se méfier d'une femme au comble de la colère - d'un homme aussi d'ailleurs - que d'une rouée qui se tait... (Un silence, puis soudain Créon explose) Mais partez donc tout de suite! Plus de discours! C'est décidé une fois pour toutes et aucun artifice ne réussira à te faire rester auprès de nous puisque tu m'es hostile. MÉDÉE (324) (Saisissant les genoux de Créon) Non! Je t'en supplie par tes genoux! Au nom de la jeune mariée,... de ta fille... CRÉON (325) (Repoussant Médée) Tu parles pour rien! Jamais tu ne pourrais me convaincre! MÉDÉE (326) Mais me chasseras-tu sans égard pour mes prières? CRÉON (327) Oui, parce que je t'aime moins que ma famille! MÉDÉE (328) Ô ma patrie, comme je me souviens de toi en ce moment! CRÉON (329) Hormis des enfants, c'est pour moi ce qu'il y a vraiment de plus cher! MÉDÉE (330) Pheû, pheû! Pour les gens quel grand mal que l'amour! CRÉON (331) Cela dépend, je crois, des circonstances. MÉDÉE (332) Zeus! Pourvu qu'il ne t'échappe pas le responsable de ces maux... CRÉON (333) File, espèce de folle et arrête de me faire endurer... MÉDÉE (334) Mais c'est moi qui endure et qui n'arrête pas de souffrir... CRÉON (335) Mon escorte va t'empoigner et te chasser de force! (L'escorte s'avance vers Médée) MÉDÉE (336) Non! Pas cela! Créon! Je te demande... CRÉON (337) Tu veux nous faire des ennuis, n'est-ce pas, femme? MÉDÉE (338) Nous partirons en exil! Ce n'est pas pour y échapper que je t'ai supplié... CRÉON (339) (décontenancé) Alors pourquoi résistes-tu et ne quittes-tu pas le pays? MÉDÉE (340-347) Laisse-moi rester un seul jour, rien qu'aujourd'hui! Je dois réfléchir comment organiser mon exil et assurer la subsistance de mes enfants puisque leur père ne songe pas du tout à remédier au sort de ses petits... Prends-les en pitié, toi qui es aussi père de famille. C'est tout naturel que tu sois bien disposé à leur égard. Ce n'est pas du tout de mon sort que je me soucie, si nous partons en exil. Si je pleure, c'est sur eux qui sont confrontés au malheur. CRÉON (348-354) (Avec résignation) Mon pouvoir n'a rien d'une tyrannie et mes scrupules m'ont attiré beaucoup de déconvenues. Maintenant aussi, je vois, femme, que je me mets dans l'erreur... Pourtant, tu obtiendras ce que tu demandes... (Avec rage) Mais je te préviens! Si le prochain lever du dieu Soleil te voit - et c'est vrai aussi pour tes enfants - en deçà des limites de mon territoire, tu mourras. Voilà qui est dit sans ambages! (Créon et son escorte quittent la scène. Médée demeure prostrée. Le coryphée est en larmes) [8] Scène VIII – vers 359-409 CORYPHÉE (358-363) Pheû, pheû Toi que tes souffrances accablent, quelle route prendras-tu? Qui t'accueillera? Une maison ou une terre qui du malheur te sauvera, La trouveras-tu? Dans quel flot de maux imparables un dieu, Médée, t'a-t-il engagée? MÉDÉE (364-409) (Sombre) Mon malheur s'est installé partout! Qui dira le contraire?... (Un long silence, puis Médée se ressaisit) Mais non, pas du tout! Cela ne se passera pas comme ça! Ne vous le figurez pas encore! (365) Ils courent encore des dangers les tout jeunes mariés et la belle- famille est dans l'attente de souffrances, et pas des moindres. (Prenant le coryphée à partie) Crois-tu donc que celui-là je l'aurais flatté si je ne visais pas un profit ou une machination? Je ne lui aurais pas parlé et je ne lui aurais pas effleuré les mains. (371- 375) Quel degré de folie il a atteint! Il pouvait anéantir mes desseins en m'expulsant du pays. Mais non! Il m'a accordé de rester ici aujoud'hui, le temps d'aligner les cadavres de mes trois ennemis: le père, la jouvencelle et le mari... le mien ! (S'adressant d'abord à l'ensemble du choeur, puis soliloquant) (376-385) Je dispose de plusieurs moyens pour les tuer... Je ne sais pas comment m'y prendre, mes amies... Vais-je bouter le feu à la demeure nuptiale?... Ou bien leur pousser une lame aiguisée dans le foie, en m'introduisant sans bruit chez eux, là où est étendue leur couche? Non! À mon avis, quelque chose ne va pas: si on me surprend quand je m'introduis chez eux et que j'exécute mon plan, je mourrai en faisant bien rire mes ennemis! Le mieux est de prendre le moyen direct, celui où je suis le plus experte: les supprimer par empoisonnement. (386-389) Bien. Les voilà morts... Quelle ville m'accueillera? Quel hôte m'offrira l'asile dans sa terre, la protection de son foyer et défendra ma personne? Néant! Je vais attendre encore un peu... (390-394) Si je découvre un rempart où me trouver en sécurité, j'irai les tuer par ruse et sans bruit. Mais si la malchance vient irrémédiablement m'en priver, moi alors je saisirai un poignard et, même si je dois en mourir, je les tuerai, je recourrai à la force que je tire de mon audace. (Avec passion) (395) Non, par la maîtresse que je vénère par-dessus tout et que j'ai choisie pour m'aider, toi, Hécate, qui séjournes dans l'intimité de mon foyer, non, aucun d'entre eux n'éprouvera de joie à affliger mon coeur! Je rendrai amères et pitoyables leurs noces, amers leurs liens et mon exil de leur sol. Mais allons-y! N'épargne rien de ce que tu sais, Médée, car c'est toi qui décides et qui exécutes. Va vers ta redoutable entreprise. C'est maintenant le moment où jamais de te montrer vaillante. Tu vois ce que tu es en train de subir. (404-406) Pas question que tu te rendes ridicule à cause des noces des lignées de Sisyphe et de Jason, toi qui est née d'un noble père et du Soleil. Tu as le savoir. (407) De plus, nous les femmes, nous sommes tout à fait incapables d'agir avec noblesse, mais très expertes à créer tous les maux. [9] Scène IX – vers 410-445 CHOEUR Strophe 1 (410-420) Vers l'amont coulent les flux des sources divines, Justice et univers se laissent sens dessus dessous retourner, Nos hommes ne sont que desseins rusés, tandis que s'évanouit La foi dans les dieux. Or elle aura de l'éclat ma vie car les opinions se retourneront: Il progresse le prestige de la gent féminine, Jamais plus d'opinion maldisante sur les femmes n'aura d'emprise. Antistrophe I (421-430) Les Muses des aèdes d'antan plus jamais Ne célébreront ma perfidie. Certes, il ne nous pas donné L'inspiration poétique que soutient la lyre, Phoibos, maître des mélodies, sans quoi j'aurais répondu par un hymne Contre la race des mâles. Le long cours du temps a Beaucoup à dire de notre destinée et de celle des hommes. Strophe II (431 -438) (S'adressant à Médée) Mais toi, quittant le toit paternel, tu t'es embarquée, Le coeur en folie, de la mer tu as franchi les récifs Géminés. Sur un sol Étranger tu séjournes, toi qui as perdu La couche qu'a délaissée ton mari, Malheureuse! Exilée du pays, Tu t'en vas déshonorée. Antistrophe II (439 -445) Il a disparu le respect des serments, et la pudeur non plus Dans la vaste Hellade ne demeure. Vers les cieux elle a pris son envol. Pour toi, plus de toit paternel, Malheureuse, pour te réfugier loin De tes souffrances, et plus influente Que ta couche, une autre reine Dans ta maison s'est imposée. (Jason apparaît) JASON (446-464) (Avec nervosité et emportement croissant) Non, ce n'est pas maintenant la première fois... Souvent déjà je me suis rendu compte combien ton tempérament intraitable est un mal contre lequel on ne peut rien faire. Toi alors! Tu pouvais vivre sur cette terre et y garder ton toit, si tu acceptais sans broncher les décisions des plus forts, et, à cause de propos sans queue ni tête, tu te fais expulser du pays! Moi, tes paroles ne me touchent pas! Continue donc à dire que Jason est l'homme le plus mauvais du monde... Mais les propos que tu as tenus à l'égard des souverains, considère qu'ils ont été tout profit pour te faire punir d'exil. Et moi qui essayais sans cesse, devant l'emportement de la famille royale, de désamorcer leur colère car ma volonté était que tu restes ici! Mais toi, tu ne renonçais pas à tes imbécillités et tu continuais à dénigrer les souverains. Voilà, c'est pour ça que tu seras expulsée du pays!... (Se reprenant) (459) Mais tout de même, si je suis ici, c'est parce que je n'ai pas renié des êtres chers: je me préoccupe de ton sort, femme, je veille à ce que tu ne sois pas expulsée sans ressources avec les petits et à ce que tu ne manques de rien. Un exil entraîne beaucoup de maux avec lui. Sache, que même si tu me hais, je ne pourrais pas te vouloir du mal... MÉDÉE (Indignée, elle l'interrompt en criant) (465-519) Oh! Toi qui es le mal absolu! C'est tout ce que j'ai sur la langue pour qualifier ta lâcheté! Tu viens me trouver, toi qui est devenu mon pire ennemi. Ce n'est ni du courage ni de l'audace que de regarder dans les yeux ceux qui t'aiment après leur avoir fait du mal... Non, le plus grand vice au monde c'est l'impudence! Tu as très bien fait de venir! Car moi, je soulagerai mon coeur en t'injuriant et pour toi ce sera dur de m'entendre! (475) C'est par le début (Geste de lassitude de Jason), oui, le début, que je commencerai ce que j'ai à dire: je t'ai sauvé la vie - et ils le savent tous, les Grecs embarqués dans la même nef Argo. (478-482) Toi, on t'avait envoyé mettre sous le joug et mener des taureaux cracheurs de feu pour ensemencer une terre mortifère... Et le dragon, qui enserrait la Toison d'Or et la gardait à l'intérieur de ses replis enchevêtrés sans céder au sommeil, je l'ai tué et j'ai brandi pour toi la lumière salvatrice... (483- 487) Moi, j'ai trahi mon père et mon foyer et c'est avec toi que je suis partie à Iôlcos du Pélion. J'étais trop sous l'emprise de la passion pour réfléchir. Pélias, je l'ai fait mourir de la mort la plus douloureuse qui soit, de la main de ses propres enfants, et je t'ai ôté toute raison d'avoir peur... Et toi, toi pour qui j'ai fait tout cela, toi le plus grand des scélérats, voilà que tu me trahis et que tu t'offres un nouveau lit de noces... (490) alors que nous avons eu des enfants!... Si tu étais encore sans enfants, on te pardonnerait de vouloir à tout prix ce lit. Le respect de tes serments, où est-il ? Je ne sais que penser! Crois-tu que les dieux d'antan ne règnent plus ou bien que les lois d'aujourd'hui sont changées pour les humains, puisque tu es bien conscient qu'envers moi tu n'as pas respecté ton serment? Pheû ! (Médée sanglote en contemplant sa main, peut-être prête à frapper) Ma main droite que si souvent tu étreignais, tout comme mes genoux. Comme c'est en vain que j'ai été suppliée par mon pervers de mari et comme ils sont déçus mes espoirs. (Jason est resté de marbre. Médée peu à peu se reprend) Allons! Faisons comme si tu étais un ami. Je vais me concerter avec toi... Quoique... Quel bien pourrais-je attendre de toi. Enfin, soit! Si je te pose des questions, tu auras l'air encore plus infâme. (502) Maintenant, où m'en retourner? À la maison de mon père, d'où je suis venue en la trahissant pour toi, tout comme ma patrie? Chez les malheureuses filles de Pélias? C'est qu'elles m'accueilleraient volontiers dans leur foyer, elles dont j'ai mis le père à mort! Il en est ainsi: pour les miens que j'aime, je me dresse comme une ennemie. Non! je n'aurais pas dû leur faire du mal. C'est en te comblant que je me les suis rendus hostiles. Aussi, en retour tu m'as présentée à beaucoup de femmes partout en Grèce comme une femme comblée. Quel mari admirable ai-je, qu'il est fidèle à la malheureuse que je suis! Je vais être exilée, rejetée de ce pays, privée d'amis, toute seule avec des enfants tout seuls. Quel beau titre de gloire pour toi, le tout jeune marié, de laisser errer comme des mendiants tes enfants et moi qui t'ai sauvé! Ô Zeus, pourquoi as-tu donné aux gens des repères bien clairs pour reconnaître de l'or qui est falsifié, alors que sur les corps des hommes n'existe aucun signe qui doit identifier le pervers? LE CORYPHÉE (520-521) Redoutable emportement sans remède, que celui qui met aux prises des personnes qui s'aiment. JASON (522-575) Il me faut, semble-t-il, ne pas être né mauvais orateur, mais aussi, comme un pilote de bateau avisé, replier le bas de ma voile pour échapper à la logorrhée qui te démange, femme! (526) Moi, puisque tu ne vantes que trop tes bonnes grâces, j'estime que c'est Cypris qui a sauvé mon expédition maritime... Oui! Elle seule parmi les dieux et les humains. Toi, oui, tu as l'esprit subtil, mais tu ne veux pas admettre qu'Éros t'a contrainte de ses traits inévitables à sauver ma peau... Mais je ne m'attarderai pas à cela avec trop de précision. De quelque façon donc que tu m'aies été utile, ce n'est pas mal! Mais tu as retiré de plus grands avantages en me sauvant que tu ne m'en as accordés. Je m'explique. (536) D'abord, c'est en pays grec que tu vis et non plus sur le sol barbare, et tu y as découvert la justice et l'utilité des lois, en lieu et place de l'arbitraire de la force. Tous les Grecs reconnaissent ton savoir-faire et tu as gagné en renom. Or si tu vivais aux derniers confins du monde, on ne parlerait pas de toi! Je veux bien ne pas avoir d'or sous mon toit ni ne pouvoir chanter mieux qu'Orphée pourvu que ma destinée me mette en évidence. Voilà ce que j'avais à dire sur les épreuves que j'ai traversées. (546-568) Et quoi? Le débat c'est toi qui l'a provoqué! Tout ce que tu m'as reproché concernant mes noces royales, je te démontrerai qu'en agissant ainsi, d'abord j'ai été habile, qu'ensuite j'ai agi avec bon sens, qu'enfin je t'aime beaucoup, toi, et mes enfants auss. (Médée bondit) Du calme! (551) Lorsque j'ai quitté Iôlcos et émigré ici, je traînais derrière moi beaucoup de malheurs et d'handicaps. Quelle meilleure chance, oui chance, pour moi l'exilé que d'épouser la fille d'un roi? Ce n'est pas - et c'est ce qui te démange - par haine de ta couche. Je n'étais pas aveuglé par le désir d'une nouvelle épouse. Je ne voulais pas non plus satisfaire à tout prix l'ambition d'avoir beaucoup d'enfants. J'ai bien assez avec ceux qui sont nés, je n'ai rien à leur reprocher. J'ai fait tout cela - et c'est ce qui importe le plus - pour que nous vivions bien et non pas dans l'indigence. Car je découvre qu'un pauvre, n'importe lequel de ses amis s'en débarrasse. Je voulais éduquer mes enfants d'une manière digne de ma maison en donnant des frères aux petits nés de toi pour leur accorder le même statut. J'avais pour but, tout en y associant ma famille, de m'assurer une vie heureuse. Toi, pourquoi te faudrait-il donc des enfants? Mais moi, il est facile d'aider grâce aux petits à venir ceux qui vivent déjà (568) Dira-t-on que ma décision est mauvaise. Même toi, tu ne le dirais pas, si la question de ton lit ne te démangeait pas. (Ricanant) Mais vous en êtes réduites, vous, les femmes, à ne vous sentir comblées, que si cela se passe bien dans votre lit. Mais si, au contraire, un ennui s'annonce pour votre couche, vous considérez les dispositions les plus avantageuses et les plus appropriées comme les plus hostiles. Il aurait fallu que les mortels eussent un tout autre moyen de faire des enfants et qu'il n'y eût pas d'humanité femelle. Ainsi, il n'y aurait aucun mal pour les gens! CORYPHÉE (576-578) Bien arrangé ton discours, Jason! Pourtant, à mon avis, même si je vais te contredire, tu ne m'as pas l'air en trahissant ton épouse d'agir conformémént à la justice. MÉDÉE (579-587) (Soliloquant) Est-ce que vraiment sur bien des points bien des personnes me trouvent en désaccord avec les gens? Car pour moi, quelqu'un d'injuste qui sait bien manier la parole, mérite le châtiment suprême. En s'imaginant bien dissimuler l'injustice avec sa langue, il ose mal agir. Quand même, ce n'est pas très intelligent. (S'adressant à Jason) Ainsi, toi non plus, ne viens pas maintenant devant moi te montrer sous un beau jour et habile à discourir, car une seule parole te tuera. Il aurait fallu, si tu n'étais pas quelqu'un de mauvais, contracter ce mariage en me convaincant de son bien fondé, mais non pas à l'insu de ceux qui t'aiment. JASON (588-590) Comme tu aurais donc bien réagi à cette nouvelle, toi, si je t'avais parlé d'un mariage, toi qui maintenant n'arrives même pas à calmer ton coeur en plein ressentiment! MÉDÉE (591-592) Oh non! Cela ne t'aurait pas empêché d'agir, mais le lit d'une Barbare ne te ménageait qu'une vieillesse sans gloire. JASON (593-597) Sache bien ceci une fois pour toutes: ce n'est pas par désir d'une femme que je suis entré dans le lit royal que maintenant je détiens, mais, comme je viens de te le dire, je voulais te sauver, toi, et aux petits, les miens, donner comme frères des princes pour renforcer ma famille. MÉDÉE (598-599) Et pour moi? Une vie heureuse qui m'afflige et une prospérité qui me déchire le coeur? Jamais! JASON (600-602) Sais-tu comment former d'autres souhaits et te montrer plus sensée? Arrive à ne plus considérer comme affligeantes des situations favorables et à ne plus te croire malheureuse quand ton sort est heureux! MÉDÉE (603-604) Vas-y, insolent! Toi, tu es à l'abri! Moi, c'est livrée à moi-même et exilée que je m'enfuirai de ce pays! JASON (605) C'est toi qui a choisi ton sort! Ne viens accuser personne d'autre! MÉDÉE (606) Qu'est-ce que j'ai fait? J'ai pris femme, je t'ai trahi? JASON (607) Tu as lancé des imprécations sacrilèges contre les souverains! MÉDÉE (608) Justement! C'est ton foyer que je maudis! JASON (609-615) C'est tout! Je ne poursuivrai pas cette discussion avec toi... (Un silence. Jason se reprend) Mais, si tu veux disposer sur mes propres biens d'une assistance pour les enfants ou pour ton exil, vas-y, dis-le! Sache que je suis prêt à donner sans compter et à faire parvenir des signes de reconnaissance à mes hôtes pour qu'ils te traîtent bien. Si tu refuses, femme, tu agiras comme une folle, mais, si tu renonces à ton ressentiment, tu bénéficieras de conditions meilleures. MÉDÉE (616-618) Non, je ne pourrais pas me tourner vers ces hôtes, qui sont les tiens, ni rien en recevoir. Non, ne me donne rien! Les dons d'un homme malhonnête ne sont d'aucune utilité! JASON (619-622) Moi, du moins, je prends les dieux à témoins que je veux tout faire pour vous être secourable, à toi et aux petits. Or à toi, ce qui est bon ne te suffit pas, mais par ton arrogance tu écartes de toi tes amis. Voilà pourquoi tu souffriras encore plus! MÉDÉE (623-626) Pars! C'est le désir de ta toute nouvelle femme, de ta donzelle, qui te prend quand tu t'attardes ici! Va faire le jeune marié! Car peut-être - ce sera dit sous inspiration divine - ta façon de te marier te fera désavouer le mariage! (Jason s'en va. Médée demeure en scène) [11] Scène XI – vers 627-662 CHOEUR Strophe I (627- 634) Passion amoureuse qui bien trop Intervient, ni jugement droit Ni vertu n'apporte Aux hommes. Interviendrait-elle juste ce qu'il faut Cypris, point n'y aurait autre Déesse aussi attachante! Pourvu que jamais, ô dame, Vers moi de tes arcs D'or tu ne dardes Ton trait inévitable qu'imprègne le désir! Antistrophe I (635 - 642) Puisse me chérir la tempérance, Cadeau le plus beau des dieux! Pourvu que jamais non plus D'emportements qui déchirent Et d'insatiables discordes Elle n'emplisse mon coeur et vers d'autres lits ne le lance, l'artificieuse Cypris, et que, les paisibles Unions elle les respecte, et Qu'à leur plus juste valeur elle apprécie les lits d'épouses. Strophe II (643- 651) Ô patrie! Ô demeures! Oui, pourvu que je n'en sois pas proscrite, Aux prises avec les obstacles D'une vie difficile à traverser Et les plus lancinants tourments. Que par le trépas, le trépas puissè-je, Auparavant être domptée Sans atteindre ce jour. Quelle Autre épreuve plus grande que Du sol ancestral le rejet? Antistrophe II (652-662) (S'adressant à Médée) Nous t'avons vue, et d'autres du récit de ta vie n'ont pas à m'informer. Toi, ni ville ni être cher Ne t'ont prise en pitié toi qui souffre De la plus indigne des souffrances. L'ingrat puisse-t-il périr Qui se permet envers ses amis de ne pas Les honorer en leur ouvrant le pur Accès de son coeur! Pour moi, Oui, un ami jamais il ne sera! (Égée, roi d'Athènes, entre en scène) [12] Scène XII – vers 663-763 ÉGÉE (663-664) (Avec enjouement) Médée! Réjouis-toi! Quelle formule plus belle pourrait-on trouver pour aborder ses amis? MÉDÉE (665-666) (Faussement enjouée) Oh! Réjouis-toi aussi, toi fils du sage Pandion! Égée! D'où viens-tu? Comment se fait-il que tu sois ici? ÉGÉE (667) Je reviens de l'antique sanctuaire de l'oracle de Phoibos. MÉDÉE (668) Tiens! Pourquoi t'es-tu rendu au nombril prophétique de la terre? ÉGÉE (669) À cause des enfants... Je cherche à en avoir. MÉDÉE (670) Par les dieux! C'est sans enfants que depuis toujours tu traînes ici ta vie? ÉGÉE (671) Je suis sans enfants. C'est le sort que l'un ou l'autre dieu m'a lancé. MÉDÉE (672) As-tu une épouse? Ou alors n'as-tu jamais connu la vie de couple? ÉGÉE (673) Non, je ne suis pas sans partager un lit conjugal. MÉDÉE (674) Mais que t'a donc dit Phoibos au sujet de tes enfants? ÉGÉE (675) Des paroles bien trop savantes pour qu'un homme puisse les interpréter. MÉDÉE (676) Serait-il impie de me faire connaître l'oracle du dieu? ÉGÉE (677) Bien sûr que non, car il requiert vraiment un esprit savant... MÉDÉE (678) (l'interrompant avec une impatience grandissante) Mais quel oracle a-il donc rendu? Dis-le, s'il n'est pas impie de l'entendre! ÉGÉE (679) Que je ne délie pas le pied qui dépasse de l'outre... MÉDÉE (680) Avant de faire quoi ou d'entrer dans quel pays? ÉGÉE (681) Avant de regagner le foyer de mes ancêtres. MÉDÉE (682) Mais toi, quel besoin avais-tu d'accoster ici? ÉGÉE (683) Il y a un certain Pitthée, prince du pays de Trézène... MÉDÉE (684) ...fils, dit-on, de Pélops. C'est un homme des plus pieux... ÉGÉE (685) C'est à lui que je désire faire connaître la réponse du dieu. MÉDÉE (686) Bien sûr, c'est un sage rompu à ce genre d'énigme... ÉGÉE (687) ...et rien que pour moi le plus cher de mes alliés! MÉDÉE (688) Très bien! Puisses-tu connaître un sort heureux et en obtenir ce que tu souhaites si ardemment! (Un silence rompu par Égée qui se rend subitement compte du désarroi de Médée) ÉGÉE (689) Mais pourquoi as-tu ce regard et ce visage si tendus? MÉDÉE (690) Égée, j'ai le plus mauvais de tous les maris. ÉGÉE (691) Que dis-tu là? Explique-moi clairement ce qui t'afflige! MÉDÉE (692) Jason me fait du mal... Mais moi, je ne lui ai rien fait! ÉGÉE (693) Quels sont ses agissements? Explique-toi plus clairement. MÉDÉE (694) Une femme... Á ma place il la traîte en maîtresse de maison. ÉGÉE (695) Il n'a quand même pas osé accomplir un acte aussi honteux? MÉDÉE (696) Sache-le clairement: je ne vaux plus rien, moi qui autrefois lui étais si chère. ÉGÉE (697) Est-il tombé amoureux ou déteste-t-il ta couche? MÉDÉE (698) C'est le grand amour! Il n'est pas fait pour garder la confiance de ceux qui l'aiment. ÉGÉE (699) Quelle affaire, s'il est aussi mauvais que tu le dis! MÉDÉE (700) C'est de sceller une alliance avec les tyrans qu'il est tombé amoureux! ÉGÉE (701) Lequel lui accorde la sienne? Raconte-moi jusqu'à la fin! MÉDÉE (702) C'est Créon, le maître de la terre de Corinthe. ÉGÉE (703) Comme je comprends bien les raisons de ton chagrin, femme... MÉDÉE (704) J'en meurs! Et ce n'est pas tout: je suis chassée du pays! ÉGÉE (705) Par qui? Voilà encore un nouveau malheur en plus! MÉDÉE (706) Créon me chasse et m'exile de la terre de Corinthe. ÉGÉE (707) Et Jason est d'accord? Je n'admets pas une chose pareille! MÉDÉE (708 - 718) À l'entendre, non! Il n'en choisit pas moins de l'endurer sans broncher!... (S'accrochant à Égée) (709) Mais je viens vers toi en priant, laisse-moi prendre ton menton, tes genoux, je ne suis plus qu'une suppliante. Pitié! Pitié pour l'infortunée que je suis! Ne me considère pas comme une exilée vouée à la solitude! Accueille-moi comme hôte dans ton pays et ta maison! Puisse ainsi ton ardent désir d'enfants recevoir des dieux son accomplissement et toi- même mourir comblé! Te rends-tu compte de l'aubaine que tu rencontres ici? Je mettrai fin à ce que tu sois privé d'enfants et je te ferai répandre des germes d'enfants. Ces remèdes, je les connais. ÉGÉE (719-730) Pour bien des raisons, je suis prêt, femme, à t'accorder cette grâce: d'abord à cause des dieux; ensuite pour les enfants dont tu me promets les germes. C'est ce vers quoi moi tout entier je tends. Voilà ce qu'il en est de moi. Quant à toi, si tu viens dans mon pays, je ferai tout, comme il se doit, pour te protéger comme hôte. C'est tout ce que j'ai à t'annoncer, femme. Hors de cette terre-ci, je ne consentirai pas à t'emmener. Mais, si de toi-même tu te présentes chez moi, tu y demeureras inviolable et je ne te livrerai à personne. Quitte de toi-même ce pays-ci, car je ne désire pas commettre d'impairs envers mes hôtes. MÉDÉE (731-732) Il en sera ainsi... Mais si je recevais une garantie de ces engagements, je me sentirais tout à fait rassurée par toi. ÉGÉE (733) N'as-tu pas confiance? Ou plutôt, quelle est pour toi la difficulté? MÉDÉE (734 - 740) J'ai confiance! Seulement, la maison de Pélias m'est hostile. Créon aussi. Voudraient-ils m'extrader que, si tu étais lié par des serments, tu ne les laisserais pas faire. Si tu n'étais engagé qu'en paroles sans avoir pris les dieux à témoins de ton serment, tu pourrais te montrer bien disposé envers eux et des négociations menées par leurs représentants auraient tôt fait de te convaincre. Moi, je suis en position de faiblesse. Eux, ils sont comblés de biens et appartiennent à des familles royales. ÉGÉE (741-745) Que de prévoyance dans tes paroles, femme! Mais, si c'est ton idée, je ne refuse pas d'accomplir ton souhait. Pour moi en effet, le plus sûr est de disposer d'une excuse à mettre sous le nez de tes ennemis, et ta situation en sort renforcée. Présente-moi les dieux! MÉDÉE (746-747) Prête serment par le sol de Gê et Hèlios, père de mon père en y associant toute la race des dieux... ÉGÉE (748) De faire ou de ne pas faire quoi? Explique-toi! MÉDÉE (749-751) Que jamais tu ne m'expulseras de ta terre, ni que personne d'autre, si l'un de mes ennemis demande à m'en arracher, ne me livrera de son vivant de son plein gré. ÉGÉE (752-753) Je jure par Gaia et par la brillante lumière d'Hèlios et tous les dieux d'observer ce que tu me dis. MÉDÉE (754) Bien!... Et si tu n'observais pas ce serment, quel châtiment pourrais-tu endurer? ÉGÉE (755) Celui qui revient aux mortels parjures! MÉDÉE (756-758) Réjouis-toi et reprends la route, car tout va bien! Moi j'arriverai dans ta ville au plus vite après avoir réalisé ce que je me propose et obtenu ce que je veux. (Égée s'en va) CORYPHÉE (759-763) Mais puisse le fils de Maia, le maître des voyages, Te faire gagner ta demeure, et ce dont la pensée Ne te quitte pas et te fait presser l'allure, puisses-tu le réaliser! Un noble coeur, voilà, Égée, comment tu m'es apparu! [13] Scène XIII – vers 764-823 MÉDÉE (764-810) (S'adressant à l'ensemble du choeur) Ô Zeus et toi, Justice de Zeus et toi, lumière d'Hélios! La voilà la belle victoire que sur mes ennemis, chères amies, je remporterai! J'en ai pris le chemin! (769) Le voilà l'espoir de faire justice à mes ennemis! Oui, cet homme est apparu là où je peinais le plus. De mes desseins il est le havre où j'amarrerai ma poupe, en gagnant Athènes et l'acropole de Pallas. (S'adressant au coryphée) Le moment est venu de t'exposer tous mes desseins. Prépare-toi à ne rien entendre de joyeux. J'enverrai un de mes serviteurs chez Jason pour lui demander de me rencontrer en personne. Dès son arrivée, je lui adresserai des propos lénifiants: que j'approuve tout cela, qu'il a raison de contracter une alliance royale - (ricanant) qu'il obtient en me trahissant! - , que sa décision est profitable et prise à bon escient. (780) Mes enfants? Je lui demanderai qu'ils restent ici... (Étonnement du coryphée) Non ! Je n'ai pas l'intention de les abandonner dans un pays qui leur est hostile. C'est une ruse, car l'enfant du roi, je la vais la tuer! (784) Eux, je les enverrai avec des cadeaux plein les mains. Ils les offriront à la jeune mariée pour obtenir de ne pas être exilés de ce pays... C'est un manteau de voile et une couronne d'or, un travail d'orfèvre. (787) Et, si elle se saisit de la parure et la revêt,... atrocement elle mourra, tout comme quiconque la touchera, la jouvencelle: voilà de quels onguents j'enduirai ces offrandes. (Médée fait un sourire cruel qui peu à peu disparaît pour faire place à une tristesse intense) (790-796) Mais arrivée à ce point, je vais pourtant changer de langage... Voilà que je pleure sur ce qu'il me faudra faire ensuite, moi! Car les enfants, je les tuerai, oui mes enfants! Personne ne les y soustraira. J'aurai ruiné de fond en comble la maison de Jason et je quitterai le pays, chassée par le meurtre de mes enfants que j'aime tant, et pour avoir assumé l'acte le plus sacrilège... (Se durcissant à nouveau) (797) Faire rire mes ennemis de moi? Non! Pour moi, c'est intolérable, chères amies. Allons donc! À quoi leur sert d'avoir la vie devant eux? Moi, je n'ai pas de patrie, pas de foyer, pas de refuge contre le malheur... Je me trompais le jour où j'abandonnais le foyer de mes aieux, dupée par les propos d'un homme. (801) Un Grec! Pour que je sois vengée, il sera châtié avec l'aide du dieu. Il ne les reverra plus les enfants qu'il a eus de moi. Plus jamais... vivants! Pas plus qu'il n'engendrera d'enfants de sa jeune épouse puisque c'est le destin de cette misérable de mourir misérablement grâce à mes onguents. Que personne ne me juge insignifiante et sans défense et inerte. Non! Je suis d'une tout autre trempe. Sans merci pour mes ennemis et envers mes amis bienveillante. Elle est comblée de gloire la vie de tels êtres! CORYPHÉE (811- 813) (Avec fermeté) Maintenant que tu nous as dévoilé ce dessein, je veux bien t'aider mais je viens aussi au secours des lois humaines: je t'interdis d'agir ainsi. MÉDÉE (814 - 815) (S' emportant) Il n'en est pas question! Toi, tu as une bonne raison de parler ainsi: tu n'as pas été maltraitée comme moi! CORYPHÉE (816) (Avec indignation) Mais tuer ce qui a germé en toi, l'oseras-tu, femme? (La nourrice sort de la maison sans doute attirée par les éclats de voix) MÉDÉE (817) C'est ainsi qu'il serait atteint au plus profond de lui-même, l'époux! CORYPHÉE (818) Et toi, tu serais bien la plus malheureuse des femmes! MÉDÉE (819 - 823) (Sur un ton sans réplique) C'est tout! Tout ce qu'on dira entre-temps sera de trop! (S'adressant à la nourrice) Eh bien, pars et ramène-moi Jason! C'est bien de toi que j'ai besoin pour toutes les missions de confiance! (822) Pas un mot de mes décisions, si tu es bien disposée envers tes maîtres et si tu es une femme! [14] Scène XIV – vers 824-865 LE CHOEUR Strophe I (824 - 834) Les Érechthéides antan furent comblés: Nés de dieux bienheureux et d'une terre Sacrée jamais conquise, ils se sustentent De la plus glorieuse sagesse. Sans cesse, sous le plus lumineux Firmament, ils vont et viennent avec délices là où jadis les saintes Neuf Muses de Piérie, dit-on, De la blonde Harmonie naquirent. Antistrophe I (835 - 845) Et du courant du Céphise aux belles eaux, Cypris, selon la tradition, puise Pour aérer leur contrée, l'haleine agréable De brises tempérées. Ceignant toujours Sa chevelure d'une odorante couronne fleurie de roses, Elle envoie siéger aux côtés de la Sagesse l'Amour, Auxiliaire de tous les aspects de la vertu. (S'adressant à Médée) Strophe II (846 - 855) Comment donc la cité aux fleuves sacrés, Pour ses amis Terre d'asile, toi, L'infanticide, t'accueillera-t-elle Non purifiée avec d'autres? Vois le coup qui frappe tes petits! Vois le meurtre que tu veux assumer! Non! À tes genoux, de tout côté, De toutes nos forces, nous t'en supplions, Tes petits ne les assassine pas! Antistrophe II (856-865) D'où te viendra le cran? Est-ce au fond de ton âme ou Dans ton bras, que tu le prendras face à tes petits, En dirigeant contre leurs coeurs Ton effroyable audace? Comment jetant tes regards Sur ces petits, continueras-tu à vivre Sans verser de larmes sur cet assassinat? Non, tu ne pourras pas, Quand tes enfants suppliants se jetteront à tes pieds, Ensanglanter la main qui les tue En gardant impavide ton coeur. (Jason revient en scène) [15] Scène XV – vers 866-975 JASON (866-868) (Plutôt agacé) Me voici, comme j'en reçois l'ordre! Oui, tu as beau m'être hostile, tu ne pourrais pas te voir refuser ma présence. Au contraire, j'écouterai ce que tu exiges encore de moi, femme. MÉDÉE (869-905) (Profil bas) Jason, je te demande d'être indulgent pour mes propos. Mes emportements, il est naturel que tu les supportes après tant de preuves d'amour que nous avons tous deux échangées... (Jason ne réagit pas. Silence embarrassé) Moi, en réfléchissant je suis revenue à moi et je me suis adressé des reproches: "Misérable que je suis! Pourquoi est-ce que je déraisonne et assomme ceux qui prennent de bonnes dispositions? Pourquoi est-ce que je me dresse en ennemie contre les souverains du pays, et contre mon époux qui prend pour nous les initiatives les plus opportunes, en contractant un mariage princier et en engendrant des frères pour mes propres petits? Ne vais-je pas mettre fin à mon emportement? Qu'est-ce que j'ai dans la tête alors que les dieux pourvoient si bien à mon sort? Est-ce que je n'ai pas des enfants? Est-ce que je ne sais pas que nous partons en exil et que nous n'avons que peu d'amis?" C'est en envisageant tout cela que j'ai compris que j'agissais avec beaucoup d'imprudence et que je m'emportais en vain. Oui, maintenant je t'approuve et je pense que tu fais preuve de bon sens en t'engageant pour nous dans cette alliance... Mais je suis une insensée! J'aurais dû t'assister dans tes desseins et t'aider à les mener à terme et me tenir près de ta couche et prendre plaisir à entourer ta jeune épouse de mes soins... Mais je ne suis que ce que je suis... - non, je ne médirai pas - ...une femme! Tu ne devrais pas imiter mes méchancetés ni riposter à des enfantillages par des enfantillages! Je cède et j'affirme que j'étais insensée à ce moment-là, mais maintenant j'ai pris une meilleure résolution. (Hélant les enfants à l'intérieur de la maison) Oh! Petits! Petits! Allons! Ne restez pas à l'intérieur! Sortez! (Les enfants et le précepteur sortent de la maison) Embrassez votre père et parlez-lui avec moi. En même temps oubliez cette vieille rancoeur envers des amis, faites comme votre mère! Le moment est venu pour moi de faire la paix et ma colère s'est calmée. Prenez-lui la main droite... (Une plainte échappe à Médée qui se détourne) (889-905) Oimoi! Comme une pensée me vient des malheurs encore cachés! (Se penchant avec émotion vers les enfants qui veulent l'embrasser) Ô mes petits, même si vous vivez encore longtemps, est-ce ainsi que vous m'ouvrirez vos bras que j'aime tant? Pauvre de moi! Comme je suis portée à pleurer et pleine de crainte. Au moment où je renonce enfin au différend avec votre père, mes yeux attendris se sont remplis de larmes. CORYPHÉE (906-907) (en larmes) De mes yeux aussi ont jailli soudain des pleurs et je crains de voir s'amplifier encore plus le malheur actuel. JASON (908-924) (Avec condescendance) Je suis d'accord, femme, et je ne t'en veux pas pour ta première réaction. Il est naturel que la gent féminine affiche sa colère contre un conjoint qui négocie à son insu d'autres noces... Mais ton coeur a changé pour se fixer sur le meilleur parti à prendre, tu viens de reconnaître - en y mettant toutefois du temps - la supériorité de ma décision. Voilà l'attitude d'une femme de bon sens! (Avec autosatisfaction et emphase) (914-924) Quant à vous, mes enfants, ce n'est pas sans y réfléchir que votre père, avec l'aide des dieux, a largement assuré votre sauvegarde, car j'imagine qu'en plus vous formerez avec vos demi-frères l'élite du pays de Corinthe. Allons! Grandissez! Tout le reste est l'affaire de votre père et de tous les dieux qui lui sont favorables. Ah! Comme je voudrais vous voir arriver au terme de la jeunesse resplendissants et plus forts que mes ennemis! (Se tournant vers Médée) (922) Mais toi, pourquoi tes yeux se mouillent-ils à l'instant de larmes, pourquoi détournes-tu ta joue blanche et n'accueilles-tu pas avec joie ce que je dis? MÉDÉE (925) Rien! Je suis préoccupée par ces petits. JASON (926) Prends courage! Je prendrai de bonnes dispositions pour eux. MÉDÉE (927-928) Je t'écouterai. Je ne mettrai certes pas tes propos en doute. La gent féminine est par nature portée aux larmes. JASON (929) Mais pourquoi donc te lamentes-tu sur les petits à ce point? MÉDÉE (930-940) Je leur ai donné le jour! Lorsque tu souhaitais que ces petits vivent, la pitié m'a prise et je me demandais si cela se réaliserait... Mais revenons à ce qui t'a fait venir écouter mes propos. Certaines choses ont été dites, mais moi je dois parler du reste. Il se fait que les maîtres du pays décident de m'exiler - pour moi, c'est le mieux, je le reconnais parfaitement - et cela pour que ma présence ne vous gênent ni toi ni les souverains. Je passe en effet pour être hostile à leur foyer. Moi, je quitte ce pays dont je suis chassée, mais les enfants... pour qu'ils soient éduqués sous ton autorité... demande à Créon de ne pas les chasser du territoire! JASON (941) (Sans empressement) Je ne suis pas sûr de le convaincre, mais je dois essayer! MÉDÉE (942-943) Alors toi, ordonne à ta femme de demander à son père de ne pas les chasser du pays! JASON (944) (Dissimulant son embarras) Bien sûr! J'ai d'ailleurs tout lieu de croire que je la convaincrai. MÉDÉE (945-958) Oui, si c'est une femme comme les autres! Je prendrai part moi aussi à cette démarche car je lui enverrai des cadeaux qu'on considère de loin comme les plus beaux de tout ce qui existe maintenant au monde, je le sais bien. Ce sont les enfants qui les lui apporteront. (Criant vers l'intérieur) Allons! Que quelqu'un du personnel apporte tout de suite la parure! (À Jason). Elle connaîtra, non pas un seul, mais une infinité de bonheurs, elle qui t'a reçu toi, le meilleur des hommes, pour partager sa couche nuptiale, elle qui possédera la parure qu'un jour Hélios, le père de mon père a donnée à ses descendants. Un(e) esclave apporte la parure. (Aux enfants) Prenez ces cadeaux de mariage, mes enfants, dans vos bras... Allez les porter à l'heureuse jeune princesse. Elle recevra des cadeaux qui ne sont pas du tout dédaigner! JASON (959-963) Mais pourquoi, espèce de folle, dépouilles-tu tes mains? Crois-tu que la maison royale manque de vêtements? Crois-tu qu'elle manque d'or? Garde tout cela, ne le donne pas! Si ma femme me juge digne de quelque considération, elle me préférera à des richesses. Cela, j'en suis sûr, moi! MÉDÉE (964-975) Mais non! Ne me dis pas cela! On prétend que les cadeaux convainquent même les dieux! L'or est plus puissant qu'une infinité de paroles pour les mortels. C'est cela son heureux destin, c'est lui qu'un dieu favorisera: elle est jeune, elle règne. En échange de l'exil de mes enfants, je donnerais ma vie, pas seulement mon or! (Aux enfants) Ecoutez, mes petits! Une fois entrés tous deux dans la riche demeure, suppliez la nouvelle épouse de votre père, ma maîtresse, implorez-la de ne pas être chassés de ce pays en lui offrant la parure. Il faut avant tout qu'elle les reçoive en mains propres, ces présents. Allez-y tout de suite! Ah! Si vous réussissiez à rapporter à votre mère l'heureuse nouvelle qu'elle désire recevoir à tout prix! (Jason, les enfants et le précepteur s'en vont) [16] Scène XVI – vers 976-1001 CHOEUR Strophe I (976-981) Maintenant des espoirs il n'y en a plus pour moi Que les enfants vivent. Il n'y en a plus. Car ils Marchent vers leur assassinat dès ce moment. Elle recevra, la jeune Mariée, avec les bandeaux d'or, Elle recevra - infortunée! - son malheur. Autour de sa blonde chevelure Elle posera l'infernale Parure, elle-même, de ses deux mains. Antistrophe I (982 - 990) Confondue par leur charme divin et Leur éclat, Elle s'enveloppera du voile Tissé d'or Et ceindra la couronne. Aux Enfers sous Peu elle sera parée pour ses noces. Voilà dans quel filet elle tombera Et dans quel destin mortifère. Infortunée! À son malheur Elle n'échappera pas. Strophe II (991-995) Toi, ô malheureux, ô époux funeste, gendre des princes, Sur tes enfants, inconsciemment, Sur leur vie le trépas tu l'attires, et sur ton Épouse une effroyable mort. Infortuné! Comme tu te trompes sur ton destin! (S'adressant à Médée) Antistrophe II (996 - 1001) Et je pleure sur ta souffrance, ô malheureuse, toi qui a des enfants, Mère qui abattras Tes petits, Au nom de ta couche nuptiale, Qu'a désertée, au mépris des lois, Ton époux pour partager un autre lit. (Le précepteur et les enfants accourent au comble de la joie) [17] Scène XVII – vers 1002-1080 PRÉCEPTEUR (1002-1005) Maîtresse! Ils te sont libérés de l'exil ces enfants! Et les cadeaux! La jeune princesse toute contente les a acceptés de ses mains! La paix est faite là- bas avec tes petits! (Intrigué) Hein! pourquoi es-tu là toute bouleversée maintenant que tu as la chance pour toi? MÉDÉE (1008) Aîai! PRÉCEPTEUR (1008) Ta réaction ne s'accorde pas avec les nouvelles! MÉDÉE (1009) Aîai! Oui, je me lamente encore! PRÉCEPTEUR (1009-1010) Est-ce que j'annonce un malheur? Je n'en sais rien! Me suis-je trompé en croyant à une rumeur porteuse de bonnes nouvelles? MÉDÉE (1011) Tu n'as annoncé que ce que tu as annoncé. Je ne t'en fais pas le reproche. LE PRÉCEPTEUR (1012) Mais pourquoi alors fais-tu ces yeux tristes et pleures-tu à chaudes larmes? MÉDÉE (1013 - 1014) J'y suis bien forcée, vieillard, car tout cela ce sont les dieux et moi avec mes pensées perverses qui l'avons machiné. PRÉCEPTEUR (1015) Prends courage. Toi aussi, grâce à tes enfants, tu redescendras un jour dans cette terre... MÉDÉE (1016) (En aparté) C'est d'autres qu'auparavant j'y ferai descendre, malheureuse que je suis. PRÉCEPTEUR (1017-1018) ( Enchaînant sententieusement sans avoir entendu Médée) ... Tu n'es certes pas la seule à être séparée de tes petits. C'est avec détachement qu'il faut endurer, quand on est mortel, les aléas. MÉDÉE (1019-1080) C'est ce que je vais faire! Mais entre dans la maison et pourvois à tout ce dont mes enfants auront besoin aujourd'hui. (Le précepteur obéit. Médée (1021-1080) s'adresse tantôt à ses enfants, tantôt au choeur. Les deux enfants sont de plus en plus intrigués par son attitude) (1021-1039) Ô mes petits, mes petits, pour vous deux il y a donc bien une cité, une demeure, où après m'avoir quittée, moi l'infortunée que je suis, pour toujours vous habiterez orphelins de votre mère. Moi, vers une autre terre je partirai, oui vers l'exil, avant même d'avoir connu de vous des joies et d'entrevoir votre bonheur, avant même de pourvoir à votre mariage, et d'avoir paré votre couche nuptiale et brandi les torches de votre hymen. Ô malheureuse que je suis de ma propre arrogance! C'est bien en vain, que vous, mes petits, je vous ai élevés, en vain que je me donnais tout ce mal et que j'ai été déchirée de souffrances en endurant les fortes douleurs de vos accouchements. Combien en avais-je, pauvre de moi, des espoirs de vous voir m'entourer dans ma vieillesse et, à ma mort, d'être ensevelie de vos mains! C'est ce que souhaitent à tout prix les humains. Mais la voilà maintenant bien morte cette douce pensée. Orpheline de vous deux, je passerai une vie qui ne sera pour moi que chagrin et souffrance. Vous, votre mère, plus jamais de vos yeux aimants vous ne la verrez, vous qui la quittez pour vivre d'une autre manière. Pheû, pheû (1040) Pourquoi me fixez-vous de vos yeux, mes petits? Pourquoi souriez- vous, pourquoi ce tout dernier rire? Aîai! (S'adressant au choeur) Mais qu'est-ce que je vais faire?... Le coeur me manque, femmes, quand je croise le regard brillant de mes enfants... Non!! Je ne pourrais pas... Je laisse tout tomber. Pourquoi faut-il qu'en chagrinant leur père par leur malheur, moi j'y gagne deux fois de tels malheurs. Non!! Pas pour moi! Je laisse tout tomber... (Se ressaisissant) Mais qu'est-ce qui me prend? Est-ce que je veux prêter à rire en laissant mes ennemis impunis? Il faut oser cela. Mais enfin, quelle lâcheté est la mienne! Laisser envahir mon esprit par des propos de mollesse! Entrez dans la maison, les enfants! (Les enfants restent figés sur place, sans que Médée ne s'en aperçoive. Elle s'adresse au choeur, arrogante) Pour qui il ne sied pas d'assister à mes sacrifices, il le devra bien. Ma main, je ne la mettrai pas à mal! (Soliloque) Â! Â! Non, pas cela, mon coeur! Toi, ne fais pas cela! Laisse-les, malheureuse, épargne tes petits. Même en ne vivant pas avec moi, ils feront ta joie! (Se ressaisissant et s'adressant à nouveau au choeur) Par les génies vengeurs de l'Hadès sous la terre, jamais cela ne se passera comme ça! Moi laisser mes ennemis accabler mes enfants d'outrage!... (Soliloque) Pas moyen de revenir en arrière! Ce ne sera pas possible d'y échapper. (1065-1066) Maintenant, le diadème sur la tête, la jeune princesse dans les voiles se consume. Je ne le sais que trop bien! Mais je vais prendre la plus malheureuse des voies et eux les envoyer sur une plus malheureuse encore... Je veux parler à mes enfants.... (Elle s'aperçoit qu'ils sont toujours là et se précipite vers eux) Donnez mes petits, donnez votre main droite à votre mère, elle veut l'embrasser. (1071) Comme j'aime ta main, ta bouche comme je l'aime. Quel nobles visages, quelle noble allure vous avez mes petits! Soyez heureux, tous les deux... mais là-bas. Car le bonheur d'ici, votre père vous l'a pris! Quels doux baisers! Quelle peau douce, quel souffle exquis ils ont mes petits! Allez, allez ! (Médée détourne la tête tandis que les enfants entrent dans la maison) Je n'ai plus la force de regarder mes enfants, mais je suis vaincue par les malheurs. Et je me rends compte du mal que je vais oser, mais l'emportement est plus fort que mes résolutions et c'est lui qui cause aux gens les plus grands malheurs. [18] Scène XVIII – vers 1081-1115 CORYPHÉE (1081-1089) Souvent déjà, En propos trop subtils je me suis répandue, J'ai abordé des discussions trop importantes, Pour que la gent féminine y trouve de l'intérêt. Mais une Muse existe aussi pour nous, Qui nous approche pour nous inspirer la sagesse. À nous toutes? Non! Il n'y en a que peu, (Une seule parmi beaucoup la trouverait-on?) Peu qui ne soient pas étrangères aux Muses parmi les femmes. (1090) Ainsi je soutiens que, parmi les gens, ceux qui N'en ont pas l'expérience et n'ont pas engendré D'enfants, ont plus de chance Que ceux qui sont parents. Ceux qui n'ont pas d'enfants, ne sachant pas Si, pour les gens, avoir des enfants C'est agréable ou affligeant, puisqu'ils n'en ont pas, De bien des souffrances sont tenus à l'écart. (1097) Or ceux qui de petits ont dans leur foyer Une douce floraison, je les vois de soucis Éreintés tout le temps. D'abord celui de les élever convenablement Et de leur laisser de quoi vivre à ces petits. De plus, est-ce pour faire grandir des êtres vils Ou des êtres valeureux Qu'ils se donnent du mal? Voilà qui est incertain. Enfin, un seul, le dernier de tous les maux Pour tous les mortels, je le citerai: Certes, pour les faire vivre, leurs parents ont trouvé assez de ressources, Ils ont grandi et atteint la jeunesse, ces petits Qui valeureux se sont révélés. Mais, si jamais tel était Leur destin, la voilà en marche vers Hadès, La mort qui emporte les corps des petits. À quoi sert donc, qu'en plus des autres, Ce chagrin le plus pénible, À des mortels les dieux l'infligent, Pour avoir voulu des enfants? [19] Scène XIX – vers 1116-1235 MÉDÉE (1116-1120) Amies, cela fait combien de temps que j'attends les événements? Je guette pour connaître l'issue de ce qui se passe là-bas... Mais tiens! Je vois quelqu'un du personnel de Jason qui s'approche. Son souffle haletant montre qu'il apporte une mauvaise nouvelle. MESSAGER (1121-1123) Cet acte horrible... au mépris des lois,... c'est toi qui l'a fait, Médée! Fuis!... Fuis!... Ne refuse ni char... marin ni vaisseau... terrestre! MÉDÉE (1124) (Avec flegme) Mais qu'arrive-t-il qui m'impose de fuir? MESSAGER (1125-1126) Elle est morte la princesse... Elle vient de mourir!... Une jeune fille!... Et Créon aussi, son père... Tout cela à cause de tes poisons! MÉDÉE (Avec cynisme) (1127-1128) Quelle merveilleux récit tu viens de me conter! C'est désormais parmi mes bienfaiteurs et mes amis que tu compteras! MESSAGER (1129-1131) Quoi?... As-tu toute ta raison?... Es-tu folle, femme?... Toi, qui a outragé le foyer des princes, tu te réjouis à cette nouvelle et... ce qui est arrivé ne te fait pas peur? MÉDÉE (1132-1135) Mais moi aussi, j'ai quelque chose à dire pour contrer tes propos! Allons...Tu ne vas pas te fâcher...Tu es un ami... Dis-moi! Comment sont- ils morts? (Silence au cours duquel le messager reprend son souffle et ses esprits) MESSAGER (1136-1230) Lorsque tes petits, tes deux rejetons, sont arrivés avec leur père et qu'ils sont entrés dans l'appartement nuptial, nous avons laissé éclater notre joie, car tes malheurs, nous les supportions mal, nous les serviteurs. Immédiatement, de bouche à oreille, circulent de nombreux propos selon lesquels toi et ton époux vous aviez réglé votre ancienne querelle. On donne des baisers à tes enfants, qui sur la main, qui sur leurs têtes blondes. Et moi, oui moi, voilà que de joie je me mets à suivre Jason avec les enfants jusqu'au gynécée. (1144) La maîtresse que maintenant nous honorons à ta place, sans remarquer tes petits - et dire qu'ils sont deux! - avait le regard plein de désir rivé sur Jason. Mais ensuite elle s'est couvert les yeux et a complètement détourné sa joue blanche, tant l'intrusion des enfants lui faisait horreur! Mais ton époux a coupé court à la colère et la mauvaise humeur de la jouvencelle en lui disant: Ah, non! Pas d'hostilité envers ceux que j'aime! Trève de ressentiment! Veux-tu bien tourner la tête à nouveau par ici? Considère comme chers ceux qui le sont à ton époux! Accepte leurs cadeaux et demande à ton père de gracier ces enfants de l'exil! Par amour pour moi! Elle, lorsqu'elle découvrit la parure, ne se contint plus et accorda tout à son époux. (1156) Avant même que leur père et tes enfants eussent quitté la vaste demeure, (1158) elle s'était saisie et enveloppée du voile plein d'artifices et avait posé sur ses boucles la couronne d'or. Devant son miroir brillant, elle arrange sa coiffure en souriant de plus belle à l'image inanimée de son corps. Ensuite elle se lève de son fauteuil, va et vient dans l'appartement en posant avec grâce ses pieds tout blancs, elle ne se tient plus de joie pour ces cadeaux, et bien souvent ses yeux s'attachent sur ses talons dressés... Mais un spectacle atroce apparaît. La voilà qui change de couleur, se plie, traverse les pièces en sens inverse, tremble de tous ses membres et, à grand-peine, se laisse tomber sur le fauteuil en manquant de peu de tomber à terre. Alors une vieille servante, croyant voir s'annoncer la fureur de Pan ou d'un autre dieu, lança une prière dans un cri, avant de lui voir couler de la bouche une écume blanche, ses yeux se révulser, son sang se retirer du corps. Alors à ce cri de prière répond une lamentation immense. Immédiatement l'une court à l'appartement du père, une autre auprès du nouveau marié (1178) pour les avertir du malheur de la jeune femme. Toute la maison résonne d'allées et venues incessantes. Déjà un marcheur alerte aurait à longues foulées parcouru six plèthres quand la malheureuse retrouva la voix et rouvrit les yeux. Dans d'affreux gémissements, elle se réveillait. Dédoublée, la douleur lui livrait bataille. Le bandeau d'or qui lui ceignait la tête lançait un incroyable torrent de feu qui dévorait tout, tandis que les voiles légers, cadeau de tes petits, rongeaient la chair blanche de l'infortunée. Elle s'arrache au fauteuil, fuit tout en flammes, secoue sa chevelure et sa tête d'un côté, de l'autre en voulant faire tomber la couronne. Mais, inébranlable, l'or s'attachait à elle, et le feu, plus elle secouait ses cheveux, brillait deux fois plus fort. Elle s'écroule à terre se laissant vaincre par le mal, devenue, sauf pour son père, complètement méconnaissable. On ne voyait plus comment était ses yeux ni son beau visage. Son sang dégouttait du sommet du crâne en se mélant au feu.. Les chairs de ses os, telles les larmes d'un pin, se détachaient sous les machoires invisibles des poisons. Une vision d'horreur... (1202) Tous, nous redoutions d'effleurer le cadavre, instruits que nous étions par ce malheur. (1204) Son père, le pauvre homme, ignorant la catastrophe, entra soudain dans l'appartement. Il s'écroula sur la morte. Il éclata aussitôt en sanglots, étreignit le corps qu'il couvre de baisers: "Ô malheureuse enfant,dit-il, qui parmi les dieux t'a tuée avec tant d'infamie? Qui rend un vieux voué à la tombe orphelin de toi. Oimoi, si je pouvais mourir avec toi, ma petite fille". Il mit fin à ses lamentations et ses cris, et voulut redresser son vieux corps. Mais, tout comme le lierre aux jeunes plants de laurier, il était attaché aux voiles légers. C'était une lutte épouvantable. Voulait-il se relever, sa fille ne pouvait que le retenir. S'il y mettait de la violence, il arrachait de ses os ses vieilles chairs. Il finit par renoncer, le malheureux, et laissa partir son âme, car il ne pouvait plus se mesurer à ses souffrances. Ils gisent morts, la fille et son vieux père, côte à côte et leur malheur fait couler bien des larmes... (Après un silence, le mesager se ressaisit) Pour moi, pas question de discuter de ton sort. Tu découvriras par toi- même le châtiment à subir en retour. Ce que font les hommes n'est pour moi et depuis bien longtemps que jeux d'ombres, et je n'aurais pas peur d'affirmer que les gens qui passent pour avisés et portés à la réflexion, ceux-là encourent le plus grand châtiment. Car parmi les mortels, aucun homme n'est heureux. Si la prospérité afflue, on peut être plus chanceux qu'un autre. Heureux? Non! (Le messager quitte la scène où règne un silence lourd) CORYPHÉE (1231-1235) Elle semble la divinité en ce jour destiner Bien des maux bien mérités à Jason. Ô infortunée, sur tes malheurs, comme nous pleurons, Fille de Créon, qui vers les portes d'Hadès Es partie à cause des noces de Jason. [20] Scène XX – vers 1236-1250 MÉDÉE (S'adressant au choeur) Amies, mon plan est arrêté: au plus vite, mes enfants... les tuer et fuir cette terre... (1238) Non, ne pas y traîner ni provoquer le meurtre de mes petits par une autre main trop hostile. De toute façon, ils n'ont pas d'autre alternative que de mourir. Et puisque c'est comme ça, c'est moi qui les tuerai, moi qui les ai mis au monde... (Soliloquant) (1242) Mais quoi? Arme-toi, mon coeur! Qu'est-ce que j'attends pour accomplir ces forfaits effarants et inévitables? Allons ma pauvre main, le couteau, le couteau! Traîne-toi vers une vie qui s'ouvre lugubre... Pas de faiblesse! Ne pas penser à tes enfants... que tu les aimes plus que tout,... que tu les a mis au monde... Au moins pour ce bref instant oublier tes enfants... Ensuite abandonne-toi aux pleurs... Oui, même si tu les tues, ils auront pourtant été aimés... (1250) Et moi, quelle femme malheureuse je suis! (Médée entre dans la maison et verrouille les deux battants de la porte) [21] Scène XXI – vers 1251-1270 CHOEUR Strophe (1251-1260) Ô Gè et toi qui tout illumine De ton rayonnement, Hèlios, regardez, voyez la Femme funeste qui va porter une main sanglante Sur ses petits et se détruire elle-même. Car de ta semence d'or Ils sont issus, et leur sang divin - Ô horreur - va couler par le fait des hommes. Mais elle, ô lumière divine, Freine-la, contiens-la, éloigne-la de la demeure, la malheureuse Et sanglante Érinye suscitée par les génies du mal! Antistrophe (1261-1270) (S'adressant à Médée) En vain se perd ce que tu as souffert pour tes petits. En vain, oui, tu as mis au monde une descendance chérie, Toi qui des Symplégades azurées a franchi Le passage de leurs rochers inhospitaliers. Infortunée, pourquoi de ton coeur si lourdement Le ressentiment fond-il sur toi et la haine Mortifère remplace-t-elle tout? (1269) Insupportables pour les mortels les souillures du sang familial! Elles ne suscitent pour qui tue les siens que souffrances À leur mesure que les dieux sur son foyer font fondre. [22] Scène XXII – vers 1271-1292 ENFANTS (1271) (de l'intérieur de la maison) Aîai ! Strophe (1271-1281) CORYPHÉE (1271-1272) (Se tournant vers la maison) Les entends-tu crier? Les entends-tu les enfants? Ô malheureuse femme, ô toi dont le destin est maudit. PREMIER ENFANT (1273) (Avec effroi) Oimoi ! Que faire? Où échapper aux mains de maman? SECOND ENFANT (1274) (Avec effroi) Je ne sais pas, frère chéri... Nous voilà mis à mort! CORYPHÉE (1275-1276) (Tétanisé) Entrer dans la maison? Il faut l'empêcher de massacrer, Je crois, les enfants! PREMIER ENFANT (1277) (Avec effroi) Oui, oui, par les dieux, empêchez-la! Vite! SECOND ENFANT (1278) (Avec effroi) Nous allons tomber dans les pièges, sous le couteau! CORYPHÉE (1279 - 1283) Malheureuse, étais-tu donc de roc ou de Fer, toi dont le destin sera de tuer les petits Nés de toi, de ta propre main? (Antistrophe) (1284-1292) Seule, oui, je le sais, seule, antan Une femme a porté la main sur ses enfants chéris. PREMIER PARASTATE (1284-1285) Ino, que les dieux rendirent folle, lorsque de Zeus l'épouse l'expulsa de sa demeure pour une course errante. CORYPHÉE (1286-1287) Elle se jette la malheureuse dans l'amertume de la mer tuant ses petits. Quelle impiété! SECOND PARASTATE (1288-1289) Elle s'élance du rivage dans le grand large et se tue rejoignant ses enfants dans la mort. CORYPHÉE (1290-1292) Que pourrait-il encore arriver de redoutable? Ô Lit des épouses, Source de souffrances, que de maux aux gens as-tu déjà causé ! (Jason arrive en courant) [23] Scène XXIII – vers 1293-1316 JASON (1293-1305) (Menaçant et criant) Femmes! Oui, vous qui êtes là, tout près de la maison! Dites-moi! Est-elle à l'intérieur, celle qui a commis ces horreurs? Est-elle encore là, Médée? Ou alors a-t-elle fui ailleurs? Car elle doit s'être cachée sous terre ou envolée avec des ailes dans l'immensité du ciel, si elle n'expie pas sa faute envers la maison royale! Est-ce qu'elle croit, elle qui a tué les maîtres du pays, qu'elle va s'échapper en toute impunité de cette maison? (Baissant le ton et marquant de l'inquiétude) ... (1301) Mais non! Ce n'est pas vraiment pour elle que je me fais du souci, mais pour les petits. Elle? Ceux qu'elle a maltraités la malmèneront! C'est pour mes enfants que je suis venu, pour leur sauver la vie, pour que la famille (1304) ne déclenche rien contre moi en leur faisant payer le crime abominable de leur mère. CORYPHÉE (1306-1307) Pauvre homme! Tu ne sais pas dans quel grand malheur tu te trouves, Jason. Sans quoi, tu n'aurais pas parlé ainsi. JASON (1308) Que se passe-t-il? Est-ce que, moi aussi, elle veut me tuer? CORYPHÉE (1309) Les enfants sont morts de la main de leur mère... Tes enfants... JASON (1310) (Cri de stupeur et de douleur) Oimoi ! Ciel, qu'as-tu à me dire? Tu m'as tué, femme! CORYPHÉE (1311) Tes enfants ne sont plus! Mets-le toi bien en tête! JASON (1312) Où les a-t-elle tués? À l'intérieur ou hors de la maison? CORYPHÉE (1313) Fais ouvrir les portes et tu verras le massacre de tes enfants. (Jason fonce vers la maison dont il ébranle en vain les portes) JASON (1314- 1316) (Hurlant) Portiers! Ouvrez immédiatement les verrous! Détachez les fermetures! Je veux voir mon double malheur, eux qui sont morts... et elle, je lui infligerai son châtiment! (Médée apparaît sur un char tiré par un dragon ailé. Elle l'arrête au-dessus de la maison. Auprès d'elle se trouvent les corps des enfants) [24] Scène XXIV – vers 1317-1419 MÉDÉE (1317-1322) (Sarcastique) Pourquoi les secoues-tu et les forces-tu, ces portes? Rechercherais-tu des morts et moi, l'auteur de tout? Arrête de te donner tout ce mal! Si c'est de moi dont tu as besoin, parle au cas où tu veux quelque chose... (Jason fait un geste vers elle) Ta main ne me touchera jamais! Ce char, le père de mon père- oui Hèlios! - me le donne, comme rempart contre une agression ennemie. JASON (1323-1350) Ô femme la plus haïssable, toi que les dieux exècrent le plus, et moi aussi et tout le genre humain... Contre tes propres enfants tu as osé porter le fer, toi qui les a mis au monde...Tu m'as tué en me privant de mes enfants... Et dire qu'après avoir fait tout cela, tu contemples le soleil et la terre, toi qui a osé l'acte le plus impie!.. . Si tu pouvais périr... Moi, maintenant je comprends... Je n'avais rien compris avant, lorsque je t'ai fait quitter ton palais et ta terre barbare pour une maison grecque, toi ce grand fléau, toi qui trahissais ton père et la terre qui t'avait nourrie! Le génie vengeur de tes crimes, c'est contre moi que les dieux l'ont lancé, car tu venais de tuer ton frère dans votre foyer quand tu t'es embarquée sur Argo à la belle proue... C'est comme ça que tu as commencé. Toi qui as épousé celui qui te parle et m'as mis au monde des petits, c'est pour défendre ton lit d'épouse que tu les as tués! Il n'y a aucune femme grecque qui aurait osé cela... Ces femmes auxquelles je t'ai préférée comme épouse... Je me suis engagé avec une ennemie qui a causé ma perte, (1342) avec une lionne, pas une femme, car tu as une nature plus féroce que Scylla la Tyrrhénienne... Mais, bien sûr, ce n'est pas avec des reproches sans fin que je pourrais te mordre. Quelle impudence est en toi! Va-t-en à ta perte, infâme scélérate souillée du sang de tes enfants! Sur moi, sur mon destin, je ne peux plus que gémir: je ne connaîtrai pas les joies de mon nouveau mariage et les enfants que j'ai engendrés et élevés pour moi, jamais plus je ne pourrai leur parler, à eux vivants... Je les ai perdus. MÉDÉE (1351-1360) J'aurais beaucoup à répliquer à ces propos, si Zeus, père de l'univers, ne savait pas tout ce que tu as obtenu de moi et comment tu m'as traitée. Tu n'allais pas après avoir déshonoré ma couche poursuivre une vie agréable en me tournant en ridicule, et ta princesse non plus d'ailleurs, et Créon, qui t'a proposé ce mariage, n'allait pas m'expulser de cette terre en toute impunité... Cela étant, si cela te plaît, traite-moi de (1368) lionne ou de (1369) Scylla qui vit en Tyrrhénie, car ton coeur je l'ai, comme il se doit, atteint en retour. JASON (1361) Toi aussi tu souffres et tu as ta part de malheurs. MÉDÉE (1362) Que cela soit clair pour toi: elle m'est utile la souffrance dont tu ne ries pas. JASON (1363) Ô mes petits, quelle mère perverse avez-vous eue! MÉDÉE (1364) Ô mes enfants, vous avez péri de la passion de votre père! JASON (1365) Ce n'est certes pas ma main qui les a tués... MÉDÉE (1366) Mais bien ta démesure et tes nouvelles épousailles! JASON (1367) C'est pour la cause de ton lit que tu as estimé pouvoir les tuer. MÉDÉE (1368) Une épreuve de rien du tout pour une femme! C'est cela que tu crois? JASON (1369) Oui, pour celle qui est pudique. Mais toi, tu n'est que vice. MÉDÉE (1370) (Désignant les corps des enfants) Eux, ils ne vivent plus. C'est cela qui te rongera! JASON (1371) Eux, ils vivent, vengeurs cruels attachés à ta tête. MÉDÉE (1372) Ils le savent bien, les dieux, qui est à l'origine du mal. JASON (1373) Ils savent donc que ton âme est méprisable. MÉDÉE (1374) Prends-moi en horreur! Tes ragots odieux, je les hais. JASON (1375) Et moi les tiens! Il est facile d'en finir. MÉDÉE (1376) Comment? Qu'ai-je à faire? C'est tout ce que je veux! JASON (1377) Laisse-moi enterrer leurs corps et les pleurer. MÉDÉE (1378 -1388) Pas question! Moi, je les enterrerai de mes propres mains, je les porterai au sanctuaire d'Héra, protectrice des sommets, afin qu'aucun de mes ennemis ne les outrage en renversant leurs tombes. À cette terre de Sisyphe j'affecterai désormais une fête et des solennités en réparation de ce meurtre impie. Moi-même, j'irai dans la terre d'Érechthée pour y vivre avec Égée, fils de Pandion. (1386) Toi, comme on peut s'y attendre, tu auras la mauvaise mort d'un mauvais bougre, après avoir vu l'odieuse fin de tes nouvelles épousailles. JASON (1389-1390) Mais si elle pouvait l'Érynie te faire mourir pour venger des petits L'assassinat, et la Justice aussi! MÉDÉE (1391-1392) Qui t'écoute? Un dieu ou un génie? Toi le parjure, toi qui berne tes hôtes! JASON (1393) Pheû! Pheû! Infâme créature! Tueuse d'enfants! MÉDÉE (1394) Rentre chez toi et enterre ta femme! JASON (1395) J'y rentre, privé de mes petits, de tous les deux! MÉDÉE (1396) Tu n'as pas encore à te lamenter. Attends la vieillesse. JASON (1397) Ô mes petits tant aimés! MÉDÉE (1397) Par leur mère, oui! Pas par toi! JASON (1398) Et alors tu les as tués! MÉDÉE (1398) C'est bien toi qu'ils anéantissent! JASON (1399 - 1400) Ômoi! Le visage chéri De mes enfants, je demande, pauvre de moi, à y poser les lèvres! MÉDÉE (1401-1402) Maintenant tu leur parles, maintenant tu leur montres de l'affection! Avant, tu les rejetais! JASON (1402-1403) Laisse-moi, par les dieux, Effleurer la tendre peau des petits! MÉDÉE (1404) C'est non! Ce sont des mots lancés en pure perte! (Le char de Médée disparaît) JASON (1405- 1414) Zeus, cela l'entends-tu? Comme je suis repoussé! Comme je souffre à cause de l'infâme créature, (1407) Cette lionne tueuse d'enfants! (Regardant du côté où Médée a disparu) Mais - et c'est tout ce que je peux encore faire - Je pleure, j'en appelle aux dieux, Je les prends à témoin qu'après m'avoir Tué les petits, tu m'empêches de les Effleurer et, de mes mains, ensevelir leurs corps. Eux, jamais, moi qui les ai engendrés, je n'aurais dû Les découvrir massacrés par toi! (Jason s'écroule) CORYPHÉE (1415-1419) (Sur le devant de la scène) De bien de circonstances l'ordonnateur en est Zeus Olympien. Bien des événements, sans qu'on s'y attende, les dieux les réalisent. Ce qui était prévu ne s'est pas accompli. À l'imprévu la divinité a ouvert la voie. Ainsi vient d'aboutir cette action.