[0] ION. La scène est à l'entrée du temple de Delphes. MERCURE Atlas, qui sur ses épaules d'airain porte le ciel, antique demeure des dieux, engendra dans le sein d'une déesse, Maïa, qui me mit au monde, moi Mercure, messager de Jupiter, le plus grand des immortels. 5 J'arrive ici, à Delphes, dans ce temple placé au centre de la terre, où Apollon dévoile aux mortels ses oracles, qui révèlent le présent et l'avenir. Il est une ville célèbre de la Grèce à laquelle Pallas à la lance d'or a donné son nom : là Phébus surprit Créuse, fille d'Érechthée, et la força de céder à sa passion, au pied de la citadelle de Pallas, dans cette partie du territoire athénien que les maîtres de l'Attique appellent l'antre de Macra. A l'insu de son père (telle était la volonté du dieu), elle porta dans son sein le fruit de leur amour ; et, quand le temps fut venu, lorsque Créuse eut mis au monde un fils, elle le déposa dans la même grotte où le dieu l'avait rendue mère, et l'enferma pour mourir dans une corbeille arrondie. Elle resta fidèle à l'usage de ses ancêtres, à celui qui fut suivi pour Érichthon, fils de la Terre. En effet, Minerve avait mis près de lui deux serpents pour le défendre, en le confiant à la garde des filles d'Agraule. De là l'usage constant parmi les Érechthides d'élever leurs enfants parmi des serpents dorés. Créuse attacha donc au cou de son fils un ornement semblable, puis elle l'exposa à la mort. Alors Apollon m'adresse cette prière : 29 « O mon frère, va vers le peuple autochtone de l'illustre Athènes (tu connais la ville de Minerve). Sous une grotte creusée dans le roc tu trouveras un enfant nouveau-né. Prends-le avec le berceau et les langes qui l'enveloppent ; apporte-le à Delphes, où je rends mes oracles, et dépose-le à l'entrée de mon sanctuaire. C'est mon fils, afin, que tu le saches. Je veillerai sur sa destinée. » Pour complaire à mon frère Apollon, je transporte le berceau de joncs, je dépose l'enfant sur les marches du temple, et j'entrouvre la corbeille afin de laisser paraître ce qu'elle contenait. 41 Aussitôt que le Soleil pousse ses coursiers dans la céleste carrière, la prophétesse entre dans le temple. En jetant les yeux sur ce jeune enfant, elle s'étonne qu'une fille de Delphesa ait osé profaner la demeure du dieu, en y portant le fruit d'un amour criminel. Elle était disposée à rejeter du sanctuaire cette créature innocente ; mais la pitié attendrit son cœur, et le dieu protecteur de l'enfant le préserva d'un arrêt sévère. La prêtresse le prit et l'éleva. [50] Elle ne sait ni qu'Apollon est son père ni de quelle mère il est né ; l'enfant lui-même ignore quels sont ses parents. 52 Pendant sa jeunesse, nourri des dons offerts sur les autels, il se livrait aux plaisirs de son âge ; mais, lorsqu'il eut atteint l'âge viril, les citoyens de Delphes l'ont fait gardien des trésors du dieu et intendant des choses sacrées, et il mène jusqu'ici dans le temple une vie irréprochable. 57 Créuse, la mère du jeune homme, a épousé Xuthus. Voici par quel événement. Les orages de la guerre avaient éclaté entre les Athéniens et les Chalcodontides, qui habitent l'Eubée; les armes de Xuthus ayant terminé heureusement cette guerre, on le récompensa par la main de Créuse, malgré son origine étrangère ; car il était Achéen, fils d'Eolus, né de Jupiter. Après plusieurs années d'un mariage stérile, ils viennent aujourd'hui consulter l'oracle dans le désir d'obtenir des enfants. Apollon dirige les événements avec prévoyance, on le suppose : il donnera son propre fils à Xuthus, qui vient consulter son oracle, et lui fera croire qu'il est né de lui, afin que ce fils, reçu dans la maison de sa mère, soit reconnu par Créuse, et que, sans trahir le secret de sa naissance, il jouisse d'une vie heureuse. Apollon veut que la Grèce l'appelle ION, et qu'il donne son nom aux colonies asiatiques. 76 Mais je me retire dans ces bosquets de lauriers, d'où j'apprendrai les arrêts du Destin sur cet enfant. Je vois le fils d'Apollon qui s'avance, pour orner les portes du temple avec des branches de laurier. Ion, je suis le premier des dieux à t'appeler de ce nom, que tu porteras dans l'avenir. 82 ION, suivi des ministres du temple. Déjà le Soleil fait briller sur la terre son char éclatant ; les astres, à l'aspect de ses feux, fuient dans le sein de la nuit sacrée ; déjà les sommets inaccessibles du Parnasse annoncent le jour aux mortels. La fumée de la myrrhe odorante s'élève à la voûte du temple, et la prêtresse de Delphes, assise sur le trépied sacré, va faire entendre aux Grecs les oracles qu'Apollon lui inspire. 94 Allez, ministres de Phébus que Delphes adore, allez vers la source argentée de Castalie ; et, après vous être lavés dans ses eaux pures, entrez dans le temple. Abstenez-vous de paroles de mauvais augure ; que votre bouche annonce d'heureux événements [100] aux mortels qui viennent consulter le dieu. Pour moi, fidèle aux soins que je remplis depuis mon enfance, je vais purifier l'entrée du temple avec des branches de laurier et des couronnes sacrées, et en répandant sur la terre une fraîche rosée, j'écarterai à coups de flèches les oiseaux qui pourraient souiller les offrandes; car, sans mère et sans père, je me dois au service du temple d'Apollon qui m'a nourri. 112 Viens, rameau verdoyant du laurier touffu, destiné à purifier le sol que couvre la voûte du temple d'Apollon, toi qui crois dans les jardins des immortels, où de saintes rosées font jaillir une source intarissable pour arroser la chevelure sacrée du myrte, dont le feuillage me sert chaque jour, dès que le Soleil prend son vol rapide, à balayer le temple du dieu auquel je rends un culte assidu. 125 O Péan ! ô Péan ! béni, béni sois-tu, fils de Latone ! O Apollon, je remplis à l'entrée de ce temple un ministère honorable, en me vouant au service du sanctuaire où tu rends tes oracles. C'est en effet un glorieux ministère pour moi de servir les dieux, et non les mortels. Les fatigues de ces nobles travaux ne me lasseront jamais. Phébus est mon père : je bénis le dieu qui me nourrit. Oui, je donne le nom de père au bienfaisant Apollon, qu'on adore dans ce temple. 125 O Péan ! ô Péan ! béni, béni sois-tu, fils de Latone ! Mais laissons reposer ce rameau de laurier ; de ces vases d'or je répandrai l'eau limpide des sources de Castalie, [150] je la verserai d'une main pure de souillures. Puisse ma vie s'écouler ainsi au service d'Apollon, ou puissé-je du moins ne le quitter que sous d'heureux auspices ! — Ah ! que vois-je ! — Les oiseaux du Parnasse ont quitté leurs nids; n'approchez pas des voûtes du temple, n'entrez pas sous ces lambris dorés. Je te percerai de mes flèches, héraut de Jupiter, toi dont les serres recourbées triomphent des autres oiseaux. Voici maintenant un cygne qui vogue à travers les airs jusque dans le sanctuaire. Que ne portes- tu ailleurs tes pieds éclatants comme la pourpre? ta voix, dont les accents rivalisent avec la lyre d'Apollon, ne te dérobera pas à mes traits. Éloigne-toi à tire-d'aile, et va dans le lac de Délos faire entendre tes chants harmonieux ; ton sang, si tu n'obéis, me vengera de ton audace... Ah ! quel est ce nouvel oiseau qui arrive? Ose-t-il construire sous cette voûte sacrée son nid de chaume, pour ses petits? le frémissement de cet arc te fera fuir. Quoi? tu restes encore? Va sur les bords de l'Alphée, ou dans les bosquets de Corinthe, donner le jour à ta jeune famille, et ne viens pas souiller les offrandes et le temple de Phébus. Je ne voudrais pas vous donner la mort, oiseaux, qui annoncez aux mortels la volonté des dieux ; mais je ne puis trahir les devoirs de mon ministère, et je resterai fidèle au service d'Apollon qui me nourri!. 184 LE CHOEUR. Athènes, chère aux immortels, n'est donc pas le seul lieu où leur demeure soit ornée de colonnes et de portiques, et où l'on célèbre le culte des Agyatides : mais chez Apollon brille aussi la double image des enfants de Latone, 190 DEMI-CHOEUR. Voyez cette peinture : c'est l'hydre de Lerne que le fils de Jupiter moissonne de sa faux dorée. Regardez, chères amies. DEMI-CHOEUR. Je le vois : à ses côtés un guerrier tient une torche ardente. DEMI-CHOEUR. Quel est-il? n'est-ce pas celui que notre navette a représenté sur la toile, lolas, le fidèle compagnon des glorieux travaux [200] du fils de Jupiter? DEMI-CHOEUR. Voyez encore ce héros monté sur un coursier ailé, terrassant le monstre a trois corps qui vomit des flammes. DEMI-CHOEUR. Je porte de tous côtés mes regards attentifs. DEMI-CHOEUR. Contemplez sur ce mur le combat des Géants. DEMI-CHOEUR. 208 Chères amies, regardons ce tableau. DEMI-CHOEUR. Reconnaissez-vous la déesse qui tourne contre Encélade son égide à la tête de Gorgone ? DEMI-CHOEUR. Ah ! c'est Pallas, c'est notre divinité. DEMI-CHOEUR. Et ces carreaux étincelants que lance au loin la main redoutable de Jupiter ? DEMI-CHOEUR. Je le vois foudroyer le superbe Mimas. DEMI-CHOEUR. Ici, Bacchus, de son thyrse entouré de lierre pacifique, renverse un fils de la Terre. LE CHOEUR. O toi, qui te tiens à l'entrée du temple, dis-nous si nous pouvons pénétrer dans ce sanctuaire ? 222 ION. Ce n'est pas permis, étrangères. LE CHOEUR. Ne peux-tu du moins répondre à mes questions ? ION. Que veux-tu savoir? LE CHOEUR. Est-il vrai que ce temple enferme en son sein le point central de la terre? ION. Il est vrai ; des couronnes l'entourent, et les Gorgones en défendent l'approche. LE CHOEUR. Voilà en effet ce que la renommée publie. ION. Immolez des victimes à la porte du temple avant de consulter le dieu, l'accès vous sera alors permis ; mais si vous ne faites couler le sang des brebis, l'entrée vous est interdite. LE CHOEUR. 230 Je comprends ; je ne transgresserai point la loi du dieu ; il me suffira de contempler au dehors les beautés de ce portique. ION. Vous pouvez, à votre gré, jouir de ce spectacle. LE CHOEUR. Nos maîtres nous ont envoyées admirer le temple du dieu. ION. Quels sont les maîtres que vous servez ? LE CHOEUR. Le séjour de Pallas est celui qu'habitent les rois que je sers. Mais voici ma maîtresse ; tu peux l'interroger. ION. 237 Ta noblesse et les généreux sentiments de ton âme se révèlent par la beauté de ton extérieur, ô femme, qui que tu sois. Le plus souvent on peut juger d'un homme à la vue de ses traits, et reconnaître s'il a l'âme noble... Mais que vois-je? des larmes remplissent tes yeux et baignent ton visage à l'aspect du temple d'Apollon. O femme, quelle est la cause d'une telle tristesse ? Quand tous les autres, en voyant le sanctuaire du dieu, se livrent à la joie, tes yeux versent des pleurs. 247 CRÉUSE. Étranger, tu n'as pas tort d'être surpris de mes pleurs : mais, à l'aspect du temple d'Apollon, [250] je n'ai pu me défendre d'un douloureux souvenir. Mon cœur était dans ma patrie lorsque mon corps était en ces lieux. O femmes infortunées ! ô attentats des dieux ! Où donc trouverons-nous la justice, si nous sommes les victimes de l'injustice de ces dieux qui règnent sur nous? ION. Quelle est donc la cause mystérieuse de ce chagrin? CRÉUSE. Rien : j'ai soulagé mon cœur : sur le reste je me tais, et toi, ne t'en inquiète plus. ION. Qui es-tu? d'où viens-tu? quelle est ta patrie? de quel nom dois-je t'appeler ? CRÉUSE. Créuse est mon nom ; je suis fille d'Érechthée ; Athènes est ma patrie. ION. O habitante d'une ville illustre, fille de nobles parents, combien je te révère ! CRÉUSE. Heureuse de ce côté, ô étranger, je ne le suis point d'ailleurs. ION. Au nom des dieux, ce que l'on raconte est-il vrai? CRÉUSE. A quel fait se rapporte ta question, étranger ? je désire le savoir. ION. L'aïeul de ton père était, dit-on, fils de la Terre? CRÉUSE. C'est Érichthonius que tu veux dire : mais que me sert une illustre naissance ? ION. Est-il vrai que Minerve l'enleva de la terre? CRÉUSE. 270 Dans ses mains virginales, sans l'avoir enfanté. ION. Le donna-t-elle à d'autres, comme cela est représenté dans un tableau ? CRÉUSE. Elle le confia aux filles de Cécrops, mais caché à leurs regards. ION. On raconte que les jeunes vierges ouvrirent la corbeille. CRÉUSE. Elles expièrent leur curiosité et teignirent les rochers de leur sang. ION. Bien. Et cet autre fait, est-il vrai, ou n'est-ce qu'un vain bruit? CRÉUSE. De quoi veux-tu parler? j'ai le loisir de te répondre, ION. Ton père, Érechthée, a-t-il fait périr tes sœurs? CRÉUSE. Il osa les immoler pour sauver son pays. ION. Et comment échappas-tu seule à la mort ? CRÉUSE. Enfant nouveau-né, j'étais dans les bras de ma mère. ION. Est-il vrai que la terre ait englouti ton père ? CREUSE. Neptune l'a fait périr d'un coup de son trident. ION. N'est-ce pas cet endroit qui fut appelé Macra? CRÉUSE. Que dis-tu là ? quel souvenir tu me rappelles ! ION. 285 Apollon, à l'arc étincelant, honore ce lieu. CRÉUSE. L'honore! que dis-tu? Ah! puissé-je ne l'avoir jamais vu! ION. Eh quoi ! hais-tu ce que le dieu chérit ? CRÉUSE. Nullement, mais je sais un crime qui s'est commis dans cette grotte. ION. Quel est celui des Athéniens qui t'a prise pour épouse ? CRÉUSE. Ce n'est pas un Athénien; mon époux est venu d'une terre étrangère. ION. Quel est-il? il doit être d'une illustre naissance. CRÉUSE. C'est Xuthus, fils d'Éole, issu de Jupiter. ION. Par quel événement un étranger est-il devenu ton époux ? CRÉUSE. L'Eubée est un pays voisin d'Athènes. ION. 295 Un bras de mer étroit est, dit-on, la limite qui l'en sépare. CRÉUSE. Xuthus a aidé les descendants de Cécrops à la soumettre. ION. Et, après les avoir secourus, il t'a obtenue pour épouse? CRÉUSE. Je fus la dot de la guerre et le prix de sa valeur. ION. Viens-tu seule consulter l'oracle, ou avec ton époux? [300] CRÉUSE. Avec mon époux : il s'est arrêté à l'antre de Trophonius. ION. Est-ce par curiosité, ou pour interroger l'oracle? CRÉUSE. Il veut interroger cet oracle et celui de Phébus sur une même question. ION. Est-ce sur les fruits de la terre ou sur vos enfants que vous venez le consulter ? CRÉUSE. Nous n'avons point d'enfants, quoique depuis longtemps l'hymen nous ait unis. ION. 305 Ainsi tu n'as jamais été mère? CRÉUSE. Apollon sait que je n'ai point d'enfants. ION. Infortunée ! heureuse en tout le reste, combien ce bonheur te manque ! CRÉUSE. Mais toi, qui es-tu? Combien ta mère me paraît heureuse ! ION. Je suis le serviteur du dieu : tel est le nom qu'on me donne. CRÉUSE. Est-ce la ville qui t'a consacré à lui, on bien as-tu été vendu comme esclave? ION. Je l'ignore ; je sais seulement que j'appartiens à Phébus. CRÉUSE. A mon tour, étranger, je me sens touchée de pitié pour toi. ION. Sans doute parce que j'ignore celle qui m'a enfanté et celui qui m'a donné le jour. CRÉUSE. Habites-tu ce temple, ou quelque autre maison ? ION. La maison du dieu est la mienne, partout où le sommeil me surprend. CRÉUSE. Est-ce enfant ou jeune homme que tu es venu dans ce temple ? ION. C'est dès ma plus tendre enfance, a ce que disent ceux qui passent pour le savoir. CRÉUSE. Quelle est la femme de Delphes qui t'a nourri de son lait? ION. Je n'ai jamais connu le sein d'une nourrice. Celle qui m'a nourri. CRÉUSE. 320 Quelle est-elle, infortuné ? Dans ma misère, je trouve d'autres misérables. ION. La prêtresse d'Apollon me tint lieu de mère. CRÉUSE. Parvenu à l'âge d'homme, quel moyen d'existence avais-tu ? ION. Cet autel m'a nourri des dons des étrangers qui visitent ce temple. CRÉUSE. Que je plains celle qui t'a mis au monde, quelle qu'elle soit! ION. Peut-être suis-je le fruit d'une faute dont elle eut à rougir. CRÉUSE. As-tu de quoi subvenir à tes besoins? tes vêtements annoncent l'aisance. ION. Le dieu que je sers me pare de ses dons. CRÉUSE. N'as-tu fait aucune recherche pour découvrir les auteurs de tes jours ? ION. Je n'ai aucun signe auquel je puisse les reconnaître. CRÉUSE. 330 Hélas ! il est une autre femme dont le sort est semblable à celui de ta mère. ION. Quelle est-elle? parle. Quelle joie si tu m'aidais à la découvrir ! CRÉUSE. C'est pour elle que je suis venue ici avant l'arrivée de mon époux. ION. Que désire-t-elle ? je la servirai avec zèle. CRÉUSE. Elle voudrait consulter secrètement l'oracle d'Apollon. ION. Explique-toi : je seconderai ton désir. CRÉUSE. Écoute donc... Mais la pudeur m'empêche de parler. ION. Alors tes vœux seront stériles : la Pudeur est une divinité sans énergie. CRÉUSE. Cette amie dont je parle reçut Apollon dans ses bras. ION. Apollon dans les bras d'une femme ! ne parle pas ainsi, étrangère ! CRÉUSE. 340 Elle donna un fils à ce dieu, à l'insu de son père. ION. Non ; elle veut couvrir la faute d'un mortel, CRÉUSE. Ce qu'elle dit, l'infortunée l'a réellement éprouvé. ION. Que fit-elle, si elle fut aimée d'un dieu? CRÉUSE. Elle exposa l'enfant hors de la maison paternelle. ION. Et cet enfant exposé, où est-il? vit-il encore ? CRÉUSE. On l'ignore, et c'est là-dessus que je veux consulter l'oracle. ION. S'il n'est plus, de quelle manière a-t-il péri ? CRÉUSE. Elle craint qu'il ne soit devenu la proie des bêtes sauvages. ION. Sur quel indice a-t-elle conçu cette crainte? [350] CRÉUSE. En revenant à la place où elle l'avait exposé, elle ne le trouva plus. ION. Y avait-il quelques traces de sang sur la route ? CRÉUSE. Elle assure n'en avoir pas vu, malgré tous ses soins à explorer les lieux d'alentour. ION. Quel temps s'est écoulé depuis la mort de l'enfant? CRÉUSE. Il aurait, s'il vivait, à peu près le même âge que toi. ION. Le dieu est injuste envers elle ; je plains cette malheureuse mère. CRÉUSE. Elle n'a eu depuis aucun autre enfant. ION. Mais si Phébus l'avait enlevé secrètement pour l'élever lui-même ? CRÉUSE. En se réservant à lui seul un bonheur commun, il n'agit pas avec justice. ION. Hélas ! que sa destinée a de rapports avec mon infortune! CRÉUSE. 360 Toi aussi, étranger, tu causes sans doute les regrets d'une malheureuse mère. ION. Ah ! ne réveille pas en mon cœur des douleurs assoupies. CRÉUSE. Je me tais ; mais achève de répondre à mes questions. ION. Sais-tu quel est le point le plus fâcheux dans ton récit? CRÉUSE. Et en quoi cette infortunée n'a-t-elle pas à gémir ! ION. Comment le dieu révélera-t-il dans ses oracles ce qu'il veut tenir caché ? CRÉUSE. Il le fera, si sur le trépied sacré il répond à toute la Grèce. ION. Cette action est une honte pour. lui ; ne le pousse pas à bout. CRÉUSE. Et c'est une souffrance pour la triste victime de sa passion. ION. 369 Non, nul ministre du dieu n'osera répondre à tes questions. Apollon, accusé d'un crime dans son propre temple, punirait justement celui qui ferait parler l'oracle pour toi. Retire-toi donc, femme ; on ne peut demander au dieu de se condamner lui-même. Ce serait le comble de la démence, quand les dieux ne veulent pas parler, de prétendre les y contraindre par des sacrifices de victimes ou par le vol des oiseaux. Les biens que nous poursuivons violemment malgré les dieux, cessent d'être des biens quand nous les possédons ; ceux qu'ils nous accordent de leur plein gré sont les seuls qui nous profitent. LE CHOEUR. Que de calamités diverses fondent sur la foule des mortels! les formes sont différentes. Il est bien difficile de trouver dans la vie humaine un bonheur continu. CRÉUSE. 384 O Apollon, aujourd'hui, comme autrefois, tu te montres bien injuste envers la femme absente pour laquelle je parle ici. Tu as laissé périr ton fils, sur lequel tu aurais dû veiller; et quoique prophète, tu ne réponds pas à sa mère, pour que du moins, s'il n'est plus, elle lui érige un tombeau, et que, s'il vit encore, il paraisse enfin aux yeux de sa mère. Eh bien ! il faut se résigner, si le dieu refuse de m'apprendre ce que je veux savoir. Mais, ô étranger, je vois Xuthus, mon noble époux, qui s'avance ; il sort de l'antre de Trophonius ; ne lui révèle pas nos entretiens, de peur de m'attirer quelque reproche pour ce secret divulgué, et que mes paroles ne soient mal interprétées ; [400] car la condition des femmes est bien malheureuse vis-à-vis des hommes : les bonnes sont confondues dans une haine commune avec les méchantes. XUTHUS. Que mes premières paroles s'adressent au dieu pour lui rendre hommage ; et toi aussi, femme, salut. Mon retour tardif ne t'a-t-il point causé d'inquiétude ? CRÉUSE. 404 Non, mais tu es arrivé à temps pour la prévenir. Mais dis-moi quel oracle tu rapportes de l'antre de Trophonius, et quel espoir il nous reste d'avoir des enfants. XUTHUS. Il n'a pas voulu devancer la réponse du dieu ; il m'a dit seulement que ni toi ni moi nous ne reviendrions de Delphes sans enfant. CRÉUSE. Vénérable mère d'Apollon, puisse notre voyage avoir un heureux succès ! puisse notre démarche auprès de l'oracle mieux réussir auprès de ton fils ! XUTHUS. Il en sera ainsi. Mais où est le prophète du dieu ? ION. Mon ministère ne s'étend qu'au dehors : dans l'intérieur du temple siègent près du trépied sacré les premiers citoyens de Delphes désignés par le sort. XUTHUS. 417 C'est bien, j'ai tout ce que je désirais. J'entre dans le temple. Voici en effet, à ce que j'apprends, le jour marqué par le sort, auquel l'oracle se fait entendre à tous les étrangers ; je n'en puis choisir un plus propice pour interroger le dieu. Pour toi, femme, prends des rameaux de laurier, et prie les dieux que je rapporte du sanctuaire d'Apollon un oracle qui nous promette d'heureux enfants. CRÉUSE. Je le ferai, oui, je le ferai. Si Apollon veut à présent réparer ses anciens torts, sans doute il ne sera pas encore complètement notre ami; mais puisqu'il est dieu, je recevrai toutes les faveurs qu'il voudra nous accorder. ION. 429 Qui peut porter cette étrangère à faire au dieu de secrets reproches ? Est-ce l'amante pour laquelle elle consulte l'oracle? est-ce quelque aventure secrète dont elle doit faire mystère?... Mais que m'importe la fille d'Érechthée? Aucun lien ne m'unit à elle. Je vais puiser de l'eau dans ces vases d'or pour arroser le temple. — Mais puis-je m'empêcher de blâmer Apollon? Abandonner une fille innocente après l'avoir séduite, et laisser mourir l'enfant dont il est le père ! ah ! cette conduite est indigne de toi ; et puisque tu règnes sur les mortels, sois fidèle à la vertu. Les dieux punissent parmi les hommes ceux dont le cœur est pervers : est-il donc juste que, vous qui avez écrit les lois qui nous gouvernent, vous soyez vous-mêmes les violateurs des lois? S'il arrivait (chose impossible, je le sais, mais je le suppose), s'il arrivait qu'un jour les hommes vous fissent porter la peine de vos violences et de vos criminelles amours, bientôt toi, Apollon, et Neptune, et Jupiter, roi du ciel, vous seriez contraints de dépouiller vos temples pour payer le prix de vos fautes. En vous livrant à vos passions au mépris de la sagesse, vous êtes coupables. [450] Il n'est plus juste d'accuser les hommes, s'ils imitent les vices des dieux, qui leur donnent de si funestes exemples. LE CHOEUR, seul. 452 Toi qui n'as jamais éprouvé les douleurs de l'enfantement, Minerve, ô ma déesse, je t'invoque, toi que Jupiter, aidé du Titan Prométhée, fit naître de son cerveau l'auguste Victoire, descends des lambris dorés de l'Olympe, et vole vers le temple de Delphes placé au centre de la terre, où Phébus rend ses oracles, du trépied sacré qu'entourent les danses religieuses. Viens avec la fille de Latone, toutes deux déesses, toutes deux vierges et sœurs d'Apollon, prier le dieu d'accorder à la fille d'Érechthée une fécondité si longtemps désirée. C'est pour les mortels un gage de prospérité inébranlable, de voir au sein de la maison paternelle une jeune et florissante postérité, qui transmettra ses richesses héréditaires à d'autres enfants : c'est un soutien dans l'adversité, une joie dans la bonne fortune, et dans la guerre c'est un rempart pour la défense de la patrie. A la richesse et aux alliances royales, je préfère le bonheur d'élever des enfants vertueux. Privé d'enfants, la vie m'est odieuse ; et celui à qui elle plaît ainsi, je le blâme. Puissé-je, dans une fortune médiocre, trouver le bonheur au milieu des mes enfants! 492 O retraite de Pan, grotte voisine des rochers de Macra, où les trois filles d'Agraulos, dans leurs danses légères, foulent les verts gazons qui fleurissent au pied du temple de Pallas, aux modulations variées de la flûte champêtre, [500] lorsque Pan la fait résonner dans sa caverne, où une jeune fille, séduite par Apollon, déposa le faible enfant qui faisait sa honte, et qu'elle abandonnait aux oiseaux de proie et aux bêtes sauvages. Ni dans les aventures que la navette reproduit sur la toile, ni dans les récits du passé, je n'ai jamais appris que les enfants nés du commerce d'un dieu avec les mortelles, aient été heureux. ION. 510 Femmes qui veillez autour de ce temple saint, attendant le retour de votre maître, Xuthus a-t-il déjà quitté le trépied sacré, ou est-il encore dans le sanctuaire à consulter le dieu ? LE CHOEUR. Étranger, Xuthus est encore dans le temple, il n'est point sorti de ce lieu sacré. Mais j'entends le bruit des portes qui s'ouvrent, comme s'il allait sortir; et tu peux le voir lui-même qui s'avance. XUTHUS. Réjouis-toi, ô mon fils; car je puis t'appeler ce ce nom. ION. Je me réjouis ; toi-même, que la sagesse t'éclaire, et tous deux nous serons heureux. XUTHUS. Donne-moi ta main à baiser, que je te presse dans mes bras. ION. 520 Étranger, es-tu dans ton bon sens? un dieu a-t-il égaré ta raison? XUTHUS. Ma raison n'est point égarée ; en retrouvant l'objet le plus cher, je désire lui témoigner ma tendresse. ION. Arrête : prends garde, en me touchant, de briser les couronnes du dieu. XUTHUS. Je te presserai contre mon sein ; je ne suis point un ravisseur. Je retrouve ce que j'ai de plus cher. ION. Si tu ne t'éloignes, ces flèches vont te percer le cœur. XUTHUS. Pourquoi me fuir quand tu reconnais celui que tu dois chérir? ION. Je n'aime pas ramener à la raison les étrangers malappris ou en délire. XUTHUS. Tue-moi et place-moi sur le bûcher ; en me tuant, tu seras le meurtrier de ton père. ION. Comment es-tu mon père ? N'ai-je pas lieu de rire d'une telle parole ? XUTHUS. Non. Écoute-moi ; la suite t'expliquera ce mystère. ION. 530 Et que me diras-tu? XUTHUS. Je suis ton père, et tu es mon fils. ION. Qui dit cela ? XUTHUS. Apollon, le dieu qui t'a élevé. ION. Tu n'as d'autre témoin que toi-même. XUTHUS. Je parle d'après l'oracle même du dieu. ION. Tu es abusé par ses paroles énigmatiques XUTHUS. N'ai-je pas entendu clairement la voix du dieu ? ION. Quelle est la réponse d'Apollon ? XUTHUS. Que le premier qui s'offrirait à ma vue. ION. En quel lieu? XUTHUS. Sans sortir du sanctuaire. ION. Que lui arrivera-t-il ? XUTHUS. Est mon fils. ION. Par la naissance, ou par adoption ? XUTHUS. Par adoption, quoiqu'il soit né de mon sang. ION. Et je me suis le premier trouvé sur tes pas ? XUTHUS. Toi-même, mon cher fils ! ION. D'où vient ce coup de la fortune ? XUTHUS. J'en suis frappé comme toi. ION. 540 Mais quelle est la mère qui m'a donné à toi ? XUTHUS. Je ne saurais le dire. ION. Phébus ne l'a-t-il pas nommée ? XUTHUS. Dans l'excès de ma joie, je ne l'ai pas demandé. ION. J'ai donc eu la terre pour mère ? XUTHUS. La terre ne produit point d'enfants. ION. A quel titre puis-je donc t'appartenir ? XUTHUS. Je ne sais ; je m'en remets au dieu. ION. Abordons un autre sujet. XUTHUS. Cela vaut mieux, mon fils. ION. As-tu formé quelque union illégitime ? XUTHUS. J'ai eu des folies de jeunesse. ION. Avant d'épouser la fille d'Érechthée ? XUTHUS. Jamais depuis ce temps. ION. M'aurais-tu donné le jour avant cette époque ? XUTHUS. Le temps s'accorde avec ton âge. ION. Et comment serais-je venu en ces lieux ? XUTHUS. Là-dessus je ne sais que dire. ION. Le trajet était-il bien long ? XUTHUS. Je ne suis pas moins incertain à cet égard. [550] ION. 550 Avais-tu déjà visité la roche Pythique ? XUTHUS. J'y suis venu autrefois pour célébrer les fêtes de Bacchus. ION. Quel citoyen de Delphes te donna l'hospitalité ? XUTHUS. Celui qui m'associa au culte des jennes filles de Delphes, ION. A leurs mystères sacrés ? XUTHUS. Et aux fêtes des Ménades. ION. L'ivresse avait-elle troublé ta raison ? XUTHUS. Je m'étais livré aux plaisirs de Bacchus. ION. Voilà le moment où j'ai été engendré. XUTHUS. O mon fils, le Destin a révélé ta naissance, ION. Mais comment suis-je venu dans ce temple? XUTHUS, Sans doute tu fus exposé par celle qui te mit au monde. ION. J'ai échappé à l'esclavage. XUTHUS. Maintenant, mon fils, reconnais ton père. ION. Je dois ajouter foi à l'oracle du dieu. XUTHUS. Tu fais sagement. ION. Que pourrais-je vouloir de plus. XUTHUS. Tu vois maintenant comme il faut voir. ION. Que d'être fils du fils de Jupiter ? XUTHUS. Telle est ta destinée. ION. 560 Je pourrai donc embrasser les auteurs de mes jours? XUTHUS. Tu n'as qu'à en croire le dieu. ION. Salut, ô mon père ! XUTHUS. Parole bien douce pour mon cœur. ION. Salut, jour fortuné ! XUTHUS. Il me rend le bonheur. ION. O mère chérie, me sera-t-il donné aussi de te voir un jour? Qui que tu sois, maintenant plus que jamais, j'en éprouve le désir. Mais peut-être tu n'es plus, et il ne me sera plus possible de te voir. LE CHOEUR. Je partage le bonheur de la famille. Cependant j'aurais souhaité de voir aussi ma maîtresse heureuse par ses enfants avec toute la maison d'Érechthée. XUTHUS. 569 Mon fils, le dieu a conduit les événements avec sagesse, en te rendant à mes vœux et en te réunissant à moi ; et, à ton tour, tu as retrouvé un père chéri que tu ne connaissais pas. L'objet de tes vives poursuites est aussi mon vœu le plus cher : c'est que tu puisses, mon fils, retrouver une mère, et moi revoir celle qui t'a donné le jour. Mais fions-nous au temps, peut-être il nous la rendra. Quitte le temple qui fut le lieu de ton exil ; partage les sentiments de ton père, et viens à Athènes, où t'attendent son sceptre et son opulence ; ne crains plus qu'on te reproche ta naissance ou ta pauvreté ; aux yeux de tous, tu seras noble et fortuné. Mais tu gardes le silence. Pourquoi baisses-tu les yeux vers la terre ? Quelle inquiétude s'empare de toi ? Un passage si prompt de la joie à la tristesse alarme la tendresse d'un père. ION. 585 Les événements n'ont pas le même aspect lorsqu'ils sont éloignés et lorsqu'on les voit de près. Je rends grâces à ma destinée qui m'a fait retrouver un père tel que toi ; mais écoute ce qui m'occupe. Le peuple de l'illustre Athènes est, dit-on, autochtone, et ne tire pas son origine d'un pays étranger ; je me trouverai là marqué d'une double tache, fils d'un père étranger, et moi-même de naissance illégitime. Chargé de ce grief, si je reste sans pouvoir, on m'appellera un être nul, un homme de rien ; mais si je monte au premier rang et si je veux jouer un rôle, je serai haï du peuple ; car tout ce qui s'élève lui est à charge. D'un autre côté, les bons citoyens, les esprits sages, qui se taisent et s'abstiennent des affaires publiques, [600] riront de moi et me traiteront d'insensé de ne pas rester tranquille dans une cité pleine de calomnies. Si je veux prétendre aux honneurs, les orateurs, ceux qui gouvernent l'État me prendront pour but de leurs attaques. Voilà en effet ce qui se passe d'ordinaire ; ceux qui se mêlent des affaires et qui possèdent les charges publiques sont des ennemis implacables pour leurs rivaux. 607 Enfin si je viens, étranger dans une maison étrangère, près d'une femme privée d'enfants, qui, après avoir partagé ta peine, se voyant déçue dans son espoir, sentira cruellement l'amertume de son malheur, comment ne lui serais-je pas odieux lorsqu'elle me trouvera à tes pieds, et que, sans enfants elle-même, elle verra avec un amer regret ton fils chéri ? Et alors, ou tu m'abandonneras pour plaire à ton épouse, ou, si tu as des égards pour moi, tu jetteras le trouble dans ta maison. Que de meurtres, que d'empoisonnements les femmes n'ont-elles pas préparés contre leurs maris ! D'ailleurs, mon père, je ne pourrais sans pitié voir ton épouse vieillir privée d'enfants. Issue d'un sang illustre, elle ne mérite pas un pareil abandon. En vain tu me vantes les charmes de la royauté ; le dehors en peut plaire, mais au fond du palais on trouve la tristesse. Et comment vivre heureux au sein de la défiance et dans de perpétuelles alarmes ? J'aime mieux vivre au sein d'un bonheur obscur, que d'être roi pour m'entourer d'amis méprisables et pour haïr les gens de bien dans la crainte de mourir. Mais, diras-tu, l'or triomphe de ces ennuis ; il est doux de vivre dans l'opulence. Non, je ne puis me résigner aux malédictions ni conserver ma fortune au prix des soucis rongeurs. Je préfère une vie médiocre et exempte de peines. Et vois, mon père, quels sont les biens dont je jouis ici : d'abord le loisir, si cher à tous les hommes, et peu d'embarras ; nul méchant ne vient me troubler. Je n'ai point ce déboire intolérable de céder le pas à des êtres pervers. En adressant des prières aux dieux, ou en m'entretenant avec les mortels, je sers les heureux et non ceux qui gémissent. Quand les uns se retirent, d'autres étrangers les remplacent ; la nouveauté me rend toujours agréable à des hôtes nouveaux ; et ce qui doit faire l'objet des vœux de tous les mortels, la loi, d'accord avec la nature, me conserve juste en présence du dieu. En faisant cette comparaison, ma destinée en ces lieux me paraît préférable à celle que tu m'offres à Athènes. Permets-moi, mon père, de vivre pour moi-même : le bonheur est égal, soit qu'on le trouve dans une haute fortune ou dans une humble condition. LE CHOEUR. 648 J'approuve tes généreux sentiments, si toutefois ils s'accordent avec le bonheur de ceux que j'aime. [650] XUTHUS. Ne parle pas ainsi, mon fils, et apprends à être heureux. Je veux, puisque je te retrouve, célébrer cet heureux jour par un festin public, et offrir les sacrifices que je n'ai point offerts pour ta naissance. Maintenant je t'inviterai à un joyeux banquet, comme un hôte que je conduis dans mes foyers ; je t'emmènerai à Athènes comme pour la visiter, et non comme mon fils ; car je ne veux pas attrister mon épouse encore stérile, quand je suis dans la joie. J'attendrai du temps l'occasion de décider Créuse à te voir sans jalousie hériter de mon sceptre. Je te donne le nom d'Ion, qui convient à ta fortune, puisque, au sortir du sanctuaire du dieu, tu es le premier que j'ai rencontré. Va réunir tes amis, et invite-les au joyeux festin du sacrifice, avant de quitter la ville de Delphes. Vous, femmes, gardez le silence sur tous ces faits, ou la mort si vous les révélez à mon épouse. ION. 668 J'y vais; mais une chose manque à mon bonheur : si je ne retrouve celle qui m'a donné le jour, ô mon père, la vie est pour moi sans charmes. Si j'ai quelque vœu à former, puisse ma mère être Athénienne, pour que je tienne d'elle le droit de parler librement. Car l'étranger qui arrive dans une ville d'où les étrangers sont exclus, fût-il citoyen de nom, reste toujours esclave dans son langage, car il n'a pas la liberté de parler. LE CHOEUR seul. 676 Je vois couler les larmes, j'entends les gémissements et la désolation de ma maîtresse, lorsqu'elle saura que son époux retrouve un fils, tandis qu'elle-même demeure stérile et sans enfants. Fils de Latone, dieu prophète, quel oracle as-tu prononcé? Quel est donc cet enfant élevé dans ton temple? à quelle mère doit-il la vie? Cet oracle porte la tristesse dans mon âme; j'y redoute quelque tromperie. Je crains l'issue d'un événement si étrange; il m'annonce des suites non moins étranges. La fortune de ce jeune homme, dira-t-on, est l'ouvrage de ses artifices, l'origine qu'il s'attribue n'est pas la sienne. — Qui n'applaudira à ce langage ? 695 O mes amies, révélerons-nous à notre maîtresse l'ingratitude d'un époux en qui elle avait mis toutes ses espérances? Pendant qu'il jouira de son bonheur, elle consumera ses jours dans l'affliction ; son époux encourra le mépris de ses amis, lui qui, étranger, [700] devenu maître d'une maison florissante, n'a pas rendu la destinée égale entre lui et son épouse. Périsse le traître qui a trompé ma maîtresse! puissent les dieux rejeter l'offrande qu'il dépose sur leurs autels ! Ma maîtresse reconnaîtra mon attachement pour la race royale. Déjà Xuthus et son nouveau fils préparent un nouveau banquet, aux lieux où la roche du Parnasse élance son double sommet dans les cieux, et où Bacchus, armé de torches ardentes, conduit d'un pied léger les danses nocturnes des Bacchantes. Ah ! puisse cet enfant ne voir jamais ma patrie ! puisse la mort interrompre le cours de ses jeunes années! Cette invasion étrangère serait pour Athènes un sujet de douleur. C'est assez de la race de l'antique roi Érechthée. 725 CRÉUSE. Vieillard, qui jadis veillas sur l'enfance de mon père Érechthée, monte jusqu'au lieu saint où Apollon rend ses oracles, pour partager ma joie, si la réponse d'Apollon me permet l'espoir d'être mère. Il est doux de faire part à ses amis de son heureuse fortune ; ou si, ce qu'aux dieux ne plaise, il arrive quelque malheur, on aime à reposer ses yeux sur un mortel bienveillant. Quoique ta maîtresse, je t'honore ainsi qu'un père, comme autrefois tu honoras le mien. 735 LE VIEILLARD. Ma fille, tes sentiments sont dignes de tes illustres ancêtres, tu ne déshonores point l'antique race autochtone dont tu sors. Conduis, conduis mes pas vers le temple, soutiens-moi : le sanctuaire de l'oracle m'est rude à gravir; remédie à ma vieillesse, en aidant ma démarche chancelante. CRÉUSE. Suis-moi, observe bien où tu poses tes pas. LE VIEILLARD. Ainsi fais-je. Mon pied est lent, mais mon âme est prompte. CRÉUSE. Appuie-toi sur ton bâton dans ce sentier tortueux. LE VIEILLARD. Mon bâton aussi est aveugle, et ma vue est fort courte. CRÉUSE. Tu dis vrai ; mais ne cède pas à la fatigue. LE VIEILLARD. C'est malgré moi, mais les forces manquent à ma volonté. CRÉUSE. 747 Femmes, qui prêtez votre service fidèle à mes toiles et à ma navette, quelle réponse mon époux a-t-il reçue de l'oracle? quelle chance d'avoir un jour des enfants? [750] Dites-le-moi ; si vous m'annoncez une heureuse nouvelle, vous n'obligerez pas une maîtresse ingrate. LE CHOEUR. O destinée ! CRÉUSE. Voilà un début de mauvais augure. LE CHOEUR. O malheureuse ! je me tourmente moi-même des oracles annoncés à mes maîtres. Hélas ! que faire ? m'exposerai-je à la mort ? CRÉUSE. Quel est donc ce langage? d'où peuvent naître ces craintes ? LE CHOEUR. Dois-je parler ou me taire ? que faut-il faire ? CRÉUSE. Parle : tu as quelque malheur à m'annoncer. LE CHOEUR. Je parlerai, dussé-je encourir deux fois la mort. N'espère plus, ô ma maîtresse, porter jamais des enfants chéris entre tes bras, ou les nourrir de ton lait. CRÉUSE. Hélas ! puissé-je mourir ! LE VIEILLARD. O ma fille ! CRÉUSE. Ah! malheureuse! ma vie n'est qu'une suite de douleurs, de souffrances intolérables. O mes amies, je suis perdue. LE VIEILLARD. O mon enfant! CRÉUSE. Ah ! hélas! la douleur pénètre jusque dans mes entrailles. LE VIEILLARD. Ne te livre pas encore à l'affliction, CRÉUSE. Mais le malheur est là. LE VIEILLARD. 770 Avant que nous sachions CRÉUSE. Que puis-je apprendre ? LE VIEILLARD. Si ton époux partage ton infortune, ou si tu es seule à plaindre. LE CHOEUR. O vieillard, Apollon lui a donné un fils, il est heureux, lui seul et sans elle. CRÉUSE. Ah ! ces mots mettent le comble à ma douleur et me préparent d'éternels gémissements. LE VIEILLARD. Ce fils dont tu parles, est-il encore à naître, ou est-il déjà né ? LE CHOEUR. Il est déjà né, c'est un jeune homme déjà grand qu'Apollon lui a donné : je l'ai vu. CRÉUSE. Que dis-tu? C'est une chose incroyable, inouïe, que tu me racontes ! LE VIEILLARD. J'en juge de même. CRÉUSE. 785 Mais quelle est la fin de cet oracle? explique-le-moi plus clairement : quel est ce fils ? LE CHOEUR. Le dieu a donné pour fils à ton époux celui qu'il rencontrerait le premier au sortir du temple. CRÉUSE. Hélas ! hélas ! et moi je serai privée à jamais du nom de mère, ma vie sera en proie à la malédiction. Je vivrai solitaire au sein d'une maison déserte. Mais quel est donc celui que l'oracle a désigné? quel est celui que mon époux a rencontré? Comment, en quel lieu s'est -il offert à sa vue ? LE CHOEUR. O ma maîtresse, tu connais ce jeune homme qui balayait le temple, c'est cet enfant. CRÉUSE. Oh ! puissé-je m'envoler à travers l'air humide, loin de la Grèce, et jusqu'aux astres du couchant, pour y cacher ma honte et ma douleur ! [800] LE VIEILLARD. Quel nom a-t-il reçu de son père ? Le sais-tu ? Est-ce une chose encore inconnue ? LE CHOEUR. Il l'appelle Ion, parce qu'il s'est offert le premier aux regards de son père. LE VIEILLARD. Et quelle est la mère ? LE CHOEUR. Je ne puis te le dire, vieillard. Mais pour que tu saches tout ce que je puis t'apprendre, Xuthus est sorti pour offrir un sacrifice destiné à célébrer la naissance de son fils, et l'hospitalité qu'il lui donne ; il est allé dans les tentes sacrées à l'insu de son épouse, pour y donner un festin avec son fils. LE VIEILLARD. 808 O ma maîtresse, ton époux nous trahit (car tes maux sont les miens), il nous outrage avec intention, il nous bannit du palais d'Érechthée. Je n'ai point de haine pour ton époux, mais je t'aime mieux que lui, étranger à notre ville et à ta famille, lui qui, après t'avoir épousée, après avoir recueilli tout ton héritage, a des enfants d'un commerce clandestin avec une autre femme. Ce commerce clandestin, je vais l'expliquer : Lorsque Xuthus te vit stérile, il ne put se résoudre à partager ton infortune ; il s'unit à quelque esclave, dont il eut secrètement ce fils ; il l'envoya au loin, à quelque citoyen de Delphes, pour l'élever ; celui-ci, abandonné dans le temple pour y vivre caché, y reçut l'éducation. Son père, lorsqu'il le sut parvenu à l'âge de l'adolescence, t'engagea à venir consulter l'oracle sur ta stérilité. Le dieu n'a pas menti, c'est lui qui a menti en élevant un fils illégitime et en machinant ses tromperies : si la fraude eût été découverte, il aurait consacré son fils au dieu; si elle réussissait, il se réservait de le dédommager du passe, en lui transmettant sa puissance royale. Et il forge à loisir ce nouveau nom d'Ion, sans doute parce qu'il l'a rencontré au sortir du temple. 832 Oh ! combien je hais les pervers qui font le mal, et qui ensuite le parent de leurs artifices! J'aime mieux pour ami un esprit simple, mais honnête, qu'un méchant à l'esprit délié. Et pour comble de maux, tu verras un homme qui n'a pas de mère, un être méprisable, le fils d'une esclave, faire le maître dans ta maison. Le mal serait moindre sans doute si, faisant valoir auprès de toi le prétexte de ta stérilité, il eût introduit dans ta famille l'enfant d'une femme de noble naissance ; et si le sacrifice était trop pénible pour toi, il aurait dû chercher une nouvelle épouse dans la famille d'Éole. Après un tel outrage, il te faut une vengeance digne de ton sexe ; arme ta main du poignard, dresse quelque piège ou prépare le poison pour faire périr ton époux et son fils, avant qu'eux-mêmes ne te donnent la mort. Si tu faiblis en cette rencontre, tu perdras la vie : 848 de deux ennemis réunis sous le même toit, l'un ou l'autre doit succomber. [850] Pour moi, je veux être de moitié avec toi dans l'entreprise, et immoler le fils, en pénétrant dans la salle où il prépare le festin, et mourir en m'acquittant envers mes maîtres de leurs bienfaits, ou jouir avec eux d'une vie heureuse. Il n'y a de honteux chez les esclaves que le nom ; dans tout le reste un esclave ne vaut pas moins que les hommes libres, quand son cour est honnête. 857 LE CHŒUR. Moi aussi, maîtresse chérie, je veux partager ton infortune : je veux mourir, ou vivre avec honneur. CRÉUSE. 859 O mon âme, comment me taire ? ou comment révéler de criminelles amours et secouer la pudeur? Mais quel obstacle m'en empêche encore ? Contre qui ai-je à engager ce combat ? N'est-ce pas l'époux qui m'a trahie ? Maison, enfants, je perds tout, mes espérances sont évanouies; en vain j'ai voulu les réserver pour l'avenir, en gardant le silence sur une union fatale, sur un enfantement funeste. Non; j'en jure par le trône étoilé de Jupiter, par la déesse qui veille sur ma patrie, par le rivage sacré du marais de Triton, je ne cacherai plus ma faute, je soulagerai mon coeur d'un poids qui l'oppresse. Mes yeux fondent en larmes, mon âme attristée succombe sous les coups des hommes et des dieux; je dévoilerai leur trahison et leur ingratitude pour celles qu'ils ont aimées. 881 O toi qui sur ta lyre aux sept cordes chantes les hymnes harmonieux des Muses, fils de Latone, c'est à toi que s'adressent mes douloureux reproches. Tu vins auprès de moi, brillant de l'éclat de ta chevelure dorée, tandis que j'étais occupée à recueillir dans mon sein des fleurs éclatantes, parure qui rivalisait avec l'or de mes vêtements ; tu me saisis dans tes bras, malgré les cris par lesquels j'invoquais ma mère ; tu m'entraînas dans l'antre où tu me fis violence, emporté par ta passion amoureuse. Infortunée ! je mis au monde un fils, que, par crainte de ma mère, je déposai dans la grotte [900] qui nous servit de couche nuptiale. Hélas ! mon fils et le tien est devenu la proie des bêtes sauvages. Et toi cependant, tu chantes des péans qu'accompagne le son de ta lyre. Fils de Latone, qui du centre de la terre, assis sur ton trépied d'or, fais entendre aux mortels ta voix prophétique, mes cris parviendront jusqu'à ton oreille. Amant perfide, tu donnes un fils à mon époux, qui n'a pas mérité de toi cette faveur; et celui dont tu m'as rendue mère n'est sorti des langes dont je l'enveloppais que pour devenir la proie des vautours. Délos te déteste, ainsi que le laurier dont les rameaux se mêlèrent à la gracieuse chevelure du palmier, pour couronner le fruit des amours de Latone. 923 LE CHOEUR. O dieux ! quelle mer de maux se découvre à nos yeux ! à ces plaintes touchantes, qui pourrait retenir ses larmes? LE VIEILLARD. 925 Ma fille, je ne puis me lasser de te voir, je me sens transporté hors de moi. A peine mon âme avait-elle échappé à un orage de malheurs, que ton récit, comme une vague nouvelle, venait me replonger dans l'abîme : aux maux présents tu fais succéder de nouvelles calamités. Que dis-tu ? de quel crime accuses-tu Apollon? quel est cet enfant que tu dis avoir mis au monde ? en quels lieux l'as-tu exposé, s'il est devenu la proie des bêtes sauvages? Reviens sur cette triste aventure. 934 CRÉUSE. J'ai honte de m'expliquer devant toi, vieillard; cependant je parlerai. LE VIEILLARD. Je sais compatir aux maux de mes amis. CRÉUSE. Écoute donc ; tu connais cet antre creusé dans le rocher de Cécrops, cet antre exposé au souffle de Borée, et que nous appelons Macra. LE VIEILLARD. Je connais cette grotte, où est le sanctuaire de Pan, non loin d'un autel. CRÉUSE. C'est là que j'ai soutenu une lutte déplorable. LE VIEILLARD. 940 Laquelle ? à tes paroles les pleurs coulent de mes yeux. CRÉUSE. J'y formai malgré moi avec Apollon une union funeste. LE VIEILLARD. O ma fille, c'était donc là ce que j'avais pressenti ? CRÉUSE. Je ne sais : mais si tu dis vrai, je l'avouerai franchement. LE VIEILLARD. Ce mal secret dont tu gémissais en silence?.... CRÉUSE. C'était celui que je te dévoile à présent. LE VIEILLARD. Comment as-tu caché ton commerce avec Apollon ? CRÉUSE. Je devins mère. Écoute-moi avec indulgence, vieillard. LE VIEILLARD. Où? qui t'assista dans les douleurs de l'enfantement? étais-tu seule à les supporter? CRÉUSE. J'étais seule dans la grotte où le dieu m'avait possédée. [950] LE VIEILLARD. Où est-il, cet enfant auquel tu devras le nom de mère? CRÊUSE. Il n'est plus, ô vieillard ! il a été la proie des bêtes sauvages. LE VIEILLARD. Il n'est plus ! ce dieu ingrat ne l'a donc pas secouru? CRÉUSE. Il ne l'a pas secouru : c'est dans le séjour de Pluton qu'il l'élève. LE VIEILLARD. Et qui donc l'exposa? car ce n'est pas toi du moins. CRÉUSE. 955 C'est moi qui dans l'ombre de la nuit l'enveloppai de mes voiles. LE VIEILLARD. Tu n'avais pas de témoin, lorsque tu exposas ton fils? CRÉUSE. Je n'en eus pas d'autres que le malheur et le mystère. LE VIEILLARD. Et comment eus-tu le courage d'abandonner ton fils dans un antre sauvage ? CRÉUSE. Comment? hélas!... en exhalant bien des lamentations. LE VIEILLARD. Qu'il dût t'en coûter d'oser une pareille action ! Mais le dieu était bien plus misérable encore ! CRÉUSE. Si tu avais vu cet enfant tendre les mains vers moi ! LE VIEILLARD. Cherchait-il à saisir le sein, ou à venir dans les bras? CRÉUSE. Dans mes bras : et ne pas l'y recevoir était bien cruel de ma part. LE VIEILLARD. Mais quel espoir a pu t'engager à exposer ton fils ? CRÉUSE. J'espérais que le dieu veillerait sur son propre enfant. LE VIEILLARD. Hélas ! quels orages ont fondu sur la prospérité de ta maison ? CRÉUSE. Pourquoi voiler ta tête, ô vieillard, en versant des larmes ? LE VIEILLARD. C'est à la vue de tes malheurs et de ceux de ton père, CRÊUSE. C'est le sort des mortels d'être les jouets de la fortune. LE VIEILLARD. 970 Oui, ma fille, ne nous livrons pas à ces lamentations. CRÊUSE. Et que dois-je faire ? L'indécision est le partage de l'infortune. LE VIEILLARD. Avant tout il faut te venger du dieu qui t'a outragée. CRÉUSE. Mortelle, comment triompherais-je de la puissance d'un dieu? LE VIEILLARD. Embrase le temple révéré d'Apollon. CRÉUSE. La crainte m'arrête, et j'ai déja bien assez de malheurs. LE VIEILLARD. Ose du moins ce qui est possible, fais périr ton époux. CRÉUSE. Je respecte notre hymen, en mémoire du temps où il m'aima. LE VIEILLARD. Eh bien, frappe ce fils né pour ton malheur. CRÉUSE. Comment? Ah! si c'était possible ! Combien je le souhaiterais ! LE VIEILLARD. Arme les hommes de ta suite. CRÉUSE. J'y vais ; mais où s'accomplira le sacrifice ? LE VIEILLARD. Dans la tente sacrée où il a convié ses amis. CRÉUSE. Un meurtre est un acte qui se commet au grand jour, et des esclaves sont des êtres sans énergie. LE VIEILLARD. Hélas! ton courage faiblit. Eh bien, décide toi-même. CRÉUSE. 985 Oui, j'ai un moyen à la fois sûr et secret de me venger, LE VIEILLARD. Je suis prêt à te servir dans l'une et l'autre voie. CRÉUSE. Écoute donc : tu connais le combat des fils de la Terre. LE VIEILLARD. Je connais celui que les Géants ont livré aux dieux dans les champs de Phlégra. CRÉUSE. C'est alors que la Terre enfanta la Gorgone, ce monstre terrible. LE VIEILLARD. Auxiliaire envoyé à ses fils pour combattre les dieux? CRÉUSE. Oui, et Pallas, la fille de Jupiter, lui donna la mort. LE VIEILLARD. Quel aspect avait ce monstre sauvage? CRÉUSE. Son corps était armé de vipères aux plis tortueux. LE VIEILLARD. N'est-ce pas l'antique récit que j'ai entendu faire ? CRÉUSE. Minerve couvrit sa poitrine de sa terrible dépouille. LE VIEILLARD. C'est ce qu'on appelle l'égide, armure de Pallas ? CREUSE. Ce nom lui fut donné dans le combat des dieux. LE VIEILLARD. Eh bien, ma fille, quel dommage en attends-tu contre tes ennemis? CRÉUSE. O vieillard ! pourrais-tu ignorer qui fut Érichthonius ? [1000] LE VIEILLARD. Le premier de tes ancêtres, sorti du sein de la Terre? CRÉUSE. A l'instant de sa naissance, il reçut de Pallas LE VIEILLARD. Quel don ? tu me fais bien attendre ce mot. CRÉUSE. Deux gouttes du sang de la Gorgone. LE VIEILLARD. Quelle en est la vertu sur l'homme ? CRÉUSE. L'une est un poison mortel, et l'autre un remède souverain. LE VIEILLARD. Par quel moyen le jeune Érichthonius put-il les conserver ? CRÉUSE. Dans un cercle d'or que la déesse attacha à son corps, et mon aïeul les transmit à mon père. LE VIEILLARD. Et après sa mort elles te sont parvenues? CRÉUSE. Oui ; et je les ai entre mes mains. LE VIEILLARD. Quelle est donc la nature de ce double présent de la déesse ? CRÉUSE. Celle des deux gouttes qui a coulé de la veine cave LE VIEILLARD. Quel en est l'usage? quelle est sa vertu? CRÉUSE. Chasse les maladies et entretient la vie. LE VIEILLARD. Et l'autre, quel est son effet ? CRÉUSE. 1015 Elle donne la mort ; c'est le venin des serpents de la Gorgone. LE VIEILLARD. Les portes-tu ensemble, ou séparées? CRÉUSE. Séparées : le bon ne se mêle pas avec le mauvais. LE VIEILLARD. O fille chérie, tu as tout ce-qui t'est nécessaire. CRÉUSE. Ce poison tuera le fils; c'est à toi de le verser. LE VIEILLARD. Où? que faut-il faire? Parle, j'agirai. CRÉUSE. A Athènes, lorsqu'il sera dans mon palais. LE VIEILLARD. Ton avis n'est pas prudent, toi qui tout à l'heure blâmais le mien. CRÉUSE En quoi? Tu soupçonnes ce qui me vient aussi à l'esprit. LE VIEILLARD. Tu passeras pour avoir fait périr le fils, même sans l'avoir frappé; CRÉUSE. Il est vrai : on soupçonne aisément la haine dans le coeur d'une marâtre. LE VIEILLARD. C'est ici qu'il faut le faire périr, afin de pouvoir nier le meurtre. CRÉUSE. Ah ! je goûte d'avance le plaisir de la vengeance. LE VIEILLARD. Et ton époux ignorera que tu sais ce qu'il veut te cacher. CRÉUSE. 1029 Sais-tu ce qu'il faut faire ? Reçois de ma main ce flacon en or, antique ouvrage de Minerve ; va dans le lieu où mon époux sacrifie en secret, et, sur la fin du festin, lorsqu'ils se disposeront à faire les libations aux dieux, verse ce poison dans la coupe du jeune homme, à lui seul, et non aux autres : réserve-le à celui qui prétend devenir maître de mon palais. S'il touche à ce breuvage, jamais il ne verra la célèbre Athènes ; mais il mourra ici. LE VIEILLARD. Rends-toi dans la maison des proxènes. Pour moi, j'exécuterai ce que tu m'as prescrit. Et vous, membres débiles, reprenez votre ancienne vigueur. Marchons contre l'ennemi de nos maîtres ; aidons-les à le faire périr, et à délivrer leur maison. Il est beau, dans la prospérité, d'être fidèle à la vertu ; mais, lorsqu'on veut frapper un ennemi, aucune loi ne doit arrêter notre bras. LE CHOEUR, seul. 1048 Fille de Cérès, divine Hécate qui règnes sur les spectres nocturnes [1050] et sur les fantômes du jour, verse toi-même la coupe empoisonnée, et dirige les pas du vieillard envoyé par mon auguste maîtresse ; que le sang venimeux tiré des veines de la Gorgone punisse celui qui pénètre en intrus dans la famille des Érechthides ; que jamais un usurpateur étranger ne règne sur Athènes, qu'elle reste à jamais soumise aux nobles enfants d'Érechthée. 1061 Mais, s'il se dérobe à la mort, et que les efforts de ma maîtresse soient impuissants, si nous laissons échapper le moment d'agir et l'espérance qui s'offrait à nous, le glaive ou le lacet fatal terminera ses jours ; mettant fin à ses douleurs par des douleurs, elle passera à une autre existence. Jamais, tant qu'elle verra la lumière, elle ne supportera de maîtres étrangers dans sa maison, elle issue d'une noble famille. J'ai honte pour le dieu qu'Athènes honore par des hymnes saints, si, près des sources de Callichore, ce jeune inconnu se mêle pendant la nuit à ses mystères ; s'il voit briller le flambeau des Icades, quand l'éther parsemé d'étoiles célèbre les danses sacrées, quand la lune se joint à ce chœur auguste, et que les cinquante filles de Nérée dansent au fond des eaux et dans les profondeurs des fleuves intarissables, pour honorer la déesse qui porte une couronne d'or et sa mère, objet de la vénération des mortels. C'est là qu'espère régner et usurper le travail d'autrui un vagabond qu'Apollon protége ! O vous dont les outrages insultent à notre sexe en nous accusant d'infidélité et de passions coupables, voyez combien nous surpassons en piété l'injuste débauche des hommes. Sur eux seuls doivent retomber vos reproches d'incontinence et vos chants injurieux. [1100] Un prince issu du sang de Jupiter se rend coupable d'ingratitude, en refusant de partager avec son épouse le bonheur de la paternité ; il s'est livré a un autre amour, dont il montre aujourd'hui le fruit illégitime. UN SERVITEUR DE CRÉUSE. 1106 Femmes, où trouverai-je la noble fille d'Érechthée, ma maîtresse ? Je l'ai cherchée par toute la ville sans pouvoir la rencontrer. LE CHOEUR. Qu'y a-t-il, compagnon de notre esclavage ? Quelle est la cause de cet empressement? quelles sont les nouvelles que tu apportes ? LE SERVITEUR. On est à sa poursuite ; les magistrats de cette cité la cherchent pour la faire lapider. LE CHOEUR. 1113 O ciel ! que dis-tu ? On a surpris une traîne secrète pour faire périr le jeune homme ? LE SERVITEUR. Tout est découvert ; le plus grand péril nous menace. LE CHOEUR. Et comment ce fatal secret a-t-il été révélé ? LE SERVITEUR. Les dieux n'ont pas souffert que l'injustice triomphât de l'innocence. LE CHOEUR. Comment ? Je t'en conjure, explique-nous cet événement. Après t'avoir entendu, si l'on veut notre mort, elle nous semblera moins cruelle. LE SERVITEUR. 1122 L'époux de Créuse revenait de consulter l'oracle, et conduisait son nouveau fils au festin et aux sacrifices qu'il préparait aux dieux. Xuthus va sur le Parnasse, dans le lieu où brille le feu de Bacchus, pour arroser le double rocher du sang des victimes, en reconnaissance du fils qu'il a retrouvé. « Toi, mon fils, dit-il, reste en ces lieux pour construire des tentes et diriger le travail des ouvriers ; après avoir sacrifié aux dieux qui président à la naissance, si je tarde trop longtemps, donne à tes amis un joyeux festin. » Il part en emmenant les victimes. Le jeune homme fait dresser une tente soutenue par de simples colonnes, garantie à la fois des ardeurs du midi et des rayons du soleil couchant ; il lui donne une forme carrée et la longueur d'un plèthre en tout sens ; en sorte que, suivant le calcul des sages, elle enfermait dix mille pieds dans son enceinte, comme s'il voulait inviter à son festin tout le peuple de Delphes. Ensuite il prend dans les trésors sacrés des tapis magnifiques et d'un travail admirable. Il attache d'abord au toit la dépouille des Amazones, offrande du vaillant Hercule. On voyait peint sur ce tissu précieux le ciel rassemblant dans les airs les étoiles dispersées; le Soleil, animant ses coursiers sur la fin de leur carrière, traînait après lui Hespérus, brillant d'une vive clarté ; [1150] la Nuit, couverte d'un voile sombre, conduisait son char léger, et les étoiles suivaient la déesse. Les Pléiades occupaient le milieu de la région céleste, avec Orion ceint de son épée lumineuse. L'Ourse, plus élevée, tournait autour du pôle, auquel sa queue semblait attachée. Le disque de la lune, qui partage les mois, brillait dans son plein. Enfin paraissaient les Hyades, signe redouté des nautoniers, et l'Aurore, dont la lumière chasse les étoiles. Sur les murs, d'autres tapisseries représentaient des flottes barbares combattant les vaisseaux des Grecs, puis des Centaures ; ailleurs, des coursiers agiles poursuivant les cerfs timides, ou des lions sauvages atteints par un chasseur intrépide. A la porte de la tente était peint Cécrops avec une queue de serpent aux replis tortueux, ayant ses filles à ses côtés ; tableau dont un citoyen d'Athènes avait enrichi le temple. Au milieu de la table du banquet, le fils de Xuthus place des coupes d'or; 1167 un héraut se lève aussitôt, et invite à haute voix tous les habitants qui le voudraient à venir au festin. Lorsque la tente est remplie, les convives se couronnent de fleurs, et se livrent au plaisir et à la bonne chère. Déjà leur faim était apaisée, et l'on enlevait les mets dont les tables étaient couvertes, lorsque le vieux gouverneur paraît au milieu de l'assemblée, et excite le rire des convives par son zèle officieux. Il versait aux convives de l'eau pour se laver, puis il brûlait la myrrhe odoriférante, et il revenait aux vases d'or qui contenaient le vin, s'attribuant lui-même le ministère de verser à boire. Lorsqu'on en vint aux joueurs de flûte et à la coupe commune, le vieillard dit qu'il fallait enlever les petites coupes et en servir de grandes, pour se livrer plus tôt à la joie. Aussitôt on apporte les coupes d'or et d'argent ; il choisit la plus belle, comme pour faire honneur à son nouveau maître, et la lui donne pleine, après y avoir mêlé le poison subtil que sa maîtresse lui avait remis, dit-on, pour faire périr son nouveau fils : on l'ignorait alors. Mais, à l'instant où celui- ci allait, avant de boire, faire avec les autres convives la libation accoutumée, un des serviteurs prononce une parole de mauvais augure. Le jeune homme, élevé dans le temple, et instruit des choses sacrées, redoute un tel présage, et demande une coupe nouvelle : il fait cependant avec la première une libation sur la terre, en invitant les convives à l'imiter. On fait un profond silence : nous remplissons de nouveau les coupes sacrées d'une rosée pure mêlée au nectar de Biblos. Au milieu de cette occupation, une troupe de colombes se précipite dans la tente ; car ces oiseaux habitent avec sécurité le temple de Loxias. Les colombes goûtent avidement le vin qu'on vient de répandre; elles s'y plongent, [1200] leurs becs reçoivent la douce liqueur dans leur gorge emplumée. Aucune n'en éprouve un effet funeste ; mais celle qui s'était arrêtée près du fils de Xuthus à peine a trempé son bec dans la liqueur empoisonnée, qu'elle agite ses ailes tremblantes, son corps palpite, elle exhale des cris confus et plaintifs ; enfin ses membres se roidissent, ses pieds de pourpre s'allongent, elle meurt en se débattant aux yeux des convives saisis de stupeur. Alors le fils désigné par l'oracle déchire ses vêtements, il se roule sur la table, et s'écrie : «Quel mortel attente à mes jours? réponds, vieillard : c'est toi qui as fait la tentative ; j'ai reçu la coupe de ta main. » En même temps il saisit le bras du vieillard pour le prendre sur le fait. Le vieillard résiste longtemps, mais il finit par avouer le crime de Créuse et sa traîne odieuse. Aussitôt le jeune homme marqué par l'oracle d'Apollon sort et entraîne avec lui le reste des convives ; il court devant les magistrats de Delphes, et leur dit : « Citoyens de cette terre sacrée, une étrangère, issue du sang d'Érechthée, a voulu me faire périr par le poison. » Les magistrats de Delphes la condamnent, d'une voix unanime, à être précipitée du haut d'un rocher, pour expier un attentat commis dans un lieu saint, et contre une personne sacrée. Toute la ville la cherche. Funeste voyage qu'elle fit avec tant d'empressement ! le désir d'obtenir des enfants la conduisit auprès d'Apollon, et avec l'espoir d'en avoir jamais elle perd aussi la vie. LE CHOEUR, seul. 1229 Il n'est point pour moi, non, il n'est point de refuge contre la mort. Ah ! je le vois trop, cette funeste libation du sang de la Gorgone, mêlé à la liqueur de Bacchus, est le sacrifice funèbre qui doit précéder le supplice de notre lapidation. Où fuir, ô ma maîtresse? m'envolerai-je dans les airs? me cacherai-je dans les retraites ténébreuses de la terre, pour échapper aux pierres qui doivent me donner la mort? Monterai-je sur un char rapide, ou sur un vaisseau léger ? Rien ne peut nous dérober au supplice, à moins qu'un dieu ne veuille nous y soustraire. Et toi, mon infortunée maîtresse, à quel châtiment es-tu réservée ? Hélas ! le mal que nous avons médité contre notre prochain, nous en souffrons nous-même, et c'est bien juste. [1250] CRÉUSE. Fidèles esclaves, on me cherche pour me livrer à là mort, l'arrêt des citoyens m'a condamnée, le supplice m'attend. LE CHOEUR. Infortunée, nous savons tes malheurs, nous savons quelle est ta détresse. CRÉUSE. Où fuir ? A grand'peine je me. suis enfuie de la maison, pour éviter la mort : je suis arrivée furtivement jusqu'ici, en échappant à mes ennemis. LE CHOEUR. Quel asile plus sûr que cet autel ? CRÉUSE. Que me servira ce refuge ? LE CHOEUR. Les suppliants sont toujours sacrés. CRÉUSE. Mais la loi m'a condamnée. LE CHOEUR. Oui, si tu étais entre leurs mains. CRÉUSE. Voici les cruels exécuteurs de la sentence, qui s'avancent l'épée nue. LE CHOEUR. Mets-toi à l'abri de cet autel : s'ils osent te frapper dans cet asile, ton sang criera vengeance contre les meurtriers ; mais il faut supporter les coups du sort. ION. 1261 Ô Céphise à la tète de taureau, quelle vipère as-tu engendrée ? quel serpent dont les yeux lancent une flamme homicide? monstre capable de tous les attentats, non moins funeste que le sang de la Gorgone préparé pour ma mort! Qu'on la saisisse, que les longues tresses de sa chevelure demeurent attachées aux rochers du Parnasse, d'où son corps doit être précipité. Je rends grâces à la fortune qui m'a dérobé à ses fureurs, avant mon arrivée à Athènes, sous le joug d'une marâtre. Si au milieu de mes amis j'ai éprouvé les effets de ta haine et de ta fureur, une fois entré dans ta maison, tu m'aurais bientôt précipité au séjour de Pluton. Mais ni cet autel, ni le temple d'Apollon, ne sauveront tes jours. Ces lamentations que tu fais entendre me conviennent bien mieux à moi-même ainsi qu'à ma mère; car bien que je sois privé de sa vue, je puis toujours invoquer son nom. Voyez sa scélératesse et par quel tissu d'artifices elle avait ourdi sa trame ; elle n'a pas respecté l'autel du dieu, elle espérait échapper au châtiment de ses crimes. CRÉUSE. Je te défends d'attenter à mes jours, en mon propre nom, et en celui du dieu dont j'embrasse l'autel. ION. Qu'y a-t-il de commun entre Apollon et toi ? CRÉUSE. Je mets ma personne sous la consécration de ce dieu. ION. Et pourtant tu as voulu tuer celui qui appartenait à ce dieu. CRÉUSE. Tu n'appartenais plus à Apollon, tu n'appartenais qu'à ton père. ION. J'étais bien fils d'Apollon, par la tendresse paternelle qu'il m'a témoignée. CRÉUSE. Tu l'étais alors ; aujourd'hui c'est moi qu'il protège, et non plus toi. ION. 1290 Tu es impie; moi, au contraire, j'étais pieux. CRÉUSE. J'ai frappé en toi l'ennemi de ma maison. ION. Ai-je pris les armes contre ton pays ? CRÉUSE. Oui, tu as porté la flamme dans le palais d'Érechthée. ION. Où est cette flamme? où sont ces torches incendiaires? CRÉUSE. Tu voulais habiter le palais de mes pères et t'en emparer malgré moi. ION. Un père me donnait les États qu'il a conquis. CRÉUSE. Quel droit les enfants d'Éole ont-ils sur la ville de Pallas ? ION. C'est par ses armes, et non par des paroles, qu'il l'a délivrée. CRÉUSE. Pour avoir secouru l'État, il n'en est pas le maître. [1300] ION. Ainsi tu me tuais par crainte de l'avenir ? CRÉUSE. De peur d'être ta victime, si ta mort ne prévenait la mienne. ION. Privée d'enfants, tu portes envie à mon père, qui a retrouvé un fils. CRÉUSE. Tu dépouilleras donc ceux qui n'ont pas d'enfants ? ION. Et moi, n'aurai-je pas du moins part à l'héritage de mon père ? CRÉUSE. Son épée et son bouclier, voilà tout ton héritage. ION. Quitte cet autel et un séjour plein du dieu. CRÉUSE. C'est à ta mère qu'il faut donner de pareils avis. ION. Ne porteras-tu pas la peine d'un attentat homicide ? CRÉUSE. Tu n'as qu'à me tuer dans l'intérieur même du temple, ION. 1310 Quel plaisir trouves-tu à mourir au milieu des couronnes qui couvrent l'autel? CRÉUSE. Je rendrai peine pour peine à ceux qui me persécutent. ION. Ah ! c'est une chose déplorable que les lois données aux mortels par les dieux ne soient pas plus justes et plus sages ! Les coupables n'auraient pas dû trouver asile au pied des autels, on devrait les en exclure. Il n'est pas bien qu'une main criminelle touche ce qui est consacré aux dieux ; c'est aux justes, c'est à la vertu outragée qu'il appartenait de prendre place dans les lieux saints ; il ne fallait pas qu'en ce même lieu l'innocent et le coupable eussent les mêmes droits devant les dieux. 1320 LA PYTHIE. Arrête, mon fils, je quitte le trépied prophétique, et je franchis cette enceinte, moi, prêtresse d'Apollon, élue entre toutes les femmes de Delphes, pour maintenir les antiques lois du trépied sacré. ION. Salut, mère chérie, qui ne m'as cependant pas donné le jour. LA PYTHIE. 1325 Ne crains pas de m'appeler de ce nom, il m'est agréable. ION. Tu as appris par quelle trame cette femme voulait me faire périr? LA PYTHIE. Je l'ai appris ; mais toi aussi, ta cruauté te rend coupable. ION. Ne dois-je pas perdre à mon tour ceux qui ont voulu ma mort? LA PYTHIE. Les enfants nés d'une étrangère sont toujours odieux à une épouse. ION. Et moi je hais une marâtre qui a voulu faire de moi sa victime. LA PYTHIE. Non, mon fils, quitte ce temple, et va vers ta patrie, ION. Quel est ce conseil que tu me donnes, et que dois-je faire ? LA PYTHIE. Vers Athènes, pars innocent, et sous d'heureux auspices. ION. C'est être innocent que de punir ses ennemis. LA PYTHIE. N'agis pas ainsi ; écoute les avis que j'ai à te donner. ION. Parle ; tout ce que tu diras sera toujours inspiré par la bienveillance. LA PYTHIE. Vois-tu ce coffret que je tiens sous mon bras ? ION. Je vois une antique corbeille entourée de bandelettes. LA PYTHIE. C'est celle dans laquelle je te retrouvai enfermé peu après ta naissance. ION. 1340 Que dis-tu ? voilà une chose toute nouvelle pour moi. LA PYTHIE. J'ai dû taire ce fait, et maintenant je te le révèle. ION. Pourquoi l'as-tu caché, depuis si longtemps que tu m'as trouvé ? LA PYTHIE. Le dieu voulait que tu le servisses dans son temple. ION. Et maintenant, ne le veut-il plus ? d'où puis-je le savoir? LA PYTHIE. En te faisant connaître à ton père, il te renvoie de ce pays. ION. Est-ce par son ordre que tu as conservé cette corbeille, ou pour quel motif? LA PYTHIE. C'est Apollon qui alors m'inspira la pensée ION. De quoi faire ? parle, achève. LA PYTHIE. De conserver ton berceau jusqu'à ce jour. [1350] ION. Quel bien ou quel dommage peut-il m'en arriver ? LA PYTHIE. Là sont cachés les langes dans lesquels tu étais enveloppé. ION. Ce sont là des indices utiles pour découvrir ma mère. LA PYTHIE. Au moment où le dieu le veut, et non auparavant. ION. Oh! que d'heureuses révélations ce jour m'a envoyées! LA PYTHIE. 1355 Prends ces objets, et cherche avec soin celle qui t'a donné le jour. Parcours l'Europe et l'Asie, et ne t'en fie qu'à toi-même. Pour obéir au dieu, je t'élevai, ô mon fils; je te rends ce dépôt, qu'il voulut que je conservasse, par un mouvement libre de mon cœur ; mais les motifs de sa volonté, je ne puis te les dire. Nul mortel ne savait que ces objets fussent en mon pouvoir, ni où ils étaient cachés. Adieu ; je t'aime à l'égal d'une tendre mère. Par où dois- tu commencer à chercher ta mère ? Examine d'abord si c'est quelque jeune fille de Delphes qui t'a donné le jour, et t'a exposé dans ce temple, et ensuite si c'est quelque Grecque. Voilà ce que je devais te prescrire et ce que te dit Apollon, qui a dirigé ces événements. ION. 1369 Hélas ! hélas ! que de larmes coulent de mes yeux, quand je songe que ma mère, victime d'une union clandestine, m'exposa furtivement, et ne m'a pas nourri de son lait ; mais que, voué à l'obscurité, j'ai mené une vie servile dans le temple du dieu ! Objet des faveurs du dieu et des rigueurs de la fortune, dans l'âge fait pour le bonheur, et qui sollicite les tendres soins d'une mère, je fus éloigné de son sein et privé de ses caresses. Hélas ! sans doute elle fut aussi malheureuse, elle qui souffrit la même privation, et ne put connaître les joies de la maternité. Et maintenant que je retrouve ce berceau, je le consacrerai au dieu comme une offrande, pour ne point pénétrer ce secret que je redoute. Si c'est une esclave qui m'a donné le jour, il sera plus cruel pour moi de trouver ma mère que d'ensevelir mon malheur dans le silence. O Phébus, je dédie ce berceau à ton temple. . . . Mais que fais-je ? n'est-ce pas m'opposer à la volonté du dieu qui m'a conservé les indices propres à découvrir ma mère? Ouvrons; il faut oser; je ne saurais échapper au destin. Pourquoi vous a-t-on dérobées à ma vue, bandelettes sacrées, et vous, liens dans lesquels furent gardés les objets qui me sont chers ? Voici l'enveloppe de la corbeille arrondie ; qu'elle est fraîche et bien conservée, grâce à un miracle divin! Le tissu de jonc en est intact, et cependant il s'est passé bien du temps. CRÉUSE. Dieux ! quel objet a frappé mes regards ! ION. De tout temps tu as su garder le silence. CRÉUSE. 1397 Ah ! le silence n'est plus de saison. Cesse tes avis. Je vois le berceau dans lequel je t'exposai autrefois, ô mon fils, après ta naissance, [1400] dans la grotte de Cécrops, sous les roches de Macra. Oui, j'abandonne cet autel, dussé-je mourir! ION. Qu'on la saisisse! Une fureur divine l'a poussée à quitter cet asile. Chargez ses mains de chaînes. CRÉUSE. La mort soule pourra mettre fin à vos violences, car je ne quitterai ni toi, ni ce berceau, ni ce qu'il contient. ION. Quelle indignité ! Elle croit s'emparer de moi par ses artifices. CRÉUSE. Non ; mais je trouve en toi un être chéri. ION. Moi, chéri de toi ! Mais n'as-tu pas voulu m'empoisonner ? CRÉUSE. Oui, tu es mon fils ; et c'est ce qu'il y a de plus cher pour une mère. ION. 1410 Cesse tes artifices; il me sera aisé de te confondre, CRÉUSE. Mets-moi à l'épreuve, mon fils, c'est tout ce que je désire. ION. Cette corbeille est-elle vide ? ou bien que contient-elle ? CRÉUSE. Les langes dans lesquels je t'ai exposé. ION. Peux-tu les faire connaître avant de les avoir vus ? CRÉUSE. Si je ne le fais, je consens à mourir. ION. Parle ; ton assurance a quelque chose d'étrange. CRÉUSE. Regarde d'abord cette couverture que j'ai tissue dans ma jeunesse, ION. De quel genre est-elle? Il y a bien des tissus que font les jeunes filles. CRÉUSE. Le travail en est imparfait et décèle une main novice ! ION. 1420 Ne crois pas m'abuser ainsi. Quelle figure représente-t-elle ? CRÉUSE. On voit la Gorgone au milieu du tissu. ION. O Jupiter! quel destin me poursuit? CRÉUSE. Les franges figurent des serpents, à la manière de l'égide. ION. Voilà ! c'est le tissu tel que je le trouve. CRÉUSE. O antique ouvrage de mes mains virginales ! ION. Est-ce le seul objet sur lequel tu puisses si bien rencontrer? CRÉUSE. Il y a encore des serpents d'or d'un antique travail. ION. Présent de Minerve, qui veut que ces bijoux accompagnent l'enfance. CRÉUSE. A l'imitation de l'antique Érichthonius. ION. 1430 Dans quel but, à quel usage ces bijoux d'or, dis-moi ? CRÉUSE. Ils servent de collier, mon fils, à l'enfant nouveau-né. ION. Il y est. Et le troisième objet, quel est-il? CRÉUSE. Je posai près de toi un rameau d'olivier détaché de l'arbre qui le premier germa sur le rocher de Minerve. S'il y est encore, il n'a pas perdu son vert feuillage ; car il fleurit sur une tige immortelle. ION. O ma mère, qu'avec plaisir je te revois, et j'embrasse avec joie ton visage chéri ! CRÉUSE. O mon fils, ô toi qui m'es plus cher que la lumière du soleil (que le dieu me pardonne ! ), je te presse entre mes bras, bonheur inespéré ! toi que j'ai cru englouti avec les morts dans le sombre séjour de Proserpine ! ION. Oui, mère chérie, tu m'avais cru mort, et je revis dans tes bras. LE CHOEUR. 1445 O éther immense et brillant, retentis de mes cris d'allégresse. D'où me vient ce bonheur inespéré ? quel dieu m'a envoyé cette joie ? [1450] ION. J'aurais tout imaginé, ô ma mère, avant de me croire ton fils. CRÉUSE. Je suis encore toute tremblante. ION. Crains-tu d'avoir perdu ce fils que tu serres entre tes bras? CRÉUSE. J'avais depuis longtemps renoncé à cette espérance. Mais, ô prophétesse ! de qui as-tu reçu mon fils dans tes bras ? quelle main l'a apporté dans le temple d'Apollon ? ION. C'est l'ouvrage du dieu. Désormais jouissons de notre bonheur, après avoir été si longtemps malheureux. CRÉUSE. Mon fils, tu m'as coûté bien des pleurs en venant au monde, et ce n'est pas sans de douloureux gémissements que je t'ai éloigné de ces mains maternelles. Mais aujourd'hui je respire le même air que toi, que pourrait- il manquer à ma félicité ? ION. En exhalant les sentiments de ton cœur, tu exprimes aussi tout ce que j'éprouve. CRÉUSE. 1463 Non, je ne serai plus stérile et sans héritier ; ma maison trouve un appui, et ma patrie un roi ; en toi revit Érechthée : la race des fils de la Terre n'est plus ensevelie dans la nuit, elle revoit la lumière du soleil. ION. Ô ma mère, que mon père vienne aussi partager la joie que je t'ai donnée. CRÉUSE. Ô mon fils, que dis-tu ! à quel pénible aveu suis-je condamnée ! ION. Que signifient ces paroles ? CRÉUSE. Un autre, un autre fut ton père. ION. Eh quoi ! ma naissance est illégitime ? CRÉUSE. Les flambeaux de l'hymen n'ont point éclairé l'union à laquelle tu dois la vie. ION. Hélas ! hélas ! la honte a marqué ma naissance ! Mais du moins quel en est l'auteur ? CRÉUSE. J'atteste ici Pallas, ION. A quoi bon ces paroles ? CRÉUSE. La déesse qui règne sur la colline où croît l'olivier, et dont je suis souveraine; ION. Ce que tu dis est obscur et manque de clarté. CRÉUSE. Dans une grotte visitée par les rossignols, Apollon ION. Pourquoi nommes-tu Apollon ? 1484 CRÉUSE. Fut celui qui me rendit mère. ION. Parle; tu dis là des faits glorieux et heureux pour moi. CRÉUSE. Dans la dixième révolution de l'astre qui marque les mois, je t'enfantai avec mystère, toi, fils d'Apollon. ION. Ton récit est bien doux pour moi, s'il est sincère. CRÉUSE. 1489 Je t'enveloppai de ces langes, ouvrage de ma navette et de mes jeunes mains. Je ne t'ai pas approché de mon sein, le lait maternel ne t'a point nourri, mes mains n'ont pas lavé ton corps. Tu fus abandonné dans un antre désert, en proie aux oiseaux dévorants, pour y mourir. ION. O ma mère, qu'as-tu osé ? CRÉUSE. La crainte me fit sacrifier ta vie, ô mon fils ; malgré moi, je te livrai à la mort. ION. Et moi aussi, dans ma colère impie, [1500] j'ai voulu te faire périr. CRÉUSE. Ah ! nos anciens malheurs et nos malheurs récents, étaient également affreux. Nous sommes tour à tour les jouets de la bonne et de la mauvaise fortune : car les vents sont changeants. Maintenant un souffle plus favorable s'élève : puisse-t-il être durable ! nos maux passés doivent suffire. LE CHOEUR. Que les mortels, à la vue de ce qui se passe ici, apprennent à ne jamais désespérer de leur sort. ION. 1512 Fortune, qui changes sans cesse le sort des mortels et leur dispenses tour à tour le bonheur et le malheur, à quelle terrible alternative m'avais-tu amené, ou de faire périr ma mère, ou de recevoir d'elle le coup fatal ! Dans tous les lieux que le soleil éclaire de ses rayons, ne peut- on pas voir tous les jours de pareils spectacles ? Mais enfin, je retrouve une mère chérie, et ma naissance n'a rien que de glorieux. Cependant il est d'autres choses que je veux dire à toi seule. Approche ; je veux te dire ces paroles à l'oreille, et envelopper ces faits de l'ombre du mystère. Garde-toi, ma mère, après avoir cédé à des amours furtifs, faiblesse fréquente parmi les jeunes filles, de rejeter ensuite ta faute sur le dieu, et, pour échapper à mes reproches, de me prétendre fils d'Apollon, quand je serais fils d'un mortel. CRÉUSE. Non, par Minerve Victorieuse, qui vint jadis sur son char secourir Jupiter contre les Géants, ton père n'est point un mortel, ô mon fils, mais le dieu qui t'a élevé, le puissant Apollon. ION. Comment donc a-t-il donné son enfant à un autre père ? Comment dit-il que je suis fils de Xuthus ? CRÉUSE. Je ne dis pas que tu sois né de Xuthus ; mais le dieu qui est ton père te donne à lui. En effet, un ami peut donner à un ami son propre fils pour héritier. ION. Le dieu est-il véridique, ou son oracle est-il trompeur ? Voilà, ma mère, ce qui trouble mon âme. CRÉUSE. 1539 Écoute, mon fils, ce qui m'est venu à la pensée : Apollon, qui vient d'être ton bienfaiteur, te place dans une famille : déclaré fils du dieu, jamais tu n'aurais pu recueillir tout l'héritage ni le nom d'un père mortel. Ne sais- tu pas que je tins notre union secrète, et t'exposai à la mort? C'est donc par tendresse pour toi que le dieu te donne un autre père. ION. Je ne puis m'en tenir à des preuves aussi légères; mais je vais dans le temple interroger Apollon, et savoir de lui si je suis son fils ou le fils d'un mortel... Mais que vois-je? [1550] quelle est cette divinité qui s'élève au-dessus du sanctuaire, et dont la face radieuse brille à l'égal du soleil ? Fuyons, ma mère, de peur que nos yeux profanes ne voient ce que les dieux veulent dérober à nos regards. MINERVE. 1553 Arrêtez : je ne suis point une divinité ennemie; mais, soit à Athènes, soit en ces lieux, ma protection vous suit. Je suis Minerve ; je viens de ta patrie, à laquelle j'ai donné mon nom ; c'est Apollon qui m'envoie ; il n'a pas voulu paraître lui-même en votre présence, pour éviter tout reproche sur le passé. Voici les faits qu'il veut vous révéler par ma bouche : tu es fils d'Apollon, et Créuse est ta mère ; il t'a donné au roi d'Athènes, non comme à ton père, mais pour te faire entrer dans une maison illustre. Mais une fois que le mystère a été divulgué, craignant de te voir succomber sous les embûches de ta mère, ou elle sous tes coups, il a renoncé à son projet. Car il avait résolu de le taire, et de ne vous faire connaître l'un à l'autre qu'à Athènes. Mais j'achève de vous dévoiler les oracles que vous êtes venus chercher dans son temple. Créuse, pars avec ton fils pour la terre de Cécrops, et place-le sur le trône ; il est du sang d'Érechthée, il est juste qu'il règne sur la terre que je chéris. Il sera célèbre dans toute la Grèce : quatre fils nés de lui donneront leurs noms aux tribus qui vivent sur mes rochers. Téléon sera le premier ; les trois autres fonderont les tribus des Hoplètes, des Argades et des Égicores, dont le nom rappelle celui de mon Égide. Au temps marqué par la destinée, leurs enfants peupleront les îles des Cyclades et les côtes voisines, de villes riches et florissantes, qui feront la puissance de mon peuple. Ils s'étendront au loin sur les deux continents opposés de l'Europe et de l'Asie ; et celui-ci prendra le nom d'IONIE, en mémoire du fils d'Apollon. Cependant Xuthus te rendra mère d'une postérité nouvelle ; Dorus, né de cette union, transmettra à la Doride et son nom et sa gloire : dans la terre de Pélops, Achéus, qui vous devra aussi la naissance, régnera sur les rivages voisins de Rhios, et son peuple s'enorgueillira de porter le même nom que lui. 1595 Apollon a tout conduit avec sagesse : d'abord, il t'a épargné les douleurs de l'enfantement, afin que ton secret restât ignoré; puis, lorsqu'après avoir donné le jour à ce fils tu l'eus enveloppé dans ses langes, il envoya Mercure pour le prendre entre ses bras [1600] et le porter dans son temple, et il a préservé sa vie. Maintenant donc ne fais pas connaître qu'Ion est ton fils, laisse à Xuthus la joie que lui cause son illusion. Et toi, femme, jouis du bien qui t'est rendu. Adieu ; vos maux sont finis, je vous annonce une heureuse destinée. ION. 1606 Fille du grand Jupiter, divine Pallas, ma foi en tes paroles est entière : oui, je me crois le fils d'Apollon et de Créuse; et même avant de t'avoir entendue, j'étais déjà porté à le croire. CRÉUSE. Daigne aussi m'écouter : j'ai exhalé mes plaintes contre Apollon, je les rétracte, car ce fils qu'il avait négligé, il le rend à ma tendresse. Les portes de ce temple, ce sanctuaire qui m'étaient odieux, maintenant je les aborde avec respect, je les embrasse avec zèle. MINERVE. 1614 J'approuve ta reconnaissance pour Apollon, et le changement de ton cœur. Les dieux agissent avec lenteur, mais à la fin ils font éclater leur puissance. CRÉUSE. Partons, mon fils, retournons dans notre patrie. MINERVE. Partez, je vous suis. CRÉUSE. Sois notre guide propice et la protectrice d'Athènes. MINERVE. Va t'asseoir sur le trône de tes pères. CRÉUSE. C'est un héritage digne de mes vœux. LE CHOEUR. Apollon, fils de Jupiter et de Latone, reçois nos adieux : celui dont la maison est en proie aux calamités, s'il honore les dieux, qu'il soit plein de confiance, car les gens de bien reçoivent enfin le prix de leur vertu ; 1622 et les méchants, comme leur nature les y condamne, ne sauraient jamais être heureux.