[251] LA CHAUVE-SOURIS ET LES BELETTES Une chauve-souris, étant tombée à terre, fut prise par une belette. Se voyant sur le point d'être tuée, elle demanda la vie. La belette lui dit qu'elle ne pouvait la relâcher; car elle était de son naturel ennemie de tous les oiseaux. La chauve-souris répliqua qu'elle-même n'était pas un oiseau, mais une souris, et elle s'en tira par ce moyen. Dans la suite, étant tombée une seconde fois, elle fut prise par une autre belette, et la pria de ne point la manger. Celle-ci ayant répondu qu'elle détestait toutes les souris, la chauve-souris affirma qu'elle-même n'était pas une souris, mais une chauve-souris, et elle fut relâchée encore cette fois. Il arriva ainsi qu'à deux reprises, en changeant de nom, elle se sauva de la mort. Cette fable montre qu'il ne faut pas s'en tenir toujours aux mêmes moyens, mais songer qu'en s'accommodant aux circonstances, on échappe souvent au danger. [252] LES ARBRES ET L'OLIVIER Un jour les arbres se mirent en devoir d'élire un roi pour les commander, et ils dirent à l'olivier : «Règne sur nous.» Et l'olivier leur répondit : «Moi, que je renonce à la grasse liqueur si appréciée en moi par Dieu et par les hommes, pour aller régner sur les arbres !» Et les arbres dirent au figuier :«Viens régner sur nous.» Et le figuier lui aussi répondit :«Moi, que je renonce à la douceur qui est en moi et à l'excellent fruit que je porte, pour aller régner sur les arbres !» Et les arbres dirent à l'épine : «Viens régner sur nous.» Et l'épine répondit aux arbres : «Si vraiment vous m'oignez pour régner sur vous, venez vous mettre à l'abri sous moi ; sinon, qu'il sorte du feu de l'épine, et qu'il dévore les cèdres du Liban !» [253] LE BÛCHERON ET HERMÈS Un homme qui coupait du bois au bord d'une rivière avait perdu sa cognée. Aussi, ne sachant que faire, il s'était assis sur la berge et pleurait. Hermès, ayant appris la cause de sa tristesse, le prit en pitié; il plongea dans la rivière, en rapporta une cognée d'or et lui demanda si c'était celle qu'il avait perdue. L'homme lui ayant répondu que ce n'était pas celle-là, il plongea de nouveau et en rapporta une d'argent. L'homme ayant déclaré que celle-là non plus n'était pas la sienne, il plongea une troisième fois et lui rapporta sa propre cognée. L'homme affirma que c'était bien celle-là qu'il avait perdue. Alors Hermès, charmé de sa probité, les lui donna toutes les trois. Revenu près de ses camarades il leur conta son aventure. L'un d'eux se mit en tète d'en obtenir autant. Il se rendit au bord de la rivière et lança à dessein sa hache dans le courant, puis s'assit en pleurant. Alors Hermès lui apparut à lui aussi, et apprenant le sujet de ses pleurs, il plongea et lui rapporta aussi une cognée d'or, et lui demanda si c'était celle qu'il avait perdue. Et lui, tout joyeux, s'écria : «Oui, c'est bien elle.» Mais le dieu, ayant horreur de tant d'effronterie, non seulement garda la hache d'or, mais il ne lui rendit même pas la sienne. Cette fable montre que, autant la divinité est favorable aux honnêtes gens, autant elle est hostile aux malhonnêtes. [254] LES VOYAGEURS ET L'OURS Deux amis cheminaient sur la même route. Un ours leur apparut soudain. L'un monta vite sur un arbre et s'y tint caché; l'autre, sur le point d'être pris, se laissa tomber sur le sol et contrefit le mort. L'ours approcha de lui son museau et le flaira partout; mais l'homme retenait sa respiration; car on dit que l'ours ne touche pas à un cadavre. Quand l'ours se fut éloigné, l'homme qui était sur l'arbre descendit et demanda à l'autre ce que l'ours lui avait dit à l'oreille. «De ne plus voyager à l'avenir avec des amis qui se dérobent dans le danger», répondit l'autre. Cette fable montre que les amis véritables se reconnaissent à l'épreuve du malheur. [255] LES VOYAGEURS ET LE CORBEAU Des gens, qui voyageaient pour certaine affaire, rencontrèrent un corbeau qui avait perdu un oeil. Ils tournèrent leurs regards vers lui, et l'un d'eux leur conseilla de rebrousser chemin ; c'était, à son avis, ce que voulait dire le présage. Mais un autre prenant la parole dit: «Comment cet oiseau pourrait-il nous prédire l'avenir, lui qui n'a même pas prévu, pour l'éviter, la perte de son oeil ?» Pareillement les hommes qui sont aveugles sur leurs propres intérêts sont mal qualifiés pour conseiller leur prochain. [256] LES VOYAGEURS ET LA HACHE Deux hommes voyageaient de compagnie. L'un d'eux ayant trouvé une hache, l'autre dit : «Nous avons trouvé une hache. — Ne dis pas, reprit le premier : nous avons trouvé, mais : tu as trouvé.» Quelques moments après, ils furent rejoints par ceux qui avaient perdu la hache, et celui qui l'avait, se voyant poursuivi, dit à son compagnon de route :«Nous sommes perdus. — Ne dis pas : nous sommes perdus, reprit celui-ci, mais : je suis perdu ; car, lorsque tu as trouvé la hache, tu ne m'as pas mis de moitié dans ta trouvaille.» Cette fable montre que, si l'on n'a point de part aux heureux succès d'un ami, on ne lui est pas non plus fidèle dans le malheur. [257] LES VOYAGEURS ET LE PLATANE En été, vers l'heure de midi, deux voyageurs, fatigués par l'ardeur du soleil, ayant aperçu un platane, se réfugièrent sous ses branches et, s'étendant à son ombre, se reposèrent. Or, ayant levé les yeux vers le platane, ils se dirent l'un à l'autre : «Voilà un arbre qui est stérile et inutile à l'homme.» Le platane prenant la parole: «Ingrats, dit-il, au moment même où vous jouissez de ma bienfaisance, vous me traitez, d'inutile et de stérile.» Il en est ainsi chez les hommes : certains sont si malchanceux que, même en obligeant leurs voisins, ils ne peuvent faire croire à leur bienfaisance. [258] LES VOYAGEURS ET LES BROUSSAILLES Des voyageurs, cheminant sur le bord de la mer, arrivèrent sur une hauteur. De là voyant flotter au loin des broussailles, ils les prirent pour un grand vaisseau de guerre; aussi attendirent-ils, pensant qu'il allait aborder. Mais les broussailles poussées par le vent s'étant rapprochées, ils crurent voir, non plus un vaisseau de guerre, mais un vaisseau de charge. Une fois arrivées au rivage, ils virent que c'étaient des broussailles, et se dirent entre eux : «Comme nous étions sots d'attendre une chose qui n'était rien !» Cette fable montre que certains hommes qui paraissent redoutables parce qu'ils sont inconnus, révèlent leur nullité à la première épreuve. [259] LE VOYAGEUR ET LA VÉRITÉ Un voyageur qui passait dans un désert rencontra une femme solitaire qui tenait ses yeux baissés. «Qui es-tu?» demanda-t-il. «La Vérité», répondit-elle. «Et pour quel motif as-tu quitté la ville et habites-tu le désert ?» Elle répondit : «Parce que, dans les temps anciens, le mensonge ne se rencontrait que chez un petit nombre d'hommes ; maintenant il est chez tous, quoi qu'on entende et quoi qu'on dise.» La vie devient mauvaise et pénible pour les hommes, lorsque le mensonge prévaut sur la vérité. [260] LE VOYAGEUR ET HERMÈS Un voyageur, qui avait un long trajet à faire, fit voeu, s'il trouvait quelque chose, d'en consacrer la moitié à Hermès Or il trouva une besace où il y avait des amandes et des dattes. Il la ramassa, s'imaginant que c'était de l'argent, la secoua et, voyant ce qu'elle renfermait, le mangea : puis, prenant les coquilles des amandes et les noyaux des dattes, il les plaça sur un autel en disant : «Je suis quitte, ô Hermès, de mon voeu ; car j'ai partagé avec toi le dehors et le dedans de ce que j'ai trouvé.» Cette fable s'applique à l'avare qui, par cupidité, ruse même avec les dieux. [261] LES VOYAGEURS ET LA FORTUNE (L'Enfant et la fortune) Un voyageur, ayant fait une longue route, et se trouvant recru de fatigue, se laissa tomber sur le bord d'un puits et s'endormit. Il allait à coup sûr tomber dedans, quand la Fortune, s'étant approchée de lui, l'éveilla et lui dit : «Hé, l'ami ! si tu étais tombé, ce n'est pas ton imprudence, c'est moi que tu en aurais accusée.» C'est ainsi que beaucoup de gens, tombés dans le malheur par leur faute, en accusent les dieux. [262] LES ÂNES S'ADRESSANT A ZEUS Un jour les ânes excédés d'avoir toujours des fardeaux à porter et des fatigues à souffrir, envoyèrent des députés à Zeus, pour demander qu'il mit un terme à leurs travaux. Zeus, voulant leur montrer que la chose était impossible, leur dit qu'ils seraient délivrés de leur misère, quand ils auraient, en pissant, formé une rivière. Les ânes prirent au sérieux cette réponse, et depuis ce temps jusqu'à nos jours, quand ils voient quelque part de l'urine d'âne, ils s'arrêtent tout autour, eux aussi, pour pisser. Cette fable montre qu'on ne peut rien changer à sa destinée. [263] L'HOMME QUI ACHÈTE UN ANE Un homme qui avait dessein d'acheter un âne, le prit à l'essai, et l'ayant amené parmi ses ânes à lui, il le plaça devant le râtelier. Or l'âne, délaissant tous les autres, alla se mettre près du plus paresseux et du plus glouton. Comme il ne faisait rien, l'homme lui passa un licol, l'emmena et le rendit à son propriétaire. Celui-ci lui demandant si l'épreuve qu'il avait faite ainsi était probante, il répondit : «Moi, je n'ai nul besoin d'une autre épreuve : je suis sûr qu'il est tel que le camarade qu'il a choisi entre tous.» Cette fable montre qu'on nous juge pareils à ceux dont nous aimons la compagnie. [264] L'ÂNE SAUVAGE ET L'ÂNE DOMESTIQUE Un âne sauvage ayant vu un âne domestique dans un endroit bien exposé au soleil, s'approcha pour le féliciter de son embonpoint et de la pâture dont il jouissait. Mais dans la suite l'ayant vu chargé d'un fardeau et suivi de l'ânier qui le frappait avec un gourdin, il s'écria : «Oh ! je ne te félicite plus ; car je vois que c'est au prix de grands maux que tu jouis de ton abondance.» C'est ainsi qu'il n'y a rien d'enviable dans les avantages qu'accompagnent les dangers et les souffrances. [265] L'ÂNE QUI PORTE DU SEL Un âne portant du sel traversait une rivière ; il glissa et tomba dans l'eau. Alors le sel se fondit, et il se releva plus léger, et fut enchanté de l'accident. Une autre fois, comme il arrivait au bord d'une rivière avec une charge d'éponges, il crut que, s'il se laissait tomber encore, il se relèverait plus léger, et il fit exprès de glisser. Mais il advint que les éponges ayant pompé l'eau, il ne put se relever et périt noyé. Ainsi parfois les hommes ne se doutent pas que ce sont leurs propres ruses qui les précipitent dans le malheur. [266] L'ÂNE QUI PORTE UNE STATUE DE DIEU Un homme, ayant mis une statue de dieu sur le dos d'un âne, le conduisait à la ville. Comme les passants se prosternaient devant la statue, l'âne, s'imaginant que c'était lui qu'on adorait, ne se tint plus d'orgueil; il se mit à braire et il refusa d'avancer. L'ânier, devinant sa pensée, lui dit en le frappant de son gourdin : «Pauvre cervelle ! il ne manquait plus que cela, de voir un âne adoré des hommes.» Cette fable montre que ceux qui font vanité des avantages d'autrui prêtent à rire à ceux qui les connaissent. [267] L'ÂNE REVÊTU DE LA PEAU DU LION ET LE RENARD Un âne, ayant revêtu une peau de lion, faisait le tour du pays, effrayant les animaux. Il aperçut un renard et voulut l'effrayer aussi. Mais le renard, qui avait justement entendu sa voix auparavant, lui dit: «N'en doute pas, tu m'aurais fait peur à moi aussi, si je ne t'avais pas entendu braire.» C'est ainsi que des gens sans éducation, qui, par leurs dehors fastueux, paraissent être quelque chose, se trahissent par leur démangeaison de parler. [268] L'ÂNE LOUANT LE SORT DU CHEVAL L'âne trouvait le cheval heureux d'être nourri dans l'abondance et d'être bien soigné, tandis que lui n'avait même pas de paille en suffisance, alors qu'il était soumis à tant de travaux. Mais vint le temps de la guerre : le cheval dut porter un cavalier armé de pied en cap, et celui-ci le poussa dans tous les sens et le lança même au milieu des ennemis, où le cheval criblé de coups s'abattit. En voyant cela, l'âne changea d'avis et plaignit le cheval. Cette fable montre qu'il ne faut pas envier les chefs ni les riches, mais penser à l'envie et aux dangers où ils sont en butte, et se résigner à la pauvreté. [269] L'ÂNE, LE COQ ET LE LION Un coq paissait un jour en compagnie d'un âne. Comme un lion marchait sur l'âne, le coq poussa un cri, et le lion (on dit en effet qu'il a peur de la voix du coq) prit la fuite. L'âne, s'imaginant que, si le lion fuyait, c'était à cause de lui, n'hésita pas à lui courir sus. Quand il l'eut poursuis jusqu'à une distance où la voix du coq n'arrivait plus, le lion se retourna et le dévora. Et lui disait en mourant : «Malheureux et insensé que je suis ! n'étant pas né de parents guerriers, pourquoi suis-je parti en guerre?» Cette fable montre que souvent on attaque un ennemi qui se fait petit à dessein et qu'on se fait ainsi tuer par lui. [270] L'ÂNE, LE RENARD ET LE LION Un âne et un renard, ayant lié société, sortirent pour chasser. Un lion se trouva sur leur chemin. Voyant le danger suspendu sur eux, le renard s'approcha du lion et s'engagea à lui livrer l'âne, s'il lui promettait la sûreté. Le lion ayant déclaré qu'il le laisserait aller, le renard amena l'âne dans un piège où il le fit tomber. Le lion, voyant que l'âne ne pouvait s'échapper, saisit d'abord le renard, et se tourna ensuite vers l'âne. Pareillement ceux qui tendent des pièges à leurs associés se perdent souvent inconsciemment avec leurs victimes. [271] L'ÂNE ET LES GRENOUILLES Un âne portant une charge de bois traversait un marais. Il glissa et tomba, et, ne pouvant se relever, il se mit à gémir et à se lamenter. Les grenouilles du marais, ayant entendu ses gémissements, lui dirent : «Hé, l'ami ! qu'aurais-tu fait, si tu étais resté ici aussi longtemps que nous, toi qui, tombé ici pour un moment, pousses de pareils soupirs ?» Nous pourrions appliquer cette fable à un homme efféminé qui s'impatiente des moindres peines, alors que nous-mêmes, nous supportons facilement des maux plus grands. [272] L'ÂNE ET LE MULET PORTANT LA MÊME CHARGE Un âne et un mulet cheminaient ensemble. Or l'âne, voyant que leurs charges à tous deux étaient égales, s'indignait et se plaignait que le mulet, jugé digne d'une double ration, ne portât pas plus que lui. Mais, quand ils eurent fait un peu de chemin, l'ânier s'apercevant que l'âne n'en pouvait plus, lui ôta une partie de sa charge et la mit sur le mulet. Quand ils eurent fait encore un bout de chemin, voyant l'âne encore plus épuisé, il lui retira une autre partie de sa charge, et enfin prenant le reste, il l'ôta à l'âne et le fit passer sur le mulet. Alors celui-ci tournant les yeux vers son camarade lui dit : «Eh bien ! mon ami, ne trouves-tu pas juste qu'on m'honore d'une double ration?» Nous aussi, ce n'est point par le commencement, mais par la fin que nous devons juger de la condition de chacun. [273] L'ÂNE ET LE JARDINIER Un âne était au service d'un jardinier. Comme il mangeait peu, tout en travaillant beaucoup, il pria Jupiter de le délivrer du jardinier et de le faire vendre à un autre maître. Zeus l'exauça et le fit vendre à un potier. Mais il fut de nouveau mécontent, parce qu'on le chargeait davantage et qu'on lui faisait porter l'argile et la poterie. Aussi demanda-t-il encore une fois à changer de maître, et il fut vendu à un corroyeur. Il tomba ainsi sur un maître pire que les autres. En voyant quel métier faisait ce maître, il dit en soupirant : «Hélas : malheureux que je suis ! j'aurais mieux fait de rester chez mes premiers maîtres ; car celui-ci, à ce que je vois, tannera aussi ma peau.» Cette fable montre que les serviteurs ne regrettent jamais tant leurs premiers maîtres que quand ils ont fait l'épreuve des suivants. [274] L'ÂNE, LE CORBEAU ET LE LOUP Un âne, qui avait une plaie au dos, paissait dans une prairie. Un corbeau se posa sur lui et piqua sa plaie à coups de bec. L'âne sous l'impression de la douleur se mit à braire et à sauter. L'ânier, qui était à quelque distance, éclata de rire. Un loup qui passait le vit et se dit à lui-même : «Malheureux que nous sommes ! il suffit qu'on nous aperçoive, pour qu'on nous donne la chasse; mais que ceux-ci osent s'approcher, on leur fait risette.» Cette fable fait voir que les gens malfaisants se reconnaissent à leur mine même et à première vue. [275] L'ÂNE ET LE PETIT CHIEN on LE CHIEN ET SON MAÎTRE Un homme qui avait un chien de Malte et un âne jouait constamment avec le chien. Allait-il dîner dehors, il lui rapportait quelque friandise, et, quand le chien s'approchait la queue frétillante, il la lui jetait. Jaloux, l'âne accourut vers le maître, et se mettant à gambader, il l'atteignit d'un coup de pied. Le maître en colère le fit reconduire à coups de bâton et attacher au râtelier. Cette fable montre que tous ne sont pas faits pour les mêmes choses. [276] L'ÂNE ET LE CHIEN VOYAGEANT DE COMPAGNIE Un âne et un chien faisaient route ensemble. Ils trouvèrent à terre une lettre cachetée. L'âne la ramassa, rompit le sceau, l'ouvrit et la lut de manière à être entendu du chien. Il y était question de pâture, je veux dire de foin, d'orge et de paille. Le chien s'ennuyait pendant la lecture de l'âne ; aussi lui dit-il : «Descends de quelques lignes, très cher ; peut-être trouveras-tu dans la suite quelque chose qui se rapporte à la viande et aux os.» L'âne ayant parcouru tout l'écrit, sans rien trouver de ce que le chien cherchait, celui-ci reprit la parole : «Jette ce papier à terre, ami ; car il est tout à fait insignifiant.» [277] L'ÂNE ET L'ÂNIER Un âne conduit par un ânier, après avoir fait un peu de chemin, quitta la route unie et prit à travers des lieux escarpés. Comme il allait tomber dans un précipice, l'ânier, le saisissant par la queue, essaya de le faire retourner ; mais comme l'âne tirait vigoureusement en sens inverse, l'ânier le lâcha et dit : «Je te cède la victoire : car c'est une mauvaise victoire que tu remportes.» La fable s'applique au querelleur. [278] L'ÂNE ET LES CIGALES Un âne, ayant entendu chanter des cigales, fut charmé de leur voix harmonieuse et leur envia leur talent. «Que mangez-vous, leur demanda-t-il, pour faire entendre un tel chan ! — De la rosée», dirent-elles. Dès lors l'âne attendit la rosée, et mourut de faim. Ainsi, quand on a des désirs contraires à la nature, non seulement on n'arrive pas à les satisfaire, mais encore on encourt les plus grands malheurs. [279] L'ÂNE QUI PASSAIT POUR ÊTRE UN LION Un âne revêtu d'une peau de lion passait aux yeux de tous pour un lion et il faisait fuir les hommes, il faisait fuir les bêtes. Mais le vent, ayant soufflé, enleva la peau, et l'âne resta nu. Alors tout le monde lui courut sus et le frappa à coups de bâton et de massue. Es-tu pauvre et simple particulier, ne prends pas modèle sur les riches : ce serait t'exposer au ridicule et au danger ; car nous ne pouvons nous approprier ce qui nous est étranger. [280] L'ÂNE QUI BROUTE DES PALIURES ET LE RENARD Un âne broutait la chevelure piquante d'un paliure. Un renard l'ayant aperçu lui adressa ces railleuses paroles «Comment avec une langue si tendre et si molle peux-tu mâcher et manger un mets si dur ?» Cette fable s'adresse à ceux dont la langue profère des propos durs et dangereux. [281] L’ÂNE FAISANT SEMBLANT DE BOITER ET LE LOUP Un âne, qui paissait dans un pré, voyant un loup s'avancer vers lui, fit semblant de boiter. Le loup, s'étant approché, lui demanda pourquoi il boitait. Il répondit qu'il avait, en franchissant une clôture, mis le pied sur une épine, et il le pria de la lui enlever d'abord, après quoi il pourrait le manger, sans se percer la bouche en mâchant. Le loup se laissa persuader. Tandis qu'il soulevait la patte de l'âne et fixait toute son attention sur le sabot, l'âne, d'un coup de pied dans la gueule, lui fit sauter les dents. Et le loup mal en point dit : «Je l'ai bien mérité ; car pourquoi, ayant appris de mon père le métier de boucher, ai-je voulu, moi, tâter de la médecine?» Ainsi les hommes qui entreprennent des choses hors de leur compétence s'attirent naturellement des disgrâces. [282] L'OISELEUR, LES PIGEONS SAUVAGES ET LES PIGEONS DOMESTIQUES Un oiseleur avait tendu ses filets auxquels il avait attaché des pigeons domestiques. Puis il s'était éloigné, et il observait à distance ce qui allait se passer. Des pigeons sauvages s'approchèrent des captifs et se firent prendre dans les lacets. L'oiseleur accourut et se mit en devoir de les saisir. Comme ils adressaient des reproches aux pigeons domestiques, parce que, étant de la même tribu, ils ne les avaient pas avertis du piège, ceux-ci répondirent : « Nous avons plus d'intérêt à nous garder du mécontentement de nos maîtres qu'à complaire à nos parents.» Ainsi en est-il des serviteurs : il ne faut pas les blâmer. quand, par amour de leurs maîtres, ils manquent aux lois de l'amitié envers leurs propres parents. [283] L'OISELEUR ET L'ALOUETTE HUPPÉE Un oiseleur dressait des pièges aux oiseaux. Une alouette huppée, l'ayant aperçu de loin, lui demanda ce qu'il faisait. Il répondit qu'il fondait une ville, puis il s'éloigna et se cacha. L'alouette, se fiant aux discours de cet homme, s'approcha et fut prise au lacet. L'oiseleur étant accouru, elle lui dit : «Hé ! l'homme, si c'est une ville comme celle-ci que tu fondes, tu n'y trouveras pas beaucoup d'habitants.» Cette fable montre que si l'on déserte les maisons et les villes, c'est surtout quand les maîtres y sont incommodes. [284] L'OISELEUR ET LA GIGOGNE (?) Un oiseleur, ayant tendu des panneaux aux grues, surveillait de loin sa chasse. Or une cigogne s'étant posée parmi les grues, il accourut et la prit elle aussi avec elles. Comme elle le priait de la relâcher, disant que, loin de nuire aux hommes, elle leur était même fort utile, car elle prenait et mangeait les serpents et autres reptiles, l'oiseleur répondit : «Si vraiment tu n'es pas méchante, tu mérites en tout cas un châtiment pour t'être posée parmi des méchants.» Nous aussi nous devons fuir la société des méchants, afin qu'on ne nous prenne pas nous-mêmes pour les complices de leur méchanceté. [285] L'OISELEUR ET LA PERDRIX Un hôte se présenta un peu tard chez un oiseleur. Celui-ci n'ayant rien à lui offrir, s'en fut vers sa perdrix privée, et il allait la tuer, quand elle lui reprocha son ingratitude : «Ne lui était-elle pas fort utile en appelant les oiseaux de sa tribu et en les lui livrant? et il allait la tuer ! — Raison de plus pour t'immoler, répondit-il, puisque tu n'épargnes même pas ceux de ta tribu.» Cette fable montre que ceux qui trahissent leurs parents sont odieux non seulement à leurs victimes, mais encore à ceux à qui ils les livrent. [286] LA POULE ET L'HIRONDELLE Une poule, ayant trouvé des oeufs de serpent, se mit à le, couver soigneusement et, après les avoir chauffés, les fit éclore. Une hirondelle, qui l'avait vue faire, lui dit: «Sotte que tu es, pourquoi élèves-tu des êtres qui, une fois grands, commenceront par toi la première le cours de leurs méfaits?» La perversité ne se laisse pas apprivoiser, même à force de bienfaits. [287] LA POULE AUX ŒUFS D'OR Un homme avait une belle poule qui pondait des oeufs d'or. Croyant qu'elle avait dans le ventre une masse d'or, il la tua et la trouva semblable aux autres poules. Il avait espéré trouver la richesse d'un seul coup, et il s'était privé même du petit profit qu'il tenait. Cette fable montre qu'il faut se contenter de ce qu'on a, et éviter la cupidité insatiable. [288] LA QUEUE ET LE CORPS DU SERPENT Un jour la queue du serpent eut la prétention de conduire et de marcher la première. Les autres organes lui dirent : «Comment nous conduiras-tu, toi qui n'a pas d'yeux ni de nez, comme les autres animaux ?» Mais ils ne la persuadèrent pas, et à la fin le bon sens eut le dessous. La queue commanda et conduisit, tirant à l'aveugle tout le corps, tant qu'enfin elle tomba dans un trou plein de pierres, où le serpent se meurtrit l'échine et tout le corps. Alors elle s'adressa, flatteuse et suppliante, à la tète : «Sauve-nous, s'il te plaît, maîtresse ; car j'ai eu tort d'entrer en lutte avec toi.» Cette fable confond les hommes rusés et pervers qui se révoltent contre leurs maîtres. [289] LE SERPENT, LA BELETTE ET LES RATS Un serpent et une belette se battaient dans une maison. Les rats du logis, toujours dévorés par l'un et par l'autre, les voyant combattre, sortirent tranquillement de leurs trous. A la vue des rats, les combattants, renonçant à s'entre-battre, se tournèrent contre eux. ll en est de même dans les États : les gens qui s'immiscent dans les querelles des démagogues deviennent sans s'en douter les victimes des deux partis. [290] LE SERPENT ET LE CRABE Un serpent et un crabe séjournaient dans le même endroit. Le crabe se comportait envers le serpent en toute simplicité et bienveillance; mais le serpent était toujours sournois et pervers. Le crabe l'exhortait sans cesse à se conduire envers lui avec droiture et à imiter sa manière à lui : il n'était pas écouté. Aussi, indigné, il observa le moment où le serpent dormait, le saisit à la gorge et le tua. En le voyant étendu mort, il dit : «Hé ! camarade, ce n'est pas maintenant que tu es mort, que tu aurais dû être droit, c'est lorsque je t'y exhortais : alors tu n'aurais pas été mis à mort. On pourrait justement conter cette fable à propos des hommes qui pendant leur vie sont méchants envers leurs amis et leur rendent service après leur mort. [291] LE SERPENT FOULÉ AUX PIEDS Un serpent, souvent foulé aux pieds par les hommes, alla s'en plaindre à Zeus. Zeus lui dit : «Si tu avais frappé le premier qui t'a marché dessus, le deuxième n'aurait pas essayé d'en faire autant.» Cette fable montre que ceux qui tiennent tête aux premiers qui les attaquent se rendent redoutables aux autres. [292] L'ENFANT QUI MANGE DE LA FRESSURE Des bergers sacrifiant une chèvre à la campagne invitèrent leurs voisins. Parmi eux se trouvait une pauvresse qui amena son enfant avec elle. Comme le festin s'avançait, l'enfant qui avait l'estomac gonflé de viande, se sentant mal, s'écria : «Mère, je vomis mes entrailles. — Non pas les tiennes, mon petit, dit la mère, mais celles que tu as mangées.» Cette fable s'adresse au débiteur, qui est toujours prêt à prendre le bien d'autrui; vient-on à le lui réclamer, il s'en afflige autant que s'il payait de son bien propre. [293] L'ENFANT QUI CHASSE AUX SAUTERELLES ET LE SCORPION Un enfant faisait la chasse aux sauterelles devant le rempart. Après en avoir pris un certain nombre, il vit un scorpion; il le prit pour une sauterelle, et, creusant la main, il allait l'y déposer, quand le scorpion, dressant son dard, lui dit : «Plût aux dieux que tu l'eusses fait ! du même coup tu aurais perdu les sauterelles que tu as prises.» Cette fable nous enseigne qu'il ne faut pas se comporter de même envers les bons et envers les méchants. [294] L'ENFANT ET LE CORBEAU Une femme interrogea les devins sur son fils en bas âge. Ils prédirent qu'il serait tué par un corbeau. Epouvantée de cette prédiction, elle fit construire une arche très grande et l'y enferma, pour l'empêcher d'être tué par un corbeau ; et tous les jours, à des heures déterminées, elle l'ouvrait et donnait à l'enfant la nourriture qu'il lui fallait. Or un jour qu'elle avait ouvert l'arche et remettait le couvercle, l'enfant avait imprudemment passé la tête dehors. Il arriva ainsi que le corbeau de l'arche, s'abattant sur le haut de sa tête, le tua. [295] LE FILS ET LE LION PEINT Un vieillard craintif avait un fils unique plein de courage et passionné pour la chasse ; il le vit en songe périr sous la griffe d'un lion. Craignant que le songe ne fût véritable et ne se réalisât, il fit aménager un appartement élevé et magnifique, et il y garda son fils. Il avait fait peindre, pour le distraire, des animaux de toute sorte, parmi lesquels figurait aussi un lion. Mais la vue de toutes ces peintures ne faisait qu'augmenter l'ennui du jeune homme. Un jour s'approchant du lion : «Mauvaise bête, s'écria-t-il, c'est à cause de toi et du songe menteur de mon père qu'on m'a enfermé dans cette prison pour femmes. Que pourrais-je bien te faire?» A ces mots, il asséna sa main sur le mur, pour crever l'oeil du lion. Mais une pointe s'enfonça sous son ongle et lui causa une douleur aiguë et une inflammation qui aboutit à une tumeur. La fièvre s'étant allumée là-dessus le fit bientôt passer de vie à trépas. Le lion, pour n'être qu'un lion en peinture, n'en tua pas moins le jeune homme, à qui l'artifice de son père ne servit de rien. Cette fable montre qu'il faut accepter bravement le sort qui nous attend, et ne point ruser avec lui, car on ne saurait y échapper. [296] L'ENFANT VOLEUR ET SA MÈRE Un enfant déroba à l'école les tablettes de son camarade et les apporta à sa mère, qui, au lieu de le corriger, le loua. Une autre fois il vola un manteau et le lui apporta ; et elle le loua encore davantage. Dès lors, croissant en âge et devenu jeune homme, il se porta à des vols plus importants. Mais un jour il fut pris sur le fait ; on lui lia les mains derrière le dos, et on le conduisit au bourreau. Sa mère l'accompagnait et se frappait la poitrine. Il déclara qu'il voulait lui dire quelque chose à l'oreille. Aussitôt qu'elle se fut approchée, il lui saisit le lobe de l'oreille et le trancha d'un coup de dents. Elle lui reprocha son impiété: non content des crimes qu'il avait déjà commis, il venait encore de mutiler sa mère ! Il répondit : «Si au temps où je t'apportai pour la première fois la tablette que j'avais volée, tu m'avais battu, je n'en serais pas venu au point où j'en suis : on ne me conduirait pas à la mort.» Cette fable montre que ce qu'on ne réprime pas dès le début grandit et s'accroît. [297] L'ENFANT QUI SE BAIGNE Un jour un enfant qui se baignait dans une rivière se vit en danger d'être noyé. Ayant aperçu un voyageur, il l'appela à son secours. Le voyageur lui reprocha sa témérité. «Ah ! répliqua le jeune garçon, tire-moi d'affaire tout de suite; plus tard, quand tu m'auras sauvé, tu me feras des reproches.» Cette fable s'adresse aux gens qui fournissent contre eux-mêmes des raisons de les maltraiter. [298] LE DÉPOSITAIRE ET LE SERMENT Un homme qui avait reçu un dépôt d'un ami projetait de l'en frustrer. Comme cet ami l'appelait à prêter serment, pris d'inquiétude, il partit pour la campagne. Arrivé aux portes de la ville, il aperçut un boiteux qui sortait et lui demanda qui il était et où il allait. Celui-ci ayant répondu qu'il était le Serment et qu'il marchait contre les impies, il lui posa une seconde question : «Après combien de temps reviens-tu d'habitude dans les villes? — Au bout de quarante ans, parfois même de trente», répondit-il. Dès lors l'homme jura le lendemain sans hésiter qu'il n'avait pas reçu le dépôt. Mais il tomba sur le Serment, qui l'emmena pour le précipiter. L'homme récrimina : «Tu m'as déclaré, dit-il, que tu ne revenais qu'au bout de trente ans, et tu ne m'accordes même pas un jour de sécurité.» Le Serment repartit: «Sache bien que, quand on veut m'agacer, j'ai l'habitude de revenir le jour même.» Cette fable montre que Dieu n'a pas de jour fixe pour punir les impies. [299] LE PÈRE (La mère) ET SES FILLES Un homme qui avait deux filles avait donné en mariage l'une à un jardinier, l'autre à un potier. Au bout de quelque temps, il alla voir la femme du jardinier, et lui demanda comment elle allait et où en étaient leurs affaires. Elle répondit que tout marchait à souhait et qu'elle n'avait qu'une chose à demander aux dieux, de l'orage et de la pluie pour arroser les légumes. Peu de temps après il se rendit chez la femme du potier et lui demanda comment elle se trouvait. Elle répondit que rien ne leur manquait et qu'elle n'avait qu'un voeu à former, c'est que le temps restât clairet le soleil brillant, pour sécher la poterie. — «Si toi, reprit le père, tu demandes le beau temps, et ta soeur, le mauvais, avec laquelle de vous formerai-je des voeux ?» De même si l'on fait en même temps deux entreprises contraires, on les manque naturellement toutes les deux. [300] LA PERDRIX ET L'HOMME Un homme, ayant pris à la chasse une perdrix, allait la tuer. Elle le supplia en ces termes : «Laisse-moi vivre ; à ma place je te ferai prendre beaucoup de perdrix. Raison de plus pour te tuer, repartit l'homme, puisque tu veux prendre au piège tes camarades et tes amis.» Cette fable montre que l'homme qui trame des machinations contre ses amis tombera lui-même dans les embûches et le danger.