[201] LE LION ET LA GRENOUILLE Un lion, ayant entendu coasser une grenouille, se retourna au son, pensant que c'était quelque gros animal. Il attendit quelque temps, puis, la voyant sortir de l'étang, il s'approcha et l'écrasa, en disant : « Eh quoi ! c'est avec une telle taille que tu pousses de tels cris ! » Cette fable s'applique au bavard, incapable d'autre chose que de parler. [202] LE LION ET LE DAUPHIN Un lion errant sur une plage vit un dauphin qui sortait la tête hors de l'eau. Il lui proposa une alliance. « Il nous sied tout à fait, dit-il, d'être amis et alliés, puisque toi, tu es le roi des animaux marins, et moi, des animaux terrestres. » Le dauphin acquiesça volontiers. Or le lion, qui était depuis longtemps en guerre avec un taureau sauvage, appela le dauphin à son secours. Celui-ci essaya de sortir de l'eau, mais ne put y réussir. Alors le lion l'accusa de trahison. « Ce n'est pas à moi, répliqua le dauphin, mais à la nature qu'il faut t'en prendre : elle m'a fait aquatique et ne me permet pas de marcher sur terre ». Ceci prouve que nous aussi, quand nous contractons amitié, nous devons choisir des alliés qui puissent être à nos côtés au jour du danger. [203] LE LION ET LE SANGLIER Dans la saison d'été, quand la chaleur fait naître la soif, un lion et un sanglier vinrent boire à une petite source. Ils se querellèrent à qui boirait le premier, et de la querelle ils en vinrent à une lutte à mort. Mais soudain s'étant retournés pour reprendre haleine, ils virent des vautours qui attendaient pour dévorer celui qui tomberait le premier. Aussi, mettant fin à leur inimitié, ils dirent : « Il vaut mieux devenir amis que de servir de pâture à des vautours et à des corbeaux. » Il est beau de mettre fin aux méchantes querelles et aux rivalités ; car l'issue en est dangereuse pour tous les partis. [204] LE LION ET LE LIÈVRE Un lion, étant tombé sur un lièvre endormi, allait le dévorer ; mais entre temps il vit passer un cerf : il laissa le lièvre et donna la chasse au cerf. Or le lièvre, éveillé par le bruit, prit la fuite; et le lion, ayant poursuivi le cerf au loin, sans pouvoir l'atteindre, revint au lièvre et trouva qu'il s'était sauvé lui aussi. « C'est bien fait pour moi, dit -il, puisque lâchant la pâture que j'avais en main, j'ai préféré l'espoir d'une plus belle proie. » Ainsi parfois les hommes, au lieu de se contenter de profits modérés, poursuivent de plus belles espérances, et lâchent imprudemment ce qu'ils ont en main. [205] LE LION, LE LOUP ET LE RENARD. Le lion devenu vieux était couché, malade, dans son antre, et tous les animaux étaient venus rendre visite à leur prince, à l'exception du renard. Alors le loup, saisissant l'occasion favorable, accusa le renard par-devant le lion : « il n'avait, disait-il, aucun égard pour celui qui était leur maître à tous, et c'est pour cela qu'il n'était même pas venu le visiter. » Sur ces entrefaites le renard arrivait lui aussi, et il entendit les dernières paroles du loup. Alors le lion poussa un rugissement contre le renard. Mais celui-ci, ayant demandé un moment pour se justifier : « Et qui, dit-il, parmi tous ceux qui sont ici réunis, t'a rendu un aussi grand service que moi, qui suis allé partout demander aux médecins un remède pour te guérir, et qui l'ai trouvé ? » Le lion lui enjoignit de dire aussitôt quel était ce remède. Le renard répondit : « C'est d'écorcher vif un loup, et de te revêtir de sa peau toute chaude. » Le loup fut incontinent mis à mort, et le renard dit en riant : « Il ne faut pas exciter le maître à la malveillance, mais à la douceur. » Cette fable montre qu'en dressant des embûches à un autre on se tend un piège à soi-même. [206] LE LION ET LE RAT RECONNAISSANT Un lion dormait ; un rat s'en vint trottiner sur son corps. Le lion, se réveillant, le saisit, et il allait le manger, quand le rat le pria de le relâcher, promettant, s'il lui laissait la vie, de le payer de retour. Le lion se mit à rire et le laissa aller. Or n'arriva que peu de temps après il dut son salut à la reconnaissance du rat. Des chasseurs en effet le prirent et l'attachèrent à un arbre avec une corde. Alors le rat l'entendant gémir accourut, rongea la corde et le délivra. « Naguère, dit-il, tu t'es moqué de moi, parce que tu n'attendais pas de retour de ma part ; sache maintenant que chez les rats aussi on trouve de la reconnaissance. » Cette fable montre que dans les changements de fortune les gens les plus puissants ont besoin des faibles. [207] LE LION ET L'ONAGRE Le lion et l'onagre chassaient aux bêtes sauvages, le lion usant de sa force, l'onagre de la vitesse de ses pieds. Quand ils eurent pris un certain nombre de pièces, le lion partagea et fit trois parts qu'il étala. « Je prendrai la première, dit-il, comme étant le premier, puisque je suis roi ; la deuxième aussi, comme associé à part égale ; quant à la troisième, celle-là te portera malheur, si tu ne te décides pas à décamper. » Il convient en toutes choses de se mesurer à sa propre force, et de ne point se lier ni s'associer à de plus puissants que soi. [208] LE LION ET L'ÂNE CHASSANT DE COMPAGNIE Le lion et l'âne, ayant lié partie ensemble, étaient sortis pour chasser. Étant arrivés à une caverne où il y avait des chèvres sauvages, le lion se posta à l'entrée pour guetter leur sortie, et l'âne, ayant pénétré à l'intérieur, se mit à bondir au milieu d'elles et à braire pour les faire fuir. Quand le lion en eut pris la plus grande partie, l'âne sortit et lui demanda s'il n'avait pas bravement combattu et poussé les chèvres dehors. « Sache bien, répondit le lion, que tu m'aurais fait peur à moi-même, si je n'avais pas su que tu étais un âne.» C'est ainsi que les gens qui se vantent devant ceux qui les connaissent prêtent justement à la moquerie. [209] LE LION, L'ANE ET LE RENARD. Le lion, l'âne et le renard, ayant lié société ensemble, partirent pour la chasse. Quand ils eurent pris du gibier en abondance, le lion enjoignit à l'âne de le partager entre eux. L'âne fit trois parts égales et dit au lion de choisir. Le lion indigné bondit sur lui et le dévora. Puis il enjoignit au renard de faire le partage. Celui-ci entassa tout sur un seul lot, ne se réservant que quelques bribes; après quoi il pria le lion de choisir. Celui-ci lui demanda qui lui avait appris à partager ainsi : « Le malheur de l'âne », répliqua t-il. Cette fable montre qu'on s'instruit en voyant le malheur de son prochain. [210] LE LION, PROMÉTHÉE ET L'ÉLÉPHANT. Le lion se plaignait souvent de Prométhée. Sans doute Prométhée l'avait fait grand et beau, il lui avait armé la mâchoire de dents et muni les pattes de griffes, il l'avait lait plus fort que tous les autres animaux ; « mais avec tout cela, ajoutait-il, j'ai peur du coq. » Prométhée lui répondit : « Pourquoi m'accuses-tu à la légère ? N'as-tu pas tous les avantages physiques que j'ai pu modeler ? Mais c'est ton âme qui faiblit à ce seul objet. » Le lion déplorait donc son sort et s'accusait de lâcheté ; à la fin il voulut en finir avec la vie. Il était dans ces dispositions, quand il rencontra l'éléphant ; il le salua et s'arrêta pour causer. Ayant remarqué qu'il remuait continuellement les oreilles : « Qu'as-tu, lui demanda-t-il, et pourquoi donc ton oreille ne saurait-elle rester tant soit peu sans bouger ? — Tu vois », répondit l'éléphant, tandis qu'un cousin voltigeait par hasard autour de lui, « tu vois cet être minuscule, qui bourdonne ; s'il pénètre dans le conduit de mon oreille, je suis mort. » Alors le lion se dit : « Qu'ai-je encore besoin de mourir, moi qui suis si puissant et qui surpasse en bonheur l'éléphant autant que le coq sur-passe en force le cousin ? » On voit que le cousin est assez fort pour faire peur même à l'éléphant. [211] LE LION ET LE TAUREAU Un lion, qui tramait la mort d'un taureau énorme, projeta de s'en rendre maître par la ruse. Il lui dit qu'il avait sacrifié un mouton et l'invita au festin ; son intention était de le tuer, quand il serait couché à table. Le taureau vint ; mais apercevant force bassins, de grandes broches, mais de mouton nulle part, il s'en alla sans mot dire. Le lion lui en fit des reproches et lui demanda pourquoi, n'ayant souffert aucun mal, il s'en allait sans raison. Il répondit : « Ce n'est pas sans raison que j'en use ainsi ; car je vois des ustensiles comme on en prépare non pour un mouton, mais pour un taureau. » Cette fable montre que les gens sensés ne se laissent pas prendre aux artifices des méchants. [212] LE LION ENRAGE ET LE CERF Un lion était enragé. Un cerf l'ayant vu de la forêt s'écria : « Hélas ! malheur à nous ! Que ne fera pas ce lion dans sa fureur, lui qui, même de sang-froid, nous était insupportable » Évitons les hommes emportés et habitués à faire du mal, quand ils ont pris le pouvoir et qu'ils règnent. [213] LE LION QUI A PEUR D'UNE SOURIS ET LE RENARD Un lion dormait ; une souris courut tout le long de son corps. Le lion s'éveilla et se tourna dans tous les sens, cher-chant celui qui l'avait affronté. Un renard, le voyant faire, le gourmanda d'avoir peur, lui lion, d'une souris. A quoi le lion répondit : « Ce n'est pas que j'aie eu peur de la souris, mais j'ai été surpris que quelqu'un ait osé courir sur le corps du lion endormi. » Cette fable montre que les hommes sensés ne dédaignent pas même les petites choses. [214] LE BRIGAND ET LE MÛRIER Un brigand, ayant assassiné un homme sur une route, et se voyant poursuivi par ceux qui se trouvaient là, abandonna sa victime ensanglantée et s'enfuit. Mais des voyageurs qui venaient en sens inverse, lui demandèrent ce qui lui avait souillé les mains; il répondit qu'il venait de descendre d'un mûrier. Comme il disait cela, ceux qui le poursuivaient le rejoignirent, le saisirent et le pendirent à un mûrier. Et le mûrier lui dit : « Je ne suis pas fâché de servir à ton supplice : c'est toi en effet qui as commis le meurtre, et c'est sur moi que tu en as essuyé le sang. » Il arrive souvent ainsi que des hommes naturellement bons, quand ils se voient dénigrer par des calomniateurs, n'hésitent pas à se montrer méchants à leur égard. [215] LES LOUPS ET LES CHIENS EN GUERRE Entre les loups et les chiens la haine se déchaîna un jour. Les chiens élurent pour général un chien grec. Or celui-ci ne se pressait pas d'engager la bataille, malgré les violentes menaces des loups. « Savez-vous, leur dit-il, pourquoi je temporise ; c'est que toujours il convient de délibérer avant d'agir. Vous autres, vous êtes tous de même race et de même couleur ; mais nos soldats à nous ont des moeurs très variées et chacun a son pays dont il est fier. Même la couleur n'est pas uniforme et pareille pour tous : les uns sont noirs, les autres roux, d'autres blancs ou cendrés. Comment pourrais-je mener à la guerre des gens qui ne sont pas d'accord et qui sont. dissemblables en tout ?» Dans toutes les armées, c'est l'unité de volonté et de pensée qui assure la victoire sur les ennemis. [216] LES CHIENS RÉCONCILIÉS AVEC LES LOUPS Les loups dirent aux chiens : « Pourquoi, étant de tout point pareils à nous, ne vous entendez-vous pas avec nous, connue des frères ? Car nous ne différons en rien, sauf de pensée. Nous, nous vivons dans la liberté ; vous, soumis et asservis aux hommes, vous endurez d'eux les coups, vous portez des colliers et vous gardez les troupeaux ; et quand vos maîtres mangent, ils ne vous jettent que les os. Mais croyez-nous ; livrez-nous tous les troupeaux et nous les mettrons en commun pour nous en rassasier. » Les chiens prêtèrent l'oreille à ces propositions ; et les loups, pénétrant à l'intérieur de l'étable, égorgèrent d'abord les chiens. Tel est le salaire que reçoivent ceux qui trahissent leur patrie. [217] LES LOUPS ET LES MOUTONS Des loups cherchaient à surprendre un troupeau de moutons. Ne pouvant s'en rendre maîtres, à cause des chiens qui les gardaient, ils résolurent d'user de ruse pour en venir à leurs fins. Ils envoyèrent des députés demander aux moutons de livrer leurs chiens. C'étaient les chiens, disaient-ils, qui étaient cause de leur inimitié ; on n'avait qu'à les leur livrer ; et la paix régnerait entre eux. Les moutons ne prévoyant pas ce qui allait arriver, livrèrent les chiens, et les loups, s'en étant rendus maîtres, égorgèrent facilement le troupeau qui n'était plus gardé. Il en est ainsi dans les Etats : ceux qui livrent facilement leurs orateurs ne se doutent pas qu'ils seront bientôt assujettis à leurs ennemis. [218] LES LOUPS, LES MOUTONS ET LE BÉLIER Les loups envoyèrent des députés aux moutons, offrant de faire, avec eux une paix perpétuelle, s'ils leur livraient les chiens pour les faire périr. Les stupides moutons convinrent de le faire; mais un vieux bélier s'écria : « Comment pourrais-je vous croire et vivre avec vous, alors que, même sous la garde des chiens, il m'est impossible de paître en sécurité. » Il ne faut pas nous défaire de ce qui assure notre sécurité, en prêtant foi aux serments de nos ennemis irréconciliables. [219] LE LOUP FIER DE SON OMBRE ET LE LION Un loup errait un jour dans des lieux déserts, à l'heure où le soleil penchait sur son déclin. En voyant son ombre allongée, il dit : « Moi, craindre le lion, avec la taille que j'ai ! avec un plèthre de long, n'est-il pas tout simple que je devienne le roi de tous les animaux? » Comme il s'abandonnait à l'orgueil, un puissant lion le prit et se mit à le dévorer. Le loup changeant d'avis s'écria : « La présomption nous est une cause de malheur. » [220] LE LOUP ET LA CHÈVRE Un loup vit une chèvre qui paissait au-dessus d'un antre escarpé. Ne pouvant arriver jusqu'à elle, il l'engagea à descendre; car elle pourrait, disait-il, tomber par mégarde; d'ailleurs le pré où il se trouvait était meilleur; car le gazon y était tout fleuri. Mais la chèvre lui répondit : « Ce n'est pas pour moi que tu m'appelles au pâtis, c'est pour toi qui n'as pas de quoi manger. » Ainsi quand les scélérats exercent leur méchanceté parmi des gens lui les connaissent, ils ne gagnent rien à leurs machinations. [221] LE LOUP ET L'AGNEAU Un loup, voyant un agneau qui buvait à une rivière, voulut alléguer un prétexte spécieux pour le dévorer. C'est pourquoi, bien qu'il fût lui-même en amont, il l'accusa de troubler l'eau et de l'empêcher de boire. L'agneau répondit qu'il ne buvait que du bout des lèvres, et que d'ailleurs, étant à l'aval, il ne pouvait troubler l'eau à l'amont. Le loup, ayant manqué son effet, reprit : « Mais l'an passé tu as insulté mon père. — Je n'étais pas même né à cette époque, » répondit l'agneau. Alors le loup reprit : « Quelle que soit ta facilité à te justifier, je ne t'en mangerai pas moins. » Cette fable montre qu'auprès des gens décidée à faire le mal la plus juste défense reste sans effet. [222] LE LOUP ET LE JEUNE AGNEAU RÉFUGIÉ DANS UN TEMPLE Un loup poursuivait un jeune agneau. Celui-ci se réfugia dans un temple. Comme le loup l'appelait à lui et disait que le sacrificateur l'immolerait au dieu, s'il le trouvait là: « Eh bien l répondit l'agneau, je préfère être victime du dieu que de périr par toi. » Cette fable montre que, si l'on est réduit à mourir, il vaut mieux mourir avec honneur. [223] LE LOUP ET LA VIEILLE Un loup affamé rôdait en quête de nourriture. Arrivé dans un certain endroit, il entendit un petit enfant qui pleurait et une vieille femme qui lui disait : « Ne pleure plus, sinon je te donne au loup à l'instant même. » Le loup pensant que la vieille disait vrai, s'arrêta et attendit longtemps. Quand le soir fut venu, il entendit de nouveau la vieille qui choyait le petit enfant et lui disait : « Si le loup vient ici, nous le tuerons, mon enfant. » En entendant ces mots, le loup se remit en route en disant : « Dans cette ferme on parle d'une façon, on agit d'une autre. » Cette fable s'adresse aux hommes qui ne conforment pas leurs actes à leurs paroles. [224] LE LOUP ET LE HÉRON Un loup, ayant avalé un os, allait partout cherchant qui le débarrasserait de son mal. Il rencontra un héron, et lui demanda moyennant salaire d'enlever l'ose. Alors le héron descendit sa tête dans le gosier du loup, retira l'os, puis réclama le salaire convenu. « Hé ! l'ami, répondit le loup, ne te suffit-il pas d'avoir retiré ta tête saine et sauve de la gueule du loup, et te faut-il encore un salaire ? » Cette fable montre que le plus grand service qu'on puisse attendre de la reconnaissance des méchants, c'est qu'à l'ingratitude ils n'ajoutent pas l'injustice. [225] LE LOUP ET LE CHEVAL Un loup, passant dans un champ, y trouva de l'orge ; mais ne pouvant en faire sa nourriture, il la laissa et s'en alla. Il rencontra un cheval et l'amena dans le champ ; il avait, disait-il, trouvé de l'orge ; mais, au lieu de la manger lui-même, il la lui avait gardée, vu qu'il avait du plaisir à entendre le bruit de ses dents. Le cheval lui répondit : « Hé l'ami, si les loups pouvaient user de l'orge comme nourriture, tu n'aurais jamais préféré tes oreilles à ton ventre. » Cette fable montre que ceux qui sont naturellement méchants, même quand ils se targuent d'être bons, n'obtiennent aucune créance. [226] LE LOUP ET LE CHIEN Un loup voyant un très gros chien attaché par un collier lui demanda : « Qui t'a lié et nourri de la sorte ? - Un chasseur, » répondit le chien. « Ah ! Dieu garde de cela le loup qui m'est cher ! Autant la faim qu'un collier pesant. » Cette fable montre que dans le malheur on n'a même pas les plaisirs du ventre. [227] LE LOUP ET LE LION Un jour un loup, ayant enlevé un mouton dans un troupeau, l'emportait dans son repaire. Mais un lion, se trouvant sur son chemin, le lui ravit. Le loup se tenant à distance lui cria : Tu es injuste de me prendre mon bien. » Le lion se mit à rire et dit : « Toi, en effet, tu l'as reçu justement d'un ami ! » Pillards et brigands insatiables qui, en butte à quelque revers, se chamaillent entre eux, peuvent se reconnaître dans cette fable. [228] LE LOUP ET L'ÂNE Un loup, étant devenu chef des autres loups, établit des lois générales portant que, tout ce que chacun aurait pris à la chasse, il le mettrait en commun et le partagerait également entre tous : de la sorte on ne verrait plus les loups, réduits à la disette, se manger les uns les autres. Mais un âne s'avança, et secouant sa crinière, dit : « C'est une belle pensée que son coeur a inspirée au loup. Mais comment se fait-il que toi-même tu aies serré dans ton repaire ton butin d'hier ? Apporte-le à la communauté et partage-le. » Le loup confondu abolit ses lois. Ceux qui semblent légiférer selon la justice ne s'en tiennent pas eux-mêmes aux lois qu'ils établissent et décrètent. [229] LE LOUP ET LE BERGER Un loup suivait un troupeau de moutons sans lui faire de mal. Le berger tout d'abord se gardait de lui comme d'un ennemi et le surveillait peureusement. Mais comme le loup le suivait toujours sans faire la moindre tentative d'enlèvement, il pensa dès lors qu'il avait là un gardien plutôt qu'un ennemi aux aguets; et comme il avait besoin de se rendre à la ville, il laissa ses moutons près du loup et partit. Le loup, pensant tenir l'occasion, se jeta sur le troupeau et en mit en pièces la plus grande partie. Quand le berger revint et vit son troupeau perdu, il s'écria : « C'est bien fait pour moi ; pourquoi confiais-je des moutons à un loup ? » Il en est de même chez les hommes : quand on confie un dépôt à des gens cupides, il est naturel qu'on le perde. [230] LE LOUP RASSASIÉ ET LA BREBIS Un loup gorgé de nourriture vit une brebis abattue sur le sol. Comprenant qu'elle s'était laissée tomber de frayeur, il s'approcha et la rassura, en lui promettant, si elle lui tenait trois propos vrais, de la laisser aller. Alors la brebis commença par lui dire qu'elle aurait voulu ne pas le rencontrer; puis, qu'à défaut de cela, elle aurait voulu le trouver aveugle ; en troisième lieu, elle s'écria : « Puissiez-vous, méchants loups, périr tous de male mort, puisque, sans avoir souffert de nous aucun mal, vous nous faites méchamment la guerre ! » Le loup reconnut sa véracité et la laissa partir. Cette fable montre que souvent la vérité a son effet même sur des ennemis. [231] LE LOUP BLESSÉ ET LA BREBIS Un loup, ayant été mordu et mis à mal par des chiens, s'était abattu sur le sol. Comme il était hors d'état de se procurer à manger, il aperçut une brebis et la pria de lui apporter à boire de la rivière voisine. « Si tu me donnes de quoi boire, je trouverai moi-même de quoi manger. — Mais si je te donne de quoi boire, répondit la brebis, c'est moi qui ferai les frais de ton repas. » Cette fable vise le malfaiteur qui tend d'hypocrites embûches. [232] LA LAMPE Une lampe enivrée d'huile, jetant une vive lumière, se vantait d'être plus brillante que le soleil. Mais un souffle de vent ayant sifflé, elle s'éteignit aussitôt. Quelqu'un la ralluma et lui dit : « Eclaire, lampe, et tais-toi : l'éclat des astres ne s'éclipse jamais. » Il ne faut pas se laisser aveugler par l'orgueil, quand on est en réputation ou en honneur; car tout ce qui s'acquiert nous est étranger. [233] LE DEVIN Un devin, installé sur la place publique, y faisait recette. Soudain un quidam vint à lui et lui annonça que les portes de sa maison étaient ouvertes et qu'on avait enlevé tout ce qui était à l'intérieur. Hors de lui, il se leva d'un bond et courut en soupirant voir ce qui était arrivé. Un des gens qui se trouvaient là, le voyant courir, lui cria : « Hé ! l'ami, toi qui te piquais de prévoir ce qui doit arriver aux autres, tu n'as pas prévu ce qui t'arrive. » On pourrait appliquer cette fable à ces gens qui règlent pitoyablement leur vie et qui se mêlent de diriger des affaires qui ne les regardent pas. [234] LES ABEILLES ET ZEUS Les abeilles, enviant leur miel aux hommes, allèrent trouver Zeus et le prièrent de leur donner de la force pour tuer à coups d'aiguillon ceux qui s'approcheraient de leurs cellules. Zens, indigné de les voir envieuses, les condamna à perdre leur dard, toutes les fois qu'elles en frapperaient quelqu'un, et à mourir après. Cette fable peut s'appliquer aux envieux qui consentent à souffrir eux-mêmes des maux qu'ils font. [235] L'ÉLEVEUR D'ABEILLES Un homme, ayant pénétré chez un éleveur d'abeilles, en son absence, avait dérobé miel et rayons. A son retour, l'éleveur, voyant les ruches vides, s'arrêta à les examiner. Mais les abeilles, revenant de picorer et le trouvant là, le piquèrent de leurs aiguillons et le maltraitèrent terriblement. « Méchantes bêtes, leur dit-il, vous avez laissé partir impunément celui qui a volé vos rayons, et moi qui vous soigne, vous me frappez impitoyablement ! » Il arrive assez souvent ainsi que par ignorance on ne se méfie pas de ses ennemis, et qu'on repousse ses amis, les tenant pour suspects. [236] LES MÉNAGYRTES Des ménagyrtes avaient un âne qu'ils chargeaient de leurs bagages, quand ils se mettaient en route. Or un jour cet âne mourut de fatigue; ils le dépouillèrent, firent de sa peau des tambourins, et ils s'en servirent. D'autres ménagyrtes les ayant rencontrés leur demandèrent où était leur âne. « Il est mort, dit-il; mais il reçoit autant de coups qu'il en a jamais reçus de son vivant. » Ainsi parfois les serviteurs, même affranchis de l'esclavage, ne sont pas délivrés des charges de la servitude. [237] LES RATS ET LES BELETTES Les rats et les belettes étaient en guerre. Or les rats, se voyant toujours battus, se réunirent en assemblée, et, s'imaginant que c'était faute de chefs qu'ils éprouvaient ces revers, ils se choisirent des stratèges et les élurent à main levée. Or ceux-ci, voulant être distingués des simples soldats, se façonnèrent des cornes et se les ajustèrent. La bataille s'étant livrée, il arriva que l'armée des rats eut le dessous. Alors les soldats s'enfuirent vers leurs trous, où ils pénétrèrent aisément ; mais les généraux, ne pouvant y entrer à cause de leurs cornes, furent pris et dévorés. Ainsi souvent la vaine gloire est une cause de malheur. [238] LA MOUCHE Une mouche était tombée dans une marmite remplie de viande. Sur le point d'être noyée dans la sauce, elle se dit à elle-même : « J'ai mangé, j'ai bu, j'ai pris un bain; la mort peut venir : il ne m'en chaut. » Cette fable montre que les hommes supportent facilement la mort, quand elle survient sans douleur. [239] LES MOUCHES Du miel s'étant répandu dans un cellier, des mouches y volèrent et se mirent à le manger. C'était un régal si doux qu'elles ne pouvaient s'en détacher. Mais leurs pattes s'y étant engluées, elles ne purent prendre l'essor, et se sentant étouffer, elles dirent : « Malheureuses que nous sommes, noua périssons pour un instant de plaisir. » C'est ainsi que la gourmandise est souvent la cause de bien des maux. [240] LA FOURMI La fourmi d'à présent était autrefois un homme qui, adonné à l'agriculture, ne se contentait pas du produit de ses propres travaux ; il regardait d'un oeil d'envie ceux des autres et ne cessait de dérober les fruits de ses voisins. Zeus indigné de sa cupidité le changea en l'animal que nous appelons fourmi. Mais pour avoir changé de forme, il n'a pas changé de caractère; car aujourd'hui encore il parcourt les champs, ramasse le blé et l'orge d'autrui, et les met en réserve pour son usage. Cette fable montre que les gens naturellement méchants ont beau être punis très sévèrement, ils ne changent pas pour cela de caractère. [241] LA FOURMI ET L'ESCARBOT Dans la saison d'été, une fourmi rôdant dans la campagne, ramassait des grains de blé et d'orge, et les mettait en réserve pour s'en nourrir en hiver. Un escarbot l'aperçut et s'étonna de la voir si laborieuse, elle qui travaillait au temps même où les autres animaux, débarrassés de leurs travaux, se donnent du bon temps. Sur le moment, la fourmi ne répondit rien ; mais plus tard, quand vint l'hiver et que la pluie détrempa les bouses, l'escarbot affamé vint demande à la fourmi l'aumône de quelque aliment. La fourmi lui dit alors : « O escarbot, si tu avais travaillé au temps où je prenais de la peine et où tu m'injuriais, tu ne manquerais pas à présent de nourriture. » Pareillement les hommes, qui, dans les temps d'abondance. ne se préoccupent pas de l'avenir, tombent dans une misère extrême, lorsque les temps viennent à changer. [242] LA FOURMI ET LA COLOMBE Une fourmi pressée par la soif était descendue dans une source et, entraînée par le courant, elle était en train de se noyer. Une colombe, l'ayant aperçue, détacha un rameau d'un arbre et le jeta dans la source ; la fourmi monta dessus, et fut sauvée. Sur ces entrefaites un oiseleur s'avança avec ses gluaux ajustés pour prendre la colombe. La fourmi s'et étant aperçue, mordit le pied de l'oiseleur, qui, sous le coup de la douleur, jeta ses gluaux et fit aussitôt envoler la colombe. Cette fable montre qu'il faut payer de retour ses bienfaiteurs. [243] LE RAT DES CHAMPS ET LE RAT DE VILLE Un rat des champs avait pour ami un rat de maison. Le rat de maison invité par son ami s'empressa d'aller dîner à la campagne. Mais comme il n'avait à manger que de l'herbe et du blé, il dit : « Sais-tu bien, mon ami, que tu mènes une vie de fourmi ? Moi, au contraire, j'ai des biens en abondance. Viens avec moi, je les mets tous à ta disposition. » Ils partirent aussitôt tous les deux. Le rat de maison fit voir à son camarade des légumes et du blé, et avec cela des figues, un fromage, du miel, des fruits. Et celui-ci émerveillé le bénissait de tout son coeur, et maudissait sa propre fortune. Comme ils s'apprêtaient à commencer le festin, soudain un homme ouvrit la porte. Effrayés du bruit, nos rats se précipitèrent peureusement dans les fentes. Puis comme ils revenaient pour prendre des figues sèches, une autre personne vint chercher quelque chose à l'intérieur de la chambre. A sa vue, ils se précipitèrent encore une fois dans un trou pour s'y cacher. Et alors le rat des champs, oubliant la faim, soupira et dit à l'autre : « Adieu, mon ami, tu manges à satiété et tu t'en donnes à coeur joie, mais au prix du danger et de mille craintes. Moi, pauvret, je vais vivre en grignotant de l'orge et du blé, mais sans craindre ni suspecter personne. » Cette fable montre qu'il vaut mieux mener une existence simple et paisible que de nager dans les délices en souffrant de la peur. [244] LE RAT ET LA GRENOUILLE Un rat de terre, pour son malheur, se lia d'amitié avec une grenouille. Or la grenouille, qui avait de mauvais desseins, attacha la patte du rat à sa propre patte. Et tout d'abord ils allèrent sur la terre manger du blé ; ensuite ils s'approchèrent du bord de l'étang. Alors la grenouille entrains le rat au fond, tandis qu'elle s'ébattait dans l'eau en poussant ses brekekekex. Et le malheureux rat, gonflé d'eau, fut noyé ; mais il surnageait, attaché à la patte de la grenouille. Un milan, l'ayant aperçu, l'enleva dans ses serres, et la grenouille enchaînée suivit et servit, elle aussi, de dîner au milan. Même mort, on peut se venger; car la justice divine a l'oeil sur tout, et proportionne dans sa balance le châtiment à la faute. [245] LE NAUFRAGE ET LA MER Un naufragé, rejeté sur le rivage, s'était endormi de fatigue; mais il ne tarda pas à s'éveiller, et, voyant la mer, il lui reprocha de séduire les hommes par son air tranquille ; puis, quand elle les a reçus sur ses eaux, de devenir sauvage et de les faire périr. La mer, ayant pris la forme d'une femme, lui dit : « Mais, mon ami, ce n'est pas à moi, c'est aux vents qu'il faut adresser tes reproches; car moi, je suis naturellement telle que tu me vois à présent : ce sont les vents qui, tombant sur moi à l'improviste, me soulèvent et me rendent sauvage. » De même nous ne devons pas rendre responsable l'auteur d'une injustice, quand il agit sur les ordres d'autrui, mais bien ceux qui ont autorité sur lui. [246] LES JEUNES GARÇONS ET LE BOUCHER Deux jeunes garçons achetaient de la viande au même étal. Voyant le boucher occupé d'un autre côté, l'un d'eux déroba des abattis et les jeta dans le sein de l'autre. Le boucher, s'étant retourné et cherchant ces morceaux, accusa les deux garçons. Mais celui qui les avait pris jura qu'il ne les avait pas, et celui qui les avait, qu'il ne les avait pas pris. Devinant leur artifice, le boucher dit : « Vous pouvez m'échapper par un faux serment ; mais à coup sûr vous n'échapperez pas aux dieux. » Cette fable montre que l'impiété du faux serment reste la même, quelque habileté qu'on mette à la sophistiquer. [247] LE FAON ET LA BICHE Un jour un faon dit au cerf: « Père, tu es plus grand et plus vite que les chiens, et tu as de plus des cornes merveilleuses pour te défendre. Pourquoi donc fuis-tu ainsi devant eux? » Le cerf répondit en riant: « C'est vrai, mon enfant, ce que tu dis là ; mais il y a une chose certaine, c'est que, lorsque j'entends l'aboiement d'un chien, aussitôt je me précipite je ne sais comment vers la fuite. » Cette fable montre qu'aucune exhortation ne rassure un coeur naturellement lâche. [248] LE JEUNE PRODIGUE ET L'HIRONDELLE Un jeune prodigue, ayant mangé son patrimoine, ne possédait plus qu'un manteau. Il aperçut une hirondelle qui avais devancé la saison. Croyant le printemps venu, et qu'il n'avais plus besoin de manteau, il s'en alla le vendre aussi. Mais le mauvais temps étant survenu ensuite et l'atmosphère étant devenue très froide, il vit, en se promenant, l'hirondelle morte de froid. « Malheureuse, dit-il, tu nous as perdus, toi et moi du même coup. » Cette fable montre que tout ce qu'on fait à contretemps est hasardeux. [249] LE MALADE ET LE MÉDECIN Un malade, questionné sur son état par le médecin, répondit qu'il avait sué plus que de raison. « Cela va bien », dit le médecin. Questionné une seconde fois sur sa santé, il dit qu'il avait été pris de frisson et fortement secoué. « Cela va bien aussi », dit le médecin. Une troisième fois le médecin vint le voir, et le questionna sur sa maladie. Il répondit qu'il avait eu la diarrhée. « Cela va bien encore », dit le médecin, et il se retira. Un de ses parents étant venu le voir et lui demandant comment il allait : « Moi, répondit-il, je meurs à force d'aller bien. » Il en est souvent ainsi : nos voisins, n'en jugeant que par les dehors, nous estiment heureux pour des choses qui nous causent intérieurement le plus vif chagrin. [250] LA CHAUVE-SOURIS, LA RONCE ET LA MOUETTE La chauve-souris, la ronce et la mouette s'associèrent ensemble dans l'intention de s'adonner au commerce. En conséquence la chauve-souris emprunta de l'argent pour le mettre dans la communauté; la ronce prit avec elle de l'étoffe, et la troisième associée, la mouette, acheta du cuivre ; puis elles appareillèrent. Mais une violente tempête étant survenue, le vaisseau chavira, et toute la cargaison fut perdue; elles ne sauvèrent que leurs personnes. Aussi depuis ce temps, la mouette est toujours aux aguets sur les rivages, pour voir si la mer ne rejettera pas son cuivre quelque part; la chauve-souris, craignant ses créanciers, ne se montre pas de jour et ne sort pour pâturer que la nuit; enfin la ronce accroche les habits des passants, cherchant à reconnaître son étoffe. Cette fable montre que nous revenons toujours aux choses où nous avons intérêt.