[5,0] LIVRE V. [5,1] LETTRE I. ENNODIUS AU PATRICE LIBÉRIUS. Vous nous adressez au sujet de l’élection de l’évêque d’Aquilée votre rapport écrit selon la rectitude d’une conscience honnête et votre langage, en parfaite connaissance de ce qui concerne le culte divin, est, tout en faveur de l’élu qui doit être consacré : l’empire de votre parole nous incline comme forcément à aimer cet inconnu. Il n’y a plus lieu à jugement dès lors qu’une proposition émane d’un homme dont l’autorité est indiscutable. Si ce personnage dont nul ne saurait contester la décision, est fidèle observateur de la justice, dès lors qu’il s’est prononcé, ses inférieurs pourraient-ils encore songer à émettre leur sentiment? Et cependant ce que vous pouviez presque imposer de votre autorité, vous avez voulu le conduire en toute conscience et selon les règles. L’homme le plus éminent, plus grand encore par l’humilité, s’adjoignit un collègue pour l’examen du vénérable Marcelin, et afin de ne pas donner lieu à la malignité d’attribuer à l’influence du pouvoir le choix qui serait fait, il modéra les éloges qu’il faisait de l’élu et l’estime qu’il lui portait pour lui laisser plus de valeur personnelle. Vous parûtes ne l’apprécier que médiocrement de crainte que l’on ne tint pour suspecte la recommandation d’un personnage si élevé. Pour que les témoignages rendus par des personnages haut placés aient quelque poids, ils doivent éviter toute exagération. Heureux épiscopat ainsi mis en lumière par une intelligence si éclairée! Heureuse vie qui n’a été soumise aux rigueurs d’un examen que pour en acquérir, sous la garantie d’un si grand homme, un nouvel éclat! Elle n’eut point fait goûter la saveur du triomphe si elle n’eut été exposée aux incertitudes du combat. Toujours pour les innocents la gloire rejaillit des incriminations auxquelles ils sont en butte. Lorsqu’on pressent des défenseurs très forts l’attaque est faible. Mais pourquoi prolonger par notre bavardage l’étendue de cette lettre et dépasser les limites imposées par l’usage? A notre tour, très puissant seigneur, nous ajoutons à votre choix ratifié dans le ciel, selon la petitesse de notre personne et l’étendue de notre pouvoir, notre propre assentiment et, ce qui paraîtra merveilleux entre des hommes, en considération de vous, nous sommes inclinés à l’amour. Il nous plaît d’aimer d’une affection qu’un autre nous inspire et de garder cet amour au fond de notre coeur tandis que celui que nous aimons vit loin de nous. Cependant que la grâce du ciel seconde vos désirs, que vos voeux soient comblés et que le pontificat le trouve digne ou le rende tel. Adieu mes chers seigneurs; que vos entretiens viennent fréquemment réconforter celui qui vous aime. Si nous n’avons pas de fréquentes occasions de nous écrire pour affaires, faisons-le du moins par amitié. [5,2] LETTRE II. ENNODIUS A MARCIANUS. Mon esprit partagé entre l’espérance et la crainte n’était point sans inquiétude à votre sujet, mais voici qu’un spécimen de votre éloquence vient nous fournir la preuve évidente de votre succès et que, fidèle à votre origine, héritier de la science de vos ancêtres, vous maintiendrez la réputation oratoire de votre maison. Le talent oratoire, à ce que je vois, ne dégénère pas, et l’héritage de science suit à bon droit la même ligne que celui du patrimoine. Je m’imaginais que dans l’ordre scientifique les dons purement intellectuels ne se tenaient point de la famille et qu’on ne pouvait attendre de la race ce qui ne s’acquiert que par un travail continu et d’incessants efforts. Mais, à ce qu’il paraît, l’éloquence suit la loi de l’hérédité, et la pompe du langage dont les ancêtres furent doués, passe à leur descendance: le cours de la science est comme celui des fleuves : les torrents de l’éloquence s’écoulent dans leur lit accoutumé. Vous avez hérité de l’érudition de votre père en même temps que de sa fortune et les qualités de son fils font, malgré le tombeau, revivre Astérius. Jusqu’à ce jour, je l’avoue, je jalousais les années d’autrefois et le temps où il vécut m’arrachait des soupirs de regret. Incapable par mon peu de réflexion, d’apprécier justement les bienfaits du ciel, j’avais pu désespérer un instant de voir se renouveler les fruits de la toge alors que l’arbre qui les porta, survivait dans sa racine! Mais la divine Providence, pour donner du prix à ses bienfaits, accorde à l’improviste ce qu’elle donne et comme elle dépasse ainsi les voeux qui lui ont été adressés, sa puissance éclate dans sa libéralité. Certes la Ligurie n’est pas inféconde en hommes de mérite! Elle nourrit, pour le Forum, des jeunes gens auxquels volontiers la Curie ouvrira ses portes. On sait qu’il n’y a pas loin de l’avocat au sénateur: A ceux qui honorent la toge, la tunique palmée sourit et leur ouvre ses plis. Adieu, très aimable; tournez tous vos efforts vers ce but élevé. Donnez-vous tout entier aux études sérieuses ; hâtez-vous de porter la main à la moisson que recueillait votre père; corrigez votre langue par la lecture des maîtres et vos moeurs par l’imitation des bons. [5,3] LETTRE III. ENNODIUS A L’ILLUSTRE OPILION. Je dois répondre à vos lettres et quand même mon goût ne m’y porterait pas, l’amour-propre me ferait une loi de vous payer de retour, sauf que mon style de provincial ne vous déplaise. J’ai à craindre en effet que l’honneur que je vous rendrais en vous épargnant l’ennui de me lire ne vous inspirât du regret de m’avoir écrit. C’est bien notre faute à nous si les hommes éminents élevés au faite des honneurs s’en souviennent trop, puisque l’on voit même les humbles atteints de ce vice. Car si les personnages comblés d’honneurs n’ont d’autre moyen de s’élever encore que l’abnégation et s’ils ne peuvent ajouter aux dignités du siècle dont ils sont ornés que par le renoncement et la modestie, on peut juger de ce que les petites gens ont à souffrir au point de vue moral, d’une condition qu’ils estiment trop inférieure. Qu’il suffise donc à votre Grandeur d’entendre l’aveu de mon erreur lorsque après vos deux lettres je persistai dans mon silence. Mais je craignis, je le confesse, de tomber sur un écueil en voulant éviter l’autre et que ma lettre destinée à vous plaire, ne réussit au contraire, par sa rusticité, qu’à vous être désagréable. J’ai redouté le frisson que donne aux ignorants l’occasion de se mettre en évidence. Aussi j’avoue que je reconnais avoir reçu et aussi que j’ai conscience de mon incapacité à rendre. Il reste, ô le plus parfait des hommes, et je saurai à l’accueil qui sera fait à ma lettre si vous en êtes satisfait, il reste que, jusqu’ici, je n’ai pas rendu ce que j’avais reçu. La sincère considération de nos moyens nous fournit l’indice sûr de ce que nous pouvons faire; et s’il en est ainsi pour nos autres facultés, il faut surtout l’observer lorsqu’il s’agit de la pauvreté de la langue; c’est la sauvegarde de la réputation, car si la modestie donne du relief au mérite de l’éloquence, facilement on qualifie de prudence le silence d’un ignorant qui sait se taire. J’attaquerai à fond l’affaire dont vous m’avez chargé et, tout en exécutant vos ordres, je vais de l’avant sans me préoccuper de l’opinion. Agnellus m’amuse de belles promesses relativement aux lots de terrain; ce ne sont que des façons et ce qu’il veut en réalité c’est que vous lui offriez un gros prix. Mais vous connaissez l’homme et vous savez qu’il est d’une cupidité insatiable, vice qui ne se peut guérir que par le mépris de l’argent. Cher seigneur, je vous salue et vous prie d’être religieusement fidèle à me garder votre affection. [5,4] LETTRE IV. ENNODIUS A HÉLISÉA. Enfin se réalise ce que je désirais depuis longtemps pour donner du prix à ses faveurs il ne faut les accorder qu’après les avoir fait longtemps attendre. La parenté suivit en n’importe quel lieu du monde ; l’éloignement des corps ne rompt point les liens du sang ; la distance des pays n’amoindrit nullement l’affection dès lors qu’entre ceux qui vivent éloignés les uns des autres, la vivacité de l’amitié supplée à la présence. Je rends grâces au Dieu tout puissant de ce qu’à l’occasion des intérêts de la religion il vous a remis en mémoire les devoirs de l’affection et vous a fait ressouvenir de votre parenté. Dieu m’en est témoin, depuis que dame Cynégie m’eut fait connaître le mérite de votre personne, je désirai ardemment vous voir et je faisais des voeux pour en trouver l’occasion. Madame, tout en vous rendant l’hommage de mes salutations, je vous promets le concours de ma dévotion pour l’affaire dont vous me parlez dans votre lettre; car c’est tout profit pour notre âme que de nous employer à procurer les biens spirituels. Je dois en toute sincérité vous avouer que jamais je n’ai aimé celui qui vous est si antipathique, et qu’une de mes craintes était de voir cet homme funeste, entraîner pour le succès de sa cause, jusqu’à votre suffrage. Que Dieu nous porte assistance pour écarter d’une si haute dignité ecclésiastique un homme qui n’y fut nullement préparé par une bonne éducation. [5,5] LETTRE V. ENNODIUS A AVITUS. Il y aurait de quoi souhaiter, si ce n’était pas me charger la conscience, de voir se prolonger la cause qui m’a valu de recevoir fréquemment des lettres d’un ami. Car ces lettres d’affaire que vous m’écrivez, sont les messagères de votre affection. Mais entre gens prudents et qui se comprennent, il suffit de peu de mots. Je n’ai point de goût à rechercher les élégances du langage pour faire une promesse, ni à mettre en jeu les raffinements du style pour complimenter ceux auxquels je dois jusqu’à ma vie. Quant à vous, persévérez seulement dans ce que vous avez entrepris et, soumis aux ordres du ciel, empêchez l’homme pervers que vous dites, d’arriver à ses fins. Il me convient de montrer mon zèle plus par des actes que par les promesses, car j’ai confiance que ce que je puis donner me sera sans retard largement restitué. Mon seigneur, vous adressant le plus complet hommage de mes salutations, je vous prie de rendre grâces pour moi à dame Héliséa, notre commune mère, de ce qu’elle a daigné, par sa lettre, montrer les liens de parenté qui nous unissent. [5,6] LETTRE VI. ENNODIUS A L’ABBÉ LÉONCE. Les bienfaits célestes à mon égard s’élèvent bien au delà de ce que je mérite et lorsque je ne suis digne que de châtiment, j’ai la joie de recevoir la récompense des justes. C’est donc en vain que le désespoir multiplie les dangers et précipite les pécheurs aux abîmes extrêmes! Que ceux qui tomberont dans les bas-fonds de l’erreur remontent à l’espérance au souvenir de mon exemple. Je ne sais quelle oeuvre, quelle innocence m’a valu de recevoir le bienfait de votre lettre. Comment mon âme qui ne peut étaler d’autre richesse que celle de la multitude de mes fautes, a-t-elle été rassasiée du miel des dons célestes. Il faut croire que celui qui a pris nos blessures pour souffrir à notre place, renversant l’ordre des mérites, châtie à coups de bienfaits ceux qui lui paraissent mériter des peines et tandis qu’il comble de faveurs les âmes des coupables, il les corrige en les couvrant de confusion. C’est donc grâce à ce mystérieux dessein de Dieu que j’ai goûté les douceurs de votre entretien. Il vous a inspiré ce souci de la santé de mon corps, lui qui par les médecins spirituels oblige mon âme à revenir à l’état de santé parfaite. Vous vous informez avec une religieuse sollicitude de l’état de mon corps : sans souci de l’âme qui vivifie ses membres, ce corps est encore tout entier sous le joug de ce monde. Procurez-moi par votre prière de devenir tel que me font vos compliments, car votre intelligence éclairée et qui ignore la flatterie, en me proclamant bon avant même ma conversion, annonce ce que bientôt je dois être. Je n’ai rien négligé pour procurer autant qu’il dépendait de moi, mais non pas autant que je l’eusse désiré, à mes frères vos serviteurs que vous m’avez dépêchés, un agréable repos. Il vous reste d’agréer mes hommages, vous et toute la communauté à laquelle vous présidez, et je vous conjure, par la miséricorde du Dieu tout puissant, de multiplier pour moi les prières afin que j’obtienne, par vos suffrages, la confiance des justes à laquelle mes oeuvres ne me donnent aucun droit. [5,7] LETTRE VII. ENNODIUS A EUPRÉPIE. Vous avez maintes fois constaté la stérilité de mon génie et malgré cela vous n’hésitez pas de courir le risque de mettre aux abois ma muse dont la pauvreté vous est bien connue, en m’envoyant l’ordre d’écrire sans retard. Moi, je ne puis rien refuser à quelqu’un qui m’aime et si je n’ai pas le mérite de l’éloquence j’aurai du moins celui de la condescendance. Quoiqu’ils procèdent tous du même auteur, les dons du ciel sont d’espèces très variées. L’un se recommande par des qualités qui en font une perfection, l’autre par une disposition à faire ce qu’on lui demande sans le moindre retard. J’ai composé avec une rapidité qui ne m’a pas permis de la limer à loisir, l’épitaphe de madame Cynégie, car j’eus à peine une heure pour y travailler. Voyez si c’était insuffisant pour exposer les mérites si éminents de cette femme. Que cette sainte âme pardonne à ma stérilité, et qu’elle ait pour agréable, sinon le poème si imparfait, du moins le zèle sans conteste de celui qui l’a dicté. Et vous, ma chère dame, recevez ma lettre comme si c’était moi-même et priez que son esprit ne soit point attristé des rudesses de mon style. EPITAPHE. Ni son sexe ni le tombeau ne l’amoindrissent, ni les ciseaux des Parques dont le doigt trompeur file le fil léger de nos jours : Unie à Dieu, cette femme survit par ses oeuvres à ses funérailles, oeuvres viriles dont se compose sa vie de femme. Sang, honneur, génie, probité, constance, beauté, ont en elle vaincu la mort par la gloire qui les couronne. Par ses moeurs elle affirma l’illustre lignée de ses ancêtres ; la beauté de son intelligence révéla sa noble race. Elle initia ses fils aux secrets d’une vie sereine, leur enseignant par ses exemples à toujours aimer Dieu. [5,8] LETTRE VIII. ENNODIUS A PIERRE. La justice de notre vénéré Prince, en considération des mérites personnels qu’il a reconnus en votre Grandeur et pour récompenser vos vertus, vous a honoré d’une charge, germe de futurs honneurs, et vous vous taisez, et vous gardez un silence que j’ose qualifier d’impie: vous avez péché et à l’égard de votre éloquence et à l’égard de mon amitié: l’éloquence s’élève naturellement dès lors qu’elle s’appuie sur les grandeurs et qu’elle a pour objet de faire connaître des succès. L’élocution devient abondante à mesure que les honneurs s’accroissent: lorsqu’il s’agit de publier leurs succès, les gens instruits savent parler en conséquence. Or le détestable abus que vous faites du silence vous a fait manquer l’occasion d’être éloquent et me prive, moi, du plaisir que j’y aurais pris. Vous objecterez peut-être: vous auriez le droit, cher ami, de me reprocher l’ignorance où je vous laisse, si les bruits de la renommée populaire ne vous avaient parfaitement renseigné sur mon élévation. Mais, quant à moi, je ne puis supporter d’apprendre de la rumeur publique les honneurs obtenus par ceux qui me sont chers et de recueillir de l’opinion si inconstante les témoignages de leur joie. J’avais pu comprendre quelle espérance d’intime liaison m’avait permis de concevoir le simple titre d’érudit ; je croyais n’avoir sur ce point qu’à laisser mon esprit voguer à pleines voiles sous le souffle de vents favorables; mais ce n’était qu’une illusion puisque vous ne faisiez rien de ce qui pouvait me rendre heureux. J’espérais même pouvoir surpasser à la course la rapidité de votre style emporté dans son vol par des milliers d’ailes, pour ne pas laisser à un autre l’avantage de me prévenir et de vous offrir l’hommage qu’un ami a le droit d’attendre. Ainsi donc, mon cher seigneur, recevez l’honneur de mes salutations et maintenant que vous connaissez les causes de mes douleurs, ne me refusez pas de prompts remèdes, car, autant qu’il m’est permis d’en conjecturer, vous ne manquez ni de la fidélité dans l’amitié, ni du talent de parfait écrivain. Or non content de vous être fâcheux en un genre littéraire, j’ai joint à ma prose un poème: ainsi après avoir bu aux Sources d’Anténor dont les effets sont heureusement corrigés par les bains salutaires de l’Apone, de sorte que l’eau resserre et dessèche ce qui était dilaté par le produit des humeurs, moi aussi, qui n’ai jamais touché les flots de l’Hélicon, je commence à me mêler de poésie. Recevez donc ces vers qui vont vous faire sourire et content de connaître seul votre Glovidenus, épargnez-moi la rigueur du public, car si mes vers présentent quelque agrément, votre suffrage me suffit ; s’ils prêtent à la critique, j’estime que vous êtes lié par la loi du secret sur ce que vous savez des défauts d’un ami. Ils méritent aussi votre indulgence parce que, malade des yeux, j’ai pu écrire des vers boiteux: privés du secours des yeux, comment des vers marcheraient-ils d’un pas assuré? Lisez donc la description des eaux chaudes que vous allez visiter. VERS. Une colline en pente douce déroule le plateau qui la couronne sur une éminence légèrement élevée. Son sommet n’offre rien qui ressemble aux cimes orgueilleuses, ni ses pentes aux gouffres des vallées profondes. Là coule de larges canaux et se répand à flots l’Apone fumeuse ; dans ses flancs le feu s’unit aux eaux en un mélange harmonieux. L’onde conserve les brasiers, la flamme n’absorbe pas l’eau : la fontaine sacrée inonde le foyer et jaillit en bouillonnant. Ces flots brûlants offrent à tout le monde un remède et les vapeurs humides qui s’en dégagent dessèchent les corps affligés d’humeurs. Au fond de ce gouffre brûle un brasier; aux flots se mêlent les étincelles : l’union de ces deux éléments, ennemis mortels, procure la vie. Pour échapper à la mort Vulcain s’est plongé dans ces fontaines ; l’harmonie de ces éléments contraires rompt les lois de la nature. [5,9] LETTRE IX. ENNODIUS A FAUSTUS. Que Dieu favorise des désirs purs; qu’il accorde d’heureux auspices à une entreprise juste ; qu’il soutienne de nobles intentions en les couronnant de succès. C’est donner un gage de son honnêteté que d’aspirer avec le secours d’en haut, aux études libérales : l’amour des beaux arts est incompatible avec des instincts pervers ; les beautés de l’éloquence ne séduisent que ceux dont les moeurs sont irréprochables. Animé de ces hauts sentiments notre Parthénius, fils de ma soeur, se hâte d’aller voir Rome, foyer naturel de l’érudition. Je lui ai assuré qu’il serait de la part de votre Grandeur, l’objet de faveurs toutes paternelles. Ma supplique ne tend qu’à donner à votre Eminence ce qui doit faire son ornement puisque nous ne demandons que ce que l’usage exige, comme celui qui croirait obtenir par sa prière de faire lever le soleil ou couler un fleuve. Ce n’est plus un bienfait dès lors que c’est dans l’ordre : puisque tout le monde y est tenu c’est la loi de la coutume. Et moi, sur cette route de laquelle vous ne vous écartez jamais, je viens à votre rencontre bien assuré d’obtenir quelque chose. L’accueil que recevra la personne que je vous adresse, donnera la juste mesure de la valeur de mes mérites. Les autres peut-être se contentent d’une recommandation à laquelle du reste ils n’avaient pas droit; pour les parents, il n’y a rien de fait tant qu’il reste un obstacle à surmonter. Cher seigneur, tout en vous présentant l’hommage de mes salutations et après vous avoir, en peu de mots, parlé du porteur et de son affaire, il me reste à connaître de quel crédit jouit auprès de vous ma personne, la cause que je plaide, ma parenté. [5,10] LETTRE X. ENNODIUS AU PAPE SYMMAQUE. Tandis que la sollicitude de votre couronne gouverne le siège apostolique et que vous tenez en main le sceptre du royaume du ciel, mes parents se flattent de profiter de ce que vous êtes fidèle à ce qui fut promis en reconnaissance de mes services. On peut espérer sans ombre de crainte lorsqu’on a fidèlement servi un homme ferme dans ses résolutions. C’est donner un grand éclat à sa munificence que d’attribuer à plusieurs la récompense qu’un seul a méritée. On agit comme Dieu lui-même lorsque l’on fait bénéficier toute une famille de ce qu’a fait une seule personne, Ainsi le peuple d’Israël échappa, à cause de David, au châtiment que méritaient ses prévarications; la nation dut son salut à la sainteté de ce roi disparu et la fidélité d’un seul homme suffit ou bien à tirer le peuple de l’erreur, ou bien à lui faire trouver grâce. C’est dans cette confiance que Parthénius, fils de ma soeur et porteur des présentes, a été adressé à votre couronne. Il est obligé d’aller à Rome étudier les arts libéraux. C’est une sainte chose que les études littéraires : on y apprend à fuir les vices avant d’en faire la pernicieuse expérience. Par elles pénètrent jusques au coeur de l’enfant les sages conseils des vieillards, car ce que leur âge leur refuse ils le trouvent dans les leçons. Veuillez donc le protéger : en apprenant quelle est sa parenté, vous savez pourquoi il vient. Vous l’avez comme un otage et l’on verra clairement à la façon dont vous le traiterez, ce que valent mes mérites vis-à-vis de votre personne. En vous rendant, Seigneur, comme par le passé, l’hommage de mes salutations et de mon respectueux dévouement je vous prie d’accueillir si favorablement votre serviteur, porteur des présentes, qu’il ait lieu de se féliciter d’être appelé votre hôte. D’ailleurs ce que vous accorderez à mes prières sera un nouveau lustre ajouté à votre glorieux pontificat. [5,11] LETTRE XI. ENNODIUS A LUMINOSUS. Je verrai s’il est besoin de longs discours pour vous recommander un jeune homme que sollicite l’étude des arts libéraux: vous êtes tout désigné pour prendre en main la cause du public. Vous savez ce que c’est de recevoir les étrangers et d’encourager ceux qui viennent s’instruire; et parce que vous avez fait vous même l’expérience du besoin qu’ils ont d’être encouragés, vous vous plaisez à leur tendre la main, à diriger leurs pas mal assurés, à leur prodiguer vos sages conseils, à leur inspirer le goût de l’éloquence. L’exemple est la plus efficace des leçons; l’étranger la prend auprès des personnages puissants, le débutant auprès de ceux qui touchent à la perfection de l’art. Cette double qualité (d’étranger et de débutant) convient au fils de ma soeur Parthénius. Il vient à Rome étudier et pour se sentir éperonné il lui suffira de vous voir. S’il est homme comme tout le monde, à la vue de votre sublimité il se sentira porté à la vertu par vos exemples plus encore que par vos avis. Rien n’excite au labeur comme d’ambitionner des louanges, surtout lorsqu’on en voit comblé quelqu’un que l’on sait avoir été de même condition que nous. Donc, si je vous tiens au coeur, que ce jeune homme retrouve auprès de vous son père; notre commune amitié s’en réjouira et je me considèrerai comme payé en sa personne de tout le travail que je dépensai autrefois pour l’éducation de votre Grandeur. En vous adressant l’hommage ordinaire de mes salutations j’ai pensé, Monseigneur, qu’il suffisait, pour vous recommander le porteur, de vous faire connaître qui il est. On use de longues prières lorsqu’on craint de ne pas obtenir. Celui qui n’a aucun titre à être écouté prolonge sa demande. Ce serait faire injure à votre caractère et amoindrir le renom de votre libéralité que de vous exposer en de longues requêtes des besoins auxquels vous êtes prêt à subvenir sans retard. [5,12] LETTRE XII. ENNODIUS A FAUSTUS JUNIOR. Je commence par rendre grâces à Dieu d’avoir dissipé les brouillards qu’une douleur inexplicable avait répandus sur mes yeux. C’est justice de reconnaître ses bienfaits, car c’est lui qui m’avait donné la vue et me l’a rendue. Après de si longs jours de souffrance, c’est à peine si je crois à ma guérison et si je respire. Or tout cela concorde avec l’absence prolongée de votre éminence : n’était-il pas naturel, lorsque mon Génie m’avait abandonné, de n’y plus voir? Mais il est en la puissance de celui qui ôta les voiles de mes yeux corporels de faire succéder la sérénité à la tristesse. Après ces nouvelles de ma personne, je reviens à l’affaire qui m’oblige de vous écrire. Vous aimerez, je l’espère, le porteur; le motif qui l’amène à Rome vous le fera connaître. Parthénius, fils de ma soeur, aspire à se montrer, par les études libérales, digne de sa noble origine : il désire, si je ne me trompe, obtenir le témoignage de votre savoir. Donc que votre Grandeur fidèle au passé, attentive au présent, l’oeil ouvert sur l’avenir, reçoive le porteur sur ma recommandation et que, par vos soins, au bonheur de vous voir que je lui envie, s’ajoute pour lui l’avantage d’ignorer les rigueurs de l’exil. Mon cher Seigneur, en vous rendant les devoirs que je vous dois, je vous prie de profiter au moins de la commodité qu’aura Parthénius de nous expédier de là-bas les lettres qu’on lui remettra, pour me faire jouir souvent de vos chers entretiens. [5,13] LETTRE XIII. ENNODIUS Â HORMISDAS. Nous savons que l’innocence et la bonne foi tiennent à l’écart de la multitude adonnée aux vices ceux qui ont embrassé les saintes austérités de la vie religieuse, et que les titres attachés à un emploi sacré doivent être l’ornement des moeurs plutôt qu’un vain décor de la personne. Qui donc demandera aux hommes d’agir en conscience, s’il faut appliquer aux conventions consenties par les pontifes, les rigueurs juridiques en usage dans le monde, si les engagements pris par les prêtres ne sont tenus que parce qu’ils sont appuyés d’une caution? On ne peut dire de quelqu’un qu’il eut jamais une volonté fermement arrêtée, dès lors qu’il ne lui fut pas loisible de faire autrement qu’il n’avait promis. Dans le commerce du siècle on est tenu par la crainte des lois; les serviteurs de Dieu doivent se porter au bien non par crainte mais par amour. Il y a quelques temps, alors que nous étions sous le coup d’une vive anxiété, incertains de la clémence de notre pieux roi et du jugement qu’il porterait sur les accusations dont le pape était chargé, j’abandonnai à Votre Révérence mes nombreux chameaux pour être donnés au Seigneur Pape, avec cette condition que, si les animaux mêmes n’étaient pas nécessaires (et qu’il y eut lieu de les aliéner), il me serait rendu à leur place un juste prix. D’ailleurs Votre Sainteté sait fort bien que, selon notre pouvoir, nous avons, à votre demande, subvenu aux nécessités de la sainte Eglise romaine. En retour, rendez-moi maintenant le service de rappeler au Pape la vérité sur cette affaire. Je vous demande aussi, après vous avoir salué, de me faire connaître le résultat de vos délibérations. J’ai la confiance, en effet, que ni le Pontife du Siège apostolique, ni vous, qui remplissez l’office d’intermédiaire, ne méditez rien que de conforme à nos conventions et à la justice. [5,14] LETTRE XIV. ENNODIUS A SERVILION. Les disciples qui désirent la présence de leurs maîtres, témoignent par là qu’ils ont conscience d’avoir profité de leurs leçons ; c’est montrer clairement que l’on se croit instruit que d’inviter un docteur à venir jouir des fruits de son talent. Il n’y a que des esprits éclairés qui soient poussés du désir de posséder ceux qui les instruisent. Pour rechercher son professeur il faut avoir étudié avec succès. C’est ainsi que moi-même, animé de l’amour de votre sainteté, bien que je n’aie pas l’audace de me vanter d’être savant, je désire jouir de la présence de mon maître, afin que vous ne pensiez pas avoir confié à un fils dégénéré le germe des sciences ecclésiastiques. Ma mémoire, il est vrai, ne se prête pas à produire au centuple, mais elle sait pourtant rendre à celui qui la cultive ses semences multipliées. Venez donc assister en personne, comme un bon agriculteur, à la récolte de votre moisson. Que Dieu nous préserve de l’envie. Sous l’action de votre culture cette plante ecclésiastique a poussé de telles racines qu’elle peut défier les coups des plus violentes tempêtes. Je ne veux point par des éloges anticipés influencer le sentiment de votre sainteté; vous vous rendrez compte par vous-même de ce que je vous écris. Après vous avoir salué, il me reste à vous presser de venir jouir de votre bonheur, car les bienfaits divins nous viennent toujours par degrés et les faveurs qui nous sont accordées nous en font espérer de meilleures. [5,15] LETTRE XV. ENNODIUS A SÉNARIUS. Jamais Dieu ne laisse sans effet une prière ardente; auprès de lui les larmes nous préparent la jubilation, et le chagrin se change en allégresse. Dieu vous a protégé selon mes désirs, vous la majeure partie de mon âme, et sa miséricorde vous a ramené de ces contrées lointaines. En vérité je ne puis vous écrire longuement; les larmes m’en empêchent; larmes par où s’épanche l’excès de ma joie. Ne me faites rien perdre, cher Seigneur, de la plénitude de ce don céleste ; habitons l’un et l’autre sous le même toit et ne craignez pas que nos appartements se trouvent exigus alors qu’un même coeur suffit à nos deux âmes. [5,16] LETTRE XVI. ENNODIUS A PAMFRONIUS. Lorsque la joie commande, on ne peut lui résister : la jubilation ne sait point se contenir et n’a pas de repos qu’elle ne se manifeste par la parole. Il est enfin venu ce jour si ardemment désiré, ce jour que mes prières appelaient non en vertu de mes mérites mais uniquement en implorant la divine bonté, ce jour où votre Grandeur est entrée aux honneurs. En ce jour votre sang et votre vertu retrouvent dans ce poste élevé le moyen de produire sans crainte en pleine lumière l’intégrité d’une conscience droite. Dieu bon, gardez-nous ce que vous avez accordé, ajoutez-y de nouveaux accroissements: faites en faveur de votre serviteur que ce degré si élevé ne soit pour lui que le premier. J’ai le ferme espoir que ce que je demande arrivera : les faveurs qui nous viennent par l’intervention du ciel, ne s’arrêtent pas au seuil de la porte. On s’élève sans cesse par de nouveaux accroissements vers le sommet dès lors que la faveur céleste a ouvert la carrière. Quel homme, dans tout le cours de son existence, même parmi ceux qui savent tenir leur vie à l’abri de tout nuage, a jamais eu le bonheur de voir en un même jour, comme moi, vous, entrer aux honneurs, et mon cher Sénarius revenir des extrémités du monde? Dans le court espace de quelques heures vous êtes né au palais et Sénarius lui a été rendu. Je le dis en vérité et assuré de la miséricorde divine, je m’en porte garant: c’est un double appui que le ciel accorde à ma faiblesse. Ce qui vous est accordé m’est garanti à moi-même. Mon cher Seigneur, en vous adressant l’hommage de mes salutations, je vous prie, si j’ai quelque place dans votre coeur, d’obtenir par vos instances du Seigneur de mon âme Sénarius, qu’il prenne chez moi son logis. Vous réussirez, sinon vous amoindrirez de beaucoup le comble de ma joie. [5,17] LETTRE XVII. ENNODIUS A AVIÉNUS. Votre Grandeur, fidèle à ce qu’exigent d’elle et son origine et sa haute vertu, sait très bien appliquer sans le moindre délai la correction aux erreurs qu’elle peut commettre et sitôt que la sagesse lui découvre quelque faute, avant même qu’un autre en ait eu connaissance, elle s’en est détournée. Qui donc croira qu’avec un tel empressement à vous corriger, vous puissiez jamais tomber en faute. On ne peut guère considérer comme susceptible de donner en quelque excès, un homme qui a constamment la main tendue en avant pour écarter les fautes. Voilà, mon cher Seigneur, ma réponse à ce que, sous l’inspiration de votre bienveillance, vous avez daigné m’écrire. Au reste la charge de mes propres actes me rend chaque jour plus humble ; je me sens une telle misère intellectuelle que c’est à peine si je me trouve capable de corriger mes écrits. Mon cher Seigneur, tout en vous présentant l’hommage de mes salutations, je prie Dieu de payer de retour votre Eminence pour la considération dont vous ne dédaignez pas d’honorer ma bassesse. [5,18] LETTRE XVIII. ENNODIUS A FAUSTUS. Il est fort difficile qu’au sein de la félicité nous ayons la prévision de malheurs futurs ; nous repoussons en effet comme sinistre présage tout ce que notre esprit prévoyant pourrait nous découvrir des rigueurs que nous réserve l’avenir. Ainsi, de crainte que la tristesse ne vienne intempestive mêler son amertume à nos joies, nous avons horreur même de connaître les ennuis qui nous sont réservés. Cette Ravenne que maintenant je trouve si désagréable, me paraissait toute proche tandis qu’elle était remplie de mes trésors : jamais dans ma soif un fontaine, jamais au fort de la chaleur une fraîche brise ne m’ont parues aussi désirables. Mais maintenant je crois que Rome même, à cause de la multitude de mes péchés, a été transportée en des pays lointains. Où est ce temps où vous m’honoriez de fréquentes lettres qui me paraissaient pourtant bien rares, où nous nous visitions constamment, où vous me prodiguiez les consolations de l’amitié? En vérité, je plaide ici pour moi-même: j’exècre la vie qui n’inspire que du dégoût même à ceux que n’afflige pas l’adversité. Votre Eminence allèguera peut-être que par la faveur d’en haut ses désirs ont été comblés : non, ce n’est pas une félicité parfaite dès lors que l’un des vôtres souffre les rigueurs d’un pénible isolement. J’en atteste Dieu, l’objet de ma désolation n’est point imaginaire et si je voulais dépeindre les angoisses de mon coeur, ni le cadre étroit d’une lettre, ni la brièveté de mon discours n’y pourraient suffire. O Christ, maître du monde, viens à mon aide en cette nécessité, afin que la faiblesse humaine impuissante à porter le poids immense de douleur qui m’accable, ne succombe pas tout à fait! Cher Seigneur, tout en vous priant d’agréer l’hommage de mes salutations, je vous demande de me continuer la faveur de vos lettres, afin qu’au moins ce remède procure à mon âme, au milieu des ardeurs qui la dévorent, un peu de soulagement. [5,19] LETTRE XIX. ENNODIUS A. PARTHÉNIUS. Je ne m’étonne pas de votre silence, car lorsqu’on n’a recueilli que de minces provisions, l’on n’a rien à dépenser. Croyez-vous, par ce moyen, cacher ce qu’il en est de vos progrès? Le silence trahit le manque de talent comme un style informe indique que l’on ignore l’art de parler. Autrefois, cependant, vous saviez témoigner de la reconnaissance; vous n’ignoriez ni les exigences de l’affection, ni ce qui est dû à la sollicitude d’un ami. Mais vous paraissez avoir oublié toutes ces bonnes choses depuis que nous vous avons envoyé à la recherche de ce qui est réputé le plus estimable. Allons, adieu ; et après avoir reçu ces bons avis, écrivez-nous assidûment pour nous fournir les preuves de vos progrès. [5,20] LETTRE XX. ENNODIUS A AVITUS. Tandis que l’affection cherche son remède et souhaite trouver dans les charmes des entretiens l’adoucissement à ses tourments, il arrive au contraire que le coeur n’en est que plus enflammé : ce qui parait l’éteindre ne fait que raviver l’incendie de l’amour. Que de fois, lorsque j’étais désireux de trouver des porteurs, il m’arriva de souffrir de ce que je pensais m’être si profitable. Il satisfait donc à mes désirs, celui qui recourt à vous pour la cause des siens : ces démarches entreprises en vue d’un intérêt tout personnel, vont subvenir aux nécessités d’autrui. Je verrai ce que, sur ma recommandation, obtiendra Boniface : en tout cas ce qu’à force de prières il a obtenu de moi concorde trop bien avec mes désirs. Il tire son origine de bonne famille, comme l’atteste la distinction de son esprit. Donc ce Boniface affirme que son frère est retenu captif, dans le voisinage d’Aquilée et il demande que vous lui veniez en aide. Tout le monde sait la coutume de votre maison. Votre vie de bonnes oeuvres est un gage donné aux malheureux; aux yeux de quiconque vous tend la main, vos aumônes sont comme une dette. Mon cher seigneur, agréez l’hommage le plus humble de mes salutations et daignez accorder à ma prière ce que vous avez coutume de faire spontanément, de telle sorte que celui qui vous présente cette supplique, n’ait pas à recourir ailleurs. [5,21] LETTRE XXI. ENNODIUS A AVITUS. Votre Grandeur me supplie de me porter son garant et de disposer en sa faveur l’opinion publique comme si j’étais novice en amitié ; si ce n’était pas se faire tort à soi-même que de varier dans ses affections à toute occasion. Les moeurs chrétiennes ne sauraient admettre que l’on change d’avis au sujet d’un ami : lorsque l’on a une fois donné des louanges l’on n’est plus libre de ne pas y persévérer, si l’on ne veut empester le miel de ces précédents éloges en se laissant entraîner aux bassesses du dénigrement. J’en vois qui pensent se donner de la distinction en changeant fréquemment; pour moi, de même que je suis lent à choisir mes amis, de même je leur garde une immuable fidélité. Au reste c’est à mon propre avantage que je porterai jusques aux nues votre réputation; auprès de ceux qui ne nous connaissent pas, c’est au prix de nos amis que nous sommes estimés. Je l’avoue donc, j’ai répandu largement la renommée de votre intégrité; avant l’arrivée de votre Grandeur ma parole a fait connaître à la Ligurie votre mérite. Grâces à Dieu qui a mis le public d’accord avec moi sur ce point. Pourquoi faut-il que je rougisse d’être si pauvre en éloquence! Vos mérites sont de beaucoup supérieurs à tous les éloges que ma langue pourrait en faire. Dans mon indigence oratoire tout ce que j’ai jugé propre à relever votre gloire, je l’ai tenté. L’éclat de votre génie a démontré ma parfaite bonne foi. Dieu me garde à jamais de couvrir de mon témoignage la fragilité ennemie des grandes vertus. La trame de votre passé fut si sagement ourdie que je n’y trouve aucune cause d’erreur à relever et s’il s’en fut rencontré quelqu’une, le souvenir de tout ce que vous avez fait de bien la couvrirait du voile de l’oubli. Au reste, mon cher Seigneur, portez-vous bien, et tandis que nos voeux vous accompagnent le long de la route qui vous amène près de nous, que le souvenir de mon affection vous soit une compensation à mon absence. [5,22] LETTRE XXII. ENNODIUS A VENANTIUS. Les liens du sang invitent à s’aimer; je cède volontiers à ce doux empire de l’affection et je suis heureux de prendre le premier la parole, de vous écrire le premier et ainsi d’ouvrir la voie à un agréable commerce épistolaire. Longtemps j’ai vainement attendu vos lettres, me renfermant dans un pénible silence, mais mon esprit n’a pu résister davantage à l’aiguillon de l’affection et j’ai dû prendre l’initiative de vous écrire. A moi donc, si je ne me trompe, appartient le mérite d’aimer le plus, puisque après un silence si obstiné de votre part, le premier je vous adresse la parole et si moi-même je me suis tu, ce n’est qu’à mon extrême modestie qu’il le faut attribuer. Et maintenant, de crainte que ma lettre ne dépasse une juste mesure et ne fasse tort à son auteur, je m’acquitte du devoir de vous saluer et si vous ne m’en jugez pas indigne, je viens m’attacher à vous, car la sublimité des grands se communique à ceux qu’ils admettent dans leur intimité et, d’autre part, la faveur faite aux inférieurs relève celui qui l’accorde du haut de sa grandeur. [5,23] LETTRE XXIII. ENNODIUS A CONSTANTIUS. S’il était permis d’entrer avec vous en discussion sur le même pied, si les honneurs, l’âge, le mérite dont vous êtes décoré ne nous plongeaient dans l’ombre, j’aurais mille raison d’adresser à votre Eminence le reproche de ne plus écrire depuis votre départ pour Rome : vous ne m’avez pas fait le plaisir du moindre mot de souvenir. Mais voyez donc comme en ordonnant toute chose, la Providence a doté la vieillesse de prudence et l’a munie des artifices du langage, on cherche querelle à l’innocence et pour l’empêcher de faire entendre ses plaintes et de manifester sa douleur, on l’accuse elle-même pour qu’elle n’accuse pas. C’était donc là ce que vous m’aviez promis à votre départ? Cette belle confiance que m’inspiraient vos embrassements ne devait donc aboutir qu’à me faire croire que vous m’oublieriez? Les lettres ont-elles un autre but que de manifester par la parole les secrets des coeurs? Mais je m’abstiens de prolonger ma lettre pour éviter de devenir trop fastidieux. Je reviens aux devoirs de mes salutations, et je vous demande de prier pour moi au tombeau des Apôtres de Dieu, afin que par leur bienfait, je puisse remonter la pente qui porte au mal notre pauvre nature mortelle et me réjouir de marcher dans le pur sentier des célestes commandements. [5,24] LETTRE XXIV. ENNODIUS A LACONIUS. La divine Providence donne satisfaction à nos légitimes désirs et voici qu’à l’occasion de rapports d’affaire, elle ravive la fraternelle amitié qui nous lie. Ainsi ce qui pourrait paraître imposé par les circonstances, se trouve répondre à nos plus vifs désirs. Donc le ciel a voulu que ma nièce fut demandée en mariage par un prétendant qui n’est pas tout à fait étranger à notre consanguinité, pour que l’obligation où vous vous trouvez de prendre conseil, fournit à notre sainte amitié un aliment. Je supportais avec peine, je l’avoue, le long silence que vous vous imposiez, mais j’avais l’indulgence de penser qu’il fallait mettre au compte de la crainte ce qu’y perdait l’affection. Grâces à Dieu d’avoir ramené votre fraternité à m’écrire, et à me témoigner sa bienveillance. Or soyez assuré que les lois divines tolèrent, dans le mariage, le degré de parenté marqué dans la table que vous m’adressez. Toutefois, je fais sans retard partir pour Rome des exprès, chargés de demander sur ce point l’avis du vénérable pape. Votre conscience sera pleinement rassurée par l’autorité de cette souveraine décision. Recevez, mon cher Seigneur, comme précédemment, mes salutations les plus cordiales, et croyez bien que notre saint et commun Père émettra un avis conforme au mien. Si le ciel nous fait la faveur d’en recevoir une lettre, je vous l’enverrai par mon exprès, avec le rescrit du siège apostolique. [5,25] LETTRE XXV. ENNODIUS A AVITUS. Qu’il nous arrive souvent de porter le poids des fautes des autres et de nous voir imputé ce dont nous ne sommes en aucune manière les auteurs! J’apprends à mes dépends que les paroles des anciens sont toujours vraies et que des faits nouveaux viennent sans cesse donner de l’actualité aux citations des vieux poètes. C’est bien de moi qu’il fut dit: "il tomba, le malheureux, frappé d’un trait destiné à un autre" (Virgile, Énéide, X, 780). C’est du fils de Sabinus d’illustre mémoire, que je veux ici parler. Retenu par la maladie, s’il a violé les règlements c’est tout à fait malgré lui et sans qu’il y eut faute de sa part. Je l’avoue, en présence de l’impérieuse affirmation de votre Grandeur mon esprit confondu se reconnaissait presque coupable et je considérais comme personnelle cette faute que ma conscience ne pouvait me reprocher. Or à peine fut-il revenu en santé qu’il se rendit en toute diligence à Milan. Je ne crois pas nécessaire de vous en dire d’avantage, car recommander aux hommes de haute condition de garder la justice, n’est-ce pas leur faire le reproche d’oublier l’équité? Je vous adresse, mon seigneur, l’hommage de mes très humbles salutations et, pour ce qui reste, je vous demande que votre bienveillance à mon endroit, quoique parfaite, soit néanmoins forcée de prendre encore de l’accroissement. [5,26] LETTRE XXVI. ENNODIUS A AGAPIT. Nos péchés sont un obstacle à la réalisation de nos désirs et pour que les pécheurs reconnaissent ce qu’ils méritent, lorsqu’il leur semble tenir déjà ce qu’ils désirent ils en sont frustrés. Nous éprouvons un plus vif chagrin de voir nous échapper ce qui nous était comme offert ; le malheureux dévoré par la soif et qui ne peut qu’effleurer de ses lèvres les ondes limpides, en a ses tourments redoublés; on ne garde pas le cuisant ressentiment de refus qui furent essuyés de prime abord; mais qui supportera sans chagrin de voir s’évanouir une joie qui déjà se présentait à ses yeux? La sagesse nous conseille de nous en rapporter pour toutes ces choses à la divine Providence. Il lui plaît, dans la mystérieuse économie des faveurs célestes, de prendre le contre-pied des dispositions humaines, mais c’est pour exaucer nos voeux. Le saint évêque, votre Père, avait promis d’obtempérer volontiers à l’injonction de votre Grandeur d’avoir avec moi une entrevue; mais les affaires urgentes de son Eglise, à ce qu’il dit, l’ont occupé ailleurs. C’est ce qu’il déclare dans la lettre qu’il vous a adressée. Il paraît cependant disposé à accepter de nouveau, relativement à la susdite affaire, l’arbitrage de votre Grandeur. Cette conférence fera paraître au grand jour que mon concours est nécessaire pour le profit de votre frère, le Patrice Faustus, auquel l’évêque se croit obligé de ne rien refuser. Quoiqu’il en soit, je vous prie d’agréer mes humbles hommages et je demande au créateur des cieux, qui a daigné inspirer à votre éminence le souci de ma petitesse, de vouloir bien, par vous, mettre ordre à la suite de cette affaire. [5,27] LETTRE XXVII. ENNODIUS A EUGÈNE. Je suis on ne peut plus affecté de ce que vous vous obstinez malgré tout à garder le silence et quoique mon esprit soit pleinement rassuré de ce côté, je ne puis sans tristesses me voir privé d’entretiens où par l’organe de la parole se manifestent en vives images les secrets du coeur. J’admets que parfois l’on simule dans les lettres de faux sentiments d’affection; mais je ne crois pas que lorsqu’on aime on se puisse passer d'écrire. Votre Grandeur objectera peut-être que les soucis de ses fonctions publiques ne lui laissent pas le loisir d’écrire des lettres d’amitié. Mais la situation était la même lorsque précédemment votre éminence nous accordait de fréquents entretiens, et bien qu’elle fut attachée au Palais, sa charge ne la pressait pas au point de lui faire perdre le souvenir de l’amitié promise. Quel sycophante s’est glissé dans l’ombre pour mêler au miel le poison de ses médisances, à l’onde pure la fange de ses calomnies? Ou bien n’auriez-vous retranché quelque chose de l’affection que pour le reporter sur la justice? Mais je ne veux pas différer davantage de vous faire tenir ma lettre afin que stimulé par le souvenir de vos promesses à mon égard et pressé par mon bavardage, vous repreniez sagement l’usage d’autrefois. Mon cher Seigneur, vous payant en toute humilité le tribut de mes salutations, je vous déclare que je suis très désireux de vous être présenté, si du moins votre réponse, conforme aux sentiments qui vous animent et dont je ne doute nullement, m’y autorise.