[0] CONTRE DÉMOSTHÈNE. <1> Votre démagogue, Athéniens, qui a imposé lui-même la peine de mort à celui qui prendrait la moindre somme à Harpalos, a été clairement convaincu de recevoir de l'argent de ces hommes mêmes contre qui il avait autrefois juré de s'opposer. Stratoclès en a déjà bien parlé et la plupart des charges ont été maintenant établies ; en ce qui concerne ces charges l'Aréopage a donné son opinion qui est en même temps juste et vraie et sur ce qui s'en suivit, Stratoclès en a déjà parlé et a nous a fait connaître les décrets qui les concernaient. <2> Il nous reste, Athéniens, particulièrement quand on s'attaque à un cas qui n'a jamais eu de parallèle dans notre ville, de vous faire à tous une déclaration générale: d'abord de demander pardon à ceux de nous qui ont déjà parlé s'il y a certains points que nous reprenons encore ; notre but n'est pas de vous lasser en faisant référence deux fois aux mêmes sujets mais de réveiller d'autant plus votre colère. Deuxièmement, pouvons nous vous demander de ne pas renoncer aux droits inaliénables de notre ville et de ne pas échanger notre sécurité commune en nous laissant prendre aux arguments du défendeur. <3> Vous vous rendez compte, Athéniens, que tandis que ce Demosthène est ici pour être jugé devant vous, vous vous l'êtes devant le reste de la ville. On attend de voir quelles conclusions vous allez tirer en ce qui concerne les intérêts de votre pays : allez-vous laisser entrer au milieu de vous la vénalité et la corruption de ces gens-là, ou ferez-vous connaître universellement que vous détestez les hommes qui acceptent des largesses à l'encontre de leur ville et que, en demandant à l'Aréopage d'enquêter, votre intention n'était pas d'acquitter les coupables mais plutôt que, quand les conseillers auraient rédigé leur rapport, d'exiger une condamnation appropriée aux crimes ? Cette décision dépend maintenant de vous. <4> Quand le peuple a émis un juste décret et que chaque citoyen a souhaité trouver quels politiciens avaient osé accepter l'argent d'Harpalos en discréditant et en mettant en péril la cité ; quand, même toi, Démosthène, et beaucoup d'autres avaient proposé par décret que l'Aréopage, usant d'une antique prérogative, procéderait à des informations. <5> L'enquête eut lieu. L'Aréopage ne juge point d'après les propositions faites par les parties; dans ta cause, Démosthène, il ne veut pas s'exposer à perdre la confiance dont il est investi; et, tout en se déclarant convaincu de ton funeste ascendant, il n'a vu que l'opprobre et les dangers qui attendaient la patrie, il a tenu tête à tes calomnieuses déclamations. <6> L'ordre et l'équité ont présidé à ses recherches; le peuple l'a reconnu ainsi : et cependant l'homme régulièrement accusé d'avoir reçu vingt talents, fait pleuvoir sur ce tribunal auguste et les insinuations perfides, et les violentes attaques. Ainsi donc, des juges qui embrassent dans leur haute juridiction le meurtre volontaire, l'attentat compromettant l'honneur et la vie du citoyen, la vengeance due à la victime d'un assassinat, toute violation de lois capable d'entraîner la mort ou l'exil du coupable, aujourd'hui qu'on leur dénonce un orateur vénal, ces mêmes juges seront incompétents! <7> L'Aréopage m'a calomnié! s'écrie Démosthène; il a calomnié Démade. Ô comble de l'impudence! te calomnier, toi contre lequel on ne peut sans danger dire même la vérité; toi qui, plus d'une fois, avec ce même Démade, chargeas l'Aréopage d'informer sur des attentats publics, et donnas des éloges a son impartialité! toi dont la république ne peut réprimer l'insolente audace! <8> Mais pourquoi, Démosthène, consentais-tu, à la face de la nation, à mourir dans les supplices, si l'Aréopage t'accusait? Pourquoi, toi-même, as-tu fait condamner tant de citoyens sur les dénonciations de ce même tribunal? A quels juges le peuple aura-t-il maintenant recours? à qui contera-t-il la difficile investigation des crimes cachés? <9> Ce conseil vénérable, dont les arrêts sont recueillis par la confiance populaire, tu veux le frapper d'impuissance, toi l'ami, l'orateur du peuple! Oui, tu le détruis, ce conseil à qui le peuple a remis, comme un dépôt, la vie des citoyens, et confié plus d'une fois les plus hauts intérêts de la patrie; ce conseil, ton protecteur, Démosthène, couvrant de son égide l'ingrat qui se disposait à le calomnier; ce conseil enfin qui a la garde du mystérieux testament auquel est attaché le salut de la république ! [10] Il y a quelque justice, pourtant, oui, justice, dans ce qu'éprouve ici l'Aréopage. Dirai-je ma pensée tout entière? ce corps devait, ou informer dès le principe, en vertu du mandat populaire, sur les trois cents talents envoyés par le roi de Perse; et par-là ce vorace animal étant dès lors puni, ses complices, qui ont pris part à la curée, étant mis au grand jour, le perfide complot qui menaçait les Thébains étant éventé, vous vous seriez délivrés d'un démagogue puni enfin, selon ses mérites ; <11> ou bien, vouliez-vous pardonner à Démosthène sa vénalité? multiplier dans Athènes ceux qui mendient le salaire d'une trahison? l'Aréopage, connaissant par expérience votre mollesse, devait repousser cette mission. Car enfin, après que les dénonciations ont été faites contre Démosthène et contre ses complices avec une grande impartialité, quand la cour suprême, bravant la puissance de tant d'orateurs en crédit, n'a pris conseil que de la vérité et de la justice, <12> Démosthène va partout semant contre elle la calomnie, et se donnant à lui-même les éloges qu'il va sans doute répéter ici, pour vous égarer. J'ai fait de Thèbes votre alliée, dira-t-il. - Mensonge? tu as consommé la ruine de l'une et de l'autre république. - J'ai rangé toute la Grèce sous vos drapeaux à Chéronée. - Non! seul à Chéronée, tu as quitté ton poste. - J'ai rempli pour vous de nombreuses ambassades. - <13> Qu'eût-il donc fait, qu'eût-il dit, si les conseils qu'il y a donnés avaient eu un heureux succès? Quoi ! pour avoir parcouru la Grèce entière en y portant le malheur attaché à ses pas, il réclame des faveurs extraordinaires, le privilège de la vénalité, le droit de trahir Athènes et par ses paroles et par ses actions ! <14> Ô Athéniens ! vous n'avez tenu compte à Timothée ni de sa navigation hardie autour du Péloponnèse, ni de la victoire navale qu'il remporta sur les Lacédémoniens à Corcyre de son titre de fils de Conon, du libérateur de la Grèce, du vainqueur de Samos, de Méthone, de Pydna, de Potidée, de vingt autres cités puissantes. De si grands services ne furent point payés du pardon de ses malversations, du parjure de ses juges : loin de là, vous imposâtes à Timothée une amende de cent talents, parce qu'il avouait lui-même avoir reçu de l'argent de Rhodes et de Chios. <15> Et un homme conspué, un Scythe... Ah! l'indignation m'entraîne... Un traître dénoncé pour avoir vendu sa voix, l'accusé de l'Aréopage tout entier, demeurera impuni! Vous n'en ferez pas un éclatant exemple ! vous ne punirez point un perfide, convaincu non seulement d'avoir reçu l'or de la Perse, mais encore d'avoir trafiqué de sa patrie, et pris sa part des trésors apportés ici par Harpalos! <16> Cependant que font, en comparaison des exploits de Timothée, les ambassades de Démosthène à Thèbes? quel homme, mettant les faits dont Démosthène se glorifie à côté des services immenses de Conon et de son fils, ne dirait de votre patience à entendre cet orateur présomptueux? Mais que fais-je moi-même? sied-il de comparer un infâme avec les illustres citoyens qui se signalèrent par des exploits dignes de vous et de vos ancêtres? Bornons-nous à faire lire un décret concernant le guerrier, pour revenir ensuite au harangueur. (Décret.) <17> Entends-tu, Démosthène? Tel fut Timothée; et certes, il méritait l'indulgence de ses concitoyens. Servir sa patrie, non par de vaines paroles, mais par des faits; marcher toujours sur la même ligne politique, loin de tourner comme toi, sans cesse et sans raison, au vent de chaque jour, telle fut la vie de ce grand homme. Toutefois, a-t-il demandé au peuple que la loi commune s'abaissât devant lui, aux tribunaux de fouler aux pieds leurs serments? Loin de là, il a dit : Si les juges me reconnaissent coupable, qu'ils me condamnent! <18> Athéniens, le misérable qui est devant vous s'est souillé par des crimes graves et nombreux; surtout après avoir reçu trois cents talents pour relever Thèbes, il a laissé ruiner sans ressource cette cité : ne l'enverrez-vous donc pas à la mort? Les Arcadiens, arrivés à I'Isthme, avaient congédié, sans rien stipuler, les députés d'Antipater, et reçu ceux de la malheureuse Thèbes, qui étaient venus par mer, avec beaucoup de peine, le rameau d'olivier en main, les supplier, <19> et leur dire que les Thébains s'insurgeaient, non pour rompre avec les Hellènes ou les attaquer, mais parce qu'ils ne pouvaient plus supporter les excès commis par les Macédoniens dans leur ville, ni demeurer esclaves, ni voir tant d'avanies faites à des personnes libres. [20] Touchés de leurs maux, et disposés à les secourir, les Arcadiens leur déclarèrent qu'ils cédaient à d'impérieuses circonstances en obéissant corporellement à Alexandre, mais que leurs coeurs étaient aux Thébains, à la Grèce, à la liberté. Astylos, leur général, ouvrit un marché pour dix talents il s'engageait à diriger son renfort vers Thèbes. Des députés vont trouver Démosthène, qu'ils savaient nanti de l'or du Roi; ils le prient, le conjurent de donner la somme nécessaire au salut de leur ville. <21> Le misérable, l'impie, le sordide orateur ne put se résoudre à détacher seulement dix talents des trésors dont il était détenteur, lui qui voyait un si vif espoir luire au coeur des Thébains! et il souffrit, comme vous l'a dit Stratoclès, que la somme fût payée par leurs ennemis, pour que les Arcadiens retournassent chez eux, sans avoir délivré des opprimés ! <22> Est-ce donc un mal léger, ô Athéniens ! que cette plaie dont le rapace Démosthène a couvert la république et la Grèce entière? Après tant d'Ignominies, cet homme aura-t-il encore le secret de nous intéresser? Ses crimes anciens, ses crimes nouveaux n'appelleront-ils pas enfin la mort sur sa tête? La sentence que vous allez prononcer en ce jour sera entendue de tous les peuples; ils seront témoins de la conduite de ce tribunal envers un si grand coupable. <23> Je vois ici les mêmes juges qui, pour des délits beaucoup moins graves, ont infligé à plusieurs citoyens les peines les plus sévères. Rappellerai-je Ménon le meunier, mis à mort pour avoir retenu dans son moulin un enfant libre de Pellène; Thémistius d'Aphidna, envoyé au supplice pour avoir fait violence, pendant les fêtes d'Éleusis, à une musicienne de Rhodes; Euthymaque, pour avoir prostitué une jeune fille d'Olynthe ? <24> Mais, grâce à ce traître, les enfants, les femmes des Thébains sont distribués dans les tentes de soldats Barbares; une ville voisine, une ville alliée a disparu du milieu de la Grèce. On laboure, on ensemence la cité de ces Thébains qui se sont unis à nous pour combattre Philippe. Oui, la charrue la sillonne en tous sens; et l'infâme a été sans pitié pour une ville horriblement traitée, où lui-même vint souvent comme ambassadeur; pour une ville, où, assis à table, il a pris part aux communes libations, et dont il se vante de vous avoir procuré l'alliance! Heureux, les Thébains étaient visités par Démosthène; malheureux, il les a trahis. <25> Toutefois, si j'en crois nos vieillards, il fut un temps où la démocratie succombait dans Athènes, où Thrasybule recueillait dans Thèbes les exilés pour s'emparer du fort de Phylé, où Sparte victorieuse défendait aux cités grecques de recevoir dans leurs murs ou d'en laisser sortir aucun Athénien. Que firent alors ces mêmes Thébains? ils contribuèrent au retour du peuple dans ses foyers, par ce décret si connu qui fermait le territoire de Thèbes à tout Grec armé. <26> Et ce Démosthène qui, tout à l'heure, fera sonner bien haut son zèle infatigable pour vos alliés, n'a rien fait pour les Thébains! Que dis-je; rien fait? pour contribuer à relever leurs murs, il a refusé de lâcher un peu de l'or qui ne lui avait été remis que dans ce but! Que ces faits revivent dans votre mémoire, citoyens; par le désastre et d'Olynthe et de Thèbes, jugez des calamités qu'enfante la trahison, et prenez aujourd'hui, pour vous-mêmes, le plus sage parti : faites disparaître ceux qui sont toujours prêts à vendre la patrie, et n'attendez votre salut que de vous-mêmes, après les dieux. <27> Il n'est, ô Athéniens! il n'est qu'un seul moyen d'améliorer les moeurs publiques; c'est de punir avec rigueur les coupables qui ont exercé le pouvoir. A-t-on condamné des accusés vulgaires? personne ne sait ni ne songe à demander quelle peine ils ont subie; mais, quand cette sentence tombe sur une tête élevée, on veut la connaître, on applaudit aux juges qui n'ont pas sacrifié la justice à l'ascendant d'un grand nom. Qu'on lise le décret des Thébains, les dépositions et les lettres. (Lecture de pièces.) <28> Le mercenaire Démosthène, ô Athéniens! n'a pas attendu ces temps-ci pour se vendre. N'est-ce pas lui qui fit venir de Thèbes chez nous les députés de Philippe, et nous conseilla de terminer les premières hostilités? n'est-ce pas lui qui, de concert avec Philocrate, a fait conclure avec le prince une paix que ce même Philocrate a expiée par l'exil? n'a-t-il pas loué des équipages pour Antipater et pour tous les ambassadeurs? ne les a-t-il pas reçus dans sa maison, apprenant ainsi aux Athéniens à courtiser la Macédoine? <29> Ah! gardez-vous de pardonner au coupable dont le nom fatal est inscrit dans vos malheurs, dans les malheurs de toute la Grèce; au perfide dans les mains duquel on a surpris l'or de la trahison. Quand la fortune, nous préparant des jours meilleurs, chasse d'Athènes un de ceux qui l'ont asservie, et vous livre la tête de l'autre, ne luttez pas vous-mêmes contre ce retour du sort; mais, faisant retomber les calamités sur leurs propres auteurs, dirigez désormais le vaisseau de l'État sous un astre plus heureux. [30] Si vous pensez que Démosthène puisse jamais vous être utile; pour quelle occasion, dites-moi, ménagerez-vous ses jours? Dans ce tribunal, et hors de cette enceinte, un seul citoyen pourrait-il désigner une affaire, publique on privée, qu'il n'ait ruinée dès qu'il y a mis la main? Introduit dans la maison d'Aristarque, il lui conseilla de faire périr Nicodème. Vous connaissez tous la fin tragique de ce dernier; Son hôte n'a-t-il pas été forcé de quitter Athènes, sous le poids d'une grave accusation d'homicide? Aristarque sait trop aujourd'hui que, dans Démosthène, il avait reçu chez lui, non un ami, mais un mauvais génie acharné à sa perte. <31> Sur les autres traits de sa vie privée passons, le temps le veut ainsi. Du moment qu'il se rangea parmi les conseillers du peuple (eh! pût-il n'y avoir jamais pensé!) Athènes n'a connu que les revers. Que dis-je, Athènes? la Grèce entière s'est vue investie de dangers, de désastres et d'opprobres. Pendant sa longue administration, que d'occasions s'offraient de vous servir, de vous sauver! eh bien! il les a négligées toutes! Dans mainte circonstance, un zélé patriote eût soutenu les vrais intérêts de l'État : lui, qui exaltera tout à l'heure ses services, qu'a-t-il fait? il a communiqué à vos défenseurs la contagion de sa mauvaise fortune. <32> Charidème, vous le savez, s'était rendu auprès du roi de Perse pour vous servir, non de sa langue, mais de son bras; et pour sauver, à ses propres périls, Athènes et la Grèce. Parcourant la place publique, ce malheureux semait de faux bruits, et se disait d'intelligence avec Charidéme : aussi, son étoile a tout renversé, et trompé complètement notre attente. <33> Ephialte s'est embarqué, détestant Démosthène, mais forcé de s'associer à lui : le même sort l'a enlevé à notre ville. Euthydique avait embrassé la cause du peuple; Démosthène l'appelait son ami : Euthydique n'est plus! Tous ces faits, ô Athéniens! vous sont mieux connus qu'à moi. Il est temps enfin que le passé vous ouvre les yeux sur l'avenir. Non, Démosthène ne pourra jamais être que ce qu'il a toujours été, un dangereux instrument dans la main de vos ennemis. <34> Il fut un temps où tous les Lacédémoniens, commandés par Agis, s'étaient mis en campagne; où l'Achaïe et l'Élide, entrées dans la ligue, étaient soutenues de dix mille soldats étrangers; où Alexandre avait, disait-on, pénétré dans l'Inde; où enfin la nation entière, grâce aux traîtres dont chaque cité regorgeait, mécontente de sa situation, soupirait après le remède de tant de maux: que faisait, dans ces graves conjonctures, Démosthène, ce dominateur de nos conseils, ce despotique rédacteur de décrets, qui vous parlera tout à l'heure de l'horreur que lui inspire l'état actuel de la Grèce? <35> Sur nos communs périls, as-tu, Démosthène, donné un conseil, présenté une motion? as-tu donné de l'argent? as-tu aidé quelque peu ceux qui travaillaient à nous sauver? Oh! non : mais tu courais partout, endoctrinant les faiseurs de nouvelles; tu t'écrivais à toi-même <36> des dépêches importantes; au sein d'Athènes malheureuse, tu étalais tes richesses; tu te faisais traîner en litière dans la voie du Pirée; tu insultais par ton faste à la misère publique. Et il pourrait vous être utile à l'avenir, ô Athéniens! l'homme qui a négligé toutes les occasions passées? Ô Minerve! souveraine de cette cité; ô Jupiter Sauveur! puissent nos ennemis n'avoir jamais de meilleurs conseillers, de chefs plus zélés! <37> Oublierez-vous, citoyens, les exploits de vos ancêtres? Environnés de périls, ils combattirent en dignes enfants d'une telle patrie, pour leur liberté, pour leur gloire, pour les intérêts du peuple. Si je ne craignais de prolonger ce discours, je montrerais un Aristide, un Thémistocle, relevant les murs d'Athènes, versant dans le Trésor les contributions volontaires de la Grèce. <38> Pour nous rapprocher de notre temps, citons du moins la courageuse politique de l'orateur Céphale, de Thrason d'Erchia, d'Hélios de Phormise, et d'antres citoyens généreux, dont plus d'un vit encore. La Cadmée avait garnison lacédémonienne : les uns secoururent, à leurs propres risques, les bannis rentrés à Thèbes, et affranchirent cette cité voisine, depuis longtemps asservie; <39> sur un décret de Céphale, les autres persuadèrent à vos pères de prendre les armes; car cet orateur, bravant la puissance de Sparte, et ne songeant pas même au danger de proposer un armement et de l'effectuer, avait demandé aux Athéniens d'aller appuyer les exilés devenus maîtres de Thèbes. Ils partirent, et, quelques jours plus tard, le chef de la garnison ennemie était chassé, Thèbes délivrée, Athènes honorée pour avoir soutenu sa gloire héréditaire. [40] Voilà, ô Athéniens! des ministres, des conseillers dignes de vous, dignes du peuple. Par Jupiter! rangeriez-vous sur la même ligne ces astucieux harangueurs, funestes dans le passé, inutiles pour l'avenir, attentifs seulement à leur sûreté personnelle, faisant argent de tout, opprobre de leur patrie, et qui, maintenant encore, convaincus d'avoir reçu le salaire des traîtres, cherchent à vous éblouir, et prétendent, après de telles bassesses, qu'on doit fermer les yeux sur leur cupidité? Ah! sur leur propre décret, livrez plutôt à la mort de pareils coupables!. <41> Pouvez-vous, sans honte, attendre nos paroles pour juger, pour punir un Démosthène? L'expérience ne vous a-t-elle pas appris qu'il s'est vendu à l'étranger, qu'il est indigne d'Athènes, lui et le funeste sort attaché à ses pas? Où est le décret, où est la loi qui n'ait pas augmenté sa fortune? <42> Je vois, dans ce tribunal, plusieurs citoyens qui étaient de la classe des Trois-Cents, lorsque Démosthène présenta sa motion sur les armements maritimes. Ne diront-ils pas à leurs voisins que, pour trois talents, il changeait et réformait sa loi à chaque assemblée, insérant des articles largement payés, supprimant des articles moins bien vendus? <43> Par Jupiter! est-ce par pure générosité qu'il a fait décerner à Diphile une pension au Prytanée et une statue sur la place publique; à Choeréphile, à Phidon, à Pampliile, à Philippe, aux banquiers Epigène et Conon, le titre de citoyens d'Athènes; une statue d'airain à un Bérisadès, à un Satyros, à un Gorgippe, ces détestables tyrans qui, chaque année, envoient mille mesurés de blé à l'orateur assez déhonté pour dire qu'il n'a pas où reposer sa tête? <44> Est-il bien désintéressé, l'homme qui a fait conférer nos droits civiques à ce Taurosthène, oppresseur de sa patrie, lequel, de concert avec son frère Caillas, à livré au Macédonien toute l'Eubée, et à qui nos lois ferment l'entrée de l'Attique en le menaçant de la même peine que ceux qui sont bannis par sentence de l'Aréopage? Oui, voilà le traître que ce ministre, ami du peuple, a proposé de faire votre concitoyen! <45> Pour ce qui concerne les protégés de Démosthène, que je viens de nommer, pour vingt autres, auxquels, grâce à lui, les mêmes honneurs sont échus, faut-il produire des témoins? Mais, j'en atteste Minerve, ce Démosthène; si aride d'argent, pensez-vous qu'il n'ait pas pris vingt talents d'or ? Lui qui ne néglige pas les petits bénéfices, n'a-t-il pas accepté, en une fois, une somme considérable? Est-elle injuste, la dénonciation de l'Aréopage, qui a passé six mois à poursuivre des enquêtes contre Démosthène, Démade et Céphisophon? <46> Citoyens, une foule d'Athéniens et de Grecs attendent impatiemment votre arrêt. Vous allez leur apprendre si l'on pourra encore, à l'avenir, trainer devant les tribunaux un orateur vénal, ou si vous permettez de tendre la main à l'or de vos ennemis; si ce qu'on a regardé jusqu'à ce jour comme certain et invariable n'aura plus d'autorité désormais, parce que l'accusé s'appelle Démosthène, et que les charges principales peuvent se résumer ainsi : <47> crimes qui réunissent sur la tête du coupable les plus formidables imprécations; parjure devant l'Aréopage, au nom des déesses redoutables et des autres divinités qu'un invoque près de ce tribunal auguste; trahisons payées, dont le salaire est constaté; abus de confiance auprès du sénat et du peuple; funestes conseils qui ont perdu le malheureux Aristarque; ministère enfin, dont presque tous les actes méritent la mort. Non, s'il est un châtiment pour les parjures, et les pervers, Démosthène ne peut échapper à la juste peine qui l'attend. Écoutez, juges, écoutez les imprécations. (On lit les imprécations.) <48> Toutefois, Démosthène s'est fait du mensonge une habitude si invétérée; il s'inquiète si peu et de la facile réfutation de ses impostures, et de nos menaçantes imprécations, qu'il osera dire, si l'on m'a fait un fidèle rapport: L'Aréopage a condamné Dinarque lui-même. Pour établir son innocence, Dinarque a attaqué la dénonciation de ce Conseil suprême. Comment donc ce même homme peut-il aujourd'hui appuyer une accusation émanée de la même autorité? De quel droit m'accuse-t-il sur une dénonciation de l'Aréopage? <49> Le fait, ô Athéniens! est faux, il est controuvé, et l'accusé n'a d'autre but que de vous égarer. Non, vous ne le laisserez pas tirer avantage de cet absurde rapprochement. L'Aréopage n'a jamais songé à me dénoncer; mais j'ai été calomnié par un méchant, par un seul, qui a subi la peine qu'il méritait. Laissez-moi rétablir la vérité sur ce point; je reviendrai ensuite à Démosthène. [50] Pour l'Aréopage, il n'est que deux voies à suivre pour présenter une dénonciation : il informe, ou spontanément ou sur un ordre du peuple. Si donc ce loup-cervier de la tribune ose dire que l'Aréopage, après information , m'a dénoncé sur un ordre du peuple, je lui répondrai : <51> Montre le décret populaire, nomme les accusateurs choisis d'après la dénonciation. Ne vois-tu pas que je peux, moi, citer l'ordre d'enquête porté contre toi? ne connaît-on pas les orateurs chargés de soutenir la présente accusation? Eh bien! si tu peux, en ce qui me concerne, établir ces deux points, je demande la mort. Diras-tu, au contraire, que l'Aréopage m'a dénoncé de son propre mouvement? Produis le témoignage des Aréopagites; je le produirai, moi, pour constater que je n'ai pas été dénoncé. <52> Que si un traître obscur, un ignoble scélérat, a voulu déchirer de ses morsures l'Aréopage et moi, je l'ai poursuivi comme criminel d'État; et, après l'avoir convaincu, devant cinq cents citoyens, de s'être vendu à Timoclès pour me perdre, je m'en suis vengé, grâce aux tribunaux. Greffier, lis la déposition que je produisis alors en justice, et contre laquelle personne ne protesta ; je la produirai encore aujourd'hui. (Lecture de la déposition.) <53> Ainsi, Athéniens, parce qu'un seul membre de l'Aréopage, Pistias, a osé calomnier et tous ses collègues qui m'absolvaient, et moi-même qu'il osait accuser, peu s'en fallait que le mensonge ne prévalût, peu s'en fallait qu'on n'ajoutât foi aux accusations fabriquées pour perdre un homme sans amis, sans crédit; et, lorsque l'Aréopage n'a qu'une voix pour accuser Démosthène d'avoir, odieux prévaricateur, vendu sa patrie pour vingt talents; lorsqu'un de vos ministres, l'espérance d'un parti, <54> est convaincu de s'être laissé corrompre, quoi! les principes justes et sûrs par lesquels se conduit la Cour suprême, perdant toute leur force, céderaient aux discours d'un perfide; et les calomnies qu'il prépare contre un sénat respectable étoufferaient la vérité! Il dira, par exemple, que l'Aréopage a dénoncé plusieurs citoyens comme coupables envers le peuple; et que, devant les tribunaux, ceux-ci ont été absous, sans laisser même au corps qui les accusait la cinquième partie des suffrages. Vous allez voir, Athéniens, comment cela peut arriver; l'explication n'est pas difficile. <55> Outre les délits dont vous lui ordonnez d'informer, l'Aréopage fait des enquêtes sur ceux qui se commettent dans son sein. Alors (excusez mes libres paroles), ce n'est pas vous qu'il prend pour modèle; car il n'écoute que la voix de la justice. L'infracteur des règles anciennes, le coupable, à quelque degré que ce soit, est impitoyablement dénoncé: car cette auguste assemblée pense que l'habitude des petites fautes mène insensiblement aux grands crimes. <56> Ainsi il vous a dénoncé, après l'avoir déjà puni, un de ses membres qui avait frustré un batelier du paiement de son passage; un autre, pour avoir demandé cinq drachmes sous le nom d'un absent. Par le même principe de sévérité, il a rejeté de son sein un sénateur qui, malgré les défenses formelles, n'avait pas rougi de vendre sa part d'honoraires. <57> Ces mêmes hommes ont comparu devant vous; et, si vous les avez acquittés, était-ce pour infirmer une décision de l'Aréopage? non, vous pensiez seulement que la peine excédait la faute, et vous donniez plus à l'indulgence qu'à la justice. Oseras-tu en conclure, Démosthène, que l'Aréopage avait dénoncé des innocents? <58> Il est un fait particulier, qui concerne Polyeucte: le peuple avait chargé la Cour suprême d'examiner s'il communiquait avec les citoyens exilés à Mégare, et de vous le dénoncer. Les communications furent constatées, et la dénonciation eut lieu; des accusateurs furent nommés, suivant les lois; Polyeucte parut devant votre tribunal; il avoua qu'il allait voir à Mégare Nicophane, le second mari de sa mère. Vous l'avez absous : mais pour quel motif? Parce qu'il vous parut fort naturel qu'un beau-fils eût des entretiens avec un beau-père disgracié, et qu'il offrît toutes les consolations possibles à un malheureux privé de sa patrie. <59> La dénonciation de l'Aréopage, Démosthène, ne fut pas trouvée fausse; la vérité en fut, au contraire, constatée; et cependant il y eut acquittement! C'est que l'Aréopage, se renfermant dans les limites de ses attributions, avait prononcé seulement sur le fait; tandis que le tribunal populaire s'était posé cette question : Le fait est-il excusable? Suit-il de là que l'Aréopage t'ait calomnié quand il a dit Démosthène et ses complices ont reçu de l'or? [60] La conclusion serait étrange! Montre aux juges que quelqu'un des délits dont nous venons de parler ressemble aux tiens, qu'on est excusable après avoir reçu te salaire de la trahison; que, l'or en main, on doit être déclaré innocent. Loin de là, dans les autres délits où il est question d'argent, les lois ne condamnent qu'à payer le double du dommage; tandis que, pour le crime de corruption:, elles ont établi deux peines : ou l'a mort; afin que le châtiment du coupable serve d'exemple; ou une amende dix fois plus forte que la somme réelle, afin que l'homme vénal ne retire aucun avantage de sa cupidité. <61> Peut-être, sans entreprendre de te justifier, Démosthène, tu diras : « Les citoyens dénoncés jusqu'ici par l'Aréopage se sont fait une loi de reconnaître l'autorité des enquêtes; seul, au contraire, je l'ai toujours combattue. » Mais toi seul, entre tous les dénoncés, tu as demandé, de ton propre mouvement, l'Aréopage pour commission d'enquête; tu as porté contre toi-même un décret; tu as pris le peuple à témoin de ta déférence à l'autorité de la Cour suprême; tu as consenti d'avance d'être livré au supplice, si elle t'accusait d'avoir reçu la moindre parcelle de l'or apporté ici par Harpalos. Dans des circonstances précédentes, tu avais déjà opiné que la juridiction de l'Aréopage s'étend sur tous ceux qui sont ici présents et sur les autres Athéniens, qu'il peut punir, suivant les lois anciennes, un infracteur des lois; devant ce Sénat, que tu accuseras tout à l'heure d'être partisan de l'oligarchie, tu faisais fléchir Athènes entière. En vertu de ton décret, deux citoyens, le père et le fils, ont été condamnés à mort et livrés au bourreau; ton décret a fait jeter en prison, <63> et, sur une dénonciation de l'Aréopage, livré à la torture et fait mourir Antiphon, descendant d'Harmodius; ton décret a banni Archinos, accusé de trahison par le même Sénat. Les motions que tu présentes ne sont-elles donc impuissantes que contre leur auteur? est-il juste, est-il légitime de les annuler dès que tu es toi-même accusé? <64> Si vous épargnez Démosthène, ô Athéniens! C'est aux antiques héros de la patrie que je m'adresserai; j'invoquerai et Minerve, protectrice d'Athènes, et toutes nos divinités tutélaires; j'invoquerai l'enfer, j'en appellerai aux furies! je leur dirai : Les juges d'Athènes n'ont pas puni l'accusé du peuple : oui, le criminel qui s'est vendu pour trahir la patrie, et, par son funeste génie, en a paralysé toutes les forces; <65> le criminel dont les ennemis d'Athènes désirent seuls la conservation, parce qu'ils le regardent comme son fléau; le criminel sur la tête duquel tous les bons citoyens appellent la mort qu'il a vingt fois méritée, persuadés que sa chute seule relèvera votre fortune, ils l'ont épargné ! <66> Que dirons-nous, au sortir du tribunal, à ceux qui sont hors de cette enceinte, si, aux dieux ne plaise! vous vous laissez éblouir par les artifices de ce traître? De quel oeil chacun de vous, rentré chez soi, osera-t-il regarder son foyer paternel, après avoir absous le perfide qui le premier a introduit dans sa maison un or, fruit de la corruption; après avoir cassé, comme fausses et calomnieuses; les informations dirigées par un tribunal vénéré de tous les peuples? <67> Et, si Athènes se voyait exposée à quelque péril, quelle ressource, je vous le demande, nous resterait-il, à nous qui aurions assuré la sécurité des traîtres, et humilié, désarmé cet auguste Sénat, notre plus ferme appui dans les grandes crises nationales? <68> L'hypothèse que je vais présenter, Athéniens, est très vraisemblable. Je suppose que, d'après le décret de Démosthène, Alexandre nous fasse redemander l'or qu'Harpalos a apporté dans notre ville; je suppose que, pour confirmer les dénonciations de l'Aréopage, ce prince nous renvoie les serviteurs du gouverneur concussionnaire, qui sont entre ses mains, et qu'il exige que nous leur fassions subir un interrogatoire : que dirions-nous, au nom des dieux? <69> Toi, Démosthène, proposeras-tu la guerre avec le jeune conquérant? Tu as conduit si heureusement toutes les guerres que tu as conseillées ! Je veux que ton avis soit adopté; il faudra des fonds : d'où les tirer? Apporteras-tu au Trésor le fruit de toutes tes trahisons? Pour suffire aux contributions nouvelles, tous les citoyens mettront-ils en fonte les bijoux de leurs femmes, leurs coupes; les offrandes sacrées, comme tu avais annoncé que tu le demanderais par un décret, toi qui, possesseur de vingt talents, as à peine contribué de cinquante drachmes sur tes maisons de la ville et du Pirée? [70] Mais on peut croire ta belliqueuse ardeur un peu ralentie : tu ordonneras donc, par une motion expresse, que l'or apporté ici soit rendu à Alexandre. Qui le rendra, cet or? une contribution, c'est-à-dire le peuple; oui, c'est le peuple qui paiera pour toi! D'un côté, Démosthène se sera gorgé de coupables richesses; de l'autre, de pauvres ouvriers offriront à la patrie le prix de leurs sueurs : la justice, l'égalité démocratique le permettent-elles ainsi? Est-il juste que les propriétaires d'immeubles contribuent de leur fortune, tandis que toi; qui as reçu plus de cent cinquante talents des rois de Perse et de Macédoine, tu ramasseras sous nos yeux tes richesses, et les mettras dans ton bagage, prêt à partir, comme quelqu'un qui compte peu sur son administration! <71> Tandis que les lois ordonnent à l'orateur, au général jaloux de gagner la confiance populaire, d'avoir des enfants légitimes, de posséder des terres dans l'Attique , et de ne prétendre au gouvernement qu'après avoir mis entre les mains du peuple les gages les plus sûrs, est-il juste qu'un Démosthène ait vendu ses champs héréditaires, et adopté des enfants étrangers, dans le seul but de jurer sur leurs têtes devant les tribunaux ? Est-il juste qu'il fasse une loi à ses compatriotes du service militaire, celui qui a lâchement déserté son poste? <72> Quel est, dans votre pensée, ô Athéniens! quel est le principe de la prospérité ou du malheur des républiques? C'est, vous en conviendrez, le choix des chefs civils et militaires. Considérez Thèbes. Quand s'est-elle vue au comble de la puissance? sous quels généraux? sous quels administrateurs? Écoutons ici le témoignage de nos anciens. <73> Pélopidas, disent-ils, commandait; le bataillon Sacré; le reste de l'armée était sous les ordres d'Épaminondas : l'un et l'autre se voyaient secondés par des magistrats animés des mêmes sentiments. C'est alors que !es Thébains vainquirent à Leuctres; alors ils firent irruption dans cette Laconie, jusque-là inaccessible aux désastres de la guerre; alors ils relevèrent les murs de Messène, abattus depuis quatre cents ans, affranchirent l'Arcadie, et se couvrirent de gloire. <74> Mais quand ces mêmes Thébains furent-ils humiliés? c'est lorsqu'un ami de Démosthène, un Timolaüs, se vendait à Philippe ; lorsque le traître Proxénos commandait les étrangers qui marchaient sur Amphissa; lorsque le bataillon Sacré reçut pour chef Théagène, citoyen aussi fatal, aussi perfide que Démosthène. Les trois hommes que je viens de nommer ont perdu, ont ruiné leur patrie et la Grèce entière. Oui, Athéniens, il n'est que trop vrai, des chefs dépend le sort des États. <75> Portez le même examen sur la république d'Athènes. Quand fut-elle puissante, illustre entre les cités grecques, et digne du nom de nos aïeux? Sans remonter à ses antiques exploits, ce fut lorsque Conon remporta à Cnide une victoire navale ; lorsque Iphicrate, tailla eu pièces un corps de Lacédémoniens; lorsque Chabrias battit à Naxos une flotte de Sparte; lorsque Corcyre vit le beau fait d'armes de nos marins, commandés par Timothée. <76> En ce temps, ô Athéniens! ces Spartiates, si renommés par leur constitution politique, vinrent humblement supplier notre ville, et mendier les secours de nos pères. Grâce à vos ministres, Athènes, affaiblie un moment, redevint l'arbitre de la Grèce. Un résultat aussi brillant ne doit pas étonner, avec des généraux tels que ceux dont je viens de rappeler les noms, avec des administrateurs tels qu'un Archinos et un Céphale. Je le répète, ce qui sauve un peuple, c'est d'avoir de braves commandants et de vertueux ministres. <77> Pénétrés de cette pensée, gardez-vous, citoyens, d'avoir désormais le moindre contact avec la cupidité sordide et l'étoile funeste de Démosthène, de placer sur lui votre avenir, de croire qu'en l'écartant vous n'aurez plus de bons chefs pour la guerre ni pour la paix. Vous armant de la rigueur de vos ancêtres, punissez cet homme qui est convaincu d'être un voleur public et un traître, qui guette au passage l'or que des corrupteurs apportent ici, qui vous a plongés dans les maux les plus affreux; punissez le fléau de la Crète! qu'il meure, qu'il soit exterminé du milieu de vous! Permettez enfin à la fortune d'Athènes de se relever. <78> Écoutez maintenant le décret que ce grand ami du peuple porta au milieu des alarmes causées par le désastre de Chéronée. Écoutez aussi l'oracle de Jupiter, oracle émané jadis de Dodone, et qui vous avertit clairement de vous délier de vos chefs et de vos ministres. <79> - Greffier, lis d'abord le décret. (Lecture d'une partie du décret de Démosthène.) Vous l'entendez, cet ami des citoyens, ce patriote intrépide s'est assigné à lui-même son poste : il restera sous les armes; mais où? derrière nos murailles!... Quant aux Athéniens qu'il veut éloigner, il leur ordonne de sortir pour travailler aux fortifications, et remplir tous les emplois qu'il distribue souverainement. - Continue la lecture. (Suite du décret.) [80] Ainsi, les députés nommés par le peuple partiront en hâte. Mais, un peu plus tard, on vient dire à Démosthène que Philippe vainqueur marche sur l'Attique : alors, sans s'inquiéter davantage d'une crise qui ruinait tant de citoyens, il se nomme lui-même député, afin de s'enfuir avec huit talents, fruit de ses malversations. <81> Ainsi, ce fameux ministre, Démosthène, dans toute sa vie, n'a jamais quitté Athènes que deux fois : après le combat, lorsqu'il s'est enfui de nos murs; et dernièrement, à Olympie, pour conférer avec Nicanor, à la faveur d'une députation pour les jeux. Hâtez-vous donc de remettre le timon de l'État dans de pareilles mains! Dans vos dangers, confiez-vous encore à celui qui, lorsqu'il fallait combattre, déserte son poste et rentre dans nos murs à celui qui, loin d'attendre le péril avec ses compatriotes, au sein de nos remparts, se donne à lui-même une mission qui devient l'occasion d'une nouvelle fuite. <82> Faut-il aller réellement en députation pour la paix. Ma place est dans la ville, dit Démosthène, et il ne bouge. Annonce-t-on qu'Alexandre rappelle les bannis, Nicanor se rend-il à Olympie, il se fait élire par le Conseil pour représenter la pairie aux solennités de la Grèce. Ainsi, pendant la guerre; s'échapper et courir se renfermer dans vos murs; lorsqu'on reste dans les murs, s'échapper sous le titre d'ambassadeur; parti avec ses collègues, s'échapper encore et prendre la fuite : Athéniens, tel est Démosthène! Il existe un autre décret qu'on va lire aussi : c'est celui par lequel l'accusé lui-même autorise l'Aréopage à faire une enquête au sujet de l'or reçu d'Harpalos. Le parallèle de la personne et du décret vous montrera combien sa cause est désespérée. (On lit le décret.) <83> Est-ce toi, Démosthène, qui as rédigé cet acte de la volonté populaire? oui, c'est toi, tu ne saurais le nier. L'Aréopage a-t-il pu agir en vertu de ce décret? oui, sans doute. Des citoyens ont-ils subi la mort? le fait est notoire. Est-ce encore ton décret qui les a poursuivis? tu n'oserais le méconnaître. Relis, greffier, le décret que Démosthène a lancé contre Démosthène; et vous; Athéniens, soyez attentifs. (Nouvelle lecture du décret.) <84> L'Aréopage a trouvé Démosthène coupable : qu'est-il donc besoin de longs discours? Il l'a dénoncé. De son propre aveu, Démosthène a donc mérité la mort, la mort qu'il devrait avoir déjà subie! Mais il vit, il est entre vos mains. Juges, convoqués ici au nom du peuple; juges qui avez juré obéissance aux lois et aux décrets, que ferez-vous? Foulerez-vous aux pieds et le respect dû aux Immortels que vous avez attestés, et les droits regardés comme sacrés par tous les hommes? <85> Non, citoyens, il n'en sera pas ainsi! vous ne subirez point la honte d'entendre dire: Des Athéniens, moins coupables que Démosthène, ont péri en vertu de ses décrets; et il se promène par la ville, fier de son impunité, bravant Athènes et ses lois, lui qui, dans ces mêmes décrets, a d'avance prononcé sa propre condamnation ! <86> Le même tribunal, Athéniens, le même lieu, les mêmes règles, le même orateur qui ont proscrit plusieurs têtes, prescriront aussi celle de Démosthène. Lui-même, à la face de la nation, vous prenant pour témoins, a investi l'Aréopage du droit d'enquête et de mise en jugement. Il a fait avec le peuple un pacte solennel ; le décret qu'il a porté contre lui-même est déposé aux pieds de la mère des dieux, auguste gardienne des archives d'Athènes. Vous ne pouvez donc, sans devenir sacrilège, infirmer le pacte, ni, dans une cause où vous ayez juré par les dieux, contredire par votre sentence la conduite de ces mêmes dieux. <87> Condamné dans la cause d'Halirrhotios, qu'il plaidait contre Mars, Neptune s'en est tenu à la décision de l'Aréopage ; les déesses redoutables ont elles-mêmes acquiescé au jugement rendu en faveur d'Oreste dans la même assemblée, et ont voulu présider par la suite cet imposant tribunal. Ô Athéniens! vous qui vous dites les plus religieux des hommes, encore une fois, que ferez-vous? pour ménager un grand coupable casserez-vous l'arrêt de la Cour suprême? <88> Ah! songez à toute l'importance de la cause soumise aujourd'hui à vos suffrages : il s'agit ici de la vénalité, cette lèpre hideuse qui a fait périr tant de peuples; il s'agit du salut d'Athènes! Retranchez, arrachez ce fléau, punissez les stipendiés de vos ennemis, et, avec l'aide du ciel, notre patrie pourra voir encore des jours prospères. Mais voulez-vous la plonger au fond de l'abîme, permettez aux orateurs de vous vendre en se vendant eux-mêmes. <89> C'est encore Démosthène qui a proposé devant le peuple, comme une chose juste, de tenir en réserve pour Alexandre l'or qu'Harpalos a apporté dans l'Attique. Mais dis-moi, homme de bien, comment le tiendrons-nous en réserve, cet or, si tu restes saisi de vingt talents, un autre de quinze, Démade de six mille statères d'or, d'autres enfin de tout ce qu'ils sont convaincus d'avoir reçu d'Harpalos? car on a déjà découvert soixante-quatre talents, fruit d'une corruption que vous imputerez à ce traître et à ses pareils. [90] Est-il plus honorable, est-il plus juste de garder tout dans le Trésor jusqu'à ce que le peuple en décide ? ou faut-il que les orateurs et quelques généraux gardent ce qu'ils ont pris? Athéniens, ici vous serez unanimes et vous répondrez tous : Que l'argent soit en réserve dans le Trésor; Athènes se couvrirait de honte en le laissant aux mains des traîtres! <91> Se débattant, se repliant en cent façons, Démosthène va recourir à ses artifices ordinaires. Rien de plus simple: il vous voit toujours disposés à vous laisser leurrer par des mensonges, par des chimères; il sait que le souvenir de ses promesses ne s'étend pas au delà du fugitif instant où il les a faites. Si donc il faut que la patrie soit encore victime de sa perversité et de sa mauvaise foi; s'il faut vivre à jamais sous les lois d'un destin fatal (car je chercherais vainement un autre langage), réjouissons-nous de tout ce qui nous est arrivé. <92> Mais, si la république est encore l'objet de nos soins, si nous aspirons à des jours meilleurs, si nous voulons vivre sous des auspices plus favorables, craignons, ô Athéniens! de céder aux supplications d'un scélérat et d'un imposteur, craignons le piège caché sous ses lamentations, sous ses insidieuses paroles. L'expérience ne nous a que trop appris ce que peut être cet homme. <93> Où est le téméraire , où est le citoyen assez oublieux du passé, assez peu soucieux du présent pour espérer que ce même harangueur qui a humilié, flétri, ruiné sa patrie, va la sauver par ses conseils et par ses exploits, aujourd'hui surtout qu'à nos autres embarras et aux périls qui nous pressent, se joignent l'ignoble vénalité de tant de mercenaires, les risques que nous courons tous d'être enveloppés dans la même accusation, et la crainte qu'un peuple entier ne semble s'être partagé l'or qui est entre les mains des seuls stipendiés de l'ennemi? <94> Je ne veux pas rapporter ses innombrables variations politiques, ses impostures, soit dans la proposition des mesures à prendre, soit dans leur exécution; je me borne à quelques traits. Tantôt il demande qu'il soit défendu de reconnaître d'autres dieux que ceux qu'invoquaient nos pères; tantôt il dit que la nation ne doit pas refuser à Alexandre les honneurs divins. Lorsqu'il est à la veille d'être cité devant vous, il accuse Callimédon d'avoir eu des conférences à Mégare, avec les exilés, pour détruire la démocratie; puis, soudain, sans nul motif, il se désiste de son accusation. <95> On l'a même vu, à la dernière assemblée, suborner et produire un faux délateur prêt à déclarer que nos arsenaux de marine étaient menacés, et, sans rien proposer sur ce grave sujet, fabriquer des imputations pour éluder le jugement actuel. De tous ces faits vous êtes vous-mêmes les témoins. Oui, c'est un imposteur envers la patrie; ni son origine, ni son administration, ni ses intrigues, ne permettent de le regarder comme citoyen d'Athènes. <96> Quelles flottes ont été construites par ses soins comme sous Eubule? Où sont les chantiers maritimes mis en activité sous son ministère? par quel décret, par quelle loi a-t-il remonté notre cavalerie ? Dans la crise terrible où nous jeta le désastre de Chéronée, quelle alliance nous a-t-il procurée sur terre ou sur mer? Quel ornement a-t-il porté dans la citadelle pour décorer le temple de Minerve? quel édifice public e-t-il fait élever dans notre port, dans la ville, dans l'Attique? Rien, absolument rien ! <97> et, après cela, un déserteur sur le champ de bataille, un orateur funeste à la tribune, lâche, versatile et traître, dont l'exemple fut un long scandale et un fléau, vous voudriez le conserver! <98> Non, Athéniens, non; il y aurait folie, il y aurait péril pour vous, pour la patrie. Profitez plutôt du bienfait de la fortune qui vous livre, pour les punir, les orateurs dont les basses perfidies sont l'opprobre de la république; obéissez aux oracles des dieux qui vous ordonnent de vous méfier de pareils chefs et de pareils conseillers. Écoutez l'oracle de Dodone. Lis, greffier, cet avis du ciel. (Lecture de l'Oracle) <99> Mais comment, ô Athéniens! aurons-nous les mêmes sentiments, comment serons-nous d'accord sur les intérêts publics, lorsque vos gouvernants et vos orateurs ne craignent pas de sacrifier au plus aveugle égoïsme les intérêts sacrés de la patrie; lorsque, avec le peuple entier, vous courez des risques pour le sol même d'Athènes, pour les dieux de vos pères, pour vos familles; lorsque, réconciliés entre eux, vos ministres se déchirent dans les assemblées nationales, et se livrent des attaques simulées, tandis que dans l'ombre ils vous trompent de concert, vous, éternelles dupes de leurs roueries? [100] Quel est cependant le devoir d'un orateur démocrate, d'un ennemi de la trahison et des perfides conseils? Réponds, Démosthène; réponds, Polyeucte : quelle était la conduite uniforme et persévérante de vos prédécesseurs, à une époque où aucun danger ne menaçait la patrie? ne se citaient-ils pas mutuellement en justice? ne s'accusaient-ils pas de crime d'État ou d'infraction aux Lois? L'avez-vous fait, vous qui prétendez être les tuteurs du peuple, et qui n'êtes forts, dites-vous, que des suffrages de vos concitoyens? <101> Toi, Démosthène, as-tu lancé un décret contre Démade, auteur de tant de motions criminelles et illégitimes? as-tu traversé une seule des démarches auxquelles il s'est livré contre le peuple dans son ministère? as-tu présenté comme coupable envers la nation cet administrateur despote? Loin de là, tu as permis qu'une statue lui fût érigée sur la place publique, qu'il fût nourri au Prytanée avec les descendants d'Harmodius et d'Aristogiton. <102> Quand donc le peuple a-t-il éprouvé ton dévouement à ses intérêts? quand vous a-t-on vus, toi et les tiens, employer à les défendre votre énergie oratoire? Serais-tu réduit à dire que tu n'as d'éloquence que pour tromper tes compatriotes, répétant sans cesse que tu ne peux vivre loin d'Athènes, que l'affection de tes concitoyens est ton unique refuge? mais c'est en te déclarant hautement opposé de fait, opposé de langage aux décrets nuisibles à l'autorité populaire, que tu nous aurais persuadé qu'il n'est pour toi d'asile que dans le sein du peuple. <103> Au lieu d'agir ainsi, tu fondes tes espérances sur l'étranger, tu rivalises de flatteries avec les partisans avoués d'Alexandre, avec les stipendiés d'Harpalos. Après avoir conféré avec Nicanor, à la face de la Grèce entière, après avoir conclu à Olympie un traité selon la fantaisie, tu prétends aujourd'hui exciter la compassion, toi qui n'es qu'un traître, qu'une âme vénale! Les Athéniens ont-ils donc oublié ton funeste caractère? ou bien les crimes dont tu es convaincu ne doivent-ils jamais être expiés? <104> Tu l'emportes en audace sur Démade lui-même: car enfin Démade, quoiqu'il eût prévenu le peuple de se méfier de lui, quoiqu'il se fût écrié à la tribune, Je reçois, et je recevrai toujours, il n'a pas osé se montrer aux Athéniens, il ne s'est pas prononcé contre une mise en jugement faite par l'Aréopage. Toutefois il n'avait pas comme toi proposé d'investir ce haut tribunal d'un pouvoir absolu contre lui-même; il n'avait pas dit, Si l'on me dénonce pour fait de corruption, je mérite la mort. Toi , Démosthène, tu comptes tellement et sur ta faconde et sur la crédulité de tes auditeurs, que tu espères persuader aux juges que, seul, tu as été faussement dénoncé par l'Aréopage ; seul , accusé à tort de vénalité! <105> Ouvrez les yeux, ô Athéniens! sur ce que vous allez faire. Le peuple vous a déféré une cause déjà jugée; Démosthène est traduit le premier devant vous pour subir la peine établie contre les dénoncés de l'Aréopage; les accusateurs n'ont sacrifié à personne les droits de la république. <106> Insensibles à toutes ces considérations, les juges renverront-ils absous le premier qui paraît devant leur tribunal? Appelés à décider souverainement, briseront-ils les règles établies par l'Aréopage, par le peuple d'Athènes, par tous les peuples? assumeront-ils la responsabilité de tant de trahisons? <107> ou plutôt ne donneront-ils pas à la Grèce entière, au nom de cette république, un exemple éclatant de la haine qu'ils portent à la perfidie, à l'ignoble rapacité? Tout cela dépend de vous en ce jour : oui, voilà quinze cents juges qui ont dans leurs mains le salut de l'État. Vos suffrages, si vous êtes disposés à prononcer avec justice, mettront la patrie à l'abri de tout danger; mais, si vous accréditez de funestes abus, quel triste avenir vous ferez entrevoir à la Grèce! <108> Ne vous laissez pas intimider; et, si votre bon esprit ne vous quitte pas, craignez d'abandonner, par pitié pour un Démosthène, le soin de laver cette ville de tout reproche. Nul parmi vous n'a forcé l'accusé de recevoir, pour vous nuire, l'or de l'étranger ; grâce à vous, Démosthène n'était-il pas devenu assez riche? nul ne l'a contraint à se défendre actuellement sur des crimes avérés, pour lesquels. il s'est lui-même condamné d'avance à perdre la vie. Qui donc a creusé l'abîme? ce sont ses propres mains; qui l'y a précipité? sa perversité naturelle, sa cupidité sordide. <109> Que ses plaintes, que ses larmes vous trouvent donc insensibles ; réservez votre pitié pour vos contrées, que sa conduite expose à tant de périls; pour la patrie, qui vous conjure, vous, ses enfants, en vous présentant vos propres familles, de punir son bourreau et leur ennemi. Cette patrie, citoyens, vous l'avez reçue libre de vos ancêtres; pour elle ils avaient soutenu un grand nombre de combats glorieux; son sol est encore couvert des monuments de leur bravoure. [110] Il est de votre sagesse de n'aller aux voix qu'après avoir jeté les yeux sur votre pays, sur notre culte, sur nos sacrifices héréditaires, sur les tombes de vos aïeux. Lorsque Démosthène, pour vous séduire, pleurera et se lamentera, représentez-vous l'imposante image d'Athènes vous rappelant son antique gloire : ne mérite-t-elle pas plus de compassion que l'accusé? <111> Naguère encore, qu'était Démosthène? un faiseur de mémoires, l'avocat mercenaire d'un Ctésippe et d'un Phormion. Depuis qu'il a mis la main dans les affaires publiques, il s'est fait un nom, il a amassé des richesses. Inconnu d'abord, et n'ayant reçu aucun lustre de sa famille, il est devenu fameux, tandis qu'Athènes est dans un état indigne d'elle et de ses ancêtres. Fermant donc l'oreille aux discours artificieux d'un traître et à ses pitoyables gémissements, prononcez selon la justice, considérez l'intérêt de la patrie, de la patrie seule : c'est là le devoir du juge. <112> Lorsque quelqu'un montera ici pour défendre Démosthène, songez que cet officieux, s'il n'est lui-même dénoncé par l'Aréopage, est au moins un mauvais citoyen, et qu'en voulant soustraire à la vindicte publique ceux qui ont reçu de l'or pour trahir, il cherche à détruire votre sécurité garantie par un auguste tribunal, et ne tend à rien moins qu'à renverser la constitution. Si le bienveillant apologiste est un orateur ou un général disposé à écarter une mise en jugement qu'il redoute pour lui-même, imposez-lui silence : un tel homme appartiendrait à cette cabale qui voulait recevoir Harpalos et assurer sa fuite. <113> Ainsi, Athéniens, persuadés qu'ils parleraient tous contre la patrie, et voyant en eux les ennemis des lois et de la démocratie, au lieu d'accueillir leurs défenses pour un autre, exigez qu'ils prouvent leur propre innocence. Méfiez-vous de votre admiration pour les grandes colères oratoires. La vénalité de Démosthène est manifeste: que faut-il de plus? punissez-le d'une manière digne de vous, digne d'Athènes. Si vous n'agissez de la sorte; si, dans une seule cause et par une seule sentence, vous épargnez les dénoncés de l'Aréopage, présents et à venir, vous accumulerez sur la tête du peuple le poids de toutes leurs infamies : heureux encore si, plus tard, vous n'êtes pas réduits à déplorer inutilement votre coupable indulgence ! <114> Pour moi, dans l'accusation dont je me suis chargé, je suis venu en aide à l'Aréopage, et toute considération s'est effacée devant la justice et le salut de l'État; je n'ai point abandonné la république, ni trahi , par une molle complaisance, la cause pour laquelle je suis l'élu du peuple. Attendant de vous les mêmes sentiments, je cède la tribune aux autres accusateurs.