[3,0] LIVRE TROISIÈME. PRÉFACE (- - -). I. Nourris bien ton esprit de ces sages sentences, Et pour les retenir fais un louable effort : La vie oisive et sans sciences, Qu'offre-t-elle, sinon l'image de la mort? II. Vivant bien, de la médisance Laisse voler les traits sans t'en inquiéter : Des discours du public l'indomptable licence Est un torrent fougueux qu'on ne peut arrêter: III. Pour servir de témoins contre un de tes intimes, Devant tes tribunaux si tu te vois cité, Cache autant que tu peux ses crimes, Mais sans donner atteinte aux droits de l'équité. IV. Crains les adulateurs, dont l'âme peu sincère Ne vise qu'à tromper par un air imposteur. Le vrai ne sait se contrefaire, Mais le déguisement suit partout le flatteur. V. Evite avec soin la paresse, Qui d'une vie heureuse épuise les trésors : Il n'est pas de poison pareil à la mollesse; L'oisiveté de l’âme est la perte du corps. VI. Interromps pour un temps, par un plaisir utile, Le soin d'un travail assidu ; L'esprit, par ce repos, plus libre et plus tranquille, Saura mettre à profit ce qu'il aura perdu. VII. Par un faux esprit de critique, Des actions d'autrui ne sois point le censeur, De peur qu'à ton exemple un autre satirique Ne t'accable à ton tour, en raillant le railleur. VIII. Ayant reçu du ciel une fortune aisée, De tes biens par écrit suppute le montant : Peur ne pas du public essuyer la risée, Garde-les en les augmentant. IX. Te voyant opulent dans l'extrême vieillesse, Qui t'annonce un trépas prochain, A tes meilleurs amis fais part de ta richesse ; Et jouis de la vie en attendant la fin. X. Reçois les bons conseils qu'un serviteur te donne, Sans t'armer contre lui d'une sotte fierté ; Et ne méprise dans personne Les avis dont tu peux sentir l'utilité. XI. Lorsque la fortune inconstante Te retire ses dons par un bizarre jeu, Reçois de chaque jour le peu qu'il te présente, Et vis satisfait de ce peu. XII. Cherche dans une femme un esprit sociable, Et ne l’épouse pas pour de vils intérêts ; Ou si, d'humeur insupportable, Elle veut te quitter, ne la retiens jamais. XIII. D'autrui l'exemple est nécessaire, Pour voir ce qui convient dans les occasions, Ignorant ce qu'il faut ou faire ou ne pas faire, De ce maître savant suis les instructions. XIV. Consulte ton pouvoir plutôt que ton courage, Lorsqu'à quelque travail tu prétends t'adonner ; De peur de succomber sous le poids de l'ouvrage, Contraint de tout abandonner. XV. Si quelqu'un pèche en ta présence, Reprends-le ouvertement, bien loin de le flatter, On pourrait croire à ton silence Que tu souffres un mal que tu veux imiter. XVI. Si l'abus d'une loi t'est préjudiciable Va d'un juge éclairé rechercher la faveur : Les lois veulent souvent qu'un droit plus équitable Règle de leurs décrets la trop grande rigueur. XVII. Supporte sans impatience Le mal que tu connais avoir bien mérité: Te sentant criminel, ta propre conscience Doit décerner la peine avec sévérité. XVIII. Lis beaucoup, lis sans fin ; mais cherchant à t'instruire, A tout auteur sans choix ne vas pas te livrer : Souvent en vers on ose dire Des choses que l’on doit moins croire qu'admirer. XIX. Parmi les conviés, étant assis à table, Ne t'y montre point trop joyeux, De crainte qu'affectant de paraître agréable, Tu ne passes plutôt pour causeur ennuyeux. XX. Ne crains point les transports du courroux d'une femme Qui fait par ses discours éclater ses fureurs ; Mais crains quelque secrète trame, Lorsque pour te fléchir elle a recours aux pleurs. XXI. Placé par la fortune au sein de l'abondance, Use des biens, mais sans abus, Pour n'être pas contraint, par ta folle dépense, D'en chercher chez autrui quand tu n'en auras plus. XXII. Si tu veux de la mort ne point craindre l'image, Pense qu'elle doit mettre un terme à tes travaux: Si nul bien ne vient d'elle, elle a cet avantage, Qu'elle est au moins la fin des maux. XXIII. Supporte les discours d’une femme en colère, Si d'ailleurs par ses soins tu vois tout réussir : C'est un défaut bien grand de ne pouvoir te taire, Et de ne vouloir rien souffrir. XXIV. Montre envers père et mère une piété tendre, Rends à tous deux même devoir: Que l’amour paternel n'empêche point de rendre Les soins que pour sa mère un bon fils doit avoir.