[48,0] LIVRE QUARANTE-HUITIÈME. Matières contenues dans le quarante-huitième livre de l'Histoire romaine de Dion. Comment César fit la guerre à Fulvie et à Lucius Antoine, § 1-16. Comment Sextus Pompée occupa la Sicile. § 17-28. Comment les Parthes occupèrent tout le pays jusqu'à l'Hellespont, § 24-26. Comment César et Antoine traitèrent avec Sextus, § 27-38. Comment P. Ventidius vainquit les Parthes et recouvra l'Asie, § 39-42. Comment César commença à faire la guerre à Sextus, § 43-48. Sur Baïes, § 49-54. Espace de temps : cinq années, pendant lesquelles les consuls furent : Lucius Antoine Piétas, fils de Marcus, et P. Servilius Isauricus, fils de Publius. Cnéius Domitius Calvinus, fils de Marcus, consul II, et C. Asinius Pollion, fils de Cnéius. L. Martius et C. Calvisius Sabinus. Appius Claudius Pulcher, fils de Caius, et C. Norbanus Flaccus, fils de Caïus. M. Vipsanius Agrippa, fils de Lucius, et L. Caninius Gallus, fils de Lucius. [48,1] C'est ainsi que finirent Brutus et Cassius, percés des mêmes glaives dont ils avaient abusé contre César; le reste de ceux qui avaient pris part à la conspiration furent, les uns auparavant, les autres alors, d'autres plus tard, mis a mort, à un très petit nombre d'exceptions près, comme le comportait la justice, et suivant la façon dont la volonté des dieux conduisit les événements a l'égard des meurtriers d'un homme qui avait été leur bienfaiteur et qui s'était élevé à un si haut degré de vertu et de fortune. César et Antoine s'attribuèrent, dans le moment, la supériorité sur Lépidus, attendu qu'il n'avait pas eu de part à leur victoire, mais ils devaient, peu de temps après, se retourner l'un contre l'autre. Il était difficile, en effet, que trois hommes, ou même deux, égaux en honneur, devenus par la guerre maîtres d'une si grande puissance, s'entendissent ensemble. C'est pour cette raison que tout ce qu'ils firent jusqu'à ce moment d'un commun accord, en vue de renverser le parti opposé, ils commencèrent à en faire dès lors, à l'égard les uns des autres, le prix de leur ambition. Ainsi ils se partagèrent immédiatement l'empire : César eut l'Espagne et la Numidie; Antoine, la Gaule et l'Afrique : ils convinrent, de plus, que si Lépidus se montrait irrité de ce partage, on lui céderait l'Afrique. [48,2] Ces contrées furent les seules qu'ils tirèrent au sort, parce que la Sardaigne et la Sicile étaient encore occupées par Sextus, et les pays en dehors de l'Italie remplis de troubles. Je n'ai pas besoin de dire que cette dernière contrée resta toujours en dehors dans ces sortes de partages: en effet, à en croire leurs discours, ce n'était pas pour sa possession, mais pour ses intérêts qu'ils combattaient. Laissant donc ces pays en commun, Antoine se chargea de pacifier ceux qui avaient pris part à la guerre et de ramasser l'argent nécessaire pour payer les sommes promises aux soldats: César, de réprimer Lépidus, s'il tentait quelque mouvement: de faire la guerre contre Sextus, et de distribuer aux vétérans qui avaient combattu pour eux les terres qu'ils s'étaient engagés à leur donner; puis, ils les licencièrent aussitôt. De plus, César laissa Antoine emmener deux de ses légions: celui-ci lui promit de lui en donner en remplacement deux autres qui étaient alors en Italie. Après être en leur particulier convenu de ces conditions, les avoir écrites et y avoir imprimé leur seing, ils échangèrent entre eux leurs reconnaissances pour s'assurer réciproquement des preuves en cas d'infraction : après cela, Antoine partit pour l'Asie, et César pour l'Italie. [48,3] Dans le trajet et pendant la traversée, il fut saisi par la maladie avec une telle violence que, dans Rome, on alla jusqu'à croire qu'il était mort. Cependant on pensait généralement que c'était moins sa santé qui causait ses retards que les apprêts de quelque méchant coup, et, par suite, on s'attendait à subir toutes les calamités imaginables. On ne laissa pas, néanmoins, outre les honneurs sans nombre décernés en commun aux triumvirs à l'occasion de leur victoire, honneurs qu'on aurait rendus à leurs adversaires s'ils avaient eu l'avantage (tout le monde, en pareilles circonstances, attaque le parti vaincu et prodigue les honneurs au vainqueur), de décréter, bien malgré soi, des supplications à remplir presque toute l'année; César, en effet, les avait ouvertement ordonnées en actions de grâces de la punition des meurtriers. Comme il tardait, des bruits de toute espèce coururent parmi le peuple et y produisirent des sentiments fort divers. Les uns, en effet, répandaient qu'il était mort, et ainsi causaient de la joie à bien des gens; d'autres, qu'il méditait quelque attentat, et inspiraient des craintes à un grand nombre. Aussi, une partie des citoyens cachait ses richesses et se tenait sur ses gardes, une partie cherchait où fuir. D'autres, et c'étaient les plus nombreux, ne pouvant respirer, tant leur crainte était forte, se croyaient perdus corps et biens. La quantité de ceux qui avaient confiance était fort restreinte et fort petite: tant de désastres divers avaient frappé les hommes et les fortunes que, les triumvirs l'emportant, il n'y avait aucun malheur semblable ou pire encore auquel on ne s'attendît. C'est pourquoi César, qui craignait que la présence de Lépidus n'excitât quelque nouveau trouble, écrivit au sénat pour l'exhorter a prendre confiance et lui promettre de se conduire en toutes choses avec clémence et humanité, suivant l'exemple de son père. Tels étaient les événements qui se passaient alors. [48,4] L'année suivante, furent consuls : de nom, P. Servilius et Lucius Antoine; en réalité, César et Fulvie. Belle-mère de César et femme d'Antoine, Fulvie ne s'inquiétait en rien de Lépidus, à cause de son indolence, et dirigeait seule les affaires, de telle sorte que ni le sénat ni le peuple ne décidaient rien contre son gré. Ainsi Lucius ayant ardemment désiré triompher de certains peuples des Alpes comme s'il les eût vaincus, tant que Fulvie s'y opposa, personne n'y consentit: mais une fois que, cédant a ses assiduités, elle eut accordé la permission, tous décernèrent cet honneur au consul, en sorte que si, en apparence, ce fut Antoine (il n'avait rien fait qui méritât le triomphe, ni même exercé aucun commandement dans ces contrées), ce fut, en réalité, Fulvie qui reçut les honneurs et le triomphe pour les peuples qu'Antoine prétendait avoir vaincus. Aussi s'en montrait-elle, et à juste titre, bien plus fière que lui : car accorder à quelqu'un la permission de triompher, c'était plus que de célébrer les fêtes d'un triomphe qu'on tient d'un autre. Si ce n'est que Lucius se revêtit de la toge, monta sur le char de triomphe, et accomplit les cérémonies usitées en pareilles circonstances, Fulvie sembla se servir de son ministère pour présider à cette solennité. Ce triomphe eut lieu le premier jour de l'année. Lucius, en raison de cette coïncidence, se vanta d'être l'égal de Marius, parce qu'il avait obtenu son triomphe au commencement même de l'année où il était consul pour la première fois ; bien mieux, il se mettait au-dessus de lui, prétendant que, lui, il avait volontairement déposé les ornements du triomphe et qu'il avait, revêtu de la toge, assemblé le sénat, tandis que Marius ne l'avait fait qu'à regret. II ajoutait qu'on avait à peine donné une ou deux couronnes à Marius, au lieu que lui, il en avait, entre autres, reçu du peuple une par tribu, chose qui n'était arrivée à personne auparavant, tout cela grâce à Fulvie et à l'argent quelle avait secrètement distribué. [48,5] Cette année-là, César vint a Rome, et, après avoir accompli les cérémonies légales relativement à sa victoire, il tourna ses vues vers la direction et l'administration des affaires. Lépidus, en effet, moitié par crainte de César, moitié par faiblesse de caractère, s'était abstenu de toute innovation. Quant à Lucius et à Fulvie, comme ils avaient avec lui des liens de parenté et partageaient avec lui l'autorité, ils restèrent tranquilles dans les premiers moments. Plus tard, en effet, ils se divisèrent : Lucius et Fulvie, parce qu'ils n'avaient pas eu dans la distribution des terres la part qui revenait à Antoine; César, parce qu'il n'avait pas reçu d'eux les légions promises. Par suite de ces différends, les liens résultant du mariage furent dissous, et on en vint à une guerre ouverte. César, ne supportant pas l'humeur altière de sa belle-mère (c'était avec elle plus qu'avec Antoine qu'il voulait paraître en désaccord), lui renvoya sa fille comme si elle était encore vierge, chose qu'il affirma par serment, sans s'inquiéter en rien si l'on croirait à la virginité d'une femme demeurée si longtemps chez lui, ou s'il ne passerait pas pour avoir arrêté depuis longtemps cette résolution afin de se ménager l'avenir. Après la répudiation, il n'y eut plus d'amitié entre eux; Lucius, secondé par Fulvie, s'empara des affaires sous le prétexte de prendre les intérêts de Marc Antoine, et ne fit aucune concession (dans son amour pour son frère il s'était attribué à lui-même le surnom de Pietas) ; César n'en faisait nullement retomber la faute sur Marcus, de peur de mettre les armes aux mains d'un homme qui administrait les provinces d'Asie : il n'accusait que Lucius et Fulvie, et s'opposait à leurs résolutions comme s'ils agissaient en tout contrairement aux intentions de Marcus et désiraient dominer pour leur compte. [48,6] Les uns et les autres mettaient dans la distribution des terres leur plus grand espoir de puissance, et c'est pour cela qu'ils en firent leur premier motif de dissension. César voulait, conformément aux conventions arrêtées à la suite de la victoire, faire lui-même le partage à ses propres soldats et à ceux d'Antoine, afin de s'attirer leur faveur; Lucius et Fulvie prétendaient assigner aux leurs la part qui leur revenait et envoyer eux-mêmes les colonies dans les villes, afin de se les attacher du même coup. Les uns et les autres, en effet, regardaient comme le moyen le plus expéditif de donner à ceux qui avaient combattu pour eux les biens de ceux qui n'avaient pas d'armes. Mais comme, contrairement à leur opinion, il s'éleva un grand tumulte et que la guerre menaçait (car, d'abord, dans toute l'Italie, à la réserve des portions possédées par quelques vétérans, qui les avaient soit reçues comme récompense, soit achetées de l'Etat, César enlevait aux maîtres leurs terres avec leurs esclaves et tout le reste de leur mobilier pour en faire don aux soldats; ce qui donnait lieu, de la part des citoyens dépouillés, à une violente irritation contre lui). Fulvie et le consul changèrent de conduite, espérant trouver une ressource plus grande dans les victimes de cette mesure : ils négligèrent ceux qui devaient recevoir des terres pour tourner leurs vues du côté des citoyens, plus nombreux, qui, pour avoir été dépouillés, faisaient éclater une juste colère. C'est pourquoi, les prenant sous leur protection, ils prêtèrent leur aide à chacun d'eux et en formèrent une ligue, de telle sorte que ceux qui, auparavant, redoutaient César, maintenant qu'ils se sentaient soutenus, reprirent courage, et ne cédèrent plus rien de ce qui leur appartenait, croyant cette conduite approuvée aussi de Marcus. [48,7] Ainsi Lucius et Fulvie attiraient à eux les citoyens sans offenser en rien les partisans de César. Ils ne contestaient pas, en effet, l'obligation de distribuer des terres, mais ils prétendaient que celles de leurs adversaires étaient suffisantes, surtout vu qu'ils indiquaient des biens et des meubles, les uns maintenant encore disponibles, les autres vendus, dont il fallait, disaient-ils, donner aux soldats les uns en nature, les autres en argent. Si ces ressources ne suffisaient pas, ils tenaient tous les esprits en suspens par l'espoir de ce qui devait venir d'Asie. Ces manœuvres eurent pour résultat de faire promptement encourir à César, qui dépouillait violemment les possesseurs de leurs biens et exposait tout le monde également à des fatigues et à des dangers, le mécontentement des deux partis: tandis que Lucius et Fulvie, qui ne dépouillaient personne, et qui se faisaient fort de remplir avec les ressources existantes leurs promesses envers ceux qui devaient avoir part à la distribution, se concilièrent les uns et les autres. Cette conduite, surtout quand, la mer étant fermée du côté de la Sicile par Sextus, et dans le golfe Ionique par Cnéius Domitius Ahénobarbus, on était vivement pressé par la famine, mettait César dans un grand embarras. Domitius, en effet, était un des meurtriers; après s'être échappé de la bataille de Philippes, il rassembla une flotte assez considérable, domina quelque temps sur le golfe et fit beaucoup de mal à ses ennemis. [48,8] César était vivement affligé de ces menées, et aussi de ce que, dans les disputes qui survenaient entre les soldats, les sénateurs et la foule des possesseurs de terres (il s'en élevait fréquemment, en effet, attendu qu'il y allait des intérêts les plus grands), il y avait danger pour lui à prendre parti pour les uns ou pour les autres. Il lui était impossible de faire plaisir à tous à la fois : les uns voulaient commettre des violences, les autres ne rien souffrir; les uns s'emparer des biens d'autrui, les autres conserver ce qui leur appartenait. Toutes les fois donc que, suivant la nécessité des circonstances, il prêterait soit ceux-ci, soit ceux-là, il encourait la haine des autres, et recueillait moins de reconnaissance pour les services qu'il rendait que de ressentiment pour ce qu'il n'accordait pas. Les uns, en effet, recevant tout ce qu'on leur donnait comme chose qui leur était due, ne tenaient nul compte du bienfait: les autres n'étaient pas moins irrités que si on les eût dépouillés de leur bien. Aussi offensait-il continuellement l'un ou l'autre parti, accusé tantôt de favoriser le peuple, tantôt de favoriser les soldats. Comme ces alternatives n'avançaient rien, et l'expérience d'ailleurs lui faisant reconnaître que les armes ne pouvaient lui concilier la faveur de ceux qu'il offensait; qu'elles lui fournissaient bien un moyen d'anéantir tout ce qui résisterait, mais qu'il n'était pas en leur pouvoir de le faire aimer de qui ne voulait pas; il se décida, malgré lui, à renoncer à ses projets, et n'enleva plus rien aux sénateurs (son intention était d'abord de tout distribuer aux soldats, même les possessions des sénateurs, à qui il demandait : « Comment enfin récompenserons-nous ceux qui nous ont servis ? » comme si on lui avait ordonné de faire la guerre ou de tant promettre); quant au reste, tout ce qui servait d'hypothèque à des dots de femmes, toute possession moindre que la quantité de terre donnée à chacun des vétérans, il s'abstint d'y toucher. [48,9] Cette conduite inspira au sénat et à ceux qui échappaient aux spoliations des sentiments assez bienveillants à son égard ; mais, d'un autre côté, les soldats, ne voyant dans ces ménagements et cet honneur accordés aux citoyens qu'un déshonneur et un dommage pour eux-mêmes, comme si on allait leur donner moins, s'exaspérèrent et mirent à mort plusieurs centurions et soldats qui, favorables à César, cherchaient à réprimer leur sédition; peu s'en fallut qu'ils ne tuassent César lui-même, se faisant de tout un prétexte suffisant pour se mutiner. Leur irritation ne s'arrêta que lorsqu'un eut concédé à leurs proches, ainsi qu'aux pères et aux enfants de ceux qui étaient tombés sur les champs de bataille, toutes les terres qu'ils se trouvaient posséder. Par suite de cette mesure, les dispositions des soldats lui redevinrent favorables : mais, pour la même raison, le peuple laissa de nouveau éclater son mécontentement. On en vint aux mains, et des conflits fréquents furent engagés, de sorte que, de part et d'autre pareillement, il y eut beaucoup de blessés et de tués. Les uns, en effet, avaient la supériorité, grâce aux armes et à l'expérience de la guerre; les autres, grâce à leur nombre et aux traits qu'ils lançaient du haut de leurs toits; ce qui fit qu'un grand nombre de maisons furent brûlées, et que remise d'une année entière de location fut accordée, jusqu'à concurrence de cinq cents drachmes dans Rome et jusqu'à concurrence du quart de cette somme dans le reste de l'Italie. De même, dans toutes les villes, partout où ils se rencontraient, il y avait bataille. [48,10] Pendant que ces événements se passaient de la sorte, les soldats envoyés en avant en Espagne par César excitèrent quelque trouble dans Placentia, et ne rentrèrent dans l'ordre qu'après avoir reçu de l'argent des habitants du pays; de plus, Calénus et Ventidius, gouverneurs de la Gaule Transalpine, les empêchèrent de franchir ces montagnes; César craignit alors un échec, et voulut se réconcilier avec Fulvie et le consul. Les messages qu'il leur envoyait en son propre et privé nom n'avançant à rien, il alla trouver les Vétérans et traita par leur intermédiaire. Cette démarche enhardit Lucius et Fulvie : ils réunirent à leur parti tous ceux qui avaient été dépouillés de leurs terres : Lucius allait de tout côté, les formant en ligue et les détachant de César; Fulvie se saisit de Préneste, et, entourée de sénateurs et de chevaliers qui lui servaient d'auxiliaires, elle délibérait avec eux sur toutes les affaires et envoyait des ordres partout où besoin était. Comment, d'ailleurs, s'en étonner, quand elle ceignait l'épée, donnait le mot d'ordre aux soldats, et souvent les haranguait, de manière à faire, en ces choses même, échec à César? [48,11] Cependant, comme il n'usait nul moyen de les renverser (il était moins puissant qu'eux et il avait bien moins encore la faveur générale, car il causait de la peine à beaucoup, tandis qu'eux, ils donnaient espoir à tous), il les engagea plusieurs fois en son privé nom, par l'intermédiaire d'amis, à se réconcilier avec lui; mais, n'obtenant rien, il leur envoya des députés choisis parmi les vétérans. Il se flattait surtout d'obtenir ce qu'il demandait, de mettre ordre au présent, et d'être, par suite, en état de leur résister à l'avenir; s'il était refusé, ce ne serait pas lui, mais eux qui seraient accusés de cette division. C'est ce qui arriva. N'avant obtenu aucun résultat, même avec l'entremise des soldats, il députa des sénateurs, à qui il montra ses conventions avec Antoine, et qu'il fit juges du différend. Comme même alors rien ne se fit, (tantôt on incitait en avant une foule de conditions que César ne devait pas exécuter, tantôt on prétendait tenir une conduite de tous points conforme aux prescriptions de Marc Antoine), César alla de nouveau trouver les vétérans. [48,12] Ceux-ci s'étant donc, après cela, rendus en grand nombre à Rome comme pour faire une communication au peuple et au sénat, ne s'en mirent nullement en peine; réunis dans le Capitole, ils se firent lire les conventions intervenues entre Antoine et César, les confirmèrent, et se portèrent juges du différend. Ils écrivirent cette décision sur des tablettes scellées qu'ils remirent aux Vestales, et signifièrent tant à César, qui était présent, qu'aux autres, par le ministère de députés, d'avoir à se trouver au jour dit à Gabies pour y être jugés. César s'étant montré disposé à s'en rapporter à leur jugement, et ses adversaires, après avoir promis de se présenter, ayant fait défaut, soit par crainte, soit aussi par mépris (ils leur donnaient, entre autres railleries, le nom de sénat Galigat, à cause des chaussures militaires qu'ils portaient), les vétérans prononcèrent que Lucius et Fulvie avaient agi injustement et prirent parti pour César. Dès lors, après avoir plusieurs fois renouvelé leurs délibérations, ils entreprirent de nouveau la guerre, et s'y préparèrent activement. Ils recueillirent de l'argent de toutes parts, même des temples. En effet, les offrandes et tous les objets pouvant être convertis en argent, qui existaient soit dans la partie de l'Italie soumise à leur pouvoir, soit à Rome même, furent enlevés par eux. La Gaule Togata, qui déjà faisait partie de la préfecture d'Italie, en sorte que personne, autre que les triumvirs, n'entretenait, à titre de gouverneur de cette province, de soldats en deçà des Alpes, leur fournit des hommes et de l'argent. [48,13] Tandis que César faisait ses préparatifs, Fulvie et Lucius se procuraient des ressources et rassemblaient leurs troupes. Dans l'intervalle, les uns et les autres traitaient par ambassadeurs et envoyaient partout des soldats et des tribuns militaires; tantôt ils arrivaient à temps pour réussir, tantôt ils échouaient. Je passerai sous silence la plupart des faits qui ne présentent rien de grand ni d'intéressant, et je me contenterai de raconter brièvement ceux qui offrent le plus d'importance. César, dans une expédition contre Nursia, dans le pays des Sabins, mit en fuite les postes avancés, mais il échoua contre la ville, défendue par Tisiénus Gallus. A la suite d'une marche en arrière dans l'Ombrie, il vint mettre le siège devant Sentinum sans réussir à la prendre; car, dans l'intervalle, Lucius ayant d'abord, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, secrètement envoyé à Rome des soldats à ses amis, puis étant lui-même survenu tout à coup, après avoir vaincu la cavalerie qui s'avançait à sa rencontre, avoir refoulé l'infanterie dans les murs et pris la ville à l'aide des soldats qui, envoyés par lui à l'avance, se jetèrent sur les défenseurs du dedans, sans que Lépidus, à qui la garde de la ville était confiée, fit, par suite de son indolence naturelle, rien pour s'y opposer, non plus que le consul Servilius, trop ami du repos; César, quand il en fut instruit, laissa Q. Salvidiénus Rufus devant Sentinum, et se dirigea en personne sur Rome. A la nouvelle de son arrivée, Lucius sortit au-devant de lui, après avoir fait décréter qu'il marcherait contre César comme on marche à la guerre, et harangua le peuple en habit militaire, ce qu'aucun autre n'avait fait avant lui. Quoi qu'il en soit, César fut reçu dans Rome sans coup férir, et, après avoir poursuivi Lucius sans pouvoir l'atteindre, il revint sur ses pas et renforça la garnison. Sur ces entrefaites, Rufus, aussitôt que César se fut éloigné de Sentinum et que C. Furnius, qui avait la garde des remparts, fut sorti au loin à sa poursuite, fondit à l'improviste sur ceux qui étaient dans l'intérieur de la ville, et, après l'avoir prise, la pilla et la livra aux flammes. Quant aux Nursiniens, ils capitulèrent avant d'éprouver aucun dommage: cependant, comme, en donnant la sépulture aux soldats morts dans la bataille livrée par eux à César, ils avaient gravé sur leurs monuments qu'ils étaient morts en combattant pour la liberté, ils furent punis d'une amende tellement forte qu'ils en abandonnèrent leur ville et tout leur territoire. Voila ce qui se faisait. [48,14] Lucius alors, au sortir de Rome, partit pour la Gaule, mais, arrêté en chemin, il se dirigea sur Péruse, ville d'Étrurie; là, les lieutenants de César d'abord, puis César lui-même, vinrent l'assiéger. Le siège se prolongeant (la place était naturellement forte et suffisamment approvisionnée, et les cavaliers envoyés par Lucius ayant l'entier investissement causaient beaucoup de mal à César; elle était, en outre, vigoureusement défendue par une foule d'auxiliaires venus de divers côtés), il y eut plusieurs combats tant contre chacun de ces corps auxiliaires qu'au pied des remparts; jusqu'au moment où, bien qu'avant presque toujours eu la supériorité, les partisans de Lucius furent pris par famine. Lucius et quelques autres obtinrent l'impunité, mais la plupart des sénateurs et des chevaliers furent mis à mort. Suivant la tradition, leur mort ne fut pas une mort ordinaire : menés à l'autel consacré au premier César, trois cents chevaliers et des sénateurs, au nombre desquels était Tibérius Canutius (le même qui, autrefois, étant tribun, avait convoqué le peuple en faveur d'Octavien), y furent offerts en sacrifice. La plupart des Pérusiens et des autres qui furent pris avec eux périrent, et la ville elle-même, à l'exception du temple de Vulcain et de la statue de Junon, fut tout entière livrée aux flammes. Cette statue, qui dut son salut, pour ainsi dire, au hasard, fut transportée à Rome à cause d'un songe qu'eut César, et salut à ceux qui le voulurent la permission d'habiter la ville comme colons, sans toutefois qu'il leur fût accordé plus de sept stades et demi de terrain. [48,15] La prise de cette ville, qui eut lieu sous le second consulat de Cnéius Calvinus et le premier d'Asinius Pollion, eut pour résultat de faire passer, partie de bon gré, partie de force, le reste de l'Italie du côté de César; Fulvie s'enfuit, pour cette raison, avec ses enfants, auprès de son mari, tandis qu'un grand nombre de ses principaux partisans se retirèrent, les uns vers Antoine, les autres vers Sextus, en Sicile. Julie, mère des Antoines, se rendit d'abord dans cette contrée, où elle reçut un accueil tout amical de la part de Sextus, qui ensuite l'envoya, avec des ambassadeurs, porter à son fils des ouvertures de paix. Parmi les fugitifs qui alors quittèrent l'Italie pour aller rejoindre Antoine, se trouvait Claudius Tibérius Néron. Il commandait une garnison dans la Campanie; quand César eut le dessus, il partit avec sa femme, Livia Drusilla et avec son fils, Tibérius Claudius Néron, ce qui donna lieu à une chose des plus étranges : car cette même Livie, qui alors fuyait César, l'épousa dans la suite et ce même Tibère, qui alors s'échappait avec ses parents, fut son successeur à l'empire. Mais cela n'eut lieu que plus tard. [48,16] Pour le moment, les habitants de Rome reprirent les habits de paix (ils les avaient quittés sans décret, contraints par le peuple), célébrèrent des fêtes, ramenèrent dans la ville César revêtu de la toge triomphale, et l'honorèrent d'une couronne qu'il devait porter dans toutes les occasions où ceux qui ont obtenu le triomphe avaient coutume d'en user. César, après avoir terminé les affaires d'Italie et délivré le golfe d'Ionie (Domitius, désespérant d'être désormais assez fort à lui seul, avait fait voile vers Antoine), se préparait à marcher contre Sextus; mais, instruit de sa puissance et des communications qu'il avait eues avec Antoine par l'entremise de sa mère et d'ambassadeurs, il craignit d'avoir à les combattre tous les deux à la fois, et, jugeant Sextus plus fidèle et, peut-être aussi, plus puissant qu'Antoine, il lui envoya sa mère Mucia, et épousa la sœur de L. Scribonius Libon, son beau-père, pour tacher de se concilier son amitié par ce bienfait et par cette alliance. [48,17] Sextus, qui, conformément à ses conventions avec Lépidus, avait évacué l'Espagne et reçu, peu de temps après, le commandement de la flotte, en avait été dépouillé par César; continuant néanmoins à garder la flotte, il osa faire voile contre l'Italie. Mais, voyant que César en était déjà maître, instruit, d'ailleurs, qu'il était lui-même compris dans la condamnation des meurtriers du père de César, il se tint loin du continent, et, côtoyant les îles, il attendait avec anxiété et pourvoyait à sa subsistance sans commettre aucune déprédation ; car, comme il n'avait eu aucune part au meurtre, il espérait être rappelé par César lui-même. Lorsque cependant son nom eut été affiché sur les listes et qu'il sut que sa tête était à prix, il désespéra d'obtenir son retour par César, et fit ses préparatifs de guerre. Il se mit a construire des trirèmes, il accueillit les fugitifs, s'associa les pirates et prit les exilés sous sa protection. Par cette manière d'agir, il ne tarda pas à être puissant et maître de la mer qui baigne l'Italie : il entrait dans les ports, emmenait les vaisseaux et exerçait des rapines. Ces expéditions ayant réussi au point de lui procurer et des soldats et de l'argent, il fit voile pour la Sicile, où il s'empara de Myles et de Tyndaris sans coup férir, mais fut repoussé de Messine par Pompéius Bithynicus, alors gouverneur de Sicile. Cependant il ne s'éloigna pas complètement de cette ville; et, à force de faire des incursions sur son territoire, de lui couper les vivres, et d'amener à son parti, parmi ceux qui venaient au secours de la place, les uns par la crainte d'éprouver le sort des Messéniens, les autres par les pertes qu'il leur fit éprouver dans une embuscade, il se rendit maître du questeur et de son argent, et finit par prendre Messine et Bithynicus lui-même, qui capitula sous la condition de partager avec lui le commandement sur le pied de l'égalité. Sextus ne fit pour lors aucun mal à Bithynicus; quant aux Messéniens, il leur enleva leurs armes et leur argent. Après cela, il soumit Syracuse et quelques autres villes, d'où il ramassa un grand nombre de soldats et une flotte puissante: Q. Cornificius aussi lui envoya quelques troupes d'Afrique. Ce fut ainsi que Sextus accrut ses forces. [48,18] César, jusque-là, n'avait pris aucune attention à Sextus, tant par dédain pour lui que par suite de l'embarras où l'avaient mis les événements: mais, quand la famine eut enlevé à Rome une foule d'habitants et que Sextus eut fait une tentative contre l'Italie, alors il commença à équiper une flotte, et envoya en avant à Rhegium Salvidiénus Rufus avec de nombreuses troupes. Celui-ci chassa Sextus de l'Italie, et, après la retraite de l'ennemi en Sicile, essaya de construire, à l'imitation de ceux qui naviguent sur l'Océan, des bateaux de cuir, qu'il soutenait intérieurement par de légères pièces de bois, tendant sur l'extérieur un cuir de bœuf cru, en forme de bouclier sphérique. Mais, ayant fait rire de lui, et croyant qu'il était dangereux d'essayer de s'en servir pour traverser le détroit, il renonça à ces bateaux et affronta le passage avec la flotte, qui était équipée et qui l'avait rejoint, mais il ne put l'effectuer. En effet, le nombre et la dimension de ses vaisseaux le cédaient de beaucoup à l'habileté et à l'audace de ses adversaires. César, qui vit de ses yeux ce combat, la chose s'étant passée à l'époque de son expédition en Macédoine, fut vivement affligé de cet échec, surtout a la suite d'un premier engagement. Aussi n'osa-t-il plus, bien que la majeure partie de sa flotte eût été sauvée, essayer de forcer le passage; et, après avoir fait secrètement plusieurs tentatives, dans l'espoir qu'une fois descendu dans l'île, ses troupes de terre lui assureraient infailliblement une grande supériorité. Voyant qu'il n'obtenait aucun résultat à cause des forces qui la couvraient de toutes parts, il confia à d'autres le soin de veiller à la Sicile, pour se rendre lui-même auprès d'Antoine à Brindes, d'où, avec le secours de ses vaisseaux, il traversa la mer Ionienne. [48,19] Sextus devint par là maître de l'île entière, et fit mourir Bithynicus, sous prétexte qu'il avait conspiré contre lui ; il donna des spectacles comme après une victoire et fit livrer par les captifs, sur le détroit, en face même de Rhégium, de manière à être vu de ses adversaires, un combat naval où il mettait aux prises, pour se moquer de Rufus, des bateaux de bois contre des bateaux de cuir. Ensuite, il construisit des vaisseaux en grand nombre, établit sa domination sur tout le littoral, et poussa la présomption et l'orgueil jusqu'à se regarder comme fils de Neptune, parce que son père avait eu autrefois le commandement sur toute l'étendue de la mer. Voilà ce qu'il fit tant que le parti de Cassius et celui de Brutus furent encore debout; eux morts, plusieurs de leurs partisans, entre autres L. Statius, se réfugièrent près de lui. Sextus l'accueillit d'abord avec joie (Statius amenait avec lui le corps qu'il commandait), mais ensuite, voyant en lui un homme d'action et de sentiments élevés, il le fit mourir sous prétexte de trahison. A partir de ce moment, s'étant mis à la tête de la flotte de Statius et d'une multitude d'esclaves qui accouraient d'Italie, il accrut considérablement sa puissance. En effet, le nombre des fugitifs était tel que les Vestales, dans les sacrifices, demandaient aux dieux d'arrêter cette désertion. [48,20] Ce fut pour ces motifs, et aussi parce qu'il accueillait les fugitifs, recherchait l'amitié d'Antoine et ravageait une partie de l'Italie, que César désira se réconcilier avec Sextus; mais, ayant échoué dans cette tentative, il donna ordre à M. Vipsanius Agrippa de lui faire la guerre, et partit lui-même pour la Gaule. Instruit de ce départ, Sextus épia le moment où Agrippa était occupé aux jeux Apollinaires. Agrippa, en effet, était préteur, et, entre autres magnificences qu'il déploya, comme intime ami de César, il célébra pendant deux jours les jeux du cirque, et eut l'honneur de faire donner par les enfants patriciens la cavalcade appelée Troie. Pendant ce temps, Sextus passa en Italie, et continua d'y exercer des ravages jusqu'à l'arrivée d'Agrippa ; laissant pour lors garnison dans quelques places fortes, il remit à la voile. Quant à César, il avait essayé auparavant, comme il a été dit plus haut, de s'emparer de la Gaule par des lieutenants: quoique n'ayant pu, jusqu'à ce moment, y réussir, à cause de Calénus et des autres partisans d'Antoine, il parvint alors a s'en rendre maître en personne, ayant trouvé Calénus mort de maladie et s'étant sans peine concilié ses légions. Sur ces entrefaites, voyant Lépidus irrité d'avoir perdu sa part de pouvoir, il l'envoya en Afrique, afin que, recevant cette province de lui seul, sans la participation d'Antoine, ses dispositions à son égard fussent plus bienveillantes. [48,21] Les Romains, je l'ai dit, avaient deux provinces dans cette partie de la Libye; elles étaient gouvernées, avant le triumvirat, la Numidie par T. Sextius, l'autre par Cornificius et par Décimus Lélius, partisans l'un d'Antoine, les autres de César. Sextius attendait qu'ils fissent une incursion dans son gouvernement, car ils avaient une armée bien plus considérable que la sienne, et il se préparait à les combattre sur son terrain. Comme ils hésitaient, il conçut pour eux du mépris; excité, en outre, par un bœuf qui, dit-on, lui parla en langue humaine et lui ordonna de poursuivre ses projets, et aussi par un songe où il crut entendre un taureau, enfoui dans la ville de Tucca, lui donner le conseil de faire déterrer sa tête et de la faire promener au bout d'une pique autour de son armée comme devant être pour lui un gage de victoire, il ne balança plus, surtout depuis qu'il eut trouvé le taureau à l'endroit indiqué par le songe, et il fit lui-même une invasion en Afrique. Tout d'abord, il prit Adrumète et quelques autres places qu'il attaqua à l'improviste; puis, à raison même de ce succès, ne se tenant pas sur ses gardes, il tomba dans une embuscade dressée par le questeur, et, après avoir perdu une grande partie de son armée, fit retraite en Numidie. Comme le hasard voulut que ce revers lui arrivât lorsqu'il n'avait pas avec lui la tête du taureau, il attribua sa défaite à cette circonstance, et prépara une nouvelle expédition. Dans l'intervalle, ses adversaires le prévinrent en faisant irruption dans sa province : ils assiégèrent Cirta, tandis que le questeur fondait sur lui avec sa cavalerie, et, après quelques avantages obtenus dans des engagements de cavalerie, amenait le questeur de Sextius à son parti. Ces événements accomplis, Sextius, renforcé par un nouveau secours, tenta une seconde fois la fortune, vainquit à son tour le questeur, et enferma dans ses retranchements Lélius, qui courait la campagne. Quant à Cornificius, qui venait à son secours, l'ayant trompé par la fausse nouvelle de la prise de Lélius, et jeté par là dans le découragement, il le défit et le tua, ainsi que Lélius, qui était sorti de ses lignes dans l'intention de tomber sur les derrières de l'ennemi. [48,22] A la suite de ces événements, il devint maître de l'Afrique, et gouverna les deux provinces sans être inquiété, jusqu'au moment où César, en ayant pris le gouvernement en vertu de son traité avec Antoine et Lépidus, y préposa C. Fuficius Phangon. Sextius alors sortit des provinces de son plein gré. Cependant, lorsque, après la bataille livrée à Brutus et Cassius, César et Antoine se furent partagé l'empire, et que, dans la Libye, César eut reçu la Numidie et Antoine l'Afrique (Lépidus, ainsi que je l'ai dit, n'avait que le nom de triumvir, et souvent même il n'en était pas fait mention dans les décrets) ; lors donc que ces événements furent arrivés, et qu'il eut reçu de Fulvie le conseil de s'emparer de l'Afrique (il avait prétexté l'hiver pour prolonger son séjour en Libye ; mais le véritable motif était la certitude qu'il s'y passerait quelque chose de nouveau), il ne put, il est vrai, décider Phangon à lui céder la province ; mais les habitants étaient fatigués de leur gouverneur (Phangon avait servi en qualité de mercenaire: or, je l'ai dit, beaucoup de gens de cette espèce avaient été introduits dans le sénat ; de plus, il les gouvernait mal), Sextius les mit de son parti. Phangon, par suite, se retira en Numidie où il châtia durement les Circéens, qui le méprisaient à cause de son désastre. Arabion, chef de quelques peuplades barbares du voisinage, qui, après avoir, au commencement, pris le parti de Lélius, était plus tard uni à Sextius, fut chassé de ses États pour lui avoir refusé son secours. Arabion s'étant réfugié auprès de Sextius, Phangon, qui le réclama sans l'obtenir, entra en colère, et, se jetant sur l'Afrique, ravagea une partie du pays. Sextius avant, à son tour, marché contre lui, il fut défait dans des engagements légers, mais répétés, et fit, pour cette raison, de nouveau retraite en Numidie. Sextius, qui s'était mis à sa poursuite, avait, surtout grâce à la cavalerie d'Arabion, l'espoir de le vaincre en peu de temps; mais, ayant conçu des soupçons contre Arabion et l'ayant tué perfidement, il ne fit plus rien alors ; car les cavaliers, irrités de la mort de leur chef, l'abandonnèrent, et la plupart d'entre eux se joignirent à Phangon. [48,23] Pour le moment, cependant, Phangon et Sextius, comme si tout prétexte de guerre entre eux avait disparu, conclurent amitié ensemble ; mais, dans la suite, Phaugon, ayant remarqué que, confiant dans le traité, Sextius ne se tenait pas sur ses gardes, fit une incursion en Afrique. Là tous les deux, dans un engagement, furent d'abord vainqueurs et vaincus (l'un obtint l'avantage par sa cavalerie numide, l'autre par ses légions romaines); en sorte que, de part et d'autre, les camps furent mutuellement pillés, sans que ni l'un ni l'autre eût connaissance de ce qui était arrivé à ses compagnons d'armes. Quand, au sortir du combat, ils s'aperçurent de ce qui s'était passé, ils en vinrent aux mains de nouveau, et, les Numides ayant pris la fuite, Phangon se réfugia sur les montagnes, où, la nuit, des buffles qui vinrent à passer près de là, lui firent croire que c'était la cavalerie ennemie, et il se tua. Sextius se rendit ainsi sans peine maître du reste de la province, et s'empara par famine de Zama, qui lui résistait depuis longtemps. A partir de ce moment, il commanda de nouveau aux deux provinces jusqu'à l'époque où Lépidus y fut envoyé. Sextius, soit pour se conformer à la décision d'Antoine, soit aussi parce qu'il était lui-même inférieur en forces, au lieu de rien faire contre lui, trouvant dans cette nécessité un moyen de se concilier Lépidus, se tint en repos. C'est ainsi que Lépidus se trouva maître des deux provinces. Voilà comment les choses se passèrent. [48,24] Vers le même temps, après la bataille de Philippes, Marc Antoine passa sur le continent asiatique, et là, parcourant lui-même certaines contrées, envoyant des agents dans d'autres, il rançonnait les villes et vendait les royautés. S'étant sur ces entrefaites épris de Cléopâtre, qu'il avait vue en Cilicie, il n'eut plus aucun souci de son honneur; il se fit l'esclave de l'Égyptienne et ne s'occupa que de son amour pour elle. Entre autres actes insensés que lui inspira cette passion, il fit mettre à mort les frères de cette femme, qu'il arracha du temple de Diane, à Éphèse. A la fin, laissant Plancus dans la province d'Asie, et Saxa dans celle de Syrie, il partit pour l'Égypte. Ce fut là surtout l'occasion de troubles nombreux; ainsi, les habitants de l'île d'Aradus refusèrent d'obtempérer aux ordres des agents qu'il avait envoyés pour lever des contributions, et, de plus, en mirent quelques-uns à mort. Les Parthes, déjà révoltés, s'acharnèrent alors bien plus encore coutre les Romains. Ils avaient pour chefs Labiénus et Pacorus, fils, l'un du roi Orodes, l'autre de T. Labiénus. Voici comment Labiénus vint chez les Parthes, et prêta, dans cette circonstance, son concours à Pacorus. Il combattait dans les rangs de Cassius et de Brutus; envoyé vers Orodes avant la bataille, pour en obtenir quelque secours, il fut longtemps tenu en suspens, avec dédain, par ce prince, qui, bien que n'avant pas l'intention de s'engager avec lui, craignait cependant de le refuser. Quand, ensuite, arriva la nouvelle de la défaite, comme les vainqueurs semblaient disposés à n'épargner aucun de ceux qui avaient porté les armes contre eux, il resta chez les Barbares, aimant mieux vivre parmi ces peuples que de périr dans sa patrie. Ce Labienus donc, aussitôt qu'il s'aperçut du relâchement d'Antoine, de sa passion et de son départ pour l'Égypte, persuada aux Parthes d'attaquer les Romains. Leurs armées, disait-il, étaient les unes complètement anéanties, les autres décimées; le reste était en récolte et en viendrait de nouveau à une guerre intestine. Ce fut pour ce motif qu'il conseilla au roi de subjuguer la Syrie et les contrées limitrophes tandis que César, en Italie, était occupé contre Sextus, et qu'Antoine, en Égypte, s'abandonnait à son amour. Il s'engagea donc à conduire la guerre, et promit d'amener la défection d'un grand nombre de peuples mal disposés pour les Romains, dont ils étaient continuellement maltraités. [48,25] Ces discours décidèrent à la guerre le roi, qui lui confia une armée nombreuse et son fils Pacorus. A la tête de ces forces, Labiénus se jeta sur la Phénicie. Il échoua dans son attaque contre les murs d'Apamée, mais obtint la reddition volontaire des garnisons placées dans le pays. Ces garnisons, en effet, étaient composées de soldats ayant combattu avec Cassius et Brutus ; Antoine les avait incorporées dans ses légions, et leur avait alors, à cause de leur connaissance du pays, donné la garde de la Syrie. Anciens camarades, Labiénus les amena facilement à lui, à l'exception toutefois de Saxa, qui les commandait en ce moment (frère du chef de l'armée et son questeur, il fut le seul qui ne passa pas à Labiénus); vainquit en bataille rangée, tant par le nombre que par la valeur de sa cavalerie, Saxa, leur chef, et le poursuivit ensuite, la nuit, tandis qu'il s'enfuyait de ses retranchements. Saxa, en effet, craignant que ses troupes, gagnées par les sollicitations de Labiénus, qui, au moyen de flèches, lançait des billets dans leur camp, n'embrassassent son parti, prit la fuite. Maître des soldats de son adversaire, Labiénus en fit périr le plus grand nombre; et, comme Saxa s'étant réfugié à Antioche, Apamée, qui le crut mort, cessa de résister, il s'empara de cette ville, et soumit ensuite Antioche, que Saxa venait de quitter. Enfin, après l'avoir poursuivi lui-même dans sa fuite en Cilicie et s'être emparé de sa personne, il le tua. [48,26] Saxa mort, Pacorus subjugua la Syrie, et la réduisit tout entière sous sa domination, à l'exception de Tyr; car le reste des Romains et ceux des habitants du pays qui étaient de leur parti s'en emparèrent d'abord, et ni la persuasion, ni la force (Pacorus n'avait pas de vaisseaux), ne purent rien contre eux. Cette portion resta donc imprenable. Quant à Pacorus, maître des autres parties, il envahit la Palestine, destitua Hyrcan, qui administrait alors cette province pour les Romains, et établit à sa place son frère Antigone gouverneur, suivant l'usage de cette nation. Labiénus, pendant ce temps, s'empara de la Cilicie et il se rattacha les villes continentales de l'Asie, (Plancus, effrayé, était passé dans les îles) à l'exception de Stratonicée, la plupart sans avoir à combattre; mais Mylassa et Alabanda furent prises de vive force. Les habitants, en effet, avaient accepté une garnison : mais, après l'avoir massacrée dans une fête, ils avaient fait défection. Aussi, après s'être rendu maître d'Alabanda, il livra ses habitants au supplice, et rasa Mylassa, qui avait été abandonnée. Quant à Stratonicée, il l'assiégea longtemps sans pouvoir en aucune façon l'emporter. Il leva des contributions dans le pays, pilla les temples et se décerna lui-même les titres d'Imperator et de Parthique, contrairement à la coutume des Romains; car c'était à ceux qu'il avait menés contre eux qu'il empruntait son surnom, comme si t'eût été des étrangers et non des concitoyens qu'il eût vaincus. [48,27] Antoine était instruit de ces événements, comme de ceux qui s'accomplissaient en Italie, car il n'en ignorait absolument aucun; cependant il ne sut aviser à rien en temps utile : enchaîné par l'amour et par l'ivresse, il ne songea ni à ses alliés ni à ses ennemis. Tant qu'il fut dans une position inférieure et qu'il aspira au premier rang, il tint son esprit tendu vers les affaires ; mais, une fois au pouvoir, il ne prit plus soin de rien, et s'abandonna à la mollesse avec Cléopâtre et les Égyptiens, jusqu'au moment où il fut complètement renversé. Contraint tardivement enfin de se réveiller, il fit voile pour Tyr, comme s'il allait marcher à son secours, mais, voyant le reste de la contrée déjà au pouvoir de l'ennemi, il abandonna Tyr, sous prétexte de la guerre contre Sextus, bien qu'il mit en avant les affaires des Parthes pour excuser sa lenteur à marcher contre lui. De la sorte, il ne secourut ni ses alliés, à cause de Sextus, ni l'Italie, à cause des Parthes; mais, longeant le continent jusqu'à l'Asie, il passa en Grèce, et là, dans une entrevue avec sa mère et sa femme, il déclara César ennemi public, et fit un traité d'amitié avec Sextus. Côtoyant ensuite l'Italie, il s'empara de Sipunte, et mit le siège devant Brindes, qui refusait de se rendre. [48,28] Pendant qu'Antoine était ainsi occupé, César, qui était déjà de retour de la Gaule, rassembla ses troupes, et envoya P. Servilius Rullus à Brindes, et Agrippa à Sipunte. Ce dernier emporta la ville de vive force; quant à Servilius, Antoine, fondant sur lui à l'improviste, lui tua un grand nombre de soldats et en amena un grand nombre à passer de son côté. Cette rupture des deux rivaux et les secours qu'ils envoyaient solliciter des villes et des vétérans dont ils pensaient avoir quelque aide, remplirent de nouveaux troubles l'Italie, et Rome surtout ; ceux-ci se rangèrent immédiatement au parti de l'un ou de l'autre ; ceux-là différèrent. Tandis que les chefs et ceux qui allaient combattre pour leur cause étaient en suspens, Fulvie mourut à Sicyone, où elle demeurait. On accusa Antoine d'avoir causé cette mort par son amour pour Cléopâtre et par les débordements de son amante. Quoi qu'il en soit, à la nouvelle de cette mort, on déposa les armes de part et d'autre, soit que réellement Fulvie eût été entre eux la première cause de la guerre, soit qu'ils se fissent de sa mort un prétexte pour cacher la crainte que leur inspirait mutuellement l'égalité de leurs forces et de leurs espérances. César eut alors en partage la Sardaigne et la Dalmatie, avec l'Espagne et la Gaule; Antoine eut tous les pays au-delà de la mer Ionienne qui, tant en Europe qu'en Asie, appartenaient à Rome; car Lépidus occupait la province de Libye, et Sextus la Sicile. [48,29] Ils divisèrent donc ainsi de nouveau l'empire entre eux, et s'associèrent pour faire la guerre à Sextus, bien qu'Antoine se fût, par l'intermédiaire de parlementaires, lié par serment avec lui contre César. Ce ne fut pas là la moindre raison qui décida César à accorder l'impunité à tous ceux qui, dans la guerre contre Lucius, frère d'Antoine, étaient passés à l'ennemi; et, parmi eux, à quelques-uns même des meurtriers, entre autres à Domitius, ainsi qu'à tous ceux qui avaient été portés sur les tables de proscription, ou même qui, après avoir combattu dans les rangs de Brutus et de Cassius, avaient, dans la suite, embrassé le parti d'Antoine. Telle est, en effet, l'inconséquence des séditions et des guerres : ceux qui sont aux affaires ne songent nullement à la justice; ils ne considèrent, dans l'amitié et dans la guerre, que leurs intérêts de chaque jour, et, par suite, voient dans les mêmes hommes, selon les circonstances, tantôt des ennemis, tantôt des amis. [48,30] Ces conventions arrêtées, à Brindes, dans leurs camps, ils se donnèrent réciproquement un festin, César à la manière d'un soldat et d'un Romain. Antoine à la manière d'un Asiatique et d'un Egyptien. Après cette apparente réconciliation, les soldats qui étaient alors avec César entourèrent Antoine, pour réclamer de lui l'argent qu'il leur avait promis à la bataille de Philippes, et qu'il était allé en Asie ramasser en aussi grande quantité que possible. Comme il ne leur donnait rien, ils en seraient venus à des voies de fait, si César ne les eût retenus en leur faisant prendre espoir. Les deux chefs envoyèrent ensuite dans les colonies les soldats émérites, afin de prévenir de nouvelles séditions, et s'occupèrent de la guerre. Sextus, en effet, était venu en Italie, conformément à ses conventions avec Antoine, dans l'intention de faire, de concert avec lui, la guerre à César; mais, quand il apprit leur accord, il s'en retourna en Sicile, et donna ordre à Ménas, son affranchi, en qui il avait toute confiance, d'aller avec une partie de la flotte ravager les possessions de ses ennemis. Celui-ci dévasta une grande partie de l'Etrurie, prit vif M. Titius, fils de Titius, l'un des proscrits réfugiés alors auprès de Sextus, qui rassemblait une flotte, afin de dominer pour son propre compte, et avait mouillé près de la Narbonnaise. Titius n'éprouva aucun mauvais traitement (son père et aussi le nom de Sextus que ses soldats portaient sur leurs boucliers, lui valurent la vie sauve); mais, loin de témoigner une honorable reconnaissance à son bienfaiteur, il lui fit la guerre et le tua : aussi ce trait est-il un des plus cités parmi ceux du même genre. Voilà comment se comporta Ménas; passant de là en Sardaigne, il livra bataille à M. Lurius, gouverneur de cette île; il fut d'abord mis en fuite; mais ensuite ayant, contre toute attente, soutenu le choc de son ennemi qui le poursuivait sans précaution, il le vainquit à son tour. M. Lurius ayant, après cette défaite, abandonné l'île, Ménas s'empara du pays par composition, et de Caralis après un siège: car un assez grand nombre des vaincus s'y étaient réfugiés après le combat. Il renvoya sans rançon les captifs, entre autres Hélénus, affranchi de César, qui l'affectionnait singulièrement, mettant de loin à l'avance en dépôt ce bienfait dans le cœur de César, et se préparant un refuge, s'il venait à en avoir besoin. Voilà ce que fit Ménas. [48,31] Les habitants de Rome, quand une fois la Sardaigne fut au pouvoir de Ménas et que le littoral fut en proie à ses déprédations; quand ils virent les vivres interceptés, et que la famine, les nombreux impôts de toute espèce, les contributions levées sur ceux qui possédaient des esclaves, leur eurent occasionné de violents ennuis, les habitants de Rome ne se tinrent plus tranquilles ; autant la réconciliation d'Antoine et de César leur avait causé de joie, dans la pensée que l'accord des deux chefs leur procurerait la paix à eux-mêmes, autant et plus ils se montrèrent irrités de la guerre faite à Sextus. Après les avoir précédemment ramenés dans Rome, montés sur des chevaux en manière de triomphe, les avoir décorés de la toge triomphale à l'égal des triomphateurs, leur avoir accordé d'assister aux jeux sur des chaises curules, avoir donné pour femme à Antoine Octavie, sœur de César, dont le mari était mort et qui était grosse, ils changèrent à tel point que, d'abord dans les lieux de réunion ou quand on s'assemblait pour quelque spectacle, ils les exhortaient à faire la paix et la demandaient à grands cris; puis, comme ils ne parvinrent pas à les persuader, ils se détachèrent d'eux et penchèrent pour Sextus. Entre autres marques de faveur à l'égard de Sextus, ils accueillaient avec des applaudissements répétés la statue de Neptune, lorsque, dans les jeux du cirque, on la promenait en pompe, et témoignaient leur joie à cette vue. Comme pendant quelques jours la statue n'avait pas été amenée, ils chassèrent du Forum les magistrats à coups de pierres, et renversèrent les statues d'Antoine et de César: ils finirent même, n'obtenant rien malgré ces démonstrations, par s'élancer tout à coup contre eux, comme pour les tuer. César, bien qu'ayant eu quelques- uns des siens blessés, déchira ses vêtements et recourut aux supplications; mais Antoine se comporta d'une façon plus violente Cette conduite ayant porté l'irritation à son comble et faisant appréhender quelque acte de désespoir, Antoine et César furent contraints d'entrer, malgré eux, en négociations avec Sextius. [48,32] Sur ces entrefaites, ils destituèrent les préteurs et les consuls, bien qu'on fût à la fin de l'année, pour leur en substituer d'autres, sans s'inquiéter du peu de jours que ces magistrats auraient à exercer leur charge. Parmi ceux qui furent alors consuls, il y eut L. Cornélius Balbus, de Gadès, qui surpassait tellement en richesses et en munificence les hommes de son temps, qu'en mourant il légua aux Romains environ vingt-cinq drachmes par tête. Telle fut la conduite des deux triumvirs; de plus, un édile étant mort le dernier jour de l'année, ils en mirent un autre à sa place pour les heures qui restaient. A cette même époque, l'eau appelée Julia fut amenée dans Rome par un aqueduc, et les jeux promis aux dieux à l'occasion de la guerre contre les meurtriers furent célébrés par les consuls. Ce furent les pontifes qui remplirent les fonctions des prêtres nommés septemvirs, aucun de ceux-ci ne se trouvant à Rome, et cela se pratiqua souvent dans d'autres circonstances. [48,33] Tels furent les événements de cette année; de plus, César célébra, aux frais de l'État, les funérailles de Sphérus, son pédagogue et son affranchi. Il fit mettre aussi à mort Salvidiénus Rufus, sous prétexte qu'il avait conspiré contre lui. Ce Salvidiénus était d'une naissance obscure; pendant qu'il paissait un troupeau, sa tête fut entourée de flammes ; César l'éleva si haut qu'il fut nommé consul, sans même être sénateur, et que le convoi de son frère, mort avant lui, traversa le Tibre sur un pont construit tout exprès. Mais il n'y a rien de stable dans les choses humaines; il fut accusé en plein sénat par César lui-même, et égorgé comme ennemi de César et du peuple entier ; il y eut des supplications à cette occasion, et, en outre, la garde de la ville fut remise aux triumvirs, avec l'injonction habituelle de veiller à ce qu'elle n'éprouvât aucun dommage. L'année précédente, aux jeux Apollinaires, des citoyens appartenant à l'ordre équestre avaient abattu dans le cirque des bêtes féroces, et un jour intercalaire avait été inséré, contrairement à l'usage, afin que les calendes de l'année suivante ne tombassent pas en même temps que les nundines, chose que, de toute antiquité, on avait bien soin d'éviter; et il est bien évident qu'il, y eut un autre jour de retranché ensuite, pour conformer la supputation du temps aux décrets du premier César. Le gouvernement d'Attale et celui de Déjotarus, morts dans la Galatie, furent donnés à un certain Castor: la loi appelée Falcidia, qui, aujourd'hui encore, a, en matière de succession, une autorité très grande, et aux termes de laquelle un héritier qui se sent grevé par quelque clause testamentaire, peut, en prenant le quart de ce qui lui est légué, renoncer au reste. fut promulguée par Falcidius alors tribun du peuple. Tels furent les événements de ces deux années. [48,34] L'année suivante, sous le consulat de L. Marcius et de C. Sabinus, les actes des triumvirs depuis leur entrée au pouvoir furent ratifiés par le sénat; quelques impôts furent en outre établis par eux, parce que les dépenses s'élevaient bien au-delà de ce qui avait été réglé par le premier César. Bien que prodiguant l'argent, surtout aux soldats, ils avaient honte de se livrer seuls à des dépenses exagérées. C'est ainsi que César, s'étant alors coupé la barbe pour la première fois, célébra lui-même une fête splendide et offrit à tous les citoyens un banquet aux frais de l'État. Depuis, il eut toujours le menton rasé, comme tout le monde; car déjà il commençait à aimer Livie et, pour cette raison, il répudia ce même jour Scribonie, bien qu'elle lui eût donné une fille. Les dépenses donc étaient bien plus considérables qu'auparavant, et les revenus, d'ailleurs insuffisants, allaient en diminuant à cause des guerres civiles; les triumvirs établirent quelques impôts nouveaux et firent entrer au sénat un grand nombre, non seulement d'alliés ou de soldats et de fils d'affranchis, mais même des esclaves. Ainsi un certain Maximus, au moment où il briguait la questure, fut reconnu et emmené par son maître. Maximus ne fut point puni pour avoir osé demander une charge; mais un autre, surpris dans les rangs des préteurs, fut précipité des rochers du Capitole, après avoir été préalablement affranchi, afin de donner de la dignité à son supplice. [48,35] Le prétexte des triumvirs pour créer tant de sénateurs fut l'expédition qu'Antoine préparait contre les Parthes; ce fut encore pour ce motif qu'ils nommèrent à l'avance aux autres charges pour un temps plus long et au consulat pour huit années entières, récompensant ainsi les uns de leur concours et se conciliant la faveur des autres. Il y eut non pas deux consuls annuels, selon la coutume, mais un plus grand nombre élus alors pour la première fois immédiatement dans les comices. Auparavant, quelques citoyens avaient bien exercé le consulat à la suite d'autres qui n'étaient pas morts, qui n'avaient pas été notés d'infamie ou destitués pour quelque autre raison; mais ceux-ci furent nommés suivant le caprice de ceux qui avaient été désignés pour l'année entière, et personne ne fut plus depuis lors consul pour une année; puis d'autres encore furent créés pour les diverses portions de l'année. Les premiers entrés en charge avaient, et cela se pratique encore aujourd'hui, toute l'année le nom de consuls, et c'étaient eux qui, soit à Rome, soit dans l'Italie, à chaque époque de leur magistrature, nommaient les autres consuls, ce qui s'observe encore aujourd'hui; le reste des citoyens ne connaissait que quelques-uns de ces derniers ou même n'en connaissait aucun, et, pour cette raison, les appelait les petits consuls. [48,36] Voilà ce qui se fit alors à Rome. César et Antoine traitèrent avec Sextus, d'abord par l'intermédiaire de leurs amis, des clauses et conditions de la paix ; ensuite ils entrèrent eux-mêmes en conférences avec lui près de Misène. César et Antoine se tenaient à terre et Sextus au milieu de la mer sur une digue baignée à dessein de tous côtés par les flots et construite à peu de distance de ses adversaires, afin d'assurer sa sûreté. A cette conférence assistait toute la flotte de l'un, toutes les troupes des autres; ce n'étaient pas des spectateurs indifférents; ils étaient, ceux-ci à terre, ceux-là sur leurs vaisseaux, rangés en armes vis-à-vis les uns des autres, en sorte qu'il fut évident pour tous que la crainte de leurs préparatifs réciproques et la contrainte imposée, aux triumvirs par le peuple, à Sextus par ceux qui étaient avec lui, les forçait à traiter. Les conditions furent la liberté pour les esclaves fugitifs et le rappel des exilés, à l'exception des meurtriers. Ces derniers furent exceptés, sans doute parce que quelques-uns d'entre eux étaient vraiment sur le point de rentrer, Sextus lui-même semblant être un des meurtriers. On décida que les autres citoyens, ceux-là seuls exceptés, pourraient revenir sans être inquiétés et recevraient le quart de leurs biens confisqués; que quelques-uns même obtiendraient sur-le-champ des charges de tribuns du peuple et de préteurs, ainsi que des sacerdoces: que Sextus lui-même serait élu consul et nommé augure, qu'il recouvrerait sur la fortune paternelle dix-sept millions cinq cent mille drachmes, aurait pour cinq ans le gouvernement de la Sicile, de la Sardaigne et de l'Achaïe, à la condition de ne recevoir plus les esclaves fugitifs, de ne point se procurer de nouveaux vaisseaux, de n'avoir aucune garnison en Italie, d'assurer la paix maritime et d'envoyer à Rome une quantité de blé déterminée. Ils lui fixèrent ce terme de cinq ans, parce qu'ils voulaient paraître ne posséder eux-mêmes qu'une puissance temporaire et non une puissance perpétuelle. [48,37] Ces conditions arrêtées et rédigées par écrit, ils en déposèrent l'acte entre les mains des Vestales: après quoi ils se donnèrent la main et s'embrassèrent mutuellement. Alors une clameur immense et éclatante s'éleva de la terre et des vaisseaux tout à la fois. Beaucoup de soldats, en effet, et aussi beaucoup de citoyens qui étaient présents, dans leur ennui extrême de la guerre et leur vif désir de la paix, poussèrent subitement tous ensemble un cri tel que l'écho des montagnes en retentit: ce qui occasionna un grand frisson et un grand saisissement à la suite desquels plusieurs expirèrent à l'instant, plusieurs autres périrent foulés aux pieds ou étouffés. Ceux, en effet, qui étaient dans des barques n'attendirent pas qu'elles eussent abordé à terre, ils sautaient dans la mer, pendant que les autres s'élançaient dans les flots. Là, ils se saluaient mutuellement tout en nageant et s'embrassaient en s'avançant dans l'eau, en sorte que c'était un spectacle et des bruits divers. Ceux-ci, sachant que leurs parents et leurs amis étaient vivants et les voyant alors présents devant eux, se laissaient aller à des transports sans borne; ceux-là, qui auparavant les avaient crus morts et les revoyaient alors contre toute attente, demeuraient longtemps incertains et restaient sans pouvoir parler, n'en croyant pas leurs yeux, et, en même temps, priant les dieux que cette vision devint une réalité; ils ne les reconnaissaient que lorsqu'ils les avaient appelés par leurs noms et qu'ils les avaient entendus parler. Leur joie était aussi grande que si ces parents et ces amis fussent revenus à la vie, et, comme leur allégresse était naturellement à son comble, l'entrevue ne se passait pas sans larmes. D'autres, dans l'ignorance de la mort d'amis qui leur étaient chers, croyant qu'ils étaient encore en vie et qu'ils étaient présents, les cherchaient çà et là et demandaient de leurs nouvelles à tous ceux qu'ils rencontraient; tant qu'ils ne savaient rien de certain, ils ressemblaient à des insensés et demeuraient indécis, espérant les trouver et craignant en même temps qu'ils ne fussent morts, sans que leur désir leur permit de se décourager ou leur espérance de se laisser aller à la douleur. Quand une fois ils savaient la vérité, ils s'arrachaient les cheveux et déchiraient leurs vêtements, appelaient les morts par leurs noms comme s'ils eussent pu être entendus d'eux, et les pleuraient comme s'ils ne venaient que de mourir et étaient ensevelis près d'eux. Ceux qui n'avaient aucune émotion personnelle de ce genre ne laissaient pas néanmoins de se troubler de celle des autres; ou bien ils se réjouissaient de l'allégresse de quelqu'un ou bien ils s'affligeaient de sa douleur; en sorte que, bien qu'étant en dehors de toute émotion domestique, ils ne postaient, à cause de leurs rapports avec les autres, demeurer impassibles. Aussi, emportés tous par les mêmes sentiments, ils ne connaissaient ni satiété ni honte, et le jour tout entier, avec la plus grande partie de la nuit, se consuma dans ces démonstrations. [48,38] Ensuite les autres citoyen, se reçurent mutuellement et les chefs eux-mêmes se donnèrent des festins: Sextus le premier sur son vaisseau, puis César et Antoine à terre. Sextus, en effet, avait sur eux par sa flotte une supériorité telle qu'il ne descendit à terre qu'après que César et Antoine furent venus à son bord. Malgré cette réserve et bien que les tenant tous les deux en son pouvoir avec une suite peu nombreuse sur son vaisseau, il pût les faire périr, ainsi que Ménas lui en donnait le conseil, il ne voulut pas y consentir; loin de là, content d'avoir décoché contre Antoine qui s'était emparé de la maison de son père dans les Carènes, (c'est le nom d'un des quartiers de Rome) un trait fort plaisant (le mot de carène étant également le nom de la quille d'un vaisseau), il lui dit « qu'il leur donnait un banquet dans les Carènes », il ne fit rien qui témoignât son ressentiment contre eux, et, le lendemain, il se laissa traiter à son tour et fiança sa fille à M. Marcellus, neveu de César. De ce côté la guerre fut donc ajournée. [48,39] Quant à la guerre de Labiénus et des Parthes, voici comment elle se termina. Antoine, étant retourné d'Italie en Grèce, y séjourna longtemps, se livrant à tous les désordres et ravageant les villes, afin de les remettre à Sextus aussi faibles qu'il pouvait. Entre autres actes contraires aux usages de la patrie, qu'il commit alors, il se donna lui-même le nom de nouveau Dionysos, et prétendit se faire appeler ainsi par les autres; les Athéniens lui ayant, pour cette raison et pour d'autres encore, fiancé Minerve, il répondit qu'il acceptait la main de la déesse, et exigea d'eux un million de drachmes pour dot. Or donc, tandis qu'il était ainsi occupé, il envoya en avant P. Ventidius en Asie. Celui-ci atteignit Labiénus avant qu'il fût instruit de sa marche, et, l'ayant frappé de terreur par l'imprévu de son arrivée et par ses légions (Labiénus, isolé des Parthes, n'avait avec lui que les soldats ramassés dans le pays), il le chassa de cette contrée sans qu'il eût osé en venir aux mains avec lui, et le poursuivit, à la tête de ses troupes légères, jusqu'en Syrie où il se dirigeait dans sa fuite. L'ayant joint au pied du Taurus, il l'empêcha dès lors d'avancer plus loin: puis, tous les deux avant posé là leur camp vis-à-vis l'un de l'autre, ils restèrent plusieurs jours tranquilles. Labiénus attendant les Parthes, et Ventidius ses légions. [48,40] Quand donc ces renforts furent arrivés à la fois de part et d'autre, le même jour, Ventidius, par crainte de la cavalerie des Barbares, resta sur les hauteurs où il était campé : mais les Parthes, le méprisant, tant à cause de leur nombre que du souvenir de leur première victoire, s'avancèrent, au point du jour, vers la colline avant d'opérer leur jonction avec Labiénus, et, comme personne ne s'offrait à leur rencontre, ils s'avancèrent vers le sommet jusque sur l'escarpement. Arrivés là, une charge des Romains les mit aisément en fuite sur le versant. Beaucoup périrent sur-le-champ: le plus grand nombre fut écrasé dans la retraite, en tombant les uns sur les autres, ceux-ci avant déjà le dos tourné, ceux-là montant encore. Quant a ceux qui échappèrent, ils s'enfuirent non pas vers Labiénus, mais en Cilicie. Ventidius les poursuivit jusqu'à leur camp, où, à la vue de Labienus, il s'arrêta. Celui-ci se mit en ligne, comme pour engager le combat; mais, sentant ses soldats découragés par la fuite des Barbares, il n'osa pas résister et résolut de s'enfuir la nuit. Ventidius, instruit de son projet par des transfuges, lui tua un grand nombre de soldats dans une embuscade pendant sa marche ; quant au reste, qui avait été abandonné par Labiénus, il les fit passer dans ses rangs. Labiénus s'enfuit en changeant d'habit, et demeura quelque temps caché en Cilicie; mais, dans la suite, il fut pris par Démétrius. Démétrius, en effet, qui était un affranchi du premier César et qui avait été alors établi gouverneur de Chypre, le fit rechercher, quand il sut qu'il se cachait, et le fit prisonnier. [48,41] Ventidius s'empara ensuite de la Cilicie, y rétablit l'ordre, et détacha en avant Pompédius Silon vers I'Amanus avec un corps de cavalerie. Cette montagne est située sur les confins de la Cilicie et de la Syrie ; elle renferme un défilé tellement étroit en certains passages qui on y construisit autrefois des portes avec une muraille, et que ces portes ont donné leur nom à cet endroit. Silon ne put s'en emparer: il faillit même tomber sous les coups de Pharnapates, lieutenant de Pacorus, qui gardait le passage. Ce malheur lui serait certainement arrivé, si Ventidius, survenant par hasard pendant le combat, ne l'eût dégagé. Fondant sur les Barbares, qui ne s'y attendaient pas et qui étaient inférieurs en nombre, il recouvra sans combat la Syrie, que les Parthes venaient d'évacuer, à l'exception d'Aradus, et ensuite s'empara sans peine de la Palestine, dont il effraya le roi Antigone. Telles furent les opérations de Ventidius: il leva de fortes contributions sur tous séparément, et principalement sur Antigone. Antiochus et Malchus le Nabatéen, qui avaient pris le parti de Pacorus. Ventidius n'obtint du sénat, pour ces exploits, aucune récompense, parce qu'il ne commandait pas en chef et qu'il n'était que le lieutenant d'un autre; ce fut Antoine qui eut les éloges et l'honneur des supplications. Les Aradiens, craignant d'être punis de ce qu'ils avaient fait contre Antoine, ne se rendirent pas à Vertidius, malgré un siège d'une certaine longueur, et ce ne fut que plus tard que d'autres généraux parvinrent, et encore avec peine, à s'emparer de la ville. Dans ce même temps, il y eut en Illyrie et chez les Parthiniens un mouvement que Pollion comprima par plusieurs combats. [48,42] Il y eut aussi des mouvements en Espagne, chez les Cérétains. Calvinus soumit ce peuple, après une alternative de succès et de revers dans la personne de son lieutenant tombé dans une embuscade des Barbares et abandonné par ses troupes. Calvinus n'attaqua l'ennemi qu'après avoir puni ses soldats. Les avant convoqués, comme pour un motif étranger, il les fit envelopper par le reste de son armée, décima deux centuries et punit un grand nombre de centurions; entre autres, celui qu'on appelle primipilaire. Après cet acte de sévérité, qui, à cause de la punition infligée à son armée, lui valut un nom pareil à M. Crassus, il marcha sur l'ennemi et le vainquit sans peine. Ayant obtenu le triomphe, bien que le gouvernement de l'Espagne appartint à César (sur l'avis du chef, on accordait cet honneur même à ceux qui commandaient sous ses ordres), il n'accepta de l'or que les villes ont coutume de donner dans ces circonstances que celui des villes d'Espagne, et il en dépensa une certaine quantité pour la fête, et la plus grande partie pour la Régia. Cet édifice avait été la proie des flammes: il le rebâtit et en fit la dédicace, le décorant, entre autres magnificences, de statues qu'il emprunta à César, comme s'il eût eu l'intention de les lui rendre. Mais lorsque, dans la suite, César les lui réclama, il usa d'un trait d'esprit pour ne pas les rendre; il lui répondit, comme s'il n'eût pas eu assez d'esclaves : « Envoie les prendre. » De sorte que César, craignant de commettre un sacrilège, laissa consacrer ses statues. Voilà ce qui se passa à cette époque. [48,43] Sous le consulat d' Appius Claudius et de C. Norbanus, qui les premiers eurent, chacun séparément, deux questeurs, le peuple se souleva contre les publicains qui l'accablaient de leurs exactions, et en vint aux mains avec eux et leurs ministres, ainsi qu'avec les soldats qui les appuyaient dans leur perception; soixante-sept préteurs, nommés à la suite les uns des autres, exercèrent cette magistrature. Un enfant élu questeur entra le lendemain dans la classe des adolescents; un autre, porté sur la liste du sénat, voulut se faire gladiateur; on l'en empêcha, et on défendit à tout membre du sénat de se faire gladiateur, à tout esclave d'être licteur; on interdit aussi de brûler les morts à moins de quinze stades de la ville. Il était arrivé, avant cette époque, bien des prodiges, entre autres, une source d'huile qui avait jailli sur les bords du Tibre; il y en eut alors beaucoup encore. La cabane de Romulus, à la suite d'un sacrifice que les pontifes y avaient célébré, fut consumée par le feu; une statue de la Vertu, placée devant une certaine porte, tomba sur la face; quelques prêtres, transportés de fureur par la mère des dieux, dirent que la déesse était irritée contre le peuple. Dans cette conjoncture, on lut les livres Sibyllins; comme ils disaient la même chose et prescrivaient de descendre la statue à la mer et de l'y purifier dans ses eaux, la déesse s'avança jusque dans la haute mer aussi loin que possible de la terre, y resta longtemps, et ce fut avec peine que, le soir enfin, on la ramena. Une grande frayeur s'empara des Romains, par suite de ce nouveau prodige, et ils ne reprirent courage qu'à la vue de quatre palmes qui avaient poussé autour du temple de la déesse et dans le Forum. Voilà les choses qui se passèrent, et, de plus, César épousa Livie. [48,44] Livie était fille de Livius Drusus, qui fut mis sur la liste des proscrits et se donna la mort après la défaite de Macédoine; femme de Néron, qu'elle accompagna dans sa fuite, ainsi qu'il a été dit, elle était grosse de ses œuvres de six mois. Comme César, incertain, demandait aux pontifes s'il lui était permis de l'épouser, malgré son état de grossesse, ils répondirent que, si la conception était douteuse, il fallait différer le mariage; mais que, la chose étant avérée, rien n'empêchait qu'il eût lieu dès à présent; décision que peut-être ils trouvèrent véritablement dans la jurisprudence transmise par les ancêtres, mais que, en tous cas, ne l'y eussent-ils pas trouvée, ils auraient néanmoins rendue. Le mari de Livie la dota lui-même comme un père. Pendant le festin, il leur advint l'aventure que voici : un de ces petits enfants babillards, tels que les matrones romaines ont coutume d'en élever tout nus pour leur divertissement, voyant Livie à part auprès de César, et, de même, Néron couché à table près d'un autre convive, s'avança vers elle et lui dit : « Que fais-tu ici, maîtresse? Ton mari (montrant Néron) est là-bas, couché à table. » Voilà comment les choses se passèrent alors. Elle habitait déjà avec César, lorsqu'elle donna le jour à Claudius Drusus Néron. César releva de terre l'enfant et l'envoya à son père, fait qu'il consigna en ces termes dans ses Mémoires : « César rendit à Néron, son père, l'enfant dont sa femme Livie était accouchée. » Néron, peu après, en mourant, laissa César lui-même pour tuteur à cet enfant et à Tibère. Entre autres bruits qui circulèrent à ce sujet parmi la foule, on disait qu'aux gens favorisés de la fortune des enfants naissaient au bout de trois mois; en sorte que le mot passa en proverbe. [48,45] Tels furent les événements de Rome. A cette même époque, Bogud, de Mauritanie, ayant, soit par ordre d'Antoine, soit de son propre mouvement, cinglé vers l'Espagne, y fit beaucoup de mal et en souffrit beaucoup lui-même. Sur ces entrefaites, les Tingitanes, ses sujets, s'étant détachés de sa domination, il quitta l'Espagne, mais ne recouvra pas son royaume; car les partisans de César en Espagne, et Bocchus qui se joignit à eux, furent plus forts que lui. Bogud, alors, alla trouver Antoine, et Bocchus s'empara aussitôt de son royaume, et s'en fit ensuite confirmer la possession par César; le droit de cité fut donné aux Tingitanes. Dans ce temps, et même déjà auparavant, Sextus et César étaient en guerre l'un contre l'autre : comme ce n'était pas volontairement, mais par contrainte, qu'ils avaient fait la paix, ils n'y furent, pour ainsi dire, pas un instant fidèles, et, rompant aussitôt les conventions, ils reprirent leurs inimitiés. Certes, la guerre devait éclater entre eux à un moment ou à l'autre, lors même qu'ils n'auraient trouvé aucun prétexte; mais ils eurent pour la faire les motifs que voici. Ménas, qui pour lors était en Sardaigne avec le titre de préteur, encourut les soupçons de Sextus pour avoir relâché Hélénus et pour avoir eu une entrevue avec César; il était aussi jusqu'à un certain point calomnié par ses égaux, jaloux de sa puissance. Mandé, en conséquence, par Sextus, sous le prétexte de rendre compte du blé et de l'argent dont il avait l'administration, il n'obéit pas, mais, se saisissant de ceux qu'on lui avait envoyés pour cet objet, il les lit mettre à mort, et, après avoir à l'avance dépêché un héraut à César, il lui livra l'île, la flotte, le reste de l'armée et sa propre personne. César, qui vit Ménas d'un bon œil, parce que Sextus, disait-il, contrairement aux conventions, recevait les fugitifs, construisait des trirèmes et avait des garnisons en Italie, refusa de le rendre quand on le lui réclama, et le combla d'honneurs, lui accorda le droit de porter l'anneau d'or et le mit au rang des chevaliers. Or voici ce que c'est que ce droit de porter l'anneau d'or. Personne, chez les anciens Romains, non seulement de ceux qui avaient été esclaves, mais même personne de race libre, n'avait, à l'exception des sénateurs et des chevaliers, ainsi que je l'ai dit, le droit de faire usage d'anneaux d'or; et c'est pour ce motif que les affranchis, quand le chef de l'État le veut, sont, quoique portant de l'or sous d'autres formes, gratifiés de cet anneau par marque d'honneur, pour signifier qu'ils sont au-dessus de la condition d'affranchis, et capables d'être chevaliers. Telle est la coutume à ce sujet. [48,46] Sextus, de son côté, qui reprochait à César, outre cette injure, d'avoir dévasté l'Achaïe et manqué aux promesses faites tant à lui qu'aux citoyens rentrés, envoya en Italie Ménécrate, également son affranchi, et fit ravager par lui, entre autres villes de la Campanie, celle de Vulturne. César, instruit de ce fait, retira le traité d'entre les mains des Vestales, et manda Antoine et Lépidus. Lépidus n'obtempéra pas immédiatement à cet appel. Antoine vint jusqu'à Brindes (il se trouvait encore en Grèce); mais, avant d'opérer sa jonction avec César qui était en Étrurie, saisi de crainte, parce qu'un loup était entré dans son prétorium et avait tué plusieurs soldats, il fit voile de nouveau pour la Grèce, sous le prétexte que la guerre des Parthes était pressante. César, bien qu'il pensât que ce départ avait pour but principal de faire retomber sur lui seul tout le poids de le guerre contre Sextus, ne laissa pourtant pas voir son ressentiment. Sextus, de son côté, répandait partout qu'Antoine n'approuvait pas cette guerre, et n'en mettait que plus d'ardeur à poursuivre ses projets; il finit même par cingler vers l'Italie, et, descendant à terre, il y fit beaucoup de mal et en éprouva lui-même beaucoup. A cette époque eut lieu une bataille navale à Cumes entre Ménécrate et Calvisius Sabinus: César perdit dans ce combat un plus grand nombre de vaisseaux, attendu qu'il avait affaire à des gens de mer; mais Ménécrate, avant attaqué Ménas avec la fureur d'un rival et ayant été tué, rendit l'échec égal pour Sextus. Aussi Sextus ne s'attribua point la victoire, et César se consola de sa défaite. [48,47] César se trouvait alors à Rhégium ; l'armée de Sextus, craignant qu'il ne passât en Sicile, et découragée par la mort de Ménécrate, quitta Cumes. Sabinus, se mettant à sa poursuite, arriva sans encombre jusqu'à Scylléum, promontoire d'Italie; pendant qu'il le doublait, un grand vent s'étant élevé tout à coup brisa plusieurs vaisseaux contre le promontoire, en engloutit quelques-uns et dispersa tous les autres. Sextus, instruit de cet accident, envoya contre eux sa flotte sous le commandement d'Apollophane. Celui-ci, ayant trouvé César qui naviguait dans ces parages avec l'intention de passer avec Sabinus en Sicile, fondit sur lui. César, par suite de cette attaque, ayant placé ses vaisseaux les uns contre les autres et dispose dessus ses légions, repoussa d'abord vigoureusement son agresseur; ses vaisseaux, rangés de manière à présenter la proue en avant, ne permettaient pas à l'ennemi de les charger sûrement, et, comme ils étaient plus gros et plus élevés, ils ne lui en causaient que plus de dommage en cas d'approche; de plus, les soldats légionnaires, qui en venaient alors aux mains avec lui, avaient une grande supériorité. Mais ensuite Apollophane, chaque fois qu'il reculait, transportant sur d'autres vaisseaux affectés à ce service ses blessés et ceux de ses soldats qui se fatiguaient, pour les remplacer par des troupes fraiches, renouvelant sans cesse ses attaques et se servant de traits incendiaires, César fut mis en déroute et fit rentrer sa flotte pour chercher à terre un refuge ; mais les ennemis ne cessant, même dans cette retraite, de les harceler, quelques vaisseaux coupèrent tout à coup leurs ancres et fondirent à l'improviste sur eux. Cette manœuvre empêcha que tous les vaisseaux ne fussent partie brûlés, partie emmenés par Apollophane; la nuit aussi interrompit l'action. [48,48] Après une affaire de la sorte, un vent funeste, qui, le lendemain, surprit César et Sabinus, tous les deux au même mouillage, fit regarder comme peu de chose le précédent désastre. La flotte de Sabinus souffrit moins : Ménas, en effet, qui avait depuis longtemps l'habitude de la mer, prévit la tempête et fit immédiatement sortir ses vaisseaux ; puis, tenant les ancres lâches, de peur que la tension ne rompît les cordages, il fit ramer contre le vent. De cette manière, il n'avait aucun cordage tendu et restait continuellement au même endroit, en se tenant en panne à l'aide de ses rames. Les autres, qui, la veille, avaient été fort maltraités, et qui ne connaissaient pas encore bien les choses de la mer, furent jetés contre la terre, qui était proche, et eurent plusieurs vaisseaux perdus. La nuit, après leur avoir précédemment été d'un grand secours, leur causa alors un désastre des plus épouvantables: car le vent, avant fraichi à l'entrée de la nuit, arracha les vaisseaux de leurs ancres et les fit chasser à la côte. Les vaisseaux sombrèrent donc; les matelots et les soldats qui les montaient, ne pouvant ni rien voir à cause de l'obscurité, ni rien entendre à cause du tumulte et de l'écho des montagnes, d'autant plus que le bruit du vent couvrait tous les autres, périrent misérablement. Cet accident fit que César désespéra de s'emparer de la Sicile et se contenta de garder les côtes maritimes. Sextus en conçut plus d'orgueil encore qu'auparavant; il se crut réellement fils de Neptune, et se revêtit d'une longue robe de couleur azurée; il jeta dans le détroit des chevaux, et même, au rapport de certains auteurs, des hommes vivants. Il pilla en personne et ravagea l'Italie, et envoya Apollophane en Libye. Ménas, ayant donné la chasse à Apollophane et l'ayant atteint, lui fit éprouver des dommages. Quant aux insulaires voisins de la Sicile qui se rangeaient du côté de Sextus, César prévint les Lipariens, les enleva de leur île et les transporta en Campanie, où il les força d'habiter Naples tant que dura la guerre. [48,49] Pendant ce temps, on construisait des vaisseaux par toute l'Italie, pour ainsi dire; César prenait, pour en faire des rameurs, d'abord les esclaves de ses amis, comme s'ils les lui eussent volontairement donnés, puis ceux des sénateurs, des chevaliers et des riches plébéiens; il enrôlait des soldats et levait des contributions chez les citoyens romains, chez les alliés, chez les peuples soumis, au dedans comme au dehors de l'Italie. Il employa cette année et la suivante à construire des vaisseaux, à réunir et à exercer ses rameurs. Inspectant et surveillant lui-même les travaux, en même temps que les événements de l'Italie et de la Gaule (il y avait eu des mouvements dans cette contrée), et s'en reposant sur Agrippa de l'équipement de sa flotte. Agrippa était occupé à faire aux Gaulois révoltés une guerre où, le second des Romains, il franchit le Rhin à main armée, lorsqu'il le rappela; il lui décerna les honneurs du triomphe, et le chargea de construire une flotte et de l'exercer. Celui-ci, qui était alors consul avec, L. Gellius, refusa de triompher, pensant qu'il serait honteux à lui de montrer de l'orgueil dans un moment où César venait d'éprouver un échec, et il donna tous ses soins à l'achèvement de la flotte. Les vaisseaux se construisaient sur toute la côte de l'Italie ; mais, comme on ne trouvait aucun abri sûr pour les y faire stationner (la plus grande partie de ce continent était encore alors dépourvue de ports), il conçut et exécuta une œuvre magnifique. Le détail où je vais entrer pour l'expliquer fera connaître et l'œuvre elle-même et ce qui en est aujourd'hui le résultat. [48,50] A Cumes, en Campanie, entre Misène et Putéoli, est une plaine en forme de croissant ; elle est entourée de montagnes peu élevées et nues, à l'exception d'un petit nombre, et renferme trois lacs sinueux. Le premier est en dehors de la plaine et près des villes; le second n'est séparé du précédent que par une étroite langue de terre; le troisième, sorte de marécage, se voit au fond même du croissant. On l'appelle Averne, et celui du milieu Lucrin ; quant à celui qui est en dehors de la Tyrhénie, il s'étend jusqu'à cette contrée, et en tire son nom. Dans le lac du milieu, Agrippa ayant, par des ouvertures étroites pratiquées le long du continent, coupé l'espace qui des deux côtés séparait le Lucrin de la mer, en fit un port commode pour les vaisseaux. Pendant les travaux, une image parut au-dessus de l'Averne (soit celle de Calypso, à qui ce pays est consacré, et où, dit-on, Ulysse aussi pénétra sur son vaisseau, soit celle de quelque autre héroïne), et se couvrit de sueur, comme si c''eût été une personne humaine. Je ne saurais dire la cause de ce phénomène ; je n'en vais pas moins rapporter les autres singularités remarquables que j'ai vues dans ce lieu. [48,51] Ces montagnes, situées près des lacs intérieurs, renferment des sources d'un feu très fort et d'eau mêlée avec le feu ; nulle part on n'y trouve l'un ou l'autre de ces deux éléments isolé (on n'y voit, en effet, ni feu seul ni eau froide seule) ; leur union rend l'eau chaude et le feu humide; l'eau se rend, à travers le pied des montagnes, du côté de la mer, dans des citernes; on en fait arriver la vapeur au moyen de tuyaux dans des chambres élevées, et on s'en sert pour chauffer des étuves; car, plus elle monte en s'éloignant de la terre et de l'eau, plus cette vapeur devient sèche. Des édifices somptueux sont construits sur les deux rives et offrent les ressources les mieux appropriées aux jouissances de la vie et à la guérison des maladies. Outre ces particularités, cette montagne présente un terrain de la nature que je vais dire. Le feu ne pouvant brûler (toute sa force comburante, en effet, s'éteint par son union avec l'eau) et conservant néanmoins encore le pouvoir de désagréger et de liquéfier les matières qu'il rencontre, il arrive que la partie grasse de la terre est dissoute par lui, au lieu que la partie dure et osseuse, pour parler ainsi, demeure dans son entier. Or les glèbes sont nécessairement poreuses; si on les met dans un endroit sec, elles se résolvent en poussière; mais si on les pétrit avec l'eau unie à la chaux, elles acquièrent de la consistance, et, tant qu'elles sont dans un endroit humide, elles s'épaississent et prennent la dureté de la pierre. La cause en est que leur partie friable se dilate et se brise par l'action du feu, de la nature duquel elles participent, au lieu que, par leur mélange avec un élément humide, elles se refroidissent, et que, ne cessant de se resserrer à l'intérieur, elles deviennent insolubles. Tel est le terrain de Baies (ainsi se nomme le pays) ; c'est là qu'alors Agrippa, aussitôt qu'il eut achevé les passes, rassembla vaisseaux et rameurs, arma les uns et exerça les autres à ramer sur leurs bancs. [48,52] A Rome, les habitants furent troublés par des prodiges. Parmi nombre d'autres dont la nouvelle leur fut apportée, une multitude de dauphins, aux environs d'Aspis, en Afrique, se battirent les uns contre les autres et s'entretuèrent ; de plus, dans ce même lieu, auprès de la ville, du sang tombé du ciel fut porté en divers endroits par des oiseaux. Aux jeux Romains, aucun sénateur n'ayant, ainsi que cela se pratiquait habituellement, pris part au banquet dans le Capitole, on vit dans cette chose un présage. Celui qui survint à Livie fut pour elle un sujet de joie; mais il inspira aux autres de la crainte : un aigle jeta dans son sein une poule blanche portant à son bec un laurier avec son fruit. Le présage lui sembla donc important ; elle prit soin de la poule et planta le laurier. Or l'arbre, ayant poussé des racines, grandit au point que, dans la suite, il suffit pour fournir longtemps aux triomphateurs; d'un autre côté, Livie devait, elle aussi, renfermer dans son sein la puissance de César et le dominer en tout. [48,53] Le reste des citoyens à Rome fut fortement troublé par ces prodiges et par les mutations de magistrats ; car ce n'était pas seulement les consuls et les préteurs, mais aussi les questeurs, qui étaient, après peu de temps, remplacés dans leurs charges. La cause, c'est que tous recherchaient les magistratures, moins pour les exercer longtemps à l'intérieur, que pour être comptés au nombre de ceux qui les avaient exercées, et jouir par là des honneurs et des commandements militaires au dehors. Ainsi donc personne n'était plus élu pour un temps fixe, mais seulement pour le temps de prendre le titre de magistrat et de le quitter dès qu'il plaisait à ceux qui avaient le pouvoir; beaucoup même firent l'un et l'autre le même jour. Il y en eut aussi qui, par pauvreté, abandonnèrent leurs charges; je ne parle pas de ceux qui, étant alors avec Sextus, furent flétris par une sorte de condamnation. Un certain M. Oppius voulant, par suite de sa pauvreté (ils avaient été, lui et son père, au nombre des proscrits), renoncer à l'édilité, les plébéiens ne le lui permirent pas et lui fournirent, par une contribution, l'argent nécessaire pour tous les besoins de la vie et pour les dépenses de sa charge. La tradition ajoute que des hommes de mauvaise vie, étant entrés sur le théâtre le masque sur la figure, comme s'ils remplissaient un rôle, apportèrent de l'argent pour leur part à la contribution. Tel fut l'amour de la multitude pour Oppius, tant qu'il vécut; à sa mort, qui arriva peu de temps après, elle le transporta dans le champ de Mars, l'y brûla et l'y enterra. Le sénat, irrité de toutes ces marques d'attachement prodiguées par les plébéiens à Oppius, fit, d'après l'avis des pontifes, enlever ses os comme déposés contrairement à la religion dans un lieu consacré, bien qu'il eût précédemment, comme il le fit plus tard, accordé cette sépulture à d'autres citoyens. [48,54] Dans ce même temps, Antoine revint de Syrie, sous prétexte que l'échec de César le décidait à coopérer à la guerre contre Sextus. Cependant, au lieu de rester auprès de son allié, et comme s'il fût venu plutôt pour le surveiller que pour lui prêter son concours, il lui donna quelques vaisseaux, promit de lui en envoyer d'autres encore, en échange desquels il reçut des légions; puis il partit, comme pour marcher contre les Parthes. Avant qu'Antoine mît à la voile, les deux rivaux s'adressèrent, par l'intermédiaire de leurs amis d'abord, et ensuite eux-mêmes en personnes, de mutuelles accusations; mais, ne se croyant pas encore le loisir de se faire la guerre, ils consentirent à une sorte de réconciliation ménagée surtout par Octavie. Afin de s'enchaîner par des liens de parenté plus nombreux, César fiança sa fille à Antyllus, fils d'Antoine, et celui-ci fiança à Domitius, bien qu'il fût un des meurtriers de César et mis au nombre des proscrits, la fille qui lui était née d'Octavie. Tout cela, de part et d'autre, n'était que feinte; ils ne devaient tenir aucun de leurs engagements, ce n'était qu'un rôle qu'ils jouaient pour le besoin de leurs affaires présentes. Ainsi Antoine renvoya immédiatement de Corcyre en Italie Octavie elle-même, en apparence pour ne pas l'exposer aux dangers qu'il allait courir dans sa guerre contre les Parthes. Telle fut néanmoins la conduite qu'ils tinrent dans le moment; de plus, ils destituèrent Sextus du sacerdoce et en même temps du consulat auquel il avait été nommé, et se prorogèrent à eux-mêmes le pouvoir pour cinq autres nouvelles années, les précédentes étant expirées. Après cela, Antoine se dirigea en hâte vers la Syrie, et César commença la guerre. Tout réussit à son gré, sinon que Ménas, inconstant par caractère, toujours dévoué au parti du plus fort, irrité de n'avoir aucun commandement et d'être sous les ordres de Sabinus, passa de nouveau du côté de Sextus.