[8,3] CHAPITRE III. EPICHARME. <78> Épicharme, natif de Cos et fils d'Élothale, étudia sous Pythagore. Il n'avait que trois mois lorsqu'on le porta à Mégare de Sicile, et de là à Syracuse, comme il le dit lui-même dans ses œuvres. Voici l'inscription qui se trouve-au bas de sa statue : Autant le soleil surpasse en éclat les autres astres, et autant la force des vagues de la mer l'emporte sur la rapidité des fleuves, autant Épicharme, couronné par Syracuse sa patrie, excelle en sagesse par-dessus les autres hommes. Il a laissé des commentaires qui contiennent des sentences, et dans lesquels il traite de la nature et de la médecine. A la plupart de ces commentaires sont joints des vers acrostiches, qui prouvent indubitablement qu'il en est l'auteur. Il mourut âgé de quatre-vingt-dix ans. [8,4] CHAPITRE IV. ARCHYTAS. Archytas de Tarente, issu de Mnésagore, ou d'Hestiée selon Aristoxène, embrassa la secte de Pythagore. Ce fut lui qui, par une lettre qu'il écrivit à Denys, sauva la vie à Platon, dont le tyran avait résolu la mort. Il réunissait en sa personne tant de vertus, qu'admiré des uns et des autres pour son mérite, on lui confia jusqu'à sept fois la régence, malgré la loi qui défendait qu'on l'exerçât plus d'un an. Platon lui écrivit deux fois en réponse à une lettre qu'il en avait reçue, et qui était conçue en ces termes : ARCHYTAS A PLATON, SANTÉ. <80> « Je vous félicite de votre rétablissement, suivant ce que vous m'en dites, et comme je l'ai appris de Damiscus. Quant aux écrits dont vous m'avez parlé, j'en ai eu soin, et me suis rendu en Lucanie auprès des parents d'Ocellus. Les commentaires sur la loi, la royauté, la piété, et la génération de toutes choses, sont entre mes mains. Je vous en ai même fait tenir une partie ; mais jusqu'ici on n'a encore pu recouvrer les autres. S'ils se retrouvent, soyez persuadé que je ne manquerai pas de vous les envoyer. » Tel était le contenu de la lettre d'Archytas, tel celui de la réponse suivante de Platon : PLATON A ARCHYTAS, SAGESSE. « Je ne saurais assez vous exprimer la satisfaction avec laquelle j'ai reçu les écrits que vous m'avez envoyés. Je fais de l'auteur un cas infini; je l'admire en ce qu'il se montre digne de ses ancêtres du vieux temps, et si estimables pour leurs bonnes qualités. On les dit originaires de Myra, et du nombre de ces Troyens que Laomédon amena avec lui ; tous gens pleins de vertus, selon le témoignage qu'en rend l'histoire. Les commentaires dont vous me parlez et que vous souhaitez ne sont pas encore en assez bon état: n'importe, je vous les envoie tels qu'ils se trouvent. Nous pensons de même l'un et l'autre sur le soin avec lequel ils méritent d'être conservés; aussi n'ai-je rien à vous recommander là-dessus. Je finis: portez-vous bien. » Voilà en quels termes ils s'écrivaient de part et d'autre. <82> Il y a eu quatre Archytas : le premier est celui dont nous parlons ; le second était de Mitylène, et musicien de profession ; le troisième a écrit de l'agriculture ; le quatrième a composé des épigrammes. Quelques auteurs en comptent un cinquième, qu'ils disent avoir été architecte, et dont on a un ouvrage sur la mécanique, qui commence par ces mots : J'ai appris ceci de Teucer de Carthage. On rapporte aussi du musicien Archytas que quelqu'un lui disant qu'on ne l'écoutait pas lorsqu'il discourait, il répondit que son instrument de musique parlait pour lui. Aristoxène raconte d'Archytas le pythagoricien que, pendant qu'il fut général, il ne perdit jamais de combat; mais qu'ayant été démis de cet emploi par envie, l'armée succomba, et tomba au pouvoir des ennemis. <83> Celui-ci est le premier qui ait traité des mécaniques par des principes qui leur sont propres, et qui ait communiqué un mouvement organique à une figure faite géométriquement, en cherchant, par le moyen de la section d'un demi-cylindre, deux lignes proportionnelles, pour trouver la duplication du cube. Platon, dans sa République, atteste qu'on lui est aussi redevable de la découverte de la duplication du cube par la géométrie. [8,5] CHAPITRE V. ALCMÉON. Alcméon de Crotone, autre disciple de Pythagore, a principalement traité de la médecine, quoiqu'il ait aussi parlé de la nature, comme quand il dit que la plupart des choses humaines sont doubles. Phavorin, dans son Histoire diverse, présume qu'il fut le premier qui enfanta un système de physique, et qui crut que la lune conserve éternellement la même nature. Il était fils de Pirithus, suivant son propre aveu dans l'exorde d'un ouvrage, en ces termes; Aclméon Crotoniate, fils de Pirithus à Brontin, Léonte et Bathyllus, touchant les êtres invisibles. Les dieux ont une parfaite connaissance de ce qui regarde les choses mortelles, mais les hommes n'en peuvent juger que par conjecture, et le reste. Il disait aussi que l’âme est immortelle, et qu'elle se meut continuellement, comme le soleil. [8,6] CHAPITRE VI. HIPPASUS. Hippasus de Métapont était pythagoricien. Il croyait que le monde est sujet à des vicissitudes dont le temps est déterminé, que l'univers est fini, et qu'il se meut continuellement. Démétrius, dans son traité des Auteurs de même nom, veut qu'il n'ait laissé aucun ouvrage. Il y a eu deux Hippasus; celui-ci, et un autre qui a traité en cinq livres de la république de Lacédémone, sa patrie. [8,7] CHAPITRE VII. PHILOLAÜS. Philolaüs de Crotone fut un autre philosophe de la secte de Pythagore. Ses ouvrages sur la philosophie pythagoricienne sont ceux que Platon pria Dion de lui acheter. Ce philosophe mourut, soupçonné d'aspirer à la tyrannie. Voici une de mes épigrammes à son occasion : Les soupçons eurent toujours de mauvaises suites. Ne fissiez-vous aucun mal, on vous tiendra pour coupable, si vous paraissez en faire. Ainsi périt autrefois Philolaüs, par un soupçon qu'il voulait imposer un rude joug à Crotone sa patrie. <85> Il était dans l'opinion que tout se fait par le moyen de la nécessité et de l'harmonie. Il enseigna le premier que la terre se meut circulairement; doctrine que d'autres attribuent à Icétas de Syracuse. Il composa un livre que Platon, dit Hermippe d'après quelque écrivain, lorsqu'il vint trouver Denys en Sicile, acheta des parents de Philolaüs pour la somme de quarante mines d'Alexandrie, et qu'il tira de ce livre les matériaux dont il se servit pour bâtir son Timée. D'autres prétendent que Platon reçut ce livre de Denys, qu'il engagea à accorder la grâce à un jeune homme disciple de Philolaüs, lequel il avait condamné à mort. Démétrius, dans ses Auteurs de même nom, assure qu'il fut le premier qui publia les dogmes des pythagoriciens sur la nature, et qui commencent par cette opinion : que la nature, le monde, et tout ce qu'il contient, renferment une harmonie des choses finies avec les choses infinies. [8,8] CHAPITRE VIII. EUDOXE. <86> Eudoxe, fils d'Eschine, naquit à Cnide, et devint tout à la fois astrologue, géomètre, médecin et législateur. Il apprit d'Archytas la géométrie, et étudia la médecine sous Philistion de Sicile, dit Callimaque dans ses Tables. Sotion, dans ses Successions, nous dit qu'il eut Platon pour maître. Dans sa vingt-troisième année, Eudoxe, pauvre et nécessiteux, mais aussi empressé de s'instruire que touché de la réputation des disciples de Socrate, se rendit à Athènes avec le médecin Théomédon, qui le nourrissait, et qui, selon quelques uns, avait pour lui une tendresse toute particulière. Étant arrivé au Pirée, il allait régulièrement tous les jours à Athènes, d'où, après avoir entendu les orateurs, il revenait au logis. Son séjour dans ce lieu dura deux mois, au bout desquels il s'en retourna chez lui. <87> Ses amis ayant contribué à lui amasser quelque argent, il partit pour l'Egypte, accompagné du médecin Chrysippe, et muni d'une lettre de recommandation qu'Agésilas lui donna pour Nectanabe, qui parla en sa faveur aux prêtres d'Egypte. Il s'arrêta dans ce pays pendant un an et quatre mois, se faisant raser la barbe et les sourcils. Si on en croit quelques uns, il s'y occupa à composer un ouvrage de mathématique, qu'il intitula Octaétéride. Il se rendit ensuite à Cyzique et dans la Propontide, où il exerça la philosophie. Enfin, après avoir vu Mausole, il reprit la route d'Athènes, et y parut avec un grand nombre de disciples, dans le dessein, à ce qu'on croit, de mortifier Platon, qui n'avait pas d'abord voulu le recevoir. <88> Il y en a qui disent qu'étant avec plusieurs autres à un repas que donnait celui-ci, il introduisit l'usage de se placer à table en demi-cercle. Nicomaque, fils d'Aristote, lui attribue d'avoir dit que la volupté est un bien. Eudoxe fut extraordinairement estimé dans sa patrie, témoin le décret qu'on y fit à son honneur. La Grèce n'eut pas moins de respect pour lui, tant à cause des lois qu'il donna à ses concitoyens, comme le rapporte Hermippe dans son quatrième livre des sept Sages, que par rapport à ses excellents ouvrages sur l'astrologie, la géométrie, et d'autres sciences. <89> Ce philosophe eut trois filles, nommées Actis, Philtis et Delphis. Ératosthène, dans ses livres adressés à Baton, dit qu'il écrivit aussi des dialogues cyniques. D'autres, au contraire, prétendent qu'ils furent l'ouvrage d'auteurs égyptiens, qui les composèrent en leur langue, et qu'Eudoxe les traduisit en grec. Il prit de Chrysippe de Cnide, fils d'Érinée, les notions des choses qui regardent les dieux, le monde et les météores. Quant à la médecine, il fut dressé à cette science par Philistion de Sicile. Au reste, il a laissé de fort beaux commentaires. Outre ses trois filles, Eudoxe eut un fils appelé Aristagore, qui éleva Chrysippe, fils d’Æthlius. Ce Chrysippe est auteur d'un traité de médecine sur les maladies des yeux, auquel il travailla par occasion, en faisant des recherches physiques. <90> Il y a eu trois Eudoxes : celui-ci ; un autre, Rhodien de naissance et historien ; un troisième de Sicile, fils d'Agathocle, poète comique, trois fois vainqueur dans les fêtes de Bacchus qui se célébraient en ville, et cinq fois dans celles de la campagne, selon Apollodore dans ses Chroniques. Nous trouvons encore un médecin de même nom, natif de Cnide, et de qui notre Eudoxe, dans son livre de la Circonférence de la terre, dit qu'il avait pour maxime d'avertir qu'il fallait tenir son corps et ses sens dans un mouvement continuel par toutes sortes d'exercices. Le même rapporte que cet Eudoxe de Cnide était en vogue vers la cent troisième olympiade, et qu'il découvrit les règles des lignes courbes. Il mourut dans la cinquante- troisième année de son âge. Pendant qu'il était en Egypte auprès d'Iconuphis Héliopolitain, il arriva que le bœuf Apis lui lécha l'habit; d'où les prêtres conclurent qu'il serait fort célèbre, mais qu'il ne vivrait pas longtemps. Ce récit de Phavorin, dans ses Commentaires, nous a donné matière à ces vers sur son sujet : On dit qu'Eudoxe, étant à Memphis, s'informa de son sort en s'adressant au bœuf célèbre de ces lieux. L'animal ne répondit rien. Eh ! qu'aurait pu dire un bœuf? Apis manque de voix, la nature ne lui en a pas donné l'usage : mais, se tenant de côté, il lécha l'habit d'Eudoxe. Qu'annonçait-il par là ? Qu'Eudoxe ne vivrait pas longtemps. En effet, il mourut bientôt, n'ayant vécu que cinquante trois ans La grande réputation qu'il avait dans le monde fit que, par le changement de la seconde lettre de son nom, ou l'appela d'un autre, qui signifiait homme célèbre. Mais après avoir fait mention des philosophes pythagoriciens les plus distingués, venons-en à divers autres qui se sont rendus illustres, et commençons par Héraclite.