[2,18] SOCRATE. Socrate était fils de Sophronisque, tailleur de pierres, et de Phénarète, sage-femme (cf. Platon, Théétète). Il était né à Athènes, au dème d’Alopèce. Il passait pour avoir collaboré avec Euripide. Ainsi Mnésimaque écrit-il : "Les Troyennes sont la nouvelle pièce d’Euripide, dont Socrate A fait la charpente". Il parle encore d’ « Euripide chevillé par Socrate ». Callias dit aussi dans ses Captifs : — D’où te vient tant de fierté et d’orgueil ? — Pourquoi n’en aurais-je pas, je suis fils de Socrate. et Aristophane, dans les Nuées "Celui qui a fait pour Euripide ces tragédies, Pleines de babillages, ces sages tragédies, le voici". [2,19] Il fut élève d’Anaxagore, selon les uns, et aussi de Damon (cf. Alexandros, Successions), mais après la condamnation du premier, il suivit les leçons d’Archélaos le physicien. Il en fut même le mignon, au dire d’Aristoxène. Douris prétend qu’il fut d’abord esclave et tailleur de pierres, et l’on raconte que les Grâces vêtues, de l’Acropole, sont une de ses oeuvres, ce qui a fait écrire à Timon, dans ses Silles : Voilà l’origine de ce tailleur de pierres, législateur Bavard, aède grec, maître en subtilités, Tueur des rhéteurs, ironiste sans sel attique. Il était en effet fort habile dans les exercices de rhétorique (cf. Idoménée), mais les Trente lui interdirent [2,20] d’enseigner l’art oratoire (cf. Xénophon), et Aristophane le raille en disant qu’il était fort habile à faire paraître excellentes les plus mauvaises causes. Il est le premier (cf. Phavorinos, Mélanges historiques, et Idoménée, Des Socratiques) à avoir, avec Eschine, son disciple, enseigné l’art oratoire. Le premier aussi il discourut sur l’art de vivre. Il fut encore le premier philosophe condamné à mort qui subit sa peine. Aristoxène, fils de Spintare, dit qu’il spéculait, jouait de l’argent, gagnait, dépensait vite son gain, et recommençait à jouer. Démétrios de Byzance dit que Criton le tira de son atelier pour lui donner une bonne éducation, car il était fort séduit par les grâces de son âme. [2,21] Il ajoute que Socrate, ayant compris que l’étude du monde ne nous était d’aucun profit, laissa de côté la physique, pour étudier la morale ; qu’il en discutait dans les boutiques et sur la place publique, déclarant rechercher « ce qui est bien et ce qui est mal dans les maisons ». Souvent, au cours de ses recherches, il discutait avec véhémence, lançait les poings en avant, ou s’arrachait les cheveux, ne se souciant aucunement des rires qu’il soulevait, les supportant au contraire avec calme. Un jour même, il reçut un coup de pied sans se fâcher, et comme on s’en étonnait, il dit : « Si c’était un âne qui m’avait frappé, lui intenterais-je un procès ? » Voilà ce que nous rapporte Démétrios. [2,22] Au contraire des autres philosophes, il ne désira pas voyager, et, sauf pour aller à l’armée, il passa son temps à Athènes, discutant à l’envi avec ses compagnons d’entretien, non pas tant pour les faire changer d’opinion que pour s’efforcer d’apprendre le vrai des choses. On raconte qu’Euripide lui donna un jour à lire les ouvrages d’Héraclite, et lui demanda ce qu’il en pensait. Socrate répondit : « Ce que j’en ai compris me paraît génial ; pour le reste, que je n’ai pas compris, je crois qu’il en est de même, mais j’aurais besoin pour interprète d’un bon nageur de Délos. » Il était fervent adepte des sports, et vigoureux. On sait qu’il fit campagne à Amphipolis, qu’il releva Xénophon tombé de cheval [2,23] dans un combat à Délium et lui sauva la vie. Tandis que tous les Athéniens fuyaient à belles jambes, il fit une retraite lente et calme, se retournant tranquillement de temps à autre, prêt à repousser quiconque lui sauterait dessus. Il fut encore de l’expédition de Potidée, expédition maritime, car toute attaque terrestre était alors impossible. C’est alors, raconte-t-on, qu’il resta toute une nuit dans la même posture, et que s’étant conduit en brave dans la bataille, il en céda l’honneur à Alcibiade, dont il était épris, dit-on (cf. Aristippe, Plaisirs des anciens). Ion de Chios déclare que dans sa jeunesse il quitta son dème pour aller à Samos, fréquenter Archélaos, et Aristote dit qu’il alla à Delphes. Phavorinos (Mémoires, liv. I) dit qu’il alla dans l’Isthme. [2,24] Ferme de caractère, il avait l’esprit démocratique, on le vit dans l’affaire de Léon de Salamine : Critias et ses amis voulaient faire périr cet homme riche, Socrate s’y opposa ; une autre fois, il osa seul voter l’acquittement des dix généraux : enfin, alors qu’il lui était possible de fuir de sa prison, il n’y voulut point consentir, fit de véhéments reproches à ses amis en larmes, et restant en prison, il continua de leur faire ces merveilleux discours si connus. Il était modeste et fier : un jour Alcibiade lui donna un grand terrain pour bâtir une maison. Socrate lui dit : « Et si j’avais besoin de chaussures, et que tu viennes me donner du cuir, pour que je me les fasse moi-même, [2,25] crois-tu qu’en l’acceptant je ne serais pas ridicule ? » Souvent, regardant la foule des choses que l’on vend, il se disait en lui-même : « Combien il y en a dont je n’ai nul besoin ! » Il citait constamment ces vers : "Ornements d’argent et de pourpre Servent au théâtre, non à la vie". Il méprisa Archélaos de Macédoine, Scopas de Cramnon, et Euryloque de Larissa, et ne voulut ni accepter leurs dons, ni leur faire visite. Il suivait un régime de vie excellent qui lui permit d’être le seul à échapper aux différentes pestes qui ravagèrent Athènes. [2,26] Aristote dit qu’il eut deux femmes : Xanthippe, qui lui donna un fils, Lamproclès, et Myrto, fille d’Aristide le juste, qu’il épousa sans dot et dont il eut deux enfants : Sophronisque et Ménéxène. D’autres auteurs disent que ce fut Myrto sa première femme, et quelques-uns (cf. Satyros et Hiéronyme de Rhodes) prétendent qu’il les épousa toutes deux à la fois. Ces derniers, pour justifier leur opinion, disent que les Athéniens, voulant augmenter leur population décimée, avaient prescrit par une loi aux citoyens de prendre, outre une épouse véritable originaire de la cité, des concubines pour leur faire des enfants ; et ils affirment que Socrate se conforma à ce décret. [2,27] Il savait mépriser les railleurs, se glorifiait de sa sobriété et n’exigeait d’argent de personne. Il aimait à dire qu’un homme qui a bien faim n’examine pas la sauce, que celui qui a bien soif n’attend pas qu’on lui apporte à boire et que celui qui sait se passer du superflu est le plus proche des dieux. Tous ces traits de caractère sont visibles pour qui lit les auteurs comiques. Ceux-ci l’ont raillé, ont voulu le blâmer, mais ils le louent sans s’en douter. Ainsi Aristophane écrit : O l’homme, qui cherches justement à apprendre la sagesse, Comme tu seras heureux à Athènes et en Grèce ! Tu as de la mémoire, tu réfléchis, tu as un caractère Endurant, tu te tiens et tu marches droit, Tu supportes le froid, tu n’aimes pas la bonne chère, Et tu évites le vin, les orgies et toutes les sottises. [2,28] De son côté, Ameipsias l’introduit en scène, revêtu de son vieux manteau, et dit : — Socrate, toi le meilleur et le plus vain des hommes, Te voilà donc avec nous. Certes tu es endurant, Mais pourquoi n’as-tu mis qu’un manteau de laine ? — C’est que j’ai dit du mal des bourreliers. — Quel terrible homme ! même mourant de faim, il n’a jamais pu flatter. Ce dédain et cette fierté de Socrate sont encore soulignés par Aristophane en ces vers : "Tu te rengorges et tu lances des regards obliques ; Insensible, tu vas nu-pieds, l’oeil méprisant". Il lui arrivait pourtant de s’adapter aux circonstances et de mettre de beaux habits comme on le voit au Banquet de Platon quand il s’en va chez Agathon. [2,29] Il était aussi habile à persuader qu’à dissuader. En voici des preuves : dialoguant avec Théétète sur le savoir (cf. Platon), il le laissa à la fin de l’entretien tout plein d’enthousiasme ; par un entretien sur la piété qu’il eut avec Euthyphron, il fit abandonner à cet homme le projet d’accuser son père du meurtre d’un hôte, et, par ses exhortations, il fit prendre à Lysis une meilleure conduite. Il avait l’art de puiser ses arguments dans la réalité. Il força son fils Lamproclès (cf. Xénophon) à respecter sa mère. Selon Xénophon encore, il conseilla à Glaucon, frère de Platon, de ne pas faire de politique parce qu’il en était incapable, il engagea fort au contraire Charmide à en faire parce qu’il y était apte. [2,30] Il rendit courage au général Iphicrate, en lui montrant les coqs du barbier Midias se battant à coups d’ailes contre ceux de Callias. Glauconide disait qu’il fallait conserver Socrate pour l’ornement de la ville, tout comme un faisan ou un paon. Socrate s’étonnait qu’un homme pût facilement compter ses moutons et fût incapable de nommer ses amis, tant on est négligent sur ce point. Voyant Euclide s’adonner aux controverses, il lui dit : « Euclide, tu réussiras avec les sophistes, mais pas avec les hommes. » Ce genre d’occupation lui semblait en effet futile (cf. Platon, Euthydème). [2,31] Charmide lui offrit un jour des esclaves pour l’escorter dans son retour, il n’en voulut point. On dit encore qu’il méprisa la beauté d’Alcibiade. Il soutenait que le loisir est le plus agréable des biens (cf. Xénophon, Banquet). Pour Socrate il n’existait qu’un bien : le savoir, et qu’un mal : l’ignorance ; la richesse et la noblesse étaient aussi un mal, et non pas une marque d’honneur. On lui dit un jour qu’Antisthène était le fils d’une femme de Thrace : « Tu croyais donc, répondit Socrate, qu’un tel homme pouvait être né de deux Athéniens ? » Phédon, qui était esclave, étant réduit à fréquenter les mauvais lieux, Socrate le fit racheter par Criton, et en fit un philosophe. [2,32] Il apprit encore à jouer de la lyre à un âge fort avancé, et disait qu’il était bien naturel d’apprendre ce qu’on ignorait. Il dansait très souvent, persuadé que cet exercice était utile à sa santé (cf. Xénophon, Banquet). Il prétendait avoir un démon qui lui indiquait l’avenir ; que le bien était chose importante ; qu’il ne connaissait qu’une chose : son ignorance, et que ceux qui achètent bien cher des louanges précoces désespèrent de vivre vieux. Interrogé sur ce qui faisait le mérite de la jeunesse, il répondit : « Rien n’est trop difficile pour elle. » Il disait qu’on savait assez de géométrie quand on pouvait mesurer la terre que l’on recevait et celle que l’on donnait. [2,33] Euripide, dans son Augès, ayant dit de la vertu : « Le mieux est de l’abandonner », Socrate se leva et quitta le spectacle, en déclarant qu’il était ridicule de laisser ainsi périr la vertu, quand on se donne tant de peine pour rechercher un esclave perdu. On le consultait souvent pour savoir si on devait se marier. Il répondait : « Quoi que vous fassiez, vous vous en repentirez. » Il s’étonnait de voir les sculpteurs faire effort pour créer des statues ressemblant fidèlement au modèle, et les hommes se désintéresser totalement de rester semblables à leur statue. Il conseillait aux jeunes gens de se regarder souvent dans une glace : « Si vous êtes beaux, disait-il, restez dignes de votre beauté ; si vous êtes laids, faites oublier votre laideur par votre savoir. » [2,34] Il invita un jour des gens riches à dîner. Xanthippe en était toute confuse : « Va, lui dit-il, ne te tourmente pas, s’ils sont sobres, ils s’assiéront à table volontiers, et si ce sont de mauvaises gens, ne prenons pas tant de souci : ils n’en valent pas la peine. » Il disait que tout le monde vivait pour manger, mais que lui mangeait pour vivre. De la foule méprisable, il disait qu’elle était comme un homme qui refuserait un tétradrachme, mais qui en prendrait volontiers un tas. Comme Eschine lui disait : « Je suis pauvre, et je ne possède rien, mais je me donne moi-même à vous. » « Ne sens-tu pas, dit-il, la grandeur du présent que tu me fais ? » Quelqu’un s’étant plaint à lui d’être méprisé depuis que les Trente gouvernaient la ville : « C’est donc là, demanda-t-il, tout ce qui vous chagrine ? » [2,35] Quand on vint lui annoncer que les Athéniens l’avaient condamné à mort, il répondit que la nature en avait fait autant pour eux (réponse attribuée aussi à Anaxagore), et comme sa femme se lamentait de le voir mourir injustement : « Voulais-tu donc, lui dit-il, que ce fût justement ? » Ayant rêvé qu’on lui disait : « Dans deux jours, tu iras dans la féconde Phthie », il dit à Eschine : « Dans deux jours, je mourrai. » Quand il lui fallut boire la ciguë, Apollodore lui donna un beau manteau afin qu’il le mît pour mourir, mais Socrate lui dit : « Mon vieux manteau était bon quand je vivais, n’est-il plus convenable pour mourir ? » On lui disait : « Un tel parle mal de vous. » Il répondait : « C’est qu’il n’a pas appris à bien parler. » [2,36] Antisthène montra le pan de son manteau tout déchiré. « Je vois ta vanité par les trous », lui dit-il. « Un tel vous injurie », lui disait-on, il répondait : «Mais non, ce qu’il dit ne se rapporte pas à moi. » Il estimait nécessaire et convenable de s’exposer aux critiques des auteurs comiques : « S’ils citent des défauts qui sont réellement en moi, ils me corrigent ; sinon, qu’importe ! » Sa femme Xanthippe, non contente de l’injurier, lui jeta un jour de l’eau à la tête. « N’avais-je pas prédit que tant de tonnerre amènerait la pluie ? » Comme Alcibiade se plaignait qu’elle fût insupportable avec ses criailleries, Socrate lui dit : « J’y suis pourtant habitué comme si j’entendais continuellement crier des oies. [2,37] Tu supportes bien, toi, le cri de tes oies ? » « C’est, répondait Alcibiade, qu’elles me donnent des oeufs et des oisons. » Et Socrate de répliquer : « C’est pareil pour moi, ma femme me fait des enfants. » Un autre jour, en pleine place, elle lui avait arraché son manteau, et ses amis lui conseillaient de la punir par quelques gifles : « Bien sûr, dit-il, pour que nous nous battions à coups de poings, et que chacun de vous nous encourage en disant : « Vas-y, Socrate ! vas-y, Xanthippe ! » Il disait qu’il en était des femmes irascibles comme des chevaux rétifs. Quand les cavaliers ont pu dompter ceux-ci, ils n’ont aucune peine à venir à bout des autres. Lui-même, s’il savait vivre avec sa femme, en saurait beaucoup plus aisément vivre avec les autres gens. Ces belles paroles et cette belle conduite furent cause que la Pythie le loua publiquement en donnant à Chéréphon cet oracle si connu : "De tous les hommes Socrate est le plus sage". [2,38] C’est à partir de ce moment qu’il fut en butte à l’envie ; d’autant qu’il déclarait que ceux qui avaient une grande opinion d’eux-mêmes étaient des sots, et de ce nombre fut sûrement Anytos, comme il est écrit dans le Ménon de Platon. Celui-là, ne pouvant en effet souffrir les railleries de Socrate, excita d’abord contre lui Aristophane et sa bande, et persuada ensuite à Mélitos de lui intenter un procès d’impiété et de corruption de la jeunesse. Ce fut en effet Mélitos qui intenta l’accusation, Polyeuctos qui la soutint de sa plaidoirie (cf. Phavorinos, Mélanges historiques), laquelle fut écrite par le sophiste Polycrate, selon Hermippe, par Anytos selon d’autres, et ce fut l’orateur Lycon qui prépara les pièces du procès. [2,39] Antisthène dans ses Successions des Philosophes et Platon dans son Apologie disent qu’il eut trois accusateurs : Anytos, Lycon et Mélitos, qu’Anytos prétendait défendre la cause des artisans et celle des hommes politiques, Lycon celle des orateurs et Mélitos celle des poètes, toutes catégories de gens que Socrate attaquait. Phavorinos, dans le premier livre de ses Commentaires, dit que le discours de Polycrate contre Socrate n’est pas authentique, car il y est fait mention de la reconstruction des murs par Conon, reconstruction qui fut faite six ans après la mort de Socrate. Et voilà ce qui en est. [2,40] Voici quel était le serment préalable des deux parties dans le procès (on l’a en effet conservé jusqu’à ce jour (cf. Phavorinos) dans le Métroon) : « J’accuse par serment, moi Mélitos, fils de Mélitos, du dème de Pitthée, Socrate, fils de Sophronisque, du dème d’Alopèce. Socrate est coupable de nier les dieux que reconnaît l’État et de vouloir introduire des divinités nouvelles, coupable aussi de corrompre la jeunesse. Châtiment demandé : la mort » Pour revenir à notre philosophe, ayant lu l’apologie que Lysias venait d’écrire pour lui, il lui dit : « Ton discours est fort beau, Lysias, mais ne me convient pas. » Il était en effet évidemment plus juridique que philosophique ; [2,41] et comme Lysias lui demandait : « Si mon discours est beau, comment se peut-il qu’il ne te convienne pas ? », il lui répondit : « Est-ce que, de même, un vêtement ou des souliers ne peuvent pas être beaux et pourtant ne pas me convenir ? » Pendant qu’on le jugeait, Juste le Tibérien (Tableau Généalogique) raconte que Platon monta à la tribune et dit : « Bien que je sois le plus jeune, citoyens d’Athènes, de ceux qui sont montés à la tribune... » Mais les juges se mirent à crier : « Descendez, descendez !... » Socrate fut donc condamné par une différence de deux cent quatre- vingt-un votes. Comme les juges cherchaient à estimer à quelle amende il fallait le condamner, il se déclara prêt à payer vingt-cinq drachmes. [2,42] (Eubulide dit qu’il en promit cent). Là-dessus, comme les juges faisaient du tumulte, il ajouta : « Pour ce que j’ai fait, j’estime qu’il faut me nourrir au Prytanée. » Et eux alors le condamnèrent à mort avec une majorité accrue de quatre-vingts voix. On le mit en prison et peu de jours après il but la ciguë après de nombreux et beaux entretiens que rapporte Platon dans le Phédon. Certains auteurs disent qu’il composa un péan dont voici le début : Je vous salue, Apollon, et toi Artémis, enfants illustres. Dionysodore dit que ce péan n’est pas de Socrate. Il a fait une fable à la manière d’Esope, mais assez mauvaise, et qui commence ainsi : Esope, un jour, a dit aux habitants de la ville de Corinthe "De ne pas juger la vertu avec la sagesse populaire". [2,43] A peine Socrate était-il mort, les Athéniens se repentirent, fermèrent les palestres et les gymnases et condamnèrent les accusateurs de Socrate, les uns à l’exil et Mélitos à mort. Ils honorèrent Socrate d’une statue de bronze, oeuvre de Lysippe, placée au Pompéion. Anytos avait plié bagage et quitté Athènes pour Héraclée, mais il en fut expulsé dès son arrivée par les habitants de la ville. Ce revirement des Athéniens n’eut pas lieu seulement pour Socrate. Homère, selon Héraclide, fut condamné à une amende de cinquante drachmes pour folie. On accusa Tyrtée de délire. Astydamas, avant Eschyle, fut honoré d’une statue de bronze. [2,44] Euripide fait des reproches aux Athéniens dans son Palamède, en ces termes : "Vous avez tué, vous avez tué le très sage Et l’innocent rossignol des muses". Sur cette question, voilà ce qui en est. Philochore toutefois dit qu’Euripide est mort avant Socrate. Socrate était né (cf. Apollodore, Chroniques) sous l’archontat d’Apséphon, la quatrième année de la soixante-dix-septième olympiade, le sixième jour du mois de mai, le jour où les Athéniens purifient la ville et où Artémis naquit à Délos. Il mourut la première année de la quatre-vingt-quinzième olympiade, âgé de soixante-dix ans. Ces renseignements sont confirmés par Démétrios de Phalère. On dit parfois qu’il est mort à soixante ans. [2,45] Euripide, comme Socrate, avait été élève d’Anaxagore. Euripide naquit la première année de la soixante-quinzième olympiade, sous l’archontat de Callias. Je crois, pour ma part, que Socrate s’est occupé non seulement de morale mais de physique, dans ses entretiens sur la providence (cf. Xénophon), bien qu’il ait affirmé n’avoir jamais parlé que de morale. Platon toutefois, dans l’Apologie, citant Anaxagore et les autres physiciens, parle de ces questions que Socrate nie et les lui attribue toutes. Aristote, d’autre part, dit qu’un mage venu de Syrie à Athènes fit à Socrate une prédiction fausse en tous points, sauf en celui-ci : qu’il mourrait de mort violente. [2,46] J’ai écrit sur lui les vers suivants : "Bois, maintenant, chez Zeus, Socrate, car Il t’a nommé sage, et il est la sagesse même. Les Athéniens t’ont fait boire la ciguë, Mais ils l’avaient bue d’abord sur ta bouche". Aristote (Poétique, liv. III) rappelle que Socrate eut une polémique avec un certain Antiloque de Lemnos et avec Antiphon, interprète des prodiges, tout comme Pythagore fut critiqué par Cylon de Crotone, Homère par Suagros pendant sa vie et après sa mort par Xénophane de Colophon, Hésiode par Cercops pendant sa vie et après sa mort par Xénophane déjà nommé, Pindare par Amphimène de Cos, Thalès par Phérécide et Bias par Salaros de Priène, Pittacos par Antiménide et Alcée, Anaxagore par Sosibios et Simonide par Timocréon. [2,47] Parmi ses successeurs, appelés Socratiques, les principaux sont Platon, Xénophon, Antisthène. De ceux qui furent appelés les dix, les plus en vue sont au nombre de quatre : Eschine, Phédon, Euclide, Aristippe. Il faut parler d’abord de Xénophon, puis d’Antisthène de la secte des Cyniques, ensuite des Socratiques, et enfin de Platon, puisqu’il est le chef des dix sectes, et qu’il a fondé la première académie. Que ce soit donc l’ordre que nous suivrons. Il y eut d’autres Socrate, un historien, qui a fait une description détaillée d’Argos, un Péripatéticien originaire de Bithynie, un poète auteur d’épigrammes, et un autre, originaire de Cos, qui écrivit des prières aux dieux.