[32,0] LIVRE XXXII (fragments). [32,1] {Excerpt. Vatican., p. 90}. —Les Carthaginois, en guerre avec Masinissa, semblaient avoir rompu le traité conclu avec les Romains. Ils envoyèrent donc des députés {pour s'excuser}. Les Romains répondirent qu'ils savaient ce qu'ils avaient à faire. Cette réponse ambiguë alarma vivement les Carthaginois. [32,2] Ceux qui aspirent au pouvoir l'acquièrent par la prudence et le courage ; ils l'agrandissent par la douceur et la clémence, et le consolident par la crainte et la terreur. On en comprendra la vérité en comparant les anciens règnes avec l'empire actuel des Romains. [32,3] Les envoyés des Carthaginois allant déclarer que les auteurs de la guerre contre Masinissa avaient été punis, un des sénateurs s'écria : «Pourquoi ne les a-t-on pas punis au moment même de la guerre? pourquoi en a-t-on attendu la fin pour leur infliger leur châtiment?» Les envoyés des Carthaginois gardèrent le silence, n'ayant aucune raison valable à dire pour leur défense. Le sénat émit alors cette réponse obscure et ambiguë : « Les Romains feront ce qu'il faudra. » [32,4] {Excerpt. de Virt. et Vit., p. 589-590}. — Philippe, fils d'Amyntas, trouvant son royaume soumis aux Illyriens, le recouvra tant par les armes que par son génie; il en fit l'empire le plus grand d'Europe par sa clémence envers les vaincus. Ayant remporté une victoire signalée sur les Athéniens, qui lui disputaient la suprématie, il eut bien soin de faire enterrer les ennemis morts, laissés sans sépulture ; il renvoya aussi dans leur patrie plus de deux mille prisonniers; sans leur demander aucune rançon. Aussi, ceux qui lui avaient disputé la suprématie, sensibles à la clémence du roi envers les vaincus, lui remirent-ils spontanément le commandement des Grecs ; et ce qu'il ne put obtenir par un grand nombre de combats, il l'obtint des ennemis volontairement par sa seule clémence. Enfin, il affermit son empire par la terreur, en rasant Olynthe, ville de dix mille habitants. Conformément au même principe, son fils Alexandre détruisit Thèbes, et intimida par ce châtiment les Athéniens et les Lacédémoniens, qui auraient pu être tentés de se révolter. Dans la guerre contre les Perses, il se conduisit très généreusement à l'égard des captifs, et se concilia l'affection des peuples de l'Asie, non seulement par sa bravoure, mais encore par sa douceur. Et dans ces derniers temps, les Romains, ambitionnant l'empire du monde, l'ont acquis par les armes, mais ils l'ont agrandi par leur clémence envers les vaincus. Loin de se montrer cruels et vindicatifs, ils traitaient les vaincus en amis et en bienfaiteurs plutôt qu'en ennemis. Car, au moment où les vaincus s'attendaient à être punis du dernier supplice, les vainqueurs ne le cédaient à personne en libéralité : ils accordaient aux uns le droit de cité, aux autres des alliances de famille, et rendaient à plusieurs la liberté ; enfin, ils ne maltraitaient jamais personne. Grâce à cette extrême douceur, les rois et les nations se mirent en masse sous la protection des Romains. Mais, devenus maîtres presque du monde entier, ils affermirent leur autorité par la terreur et la destruction des villes les plus célèbres. C'est ainsi qu'ils renversèrent Corinthe, Carthage et Numance, en Celtibérie ; ils exterminèrent les rois, tels que Persée, en Macédoine, et soumirent beaucoup d'autres par la terreur. [32,5] Les Romains ont surtout à cœur de n'entreprendre que des guerres justes, et de ne rien décréter à ce sujet inconsidérément. [32,6] {Excerpt. de Légat., p. 527-528}. — Les Romains marchèrent contre les Carthaginois. Ceux-ci, informés que leurs ennemis avaient abordé à Lilybée, et n'osant pas leur faire la guerre, envoyèrent des députés à Rome, chargés de remettre à la discrétion des Romains les personnes et les biens des Carthaginois. Le sénat accepta cette soumission, et répondit que, puisque les Carthaginois étaient sagement conseillés, on leur rendrait lois, pays, temples, tombeaux, liberté, possessions. Mais le sénat n'eut garde de spécifier la ville de Carthage, cachant ses véritables desseins, qui étaient la destruction de cette ville. Il ajouta en outre que les Carthaginois seraient traités en amis, lorsqu'ils auraient donné en otages trois cents enfants de sénateurs, et qu'ils se soumettraient aux ordres des consuls. Les Carthaginois, se croyant délivrés de la guerre, fournirent ces otages non sans beaucoup de lamentations. Les Romains abordèrent ensuite à Utique. Les Carthaginois envoyèrent de nouveau des députés pour demander si les Romains avaient d'autres ordres à leur donner. Les consuls répondirent qu'il fallait franchement rendre les armes et les catapultes. Les Carthaginois en furent d'abord peinés, à cause de la guerre contre Asdrubal; cependant, ils rendirent deux cent mille armes de toute espèce et deux mille catapultes. Les Romains envoyèrent ensuite demander aux Carthaginois quelques-uns de leurs sénateurs, pour leur faire connaître leur dernier ordre : on leur envoya trente des plus célèbres sénateurs. Le plus âgé des consuls, Manilius, leur répondit alors : « Le sénat de Rome a décrété que les Carthaginois quittent la ville qu'ils habitent, et qu'ils en construisent une autre à quatre-vingts stades de la mer. » A ces paroles, les envoyés éclatèrent en gémissements; ils se jetèrent à terre, pleurant et se lamentant ; ce spectacle produisit une impression profonde sur l'assemblée. Après que les envoyés carthaginois se furent un peu remis de leur terreur, Hannon, seul d'entre eux, éleva la voix, et prononça un discours conforme à la circonstance, et dans lequel il fit preuve de courage autant que de franchise ; il excita la sympathie des assistants. [32,7] Résolus à détruire Carthage, les Romains renvoyèrent les députés, et leur ordonnèrent de porter aux Carthaginois le décret du sénat. Quelques-uns de ces députés, renonçant au retour dans leur patrie, s'enfuirent où ils pouvaient; les autres, aimant mieux revenir chez eux, s'acquittèrent de leur triste mission. La foule alla au-devant d'eux ; sans prononcer une parole, ils se frappèrent la tête, levèrent les mains au ciel, et, implorant les dieux, se dirigèrent sur la place publique, où ils apprirent au sénat les ordres des Romains. [32,8] {Excerpt. de Virt. et Vit., p. 590-591}. — Scipion, plus tard surnommé l'Africain, n'était alors que tribun militaire. Pendant que les autres violaient leur serment et la foi promise aux ennemis, Scipion conservait fidèlement les garanties accordées aux assiégés, et traitait avec douceur ceux qui se remettaient à sa discrétion. Le bruit de cette équité se répandit dans la Libye ; aucun des assiégés ne voulut se rendre que sur la foi de Scipion. [32,9] ... Trois Romains tombèrent dans ce combat, et restèrent sans sépulture. Tous furent affligés de la perte de ces hommes et de leur privation de sépulture. Scipion, avec la permission du consul, engagea Asdrubal, par écrit, à rendre aux morts les derniers devoirs. La chose fut exécutée, et on renvoya les os au consul; Scipion s'acquit par cet acte beaucoup de gloire et une grande réputation auprès des ennemis. [32,10] Pseudophilippe ayant vaincu les Romains dans une bataille célèbre, devint cruel et tyrannique : il fit périr un grand nombre de riches sur de fausses accusations, et se souilla du meurtre de plusieurs de ses amis. Il était naturellement féroce et sanguinaire, présomptueux dans ses entretiens, cupide et tout à fait méchant. [32,11] {Excerpt. Photii, p. 519-522}. — Après la bataille, Alexandre, accompagné de cinq cents hommes, se réfugia à Abas, en Arabie, auprès du souverain Dioclès, auquel il avait déjà confié son jeune fils, Antiochus. Puis, les chefs réunis autour d'Héliade, et qui se trouvaient auprès d'Alexandre, envoyèrent secrètement des députés pour traiter au sujet de leur propre souveraineté, promettant de faire assassiner Alexandre. Démétrius y ayant consenti, ces chefs devinrent non seulement des traîtres, mais encore les meurtriers du roi. [32,12] Il ne faut pas passer sous silence un événement arrivé avant la mort d'Alexandre, et qui, en raison de sa singularité, paraîtra peut-être incroyable. Un peu avant cette époque, le roi Alexandre était allé consulter l'oracle en Cilicie, où existe, dit-on, un temple d'Apollon Sarpédonien. Cet oracle lui avait répondu qu'il fallait se garder de visiter le lieu qui avait vu naître un sujet à double forme. Cet oracle parut alors très obscur: mais, à la mort du roi, on se l'expliqua facilement par les raisons suivantes. Il y avait à Abas, en Arabie, un certain Diophante, Macédonien d'origine. Il épousa une femme du pays, et en eut un fils de même nom que lui, et une fille appelée Héraïs. Le fils mourut avant l'âge mûr, et la fille, bien dotée, épousa un certain Samiade. Celui-ci, après un an de mariage, entreprit un voyage lointain. Héraïs fut frappée d'une maladie singulière et tout à fait incroyable. Il se déclara une violente inflammation au bas-ventre ; cette partie se tuméfiant de plus en plus, il survint beaucoup de fièvre, et les médecins déclarèrent qu'il s'était formé une ulcération au col de la matrice. Ils employèrent donc les remèdes qu'ils croyaient devoir calmer l'inflammation; mais, le septième jour, la tumeur s'ouvrit au dehors, et l'on vit sortir, des parties sexuelles d'Héraïs, un membre viril avec les deux testicules. Cette rupture eut lieu en l'absence du médecin et de tout autre témoin étranger ; il n'y avait que la mère et deux servantes. Ces femmes en furent saisies de stupeur; elles donnèrent à Héraïs les soins convenables, et gardèrent le silence sur cet accident. Délivrée de cette maladie, Héraïs continua à porter des vêtements de femme, à garder la maison, et à se conduire comme une femme mariée. Ceux qui en connaissaient le secret soupçonnèrent qu'elle était hermaphrodite, et que, dans ses rapports avec son mari, il n'y avait pu avoir d'autres embrassements que ceux d'homme à homme. Ce secret, cependant, ne s'était pas répandu hors de la maison. Samiade, à son retour, voulut, comme il est naturel de penser, cohabiter avec sa femme ; et comme, toute honteuse, elle n'osait pas se découvrir, Samiade se fâcha. Cependant son mari y mit de l'insistance, et, comme de son côté le père d'Héraïs s'opposait au rapprochement, et que la honte l'empêchait d'en dire la raison, la dispute s'alluma. Samiade intenta, au sujet de sa femme, un procès à son beau-père, et l'affaire fut portée devant le tribunal, comme un événement extraordinaire et scénique. Les juges se rassemblèrent ; et, après avoir prononcé des discours pour et contre, en présence de l'objet en litige, ils furent bien embarrassés pour savoir à qui ils donneraient raison, au mari ou au beau-père; enfin, ils prononcèrent que la femme devait suivre son mari. Alors Héraïs déclara son véritable sexe, et, se découvrant, elle le fit voir à tous les assistants ; rompant le silence, elle demanda avec indignation si on pouvait la forcer à cohabiter avec un homme. Tous en furent stupéfaits, et jetèrent des cris d'admiration ; Héraïs, cachant sa pudeur, alla changer les ornements de femme contre le costume d'un jeune homme. Les médecins en explorant les parties, reconnurent que les organes sexuels mâles avaient été cachés dans une poche ovalaire de la vulve, recouverte d'une membrane contre nature, munie d'un orifice par lequel se faisaient les sécrétions naturelles. Les médecins employèrent donc un traitement convenable pour faire ulcérer et cicatriser le canari urinaire {anomal}, et mettre les organes génitaux mâles dans leur état naturel. Héraïs changea son nom en celui de Diophante, servit dans la cavalerie, se battit à côté du roi Alexandre, et se retira avec lui à Abas. Ce fut alors que l'on comprit le sens, auparavant ignoré, de l'oracle : le roi avait paru à Abas, où était né un être à double forme. Samiade, subjugué par l'amour et le souvenir des habitudes du passé, et accablé par la honte d'un mariage contre nature, légua tous ses biens à Diophante, et s'ôta la vie. Ainsi, l'individu né femme s'acquit par sa bravoure la gloire d'un homme, et celui qui était réellement homme se montra plus faible qu'une femme. [32,13] Trente ans plus tard, un semblable phénomène se présenta dans la ville d'Épidaure. Il y avait dans cette ville une jeune personne orpheline, réputée fille et nommée Callo. Elle avait une imperforation du canal qui distingue les parties génitales de la femme; dès sa naissance, elle avait, près de la partie appelée peigne, un canal par lequel s'évacuaient les matières liquides. Arrivée à l'âge de puberté, elle fut mariée à un de ses concitoyens; elle vécut ainsi mariée pendant deux ans : impropre à l'acte conjugal, elle était forcée de servir aux plaisirs contre nature. Quelque temps après, il se manifesta dans cette région un flegmon accompagné d'atroces douleurs. Un grand nombre de médecins furent appelés en consultation; aucun d'eux n'osait répondre de la guérison, lorsqu'un pharmacien promit de guérir la personne : il incisa la tumeur, d'où sortirent des organes sexuels mâles, savoir : des testicules et une verge imperforée. Tous les assistants furent étonnés de cette merveille. Cependant, le pharmacien chercha à remédier au défaut d'imperforation : il fit d'abord une incision à l'extrémité du membre, et la conduisit de manière à produire une perforation jusque dans l'urètre ; il y introduisit une sonde d'argent, par laquelle il évacua le liquide accumulé, et fit cicatriser le canal après l'avoir fait ulcérer. Ayant, de cette façon, guéri le malade, le pharmacien demanda un double salaire; car, disait-il, au lieu d'une femme malade, je vous rends un jeune homme bien portant. Callo quitta ses navettes et ses travaux de femme, changea son vêtement contre celui d'un homme, prit les habitudes du sexe masculin; et se fit appeler Callon, en ajoutant un n à la fin de son nom. Suivant quelques-uns, Callo, avant de se convertir en homme, avait été prêtresse de Cérès, et, comme elle avait vu {dans ce culte} des choses que les hommes ne doivent pas voir, elle fut accusée de sacrilège. [32,14] De semblables monstruosités ont été, dit-on, observées à Naples et dans plusieurs autres lieux. La nature n'a pas réuni les deux sexes dans ces êtres biformes, cela est impossible ; mais elle en a tracé les apparences au moyen de quelques parties du corps, pour étonner et tromper les hommes. Nous avons jugé à propos de rapporter ces phénomènes, non pas pour amuser, mais pour instruire le lecteur. Beaucoup d'hommes, les regardant comme des prodiges, en conçoivent des craintes superstitieuses ; ces craintes ne s'observent pas seulement chez les simples particuliers, mais chez des nations et dans des cités. Au commencement de la guerre marsique, un habitant des environs de Rome s'était marié avec un androgyne semblable à ceux dont nous venons de parler. Il dénonça le fait au sénat qui, poussé par la superstition et les aruspices étrusques, ordonna de le faire brûler vif. Cet androgyne n'était cependant pas une véritable monstruosité, et il périt parce qu'on n'en savait pas convenablement apprécier l'infirmité. Quelque temps après, un semblable androgyne se vit chez les Athéniens qui, par la même ignorance, le brûlèrent vivant. [32,15] On raconte que les hyènes ont les deux sexes réunis, et s'entrecroisent mutuellement. Cependant, il n'en est pas ainsi : les sexes sont simples et distincts, et ce prétendu hermaphrodisme n'est qu'une illusion : la femelle a seulement un appendice semblable à un membre viril, et le mâle en a un qui ressemble à l'organe sexuel femelle. La même observation s'applique aussi à tous les autres animaux ; il naît à la vérité un grand nombre de monstruosités de tout genre, mais elles ne peuvent pas atteindre leur entier développement. Ces remarques doivent suffire pour nous corriger de la superstition. Voilà ce que Diodore rapporte à la fin du trente-deuxième livre de son histoire. [32,16] Les murs de Carthage avaient quarante coudées de haut sur vingt-deux de large. Malgré ces moyens de défense, on vit que les machines et la bravoure des Romains l'emporteraient ; la ville fut en effet prise d'assaut et rasée. [32,17] {Excerpt. Vatican., p. 91}. — Les femmes des Carthaginois apportèrent leurs ornements d'or; car, dans cette grave conjoncture, tout le monde était indifférent à la perte des richesses par lesquelles on croyait racheter son salut. [32,18] Marcus Porcius Caton, si renommé par sa sagesse, interrogé sur ce que Scipion faisait en Libye, répondit : « Lui seul est sage; les autres errent comme des ombres. » Le peuple eut tant d'affection pour cet homme qu'il le nomma consul. [32,19] {Excerpt. de Virt. et Vit., p. 591}. — Le peuple aimait tellement Scipion que, bien que l'âge et les lois s'y opposassent, il mit le plus grand empressement à l'investir de l'autorité consulaire. [32,20] {Excerpt. Vatican., p. 91}.— La fortune avait, comme à dessein, de part et d'autre, également distribué des auxiliaires. [32,21] {Excerpt. Photii, p. 523}. — Masinissa, roi des Libyens, et toujours fidèle aux Romains, vécut, jouissant de toutes ses facultés, pendant quatre-vingt-dix ans. En mourant, il laissa dix enfants, dont il confia la tutelle aux Romains. Masinissa était vigoureux de corps et exercé aux fatigues dès son enfance. Sur pied de bon matin, il restait toute la journée immobile et occupé aux mêmes travaux : une fois assis, il ne se levait de son siège qu'à la nuit ; une fois à cheval, il s'y tenait, sans se fatiguer, des journées entières. Ce qui prouvait la bonne constitution et la santé robuste de ce roi, c'est que, à près de quatre-vingt-dix ans, il avait un fils âgé de quatre ans d'une force remarquable. Il s'appliquait avec soin à l'agriculture, et laissa à chacun de ses fils un champ de dix mille plèthres en plein rapport. Il régna pendant soixante ans d'une manière distinguée. [32,22] {Excerpt. de Virt. et Vit., p. 591}. — Le consul romain Calpurnius {Pison}, violant les traités, détruisit quelques-unes des villes qu'il avait prises par capitulation. Aussi un génie contraire, pour punir ce crime, sembla-t-il le faire échouer dans ses entreprises, dont aucune ne fut conduite à bonne fin. Le roi Prusias, laid et efféminé, était odieux aux Bithyniens. [32,23] {Excerpt. Vatican., p. 92} — Le sénat envoya des députés en Asie pour mettre un terme à la guerre entre Nicomède et Prusias, père de celui-ci. Il choisit pour députés Licinius, qui avait la goutte, Mancinus, qui avait eu la tête fracturée par la chute d'une tuile, et une portion des os enlevés, enfin, Lucius, qui était tout à fait privé de sentiment. Caton, président du sénat, et qui se faisait remarquer par son esprit, dît, dans l'assemblée des sénateurs : « Nous envoyons une députation qui n'a ni pieds, ni tête, ni cœur. » Ce trait d'esprit eut beaucoup de succès dans la ville. [32,24] {Excerpt. Photii, p. 523}. — Nicomède défit son père Prusias, le tua dans le temple de Jupiter où il s'était réfugié, et se mit, par ce meurtre impie, en possession du royaume de Bithynie. [32,25] {Excerpt. Vatican., p. 92à. — Pendant le siège de Carthage, Asdrubal envoya une députation auprès de Collosès, et l'invita à un entretien. D'après les instructions du général en chef (Scipion), Colossès offrit à Asdrubal, ainsi qu'à des familles de son choix, un sauf-conduit, un présent de dix talents et cent esclaves. Mais Asdrubal répondit qu'il n'oserait regarder le soleil, s'il cherchait à se sauver pendant que sa patrie était ruinée par le fer et le glaive. Ces paroles, pleines de fierté, forment un grand contraste avec les actes d'Asdrubal. En effet, pendant que la patrie était sur le bord de l'abîme, Asdrubal passait son temps dans de somptueux festins et dans un luxe insultant. Pendant que ses concitoyens mouraient de faim, il allait vêtu de pourpre, et portant une chlamyde magnifique, comme pour insulter aux malheurs de sa patrie. Après la prise de Carthage, Asdrubal, oubliant son orgueil et sa jactance, abandonna les transfuges et se rendit en suppliant auprès de Scipion. Il tomba à genoux, versa des larmes et employa toutes les prières pour attendrir le cœur de Scipion. Celui-ci le consola, et, s'adressant à ses amis, présents à ce spectacle : « Voici, dit-il, l'homme qui, naguère, a refusé de sauver sa vie au prix de beaucoup de biens. Exemple frappant de l'inconstance de la fortune qui abaisse inopinément l'orgueil de l'homme ! » [32,26] Pendant que Carthage était en feu, et que toute la ville était la proie d'une épouvantable flamme, Scipion ne put retenir ses larmes. Polybe, son précepteur, lui ayant demandé le motif de ses pleurs, Scipion répondit : « Je songe aux vicissitudes de la fortune ; peut-être le moment viendra où Rome aura le même sort, » Et il se mit à réciter ces vers du poète : « Un jour viendra où la ville sacrée d'Ilion périra, Priam et son peuple. » [32,27] {Excerpt. de Virt. et Vit., p. 591}. — Après la prise de Carthage, Scipion montra aux envoyés siciliens présents toutes les dépouilles, et leur ordonna de chercher et de remporter en Sicile ce que les Carthaginois leur avaient autrefois enlevé. On trouva parmi ces dépouilles un grand nombre de tableaux d'hommes célèbres, et de statues, chefs- d'œuvre de l'art ; on y trouva aussi beaucoup de magnifiques offrandes sacrées en argent, en or. Il y avait aussi le fameux taureau d'Agrigente, que Périlaüs avait construit pour le tyran Phalaris, et par lequel périt, le premier, celui qui avait inventé cet ouvrage pour le supplice des autres. [32,28] {Excerpt. Vatican., p. 94-97à. — Depuis les temps historiques, on n'a jamais vu la Grèce plongée dans d'aussi grandes calamités; il serait impossible de les peindre ni de les lire sans verser des larmes. Je n'ignore pas combien il est pénible de raconter les malheurs de la Grèce et de léguer à la postérité le récit de cette histoire; mais je vois que les leçons de l'expérience peuvent servir aux hommes à réparer des fautes. Ce n'est donc pas les historiens qu'il en faut blâmer, mais plutôt ceux qui conduisent les affaires d'une manière insensée. C'est ainsi que la ligue achéenne succomba, non par défaut de courage militaire, mais par l'impéritie des chefs. A cette même époque, où Carthage cessa d'exister, un malheur non moins grand, ou, pour dire vrai, une grande catastrophe arriva aux Grecs. En effet, tandis que les Carthaginois trouvèrent sous les ruines de leur ville en même temps la fin de leurs souffrances, les Grecs assistèrent, comme témoins oculaires, aux massacres de leurs parents et de leurs amis; ils virent les têtes tomber sous la hache des licteurs, les villes de la patrie saccagées, les populations insolemment réduites en esclavage ; enfin, après la perte de leur liberté et de leurs franchises, ils tombèrent du faite de la prospérité dans la plus profonde misère. Ils éprouvèrent ces grands malheurs parce qu'ils avaient entrepris contre les Romains une guerre insensée. Il semblerait, en effet, qu'un démon de rage ait entraîné les Achéens à leur perte. Les généraux étaient la cause de tous ces malheurs : les uns, obérés de dettes, fomentaient des troubles et des guerres, faisaient abolir les dettes, et, soutenus par une foule d'hommes obérés comme eux, ils soulevaient les masses ; quelques autres, poussés par la démence, prenaient des résolutions désespérées. Critolaüs surtout excita la fureur du peuple, et, abusant de sa dignité de magistrat, il accusa publiquement les Romains d'insolence et de cupidité ; il disait qu'il voulait bien avoir les Romains pour amis, mais qu'il ne voulait pas les avoir pour maîtres. Il déclara aux Achéens que s'ils voulaient se montrer hommes, ils ne manqueraient pas d'alliés, mais que s'ils voulaient se conduire en esclaves, ils auraient bientôt des maîtres. Enfin il se vantait déjà d'avoir l'alliance de plusieurs rois et cités. Enflammé par ces discours, le peuple déclara la guerre en apparence aux Lacédémoniens, mais en réalité aux Romains. C'est ainsi que souvent le vice l'emporte sur la vertu, et un conseil pernicieux sur un avis salutaire. [32,29] Les poètes avaient prédit la destinée de Corinthe : « Corinthe, astre brillant de la Grèce. » Cette ville fut détruite par les vainqueurs pour épouvanter la postérité. La ruine de cette ville était un objet de commisération, non seulement pour les témoins oculaires, mais la postérité, qui en verra les ruines elles-mêmes, sera touchée de pitié. Quel est le voyageur qui ne verserait pas de larmes en voyant ces ruines, vestiges d'une gloire et d'une prospérité qui ne sont plus! Aussi, cent années après, Calus Julius César qui, en raison de ses exploits, a été admis au nombre des dieux, rétablit cette ville qu'il avait vue en ruines. — Les âmes atteintes d'affections opposées flottent entre l'espoir au salut et la crainte de la destruction. [32,30] {Excerpt. de Virt. et Vit., p. 591}. — Environ cent ans après, Caïus Julius César, admis au nombre des dieux, visita Corinthe, et, touché de pitié, il s'empressa de relever cette ville de ses ruines. Ce citoyen distingué, par sa clémence, mérite une grande gloire et les éloges éternels de l'histoire. Tandis que ses ancêtres s'étaient durement conduits envers cette ville, il répara par sa clémence le mal qu'ils avaient fait, aimant mieux pardonner que punir. Il surpassa par la grandeur de ses exploits ses prédécesseurs, et, par sa vertu, il s'acquit à juste titre le surnom de divin. Enfin, par son illustre origine, par son éloquence, par ses connaissances militaires et son désintéressement, il mérite les éloges de l'histoire.