[31,0] LIVRE XXXI (fragments). [31,1] {Excerpt. Vatican., p. 79, 80} — Dans l'origine, Antiochus déclara qu'il avait fait ces grands préparatifs de guerre, non pour prétendre au royaume d'Égypte, mais pour assurer à Ptolémée l'aîné le trône de son père. Cependant il n'en était pas ainsi en réalité; en mettant aux prises les deux jeunes gens, il espérait trouver l'occasion de se concilier la reconnaissance {de l'un des deux} et de s'emparer de l'Égypte sans coup férir. En effet, le sort, dévoilant les projets d'Antiochus, fit voir clairement que ce dernier était comme tant d'autres rois, qui mettent leurs propres intérêts bien au-dessus de la morale. [31,2] — Antiochus alla à la rencontre des envoyés romains ; il les salua de loin de la voix et du geste {en étendant la main droite}. Mais Popilius lui tendit le rouleau qui contenait le décret du sénat, et lui ordonna de le lire. Popilius se conduisit sans doute ainsi afin de ne pas donner la main à Antiochus avant qu'il se fût déclaré ami ou ennemi de Rome. Le roi, après avoir lu le décret, dit qu'il voulait d'abord consulter ses amis. En entendant ces paroles, Popilius fit quelque chose de grave et de hautain en apparence ; tenant dans sa main une baguette de sarment, il traça un cercle autour de l'endroit où se tenait debout Antiochus et le somma de rendre une réponse. Alors Antiochus, saisi d'étonnement à la vue d'un procédé aussi inattendu, et redoutant d'ailleurs la puissance des Romains, dit, dans ce moment d'anxiété où il ne pouvait prendre conseil de personne, qu'il ferait tout ce que les Romains exigeraient. Aussitôt ceux qui se trouvaient avec Popilius offrirent la main au roi et le félicitèrent sur le parti qu'il venait de prendre. L'ordre écrit du sénat était qu'Antiochus devait sur-le-champ mettre un terme à la guerre qu'il faisait à Ptolémée. Le roi, conformément à cet ordre, rappela ses troupes de l'Égypte, car il redoutait d'autant plus la puissance des Romains, qu'il venait d'être informé de la défaite des Macédoniens ; s'il n'eût appris cette nouvelle, il n'aurait pas aussi promptement exécuté le décret du sénat. [31,3] Quelques sages de l'antiquité ont émis cette belle maxime, qu'il vaut mieux pardonner que punir. Nous estimons ceux qui exercent le pouvoir avec bienveillance, tandis que nous éprouvons de l'aversion pour ceux qui traitent impitoyablement les vaincus. Aussi voyons-nous les uns, tombés dans le malheur, secourus par ceux qu'ils avaient traités très généreusement, tandis que les autres, tombés dans les mêmes infortunes, éprouvent non seulement la rigueur du sort qu'ils ont fait subir aux autres, mais ils sont même regardés comme indignes de la compassion accordée aux malheureux. Il n'est pas juste, en effet, que celui qui s'est montré sans pitié envers les autres, éprouve les effets de la puissance du vainqueur, lorsqu'il tombe dans le malheur. Et cependant il y a des gens assez insensés pour se glorifier de la vengeance excessive qu'ils ont exercée envers leurs ennemis. Quelle gloire et quelle grandeur y a-t-il pour les vainqueurs à torturer les vaincus? Quel résultat pouvons-nous espérer d'une victoire remportée, si, abusant avec orgueil de nos succès, nous laissons s'évanouir une brillante renommée, et si nous nous montrons indignes des faveurs de la fortune? Une réputation, fondée sur l'accomplissement des belles actions, est assurément le meilleur résultat que puissent ambitionner ceux qui aspirent au commandement. On ne saurait trop s'étonner en voyant que presque tous ceux qui admirent cette maxime, agissent contrairement à cette opinion, une fois arrivés au pouvoir. Les hommes sages doivent, au sein des grandeurs, songer aux vicissitudes de la fortune, et vainqueurs de l'ennemi par le courage, ils doivent se laisser vaincre à leur tour par la clémence et la pitié envers les vaincus. Cette maxime a aidé puissamment tous les hommes à parvenir à la grandeur, et surtout ceux qui sont à la tête des gouvernements. Les hommes vulgaires, lorsqu'ils se soumettent de bon gré, obéissent avec empressement et rendent volontiers des services. Aussi les Romains se sont-ils attachés principalement à gagner la bienveillance des peuples; ils sont guidés, en cela, par une habile politique. Car, en comblant les vaincus de bienfaits, ils leur inspirent une reconnaissance éternelle, et se rendent dignes en même temps de l'admiration de tous les hommes. [31,4] Dans la prospérité, les Romains s'occupaient très attentivement de la manière dont ils devaient tirer parti de leurs avantages, ce qui parait plus facile que de vaincre les ennemis par les armes ; et cependant il en est autrement; car il est plus facile de trouver des gens qui bravent le péril que d'en voir qui sachent se conduire sagement dams la prospérité. [31,5] {Excerpt. Vatican., p. 80}. — .... Après avoir longtemps supplié et chanté, comme dit le proverbe, le chant du cygne, ils n'obtinrent qu'avec peine des réponses qui les délivrèrent de leurs craintes. Lorsqu'ils se crurent hors des dangers suspendus sur leurs têtes, ils supportèrent les autres inconvénients. La plupart des hommes ne tiennent aucun compte des petits accidents lorsqu'ils s'attendent à de grands malheurs. [31,6] {Excerpt. Photii, p. 515}. — Pendant que ces choses se passaient, les envoyés des Rhodiens arrivèrent à Rome pour justifier leur cité de la trahison dont on l'accusait ; car dans la guerre contre Persée ils avaient paru favoriser ce roi et trahir l'amitié du peuple romain. Ces envoyés n'ayant pu remplir le but de leur mission, furent très affligés, et c'est tout en larmes qu'ils abordaient les principaux personnages de la ville. Le tribun du peuple, Antoine, les ayant introduits dans le sénat, Philophron prit le premier la parole pour exposer l'objet de la députation; Astymède parla après lui. Après s'être exprimés sur un ton suppliant, enfin, comme dit le proverbe, après avoir fait entendre le chant du cygne, ils reçurent à peine une réponse qui dissipa leurs craintes ; cette réponse était accompagnée de vifs reproches. [31,7] Ce qui fait voir que les Romains les plus illustres ont entre eux de l'émulation pour augmenter la gloire du peuple qui leur a confié le gouvernement. Dans les autres États, les hommes se jalousent, tandis que les Romains se donnent mutuellement des éloges ; de là il résulte que ceux-ci, ne cherchant qu'à augmenter la prospérité publique, font de très grandes choses; au lieu que les premiers, ambitionnant une gloire injuste, se font tort l'un à l'autre, et occasionnent la ruine de leur patrie. [31,8] {Excerpt. de Légat., p. 625}. — Dans le même temps arrivèrent de tous les côtés, à Rome, des députés chargés de féliciter le peuple romain des grandes choses qu'il avait entreprises. Les sénateurs leur répondirent avec bienveillance, et les renvoyèrent aussitôt dans leur patrie. [31,9] {Excerpt. de Légat., p. 624}. — Les députés des Rhodiens vinrent à Rome pour se défendre de la trahison dont on les accusait communément ; car dans la guerre contre Persée, en Macédoine, ils avaient embrassé le parti dé ce roi et trahi l'amitié des Romains. Ces envoyés, voyant l'animadversion publique soulevée contre eux, furent découragés ; et lorsqu'un des préteurs eut rassemblé le peuple pour l'exhorter à la guerre contre les Rhodiens, ils redoutèrent la ruine de leur patrie ; ils en furent tellement consternés, qu'ils prirent des habits de deuil. Dans leurs rencontres avec leurs amis, ils n'employaient pas seulement des paroles suppliantes, mais ils les conjuraient, les larmes aux yeux, de ne pas adopter des mesures trop cruelles contre leur patrie. Ils furent enfin introduits dans le sénat par un des tribuns du peuple ; ce tribun ôta la parole au préteur qui engageait les Romains à la guerre. Après un long discours dans lequel ils imploraient la clémence, ils obtinrent une réponse qui les délivra de toute crainte ; mais pourtant ils eurent à essuyer les plus vifs et les plus durs reproches. [31,10] Dans le même temps, beaucoup d'autres députés arrivèrent. Le sénat donna d'abord audience à Attalus, dont le frère Eumène était gravement soupçonné, d'après des lettres saisies, de s'être allié avec Persée contre les Romains. Plusieurs envoyés de l'Asie formulaient des accusations, principalement les députés du roi Prusias et des Galates. Mais Attalus se justifia sur tous les points, et il fut renvoyé chez lui avec de grands honneurs. Cependant le sénat ne laissa pas de soupçonner la fidélité d'Eumène; Caïus fut donc envoyé dans les États de ce roi pour le surveiller. [31,11] {Excerpt. de Légat., p. 625}. — Prusias, indigne du nom royal, ne cessa pendant toute sa vie de flatter honteusement les hommes puissants. Devant recevoir un jour les députés de Rome, il déposa les insignes de la royauté, le diadème et l'habit de pourpre, imita la tenue d'un esclave nouvellement affranchi; la tête rasée, coiffé d'un chapeau blanc, portant la tunique et le cantile, il s'avança vers les envoyés et leur dit : " Je me présente à vous comme un affranchi des Romains. » On trouverait difficilement une parole plus basse. Il avait déjà précédemment fait et dit des choses de ce genre. Introduit une fois dans le sénat, il s'arrêta à la porte, en face des membres de cette assemblée, et, les mains baissées, il s'inclina humblement et leur dit : " Je vous salue, ô dieux sauveurs ! » surpassant ainsi les flatteries lâches qui ne conviennent qu'à des femmes. Le discours que cet homme prononça devant le sénat fut tel, qu'il serait indécent de le rapporter. Les sénateurs, offensés par les paroles de ce roi, lui répondirent comme le méritait son adulation ; car les Romains aiment mieux vaincre des ennemis courageux que des âmes viles et rampantes. [31,12] {Excerpt. Photii, p. 516}. — Persée, dernier roi de Macédoine, avait souvent recherché l'amitié des Romains ; il leur avait aussi souvent fait la guerre avec une assez forte armée. Enfin Paul Émile le fit prisonnier, et obtint les honneurs d'un triomphe brillant. Persée, quoique accablé par les plus grands malheurs, tels que la relation en paraîtrait fabuleuse, ne voulut pas cependant quitter la vie. Avant que le sénat eût statué sur son sort, un des préteurs de la ville le fit enfermer avec ses enfants dans la prison Albaine. Ce cachot est une caverne souterraine, de la capacité de neuf lits, obscure et infecte à cause de la multitude d'hommes condamnés à mort qui, à cette époque, s'y trouvaient enfermés. Dans cet espace étroit, les malheureux prisonniers, entassés, s'abrutissaient comme des bêtes sauvages. Les aliments et les excréments se trouvant mêlés ensemble, il en résulta une telle fétidité, que personne ne pouvait s'en approcher facilement. Persée y passa sept jours, et fut réduit, par la misère, à implorer le secours des autres prisonniers qui vivaient de leur ration. Ses compagnons, touchés de si grands malheurs, lui donnaient en pleurant une partie de la portion qu'on leur accordait. On lui avait jeté un glaive pour se frapper, une corde pour s'étrangler, avec la facilité de s'en servir s'il le jugeait convenable. Mais rien ne parait plus doux aux malheureux que la vie, quoiqu'ils endurent des souffrances mortelles. Persée aurait fini ses jours dans cette situation misérable, si Marcus Émilius, président du sénat, jaloux de sa dignité et de la réputation de justice de sa patrie, n'eût déclaré aux sénateurs avec indignation que, s'ils ne craignaient pas les hommes, ils devaient au moins redouter Némésis qui châtie ceux qui abusent insolemment de leur pouvoir. Persée fut donc transféré dans une prison plus douce ; mais il se laissa aller à de nouvelles espérances, et sa fin fut misérable comme sa vie. Il vécut ainsi deux ans. Comme il avait offensé ses barbares gardiens, il fut par eux privé de sommeil et il mourut. [31,13] {Excerpt. de Virt. et Vit., p. 589}. — Persée mis en prison, y aurait perdu la vie si Émilius, président du sénat, jaloux de conserver la dignité et la justice de sa patrie, n'eût interpellé les sénateurs avec indignation ---. [31,14] Le chef des Gaulois, revenu de la poursuite des ennemis, rassembla les captifs, et commit une action aussi barbare qu'étrange : il choisit les plus beaux et les plus robustes, et les immola aux dieux, comme si de pareils sacrifices étaient agréables aux immortels ! Il ordonna que les autres fussent percés de traits ; il n'épargna aucun de ceux qui lui étaient attachés par les liens de l'hospitalité ou de l'amitié. Il n'est pas étonnant que les Barbares soient insolents dans la prospérité. [31,15] Eumène avait enrôlé des soldats mercenaires ; il les paya bien et leur accorda des présents ; il leur fit même des promesses, de sorte que tous furent fidèles et bien disposés pour lui. Persée n'avait pas agi de même, car vingt mille Gaulois étant venus s'offrir à lui, il refusa ce secours pour épargner son argent. Mais Eumène, quoiqu'il ne fût pas aussi riche, était très généreux envers tous les soldats qu'il enrôlait et qui pouvaient être utiles à son parti. Persée, qui ne montrait, au lieu d'une magnificence royale, qu'une parcimonie sordide, vit toutes les richesses qu'il avait conservées avec tant de soin passer, avec ses États, entre les mains des vainqueurs, tandis qu'Eumène, ne voyant rien de plus urgent que de remporter la victoire, non seulement délivra son royaume d'un grand danger, mais encore eut à sa discrétion toute la nation des Gaulois. [31,16] Parmi les entreprises d'Antiochus, il y en a qui sont vraiment dignes d'un roi et d'admiration ; quelques autres, au contraire, sont abjectes et viles, et méritent un souverain mépris. Lorsqu'il donnait des jeux solennels, il agissait contrairement aux autres rois : ceux-ci, désireux d'augmenter la prospérité de leur royaume par leurs richesses et leurs forces, cachaient leurs desseins par crainte du peuple romain. Antiochus eut une conduite opposée : il invitait à ses fêtes les hommes les plus célèbres du monde entier, il ornait son palais avec magnificence, et, rassemblant en un seul lieu toutes les richesses de son empire, il mettait tout en évidence, et ne cachait rien aux Romains de ce qu'il aurait dû dissimuler. [31,17] Antiochus surpassa tous les souverains par la magnificence des jeux et des fêtes. Cependant l'arrangement des jeux est une occupation basse et méprisable. Il marchait à côté de la procession, monté sur un mauvais cheval ; devançant les uns, faisant arrêter les autres, il réglait la marche du convoi ; de sorte que si quelqu'un lui eût ôté le diadème, aucun de ceux dont il était inconnu n'aurait pris cet homme, ayant l'apparence d'un médiocre domestique, pour le maître de l'empire. Pendant les repas, il se plaçait aux portes, faisait entrer les uns, prendre place aux autres, et disposait l'ordre de ceux qui portaient les plats. Après cela, il accostait les convives au hasard ; tantôt il s'asseyait, tantôt il se couchait auprès d'eux ; il posait la coupe sur la table , servait le pain, sautait et changeait de place ; il parcourait aussi les rangs des convives, portant et recevant des santés, et accompagnant le chœur des musiciens. Quelquefois le festin se prolongeait, et, après que la plupart des convives s'étaient déjà retirés, le roi, couvert d'un voile, était porté par des mimes, et posé à terre ; ensuite, excité par la musique, il se redressait tout nu, et exécutait, avec les mimes, des danses lubriques qui provoquaient le rire, de manière que tous les convives s'enfuyaient de honte. Cependant chacun de ceux qui avaient assisté à la fête ne pouvait s'empêcher d'admirer la magnificence, la disposition des jeux et la pompe qui entraînaient tant de dépenses. Tout le monde était étonné {des richesses} du roi et du royaume, tandis que, en jetant les regards sur les mœurs blâmables du roi, on avait peine à croire comment tant de vertus et de vices pouvaient être réunis dans une seule personne. [31,18] Après que les jeux furent terminés, les envoyés de Gracchus vinrent visiter le royaume. Le roi les accueillit si amicalement que les envoyés ne soupçonnèrent point les intentions du roi, malgré l'offense qu'il avait reçue en Égypte, et dont il semblait conserver le ressentiment. Cependant Antiochus n'était pas le même au fond de l'âme, car il avait pour les Romains une haine implacable. [31,19] {Excerpt. Vatican., p. 80-83}. — Émilius disait à ceux qui admiraient le soin avec lequel il disposait le théâtre, qu'il fallait le même esprit pour arranger les jeux publics et les festins que pour mettre une armée en ordre de bataille. [31,20] Il y a des malheureux qui ne trouvent rien de plus doux que la vie, bien que la mort soit préférable à leur sort ; c'est ce qui était vrai pour Persée, roi des Macédoniens. [31,21] [31,22] Le royaume des Macédoniens était encore dans un état florissant, lorsque Démétrius de Phalère consigna, dans son ouvrage sur la fortune, ces paroles prophétiques sur ce qui devait arriver à ce royaume : « Si l'on se reporte, par la pensée, à une époque assez rapprochée, à environ cinquante ans avant nous, on se fera une idée de la puissance fatale de la fortune. En effet, ni les Perses, ni leur roi, ni les Macédoniens, ni leur roi, n'auraient cru, lors même qu'un dieu le leur aurait prédit, que, cinquante ans plus tard, le nom des Perses aurait complètement disparu, et que les Macédoniens, qui étaient alors à peine connus de nom, seraient les maîtres du monde. La fortune, qui distribue ses biens au hasard et arbitrairement, se montra dans tout son jour en installant les Macédoniens dans l'empire des Perses. Elle leur a départi ses biens, en attendant qu'elle se ravise. C'est ce qui est arrivé à notre époque. Voilà pourquoi nous avons jugé à propos d'appliquer à la circonstance actuelle ces paroles de Démétrius, qui semblent être plus qu'humaines, car elles prédisent des événements qui ne se sont accomplis que cent cinquante ans après. [31,23] A la mort inattendue des deux fils d'Émilius, tout le peuple partagea la douleur du père. Celui-ci convoqua une assemblée, où il prononça un discours dans lequel il rendit compte de ses actions militaires, et qu'il termina par ces paroles : " Au moment, disait-il, de faire passer des troupes d'Italie en Grèce, j'avais observé le lever du soleil pour mettre à la voile ; à la neuvième heure, je touchai à Corcyre sans qu'il manquât un seul soldat. De là, j'arrivai, le quatrième jour, à Delphes, où je sacrifiai sous d'heureux auspices ; cinq jours après, j'atteignis la Macédoine, je me mis à la tète de mes troupes; dans quinze jours en tout, j'avais forcé les défilés de Pétra, combattu et vaincu Persée. » Enfin, il fit voir aux Romains que, dans ce même nombre de jours, il avait subjugué toute la Macédoine. «Je fus moi-même alors, ajouta-t-il, étonné de ces succès inouïs, et je le fus bien plus encore lorsque, peu de temps après, je devins maître du roi, de ses enfants et de son trésor. Enfin, lorsque l'armée, chargée de butin, revint heureusement et promptement dans la patrie, alors je ne savais réellement pas à quoi attribuer tant de bonheur ; et pendant que tout le monde me félicitait, j'implorais la divinité de préserver là république de tout malheur, ou, si le destin avait décrété quelque coup fatal, de le faire tomber moi-même. Aussi, lorsque j'eus le malheur de perdre mes enfants, j'ai sans doute été vivement affligé de cette perte, mais je suis rassuré sur le sort de la patrie, car le coup fatal que le destin jaloux nous réservait a frappé, non pas la république, mais ma propre maison. » Tout le peuple admira ce discours magnanime et manifesta la plus vive sympathie pour la perte qu'Emilius venait de faire de ses enfants. [31,24] Après la défaite de Persée, le roi Eumène éprouva des revers inattendus. Tout en s'imaginant que la destruction du royaume le plus hostile contre lui contribuerait à la sécurité de ses États, il courut les plus grands dangers. C'est ainsi que la fortune renverse ce qui parait le plus solidement établi; et, au moment où elle semble nous favoriser, elle détruit, par un changement opposé, ce qu'elle avait bien fait. [31,25] Prusias, roi de Bithynie, vint congratuler le sénat et les généraux victorieux. Nous ne devons pas passer sous silence la bassesse de ce roi ; car les louanges qu'on donne aux hommes vertueux portent souvent la postérité à imiter ces exemples, tandis que le blâme qu'on inflige aux méchants détourne beaucoup d'hommes du sentier du vice. Il faut donc user largement du franc parler de l'histoire pour corriger les mœurs. [31,26] {Excerpt. de Virt. et Vit., p. 584à. — Le roi Ptolémée (Philométor), chassé de son royaume, se rendit à pied à Rome. Démétrius, fils de Seleucus, le reconnut, et, frappé de ce changement inattendu du sort, il se conduisit noblement et en roi ; il prit sur-le-champ un vêtement royal, un diadème et un cheval magnifiquement harnaché, et alla, avec ses enfants, au-devant de Ptolémée. Il le rencontra à deux cents stades de la ville, le salua comme un ami, et le pria de se revêtir des insignes de la royauté, d'entrer à Rome d'une manière digne d'un roi et de ne pas s'exposer au mépris du peuple. Ptolémée sut gré des intentions de Démétrius, mais il refusa les présents, et le pria, ainsi qu'Archias, dont il était accompagné, de s'arrêter dans une des villes qui se trouvait sur le chemin. [31,27] {Excerpt. Vatican., p. 84, 85}. — Ptolémée, roi d'Égypte, chassé par son frère, se rendit à Rome dans un misérable équipement et accompagné seulement d'un eunuque et de trois domestiques. Il s'informa, pendant la route, de la demeure du dessinateur Démétrius, qu'il avait plusieurs fois accueilli hospitalièrement dans son voyage à Alexandrie; il vint loger chez ce Démétrius, qui, en raison de la cherté des loyers, habitait à Rome un logement étroit et tout misérable. Qui donc voudrait se fier à ce que le vulgaire appelle le bonheur, ou qui voudrait estimer très heureux ceux que la fortune favorise outre mesure ? Il est en effet difficile de trouver un cas plus frappant d'un si grand et si inattendu changement du sort. C'est sans aucun motif valable que Ptolémée perdit un si grand royaume et fut réduit à une si misérable condition; celui qui commandait à tant de milliers d'hommes libres, n'eut plus tout à coup, à son service, que trois esclaves, débris du naufrage de toute sa fortune. [31,28] {Excerpt. Photii, p. 517, 518}. — Les rois de Cappadoce font remonter leur origine à Cyrus, et ils affirment aussi qu'ils descendent d'un des sept Perses qui ont fait mourir le mage (Smerdis). Voici comment ils établissent leur généalogie à partir de Cyrus : Atossa était sœur légitime de Cambyse, père de Cyrus; elle eut de Pharnace, roi de Cappadoce, un fils appelé Gallus qui engendra Smerdis, père d'Artamne, lequel eut un fils nommé Anaphas, homme courageux, entreprenant, et l'un des sept Perses {meurtriers de Smerdis}. C'est ainsi qu'ils font remonter leur origine à Cyrus et à Anaphas qui, selon eux, avait obtenu la souveraineté de Cappadoce sans payer de tribut aux Perses. Anaphas eut pour successeur un fils de même nom. Celui-ci laissa en mourant deux fils, Datame et Arimnée. Datame prit le sceptre ; c'était un homme distingué par son courage guerrier et loué pour son gouvernement ; il combattit brillamment les Perses et mourut sur le champ de bataille. Son fils Ariamnès lui succéda ; il fut père d'Ariarathès et d'Holopherne ; il mourut après un règne de cinquante ans, sans avoir rien fait de digne de mémoire. L'aîné, Ariarathès, hérita du trône ; on dit qu'il aimait extraordinairement son frère et qu'il le promut aux dignités les plus élevées. Il l'envoya au secours des Perses en guerre avec les Égyptiens. Holopherne revint de cette expédition comblé d'honneurs par Ochus, roi des Perses, en récompense de sa bravoure ; enfin il mourut dans son pays, laissant deux fils, Ariarathès et Arysès. Son frère, souverain de Cappadoce, n'ayant pas d'enfant légitime, adopta Ariarathès, l'aîné des fils d'Holopherne. En ce même temps, Alexandre le Macédonien fit la guerre aux Perses et mourut. Perdiccas, chef du royaume, envoya Eumène commander en Cappadoce. Ariarathès tomba dans un combat, et la Cappadoce fut soumise, ainsi que les contrées limitrophes, aux Macédoniens. Ariarathès, fils du dernier roi, renonçant à l'espoir du trône, se retira avec un petit nombre d'amis en Arménie. Peu de temps après, Eumène et Perdiccas étant morts, Antigone et Seleucus occupés ailleurs, Ariarathès obtint d'Ardoate, roi des Arméniens, une armée, tua Amyntas, général des Macédoniens, chassa promptement ces derniers du pays, et recouvra le trône paternel. Ariarathès eut trois enfants dont l'aîné, Ariamnès, hérita de la royauté. Ce dernier contracta avec Antiochus, surnommé le Dieu, une alliance de famille en obtenant pour l'aîné de ses fils, Ariarathès, la main de Stratonice, fille d'Antiochus. Ariamnès, aimant beaucoup ses enfants, ceignit du diadème son fils Ariarathès et l'associa à l'empire. A la mort de son père, Ariarathès régna par lui-même, et, en mourant, il laissa le trône à son fils Ariarathès, encore en bas âge. Ce dernier épousa la fille d'Antiochus le Grand; elle s'appelait Antiochis. C'était une femme très astucieuse : n'ayant pas d'enfant, elle en supposa deux à l'insu de son mari, Ariarathès et Holopherne. Quelque temps après, elle devint enceinte, et donna, contre toute attente, le jour à deux filles et à un fils nommé Mithridate. Elle découvrit alors à son mari sa supercherie à l'égard des enfants supposés; elle fit envoyer, avec une faible pension, l'aîné à Rome, et le cadet en Ionie, afin qu'ils ne disputassent pas le trône au rejeton légitime. Ayant atteint l'âge viril, Mithridate changea aussi son nom en celui d'Ariarathès; il avait reçu une éducation grecque, et se distingua par ses qualités personnelles. Il aimait beaucoup son père, dont il était de même très aimé. Cette affection était si grande que le père voulait lui remettre l'empire, mais le fils s'y refusa, disant qu'il ne régnerait jamais du vivant de ses parents. Ariarathès mort, Mithridate hérita de la royauté, et mérita, par sa conduite et ses progrès en philosophie, les plus grands éloges. C'est depuis lors que la Cappadoce, auparavant inconnue aux Grecs, devint le séjour de gens instruits. Ce roi renouvela aussi, avec les Romains, les traités d'amitié et d'alliance. Mais en voilà assez sur la généalogie des rois de Cappadoce, qui font remonter leur origine à Cyrus. [31,29] {Syncell. Chronograph., p. 275}. — Ces rois de Cappadoce ont régné pendant cent soixante ans; le commencement de leur règne coïncide, selon Diodore, avec cette même époque. [31,30] {Excerpt. de Virt. et Vit., p. 584}. — Antipater étant mort dans les tourments, on amena Asclépiade, gouverneur de la ville, qui proclama que Timothée était l'auteur de cette scène tragique, comme ayant provoqué le jeune homme à exercer sur son frère une vengeance injuste et impie. Lorsque tous les principaux chefs, touchés de commisération, cherchaient à s'intéresser à cette affaire, Timothée, alarmé, remit les tortures aux autres accusés, mais il s'en débarrassa secrètement. [31,31] Ariarathès, surnommé Philopator, monté sur le trône de ses ancêtres, fit d'abord à son père de magnifiques funérailles. Témoignant ensuite une sollicitude convenable pour ses amis, pour les chefs d'armée et tous ses sujets, il se concilia l'affection de la multitude. [31,32] Mithrobuzanès fut rétabli par Ariarathès sur le trône paternel. Artaxias, roi d'Arménie, ne démentant pas sa cupidité, envoya des députés à Ariarathès, pour l'engager à faire cause commune avec lui, à tuer l'un des deux jeunes gens qu'il avait en son pouvoir, et à s'emparer de Sophène. Mais Ariarathès, reculant d'horreur devant une pareille lâcheté, adressa aux députés de vifs reproches, et écrivit à Artaxias une lettre dans laquelle il l'exhortait à renoncer à de pareils attentats. Ariarathès s'attira par cette action de grands éloges ; et Mithrobuzanès, grâce à la fidélité et à la vertu d'Ariarathès, fut rétabli sur le trône de ses ancêtres. [31,33] On vit arriver à Rome des députés envoyés par Ptolémée le jeune et par Ptolémée l'ancien. Le sénat leur accorda une audience, et, après avoir entendu l'exposé de leurs griefs, il décréta que les envoyés de Ptolémée l'ancien quitteraient l'Italie en cinq jours, et que son alliance avec Rome avait cessé d'exister. D'un autre côté, le sénat envoya des députés auprès de Ptolémée le jeune pour lui manifester sa bienveillance et la décision qu'il avait prise à l'égard de son frère. [31,34] {Excerpt. Vatican., p. 85}. — Quelques jeunes gens avaient acheté, au prix d'un talent un bel esclave, et pour trois cents drachmes un tonneau {de poissons} salés du Pont. Marcus Porcius Caton, homme illustre, s'en indigna, et dit au peuple que c'était un indice de la corruption des mœurs et de la décadence de la république, quand un esclave se vendait plus cher qu'un champ, et un tonneau de salaison plus cher qu'une paire de bœufs. [31,35] {Excerpt. de Virt. et Vit., p. 585}. — Paul Émile, le vainqueur de Persée, mourut alors; il était censeur, et, par ses belles qualités, le premier des citoyens de Rome. Lorsque le bruit de sa mort se répandit, et que l'heure de ses funérailles approcha, toute la ville fut attristée : non seulement les ouvriers et la populace accoururent au convoi funèbre, mais les magistrats et le sénat suspendirent ce jour là leurs fonctions. De même les habitants des environs de Rome, qui purent arriver à temps, s'empressèrent de prendre part à cette pompe, tant par curiosité que pour honorer la mémoire du grand citoyen. [31,36] {Excerpt. Photii, p. 518-519}. — Après avoir dit combien étaient splendides les funérailles de Paul Émile, le vainqueur de Persée, l'historien ajoute ces paroles : A la mort des plus nobles et des plus illustres citoyens, les Romains fabriquent des images représentant les traits et les contours du corps du défunt ; pendant toute leur vie, ils ont avec eux des artistes qui observent les démarches et toutes les particularités physionomiques des grands citoyens. Les images des ancêtres précèdent le convoi funèbre, de manière que les spectateurs puissent voir à quel rang appartenait le défunt, et de quelles dignités il avait été revêtu. [31,37] {Excerpt. de Virt. et Vit, p. 585-587}. — Paul Émile ne laissa à sa mort que les biens qui avaient été estimés de son vivant. Aucun de ses contemporains n'avait apporté d'Espagne à Rome autant d'or : il s'était emparé des immenses trésors des rois macédoniens; enfin, il avait eu entre ses mains les plus grandes richesses, et pourtant il ne s'en appropria pas la moindre partie, à de telles enseignes, qu'après sa mort, ses fils, qu'il avait fait adopter, ayant hérité de leur patrimoine, ne purent, en vendant tous les meubles, se procurer assez d'argent pour restituer la dot de la femme de Paul Émile : il fallut aliéner une partie des biens-fonds. Aussi, Paul Émile semblait-il avoir surpassé en désintéressement les Grecs les plus célèbres, Aristide et Épaminondas. En effet, ces derniers ont refusé seulement les dons qu'on leur offrait pour se procurer un appui intéressé, tandis que Paul Émile ne toucha même pas aux richesses qu'il avait en son pouvoir. Si la chose parait à quelques-uns incroyable, il faut bien songer qu'on ne doit pas juger le désintéressement des anciens Romains par la cupidité des Romains de nos jours, qui passent pour la nation la plus insatiable. [31,38] Puisque nous venons de parler d'un citoyen vertueux, nous allons dire un mot du caractère de Scipion, qui détruisit plus tard Numance, afin que, sachant quel empressement il montra dans sa jeunesse pour l'étude du beau, on ne s'étonne plus qu'il ait fait par la suite tant de progrès dans le chemin de la vertu. Publius Scipion était, comme nous venons de le dire, fils légitime de Paul Émile, qui triompha de Persée, et adopté par Scipion, fils de celui qui avait dompté Annibal et les Carthaginois; il eut donc pour grand-père par adoption Scipion surnommé l'Africain, le plus grand des Romains qui avaient vécu avant lui. Issu d'une telle souche, et héritier d'une race si illustre, il ne se montra pas indigne de la gloire de ses ancêtres. Dès son enfance il fit de grands progrès dans la science des Grecs : à l'âge de dix-huit ans il s'appliqua à la philosophie, ayant pour précepteur Polybe de Mégalopolis, l'historien. Il vécut longtemps avec ce précepteur, et, exercé dans tous les genres de vertu, il surpassa en sagesse, en probité et en grandeur d'âme, non seulement les hommes de son âge, mais encore tous les hommes plus âgés que lui. Cependant, dans le commencement et avant qu'il se fût livré à l'étude de la philosophie, il passait généralement pour un esprit lent et pour un héritier indigne d'une maison aussi illustre ; mais après qu'il eut atteint l'âge adulte, il commença à se distinguer par sa sagesse. Il fut d'autant plus admiré qu'alors les mœurs étaient relâchées, et que les jeunes gens se livraient aux plaisirs de l'intempérance : les uns passaient leur temps avec de jeunes garçons, les autres avec les filles publiques; d'autres, enfin, s'occupaient de spectacles de tous genres, de banquets où ils montraient leur luxe ; car, depuis la longue guerre de Persée, les Romains imitèrent bien vite les mœurs dissolues des Grecs, et dépensèrent en réjouissances une grande partie des richesses dont ils s'étaient emparés. [31,39] Scipion mena un genre de vie tout opposé. Combattant toutes ses passions comme des bêtes féroces, il s'acquit, dans l'espace de cinq ans, une réputation générale d'homme rangé et sage. Après s'être acquis ce genre de réputation, il chercha à se distinguer par sa grandeur d'âme et sa libéralité. Sous ce rapport, il trouva le meilleur modèle dans son père, Paul Émile, pendant tout le temps qu'il vécut.... Mais le hasard le servit aussi beaucoup pour faire éclater son désintéressement. Émilie, femme du grand Scipion, sœur de Paul Émile, le vainqueur de Persée, laissa en mourant une grande fortune dont hérita notre Scipion. C'est dans cette circonstance qu'il montra, pour la première fois, la générosité de son caractère. Longtemps avant la mort de son père (Paul Émile), sa mère, Papirie, vivait séparée de son mari ; sa fortune privée ne lui suffisait pas pour vivre selon son rang ; or, comme la mère de son père adoptif, qui avait toujours partagé la vie et la fortune du grand Scipion, laissa un riche héritage, indépendamment d'un magnifique mobilier et d'un nombreux domestique, Scipion donna à sa mère ce mobilier qui s'élevait à plusieurs talents. Dans les occasions solennelles elle se montrait au public en déployant le luxe et la richesse dont son fils lui avait fait don. Par une pareille conduite, il s'acquit d'abord parmi les femmes, puis parmi les hommes, la réputation d'un citoyen magnanime et pieux. Cette belle action fut admirée dans toute la ville, mais surtout chez les Romains, où personne ne fait volontiers des présents aux autres. Plus tard, Scipion paya de fortes sommes pour la dot des filles de Scipion le Grand : il les paya sur-le-champ intégralement, bien que les Romains n'aient pour habitude de payer les dots qu'en fractions, dans le délai de trois ans. Aussitôt après la mort de son père légitime, Paul Émile, dont il hérita des biens avec son frère Fabius, il accomplit une action belle et digne de mémoire ; voyant que son frère était moins riche que lui, il lui donna sa part d'héritage, estimée au delà de soixante talents, et il se mit ainsi sur un pied d'égalité de fortune avec son frère. Quoique déjà bien célèbre par sa générosité, il fit un acte plus admirable encore. Son frère Fabius voulait donner, sur le tombeau du père, un combat de gladiateurs, mais sa fortune ne suffisait pas pour subvenir à une pareille dépense; Scipion paya, sur ses propres biens, la moitié des frais. A la mort de sa mère, loin de reprendre les biens qu'il lui avait donnés, il les remit, ainsi que le reste de la fortune, à ses sœurs, auxquelles il ne devait rien, selon la loi. Voilà comment Scipion s'acquit une réputation de probité et de grandeur d'âme, non pas tant par ses grandes dépenses, mais par des dons faits à propos. Quant à la tempérance, il l'acquit, non en dépensant de l'argent, mais en mettant un frein à ses passions. Ce fut à sa vie réglée qu'il dut une santé robuste et les plus belles récompenses. Quant à la vigueur du corps, si nécessaire à tous, mais surtout aux Romains, il l'acquit par de grands exercices ; la fortune le servit encore ici singulièrement : en Macédoine, où les rois s'adonnent le plus à la chasse, il surpassa tout le monde dans ce genre d'exercice. [31,40] {Exempt, de LegaL, p. 526}. — Dans la CLVe olympiade, Ariarathès envoya à Rome des députés porteurs d'une couronne de dix mille pièces d'or, afin de témoigner de son affection pour les Romains, et annoncer que, par égard pour eux, il avait renoncé à un mariage et à une alliance avec la famille de Démétrius. Gracchus, l'envoyé romain, ayant certifié la vérité de ces assertions, le sénat décerna des éloges à Ariarathès, accepta la couronne offerte, et lui envoya en retour les présents estimés le plus riches. [31,41] A cette même époque, les envoyés de Démétrius furent introduits dans le sénat ; ils apportaient de même une couronne de dix mille pièces d'or et les assassins enchaînés d'Octave. Le sénat délibéra longtemps sur la conduite à tenir; enfin, il accepta la couronne d'or et refusa les deux assassins, Isocrate et Leptine. [31,42] {Excerpt. Vatican., p. 85}. — Démétrius envoya des députés à Rome ; ils obtinrent cette dure réponse que Démétrius n'obtiendrait son pardon que lorsqu'il aurait, selon toutes ses forces, satisfait le sénat romain. [31,43] {Excerpt. de Virt et Vit., p. 587-589}. — Après la défaite de Persée, les Romains se tournèrent contre ceux qui avaient pris part à la guerre des Macédoniens : ils châtièrent les uns et conduisirent les autres à Rome. Charops, qui passait pour un chaud partisan des Romains, obtint gouvernement de l'Épire. [31,44] Dans le commencement, on n'eut à lui reprocher qu'un petit nombre de crimes ; mais il dévoila ensuite de plus en plus sa méchanceté et ruina l'Épire. En effet, il ne cessait de poursuivre, sur de fausses accusations, les plus riches habitants; il égorgea les uns, envoya les autres en exil et confisqua leurs biens. Il extorqua de l'argent non seulement des hommes, mais encore des femmes, avec l'aide de sa mère Philota, d'une cruauté et d'une méchanceté peu communes à son sexe. Il accusa enfin un grand nombre d'habitants d'être opposés au parti des Romains, et les condamna tous à mort. [31,45] Oropherne, ayant chassé de ses États son frère Ariarathès, fut bien loin d'administrer son empire de manière à s'attirer l'affection de la multitude. Il était avide d'argent et fit périr beaucoup de monde. Il donna à Timothée une couronne de cinquante talents, une autre de soixante-dix talents au roi Démétrius; il leur remit encore six cents talents, et ajouta que, dans un autre moment, il leur donnerait encore quatre cents talents. Voyant que les Cappadociens étaient mécontents, il se mit à en tirer tout l'argent possible, et confisqua, au profit du trésor royal, les biens des habitants les plus distingués. Après avoir amassé d'immenses sommes, il déposa, chez les Priéniens, quatre cents talents qui devaient lui servir contre les caprices de la fortune. Les Priéniens lui rendirent plus tard cet argent. [31,46] Ptolémée l'aîné, grâce à une puissante armée, assiégea son frère et le réduisit à la dernière extrémité. Cependant il n'osa pas le tuer, tant en raison de sa clémence et de leur parenté que parce qu'il craignait les Romains. Il lui accorda donc la vie sauve, et conclut un traité d'après lequel son jeune frère devait se contenter de la possession de Cyrène et d'une certaine quantité de blé fournie annuellement. Voilà de quelle manière inattendue et bienveillante se termina une guerre acharnée entre ces deux rois. [31,47] Dès qu'Oropherne vit ses affaires décliner, il s'empressa de solder les mercenaires, parce qu'il redoutait une révolte. Mais manquant pour le moment d'argent, il se vit forcé de piller le temple de Jupiter, construit sur le mont Ariadné, asile depuis longtemps sacré. Il pilla donc ce temple et paya la solde arriérée. [31,48] Prusias, roi de Bithynie, ayant échoué dans son entreprise contre Attalus, détruisit le monument sacré appelé Nicéphorium, situé aux portes de la ville, et dévasta le temple. Il profana les statues et les images des dieux ; parmi ces monuments sacrés, livrés au pillage, se trouvait la célèbre statue d'Esculape, qui passait pour un ouvrage de Phyromaque, chef-d'œuvre de l'art. Le dieu punit bientôt cette action impie : l'armée fut atteinte d'une dysenterie, et la plupart des soldats en moururent ; la flotte fut également malheureuse : assaillis inopinément par une tempête dans le Bosphore, un grand nombre de bâtiments périrent avec tout l'équipage ; un petit nombre échoua à la côte. Voilà comment le dieu châtia d'abord ce sacrilège. [31,49] {Excerpt Vatican., p. 86, 89}. — Les Rhodiens, grâce à leur habileté et à leur autorité, se faisaient payer par les rois des tributs volontaires. Honorant les puissants par des décrets et d'adroites cajoleries, ils parvinrent, avec beaucoup d'astuce, à se faire donner, de la part des rois, de fameux présents. Ils reçurent de Démétrius deux cent mille médimnes de froment et cent mille d'orge ; Eumène leur en devait trente mille, lorsqu'il mourut; ce même roi leur avait promis de leur construire un théâtre en marbre. Les Rhodiens, étant les plus fins politiques de la Grèce, virent beaucoup de souverains se disputer l'honneur d'offrir à leur cité des bienfaits.... [31,50] Dans les combats, il brilla comme une fausse monnaie, et ne fit qu'allumer la guerre par ses fautes. [31,51] Il semblait arriver aux Rhodiens ce qui arrive dans la chasse aux ours : ces animaux, bien que doués en apparence d'une force redoutable, sont facilement mis en fuite par de petits chiens agiles, que les chasseurs lâchent sur eux. Comme les ours ont les pieds tendres et charnus, les chiens leur mordent les pattes, et les obligent de s'asseoir jusqu'à ce que le chasseur vienne les achever. A raison de la lenteur et de la pesanteur de leurs mouvements, ils n'échappent pas à la vitesse des petits chiens. C'est ainsi que les Rhodiens, si renommés dans la tactique navale, tombèrent dans les plus grands embarras, lorsqu'ils se virent inopinément enveloppés par ces radeaux et ces légères barques. [31,52] Il y avait en Celtibérie une petite ville du nom de Végéda; comme elle avait pris beaucoup d'accroissement, on résolut de l'agrandir. Le sénat, jaloux de cet agrandissement, envoya des commissaires pour empêcher les constructions, conformément au traité qui portait, entre autres, que les Celtibériens, pour construire une ville, devaient demander la permission des Romains. Un des anciens, nommé Cacyrus, répondit qu'en effet le traité les empêchait de construire des villes, mais qu'il ne leur défendait pas de les agrandir; qu'ils n'avaient pas l'intention de fonder une ville nouvelle, mais de donner plus d'étendue à celle qui existait; qu'il n'agissait donc pas contre le traité ni contre le droit commun ; que d'ailleurs ils étaient prêts à obéir aux Romains et à leur fournir des secours en cas de besoin, mais qu'en aucune façon ils ne renonceraient à leur construction. Cet avis fut sanctionné par le peuple, et les envoyés le rapportèrent au sénat. Celui-ci rompit le traité et recommença la guerre. [31,53] Dans la guerre avec les Grecs, un seul moment peut décider de la victoire ; dans celle avec les Celtibériens, la nuit sépare le plus ordinairement les combattants, et la guerre continue avec une égale vigueur, même pendant l'hiver. Aussi pourrait-on appeler la guerre des Celtibériens une guerre de feu. [31,54] {Excerpt. de Légat., p. 527}. — Après la victoire, en hommes sagement prévoyants, ils envoyèrent des députés auprès du consul pour conclure une trêve. Ce dernier, fidèle aux principes superbes de la patrie, répondit qu'il fallait, ou une soumission absolue aux Romains, ou continuer la guerre avec vigueur. [31,55] {Excerpt. Photii., p. 519}. — (Diodore) appelle les Ibériens Lusitaniens. Selon cet historien, Memmius, préteur, fut envoyé avec une armée en Ibérie. Les Lusitaniens tombèrent sur lui au moment de son débarquement, le vainquirent dans un combat, et détruisirent la plus grande partie de son armée. Le bruit de ce succès s'étant répandu, les Avéraces, se croyant supérieurs aux Ibériens, conçurent du mépris pour les Romains; aussi le peuple, réuni en une assemblée, déclara-t-il la guerre aux Romains. [31,56] {Excerpt. Vatican., p. 90}. — Le peuple rhodien, malgré son ardeur guerrière, échoua dans ses entreprises et écouta des conseils insensés, semblables à ceux que suivent les hommes atteints de longues maladies : quand ils ont épuisé les traitements prescrits par les médecins et qu'ils ne se trouvent pas encore mieux, ces malades ont recours aux aruspices et aux devins ; quelques-uns même mettent leur confiance dans les enchantements et dans toute sorte d'amulettes. C'est ainsi que se conduisirent les Rhodiens; malheureux dans toutes leurs entreprises, ils s'adressèrent à des moyens méprisables, et se rendirent ridicules aux yeux des autres peuples. Ce n'est ni l'équipement ni la grandeur des navires, mais la bravoure de ceux qui les montent qui décide la victoire. [31,57] {Excerpt. de Virt. et Vit., p. 589}.— Les Crétois, ayant abordé à Siphnes, attaquèrent la ville et parvinrent, moitié par ruse, moitié par la terreur qu'ils inspiraient, à se faire introduire dans l'intérieur des murs. Ils avaient promis de ne faire aucun mal aux habitants; mais, naturellement perfides, les Crétois réduisirent la ville en esclavage, pillèrent le temple des dieux, {et retournèrent} en Crète chargés de butin. Mais la divinité leur fit bientôt, et d'une manière inattendue, expier leur crime sacrilège ; car, forcés par les ennemis de mettre à la voile pendant la nuit, leurs bâtiments furent assaillis par une violente tempête ; la plupart sombrèrent, quelques-uns échouèrent contre des écueils, un très petit nombre d'hommes parvint à se sauver; c'étaient ceux qui n'avaient pas pris part à l'action criminelle commise sur les Siphniens.