[18,0] LIVRE XVIII. [18,1] Pythagore de Samos et quelques autres physiciens anciens ont soutenu que l'âme de l'homme est immortelle. Conformément à cette doctrine, l'âme, au moment où la mort la sépare du corps, possède la faculté de connaître l'avenir. Le poète Homère semble lui-même partager cette opinion, lorsqu'il nous représente Hector près d'expirer, prédisant à Achille qu'il ne tarderait pas à le suivre au tombeau : C'est ainsi que dans des temps plus récents on a remarqué cette faculté de prédire l'avenir, à la mort de plusieurs personnes et particulièrement à l'occasion de celle d'Alexandre le Macédonien. Car ce roi, au moment d'expirer à Babylone, interrogé à qui il allait laisser sa couronne, avait répondu : « Au plus vaillant, car je prévois que mes amis livreront sur ma tombe un grand combat. » C'est ce qui arriva en effet. Les principaux amis d'Alexandre se disputant la royauté, se livrèrent entre eux des guerres sanglantes, après la mort de leur maître. Le présent livre contiendra l'histoire des généraux d'Alexandre, ses successeurs, et mettra en évidence la prédiction que nous avons signalée. Le livre précédent comprenait le récit des exploits d'Alexandre, depuis son avénement au trône jusqu'à sa fin; et ce livre, dans lequel nous exposerons l'histoire de ses successeurs, se terminera à l'année qui précède l'établissement de la tyrannie d'Agathocle, et renfermera ainsi un espace de sept ans. [18,2] Céphisodore étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Lucius Furius et Décimus Junius. Dans cette année, l'anarchie et de graves désordres éclatèrent à la mort d'Alexandre, qui ne laissa pas d'enfant et dont on se disputait l'empire. La phalange d'infanterie porta au pouvoir souverain Arrhidée, fils de Philippe, homme atteint d'une maladie mentale incurable. Mais les plus considérés des favoris et des gardes du corps se réunirent, et, après avoir entraîné dans leur parti le corps de cavalerie, surnommé le corps des Hétaires, ils résolurent d'abord de combattre la phalange à main armée. Cependant {avant d'en venir à cette extrémité}, ils envoyèrent auprès de la phalange d'infanterie une députation composée des hommes les plus distingués de l'armée, à la tête desquels se trouvait Méléagre. Cette députation était chargée d'employer la persuasion pour ramener la phalange à l'obéissance. Mais Méléagre, sans parler aucunement de l'objet de sa mission, loua au contraire la phalange de la résolution qu'elle avait prise et l'excita même contre ceux qui lui étaient opposés. Aussi les Macédoniens le mirent-ils à leur tête et s'avancèrent en armes contre leurs adversaires. Les gardes du corps sortirent de Babylone et se préparaient à une lutte, lorsque les chefs les plus aimés des troupes réussirent, par un langage conciliant, à rétablir la concorde. Aussitôt Arrhidée, fils de Philippe, fut proclamé roi, sous le nom de Philippe, et Perdiccas, auquel le roi en mourant avait remis son anneau, fut nommé lieutenant général du royaume. Les plus considérables des amis d'Alexandre et des commandants de la garde se partagèrent ensuite entre eux les satrapies et jurèrent obéissance à Arrhidée et à Perdiccas. [18,3] Revêtu de l'autorité suprême, Perdiccas réunit en conseil tous les chefs de corps, et arrêta le partage suivant : Ptolémée, fils de Lagus, eut l'Égypte; Laomédon de Mitylène, la Syrie; Philotas, la Cilicie; Python, la Médie; Eumène, la Paphlagonie, la Cappadoce et toutes les contrées limitrophes que les circonstances avaient empêché Alexandre de visiter pendant son expédition contre Darius; Antigone eut la Pamphylie, la Lycie et la grande Phrygie; Cassandre, la Carie; Méléagre, la Lydie; Léonnatus, la Phrygie de l'Hellespont. Tel fut le partage de ces satrapies. En Europe, Lysimaque reçut la Thrace et les nations qui avoisinent la mer du Pont. Antipater garda la Macédoine et les provinces qui en dépendent. Quant aux satrapies de l'Asie supérieure, on convint de ne pas y toucher, mais de les laisser sous l'autorité de leurs anciens gouverneurs. Les régions limitrophes de ces satrapies restèrent également sous l'autorité des rois vassaux de Taxile. La satrapie située près du Caucase, appelé le pays des Paropamisades, fut adjugée à Oxyarte, roi de Bactres, dont Alexandre avait épousé la fille Rhoxane. Sibyrtius eut en partage l'Arachosie et la Gédrosie ; Stasanor le Solien, l'Arie et la Drangiane; Philippe, la Bactriane et la Sogdiane; Phratapherne, la Parthie et l'Hyrcanie; Peuceste, la Perse proprement dite; Tlépolème, la Carmanie ; Atrapès, la Médie; Archon, la Babylonie; Arcesilas, la Mésopotamie. Seleucus eut le commandement du principal corps de cavalerie surnommé les Hétaires. Ce corps illustre avait d'abord eu pour chef Hephaestion, puis Perdiccas et enfin Seleucus qui vient d'être nommé. Taxile et Porus restèrent maîtres de leurs royaumes, ainsi qu'Alexandre lui-même l'avait ordonné. Arrhidée fut chargé du soin de préparer les funérailles du roi et de faire construire un char qui devait transporter les dépouilles du roi dans le temple d'Ammon. [18,4] Cratère, un des plus célèbres chefs de l'armée, avait été envoyé par Alexandre dans la Cilicie avec dix mille vétérans libérés du service militaire. Il était en même temps porteur d'ordres écrits dont le roi lui avait confié l'exécution. Mais, après la mort d'Alexandre, ses successeurs ne jugèrent pas à propos de réaliser les desseins du roi. Perdiccas, qui avait vu dans les mémoires du roi que les obsèques d'Hephaestion avaient déjà absorbé beaucoup de sommes, jugea utile de ne donner aucune suite à tant de grands projets qui devaient exiger des dépenses énormes. Mais, pour ne pas avoir l'air de trancher ces questions par lui-même et de porter en quelque sorte atteinte à la gloire d'Alexandre, Perdiccas réunit les Macédoniens en une assemblée générale pour recueillir leurs avis. Les mémoires laissés par Alexandre renfermaient, entre autres grands projets, les suivants, les plus dignes d'être rapportés. Alexandre ordonnait de construire mille bâtiments de guerre, plus grands que les trirèmes, dans les chantiers de la Phénicie, de la Syrie, de la Cilicie et de l'île de Cypre. Ces bâtiments devaient être employés à une expédition contre les Carthaginois et les autres nations qui habitent les côtes de la Libye, de l'Ibérie et tout le littoral jusqu'en Sicile. Une route devait être pratiquée tout le long des côtes de la Libye jusqu'aux colonnes d'Hercule. Il ordonnait d'élever six temples magnifiques dont chacun devait coûter quinze cents talents, d'établir des chantiers et de creuser des ports dans les emplacements les plus propices pour recevoir tant de navires. Il voulait opérer une plus grande fusion dans les populations de ses États, transporter des colonies d'Asie en Europe et réciproquement, effectuer par des mariages et des alliances de famille une communauté d'intérêts entre ces deux grands continents. Les temples dont il a été parlé devaient être élevés à Délos, à Delphes, à Dodone; et, dans la Macédoine, un à Dium, consacré à Jupiter; un à Amphipolis, consacré à Diane Tauropole; un à Cyrrhe, dédié à Minerve ; enfin un dernier temple aussi beau que les autres devait être construit à Ilion et consacré également à Minerve. Enfin, il voulait élever à son père, Philippe, un monument funèbre semblable à la plus grande des pyramides d'Egypte, qui sont, en général, comptées au nombre des sept merveilles du monde. Après la lecture de ces projets, les Macédoniens, malgré leur respect pour Alexandre, décidèrent de ne pas donner suite à ces projets, regardés comme trop ardus et inexécutables. Perdiccas commença l'exercice de son autorité en faisant mourir une trentaine de soldats des plus mutins et des plus mal disposés pour lui. Ensuite il lança une accusation personnelle contre Méléagre lui-même, qui dans la première révolte avait trahi ses mandataires, et le fit punir comme ayant conspiré contre lui. Enfin, les Grecs établis dans les satrapies de l'Asie supérieure s'étant soulevés, et ayant mis sur pied une armée considérable, Perdiccas envoya pour les combattre Python, un des hommes les plus distingués de l'armée. [18,5] Mais avant d'entrer dans le détail de ces événements, nous croyons convenable d'exposer d'abord les causes de ce soulèvement, et de dire en même temps un mot de la topographie de l'Asie entière, ainsi que de l'étendue et des particularités de chacune des satrapies. En mettant ainsi sous les yeux du lecteur en quelque sorte la situation de tous les lieux et les distances qui les séparent, nous rendrons notre récit plus facile à suivre pour lui. A partir du Taurus en Cilicie, une chaîne non interrompue de montagnes s'étend à travers toute l'Asie jusqu'au Caucase, et jusqu'à l'Océan oriental. Cette chaîne se partage en diverses branches dont chacune a une dénomination particulière. L'Asie se trouve ainsi divisée en deux parties, dont l'une est inclinée vers le nord et l'autre vers le midi. Le cours des fleuves suit les versants de cette chaîne de montagnes : une partie de ces fleuves se jette dans la mer Caspienne, dans le Pont-Euxin et dans l'Océan arctique. Les autres, qui suivent un cours opposé, versent leurs eaux dans la mer de l'Inde, dans l'Océan qui avoisine ce continent, et dans la mer Rouge. C'est d'après cette distinction naturelle que les satrapies ont été distribuées; elles sont situées les unes au nord, les autres au midi. La première division, celle qui regarde le nord, comprend, sur le fleuve Tanaïs, la Sogdiane, la Bactriane, l'Arie, la Parthie, qui embrasse la mer Hyrcanienne; la Médie, la plus grande de toutes les satrapies, et qui porte encore beaucoup d'autres noms; puis l'Arménie, la Lycaonie, la Cappadoce, toutes situées dans un climat rigoureux. A ces contrées touchent en ligne droite la grande Phrygie, la Phrygie de l'Hellespont, et, sur les deux côtés, la Lydie et la Carie; enfin, au delà de la Phrygie et parallèlement à cette contrée, se trouve la Pisidie dont la Lycie est limitrophe. Sur le littoral de ces satrapies sont situées des villes grecques dont il serait ici inutile de dire les noms. Telle est la division des satrapies qui regardent le nord. [18,6] Quant à la division des satrapies méridionales, la première au delà du Caucase est l'Inde, royaume immense et populeux habité par plusieurs nations indiennes dont la plus considérable est celle des Gandarides, contre laquelle Alexandre n'a pas marché, redoutant la multitude d'éléphants qu'elle nourrit. Cette région avec la partie de l'Inde à laquelle elle touche, est limitée par le plus grand fleuve de ce pays : il a trente stades de large. A cette région est confiné le reste de l'Inde qu'Alexandre avait soumis, pays arrosé de beaux fleuves et éminemment prospère. Là se trouvaient, entre plusieurs autres royaumes, ceux de Porus et de Taxile, traversés par l'Indus, fleuve qui donne son nom à toute la contrée. Contiguës à l'Inde sont les satrapies de l'Arachosie, de la Gédrosie, de la Carmanie; vient ensuite la Perse proprement dite, qui comprend la Susiane et la Sittacène; puis la Babylonie qui s'étend jusqu'à l'Arabie déserte. En remontant davantage, on trouve la Mésopotamie, circonscrite par deux fleuves, l'Euphrate et le Tigre, ce qui lui a valu la dénomination qu'elle porte. A la Babylonie touche la Syrie supérieure, à laquelle sont attenantes les provinces maritimes, la Cilicie, la Pamphylie, la Coelé-Syrie qui comprend la Phénicie. Au delà des frontières de la Coelé-Syrie et du désert limitrophe se trouve le Nil, dont le cours sépare la Syrie de l'Égypte qui est la plus belle et la plus productive de toutes les satrapies. Toutes ces provinces méridionales ont un climat chaud par opposition au climat froid des provinces septentrionales. Telles sont les satrapies soumises par Alexandre, et que ses principaux lieutenants se partagèrent entre eux. [18,7] Les colonies grecques établies par Alexandre dans les satrapies supérieures regrettaient les moeurs et la manière de vivre de leur patrie, et se voyaient avec peine reléguées aux confins de l'empire. Tant que le roi vivait, la crainte les retenait, mais une fois le roi mort, elles se soulevèrent et, d'un commun accord, choisirent pour chef Philon d'AEnian, qui réunissait sous ses ordres une armée considérable, composée de plus de vingt mille hommes d'infanterie et de trois mille cavaliers, tous ayant dans maints combats donné des preuves de leur valeur. A la nouvelle de ce soulèvement, Perdiccas leva un corps d'élite de Macédoniens formé de trois mille hommes d'infanterie et de huit cents cavaliers. Il donna le commandement de cette troupe à Python, ancien garde du corps d'Alexandre, homme plein d'intelligence et de connaissances militaires. Il lui remit en même temps des lettres pour les satrapes qui devaient fournir à Python dix mille fantassins et huit mille cavaliers, et le fit partir pour combattre les rebelles. Python, homme à grandes entreprises, reçut avec joie cette mission, car il avait conçu le dessein de traiter les Grecs amicalement, de joindre leurs forces aux siennes, et d'agir pour son compte en se déclarant souverain des satrapies de l'Asie supérieure. Mais Perdiccas, soupçonnant ce dessein, lui donna l'ordre formel de ne faire aucun quartier aux rebelles et de distribuer aux soldats les dépouilles. Cependant Python se mit en route avec la troupe qui lui avait été confiée; il y joignit les soldats fournis par les satrapes, et marcha avec toute son armée contre les rebelles. Par l'intermédiaire d'un certain AEnian, Python parvint à corrompre Lipodorus, qui commandait dans les rangs des rebelles un corps de trois mille hommes, et se ménagea ainsi un succès complet. En effet, la bataille s'était engagée, et la victoire demeurait encore incertaine, lorsque le traître, désertant les rangs, vint sans aucune raison occuper avec ses trois mille hommes une hauteur voisine. Les autres, prenant ce mouvement pour une défaite, lâchèrent pied et s'enfuirent en désordre. Python, victorieux, ordonna aux vaincus, par la voix d'un héraut, de déposer les armes et de se retirer dans leurs foyers sous la foi du serment. Ces conditions étant garanties par des serments réciproques, les Grecs se mêlèrent sans défiance aux Macédoniens, et Python fut tout joyeux de voir que ses projets allaient se réaliser. Mais les Macédoniens, se rappelant les ordres de Perdiccas, violèrent la foi du traité; ils attaquèrent à l'improviste les Grecs qui étaient sans armes, les passèrent tous au fil de l'épée et se partagèrent leurs biens. Déçu dans ses espérances, Python revint avec ses Macédoniens auprès de Perdiccas. Tel était l'état des affaires en Asie. [18,8] En Europe, les Rhodiens chassèrent la garnison macédonienne et proclamèrent l'indépendance de leur ville. Les Athéniens déclarèrent alors à Antipater la guerre connue sous le nom de guerre Lamiaque. Il est indispensable d'exposer ici les causes de cette guerre, afin de faire mieux comprendre les détails qui vont suivre. Peu de temps avant sa mort, Alexandre avait résolu de faire rentrer dans leurs foyers tous les bannis grecs ; il agissait ainsi tant pour sa propre gloire que pour se ménager dans chaque ville des partisans dévoués et toujours prêts à comprimer les germes de révolte. A l'époque des jeux olympiques, il envoya donc en Grèce Nicanor de Stagire, porteur de l'ordre du rappel des bannis. Nicanor devait faire lire cet ordre à la foule assemblée, au milieu de la solennité des jeux, par le héraut vainqueur. C'est ce qui fut fait, et le héraut lut la lettre suivante : "Le roi Alexandre aux bannis des villes grecques : Nous n'avons pas été cause de votre exil, mais nous serons cause de votre rentrée dans la patrie, à l'exception des sacriléges. Nous avons écrit à ce sujet à Antipater afin qu'il emploie la force pour contraindre les villes qui voudraient se refuser à recevoir leurs bannis". Cette proclamation fut accueillie par de bruyants applaudissements de la foule rassemblée, qui, dans sa joie, portait jusqu'aux nues la générosité du roi. Tous les exilés, au nombre de plus de vingt mille, étaient présents à cette solennité. La plupart des Grecs prirent en bonne part le retour des bannis; mais les Etoliens et les Athéniens s'en montrèrent très mécontents : les Etoliens parce qu'ils s'attendaient à des représailles de la part des OEniades, qu'ils avaient chassés de leur patrie; et, selon les menaces du roi, ce n'était pas les enfants des OEniades, mais Alexandre lui-même qui se chargeait du soin de cette vengeance. Les Athéniens, de leur côté, étaient mécontents parce qu'ils ne voulaient pas rendre l'île de Samos, qu'ils s'étaient partagée entre eux. Mais comme ils n'étaient pas assez forts pour résister aux armées du roi, ils se tinrent pour le moment tranquilles, en attendant une occasion plus favorable qui ne tarda pas à se présenter. [18,9] En effet, peu de temps après la mort d'Alexandre, qui ne laissa pas d'enfants pour lui succéder, les Athéniens osèrent prétendre à leur indépendance et à leur ancienne suprématie sur toute la Grèce. Ils allaient se préparer à la guerre avec les sommes considérables d'argent qu'Harpalus leur avait laissées (circonstance dont nous avons parlé en détail dans le livre précédent), ainsi qu'avec les mercenaires que les satrapes avaient abandonnés sans solde, et qui, au nombre de huit mille, se trouvaient à Ténare, dans le Péloponnèse. Les Athéniens ordonnèrent donc secrètement à Léosthène de les engager d'abord à son service, comme pour son propre compte, et sans l'autorisation du peuple, afin qu'Antipater, méprisant Léosthène, ne mît aucun obstacle à ces préparatifs, et que les Athéniens eussent le temps de se procurer tout ce qui est nécessaire à une entrée en campagne. Léosthène prit donc tranquillement ces troupes à sa solde, et se trouva tout à coup à la tête d'une armée respectable; car ces soldats avaient longtemps servi en Asie, ils avaient pris part à tant de combats, et étaient parfaitement aguerris. Tout cela eut lieu au moment même où la mort d'Alexandre n'était pas encore bien connue. Ce ne fut que lorsque quelques voyageurs, arrivant de Babylone, disaient avoir été témoins oculaires de la mort du roi, que le peuple d'Athènes déclara ouvertement la guerre. Il lit remettre à Léosthène une partie des sommes d'argent d'Harpalus, ainsi qu'un grand nombre d'armures complètes, avec l'ordre d'agir ouvertement et suivant les intérêts de l'État. Léosthène donna aux mercenaires une solde régulière, distribua des armes à ceux qui n'en avaient point et entra dans l'Étolie pour soulever ce pays en sa faveur. Les Etoliens se rendirent volontiers à Léosthène , et fournirent sept mille hommes. Léosthène envoya ensuite des émissaires aux Locriens, aux Phocidiens et autres peuples voisins, pour les engager à ressaisir leur indépendance et à délivrer la Grèce du joug des Macédoniens. [18,10] Cependant, parmi les Athéniens, ceux qui avaient des biens conseillaient la paix; mais les braillards démagogues, excitant la multitude, poussaient vivement à la guerre. Ce dernier parti, soutenu par le grand nombre, l'emporta; il se composait d'hommes qui, habituellement, ne vivaient que de leur solde et pour lesquels, comme disait un jour Philippe, la guerre est une paix, et la paix une guerre. Bientôt les orateurs populaires réunirent tous leurs efforts pour faire rendre un décret dont voici la teneur : « Le peuple appellera tous les Grecs à combattre pour la liberté commune; les villes seront délivrées des garnisons étrangères; on construira une flotte de quarante trirèmes et de deux cents tétrarèmes; tous les Athéniens feront partie du service militaire actif jusqu'à l'âge de quarante ans; trois tribus seront chargées de la garde de l'Attique et les sept autres se tiendront prêtes pour les expéditions entreprises hors du territoire; on enverra des députés dans toutes les villes grecques, pour déclarer que si le peuple athénien, estimant la Grèce, la patrie commune des Grecs, a jadis combattu sur mer les Barbares venus pour leur apporter l'esclavage, il saurait bien maintenant, pour le salut commun des Grecs, risquer son existence, ses richesses et ses navires". Ce décret fut ratifié; mais il flattait plutôt les passions populaires qu'il n'était réellement conforme aux intérêts de l'État. C'est ce qui fit dire aux Grecs les plus éclairés que le peuple athénien avait été bien conseillé pour sa gloire, mais qu'il avait manqué à ses intérêts. C'est avoir, ajoutaient-ils, mal choisi son temps, et courir sans aucune nécessité les chances d'une guerre contre des troupes nombreuses et réputées invincibles; c'est là un projet d'autant plus insensé que le fameux exemple du désastre des Thébains devrait servir d'utile leçon. Quoi qu'il en soit, les députés partirent pour les diverses villes de la Grèce, et parvinrent par leurs discours incendiaires à en entraîner la plupart dans l'alliance des Athéniens, soit par nation soit par ville. [18,11] Quant aux autres Grecs, les uns inclinèrent vers l'alliance des Macédoniens, les autres restèrent neutres. Tous les Étoliens suivirent donc les premiers la ligue athénienne; après eux vinrent tous les Thessaliens, à l'exception des Pelinéens; les OEtéens, moins les Héracléotes; les Phthiotes de l'Achaïe, moins les Thébains; les Méliens, à l'exception des Maliens; puis tous les Doriens, les Locriens, les Phocidiens, les AEnians, les Alyzéens, les Dolopes, les Athamans, les Leucaniens et les Molosses, soumis à Aryptée qui, feignant d'entrer dans la ligue, embrassa en traître le parti des Macédoniens ; puis une grande partie des Illyriens et des Thraces par haine contre les Macédoniens; ensuite, les Carystiens, dans l'Eubée; enfin, dans le Péloponnèse, les Argiens, les Sicyoniens, les Éliens, les Messéniens et les habitants de l'Acté. Voilà les Grecs qui entrèrent dans la ligue. Cependant le peuple athénien envoya à Léosthène un renfort de cinq mille fantassins de milice nationale, de cinq cents cavaliers et de deux mille mercenaires. Pendant que cette troupe traversait la Béotie, les Béotiens firent éclater leurs ressentiments contre les Athéniens ; voici pourquoi. Après la destruction de Thèbes, Alexandre avait distribué aux Béotiens du voisinage tout le territoire de la ville. Ceux-ci s'étaient partagé les possessions des malheureux et en retiraient de grands revenus; ils prévoyaient donc que si les Athéniens étaient victorieux, ces derniers rendraient aux Thébains leurs foyers et leur territoire. C'est pourquoi ils embrassèrent le parti des Macédoniens. Pendant qu'ils étaient campés près de Platée, Léosthène entra en Béotie avec une partie de son armée; il présenta la bataille aux indigènes, les défit, éleva un trophée et revint rapidement aux Thermopyles. Là, il s'arrêta quelque temps, occupa d'avance les défilés et attendit l'armée des Macédoniens. [18,12] Antipater avait été laissé par Alexandre pour commander en Europe. En apprenant la mort du roi à Babylone et le partage des satrapies entre les chefs de l'armée, il fit prévenir Cratère, en Cilicie, de lui amener le plus promptement possible un renfort de troupes. On se rappelle que Cratère avait été détaché en Cilicie pour ramener en Macédoine les soldats qui, au nombre de trente mille, venaient d'être libérés du service militaire. Il demanda de même des secours à Philotas, qui avait obtenu la satrapie de la Phrygie hellespontique, et lui offrit une de ses filles en mariage. A la nouvelle de la ligue des Grecs, il laissa à Sippas le commandement de la Macédoine avec un nombre de troupes suffisant, en même temps il lui donna l'ordre de faire le plus d'enrôlements possible. Quant à lui, il se mit à la tête de l'armée macédonienne, composée seulement de treize mille fantassins et de six cents cavaliers; car la Macédoine avait été épuisée de milice nationale par les levées successives exigées pour le recrutement de l'armée en Asie. Il quitta la Macédoine et entra dans la Thessalie en marchant de conserve avec toute la flotte, composée de cent dix trirèmes, dont Alexandre s'était servi pour transporter en Macédoine les trésors royaux des Perses. Les Thessaliens, qui étaient d'abord les alliés d'Antipater, lui avaient envoyé un grand nombre d'excellents cavaliers; mais, séduits depuis par les Athéniens, ils firent passer leur cavalerie dans l'armée de Léosthène et combattirent avec les Athéniens pour la liberté de la Grèce. L'armée des Athéniens étant devenue ainsi de beaucoup supérieure à celle des Macédoniens, les Grecs l'emportèrent dans cette guerre. Antipater, vaincu, n'osant plus faire face à l'ennemi, et dans l'impossibilité de regagner sûrement la Macédoine, se réfugia dans la ville de Lamia. Là, il rallia son armée, fortifia la ville, y établit des magasins d'armes, de catapultes et de vivres, et attendit les renforts qui devaient lui venir de l'Asie. [18,13] Léosthène s'approcha de Lamia avec toute son armée. Après avoir retranché et environné son camp d'un fossé profond, il rangea ses troupes en bataille, les fit avancer jusqu'aux portes de la ville et provoqua les Macédoniens au combat. Ceux-ci n'osant point accepter la lutte, Léosthène livra à la place des assauts journellement renouvelés; mais les Macédoniens se défendirent vaillamment et firent essuyer de grandes pertes aux assaillants. La ville renfermait, outre une nombreuse garnison, des munitions de guerre en abondance; de plus, elle était entourée de fortes murailles ; les assiégés pouvaient donc facilement l'emporter. Renonçant à l'espoir de prendre la ville d'assaut, Léosthène se contenta d'intercepter les convois de vivres, dans la conviction qu'il viendrait aisément à bout des assiégés par la famine. Dans ce dessein, il construisit une enceinte, et creusa un fossé large et profond pour pour empêcher les assiégés de communiquer avec le dehors. Bientôt après, les Étoliens demandèrent à Léosthène la permission de se retirer momentanément chez eux pour régler quelques affaires d'État, et revinrent ainsi tous en Étolie. Cependant Antipater était presque réduit à l'extrémité, et la ville, pressée par la famine, courait risque d'être prise, lorsqu'un heureux hasard rendit l'espoir aux Macédoniens. Dans un combat qu'Antipater livrait aux assiégeants occupés à creuser des fossés, Léosthène fut frappé d'un coup de pierre à la tête; il tomba sur le champ et fut transporté sans connaissance dans le camp. Trois jours après il mourut; il fut enseveli avec les honneurs héroïques, à cause de sa réputation guerrière; le peuple athénien lui décerna un éloge funèbre et chargea de le prononcer Hypéride, le premier orateur par son éloquence et par sa haine contre les Macédoniens. A cette époque, le coryphée des orateurs d'Athènes, Démosthène, était encore en exil, condamné pour avoir reçu de l'argent d'Harpalus. A la place de Léosthène, Antiphile, distingué par son habileté stratégique et son courage, fut nommé au commandement des troupes. Telle était la situation des affaires en Europe. [18,14] Après qu'en Asie les chefs de l'armée se furent partagé les satrapies, Ptolémée se mit, sans coup férir, en possession de l'Égypte. Il se conduisit avec bienveillance à l'égard des naturels du pays. Il employa huit mille talents à rassembler des mercenaires et à préparer des armées; sa douceur fit accourir auprès de lui un grand nombre d'amis. Un de ses premiers soins fut d'envoyer une députation à Antipater et de conclure avec lui un traité d'alliance ; car il savait parfaitement que Perdiccas visait à la satrapie d'Égypte. A cette époque, Lysimaque envahit la Thrace et marcha contre le roi Seuthès, qui se trouvait à la tête de vingt mille fantassins et de huit mille cavaliers; mais ces forces ne l'intimidèrent pas, et, bien qu'il n'eût pas plus de quatre mille fantassins et de deux mille cavaliers, il attaqua les Barbares. Le combat fut acharné. Lysimaque se montra supérieur en bravoure; mais, accablé par le nombre, il perdit la plupart des siens et retourna dans le camp en laissant la victoire incertaine. Les deux armées se retirèrent alors de leurs positions et firent de plus grands préparatifs pour livrer une bataille décisive. Léonnatus, auprès duquel Hécatée s'était rendu en députation pour le prier de venir le plus promptement possible au secours d'Antipater et des Macédoniens, promit des secours. Il passa donc en Europe, entra en Macédoine et joignit un grand nombre de soldats macédoniens. Ayant ainsi rassemblé une armée de plus de vingt mille fantassins et de deux mille cinq cents cavaliers, il traversa la Thessalie et s'avança contre les ennemis. [18,15] Les Grecs levèrent le siége ; ils incendièrent leur camp et, pour alléger leurs mouvements, transportèrent tout le bagage inutile dans la ville de Mélitée; puis il allèrent à la rencdntre de Léonnatus avant qu'il eût fait sa jonction avec Antipater. L'armée des Grecs se composait de vingt-deux mille hommes d'infanterie (tous les Étoliens étaient déjà antérieurement retournés chez eux, et beaucoup d'autres Grecs étaient alors également rentrés dans leurs foyers), et de trois mille cinq cents cavaliers, dont deux mille Thessaliens, d'un courage éprouvé et sur lesquels reposait principalement l'espérance de vaincre. Il s'engagea un combat de cavalerie qui dura longtemps; les Thessaliens y firent des prodiges de valeur, et Léonnatus, après une brillante résistance, fut acculé contre un marais et expira couvert de blessures. Ses soldats emportèrent son corps et le déposèrent près des bagages. Les Grecs remportèrent, grâce à Menon, commandant de la cavalerie thessalienne, une éclatante victoire; la phalange macédonienne, redoutant la cavalerie, se retira de la plaine pour gagner les montagnes et se retrancha dans une position forte. Dans cet état, la cavalerie thessalienne, qui combattait à l'avant-garde, devint inutile. Les Grecs dressèrent un trophée, enlevèrent les morts et se retirèrent du champ de bataille. Le lendemain, Antipater arriva avec son armée, fit sa jonction avec les vaincus et réunit tous les Macédoniens en une seule armée dont il prit le commandement en chef. Antipater résolut, pour le moment, de se tenir dans l'inactivité; et, voyant que les ennemis étaient supérieurs en cavalerie, il renonça au projet de se frayer un passage les armes à la main. Il se retira donc de ces lieux, passa par des chemins difficiles, et s'empara d'avance des postes élevés. Antiphile, commandant de l'armée grecque qui venait de vaincre les Macédoniens dans une bataille célèbre, s'arrêta en Thessalie pour observer les mouvements de l'ennemi. Tels étaient les succès que les Grecs avaient obtenus. Comme les Macédoniens étaient encore les maîtres de la mer, les Athéniens firent construire de nouveaux bâtiments, de manière à élever le total de leur flotte à cent soixante-dix navires. La flotte macédonienne, forte de deux cent quarante navires, était sous les ordres de Clitus, qui attaqua Étion, nauarque des Athéniens, le défit dans deux batailles navales, livrées près des îles Échinades, et fit perdre à l'ennemi un grand nombre de bâtiments. [18,16] Sur ces entrefaites, Perdiccas prit avec lui le roi Philippe et l'armée royale, et marcha contre Ariarathès, souverain de la Cappadoce. Ce chef ne s'était point soumis aux Macédoniens, et il avait été oublié par Alexandre, alors exclusivement occupé à combattre Darius. Ariarathès avait eu le temps de se reconnaître et de s'affermir dans la souveraineté de la Cappadoce. Au moyen de fortes sommes d'argent, fruit de ses revenus, il mit sur pied une armée considérable, composée de nationaux et d'étrangers. Se trouvant ainsi à la tête de trente mille hommes d'infanterie et de quinze mille cavaliers, il prétendait à la royauté et était prêt à tenir tête à Perdiccas. Mais celui-ci le vainquit en bataille rangée, lui tua quatre mille hommes et fit plus de cinq mille prisonniers, parmi lesquels se trouvait aussi Ariarathès qu'il fit ignominieusement mettre en croix ainsi que toute sa famille. Cependant Perdiccas accorda la vie aux vaincus, et, après avoir pacifié la Cappadoce, il en donna le gouvernement à Eumène de Cardia, auquel cette satrapie était primitivement échue. En ce même temps, Cratère, partit de la Cilicie et se rendit en Macédoine pour venir au secours d'Antipater et réparer les pertes essuyées par les Macédoniens. Il emmena avec lui six mille hommes d'infanterie, débris de l'armée qu'Alexandre avait conduite en Asie; il y joignit quatre mille soldats recueillis en route, mille archers et frondeurs perses et quinze mille cavaliers. Arrivé en Thessalie, Cratère céda volontairement le commandement à Antipater et vint camper avec lui sur les bords du Pénée. Ces troupes réunies, y compris les soldats de Léonnatus, formèrent donc un total de plus de quarante mille hommes d'infanterie pesamment armés, de trois mille archers et frondeurs et de cinq mille cavaliers. [18,17] Dans ce même moment, les Grecs, beaucoup moins nombreux, vinrent établir leur camp en face de l'ennemi. Plusieurs de leurs alliés, méprisant l'ennemi depuis leurs derniers succès, étaient demeurés chez eux pour vaquer à leurs propres affaires. Beaucoup d'entre eux ayant quitté les rangs, il ne restait plus dans le camp que vingt-cinq mille hommes d'infanterie et trois mille cinq cents cavaliers. C'est sur cette cavalerie que reposait particulièrement l'espérance de la victoire, tant à cause de sa bravoure bien connue que parce qu'elle pouvait manoeuvrer sur un terrain plat. Antipater fit tous les jours sortir du camp son armée et provoqua les Grecs au combat. Ceux-ci, d'abord résolus d'attendre leurs alliés, furent enfin forcés par les circonstances d'accepter un combat décisif. Ils rangèrent donc leur armée en bataille, et, comme ils cherchaient à décider le sort de la guerre par la cavalerie, ils la placèrent sur le front de la phalange d'infanterie. Il s'engagea donc un combat de cavalerie. Les Thessaliens remportant par la bravoure de leurs cavaliers, Antipater fit avancer sa phalange; il tomba sur l'infanterie ennemie, et en fit un grand carnage. Les Grecs, succombant sous le poids et le nombre des ennemis, se retirèrent dans les lieux d'un accès difficile, tout en conservant l'ordre de leurs rangs. Ils gagnèrent ainsi les hauteurs qui dominaient le champ de bataille, et se défendirent de là facilement contre les Macédoniens. Cependant la cavalerie des Grecs l'emporta; mais dès qu'elle apprit la retraite de l'infanterie, elle vint sur-le-champ la rallier; à partir de ce moment de la lutte, la victoire commença à se déclarer pour les Macédoniens. Dans cette bataille, les Grecs perdirent plus de cinq cents hommes, et les Macédoniens cent trente. Le lendemain, Menon et Antiphile, généraux des Grecs, se réunirent pour délibérer s'il fallait attendre l'arrivée des autres alliés et se mettre en mesure de risquer un dernier combat décisif, ou s'il fallait céder aux circonstances et envoyer des parlementaires pour négocier une trêve. On résolut d'envoyer des hérauts pour faire des propositions de paix. Antipater répondit à ces parlementaires qu'il fallait que chaque ville, en particulier, lui envoyât des députés, et qu'il ne traiterait pas d'un accommodement commun à toutes les villes. Comme les Grecs n'accueillirent point cet arrangement, Antipater et Cratère allèrent investir les villes de la Thessalie, et les prirent d'assaut sans que les Grecs eussent pu les secourir. Ce succès fit trembler les autres, et chacune d'elles envoya des députés pour traiter séparément; la paix leur fut accordée et toutes furent traitées avec douceur. Les villes s'étant ainsi empressées de pourvoir à leur salut, la paix fut partout promptement rétablie. Les ennemis les plus acharnés des Macédoniens, savoir les Ètoliens et les Athéniens, privés de leurs alliés, réunirent leurs propres généraux pour délibérer sur la conduite de la guerre. [18,18] Après s'être montré habile général et avoir dissous la ligue des Grecs, Antipater dirigea toute son armée contre les Athéniens. Ceux-ci, sans alliés, se trouvaient dans un grand embarras; tous les regards se tournèrent alors vers Demade, et on cria qu'il fallait l'envoyer auprès d'Antipater pour négocier la paix. Mais Demade refusa de prendre part à la délibération; c'est qu'il avait été condamné trois fois pour avoir enfreint les lois, et qu'ainsi entaché d'infamie, il ne pouvait, selon les lois, être membre d'aucune assemblée délibérante. Alors le peuple le réhabilita, et l'envoya sur-le-champ en députation avec Phocion et quelques autres. Après avoir écouté attentivement les discours de ces députés, Antipater répondit qu'il ne traiterait avec les Athéniens qu'après qu'ils se seraient rendus à discrétion. C'était la même réponse qu'avait reçue Antipater lorsque, assiégé à Lamia, il demanda à traiter avec les Athéniens. Le peuple d'Athènes, dans l'impossibilité de résister à l'ennemi, fut forcé de se soumettre complétement à l'autorité d'Antipater. Le vainqueur se conduisit avec modération envers les vaincus ; il laissa aux Athéniens leur ville, leurs biens et toutes leurs richesses, mais il changea la forme de leur gouvernement; il abolit la démocratie, établit un cens d'après lequel les propriétaires de plus de deux mille drachmes auraient seuls droit au gouvernement et exerceraient le droit de suffrage. Il éloigna ainsi des affaires tous les turbulents et les malintentionnés dont le cens n'atteignait pas cette somme. En même temps il donna des terres à ceux qui voulaient fonder des colonies dans la Thrace. Il y en eut plus de vingt-deux mille qui quittèrent ainsi leur patrie. Les citoyens compris dans le cens fixé étaient au nombre d'environ neuf mille; ils furent déclarés maîtres de la cité et du territoire, et se gouvernaient d'après les lois de Solon. Ils conservèrent tous leurs propriétés intactes, mais ils furent obligés de recevoir une garnison sous les ordres de Ményllus, qui devait veiller à l'ordre établi. Quant à l'île de Samos, son sort fut remis à la décision des rois. Les Athéniens furent donc mieux traités qu'ils ne l'espéraient, et obtinrent la paix. Jouissant depuis lors d'un gouvernement tranquille, ils se livrèrent sans crainte à la culture de leurs terres, et leur prospérité augmenta rapidement. De retour en Macédoine, Antipater combla Cratère d'honneurs et de présents, lui donna en mariage Phila, l'aînée de ses filles, et lui prépara sa rentrée en Asie. Antipater se conduisit avec la même modération à l'égard des autres villes grecques; il établit partout un bon gouvernement, et mérita les éloges et les couronnes qui lui furent décernés. Perdiccas restitua aux Samiens leur ville et leur territoire, et rappela dans leur patrie ceux qui en avaient été exilés depuis plus de quarante-trois ans. [18,19] Après avoir parlé en détail de la guerre Lamiaque, nous allons passer à la guerre qui eut lieu dans la Cyrénaïque. Mais, sans trop nous écarter de l'ordre chronologique, nous devons remonter un peu le cours des temps, afin de faire mieux comprendre notre récit. Harpalus, s'étant enfui de l'Asie, aborda en Crète avec ses troupes soldées, ainsi que nous l'avons dit dans le livre précédent. Thimbron, qui passait pour un de ses amis, assassina Harpalus, s'empara de ses richesses et se mit à la tête des soldats, qui étaient au nombre de sept mille. Il se rendit aussi maître des navires d'Harpalus, y embarqua ses soldats et fit voile pour la Cyrénaïque. Il avait emmené avec lui les bannis de Cyrène qui, ayant une parfaite connaissance des lieux, lui servaient de guides. Thimbron marcha contre les Cyrénéens, les défit dans un combat et leur tua beaucoup de monde en faisant un non moins grand nombre de prisonniers. Il s'empara du port des Cyrénéens, bloqua Cyrène et força les habitants de capituler, à la condition de lui fournir cinq cents talents d'argent et la moitié de leurs chars de guerre. Il envoya ensuite des députés dans les autres villes de la côte pour les engager à se joindre à lui dans le but de soumettre toute la Libye limitrophe. Enfin il dévasta les magasins du port, livra les marchandises au pillage de ses soldats, dont il ranima ainsi l'ardeur guerrière. [18,20] Les affaires de Thimbron prospéraient, lorsque la fortune humilia bientôt son orgueil. Il y avait parmi ses officiers un Crétois nommé Mnasiclès, d'une grande expérience militaire. Thimbron eut avec lui une querelle au sujet du partage du butin. Mnasiclès, d'un caractère turbulent et audacieux, passa dans le camp des Cyrénéens; il accusa Thimbron de cruauté et de mauvaise foi, et persuada les Cyrénéens de rompre le traité et de défendre leur indépendance. Séduits par ces discours, les Cyrénéens, qui n'avaient encore payé que soixante talents de contribution, refusèrent de donner le reste de la somme. Thimbron, irrité contre les rebelles, arrêta les Cyrénéens qui se trouvaient dans le port au nombre d'environ quatre-vingts, dirigea immédiatement son armée sur la ville de Cyrène, et en fit le siége. Mais cette tentative ayant échoué, il revint dans le port. Comme les Barcéens et les Hespérites s'étaient déclarés pour Thimbron, les Cyrénéens laissèrent une partie de leur armée pour la défense de Cyrène, et allèrent avec l'autre partie dévaster les terres de leurs voisins. Ceux-ci appelèrent à leur secours Thimbron, qui vint à leur aide avec toutes ses troupes. Dans ce moment, le Crétois, voyant le port sans défense, conseilla aux Cyrénéens laissés dans la ville de s'en emparer. Cette proposition fut accueillie avec empressement; le Crétois se mit à la tête de la troupe, attaqua le port, et, favorisé par l'absence de Thimbron, s'en rendit facilement maître; il fit ensuite restituer aux marchands les marchandises qui restaient encore, et assura avec soin la défense du port. Délogé de cette position favorable et ayant perdu ses bagages, Thimbron tomba d'abord dans le découragement. Cependant son courage se ranima par la suite, il prit d'assaut la ville de Teuchire (Taricha) et conçut de grandes espérances. Mais bientôt il essuya de nouveaux échecs. Les équipages des navires exclus du port manquant de vivres, descendaient tous les jours à terre pour se procurer des subsistances. Pendant que ces soldats s'étaient dispersés dans la campagne, les Libyens les firent tomber dans une embuscade, en tuèrent un grand nombre et firent beaucoup de prisonniers. Ceux qui avaient échappé au danger se réfugièrent dans les navires et firent voile pour les villes alliées; mais une violente tempête s'étant élevée, la plupart des navires sombrèrent et le reste échoua sur les côtes de Cypre et sur celles d'Égypte. [18,21] Malgré ce désastre, Thimbron continua la guerre. Il détacha dans le Péloponnèse ses amis les plus fidèles, chargés d'enrôler les mercenaires qui se trouvaient au cap Ténare. Beaucoup de soldats sans solde erraient dans cette contrée, cherchant du service ; le nombre de ceux qui étaient stationnés au cap Ténare était de plus de deux mille cinq cents. Les émissaires de Thimbron les enrôlèrent et les transportèrent à Cyrène. Mais avant l'arrivée de cette troupe, les Cyrénéens, encourages par les succès obtenus, avaient engagé la lutte et vaincu Thimbron, après lui avoir fait éprouver de grandes pertes. Abattu par ces revers, Thimbron allait désespérer des affaires de la Cyrénaïque, lorsqu'un événement imprévu vint ranimer son courage. Les mercenaires, arrivés par mer du cap Ténare, lui amenèrent un puissant renfort qui releva ses espérances. Les Cyrénéens, considérant que la guerre allait se rallumer, implorèrent le secours des Libyens limitrophes et des Carthaginois. En réunissant à la milice nationale tous les auxiliaires, ils parvinrent à mettre sur pied une armée de trente mille hommes, et furent prêts à livrer une bataille décisive. Un grand combat s'engagea; Thimbron fut victorieux, après avoir tué un grand nombre d'ennemis, et, dans sa joie, il se voyait déjà maître des villes voisines. Les Cyrénéens, qui avaient perdu dans cette bataille tous leurs généraux, nommèrent le Crétois Mnasiclès avec quelques autres au commandement des troupes. Cependant Thimbron, exalté par sa victoire, bloqua le port des Cyrénéens et livra à la ville des assauts journaliers. Comme la guerre traînait en longueur, les Cyrénéens, manquant de vivres, se disputèrent entre eux. Le parti démocratique l'emporta; les propriétaires chassés de la ville et exilés de leur patrie, se réfugièrent les uns auprès de Thimbron, les autres cherchèrent un asile en Égypte. Ces derniers engagèrent Ptolémée à les faire rentrer dans leur patrie. Ils y revinrent en effet, appuyés par une forte armée et par une flotte sous les ordres d'Ophellas. A la nouvelle de cette approche, ceux qui s'étaient réfugiés auprès de Thimbron, tentèrent de les joindre secrètement la nuit; mais leur projet, se découvrit, et ils furent tous taillés en pièces. Les chefs du parti démocratique de Cyrène, redoutant la vengeance des exilés, traitèrent avec Thimbron et se préparèrent à faire en commun la guerre à Ophellas. Celui-ci battit Thimbron, le fit prisonnier, se rendit maître des villes et les soumit, ainsi que leur territoire, à l'autorité du roi Ptolémée. Ce fut de cette manière que les Cyrénéens et les villes limitrophes perdirent leur indépendance et furent rangés sous l'autorité royale de Ptolémée. [18,22] Perdiccas et le roi Philippe ayant battu Ariarathès, et remis sa satrapie à Eumène, s'éloignèrent de la Cappadoce. Ils entrèrent de là dans la Pisidie pour y châtier deux villes rebelles, celle des Larandéens et celle des Isauriens. Encore du vivant d'Alexandre, les habitants de ces villes avaient massacré Balacrus, fils de Nicanor, qui avait été nommé commandant militaire et satrape de la contrée. La ville des Larandéens fut emportée d'assaut; toute la population valide fut passée au fil de l'épée, les autres habitants vendus à l'enchère et la ville rasée. Isaura était une ville forte, considérable et remplie d'une brave garnison; elle fut vigoureusement assiégée pendant deux jours. Enfin, après avoir éprouvé beaucoup de pertes, l'ennemi allait se retirer; car les habitants, abondamment pourvus d'armes et d'autres munitions, se défendaient intrépidement prêts à mourir pour la liberté. Mais le troisième jour, après des pertes considérables, les rangs des défenseurs du mur se trouvaient éclaircis, et la garnison était pressée par la famine ; en ce moment les Isauriens se décidèrent à une action héroïque et digne de mémoire. Se voyant exposés à une vengeance impitoyable et n'étant pas assez forts pour résister, ils se refusèrent à livrer leur ville et leurs biens à un ennemi qui ne ferait aucun quartier. Ils résolurent donc unanimement de périr, dans la nuit, d'une mort glorieuse : ils renfermèrent dans les maisons les enfants et les femmes, et y mirent le feu, donnant ainsi à tout ce qu'ils avaient de plus cher un bûcher et un tombeau communs. La flamme s'éleva soudain dans l'air; les Isauriens y jetèrent leurs biens et tout ce qui aurait pu être utile au vainqueur. Perdiccas, frappé d'étonnement, essaya avec son armée de pénétrer de toutes parts dans ville. Mais les habitants défendirent leurs murailles et tuèrent beaucoup de Macédoniens; Perdiccas, de plus en plus stupéfait, chercha à savoir pourquoi ces hommes, qui avaient mis le feu à leurs maisons et brûlé tous leurs biens, mettaient tant d'acharnement à défendre leurs murailles. Enfin, Perdiccas et les Macédoniens, s'étant un peu éloignés de la ville, les Isauriens se précipitèrent eux-mêmes dans les flammes et trouvèrent leurs tombeaux sous la cendre de leurs maisons. Après que la nuit fut passée, Perdiccas donna la ville en pillage à ses soldats. Ces derniers éteignirent l'incendie et recueillirent une grande masse d'argent et d'or; car cette ville était depuis longtemps une des plus riches de la contrée. [18,23] Après la défaite de ses ennemis, Perdiccas épousa deux femmes; l'une était Nicée, fille d'Antipater, avec laquelle il avait été fiancé; l'autre était Cléopâtre, soeur germaine d'Alexandre, fille de Philippe, fils d'Amyntas. Perdiccas avait depuis longtemps jugé convenable de lier ses intérêts à ceux d'Antipater; c'est pourquoi il avait contracté cette alliance, dans un moment où ses propres affaires n'étaient pas encore parfaitement consolidées. Mais depuis qu'il était investi du commandement des troupes royales et de la tutelle des rois, il changea de plan; aspirant lui-même à la royauté, il épousa Cléopâtre, et se flattait par cette alliance de décider les Macédoniens à lui décerner l'autorité souveraine. Cependant, pour ne pas dévoiler ses intentions secrètes, il épousa alors Nicée, afin qu'Antipater ne l'entravât pas dans ses projets; mais comme par la suite Antigone, un des chefs les plus actifs de l'armée, lié d'amitié avec Antipater, devina ces desseins ambitieux, Perdiccas songea à s'en défaire. Dans ce but, il répandit contre Antigone des accusations injustes et calomnieuses, et ne fit plus un secret de sa perte, qu'il avait jurée. Mais Antigone, homme distingué à la fois par sa prudence et par son audace, déclara ouvertement qu'il voulait se défendre contre ces accusations. En attendant, il prépara en secret tout ce qui était nécessaire pour sa fuite, et s'embarqua la nuit avec ses amis et son fils Démétrius, sur des bâtiments attiques qui le transportèrent en Europe où il joignit Antipater. [18,24] En ce même temps Antipater ét Cratère marchèrent contre les Étoliens, à la tête de trente mille hommes d'infanterie et de deux mille cinq cents cavaliers. Les Étoliens étaient les seuls qui n'eussent pas été soumis dans la guerre Lamiaque. Malgré ces forces considérables dirigées contre eux, les Etoliens ne furent pas épouvantés; ils appelèrent au service militaire toute la population valide, et après avoir rassemblé dix mille hommes, ils se réfugièrent dans les montagnes où ils avaient mis en sûreté les femmes, les enfants, les vieillards et toutes leurs richesses. Ils abandonnèrent ainsi les villes dont la position n'était pas assez forte, mirent dans les places fortes des garnisons imposantes, et attendirent intrépidement l'arrivée des ennemis. [18,25] Cependant Antipater et Cratère pénétrèrent dans l'Étolie, et trouvant les villes désertes, ils marchèrent contre les populations qui s'étaient retirées dans les montagnes. En attaquant ces lieux d'un accès difficile, les Macédoniens perdirent d'abord beaucoup de monde; car les Étoliens, sentant leur courage s'accroître par la nature des lieux, se défendirent aisément contre ceux qui couraient des dangers irrémédiables. Après ses tentatives, Cratère construisit des baraques pour faire bivouaquer ses troupes. Par ce moyen, il força les ennemis à passer l'hiver au milieu des neiges et dans des positions où la disette devait les réduire aux dernières extrémités. En effet, ils étaient dans l'alternative ou de descendre des montagnes et se mesurer avec des forces supérieures, commandées par des généraux célèbres, ou d'y rester, décidés à mourir de faim et de froid. Enfin, ils désespéraient déjà de leur salut, lorsqu'ils furent sauvés du péril d'une façon inattendue, comme si un dieu eût eu pitié de leur courage. Antigone, après s'être enfui de l'Asie, était venu joindre Antipater et l'avait instruit de tous les projets de Perdiccas : il lui avait appris que ce dernier venait d'épouser Cléopâtre et qu'il ne tarderait pas à se montrer avec son armée en Macédoine pour se faire déclarer roi et dépouiller Antipater et Cratère de leur autorité. Ceux-ci, surpris d'une nouvelle si inattendue, réunirent en conseil les chefs de l'armée; il fut convenu que l'on conclurait avec les Etoliens une trêve aux meilleures conditions possibles; que des troupes seraient immédiatement envoyées en Asie, que Cratère y exercerait le commandement en chef, tandis qu'Antipater aurait le même pouvoir en Europe; enfin qu'on ferait partir une députation auprès de Ptolémée qui était très mécontent de Perdiccas et, au contraire, ami de Cratère et d'Antipater; ils le croyaient donc disposé à faire avec eux cause commune. Conformément à ces résolutions, ils conclurent une trêve avec les Étoliens, en ajournant le projet de les soumettre et de transférer toute la population dans une contrée déserte, la plus reculée de l'Asie. Enfin, toutes ces dispositions prises, ils se préparèrent à l'expédition projetée. Cependant Perdiccas réunit en conseil ses amis et les chefs de l'armée; il mit en délibération s'il fallait d'abord porter la guerre en Macédoine, ou marcher contre Ptolémée. Tous étant d'avis qu'il fallait d'abord combattre Ptolémée, afin de pouvoir agir plus librement en Macédoine, Perdiccas fit partir Eumène à la tête d'une armée considérable, avec l'ordre d'occuper les environs de l'Hellespont et de s'opposer au passage de l'ennemi. Perdiccas lui-même quitta la Pisidie, et dirigea sa route du côté de l'Égypte. Tels sont les événements arrivés dans le cours de cette année. [18,26] Philoclès étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Caïus Sulpicius et Caïus AElius. Dans cette armée, Arrhidée, chargé du soin de transporter le corps d'Alexandre, avait fait construire le char qui devait servir à ce transport, et avait achevé les préparatifs de cette solennité, digne de la gloire d'Alexandre. Elle se distinguait de toutes les solennités de ce genre, tant par les énormes dépenses qu'elle occasionna que par la magnificence qui y fut déployée. Nous croyons donc convenable d'entrer ici dans quelques détails. On avait d'abord construit un premier cercueil, recouvert d'or laminé et rempli d'aromates, tout à la fois pour procurer une bonne odeur et pour conserver le cadavre. Ce cercueil était fermé par un couvercle d'or, s'adaptant parfaitement à la partie supérieure de la surface. Sur ce couvercle était jetée une belle draperie d'or et de pourpre, sur laquelle étaient déposées les armes du défunt, afin qu'il ne manquât rien de ce qui peut frapper l'imagination dans de pareilles circonstances. Après cela, on s'occupa de la construction du char qui devait transporter le corps. {Voici la description de ce char} : le sommet représentait une voûte d'or, ornée de mosaïques disposées en écailles, de huit coudées de largeur sur douze de long. Au-dessous de cette voûte était placé un trône d'or occupant l'espace de toute l'oeuvre; il était de forme carrée, orné de mufles de bouquetin, auxquels étaient fixées des agrafes d'or de deux palmes d'épaisseur; à ces agrafes était suspendue une guirlande funèbre, dont les couleurs resplendissantes imitaient des fleurs naturelles. Au sommet était attaché un filet portant de grandes cloches, qui, par leur bruit, annonçaient au loin l'approche du convoi. A chaque angle de la voûte s'élevait une Victoire d'or portant des trophées. Toute la voûte avec ses dépendances reposait sur des colonnes à chapiteaux ioniques. En dedans du péristyle, on voyait un réseau d'or, dont les fils, de l'épaisseur d'un doigt, portaient quatre tableaux de la même hauteur que le péristyle et parallèles aux colonnes. [18,27] Le premier de ces tableaux représentait un char orné de ciselures, sur lequel était assis Alexandre tenant dans ses mains un sceptre très beau. Autour du roi était placée en armes sa maison militaire, composée de Macédoniens, de Perses mélophores, précédés des écuyers. Le second tableau représentait, comme suite de la maison militaire, des éléphants équipes en guerre, montés en avant par des conducteurs indiens, et en arrière par des Macédoniens revêtus de leurs armes ordinaires. Sur le troisième tableau, on avait figuré des escadrons de cavalerie faisant des évolutions et des manoeuvres militaires. Enfin, le quatrième tableau représentait des vaisseaux armés en guerre, préparés à un combat naval. Au bord de la voûte se voyaient des lions d'or fixant leurs regards sur ceux qui s'approchaient du char. Dans les interstices des colonnes se voyaient des acanthes d'or, s'élevant presque jusqu'aux chapiteaux des colonnes. Sur le dos de la voûte était étendue une draperie de pourpre sur laquelle reposait une immense couronne d'olivier en or; les rayons du soleil tombant sur cette couronne produisaient au loin, par leurs réflexions, l'effet d'éclairs éblouissants. Tout le train reposait sur deux essieux autour desquels tournaient quatre roues persiques dont les moyeux et les rayons étaient dorés, et dont les jantes étaient garnies de fer. Les saillies des essieux étaient en or et portaient des mufles de lion tenant entre les dents le fer d'une lance. Au milieu du fond du char, d'une part, et au milieu de la voûte, de l'autre, était fixé dans toute la hauteur du monument un mécanisme tournant pour préserver la voûte des secousses qu'aurait pu lui imprimer le char en roulant sur un terrain inégal et raboteux. Quatre timons étaient fixés au char, et à chaque timon un train de quatre jougs, et chaque joug composé de quatre mulets, ce qui formait un attelage de soixante-quatre mulets, choisis parmi les plus vigoureux et les plus élancés. Chacun de ces animaux portait sur sa tête une couronne d'or; aux deux mâchoires étaient suspendues deux sonnettes d'or, et les cols étaient ornés de colliers de pierres précieuses. [18,28] Tel était l'appareil de ce char, plus beau à voir qu'on ne peut le faire comprendre par une simple description. Grand était le nombre des spectateurs qu'attirait la magnificence de ce convoi funèbre. La foule accourait de toutes parts dans les villes où il devait passer, et ne pouvait se rassasier de l'admirer; et cette foule, se confondant avec les voyageurs, les artistes et les soldats qui suivaient le convoi, ajoutait encore à la pompe de ces splendides funérailles. Arrhidée, qui avait employé presque deux ans aux travaux de ces obsèques, s'était donc mis en marche pour transporter, de Babylone en Égypte, les dépouilles du roi. Ptolémée, pour rendre les honneurs à Alexandre, alla avec son armée au-devant du convoi jusqu'en Syrie. Il reçut le corps avec les plus grandes marques de respect. Il jugea plus convenable de le transporter pour le moment, non dans le temple de Jupiter Amman, mais dans la ville fondée par Alexandre, et qui était déjà devenue presque la plus célèbre du monde. Il y fit construire un temple qui, par sa grandeur et sa beauté, était digne de la gloire d'Alexandre; il y célébra un service funèbre par des sacrifices héroïques et des solennités de jeux. Ptolémée fut récompensé par les hommes et par les dieux pour avoir ainsi honoré la mémoire d'Alexandre. La générosité et la grandeur d'âme de Ptolémée fit accourir à Alexandrie une multitude d'étrangers empressés de servir dans son armée; et quoiqu'ils eussent bientôt à combattre l'armée royale, et qu'ils n'ignorassent pas les dangers auxquels ils s'exposaient, ils étaient tous prêts à donner leur vie pour Ptolémée. Les dieux, en récompense de tant de vertus, sauvèrent inopinément Ptolémée des plus grands périls. [18,29] Perdiccas, qui prit ombrage de la puissance de Ptolémée, avait résolu de se mettre avec les rois à la tête de la plus grande partie de l'armée et de marcher contre l'Égypte. Eumène avait été {comme nous l'avons dit} envoyé sur les côtes de l'Hellespont pour s'opposer au passage d'Antipater et de Cratère en Asie. Perdiccas lui avait adjoint plusieurs autres chefs de l'armée dont le plus célèbre était Alcétas, son frère, et Néoptolème ; il leur avait prescrit de se soumettre entièrement aux ordres d'Eumène, connu pour ses talents militaires et sa fidélité éprouvée. Arrivé sur les côtes de l'Hellespont avec les troupes qui lui avaient été confiées, Eumène s'occupa d'abord à tirer de sa satrapie une grande quantité de chevaux, et combla les vides de l'armée. Cependant Cratère et Antipater parvinrent à faire passer des troupes d'Europe en Asie. Néoptolème, jaloux d'Eumène et ayant avec lui un détachement considérable de Macédoniens, eut des intelligences secrètes avec Antipater, traita avec lui et dressa des embûches à Eumène. Sa trahison ayant été découverte, il fut forcé à livrer bataille; Néoptolème faillit être tué et perdit presque toute son armée. Eumène, victorieux, fit entrer dans ses bataillons le reste de la troupe de Néoptolème ; ses forces s'accrurent ainsi, non seulement par la victoire qu'il venait de remporter, mais encore par la jonction d'un brave corps de Macédoniens. Néoptolème déserta le champ de bataille avec trois cents cavaliers et vint à bride abattue joindre Antipater. Celui-ci réunit les généraux en conseil; il fut arrêté que les troupes seraient partagées en deux corps, dont l'un, sous les ordres d'Antipater, s'avancerait vers la Cilicie pour combattre Perdiccas, et l'autre, commandé par Cratère, tomberait sur Eumène, et, après l'avoir battu, viendrait rejoindre Antipater. Après la concentration des troupes et leur réunion au corps auxiliaire de Ptolémée, ils devaient, selon le plan convenu, être supérieurs en nombre aux armées royales. [18,30] Instruit de ce mouvement de l'ennemi, Eumène rassembla de toutes parts des troupes et particulièrement de la cavalerie. Dans la conviction que son infanterie ne pourrait jamais égaler la phalange macédonienne, il espéra principalement en sa cavalerie pour l'emporter sur l'ennemi. Les deux armées s'avançant l'une sur l'autre, Cratère convoqua ses troupes, les exhorta au combat dans un discours approprié, et promit aux soldats, dans le cas où ils seraient victorieux, de leur abandonner en pillage tous les bagages des ennemis. Ce discours produisit l'effet désiré. Cratère rangea l'armée en bataille, prit le commandement de l'aile droite et donna à Néoptolème le commandement de l'aile gauche. Son armée était formée de vingt mille hommes d'infanterie, dont la plupart étaient des Macédoniens d'un courage éprouvé, et sur lesquels était surtout fondée l'espérance de la victoire. Le nombre des cavaliers s'élevait à plus de deux mille. L'armée d'Eumène se composait de vingt mille hommes d'infanterie, mélange de toutes les nations, et de cinq mille cavaliers sur lesquels il comptait plus particulièrement. Des deux côtés, la cavalerie était postée aux ailes et bien en avant du front de la phalange. Cratère commença l'attaque avec un corps d'élite et fit des prodiges de valeur ; mais son cheval ayant fait un faux pas il tomba à terre; au milieu de la confusion et de l'épaisseur des escadrons qui s'avançaient, il se perdit, fut foulé aux pieds des chevaux et périt misérablement. Exaltés par la mort de Cratère, les ennemis se précipitèrent de toutes parts sur leurs adversaires et en firent un grand carnage. C'est ainsi que toute l'aile droite fut culbutée et forcée de se replier sur la phalange d'infanterie. [18,31] A l'aile gauche, Néoptolème se trouva en face d'Eumène lui-même. Une égale ardeur anima les deux chefs; on les reconnaissait à l'équipement de leurs chevaux et à d'autres insignes ; ils se précipitèrent l'un sur l'autre et engagèrent un combat singulier qui devait décider la victoire. Ils s'attaquèrent d'abord à l'épée; mais bientôt cette attaque se changea en un combat à outrance. Emportés par la colère et par la haine qu'ils se portaient l'un l'autre, ils lâchèrent de leur main gauche les rênes de leurs chevaux et se mirent à lutter corps à corps. Les chevaux, n'étant plus retenus par leurs guides, s'échappèrent de dessous leurs cavaliers qui tombèrent à terre. En raison de la rapidité et de la violence de leur chute, ils ne purent se relever que difficilement, d'autant plus qu'ils étaient embarrassés du poids de leurs armes. Cependant Eumène parvint à se relever avant son adversaire, et frappa Néoptolème au jarret. L'étendue et le siége de la blessure empêchèrent celui-ci de se tenir debout. Néanmoins, la force de l'âme l'emporta sur la faiblesse du corps : Néoptolème se dressa sur ses genoux et porta à son antagoniste trois blessures au bras et aux cuisses. Mais aucune ne fut mortelle, et Eumène, couvert de ces blessures toutes saignantes, atteignit Néoptolème d'un second coup au col et l'étendit roide mort. [18,32] Pendant que ces choses se passaient, le reste de la cavalerie se livra de son côté à un combat sanglant. Des deux côtés, il y eut un nombre à peu près égal de morts et de blessés, et la victoire fut exactement balancée. Mais, après que la nouvelle de la mort de Néoptolème se fut répandue, l'aile gauche lâcha pied et la fuite devint bientôt générale; tous les cavaliers se replièrent sur la phalange d'infanterie pour s'y mettre à l'abri comme derrière une forte muraille. Eumène, se contentant de ce succès, s'empara des corps des deux généraux et fit sonner la retraite. Il éleva un trophée, fit enterrer les morts et envoya une députation à la phalange des vaincus pour lui proposer de se réunir à lui, en même temps qu'il accorda à chaque soldat la faculté de se retirer du service. Les Macédoniens acceptèrent ces conditions de paix, et après avoir échangé, sous la foi du serment, des garanties réciproques, les soldats obtinrent la permission de se cantonner dans les villages voisins et de s'y procurer des vivres. Mais ils violèrent leurs serments et trompèrent Eumène; car, après s'être reposés de leurs fatigues, et bien pourvus de subsistances, ils partirent la nuit et vinrent secrètement rejoindre Antipater. Eumène se mit à leur poursuite pour les châtier de leur mauvaise foi; mais la bravoure bien connue de la phalange, en même temps que la douleur de ses blessures le firent renoncer à ce projet. Au reste, Eumène se couvrit de gloire pour avoir été victorieux dans un combat brillant et avoir tué deux grands généraux [18,33] Antipater recueillit les débris de son armée et se dirigea vers la Cilicie, empressé de venir au secours de Ptolémée. A la nouvelle de la victoire remportée par Eumène, Perdiccas marcha avec plus d'ardeur contre l'Égypte. Arrivé près du Nil, il établit son camp à peu de distance de la ville de Peluse. Mais, tandis qu'il essayait de faire nettoyer un ancien canal, un débordement du fleuve détruisit les travaux; plusieurs de ses amis le quittèrent en ce moment pour se retirer auprès de Ptolémée. Perdiccas, par son caractère cruel et ses habitudes de commandement absolu, s'était aliéné les esprits des autres chefs de l'armée. Ptolémée, au contraire, était d'un caractère doux, généreux, et laissait à tous les officiers leur franc parler; de plus, il avait pourvu de fortes garnisons et de magasins de guerre les places les plus importantes de l'Egypte. Il était donc parfaitement préparé. Il réussissait le plus souvent dans ses entreprises, car il pouvait compter sur le dévouement de ses troupes. Perdiccas, pour réparer l'échec qu'il venait d'essuyer, réunit ses officiers, chercha à gagner les uns par des présents, les autres par des promesses magnifiques et tous par des paroles de bienveillance. Après les avoir attachés à ses intérêts, il les exhorta à braver de nouveaux dangers et à se tenir prêts à marcher. En effet, vers le soir il mit son armée en mouvement sans dire à personne le point sur lequel il avait résolu de se diriger. Après avoir passé toute la nuit en marches forcées, il vint établir son camp sur les bords du Nil, près d'une place forte appelée le Mur des Chameaux. Au lever du jour, l'armée passa le fleuve; les éléphants ouvraient la marche; puis venaient les hypaspistes et les soldats portant des échelles avec tout ce qui peut servir à l'attaque d'une enceinte; enfin, l'élite de la cavalerie, que Perdiccas voulait opposer à celle de Ptolémée dès qu'elle se montrerait, ferma la colonne. [18,34] Les troupes de Perdiccas n'avaient encore atteint que le milieu du fleuve, lorsque Ptolémée accourut pour la défense de la forteresse. Les soldats de Ptolémée, ayant l'avance sur l'ennemi, se précipitèrent dans cette place et annoncèrent leur présence par le son des trompettes et par des cris. Mais Perdiccas ne se laissa pas intimider, et attaqua hardiment les retranchements de la place. Aussitôt les hypaspistes appliquèrent les échelles aux remparts et se disposèrent à y monter pendant que les éléphants arrachaient les palissades et renversaient les créneaux. Ptolémée, entouré de ses meilleurs soldats et voulant donner à ses officiers et à ses amis l'exemple du courage, saisit lui-même une sarisse, et, se plaçant sur une saillie du rempart, d'un coup de son arme il aveugla l'éléphant placé en tête de la colonne et blessa l'Indien assis sur l'animal; puis, frappant vigoureusement les soldats qui montaient aux échelles, il les fit rouler tout armés dans les eaux du fleuve. Les amis de Ptolémée en firent autant, et les éléphants, dont les conducteurs indiens étaient blessés, devinrent bientôt complétement inutiles. Cependant les soldats de Perdiccas, relevés par des troupes fraîches, soutinrent longtemps le combat et mirent la plus grande ardeur à s'emparer de la place; mais Ptolémée, déployant toute sa bravoure et faisant appel tout à la fois au dévouement et à la valeur de ses amis, provoqua des combats héroïques. Les pertes furent grandes de part et d'autre; Ptolémée avait l'avantage de la position, et Perdiccas celui du nombre. Enfin, après avoir passé toute la journée dans des escarmouches, Perdiccas leva le siége et rentra dans son camp. Il se mit de nouveau en route pendant la nuit et se dirigea en silence sur un point situé en face de Memphis. Là le Nil, se divisant en deux branches, forme une île où une très grande armée pouvait camper en sécurité. C'est là qu'il fit passer ses troupes et effectua ce trajet, non sans peine, à cause de la profondeur du fleuve; car les soldats avaient de l'eau jusqu'au menton, et leurs corps, alourdis par leurs armes, étaient battus par un courant très rapide. [18,35] Perdiccas, s'apercevant de la difficulté de ce passage, plaça les éléphants à la gauche de la colonne pour amortir le choc du fleuve; il plaça à la droite la cavalerie qui devait recueillir les fantassins que le courant aurait emportés et les ramener sur l'autre rive. Pendant ce passage de l'armée, il survint un incident singulier et tout à fait inattendu : les premiers rangs parvinrent à traverser heureusement le fleuve, mais les rangs qui suivaient coururent les plus grands dangers ; les eaux, sans aucune cause apparente, étaient devenues plus profondes et les soldats, perdant pied, couraient risque d'être noyés. Les explications que l'on donne de cet accroissement soudain du fleuve ne reposent sur aucune raison valable. Les uns soutenaient qu'une digue, élevée dans un point supérieur, s'était rompue et avait ainsi produit la crue subite des eaux; d'autres prétendaient que des pluies tombées dans la haute Égypte avaient exhaussé le niveau du Nil. Aucune de ces deux explications n'était exacte : ceux qui passèrent les premiers avaient trouvé sous leurs pieds un point d'appui solide sur les sables formant le lit du fleuve; mais, dans le passage des chevaux, des éléphants et des hommes qui se succédaient, ce sable, continuellement remué par le mouvement des pieds, s'était mélangé aux eaux et avait ainsi donné lieu à un lit plus profond. Voilà la cause qui mit le reste de l'armée dans l'impossibilité de passer le fleuve. Perdiccas tomba dans un grand embarras : ceux qui se voyaient sur la rive opposée n'étaient pas assez forts pour résister à l'ennemi, et ceux fui étaient en deçà du fleuve se trouvaient dans l'impossibilité de venir au secours de leurs camarades. Il ordonna donc à tous de revenir sur leurs pas. Obligés de traverser une seconde fois le courant, les hommes robustes et sachant bien nager eurent beaucoup de peine à traverser le Nil sous le poids de leurs armes; les autres qui ne savaient pas nager furent noyés ou tombèrent au pouvoir de l'ennemi; le plus grand nombre, après avoir longtemps lutté contre les eaux du courant, furent dévorés par les animaux féroces du fleuve. [18,36] Plus de deux mille hommes, au nombre desquels se trouvaient quelques chefs distingués, périrent ainsi, et l'armée se montra fort mécontente de Perdiccas. Cependant Ptolémée recueillit les corps qui étaient tombés en son pouvoir, les fit brûler, et, après leur avoir rendu les honneurs funèbres, il envoya les os à la famille et aux amis des morts. Cette action eut pour effet d'exciter encore davantage le ressentiment des Macédoniens contre Perdiccas, et de les disposer favorablement pour Ptolémée. A l'approche de la nuit, tout le camp se remplit de gémissements et de deuil; on pleurait le sort de tant d'hommes qui avaient été sacrifiés stupidement et sans avoir reçu de blessures glorieuses; car plus de mille hommes étaient devenus la proie des monstres. Plusieurs chefs se réunirent, mirent Perdiccas en accusation, et toute la phalange d'infanterie manifesta son indignation par des cris menaçants. Près de cent chefs, dont le plus célèbre était Python, se révoltèrent les premiers. C'était ce même Python qui avait apaisé les Grecs rebelles, et qui, en courage et en réputation, ne le cédait à aucun des amis d'Alexandre. Quelques cavaliers, mis dans la conspiration, pénétrèrent dans la tente de Perdiccas, se précipitèrent tous sur lui et l'égorgèrent. Le lendemain l'armée se réunit en assemblée; Ptolémée y parut, saluant affectueusement les Macédoniens; il fit ensuite l'apologie de sa conduite, et, comme les vivres manquaient, il fit distribuer aux troupes du blé en abondance et pourvut le camp de toutes sortes de provisions. Cette conduite lui fit beaucoup d'honneur et lui acquit l'affection de l'armée, qui l'aurait laissé prendre la tutelle des rois; mais ce n'était pas là son ambition, et, par reconnaissance pour Python et Arrhidée, il leur ouvrit la voie pour arriver à l'autorité suprême. En effet, les Macédoniens mirent en délibération à qui on confierait cette autorité; ils s'empressèrent tous, sur la proposition de Ptolémée, de nommer Python et Arrhidée, le même qui avait transporté les dépouilles d'Alexandre, tuteurs des rois et chefs absolus de l'armée. Ce fut ainsi que Perdiccas, après un règne de trois ans, perdit tout à la fois l'empire et la vie. [18,37] Aussitôt après la mort de Perdiccas, on apporta la nouvelle de la bataille qui s'était livrée en Cappadoce; on annonça la victoire d'Eumène, la défaite et la mort de Cratère et de Néoptolème. Si cette nouvelle était arrivée deux jours avant le meurtre de Perdiccas, personne n'aurait osé, à cause de ce grand succès, porter la main sur lui; elle lui aurait sauvé la vie. Instruits donc de ce qui s'était passé du côté d'Eumène, les Macédoniens condamnèrent Eumène à mort et avec lui cinquante chefs illustres, parmi lesquels se trouvait Alcétas, frère de Perdiccas; ils massacrèrent aussi les amis les plus fidèles de Perdiccas, ainsi que sa soeur Atalante, mariée à Attalus qui avait le commandement de la flotte. Lorsqu'Attalus, qui stationnait alors avec sa flotte dans les parages de Peluse, eut appris la mort de sa femme et celle de Perdiccas, il leva l'ancre et fit voile pour Tyr. Archélaüs, Macédonien d'origine, commandant de la garnison de cette ville, accueillit Attalus amicalement, et lui remit la place ainsi que les trésors dont Perdiccas lui avait confié la garde et qui s'élevaient à huit cents talents. Attalus resta à Tyr et y recueillit les amis de Perdiccas qui étaient parvenus à se sauver du camp de Memphis. [18,38] Cependant Antipater avait passé en Asie. Les Etoliens, qui avaient traité avec Perdiccas, envahirent la Thessalie pour faire une diversion et obliger Antipater d'éparpiller ses forces. Leur armée se composait de douze mille hommes d'infanterie et quatre cents cavaliers sous les ordres d'Alexandre, Étolien. Ils assiégèrent, en passant, la ville des Amphissiens Locriens, dévastèrent leur territoire et prirent quelques bourgs du voisinage. Les Etoliens vainquirent ensuite en bataille rangée Polyclès, général d'Antipater, et lui firent perdre beaucoup de monde ; quant aux prisonniers, ils vendirent les uns et tirèrent des autres une forte rançon. Puis ils pénétrèrent en Thessalie et engagèrent la plupart des Thessaliens à prendre part à cette guerre contre Antipater. Ils parvinrent ainsi en peu de temps à réunir un total de vingt-cinq mille hommes d'infanterie et de quinze cents cavaliers. Pendant que les Étoliens entraînaient ainsi les villes de la Thessalie, les Acarnaniens depuis longtemps hostiles aux Étoliens, entrèrent dans l'Étolie, ravagèrent le territoire et assiégèrent plusieurs villes. A la nouvelle que leur patrie était en danger, les Étoliens laissèrent en Thessalie leurs alliés sous les ordres de Ménon de Pharsale, revinrent promptement en Étolie, délivrèrent leur patrie, en frappant d'épouvante les Acarnaniens. Sur ces entrefaites, Polysperchon, investi du commandement militaire de la Macédoine, envahit la Thessalie à la tête d'une forte armée, il défit les ennemis en bataille rangée, tua leur général Ménon, leur fit éprouver de grandes pertes et se remit en possession de la Thessalie. [18,39] En Asie, Arrhidée et Python, nommés tuteurs des rois, quittèrent avec les troupes royales les bords du Nil et se rendirent à Triparadisum, dans la haute Syrie. Là la reine Eurydice, très intrigante de son naturel, s'immisça dans les affaires de la régence. Python, mécontent de ces intrigues, et voyant d'ailleurs que les Macédoniens se montraient de plus en plus soumis aux ordres de cette reine, convoqua une assemblée et abdiqua la tutelle qui lui avait été confiée. Les Macédoniens investirent alors Antipater de l'autorité suprême de la régence. Peu de jours après, celui-ci arriva à Triparadisum, et fit arrêter Eurydice, qui avait fomenté une insurrection et excité les Macédoniens contre lui. Cet acte fit éclater des troubles dans les armées; Antipater convoqua alors une assemblée générale; par ses discours, il calma la sédition et décida Eurydice, par des menaces, à se tenir tranquille. Ces troubles apaisés, il procéda à un nouveau partage des satrapies. Ptolémée garda l'Égypte comme une propriété conquise à la pointe de l'épée; et il aurait été dailleurs impossible de l'en faire sortir. Laomédon le Mitylénéen obtint la Syrie; Philoxène, la Cilicie. Parmi les satrapies de l'Asie supérieure, Amphimaque reçut en partage la Mésopotamie et l'Arbélie ; Antigone, la Susiane pour s'être déclaré le premier contre Perdiccas; Peuceste, la Perse proprement dite ; Tlépolème, la Carmanie; Python, la Médie ; Philippe, la Parthie; Stassandre de Cypre, l'Arie et la Drangiane; Stasanor de Solium, également originaire de Cypre, la Bactriane et la Sogdiane; Oxyarte, père de Rhoxane, mariée à Alexandre, le pays des Paropamisades; Python, fils d'Agénor, la contrée de l'Inde voisine des Paropamisades. Quant aux royaumes indiens, celui qui était situé au delà de l'Hydaspe échut à Taxile; car il n'était guère possible de déplacer ces rois de leurs États. Pour ce qui concerne les provinces septentrionales, Nicanor eut la Cappadoce; Antigone, la grande Phrygie et la Lycie qu'il possédait antérieurement; Cassandre, la Carie; Clitus, la Lydie, et Arrhidée, la Phrygie de l'Hellespont. Antigone fut nommé commandant de l'armée royale, et chargé de soumettre Eumène et Alcétas. Antipater lui adjoignit comme chiliarque son fils Cassandre, afin qu'Antigone ne pût agir secrètement pour son propre compte. Enfin Antipater se remit en route avec son armée et avec les rois qu'il ramena en Macédoine. [18,40] Antigone, investi du commandement militaire de l'Asie avec l'ordre de soumettre Eumène, fit sortir les troupes de leurs quartiers d'hiver. Après avoir terminé ses préparatifs de guerre, il marcha contre Eumène, qui séjournait alors en Cappadoce. Un des chefs les plus célèbres, nommé Perdiccas, s'était alors révolté contre Eumène, et était venu avec les soldats, entraînés dans sa défection, établir son camp à trois journées de marche de celui d'Eumène. Il avait avec lui trois mille hommes d'infanterie et cinq cents cavaliers. Eumène envoya contre ce rebelle Phénix de Ténédos, à la tête de quatre mille fantassins d'élite et de mille cavaliers. Phénix, après une rapide marche de nuit, tomba à l'improviste sur les rebelles vers la deuxième garde de la nuit et les surprit encore au sommeil; il fit Perdiccas prisonnier et, se rendit maître de l'armée. Eumène fit mettre à mort les chefs de la révolte, et incorpora dans ses rangs les simples soldats qu'il s'attacha par sa conduite bienveillante. Cependant Antigone avait envoyé un de ses affidés auprès d'Apollonide, général de cavalerie d'Eumène ; il avait engagé ce général, par de grandes promesses faites en secret, à trahir et à déserter sur le champ de bataille. Pendant qu'Eumène se trouva avec son armée en Cappadoce, au milieu d'un pays de plaines favorables au déploiement de la cavalerie, Antigone apparut avec toute son armée et occupa les hauteurs qui dominent ce pays de plaines. L'armée d Antigone comptait en ce moment plus de dix mille hommes d'infanterie (dont la moitié était des Macédoniens d'une bravoure éprouvée), deux mille cavaliers et trente éléphants. De son côté, Eumène n'avait pas moins de vingt mille hommes d'infanterie et cinq mille cavaliers. Au plus fort du combat, Apollonide quitta sans motif les rangs de l'armée d'Eumène, et vint avec sa cavalerie joindre Antigone, qui remporta la victoire, tua environ huit mille ennemis, et s'empara de tous leurs bagages. Cette défaite et la perte des bagages répandit la consternation et le découragement parmi les soldats d'Eumène. [18,41] Après ce revers, Eumène résolut de se réfugier en Arménie et de faire entrer dans son parti quelques habitants de ce pays; mais, pressé par l'ennemi et voyant ses soldats déserter auprès d'Antigone, il vint occuper une place forte nommée Nora. Cette place, de très peu d'étendue, n'avait pas plus de deux stades de circuit, mais elle était d'une assiette admirablement forte : les maisons étaient bâties sur un rocher élevé ; la nature des lieux et les travaux de l'art avaient contribué à rendre cette place imprenable. Elle possédait en outre des magasins de blé, de bois et d'autres provisions, de manière à pouvoir, pendant plusieurs années, entretenir ceux qui s'y seraient réfugiés. Ce fut donc là qu'Eumène chercha un asile avec ses amis les plus dévoués et décidés à se défendre jusqu'à la dernière goutte de sang. Cette poignée d'hommes s'élevait environ au nombre de six cents, tant fantassins que cavaliers. Ayant recueilli les troupes d'Eumène, et maître des revenus de ses satrapies, Antigone porta ses vues vers de plus grandes entreprises. Aucun des généraux de l'Asie n'avait alors une armée assez puissante pour lui disputer le pre- mier rang. Il affecta en ce moment des sentiments d'amitié pour Antipater, mais il avait déjà arrêté en lui-même que, dès que ses affaires se seraient consolidées, il se rendrait indépendant du roi et d'Antipater. Il commença alors à bloquer ceux qui s'étaient réfugiés dans la place de Nora, qu'il entoura d'un double mur de circonvallation, ainsi que de fossés et d'immenses palissades. Il eut ensuite avec Eumène une conférence, renoua avec lui ses anciens liens d'amitié et l'invita à faire avec lui cause commune. Eumène, profitant de ce rapide revirement de la fortune, demanda des concessions plus grandes que les circonstances ne semblaient le lui devoir permettre; car il exigea qu'on lui rendît ses anciennes satrapies et qu'il fût absous de toutes les accusations portées contre lui. Antigone en référa à Antipater, laissa devant la place des troupes suffisantes, et se remit en mouvement pour combattre les chefs ennemis qui tenaient encore la campagne avec des forces considérables. Ces chefs étaient Alcétas, frère de Perdiccas, et Attalus, ommandant de toute la flotte. [18,42] Eumène, de son côté, envoya des députés à Antipater pour traiter d'un accommodement. A la tête de cette députation se trouvait Hieronymus, le même qui a écrit l'histoire des successeurs d'Alexandre. Éprouvé dans sa vie par tant de vicissitudes, Eumène ne se laissa pas abattre, sachant fort bien que la fortune amène, soit d'un côté, soit de l'autre, de rapides changements. Il voyait que les rois macédoniens n'étaient que des fantômes de rois et que des hommes ambitieux se disputaient le pouvoir, chacun pour son compte. Il espérait donc, ce qui devait arriver, que beaucoup d'entre eux, appréciant son intelligence, son expérience militaire et son extrême fidélité, viendraient implorer son secours. {En attendant, il tenait ses troupes prêtes à tout événement.} Voyant que les chevaux, renfermés dans un espace étroit, ne pouvaient prendre aucun exercice et deviendraient ainsi inutiles à la guerre, il trouva un moyen aussi singulier qu'ingénieux pour parer à cet inconvénient : il faisait attacher les têtes des chevaux, au moyen de cordes, à des poutres ou à des poteaux d'une certaine élévation, et forçait ainsi ces animaux à se tenir debout sur les pieds de derrière, ceux du devant étant séparés du sol par un petit espace. Dans cette position, le cheval faisait, par le mouvement de son corps et de ses jambes, tous ses efforts pour toucher le sol avec les pieds antérieurs; tous les membres prenaient part à cet exercice violent; une sueur abondante couvrait le corps de l'animal, et cet excès de fatigue produisait le résultat d'un exercice ordinaire. Eumène donnait à tous ses soldats la même nourriture et prenait lui-même part à leur régime, ce qui lui gagna l'affection de tout le monde et maintint la concorde parmi ses compagnons d'armes. Telle était la situation d'Eumène et de ceux qui s'étaient réfugiés avec lui dans la forteresse de Nora. [18,43] En Égypte, Ptolémée conserva l'Égypte comme sa conquête, depuis qu'il avait, contre toute attente, battu Perdiccas et détruit l'armée royale. La Phénicie et la Coelé-Syrie, pays voisin de l'Égypte, semblaient à sa convenance; il songea donc à se rendre maître des villes de ces contrées. Il choisit pour cette expédition un de ses amis, Nicanor, avec une armée suffisante. Celui-ci pénétra en Syrie, fit le satrape Laomédon prisonnier, et soumit toute la province. Il soumit également les villes de la Phénicie, y établit des garnisons, et retourna en Égypte. Tel fut le résultat de cette courte et active expédition. [18,44] Apollodore étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Quintus Popilius et Quintus Publius. Dans cette année, Antigone, après avoir battu Eumène, résolut de marcher contre Alcétas et Attalus. Ces deux chefs respectables, derniers amis de Perdiccas, auquel ils étaient unis par les liens du sang, avaient encore assez de forces pour faire balancer la fortune. Antigone quitta donc la Cappadoce avec toute son armée, se dirigea vers la Pisidie, où se trouvait alors Alcétas, franchit, par une marche forcée, dans un espace de sept jours et sept nuits, une distance de deux mille cinq cents stades, et atteignit Crétopolis. Grâce à cette marche rapide, il s'empara, à l'insu de l'ennemi qui ne se doutait point de sa présence, de quelques hauteurs et positions fortes. Lorsque Alcétas fut enfin averti de l'arrivée de l'ennemi, il rangea sa phalange en bataille, attaqua la cavalerie qui occupait les hauteurs et déploya tous ses efforts pour les en déloger. La mêlée fut sanglante; il tombait beaucoup de monde de part et d'autre, lorsque Antigone, à la tète de six mille cavaliers, se précipita au galop au-devant de la phalange de l'ennemi, et parvint à lui couper la retraite ainsi que la communication avec Alcétas. Après que cette manoeuvre fut exécutée, le corps posté sur la hauteur, ayant l'avantage du nombre et de la position, acheva la déroute de l'ennemi. Alcétas, voyant toute communication interceptée avec l'infanterie sur laquelle il aurait pu se replier, et se trouvant enveloppé par l'ennemi, croyait sa perte inévitable. Dans cette position désespérée, il se fraya une route à travers les rangs ennemis et parvint, après de grandes pertes, à rallier la phalange. [18,45] Antigone fit descendre des hauteurs les éléphants et toute son armée, et effraya l'ennemi, de beaucoup inférieur en nombre; car Alcétas et tous ses alliés n'avaient que seize mille hommes d'infanterie et neuf cents cavaliers, tandis qu'Antigone, outre ses éléphants, comptait plus de quarante mille fantassins et plus de sept mille cavaliers. En même temps que les éléphants faisaient face à l'ennemi, la cavalerie nombreuse l'enveloppa de toutes parts, et l'infanterie, tout aussi nombreuse, composée de braves guerriers et ayant l'avantage de la position, le serrait de près. La confusion et le désordre s'emparèrent des troupes d'Alcétas, auquel l'attaque rapide et vigoureuse d'Antigone n'avait pas laissé le temps de se bien ranger en bataille. La déroute devint bientôt générale ; Attalus, Docimus, Polémon et beaucoup d'autres chefs distingués furent faits prisonniers. Alcétas parvint avec sa garde, ses domestiques, quelques Pisidimens qui avaient servi dans son armée, à se réfugier à Termesse, ville de la Pisidie. Antigone accorda une capitulation au reste des troupes d'Alcétas, les incorpora dans son armée et augmenta considérablement ses forces par une conduite pleine d'humanité. Les Pisidiens, au nombre de six mille, tous très robustes, exhortèrent Alcétas à prendre courage et l'assurèrent qu'ils ne l'abandonneraient jamais. Voici pourquoi les Pisidiens étaient tant attachés à Alcétas. [18,46] Après la mort de Perdiccas, Alcétas, se voyant sans alliés en Asie, songea à gagner les Pisidiens par des bienfaits, dans la conviction qu'il trouverait en eux des alliés braves, habitant un pays d'un accès difficile et rempli de forteresses. En conséquence, il traitait avec la plus grande distinction tous les Pisidiens qui servaient dans l'armée ; il les faisait participer au partage du butin et leur donnait la moitié des dépouilles; il leur parlait familièrement, et tous les jours invitait à sa table les principaux d'entre eux; il les comblait en outre de présents et parvint ainsi à se les attacher. Ce fut donc en eux qu'Alcétas avait placé toute son espérance; aussi cette espérance ne fut point déçue. Cependant Antigone s'avança avec toute son armée, établit son camp près de Termesse, et demanda qu'on lui livrât Alcétas. Les anciens furent d'avis d'accéder à cette demande; mais les jeunes gens se déclarèrent ouvertement contre l'avis de leurs pères, et décrétèrent qu'ils se défendraient jusqu'à la mort pour sauver Alcétas. Les anciens essayèrent d'abord de persuader la jeunesse de ne pas ruiner la patrie pour la vie d'un seul Macédonien; mais, voyant ensuite que leurs conseils étaient sans effet, ils se concertèrent en secret et firent partir pendant la nuit une députation auprès d'Antigone. Cette députation devait annoncer à Antigone qu'on lui livrerait Alcétas mort ou vif; pour y parvenir, on engageait Antigone d'attaquer la ville, de harceler les assiégés pendant quelques jours par de légères escarmouches, et, après avoir fait sortir la garnison de la place, de faire semblant de fuir; pendant que la jeunesse serait ainsi occupée à se battre hors de la ville, les anciens auraient une occasion favorable pour exécuter leur dessein. Antigone approuva ce plan. Il établit son camp un peu plus loin de la ville, et, par quelques escarmouches, il attira les jeunes gens hors de la place. Les anciens, voyant Alcétas isolé, réunirent les plus dévoués de leurs esclaves, ainsi que ceux de leurs concitoyens valides qui n'avaient pas servi sous Alcétas, et tombèrent ainsi inopinément sur leur hôte, pendant l'absence des jeunes gens, Mais ils ne parvinrent pas à le faire prisonnier, car il s'était d'avance donné la mort pour ne pas tomber vivant au pouvoir de l'ennemi. Ils placèrent son corps sur une litière, et, l'ayant couvert d'un manteau de toile grossière, ils le transportèrent clandestinement hors des murs et le livrèrent à Antigone. [18,47] Si les anciens de la ville avaient eu assez d'esprit pour détourner de la patrie les dangers qui la menaçaient, ils ne furent pas assez forts pour se garantir du ressentiment des jeunes citoyens. Lorsqu'en revenant du combat ceux-ci apprirent ce qui s'était passé, l'excès de leur attachement pour Alcétas se changea en furie contre leurs concitoyens. Ils s'emparèrent d'abord d'une partie de la ville, résolus à mettre le feu aux maisons, à sortir en armes, à occuper les montagnes et à ravager la province d'Antigone; mais ils changèrent ensuite d'avis, et, abandonnant la résolution d'incendier la ville, ils se livrèrent à des brigandages et à des incursions dans le pays ennemi, qu'ils dévastèrent dans une grande étendue. Antigone prit le corps d'Alcétas, l'outragea pendant trois jours, et, lorsque le cadavre fut tombé en putréfaction, il l'abandonna sans sépulture et quitta la Pisidie. Les jeunes citoyens de Termesse, conservant toujours la même affection pour le corps outragé, le recueillirent et lui rendirent avec pompe les derniers devoirs. Ainsi, il y a dans la nature des bienfaits quelque charme irrésistible qui fait que ceux qui les ont reçus gardent une affection inaltérable pour leur bienfaiteur. En partant de la Pisidie, Antigone s'avança avec toute son armée vers la Phrygie. A peine fut-il arrivé à Crétopolis qu'Aristodème de Milet lui apprit qu'Antipater était mort, et que l'autorité suprême et la tutelle des rois étaient passées dans les mains de Polysperchon le Macédonien. Antigone se réjouit de cet événement qui l'enfla d'espérance : il avait le projet de s'emparer des affaires de l'Asie, et de net céder le pouvoir à personne. Telle était la situation d'Antigone. [18,48] En Macédoine, Antipater, atteint d'une maladie aggravée par la vieillesse, touchait au terme de sa vie. Les Athéniens envoyèrent à Antipater Demade qui passait pour un habile négociateur dans les affaires de la Macédoine, et le chargèrent d'engager Antipater à retirer de Munychie la garnison macédonienne, comme on en était primitivement convenu. Antipater accueillit d'abord Demade affectueusement; mais, après la mort de Perdiccas, on trouva dans les papiers royaux plusieurs lettres, dans lesquelles Demade pressait fortement Perdiccas de retourner en Europe et de marcher contre Antipater; ce dernier en conserva alors une haine secrète. Aussi, lorsque Demade, conformément aux instructions qu'il avait reçues, alla jusqu'à demander avec des menaces qu'on retirât la garnison de Munychie, Antipater, sans donner même une réponse, livra Demade et son fils Déméas, qui faisait partie de la députation, à l'autorité de la justice. Le père et le fils furent ainsi mis en prison et condamnés à mort pour les motifs qui viennent d'être rapportés. Antipater, déjà à toute extrémité, désigna comme tuteur des rois et commandant en chef des troupes, Polysperchon, à peu près le plus ancien des généraux qui avaient servi sous Alexandre, et particulièrement considéré des Macédoniens. Il nomma en même temps son fils Cassandre chiliarque, seconde dignité de l'empire. La fonction de chiliarque, établie à la cour des rois de Perse, était une des premières par le rang et les titres qui y étaient attachés. Cette charge avait existé avec les mêmes honneurs sous Alexandre, zélé imitateur des moeurs des Perses. C'est pourquoi Antipater, suivant les mêmes maximes, nomma chiliarque son fils Cassandre. [18,49] Mais Cassandre ne se conforma point à la volonté de son père; il regarda comme une injure de remettre entre les mains d'un homme étranger à sa famille l'autorité qu'avait exercée son père; le fils s'irrita de ne pas se voir à la tête des affaires, lui qui était capable de les conduire et qui avait déjà donné des preuves de sa capacité et de son courage. Il commença donc par se retirer à la campagne avec ses amis; il eut avec eux de fréquents entretiens, et profita des circonstances et du temps pour s'emparer de l'autorité souveraine. Prenant ensuite chacun à part, il les engageait tous à l'aider dans ses projets, et cherchait à les décider à cette entreprise par de grandes promesses. Il envoya secrètement des députés à Ptolémée pour renouer leurs anciens liens d'amitié; il l'engagea à venir à son secours et à diriger promptement une flotte de la Phénicie vers l'Hellespont. Il fit partir également des députés auprès des autres chefs et dans les villes pour solliciter leur assistance. Sous le prétexte d'une chasse qui devait durer plusieurs jours, il était parvenu à détourner de lui tout soupçon de révolte. Polysperchon, investi de la régence, rappela, avec l'assentiment de ses amis qu'il avait consultés, Olympias pour lui confier l'éducation du fils d'Alexandre, encore enfant, et l'inviter à venir en Macédoine où elle jouirait des prérogatives royales; Olympias avait été antérieurement obligée de s'enfuir en Epire pour se soustraire à la haine d'Antipater. Telle était la situation des affaires en Macédoine. [18,50] En Asie, la nouvelle de la mort d'Antipater fut le signal de nouveaux troubles; les chefs aspiraient à se rendre indépendants. En première ligne, se trouva Antigone, qui venait de vaincre Eumène dans la Cappadoce. Après avoir incorporé les soldats d'Eumène dans son armée, il battit Alcitas et Attalus dans la Pisidie, dont il incorpora également les troupes dans les rangs de son armée. Enfin, investi par Antipater du commandement militaire absolu de l'Asie, et mis à la tête d'une puissante armée, il était plein d'orgueil et d'ambition. Nourrissant l'espoir de s'emparer de l'autorité souveraine, il résolut de n'obéir ni aux rois ni à leurs tuteurs. Disposant de forces supérieures aux leurs, il comptait se rendre sans obstacle maître des trésors de l'Asie. Il avait alors sous ses ordres soixante mille hommes d'infanterie, dix mille cavaliers et trente éléphants. A ces forces il espérait au besoin en ajouter d'autres, car les trésors de l'Asie auraient perpétuellement suffi à la solde des troupes étrangères. Après avoir arrêté ses projets, il fit venir auprès de lui Hieronymus l'historien, ami et compatriote d'Eumène de Cardia, et qui s'était, avec les autres, réfugié dans la forteresse de Nora. L'ayant gagné par de magnifiques présents, il l'envoya en députation auprès d'Eumène pour engager ce dernier à oublier la guerre qu'ils s'étaient faite en Cappadoce, à devenir son ami et son allié, à accepter des présents beaucoup plus considérables que ceux qu'il avait eus antérieurement, à recevoir un gouvernement plus étendu et enfin à faire avec lui, comme le premier de ses amis, cause commune, pour s'emparer de l'autorité souveraine. Antigone réunit en même temps tous ses amis en conseil, et, après les avoir initiés à ses projets, il conféra aux plus distingués d'entre eux des satrapies et des commandements militaires. Enfin, après leur avoir fait entrevoir de grandes espérances, il parvint à les décider à entrer dans son plan qui consistait à parcourir l'Asie, à en expulser les satrapes qui y étaient, et à distribuer les gouvernements à ses amis. [18,51] Sur ces entrefaites, Arrhidée, satrape de la Phrygie hellespontique, informé des projets d'Antigone, résolut de mettre sa satrapie en état de défense et d'établir des garnisons dans les villes principales. La plus grande, et la mieux située de toutes ces villes, était Cyzique. Arrhidée se dirigea donc sur cette ville avec plus de dix mille fantassins mercenaires, mille Macédoniens, cinq cents archers et frondeurs perses, et huit cents cavaliers; il avait avec lui des catapultes, des balistes et d'autres machines de guerre, Il attaqua la ville inopinément; comme la plus grande partie de la population se trouvait à la campagne, il commença immédiatement le siége, frappa de terreur les citoyens qui restaient dans la ville et les força à recevoir une garnison. Les Cyzicéniens, déconcertés par une attaque aussi imprévue, n'étaient nullement préparés à soutenir un siége, d'autant moins que la plupart des habitants étaient à la campagne et qu'il n'en restait que fort peu dans l'intérieur de la ville. Cependant ceux qui restaient, résolus à défendre leur liberté, envoyèrent ouvertement des députés à Arrhidée pour négocier la levée du siége, en lui proposant de mettre toute la ville à sa disposition, hormis la garnison qu'elle ne recevrait pas. Mais, en même temps, ils rassemblèrent secrètement tous les jeunes gens et les serviteurs les plus robustes, leur distribuèrent des armes et garnirent les remparts de défenseurs. Arrhidée insistant sur l'admission d'une garnison, les Cyzicéniens répondirent qu'ils allaient en référer à l'assemblée du peuple. Le satrape leur accorda un délai, et les habitants passèrent ce jour et la nuit suivante à mettre dans le meilleur état leurs moyens de défense. Arrhidée, joué par ce stratagème, perdit un temps précieux, et fut déçu de son espérance. En effet, les Cyzicéniens habitant une ville forte et parfaitement bien gardée du côté de la terre (car elle forme une presqu'île), et maîtres de la mer, se défendirent facilement contre les ennemis. Ils firent en outre venir de Byzance des troupes, des armes de trait et toutes les munitions nécessaires pour soutenir un siége. Ces secours leur ayant été promptement fournis, leur espoir se ranima, et ils affrontèrent bravement les périls. Ils avaient en même temps mis en mer leurs vaisseaux longs pour recueillir le long des côtes les habitants répandus dans les champs et les ramener dans la ville. Ainsi pourvus de troupes, ils parvinrent à repousser les assiégeants dont ils tuèrent un grand nombre. Dupe de la ruse des Cvzicééniens, Arrhidée retourna dans sa satrapie sans avoir obtenu aucun résultat. [18,52] Antigone était à Celaenes, lorsqu'il apprit le siége de Cyzique. Jugeant utile à ses projets de s'attacher cette ville par le secours qu'il lui apporterait, il fit partir une élite de vingt mille hommes d'infanterie et de trois mille cavaliers, et se porta promptement au secours des Cyzicéniens; mais il arriva un peu trop tard, et il n'eut que le temps de montrer sa bonne volonté, sans atteindre son but. Il envoya cependant des députés à Arrhidée pour lui reprocher d'abord d'avoir osé assiéger une ville grecque alliée qui ne s'était rendue coupable d'aucun tort; puis de s'être mis en révolte ouverte et d'avoir voulu se rendre indépendant dans son gouvernement; enfin, il lui ordonna de sortir de sa satrapie, de se contenter d'une seule ville qui fournirait à son entretien et de se tenir en repos. Arrhidée fut indigné du discours hautain des députés, déclara qu'il ne sortirait jamais de sa satrapie, qu'il mettrait des garnisons dans les villes et qu'il essayerait de se défendre les armes à la main contre Antigone. Conformément à cette réponse, il se retrancha dans les villes, et détacha une partie de son armée sous les ordres d'un général. Il ordonna à celui-ci de joindre Eumène, de lever le siége de la place de Nora et de faire alliance avec Eumène, après l'avoir délivré des dangers dont il était environné. Antigone, brûlant de se venger d'Arrhidée, dirigea contre lui une armée pour le combattre; il se mit lui-même à la tête d'un fort détachement, et se porta sur la Lydie dans le dessein d'en expulser le satrape Clitus. Celui-ci, averti de l'approche de l'ennemi, mit en état de défense les villes les plus considérables et s'embarqua pour la Macédoine, afin de dénoncer aux rois et à Polysperchon la révolte et les entreprises audacieuses d'Antigone, et de demander du secours. Cependant Antigone prit, en passant, Éphèse; grâce aux intelligences qu'il s'était ménagées dans l'intérieur de cette ville. Bientôt après, aborda à Éphèse Eschyle le Rhodien, venant de la Cilicie avec quatre navires chargés de six cents talents d'argent, qui devaient être envoyés en Macédoine pour le service des rois. Antigone s'empara de cette somme, disant qu'il en avait besoin pour payer ses mercenaires. Cet acte prouva jusqu'à l'évidence qu'il n'agissait plus que pour son propre compte et qu'il était en révolte ouverte contre les rois. Après l'occupation d'Ephèse, il mit le siége devant les autres villes et prit les unes par la force, les autres par la persuasion. [18,53] Après avoir fait connaître la situation d'Antigone, nous allons passer à celle d'Eumène. Cet homme, en butte aux vicissitudes de la fortune, passa sans cesse sa vie entre l'espoir et la crainte. Antérieurement à ces événements, il avait combattu pour Perdiccas et les rois, et, pour prix de ses services, il avait obtenu la satrapie de la Cappadoce et de la contrée limitrophe. Maître d'immenses richesses et de forces imposantes, il jouissait d'une très grande prospérité. Il avait vaincu en bataille rangée et tué Cratère et Néoptolème, deux fameux chefs qui commandaient les invincibles armées macédoniennes. Il se croyait au faîte du pouvoir, lorsque, par un revirement subit de la fortune, il fut à son tour battu par Antigone et obligé de se réfugier avec un petit nombre d'amis dans une chétive place. Là, bloqué par l'ennemi qui avait entouré la place d'un double mur de circonvallation, il était privé de tout secours. Ce siége avait déjà duré un an, et Eumène avait renoncé à tout espoir de salut, lorsqu'un événement imprévu lui fit entrevoir le terme de ses infortunes. Antigone, qui bloquait ainsi Eumène et avait juré sa mort, changea subitement de conduite, en proposant à Eumène de s'associer à ses entreprises. Cette proposition acceptée et garantie par des serments réciproques, Eumène fut délivré du siége. Sauvé ainsi contre toute attente, Eumène resta quelque temps en Cappadoce, joignit ses anciens partisans, et rassembla ses compagnons d'armes qui erraient au hasard. Il se trouva ainsi, en très peu de temps, à la tête d'une nombreuse troupe qui s'était volontairement associée à ses espérances. Cette troupe se composait de plus de deux mille hommes, indépendamment des cinq cents partisans qui avaient essuyé avec lui le siége de Nora. Enfin, la fortune aidant, il arriva bientôt à un tel degré de puissance qu'il fut chargé du commandement des armées royales et du châtiment des rebelles. Mais nous parlerons de tout cela dans un temps plus convenable. [18,54] Après avoir exposé au long les événements survenus en Asie, nous allons raconter ce qui s'est passé en Europe. Cassandre, trompé dans son espoir de s'emparer de l'autorité souveraine en Macédoine, ne s'était pas laissé abattre ; mais il revint à son premier dessein, regardant comme honteux de voir la place de son père occupée par d'autres. Mais, lorsque le choix des Macédoniens se fut fixé sur Polysperchon, il se concerta avec ses amis, et en envoya secrètement quelques-uns dans l'Hellespont. Quant à lui, il continua de séjourner pendant quelques jours à la campagne, et de s'amuser à la chasse. Il parvint ainsi à faire répandre l'opinion qu'il ne songeait à rien moins qu'au pouvoir. Après avoir fait, à l'abri de cette opinion, tous ses préparatifs de voyage, il quitta secrètement la Macédoine, et se rendit dans la Chersonèse, et de là dans l'Hellespont. Là, il s'embarqua pour rejoindre, en Asie, Antigone, dont il sollicita l'appui, en lui annonçant qu'il était sûr de l'alliance de Ptolémée. Antigone accueillit avec empressement les ouvertures qui lui étaient faites, promit à Cassandre de le seconder en tout et de lui fournir sur-le-champ une flotte et une armée de terre. Il agissait ainsi sous prétexte de l'amitié qu'il avait eue pour Antipater, mais en réalité pour susciter à Polysperchon des guerres et de grands embarras qui permettraient à lui, Antigone, d'envahir impunément l'Asie et de se créer un empire absolu. [18,55] Tandis que ces choses se passaient, Polysperchon, tuteur des rois, prévit la gravité de la guerre qu'il aurait à soutenir contre Cassandre; ne voulant prendre aucune mesure sans l'avis de ses amis, il réunit en conseil tous les chefs de l'armée et les Macédoniens les plus considérables. Il était évident que Cassandre, tout à fait gagné par Antigone, chercherait d'abord à s'emparer des villes de la Grèce, dont les unes étaient occupées par les garnisons de son père, et les autres gouvernées par des oligarques, attachés à Antipater par les liens de l'amitié et de l'hospitalité. Il n'était pas non plus douteux que Ptolémée, maître de l'Égypte, et Antigone, déjà en révolte ouverte contre les rois, prêteraient leur appui à Cassandre ; que l'un et l'autre possédaient des forces et des richesses immenses, et qu'ils gouvernaient des populations nombreuses et des villes puissantes. Polysperchon mit donc en délibération la question de savoir comment il fallait conduire la guerre. Après plusieurs discours prononcés par divers orateurs, il fut arrêté que les villes de la Grèce seraient rendues à la liberté, et que les gouvernements oligarchiques établis par Antipater seraient dissous. Cette mesure devait affaiblir l'influence de Cassandre, et attirer à Polysperchon de nombreux alliés et une grande considération. On fit alors venir les envoyés des villes grecques qui se trouvaient présents, on les exhorta à prendre courage, et on leur promit de rendre aux villes le gouvernement démocratique. Ce décret fut ratifié, rédigé et remis aux envoyés avec la recommandation de retourner immédiatement dans leur patrie, et de faire connaître au peuple la bienveillance des rois pour les Grecs. Voici la teneur de cet acte. [18,56] « Nos ancêtres ont été souvent les bienfaiteurs des Grecs. Nous voulons conserver les mêmes sentiments et faire connaître à tous l'affection particulière que nous avons toujours eue pour les Grecs. Depuis qu'Alexandre a disparu du milieu des hommes, nous avons hérité de la royauté, et nous regardons comme le premier devoir de ramener la paix dans toutes les villes de la Grèce, et de rendre à chacune d'elles la forme de gouvernement qu'y avait établie notre père Philippe. Des messagers, envoyés dans toutes les villes, ont déjà fait connaître nos intentions à ce sujet. Il est vrai, lorsque nous étions loin d'ici, quelques Grecs mal informés de nos intentions déclarèrent la guerre aux Macédoniens; et cette guerre, dans laquelle nos généraux ont été victorieux, a été une calamité pour plusieurs villes. Mais les malheurs de cette guerre ne doivent être imputés qu'aux commandants militaires. Nous vous honorons donc de notre ancienne affection et nous vous apportons la paix Nous vous rendons également les formes de gouvernement dont vous avez joui sous Philippe et sous Alexandre, et nous vous confirmons dans le droit de maintenir l'intégrité de leurs ordonnances. Nous rappelons tous ceux qui ont été bannis par nos généraux depuis l'époque où Alexandre est passé en Asie, et nous voulons que ces bannis, rentrés dans leurs foyers, soient complétement amnistiés et déclarés capables de prendre part au gouvernement; que tout décret porté contre eux soit aboli; il n'y aura d'exception qu'à l'égard des assassins et des sacriléges, bannis conformément aux lois. Ainsi ne pourront rentrer dans leur patrie les Mégalopolitains exilés avec Polyaenète pour cause de trahison, ni les Amphissiens, ni les Triccéens, ni les Pharcadoniens, ni les Héracléotes. Tous les autres doivent être rentrés avant le trente du mois xanthique. Si quelques-unes des institutions politiques de Philippe ou d'Alexandre étaient contraires aux intérêts des villes, que celles-ci nous envoient des députés, afin qu'il soit statué à leur égard. Les Athéniens conserveront toutes les franchises que leur ont accordées Philippe et Alexandre. Les Oropiens resteront dans la possession actuelle d'Orope. Nous rendons Samos aux Athéniens, puisque cette île leur avait été donnée par notre père Philippe. Un décret solennel ordonnera à tous les Grecs de ne jamais entrer en campagne contre nous et de rien entreprendre de contraire à nos intérêts; que le coupable d'un tel crime soit banni, lui et sa famille et privé de ses biens. Nous avons ordonné à Polysperchon de veiller à l'exécution des dispositions que renferme le présent édit. Quant à vous, ayez soin de vous y conformer, ainsi que nous vous l'avons déjà prescrit; car nous ne laisserons pas impunément enfreindre les articles que nous venons de décréter". [18,57] Après que cet édit eut été publié dans. toutes les villes de la Grèce, Polysperchon transmit par écrit à Argos et à quelques autres villes, l'ordre d'exiler ceux qu'Antipater avait placés à la tête du gouvernement, d'en condamner plusieurs à mort et de confisquer leurs biens, afin que ce parti, tout à fait affaibli, n'osât rien tenter en faveur de Cassandre. Il écrivit aussi à Olympias, mère d'Alexandre qui, pour se soustraire à la haine de Cassandre, s'était retirée en Épire; il l'engagea à rentrer au plus tôt en Macédoine, où elle devait se charger de l'éducation du fils d'Alexandre jusqu'à ce qu'il eût atteint l'âge adulte et qu'il fût lui-même en état de prendre les rênes de l'empire de ses ancêtres. Il envoya également à Eumène une lettre dans laquelle il lui écrivait au nom des rois de ne point cesser les hostilités contre Antigone, d'embrasser tout à fait le parti des rois, soit qu'il voulût revenir en Macédoine où il partagerait avec lui, Polysperchon, la tutelle des rois, soit qu'il préférât rester en Asie où il recevrait des troupes et l'argent nécessaire pour combattre Antigone qui s'était déjà ouvertement révolté. Polysperchon ajouta dans sa lettre à Eumène que les rois lui rendraient la satrapie dont Antigone l'avait dépouillé, ainsi que tous les privilèges qu'il avait antérieurement possédés en Asie. En un mot, qu'il devait convenir à Eumène, plus qu'à tout autre, d'être le soutien et le défenseur de la maison royale, comme une conséquence de ce qu'il avait déjà fait pour elle. Enfin il terminait sa lettre en disant que si Eumène avait besoin d'une grande armée, lui, Polysperchon, quitterait la Macédoine avec les rois et viendrait le rejoindre en Asie à la tête de toutes les troupes royales. Tels sont les événements arrivés dans le cours de cette année. [18,58] Archippe étant archonte d'Athènes, les Romains élurent pour consuls Quintus AElius et Lucius Papirius. Eumène, à peine sorti de la forteresse de Nora, reçut les lettres que lui avait envoyées Polysperchon et dans lesquelles, indépendamment de ce que nous venons de rapporter, celui-ci annonçait que les ros gratifiaient Eumène de cinq cents talents d'argent pour l'aider à réparer les pertes qu'il avait éprouvées. En effet, les rois avaient donné ordre aux commandants militaires et aux trésoriers de la Cilicie de compter à Eumène les cinq cents talents d'argent promis, et de lui fournir toutes les sommes qu'il demanderait pour enrôler des troupes étrangères ou pour d'autres besoins du service. Les officiers des argyraspides, composés de trois mille Macédoniens, reçurent également l'ordre de joindre Eumène et de lui obéir comme au commandant en chef de toute l'Asie. Eumène reçut aussi une lettre d'Olympias qui le priait instamment de venir secourir les rois et elle-même; elle ajoutait qu'il était le seul ami resté fidèle et capable de relever la maison royale de l'abandon où elle était tombée. Olympias lui demandait, en outre, des conseils pour savoir s'il valait mieux rester en Épire et se défier de ceux qui, sous le nom de tuteurs, usurpaient la royauté, ou s'il fallait réellement revenir en Macédoine. Eumène répondit sur-le-champ à Olympias; il lui conseillait de rester pour le moment en Epire et d'attendre que la guerre eût pris une tournure décisive. Conservant aux rois un dévouement inaltérable, Eumène résolut de refuser les propositions d'Antigone qui cherchait à s'approprier la royauté, et d'affronter tous les périls pour sauver les rois et pour venir au secours de ce jeune orphelin, fils d'Alexandre, livré à l'ambition des chefs de l'armée. [18,59] Eumène donna aussitôt le signal du départ; il sortit de la Cappadoce à la tète denviron cinq cents cavaliers et de plus de deux mille hommes d'infanterie. Il n'eut pas le temps d'attendre l'arrivée de ceux qui avaient promis de rallier son armée; car Antigone avait dirigé contre lui un fort délachement sous les ordres de Ménandre pour s'opposer au séjour d'Eumène dans la Cappadoce, depuis que celui-ci s'était déclaré ennemi d'Antigone. Mais ce détachement fut trois jours en retard, et, ne pouvant atteindre Eumène, il revint en Cappadoce. Cependant Eumène, forçant sa marche, franchit rapidement le Taurus et arriva en Cilicie. Les chefs des argyraspides, Antigène et Teutamus, obéissant aux ordres des rois, se portèrent avec leurs amis à une grande distance au-devant d'Eumène; ils le saluèrent cordialement et le félicitèrent d'avoir échappé si miraculeusement aux plus grands dangers, et enfin ils protestèrent de leur entier dévouement dans tout ce qu'il leur commanderait de faire. Les Macédoniens argyraspides, au nombre d'environ trois mille, montrèrent le même empressement. Tous s'étonnèrent de ce changement de fortune inattendu, en voyant ces mêmes rois, ces mêmes Macédoniens, qui, peu de temps auparavant, avaient condamné à mort Eumène et ses amis, non seulement oublier et annuler les sentences qu'ils avaient rendues, mais encore confier à Eumène le gouvernement de tout le royaume. Cet étonnement était en effet fondé. Qui d'ailleurs ne serait frappé de ces vicissitudes de la vie humaine et de ces balancements de la fortune? Et qui, confiant en sa prospérité, oserait mettre son esprit au-dessus de l'instabilité humaine? La vie de l'homme, dont un dieu tient en quelque sorte le gouvernail, s'écoule dans un cercle éternel où le bien alterne avec le mal. Ce n'est donc pas une merveille qu'une chose qui arrive sans avoir été prévue; ce serait bien plus merveilleux si rien n'arrivait sans avoir été prévue. C'est là que l'on reconnaît l'utilité de l'histoire. Car c'est l'incertitude et l'instabilité des choses humaines qui abaissent l'orgueil de ceux qui vivent dans la prospérité, et relèvent l'âme des malheureux. [18,60] De pareilles réflexions portèrent Eumène à se tenir en garde contre les caprices de la fortune. Étranger à la famille royale, voyant ces mêmes Macédoniens qui l'avaient autrefois condamné à mort, soumis maintenant à son autorité, et les chefs militaires nourrir les projets les plus ambitieux, Eumène comprit qu'il deviendrait sous peu un objet de mépris et de haine, et qu'enfin sa vie serait menacée. Car il n'ignorait pas que l'homme n'obéit qu'à contre-coeur à celui qu'il croit son inférieur, et qu'il ne veut pas se laisser dominer par ceux qui sont plutôt faits pour la servitude que pour le commandement. Entraîné par ces idées, il commença d'abord par refuser les cinq cents talents que les rois lui avaient assignés pour le rétablissement de ses affaires. Il ajouta que n'aspirant à aucun commandement, il pouvait se passer d'une telle somme d'argent; que ce n'était point volontairement, mais pour obéir aux ordres des rois, qu'il avait accepté la charge dont il était revêtu; enfin, qu'usé par un long service militaire, il n'était plus en état de supporter les fatigues et les mouvements de la guerre; qu'au surplus, en sa qualité d'étranger, exclu des prérogatives des Macédoniens, il ne se croyait pas en droit d'exercer l'autorité souveraine. Eumène raconta ensuite qu'il avait eu pendant son sommeil une vision extraordinaire et qu'il jugeait nécessaire de la faire connaître à tous, car elle devait, selon lui, puissamment contribuer à la concorde et à l'intérêt public. "J'ai vu en songe, dit-il, le roi Alexandre, vivant et revêtu des insignes de la royauté, prononcer des arrêts, distribuer des ordres aux généraux et administrer avec énergie toutes les affaires de l'empire. Je juge donc convenable, ajouta-t-il, de prendre dans le trésor royal l'argent nécessaire pour faire fabriquer un trône sur lequel seront déposés le diadème, le sceptre, la couronne et les autres ornements royaux; et que tous les matins, les commandants militaires offrent un sacrifice, avant de se réunir autour de ce trône pour recevoir les ordres au nom du roi, comme s'il était vivant et comme s'il présidait à l'administration de son empire. » [18,61] La proposition d'Eumène fut unanimement accueillie. Le trésor royal étant plein d'or, on en tira aussitôt tout l'argent nécessaire à cette dépense. On dressa une tente magnifique; on y plaça le trône portant le diadème, le sceptre et les armes dont Alexandre se servait ordinairement. Tout près se trouvait un foyer allumé; tous les chefs de l'armée y brûlaient de l'encens et d'autres parfums précieux tirés d'une boîte d'or, et ils adoraient Alexandre comme un dieu. On avait, en conséquence, placé dans la tente un grand nombre de siéges où venaient s'asseoir tous les chefs militaires. C'est là qu'ils tenaient conseil et délibéraient sur les affaires urgentes. Dans toutes ces délibérations, Eumène ne se montrait que l'égal des autres chefs; par sa bienveillance et la familiarité de ses entretiens, il écarta l'envie et se concilia l'affection des chefs. En même temps, par le culte superstitieux qu'il vouait au roi Alexandre, il inspira à tous les plus belles espérances, comme si un dieu exerçait le commandement. Par sa conduite politique, il s'attira également l'estime des Macédoniens argyraspides qui le regardaient comme digne de défendre les intérêts des rois. Enfin il choisit parmi ses amis les plus intelligents, et les fit partir avec de fortes sommes d'argent pour enrôler des troupes étrangères auxquelles il donna une solde élevée. De ces émissaires, les uns se rendirent immédiatement dans la Pisidie, dans la Lycie et dans les contrées limitrophes, et s'acquittèrent exactement de leur mission; les autres allèrent dans la Cilicie, la Coelé-Syrie, la Phénicie; quelques-uns enfin abordèrent dans les villes de l'île de Cypre. Le bruit de ces enrôlements et de la solde élevée donnée aux mercenaires s'étant répandu, on vit accourir des villes de la Grèce des volontaires qui vinrent prendre service dans l'armée d'Eumène. C'est ainsi que furent rassemblés en peu de temps plus de dix mille hommes d'infanterie et deux mille cavaliers, non compris les argyraspides et les troupes qu'Eumène avait amenées avec lui. [18,62] Pendant que la puissance d'Eumène s'accrut d'une manière aussi prompte qu'inattendue, Ptolémée aborda avec sa flotte à Zéphyrium en Cilicie. De là il envoya des députés aux chefs des argyraspides pour les engager à ne point suivre Eumène que tous les Macédoniens avaient frappé d'une sentence de mort. Il fit les mêmes tentatives de séduction auprès des commandants des forts de Cuindes, les conjura de ne pas fournir d'argent à Eumène, et leur garantit leur sécurité. Mais Ptolémée n'eut aucun succès dans ses négociations; car les rois, leur tuteur Polysperchon, et même Olympias, mère d'Alexandre, avaient publié des ordres qui prescrivaient à tous d'obéir à Eumène comme au lieutenant général du royaume. Antigone était surtout mécontent de l'accroissement de la puissance d'Eumène et de l'autorité immense dont il le voyait revêtu. Il comprenait bien que Polysperchon avait opposé ce rival redoutable à lui, Antigone, qui s'était révolté contre les rois. Il résolut donc d'agir en conséquence. Il fit choix de Philotas, un de ses amis, pour conduire le complot qu'il méditait. Il lui donna une lettre adressée aux argyraspides et aux autres Macédoniens, partisans d'Eumène. Puis il le fit partir avec trente Macédoniens intrigants et beaux parleurs (il leur avait recommandé de s'aboucher en particulier avec les chefs des argyraspides, Antigène et Teutamus, et d'arrêter, de concert avec eux, un plan de conspiration contre Eumène); il promit aussi à ces deux chefs de grandes récompenses et des satrapies plus considérables. Enfin ces émissaires devaient s'entendre avec les plus considérés des argyraspides ainsi qu'avec les principaux citoyens, et les séduire par des présents. Mais ces tentatives demeurèrent sans succès. Teutamus, l'un des chefs des argyraspides, s'était, il est vrai, laissé corrompre, et cherchait même à entraîner dans le complot Antigène, son collègue; mais celui-ci, home remarquable par sa prudence et sa fidélité non seulement s'y refusa, mais il fit même changer d'avis à son collègue en lui montrant qu'il était bien plus conforme à leurs intérêts de laisser vivre Eumène plutôt qu'Antigone. « Si Antigone l'emporte, disait-il, il réservera les meilleures satrapies pour ses amis; tandis qu'Eumène, comme étranger, n'osera point agir pour son propre compte; comme général, il nous traitera en amis, et si nous le secondons dans ses efforts, il nous conservera nos satrapies et y en ajoutera peut-être d'autres". C'est ainsi qu'échouèrent les intrigues dirigées contre Eumène. [18,63] Cependant Philotas remit aux chefs militaires la lettre d'Antigone, qui leur était adressée en commun. Les argyraspides et les autres Macédoniens, sans avertir Eumène, se réunirent en une assemblée privée, et firent donner lecture de cette lettre. Elle contenait une accusation formelle contre Eumène; les Macédoniens y étaient invités à se saisir d'Eumène sur-le-champ et à le faire mourir. Dans le cas où ils s'y refuseraient, Antigone viendrait à la tète de toute son armée les traiter en ennemis et infliger aux désobéissants le châtiment mérité. La lecture de cette lettre jeta les chefs et tous les Mâce'doniens dans le plus grand embarras s'ils se décidaient pour le parti des rois, ils devaient s'attendre à la vengeance d'Antigone; si, au contraire, ils obéissaient à Antigone, ils avaient à redouter Polysperchon et les rois. Les esprits étaient dans cette perplexité, lorsqu'Eumène arriva. Après avoir lu la lettre d'Antigone, il exhorta les Macédoniens à obéir aux ordres des rois et à repousser les propositions du rebelle. Il parla ainsi longtemps d'une manière très convenable, et parvint non seulement à se délivrer des dangers qui le menaçaient, mais encore à se concilier plus que jamais l'affection de l'armée. Ainsi, quoiqu'entouré de nouveaux périls inattendus, Eumène réussit à réunir autour de lui des forces imposantes. Il donna ensuite l'ordre du départ, et s'avança vers la Phénicie. Il s'empressa de tirer de toutes les villes de cette contrée un nombre de navires suffisant pour com- poser une flotte respectable. Au moyen de cette flotte, tirée de la Phénicie, Polysperchon devait se trouver maître de la mer et en état de faire passer à tout moment des troupes de la Macédoine en Asie pour combattre Antigone. Ce fut donc l'armement d'une flotte qui retint Eumène dans la Phénicie. [18,64] Pendant que ces événements se passaient, Nicanor, qui occupait Munychie, fut averti que Cassandre venait de quitter la Macédoine pour se réfugier auprès d'Antigone, que Polysperchon ne tarderait pas à descendre dans l'Attique avec une armée; il supplia donc les Athéniens de demeurer fidèles à Cassandre. Mais comme personne ne voulait l'écouter et que tous insistaient pour qu'il fit au plus tôt sortir sa garnison de Munychie, il circonvint le peuple de manière à obtenir quelques jours de délai, promettant qu'à l'expiration de ce terme il agirait conformément aux intérêts de la ville. Les Athéniens attendirent donc tranquillement quelques jours. Mais Nicanor mit ce temps à profit pour faire entrer la nuit des soldats par petits détachements dans le port de Munychie, et parvint ainsi à augmenter sa garnison au point d'être en état de soutenir un siége contre ceux qui viendraient l'attaquer. Les Athéniens, s'apercevant alors que Nicanor les avait joués, envoyèrent une députation auprès des rois et de Polysperchon, pour les prier de venir à leur secours et réclamer l'exécution ponctuelle de l'édit concernant l'indépendance des Grecs. Ils se réunirent plusieurs fois en assemblée et délibérèrent sur les mesures à prendre pour faire la guerre à Nicanor. Mais, tandis qu'ils étaient occupés à ces délibérations, Nicanor, qui avait secrètement recruté un grand nombre de mercenaires, fit une sortie pendant la nuit, et s'empara de l'enceinte du Pirée et des fortifications de ce port. Les Athéniens furent doublement irrités de ne pas avoir recouvré le port de Munychie, et d'avoir perdu encore le Pirée. Ils choisirent donc une députation composée des citoyens notables qui étaient liés d'amitié avec Nicanor, tels que Phocion, fils de Phocus, Conon, fils de Timothée, Cléarque, fils de Nausiclès, et la firent partir pour se plaindre de ce qui venait de se passer et pour réclamer leur indépendance aux termes de l'édit. Nicanor leur répondit qu'il fallait négocier avec Cassandre; que c'était lui qui lui avait confié le commandement de la garnison et qu'il n'avait personnellement aucun pouvoir pour traiter avec eux. [18,65] En ce même temps, Nicanor reçut une lettre d'Olympias qui lui prescrivait de rendre aux Athéniens Munychie et le Pirée. Averti que les rois et Polysperchon devaient rappeler Olympias en Macédoine, lui confier l'éducation du jeune prince, et rendre à la mère les honneurs dont jouissait pendant sa vie son fils Alexandre, Nicanor promit de rendre ces deux places; mais, sous divers prétextes, il ajourna l'exécution de sa promesse. Les Athéniens qui avaient toujours eu beaucoup de respect pour Olympias et qui étaient persuadés qu'on lui rendrait réellement tous ses honneurs, se livraient déjà à la joie, parce qu'ils se flattaient que, par elle, ils parviendraient, sans coup férir, à recouvrer leur indépendance. Les promesses de Nicanor n'avaient point encore été remplies, lorsque Alexandre, fils de Polysperchon, entra dans l'Attique à la tête d'une armée. Les Athéniens s'imaginèrent qu'il venait pour leur faire remettre Munychie et le Pirée; mais ce n'était point là sa véritable intention; il prit au contraire ces deux postes pour son propre compte comme utiles en temps de guerre. Car quelques-uns des amis d'Antipater vivaient encore, et, comme ils avaient, ainsi que Phocion, à redouter la vindicte des lois, ils allèrent au-devant d'Alexandre et lui démontrèrent qu'il était dans son intérêt d'occuper ces positions pour son compte, et de ne les rendre aux Athéniens que lorsque Cassandre aurait été soumis. Alexandre vint établir son camp tout près du Pirée; il n'admit point les Athéniens dans les entrevues qu'il eut avec Nicanor, entrevues privées et toutes secrètes; il était donc évident qu'il agissait contre les Athéniens. Le peuple d'Athènes se réunit alors en assemblée générale, destitua ses anciens magistrats, les remplaça par les démocrates les plus ardents et condamna tous ceux qui avaient pris part au gonvernement oligarchique, les uns à la peine de mort, les autres au bannissement et à la confiscation de leurs biens. Au nombre de ces derniers condamnés se trouvait aussi Phocion, qui, du temps d'Antipater, avait exercé l'autorité souveraine. [18,66] Tous les bannis se réfugièrent auprès d'Alexandre, fils de Polysperchon, qui devait, selon eux, leur accorder aide et protection. Alexandre les reçut amicalement et leur donna des lettres pour son père Polysperchon, dans lesquelles il lui recommandait Phocion et ses partisans qui lui avaient alors promis de le seconder dans tous ses efforts. Le peuple s'adressa de son côté à Polysperchon pour mettre Phocion en accusation, et insister pour que Munychie fût rendue aux Athéniens avec leur indépendance. Polysperchon désirait cependant vivement garder le Pirée, parce que ce port pouvait lui être très utile pendant la guerre; mais d'un autre côté, comme il était honteux pour un homme loyal d'agir contrairement aux termes de l'édit, et de blesser si grossièrement une ville aussi célèbre que celle d'Athènes, il changea d'avis. Il écouta donc les envoyés du peuple athénien et leur donna une réponse pleine de bienveillance. Il fit arrêter Phocion et ses partisans, les envoya enchaînés à Athènes, et laissa le peuple maître de les condamner ou de les absoudre. Le peuple d'Athènes se réunit donc en assemblée et cita devant son tribunal Phocion et ses amis. Un grand nombre de ceux-ci avaient été bannis sous Antipater, contre lequel ils avaient fait de l'opposition. Ils furent condamnés à la peine de mort. Le principal chef d accusation portait sur ce que Phocion et ses partisans avaient été les instigateurs de la guerre Lamiaque, qu'ils avaient réduit la patrie à l'esclavage et renversé le gouvernement populaire et les lois. Enfin, lorsque vint le tour de la défense, Phocion se leva pour répondre. Mais en ce moment il éclata un tel tumulte dans l'assemblée, qu'il fut impossible à l'orateur de se faire entendre. Enfin le silence s'étant rétabli, Phocion recommença sa défense, lorsque la foule poussa de grands cris et empêcha de nouveau l'orateur de se faire entendre. Cette foule était composée de démocrates longtemps éloignés des affaires du gouvernement, et qui, rappelés contre toute attente, conservaient un ressentiment profond contre ceux qui avaient enlevé aux citoyens le droit de se gouverner par leurs propres lois. [18,67] Malgré ces entraves apportées à la défense Phocion chercha néanmoins, dans cette situation désespérée, à disputer sa vie, et put se faire entendre de ceux qui se trouvaient le plus près de lui et les convaincre de la justice de sa cause; ceux qui se trouvaient plus éloignés n'entendaient rien à cause du tumulte qui régnait dans l'assemblée; ils voyaient seulement les mouvements de son corps et la variété de ses gestes animés en raison de la grandeur du danger. Enfin, renonçant à tout espoir de salut, Phocion demanda à grands cris qu'on le condamnât seul à mort et qu'on épargnât les autres. Cependant la foule continua de gronder; quelques amis essayèrent de soutenir Phocion par leurs discours; on en écouta d'abord le commencement; mais lorsque ces orateurs arrivèrent à parler en faveur de Phocion, ils furent interrompus par le tumulte et les cris de l'opposition. Enfin, on alla aux voix, et la peine de mort fut prononcée. Pendant qu'on conduisait Phocion et ses amis dans la prison, un grand nombre d'honnêtes citoyens l'accompagnèrent en lui témoignant les plus vives sympathies. En effet, ces condamnés, illustres par leur naisance et par leurs actions, n'avaient point été jugés d'après les règles de la justice, ce qui faisait trembler beaucoup d'entre eux pour l'avenir : et la fortune est inconstante pour tous. Quant à la masse du peuple, elle poursuivait les candamnés en insultant à leur malheur et en leur disant d'amères injures. Car la haine qui se tait pour ceux qui sont dans la prospérité, dégénère en fureur contre ceux qui, par un changement soudain de la fortune, tombent dans le malheur. Phocion et ses compagnons d'infortune moururent, suivant la coutume ancienne, en buvant la ciguë; leurs corps, laissés sans sépulture, furent jetés hors du territoire de l'Attique. Telle fut la fin de Phocion et de ses coaccusés. [18,68] Cependant Cassandre entra dans le Pirée avec trente-cinq vaisseaux longs et quatre mille soldats que lui avait fournis Antigone. Il fut reçu par Nicanor, commandant de la garnison, qui lui livra le Pirée et les clefs du port. Nicanor garda Munychie avec un détachement suffisant pour la défense de ce poste. Polysperchon se trouva alors avec les rois aux environs de la Phocide. Dès qu'il apprit la descente de Cassandre dans le Pirée, il entra dans l'Attique et vint camper près de ce port. Il avait avec lui vingt mille fantassins macédoniens, quatre mille alliés, mille cavaliers et soixante-cinq éléphants. Il entreprit de bloquer Cassandre. Mais, manquant de vivres et prévoyant que le siége serait long, il laissa dans l'Attique, sous le commandement de son fils Alexandre, une partie de l'armée proportionnée aux ressources alimentaires du pays. Puis il se mit lui-même à la tête du gros de l'armée, entra dans le Péloponnèse et força les Mégalopolitains à se soumettre aux rois. Les Mégalopolitains avaient embrassé le parti de Cassandre et se gouvernaient d'après le système oligarchique établi par Antipater. [18,69] Tandis que Polysperchon était occupé à cette expédition, Cassandre se mit en mer avec sa flotte, rallia les Eginètes, et vint bloquer les Salaminiens qui lui étaient hostiles. Amplement pourvu d'armes et de soldats, il pressa le blocus tous les jours par des attaques incessantes et réduisit les Salaminiens à la dernière extrémité. La ville de Salamine allait être emportée de vive force, lorsque Polysperchon détacha des forces de terre et de mer considérables pour attaquer les assiégeants. Cassandre, déconcerté par cette attaque imprévue, leva le blocus et rentra dans le Pirée. Polysperchon retourna ensuite dans le Péloponnèse pour y arranger toutes les affaires conformément à ses intérets : il réunit les délégués des villes en une assemblée générale et leur fit des propositions d'alliance. Il envoya aussi dans les villes des députés chargés d'exiger que tous les chefs du gouvernement oligarchique, institué par Antipater, fussent mis à mort; en même temps, il fit annoncer qu'il rendrait aux peuples leur indépendance. Ces ordres furent en grande partie exécutés : les villes devinrent le théâtre d'exécutions sanglantes; quelques habitants furent condamnés à l'exil et tous les partisans d'Antipater périrent dans ces désordres. Enfin les gouvernements prirent des allures démocratiques et s'allièrent à Polysperchon. Les Mégalopolitains seuls demeurèrent fidèles à Cassandre. C'est pourquoi Polysperchon résolut d'assiéger leur ville. [18,70] Avertis des projets de Polysperchon, les Mégalopelitains firent, par un décret, rentrer dans la ville les richesses de la campagne. Ils firent ensuite le dénombrement des citoyens, des étrangers et des esclaves, et trouvèrent quinze mille hommes en état de porter les armes. Ces hommes furent immédiatement enrégimentés; aux uns fut confié le soin des travaux, aux autres la défense des murailles. On vit ainsi en même temps une partie des habitants occupée à creuser autour de la ville un fossé profond, une autre occupée à apporter des matériaux pour construire des palissades; quelques autres étaient employés à réparer les murailles; d'autres enfin à la fabrication des armes, des balistes et des catapultes. L'ardeur des habitants à l'approche du danger avait transformé la ville en un vaste atelier. {En effet, le danger était grand]; il n'était bruit que des forces imposantes des rois, de la multitude des éléphants qui les suivaient, de la vigueur et de l'impétuosité irrésistible de ces animaux. Tous ces préparatifs étaient déjà terminés, lorsque Polysperchon se montra avec son armée et vint à quelque distance de la ville diviser ses troupes en deux camps, l'un occupé par les Macédoniens, l'autre par les alliés. Il fit ensuite construire des tours en bois plus élevées que les murs de la ville; il les dirigea contre les points les plus accessibles, et, après les avoir garnies d'armes et de combattants, il repoussa par ses attaques les ennemis échelonnés sur les remparts. Pendant qu'on était occupé de côté, Polysperchon fit miner les murailles, les étaya sur des pilotis en bois, y mit le feu, et parvint à faire crouler les trois plus grosses tours ainsi que les courtines qui joignaient ces tours entre elles. A cette chute terrible et inattendue, tous les Macédoniens jetèrent des cris de joie, tandis que les habitants de la ville furent frappés d'épouvante. Les Macédoniens pénétrèrent par cette brèche dans l'intérieur de la ville. Les Mégalopolitains se partagèrent alors en deux corps : l'un, chargé de tenir tête aux ennemis, se retrancha derrière les décombres de cette large brèche et engagea un combat sanglant; l'autre s'employa nuit et jour à construire des palissades dans toute l'étendue de la brèche et à relever les murailles. Ces travaux furent promptement achevés, grâce à l'abondance des matériaux et au grand nombre de bras qui y étaient occupés. Les Mégalopolitains réparèrent ainsi bien vite l'échec qu'ils venaient d'essuyer ; et ils se servirent de leurs catapultes pour repousser ceux qui étaient venus les attaquer sur leurs tours de bois, tandis que d'un autre côté leur frondeurs et archers blessaient un grand nombre d'ennemis. [18,71] Il y eut des deux côtés beaucoup de morts et de blessés. A l'approche de la nuit, Polysperchon fit sonner la retraite et rappela ses soldats dans le camp. Le lendemain il fit déblayer la brèche et la rendit praticable au passage des éléphants : il comptait sur la force de ces animaux pour emporter la ville; les Mégalopolitains remportèrent de grands avantages sous la conduite de Damis. Cet homme avait fait partie de l'expédition d'Alexandre en Asie, et connaissait parfaitement les qualités naturelles des élépliants et le parti qu'on en pouvait tirer. En effet, il trouva un moyen ingénieux pour résister à la force de ces animaux et paralyser la masse de leur corps. Il garnit bon nombre de larges planches de clous pointus; puis il plaça ces planches dans des fosses peu profondes, de manière que la terre cachait à peine la pointe des aiguillons. Ces chausse-trapes furent dressées dans les avenues qui conduisaient dans l'intérieur de la ville. Aucun soldat ne se présenta de front au-devant des éléphants : ils devaient être attaqués sur les flancs par une grêle de javelots, de flèches et de catapultes. Cependant Polysperchon, après avoir déblayé le terrain et frayé la route aux éléphants, fut témoin d'un spectacle étrange. Personne ne se présentant de front pour mettre obstacle à la marche de ces animaux, les Indiens, leurs conducteurs, les forcèrent à se jeter dans la ville. Les éléphants, s'appuyant de tout le poids de leur corps sur les planches armées de clous, eurent les pieds traversés par les pointes, de manière à ne pouvoir ni avancer ni reculer. Dans ce même moment, les habitants lancèrent une nuée de traits et tuèrent les conducteurs indiens ou les blessèrent au point de les mettre dans l'impossibilité de continuer leur service. Quant aux éléphants, accablés de flèches et souffrant des blessures qu'ils s'étaient faites aux pieds, ils se précipitèrent sur les rangs amis et foulèrent sous les pieds un grand nombre d'hommes. Enfin le plus courageux et le plus formidable de ces animaux tomba mort; les autres, non-seulement devinrent complétement inutiles, mais encore ils portèrent la mort dans les rangs de ceux qui les avaient menés au combat. Le succès de cette journée releva les espérances des Mégalopolitains. [18,72] Polysperchon se repentit alors d'avoir entrepris ce siège. Ne pouvant rester plus longtemps sous les murs de Mégalopolis, il y laissa une partie de son armée et porta son activité sur d'autres objets plus pressés. Il fit partir toute sa flotte, sous le commandement de Clitus, avec l'ordre de croiser dans les eaux de l'Hellespont et de s'opposer au passage des troupes ennemis d'Asie en Europe. Arrhidée, qui s'était réfugié avec ses soldats dans la ville des Cyaniens, s'était déclaré contre Antigone. Clitus fit donc voile pour l'Hellespont; il s'empara des villes de la Propontide, et à peine avait-il réuni ses forces à celles d'Arrhidée, qu'il rencontra dans ces parages Nicanor, commandant de la garnison de Munychie. Il avait été envoyé par Cassandre avec toute la flotte qui, jointe aux navires d'Antigone, était composée de plus de cent bâtünents. Un combat naval se livra non loin de la ville de Byzance ; Clitus fut victorieux : il coula bas dix-sept navires ennemis et en prit au moins quarante avec tout leur équipage; le reste se refugia dans le port des Chalcédoniens. Après une telle victoire, Clitus pensa que l'ennemi n'oserait plus se mesurer avec lui sur mer. A la nouvelle de la défaite de son allié, Antigone mit en oeuvre toutes les ressources de son génie pour réparer cet échec. Pendant la nuit il fit venir de Byzance des bàtiments de transport; il y embarqua des archers, des frondeurs, ainsi qu'un nombre suffisant de soldats armés à la légère, et les fit passer, à la faveur de la nuit, sur la rive opposée. Cette troupe tomba avant le jour sur les ennemis descendus à terre, et répandit l'épouvante parmi les gens de Clitus. Saisis de frayeur, tous se jetèrent aussitôt en désordre dans leurs navires; l'embarras des bagages et le nombre des prisonniers ajoutèrent à la confusion. Cependant Antigone arma ses vaisseaux longs : il y fit monter un grand nombre de marins, les plus robustes et les exhorta à combattre courageusement, sûr qu'il remporterait une victoire complète. Nicanor, arrivé pendant la nuit, tomba soudain, à la pointe du jour, sur les ennemis encore en désordre et les mit en fuite dès la première attaque; il déchira leurs navires à coups d'éperon, balaya les bancs des rameurs, et s'empara sans coup férir de ceux qui s'étaient livrés avec tout l'équipage. Enfin tous les navires, à l'exception du vaisseau amiral, tombèrent, avec leurs équipages, au pouvoir de l'ennemi. Clitus, abandonnant son vaisseau, se réfugia à terre et chercha à gagner la Macédoine. Mais il tomba entre les mains de quelques soldats de Lysimaque et fut égorgé. [18,73] Cette grande victoire valut à Antigone la réputation d'un grand et habile général. II avait l'ambition de devenir maître de la mer, et de s'assurer en Asie une autorité sans partage. Dans ce but; il tira de toute l'armée une élite de vingt mille hommes d'infanterie légère et de quatre mille cavaliers; puis il s'avança à leur tête vers la Cilicie, pressé de battre Eumène avant qu'il eût le temps de rassembler des forces plus considérables. Eumène fut instruit de l'approche d'Antigone au moment où il était occupé à remettre les rois en possession de la Phénicie, injustement enlevée par Ptolémée. Mais pressé par le temps, il quitta la Phénicie, traversa avec son armée la Coelé-Syrie et tâcha de gagner les satrapies de l'Asie supérieure. Arrivé sur les bords du Tigre, il fut surpris par les habitants du pays et perdit plusieurs soldats. Plus loin, dans la Babylonie, il fut attaqué par Seleucus, sur les bords de l'Euphrate, et faillit voir périr toute son armée par la rupture d'un canal dont les eaux submergèrent tout le camp. Mais, grâce à son habileté ordinaire, il parvint à se réfugier sur une digue, détourna le canal, et se sauva lui et son armée. Après avoir miraculeusement échappé des mains de Seleucus, il se dirigea sur la Perse avec une armée composée de quinze mille hommes d'infanterie et de treize cents cavaliers. Il laissa ses troupes se reposer des fatigues de la marche, et invita les satrapes et les commandants militaires des satrapies supérieures à lui fournir des soldats et de l'argent. Tels sont les événements arrivés en Asie dans le cours de cette année. [18,74] En Europe, Polysperchon, depuis l'échec éprouvé devant Mégalopolis, vit tomber sa puissance dans le mépris. La plupart des villes grecques se détachèrent de la cause des rois et passèrent dans le parti de Cassandre. Les Athéniens, ne pouvant se défaire de la garnison macédonienne ni par Polysperchon ni par Olympias, un des citoyens notables osa avancer, au milieu d'une assemblée publique, qu'il était conforme aux intérêts de l'État de traiter avec Cassandre. Là-dessus s'éleva un grand tumulte entre ceux qui soutenaient cette proposition et ceux qui la repoussaient. Enfin il fut unanimement décrété qu'on enverrait des députés à Cassandre pour traiter avec lui sur les meilleures bases possibles. Après plusieurs pourparlers, la paix fut conclue aux conditions suivantes : les Athéniens, en qualité d'amis et d'alliés de Cassandre, conserveront leur ville, leurs terres, leurs revenus, leurs navires et tous leurs autres biens. Munychie sera pour le moment occupée par Cassandre jusqu'à la fin de la guerre contre les rois; le droit de participer au gouvernement sera fondé sur un cens fixé à dix mines ; un citoyen d'Athènes désigné par Cassandre sera investi de l'administration de la ville. Le choix de Cassandre s'arrêta sur Démétrius de Phalère. Celui-ci entra immédiatement en fonction, gouverna pacifiquement, et se montra bienveillant envers les citoyens. [18,75] Ce traité était déjà conclu, lorsque Nicanor rentra dans le Pirée avec sa flotte ornée de rostres, trophées de sa victoire navale. Cassandre lui fit d'abord un excellent accueil en raison de ses succès. Mais voyant ensuite que Nicanor nourrissait des projets ambitieux, et qu'il continuait à occuper Munychie avec ses troupes, il le traita en ennemi et le fit assassiner. Cassandre entra ensuite avec son armée dans la Macédoine, où il trouva beaucoup de partisans. Les villes grecques étaient animées d'un même zèle pour l'ancienne alliance d'Antipater. Polysperchon, par sa nonchalance et son incapacité, était jugé incapable de conduire les affaires de la monarchie et de ses alliés ; tandis que Cassandre, par son activité et ses manières obligeantes, vit de plus en plus accroître son influence. Conformément à notre plan, nous terminons le présent livre à l'année qui précède l'avènement d'Agathocle à la tyrannie de Syracuse. Là commencera le livre suivant dans lequel nous continuerons le fil de notre histoire.