XXXV. Voyez quelle était leur vénération pour la déesse. Apprenez que, dans toute la ville, on ne trouva pas un seul homme, libre, esclave, citoyen, étranger, qui osât porter la main sur la statue. Apprenez qu'on fit venir de Lilybée quelques ouvriers barbares, qui, n'étant informés ni des faits, ni des sentiments religieux des Ségestains, firent leur marché, et se chargèrent de l'opération. Vous auriez peine à concevoir quel fut, au moment du départ, le concours des femmes, et quels furent les gémissements des vieillards; plusieurs se rappelaient encore le jour où cette même Diane, ramenée de Carthage à Ségeste, avait annoncé, par son retour, la victoire du peuple romain. Que les temps étaient changés ! Alors, un général romain, modèle de toutes les vertus, rapportait aux Ségestains leurs dieux paternels, arrachés des mains de leurs ennemis; et maintenant ces mêmes dieux étaient indignement enlevés du sein d'une ville alliée par un préteur romain, le plus vil et le plus infâme des mortels. La Sicile entière attestera que toutes les femmes de Ségeste accompagnèrent la déesse jusqu'aux bornes de leur territoire, et que, pendant toute la marche, elles ne cessèrent de répandre des essences sur son image sacrée, de brûler de l'encens et des parfums autour d'elle, et de la couvrir de fleurs et de guirlandes. Ah, Verrès ! si l'ivresse du pouvoir, si l'excès de l'audace et la cupidité fermèrent alors votre âme à tous les sentiments religieux, aujourd'hui qu'un si grand danger menace votre tète et celle de vos enfants, ne frissonnez-vous pas à ce terrible souvenir? Quel homme pourra vous défendre de la colère des dieux? et quel dieu voudra sauver le spoliateur de tous les autels? Dans un temps de paix, chez une nation amie, vous n'avez pas respecté cette Diane qui, deux fois témoin de la, ruine et de l'embrasement des villes où elle était placée, a deux fois échappé aux flammes et au fer de l'ennemi; qui, transférée loin de son temple par la victoire des Carthaginois, devint l'objet d'un culte chez une nation étrangère, et ramenée à Ségeste par la valeur de Scipion, y retrouva ses premiers adorateurs ! Cependant le piédestal subsistait encore : on y lisait le nom de Scipion. A cette vue, chacun s'indignait que Verrès, en profanant la religion dans ce qu'elle a de plus saint, eût encore outragé la gloire d'un héros tel que Scipion; qu'il eût détruit les titres de sa valeur, et anéanti les monuments de sa victoire. Informé des réflexions que suscitaient le piédestal et l'inscription, il imagina que tout serait bientôt oublié s'il faisait disparaître aussi ce piédestal accusateur. Il envoie l'ordre de le démolir. On vous a lu les registres de Ségeste, et vous avez vu ce qu'on a payé pour cette seconde opération.