[1,20,0] LETTRE XX. AUX ILLUSTRES PATRICES ALBINUS ET ALBIENUS, LE ROI THÉODORIC. [1,20,1] Cassiodore écrivit à Albinus pour lui donner la commission de faire décider par le peuple qui de Thodoron ou de Hellandius était le meilleur Acteur. Il était question d’avancer le plus habile. [1,20,2] 1. Il semble au premier abord qu'il soit peu digne d'un roi de s'occuper des spectacles au milieu des soins glorieux du gouvernement; néanmoins notre amour pour la république romaine est tel que nous n'hésitons pas à donner tous nos soins à cette question, car nous estimons qu'il est de notre dignité de lui être utile en toute chose, quand le bonheur des temps dispose les peuples à la joie. En effet, c’est la conscience qu’a la masse de vivre en paix qui justifie les travaux que nous menons avec la faveur de Dieu. 2. Et donc nous apprenons par une supplique des Verts (usage introduit par le peuple de désigner les couleurs), que de violents troubles sont déclenchés par des quidams des plus criminels et que la joie populaire s’est transformée en luttes déchaînées. Que de toute façon l’on ne puisse avoir une qualité convenable pour l’allégresse, découle du fait que l’on n’a pu se rendre maître de la tranquillité commune. Voilà pourquoi il est nécessaire que Notre Clémence porte aussi ses regards sur ces partis, afin qu’en tout lieu puisse resplendir l’intégrité des mœurs. Ce n'est pas aux vains propos de la gaieté populaire que nous nous en prenons, c'est le germe de ces divisions pernicieuses que nous voulons extirper. 3. En conséquence, que Votre Illustre Magnitude, instruite de la présente instruction, se déclare le protecteur du parti Vert, auquel votre père de glorieuse mémoire s’est consacré avec bonté. En effet, il ne faut pas supposer que la population romaine est gérée et gouvernée avec injustice. Car si l’on réfléchit à la raison de tous les biens, on les sélectionne dans l’intérêt de ceux qui mériteront d’accéder aux honneurs les plus glorieux ? 4. Convoquez donc les supporters, au sujet d’Hellandius et de Thorodon ; que celui qui aura été le plus apte à susciter l’enthousiasme de la foule, déclarez-le alors pantomime des Verts : ainsi on pourra voir jusqu’à quel point nous avons consacré à des élus des frais pour les spectacles de la cité. 5. Nos ancêtres ont appelé Musique muette celui des arts musicaux qui montre à parler sans ouvrir la bouche à dire tout avec les gestes et qui enseigne même à faire entendre par certains mouvements des mains comme par différentes attitudes du corps ce qu’on aurait bien de la peine à faire comprendre par un discours suivi ou par une page d’écriture. [1,21,0] LETTRE XXI. LE ROI THÉODORIC À L'ILLUSTRE MAXIMIANUS ET AU SÉNATEUR ANDREAS. [1,21,1] {traduction française reprise à : Valérie Fauvinet-Ranson, Decor civitatis, decor Italiae, 2006} [1,21,2] "Le dévouement affectueux des citoyens doit nous appeler à développer leur cité, puisque personne ne peut chérir la ville dont il remarque que ses habitants ne l'aiment pas. C’est sa propre patrie que chacun préfère et l’on cherche par-dessus tout ce que demeure intact l’endroit où l’on réside depuis sa tendre enfance. Aussi de pareils vœux nous invitent ils à donner, afin que nous conférions avec une complaisance redoublée ce que nous attribuons de notre propre mouvement. Et pour cette raison, nul ne doit trouver pénible de rendre compte de l'argent affecté aux édifices de Rome, sachant qu'une conscience pure aspire à se faire approuver, puisqu'elle perçoit le fruit de son labeur quand elle apprend que parviennent jusqu'à nous des échos favorables a son sujet. C’est pourquoi nous décrétons par le présent commandement qu’il vous faut examiner si, pour les édifices de la cité de Rome, le labeur et les travaux correspondent aux dépenses ; et si vous constatiez que de l'argent reste aux mains de quelqu’un sans avoir été dépensé pour des constructions, que cette personne restitue la somme à verser à son affectation. Ces comptes une fois clairement passés au crible, adressez-nous un compte rendu très fidèle, afin qu’on vous voie répondre a l’opinion que nous avons de vous, puisque vous avez été choisis pour traquer la vérité. Nous croyons en effet que nul homme ne veut frauder en prenant sur nos largesses, quand, en telle matière, il pourrait, jugeons-nous, tout aussi bien dépenser en prenant sur ses propres biens. Les oiseaux eux-mêmes, qui vagabondent dans les airs, aiment leur nid ; les bêtes errantes se pressent vers leur gîte de broussailles ; les poissons qui se plaisent à traverser les plaines liquides, traquent leurs abris dans une quête poussée et tous les animaux aspirent à s’arrêter pour une très longue durée là où ils savent qu'ils peuvent se réfugier". Que devons-nous dire de Rome, à quel point il est juste qu'elle soit plus aimée encore par ses propres enfants. [1,22,0] LETTRE XXII. AU SÉNATEUR MARCELLUS, AVOCAT DU FISC, LE ROI THÉODORIC. [1,22,1] Promotion de Marcellus. [1,22,2] La vraie louange que doit mériter la bonté d'un prince, c est que ses bienfaits s'accordent avec l'équité. Le hasard n'ose point s'attribuer des dispositions qui ont été pesées dans un juste examen. Dès lors, en effet, que les charges sont réglées d'après le mérite, plus rien n'est laissé à l'incertitude ; car ce n'est pas sur des hommes nouveaux que nous portons notre jugement, c'est sur des hommes longtemps éprouvés. Or, depuis longtemps, vous avez aiguisé sur le marbre du forum un génie renommé partout; vous avez entretenu votre éloquence par l'exercice de plaidoirie, et recueilli les doux fruits de la loyauté, qui a le pouvoir de se concilier même le cœur des princes. Tant de mérites devaient attirer sur vous nos regards toujours ouverts sur la vertu, et vous mériter notre faveur. Il nous a semblé qu'après avoir traité avec tant d'intégrité les causes privées, vous étiez digne de vous élever aux affaires publiques. Recevez donc la charge de défendre les intérêts de notre fisc, et suivez dans l'exercice des privilèges de cette charge les exemples de vos prédécesseurs. Suivez avec modération le droit sentier de la justice, évitant également d'accabler les innocents sous le poids des chicanes, et d'épargner aux récalcitrants les justes réclamations ; car je ne regarde l'impôt comme un profit, que lorsque l'intégrité a présidé à sa perception. Ce qui m'importe donc, ce n'est pas le nombre de vos victoires, mais la manière dont vous les remporterez. Recherchez l'équité, si vous voulez nous plaire. Appelez-en, pour triompher, non pas a notre autorité, mais au droit : il vaut mieux que le fisc perde quand la justice n'est pas de son coté. En effet, que le maître triomphe, il aura l'odieux de l'oppression; mais que l'on voie le suppliant l'emporter, on aura dès lors foi a son équité. Ce n'est donc pas un petit jeu que nous jouons dans ce procès, et notre gloire gagne tout ce qu'on retranche à des gains injustes. C'est pourquoi, sachons parfois sacrifier la cause du fisc, pour que la bonté du prince en éclate davantage. Il y a pour nous plus de profit à succomber, qu'à remporter la victoire injustement. [1,23,0] LETTRE XXIII. AUX ILLUSTRES PATRICES CAELIANUS ET AGAPITUS, LE ROI THÉODORIC. [1,23,1] Litige entre sénateurs. [1,23,2] Comme il faut que l’amour universel de la paix motive le souverain, il convient que la gloire royale prenne soin de maintenir l’entente. En effet, quoi de plus estimable pour nous, que de maintenir un peuple tranquille; une concorde entre les sénateurs qui importe à la paix publique et au bon exemple ? Négliger leurs querelles, c'est lâcher la bride aux penchants processifs du peuple. Ainsi ayez à vous saisir de l'affaire des magnifiques patrices Symmaque et Félix contre l'illustre patrice Paulin, donnez votre décision avec justice et promptitude pour faire cesser le scandale que donne un procès entre de tels personnages. Quand cela aura été reçu sous forme légale, si la loi le permet, alors le patrice Paulin pourra se retourner contre les magnifiques précités. Nous ne voulons aucun retard dans le verdict de ce procès, car nous voulons que tous les différends entre eux soient réglés et que rien ne subsiste si ce n’est leurs devoirs d’affection. Souvenez-vous que vous avez été choisi pour être les arbitres dans une affaire aussi importante ; songez à notre attente pour une justice impartiale. Vous me rendrez un fier service si ce procès s’avère être jugé égal à cette tâche. Un soin attentif doit en effet être pris par les hommes qui doivent donner l’exemple aux personnes de moindre situation. Car celui qui manque à résoudre un litige entre grands, permet sans conteste au reste de la société de se comporter comme lui. [1,24,0] LETTRE XXIV. A TOUS LES GOTHS, LE ROI THÉODORIC. [1,24,1] Appel aux armes contre l’invasion de la Gaule. [1,24,2] Il suffit de faire connaître aux Goths qu'ils vont avoir à combattre. Toute exhortation est inutile : pour une race belliqueuse, faire preuve de valeur est une joie. On ne craint point les fatigues, quand on a l’ambition de la gloire que donne le courage. Avec l’aide de Dieu, auteur de toute prospérité, nous avons résolu, pour le bien commun, d'envoyer l’armée dans les Gaules. Cette expédition vous donnera occasion de vous procurer de nouveaux avantages; elle nous permettra de constater que vous méritiez ce que vous avez reçu de nous. Durant la paix, la valeur, si digne de louanges, reste ignorée et, ne pouvant paraître, le mérite demeure dans l'ombre. Nous avons donc pris soin de vous faire avertir par notre sajon Nandius d'avoir, en vue de cette expédition entreprise au nom de Dieu, à vous mettre en mouvement le huitième jour des calendes de juillet prochain. Vous aurez, suivant la coutume, à vous présenter munis d'armes, de chevaux et de toutes les choses nécessaires, pour montrer que vous êtes dignes de la valeur de vos pères et pour exécuter nos ordres avec succès. Instruisez vos jeunes gens dans la discipline militaire. Qu'ils voient en vous les vertus qu'à leur tour ils transmettront à leurs descendants ; ce qu'on n'a pas appris dans la jeunesse, on l'ignore dans l’âge mûr. La nature vous a doués d'une fierté que l'amour de la réputation a exaltée en vous ; faites en sorte de laisser des fils semblables à ceux qu'ont eus vos pères. [1,25,0] XXV. AU SENATEUR SABINIANUS, LE ROI THEODORIC. [1,25,1] Restauration des murs de Rome. [1,25,2] Au début il est inutile de construire solidement des choses, si l’idée de base veut détruire ce qui a été conçu : car les choses solides et durables, sont celles que la prudence engage et que le soin conserve. Et c’est pourquoi donc, on doit s’employer avec la plus grande précaution à conserver des choses créées, car si au début, une création mérite qu’on la vante, on en récupérera la gloire à son achèvement. Maintenant, il y a quelque temps, compte tenu des monuments de la cité de Rome, auxquels mon objectif infatigable sera de toujours prêter attention, je décrète que le dépôt de Lucinius soit réparé par les recettes affectées ; afin de fournir 25.000 tuiles en impôt annuel ; cela devrait s'appliquer également aux dépôts associés qui ont appartenu autrefois à cet endroit, et qui, maintenant, on nous l’a signalé, ont été illicitement repris par diverses personnes. Par conséquent, sans délai, vous devrez rétrocéder l’ensemble pour fournir la quantité prévue; car bien que, par respect pour eux, mes ordres ne doivent en aucun cas être violés, je désire surtout que ceux qui embellissent la ville soient observés. Car qui peut douter que les bâtiments merveilleux soient sauvés de par cette précaution, et que des voûtes arrondies avec un surplomb de pierre soient conservées par une couverture en tuile? Les anciens princes nous doivent leurs louanges à juste titre, car nous avons conféré une très longue jeunesse à leurs bâtiments, afin que reluise la l'antique nouveauté, déjà assombrie par la vieillesse ternie.