[92,0] De Pompeia Paulina, femme de Lucius Anneus Seneca. [92,1] Pompeia Paulina, dame excellente, fut femme de Lucius Anneus Seneca, précepteur de Néron mais il ne me souvient point que j'ai jamais lu si elle fut de Rome ou d'un autre pays. Néanmoins, considérant la hautesse de son coeur, j'aime mieux croire qu'elle fut plutôt Romaine qu'étrangère. Toutefois, quoique nous ne sachions sa vraie origine, nonobstant, dieu merci et les illustres auteurs, la certaineté de son pieux amour vers son mari ne nous a pu être ôtée. Plusieurs prudents personnages de ce temps là estimèrent que Sénèque, vieillard et homme très renommé, fut plutôt, par la cruauté de Néron que par aucune sienne coulpe, diffamé d'être de la conjuration de Pison contre ce Néron (si, toutefois, à bonne raison peut être diffamé celui qui tâche de supprimer un tyran) sous laquelle couverture, pour la raison de la haine ancienne, voire née avec lui, contre les vertus, Néron trouva le moyen de pouvoir user de cruauté à l'encontre de Sénèque. Il est vrai qu'aucuns pensèrent que par les persuasions de Poppée et de Tigillin, qui étaient deux principaux conseillers de la cruauté de Néron, il eut envoyé dire à Sénèque, par un centurion, qu'il choisît la mort qu'il voudrait. Pauline, voyant cela et que Sénèque se préparait à mettre à exécution le commandement de Néron, émue d'un très chaste amour, sans vouloir écouter ni consolations ni prières de son mari, qui voulait la persuader de demeurer en vie, lui proposa d'un coeur ferme de mourir d'une même sorte de mort avec lui, afin que, tout ainsi qu'une honnête vie les avait tenus ensemble conjoints, tout ainsi une même mort les séparât. Ainsi donc, sans avoir jamais montré aucun signe de peur, s'étant mise avec son mari en de l'eau tiède, en une même heure que lui se fit ouvrir les veines pour mourir tout en un même moment ; mais elle fut soustraite à la mort (quoiqu'elle y résistat) par ses serviteurs, au commandement de Néron, qui voulut résister un peu à sa cruauté naturelle parce qu'il n'avait aucune haine particulière contre elle. Néanmoins, on ne lui put sitôt étancher le sang au point que, dès lors, la bonne dame ne montrât par une couleur perpétuellement pâle, qu'elle avait perdu ensemble avec son mari la plupart de ses esprits vitaux. Finalement, quand elle eut, pendant quelques années, gardé toujours saintement la mémoire de son mari, portant le deuil dedans et dehors en veuvage, acheva son dernier jour, sous le nom d'avoir été femme de Sénèque pour le moins puisque, autrement, ne pouvait. [92,2] Quelle autre chose sinon le saint amour, la très grande piété et la vénérable union de mariage peut persuader à cette tant honnête dame de vouloir plutôt, si elle eut pu, honnêtement mourir avec son bon vieil mari que de demeurer en vie pour se remarier la seconde fois, comme font la plupart des femmes, sans en avoir aucune honte. Vraiment, en ce temps qui est le nôtre, au très grand déshonneur de l'honnêteté féminine, quelques dames ont accoutumé de se remarier non seulement la seconde ou troisème fois (car cela leur est commun) mais encore la sixième, septième ou huitième fois, pourvu que l'occasion s'y prête et il leur est chose tant accoutumée d'entrer aux chambres de nouveaux maris, le visage effronté, qu'il semble qu'elles l'aient appris de ces paillardes qui ont la coutume de changer tous les jours de lits et de putiers et qui ne vont point si souvent recommencer mariages en autre contenance ni avec plus grande honte que si elles allaient à quelque fort honnête et louable affaire. Certainement, je ne sais si l'on doit dire que de telles bonnes commères sortent plutôt de quelques cabanes de putains que de la chambre de leur défunt mari ni si l'on doit accorder de la réputation à cette dame qui entre tant souvent au lit de nouveaux maris, plus déshonnête que sot le mari qui la reçoit. Ah pauvres malheureux que nous sommes ! Que sont devenues les bonnes coutumes ? Comment ! au lieu que les anciennes dames, qui avaient l'esprit tout adonné à la sainteté, voulaient tenir pour chose honteuse de se remarier même la seconde fois, sans parler de la septième, et que celles qui le faisaient, ne pouvaient raisonnablement être plus mises au nombre des dames honorables, celles d'aujourd'hui, qui font bien autrement pour taire leur ardente luxure, s'estiment d'autant plus belles et tenues en plus grande estime plus elles auront plu à divers maris, sortant souvent de leur deuil de drapeaux pour rentrer incontinent au plaisir de nouvelles noces.