[0] LETTRE DE PIERRE BEMBO A SADOLET RELATIVE A LEUR AMITIÉ. Pierre Bembo â Jacques Sadolet, évêque d Carpentras. [1] J'ai chargé Antoine Damasius, qui retourne auprès de ses parents et que vous m'aviez recommandé dans votre lettre, de vous instruire de ma position, si vous le lui demandiez, car il est venu fréquemment chez moi, et chez les miens plus souvent encore. C'est un jeune homme d'un caractère bouillant, plein d'ardeur pour toutes les études, et de plus, humain, facile et tout à fait aimable. Je vous remercie de me l'avoir adressé, et de m'avoir conseillé de le prendre en amitié. Il ne m'a été à charge en rien. Plût à Dieu qu'il lui fût arrivé de pouvoir mieux reconnaître toute ma bonne volonté pour vous ! Mais il l'a reconnue cependant; car, à mon grand plaisir, il a été question de vous dans nos nombreux entretiens, qui nous ont très agréablement prouvé, à lui, combien je vous aime, et à moi, combien là-bas vous êtes aimé, vénéré de tout le monde. A la vérité, je n'avais en cela besoin d'aucun témoignage, moi qui dès vos plus jeunes ans ai connu, aimé, recherché votre personne, l'intégrité et presque la sainteté de votre vie. J'étais encore un jeune homme et vous un adolescent, moins âgé que moi de quelques années, quand je m'attachai à vous d'une incroyable affection, et vous aussi, vous m'aimiez. Cette amitié, cette mutuelle inclination de nos volontés, non seulement nous n'avons jamais cessé l'un et l'autre de l'entretenir, mais encore de l'augmenter par une infinité de bons offices et par l'intimité. Enfin, notre qualité de collègues dans la fonction considérable que nous remplissions ensemble sous le pontificat de Léon X, un commerce presque de tous les jours, nos études tout à fait communes, nos lettres, tout cela l'a tellement accrue, qu'il ne peut rien y avoir de plus uni que nous deux. Puisqu'il en est ainsi, puisque dans la pratique de cette ancienne amitié, moi je suis déjà devenu vieux, et que vous n'êtes pas fort éloigné de la vieillesse, une seule chose nous manque, ce me semble, pour que nous en goûtions toutes les délices, c'est le rapprochement des lieux comme celui de nos coeurs. Nous sommes, en effet, trop éloignés, trop séparés par la distance pour qu'il me reste l'espoir d'aller chez vous, comme j'ai souvent désiré de pouvoir le faire, et pour qu'il me semble possible qu'un vous donne un suffisant motif de retourner en Italie, parce que les Souverains Pontifes sont loin d'estimer autant qu'il faudrait le faire, les hommes les plus éminents par leur science et par leurs moeurs, les plus illustres par toutes leurs vertus. Mais puisque ce besoin que vous avez, je n'en doute pas, comme moi, de noue visiter l'un l'autre, de nous trouver ensemble, peut être beaucoup apaisé par un échange de lettres, comme voue me l'avez un jour délicieusement écrit, jouissons assidûment de l'avantage que nous offre l'écriture de diminuer notre peine, et diminuons-la par la fréquence de nos lettres. J'ai la confiance que vous le ferez, comme de mon côté je vous promets de ne me livrer plus volontiers à aucun genre d'écrire que dans mes lettres pour vous. Mais je ne sais comment, pour vous parler de cela, notre entretien commencé sur Antoine Damasius, s'est prolongé par l'abondance de mon affection, plutôt que par celle du temps, dont je n'ai certainement pas de reste; car je suis, comme vous savez, fort occupé. J'ai écrit déjà prés de trois livres de l'histoire de Venise, sans compter les embarras de mes affaires domestiques qui souvent m'empêchent d'écrire. Mais qu'y faire? voilà la vie. Vous faites tantôt ce qui vous plait tantôt même ce qui ne vous plaît pas. J'apprends que vous avez là-bas un autre neveu pour le former aux études de la philosophie. Heureux maître! Heureux cet autre disciple que les dieux ont regardé d'un oeil favorable ! Adieu. Le 7 des calendes de mai 1533, à Padoue.