[1,4] QUATRIÈME DEGRÉ. Considération des eaux, et principalement des fontaines. CHAPITRE I. L'Eau tient le second rang parmi les éléments. Bien considérée elle peut nous servir de degré pour nous élever à Dieu. Nous allons en parler d'abord en général ; ensuite nous tirerons des fontaines des considérations particulières pour nous porter à Dieu. L'eau est humide et froide, d'où résultent cinq propriétés. Elle lave et purifie les taches., elle éteint le feu, elle rafraîchit et tempère la soif, réunit ensemble plusieurs corps, enfin elle remonte aussi haut qu'elle était descendue. Toutes ces propriétés sont de vrais symboles, ou des traces pour découvrir le, créateur de toutes choses. 1° L'eau lave les taches corporelles, Dieu lave les souillures spirituelles. "Lauabis me, et super niuem dealbabor". En effet, quoique les souillures du coeur puissent être lavées par la contrition, par les sacrements, par les prêtres qui les administrent, par l'aumône et par d'autres oeuvres de piété, cependant ce ne sont là que des instruments ou des dispositions. Dieu seul lave nos souillures : C'est moi, dit-il dans Isaïe, c'est moi-même qui efface vos iniquités, pour l'amour de moi. C'est dans ce sens que les pharisiens, murmurant contre Jésus-Christ, disaient qu'il n'appartenait qu'à Dieu de remettre les péchés : "Quis potens dimittere peccata, nisi solus Deus"? Ils disaient la vérité, mais ils se trompaient en ne reconnaissant pas Jésus-Christ pour Dieu : ainsi ils blasphémaient et ils disaient vrai en même temps. Non-seulement Dieu lave les taches du coeur à l’imitation de l'eau, mais encore il a voulu en prendre le nom. Écoutons St. Jean (VII, 38) : Si quelqu'un croit en moi, il sortira de son coeur des fleuves d'eau vive, comme dit l'Écriture; ce qu'il entendait de l'Esprit-Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui: car le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié« D'où l'on voit que l'Esprit-Saint, qui est Dieu, est une eau vive, cette eau dont parle Ezéchiel lorsque Dieu dit par sa bouche (XXXVI, 25.) : Je répandrai sur vous de l'eau putre, et vous serez purifiés de toutes vos souillures. Et parce que cette eau céleste et incréée surpasse de beaucoup les propriétés de l'eau créée et terrestre, on peut établir trois différences entre l'une et l’autre. L'eau créée lave les souillures des corps, mais non pas toutes; il en est plusieurs qu'elle ne peut déterrer qu'avec d'autres ingrédients, tandis que l'eau incréée les nettoie toutes sans exception : "Et mundabimini ab omnibus inquinamentis vestris". L'eau créée ne lave jamais si bien les taches qu'il n'en reste quelque chose. L'eau incréée purifie non-seulement de toute souillure, mais elle rend encore l'objet purifié plus beau qu'il n'était auparavant . "Lauabis me, et super nivem dealbabor". Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, dit le Seigneur (Isaïe I,18), ils deviendront blancs comme la neige; et quand ils seraient rouges comme du vermillon, ils seront blancs comme la neige la plus blanche. Enfin l'eau créée lave les taches naturelles, qui ne résistent point à celui qui les déterge ; mais l'eau incréée lave des souillures volontaires, qui ne peuvent être détergées qu'autant que l'âme est d'accord avec celui qui opère. Et la vertu de cette eau est si admirable, qu'elle peut pénétrer suavement un coeur de pierre; et c'est la raison pour laquelle la dureté du coeur, quelle qu'elle soit, ne lui oppose pas de résistance, parce que cette eau salutaire le dispose à se laisser purifier selon la remarque de St. Augustin. Qui peut comprendre, Seigneur, par quel merveilleux moyen vous inspirez la foi aux infidèles, l'humilité aux orgueilleux, la charité à ceux qui ne vous aiment pas; en telle sorte que celui qui peu auparavant ne respirait que menaces et carnage, et qui vous poursuivait dans la personne de vos disciples, changé tout-à-coup, se montra disposé à souffrir les menaces et la mort pour vous et pour votre Église ? Il est trop au-dessus de mes forces de pénétrer en cela vos desseins secrets, et j'aime mieux éprouver votre grâce que de disputer sur son efficacité. Ainsi connaissant que cette eau salutaire est une pluie volontaire, destinée à fertiliser votre héritage, comme dit le prophète (LXVII,10), je vous supplie humblement de m’admettre dans cet héritage de salut, de répandre votre grâce dans mon coeur, afin qu'il ne demeure pas comme une terre sèche et sans eau, ...., jeune terre aride et stérile, telle qu'elle est de sa nature, n'étant pas capable d'avoir d'elle-même une seule bonne pensée CHAPITRE II. 2° Une seconde propriété de l'eau est d'éteindre le feu; et l'eau céleste qui est la grâce de l’Esprit-Saint éteint d'une manière admirable le feu de la concupiscence charnelle. Un moyen bien propre à éteindre le feu est, à la vérité, le jeûne et les afflictions corporelles; mais il faut quelles soient employées comme instrument de la grâce : d'elles-mêmes, elles ont peu d'efficacité, car l'amour est le principe des affections et des troubles de l'âme ; tout est régi par lui et tout lui obéit. L'amour ne veut pas être violenté, et si d'un coté on lui oppose des obstacles, il se fait jour par un autre endroit. L'amour ne craint rien, il ose tout, il surmonte tout, il ne voit rien de difficile, il croit qu'il n'y a rien d'impossible, enfin un moindre amour ne cède qu'à un amour plus grand et plus véhément. Ainsi l'amour charnel, soit qu'il ait pour objet les richesses, soit qu'il ait choisi les délices du monde, ne cédera jamais qu'à l'amour de Dieu. Dès que l'eau de l'Esprit-Saint commence à distiller, à s'insinuer dans une âme, l'amour des choses terrestres ne tarde pas à se refroidir. Témoin saint Augustin, si habitué aux plaisirs des sens, qu'il regardait comme impossible de vivre chastement dans le célibat. Cependant dès qu'il eût commencé à goûter la grâce de l'Esprit-Saint, il dit : «Combien trouvais-je tout d'un coup de douceur à me sevrer de celles que j'avais cherchées jusqu'alors sous les amusements et les niaiseries du siècle ? Car au lieu qu'un moment auparavant je mourais de peur de les perdre, je me ferais désormais un plaisir d'y renoncer et de les quitter, parce que vous les chassiez de mon coeur, souveraine douceur de nos âmes, douceur solide et véritable et que vous y entriez à leur place ; vous, ô mon Dieu, en qui l'on trouve et des douceurs qui sont infiniment au-dessus de toutes les voluptés, mais que la chair et le sang ne sauraient goûter ; et une lumière mille et mille fois plus brillante que toute autre lumière, mais plus intime et plus cachée que ce qui l'est le plus, et une grandeur qui passe sans proportion tout ce qu'on trouve de plus grand et de plus élevé dans le monde, mais qui ne saurait être aperçue de ceux qui sont grands à leurs propres yeux. » (Liv. IX des Confessions, ch. 1) CHAPITRE III. 3° L'eau apaise encore la soif, et l'eau céleste peut seule échauffer celle des désirs du coeur humain qui sont si importuns et variés à l'infini. C'est ainsi que la Vérité suprême, s'adressant à la Samaritaine, lui dit "Celui qui boit de cette eau que vous puisez, aura soif encore ; mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura plus de soif" "Non sitiet in aeternum". En effet, observe l'Ecclésiastique, l’oeil ne se rassasie pas de voir, ni l'oreille d'entendre. Rien de ce qu'on offre à l'homme ne peut contenter ses désirs, il est capable d'un bien infini tandis que les créatures sont bornées. Mais celui qui commence à se désaltérer dans cette fontaine céleste, où sont renfermés tous les biens., ne désire et ne recherche plus rien. CHAPITRE IV. 4° L'eau rejoint et unit ensemble des choses qui ne paraissaient pas susceptibles de cette union ; ainsi au moyen de l'eau, du mélange de plusieurs grains moulus, l'on forme un seul pain, et de plusieurs parties de terre se confectionnent les briques. Mais c'est avec beaucoup plus de facilité et de solidité que l'eau de l'Esprit-Saint réunit plusieurs personnes au point de n'avoir qu'un coeur et qu’une âme (Act. IV), comme il est dit, dans les Actes des Apdtres, des premiers chrétiens sur lesquels le St-Esprit était descendu. Jésus-Christ, devant revenir auprès de son Père, avait recommandé et prédit cette unité qu'opère l'eau céleste de l'Esprit-Saint, lorsqu'il dit : Je ne prie pas seulement pour eux, mais encore pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole (des apôtres), afin que tous ensemble ils ne soient qu'un par l'unité d'un même esprit, d'une même foi et d'une même charité, et que comme vous, mon Père, êtes en moi et moi en vous, de même ils ne soient qu'un en nous, afin que le monde croie que vous m'avez envoyé, en voyant l'union que mes disciples auront entre eux ; et la société que vous voudrez bien qu'ils aient avec vous....afin qu'ils soient un avec nous, comme nous sommes une même chose vous et moi (Jean XVII, 21. 3). C'est cette même unité que recommande St. Paul (Eph. IV) : Je vous conjure de travailler avec soin la conserver l'unité d'un même esprit par le lien de la paix. Vous n'êtes tous qu'un même corps en Jésus-Christ et vous n'avez tous reçu qu'un même esprit, comme vous n'avez tous été appelés qu'à une même espérance. O heureuse union qui de plusieurs hommes ne fait qu'un corps en Jésus-Christ, qui est régi par un même chef, nourri d'un même pain, buvant à la même coupe, vivant d'un même esprit, et ne faisant qu'un même esprit avec Dieu par sa parfaite adhésion ! Que peut désirer de plus le serviteur, que d'être non seulement participant. de tous les biens de son maître, mais encore de ne faire qu'un avec son Seigneur tout-puissant, infiniment sage, infiniment bon, par les liens d'un amour indissoluble (1 Th. 6) ? Or les grâces de l'Esprit-Saint, comme une eau vivante et vivifiante, opère toutes ces merveilles lorsqu'elle est reçue dévotement dans un coeur, et qu'elle y est gardée avec soin et avec sollicitude. CHAPITRE V. 5° Enfin l'eau remonte aussi haut que l'endroit d'où elle est descendue, et parce que l'Esprit-Saint était descendu du ciel en terre, il deviendra, pour celui qui le reçoit dans son coeur, une fontaine d'eau rejaillissante jusqu'à la vie éternelle : "Fit fons aquae salientis in uitam aeternam" (Jean V). C'est-à-dire que celui qui renaît de l'eau et de l'Esprit-Saint, et qui le conserve dans son coeur, dirige ses mérites vers l'endroit d'où la grâce est descendue. Instruite et encouragée par les paroles de l'Écriture, dites sans cesse, ô mon âme, à votre Père, en poussant des gémissements ineffables : Donnez-moi de cette eau qui purifie toutes mes souillures, qui éteigne l'ardeur de ma concupiscence, qui étanche toute ma soif et tous mes désirs, qui fasse de mon esprit un même esprit avec le vôtre ; qu'il devienne une source d'eau vive rejaillissante jusqu'à la vie éternelle, afin de faire précéder mes mérites là où j'espère habiter éternellement. Ce n'est pas sans sujet que le Fils de Dieu a dit (Luc XI, 13) : Si vous autres, tout méchants que vous êtes, vous savez néanmoins donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans le ciel, qui est la bonté même, donnera-t-il le bon esprit à ceux qui le lui demandent avec foi et persévérance ? Il ne dit pas que le Père céleste donnera du pain, ou des babils, ou la sagesse, ou la charité, ou le royaume des cieux, ou la vie éternelle., mais il dit qu'il lui donnera le bon esprit, parce qu'en lui se trouve renfermé tout le reste. Ne cessez donc, chaque jour, de rappeler au Père les promesses du Fils, et de dire avec une grande ferveur et une grande confiance : Père saint, ce n'est pas sur ma justice que je fonde ma prière, mais sur la promesse de votre Fils unique ; il nous dit: combien plus forte raison votre Père donnera-t-il le bon esprit à ceux qui le lui demandent ! Assurément votre Fils est la vérité, il ne nous a pas trompés : accomplissez donc la promesse de ce Fils qui vous a glorifié sur la terre, qui vous a obéi jusqu'à la mort et à la mort de la croix ; donnez le bon esprit à celui qui vous le demande, donnez-lui l'esprit de crainte et d'amour, afin que votre serviteur ne craigne autre chose que de vous offenser, qu'il n'aime que vous et on prochain pour l'amour de vous. Créez en moi un coeur pur, et renouvelez au fond de mes entrailles l'esprit de droiture et de justice, ne me rejetez pas de devant votre face et ne retirez pas de moi votre Esprit-Saint: rendez-moi la grâce de votre joie salutaire, et fortifiez-moi par l'esprit d'une piété toute volontaire (Ps. 50). CHAPITRE VI. 6° Examinons maintenant la ressemblance qu'ont les fontaines avec Dieu : notre esprit se servira utilement de cette comparaison pour contempler l'admirable excellence du Créateur. Dieu est appelé dans l'Écriture une fontaine de vie, une fontaine de sagesse, une fontaine d’eau vive; on peut ajouter, d'après les paroles que Dieu adresse à Moïse, qu'il est encore la source de l'être ou de l'existence, car il lui dit : Je suis celui qui est. (Vous direz) Celui qui est m'envoie vers vous. L'apôtre St. Paul a renfermé tous ces différents titres en disant que c'est en Dieu que nous avons la vie, le mouvement et l'être : "In ipso uiuimus, et inouemur, et sumus". Car nous sommes en lui comme dans la source de l'être; nous vivons en lui, comme dans la source de la vie ; et nous nous mouvons en lui, comme dans la source de la sagesse parce que la sagesse est plus cultivée que toutes les choses les plus agissantes, et elle atteint partout à cause de sa pureté (Sag. VII, 24) Les fontaines terrestres donnent naissance aux fleuves, qui tariraient si les fontaines cessaient de couler. Mais la fontaine n'est pas ainsi dépendante des fleuves, parce que ce n'est pas d'eux qu'elle reçoit ses eaux, elle les possède en propre et les leur communique. C'est ici un vrai symbole de la Divinité; car Dieu est la vraie source de l'être ; en effet, il le possède sans l'avoir reçu de personne, et toutes les créatures le reçoivent de lui ; Dieu ne reçoit l'être de personne, car l'être est l'essence de Dieu, et son essence est son existence; en sorte qu'on ne peut se figurer que Dieu n'ait pas toujours existé, et qu'il n'existera pas toujours. Les autres êtres peuvent exister dans un temps et ne pas exister dans un autre, puisqu'il n'est pas de leur essence d'exister. Ainsi par exemple, il est de l'essence de l'homme qu'il soit un animal raisonnable, en sorte qu'il ne peut être homme et ne pas être animal raisonnable : et s'il était de l'essence de l'homme d'exister, il ne pourrait pas ne pas exister toujours ; mais parce qu'il n'est pas de son essence d'exister, il peut exister, ou ne pas exister. Dieu est donc la source de l'Être, parce qu'il renferme dans son essence la nécessité d'exister toujours, c'est ce que signifient ces paroles : Je suis celui qui est : c'est-à-dire je suis l'être véritable, je ne le reçois pas d'ailleurs, mais je l'ai en moi-même; à Moi seul convient d'avoir l'être par essence. De là vient qu'il a seul l'éternité et l'immortalité en partage : "Solus hahet immortalitatem". Pour les autres créatures, elles reçoivent tellement l'être de Dieu, que si elles ne dépendaient sans cesse de lui, et si elles n'étaient conservées par sa providence, elles cesseraient aussitôt d'exister. De là suit cette expression de l'apôtre : Il soutient tout par la puissance de sa parole (Hébr. I, 3), parce que les choses créées ont besoin d'être continuellement soutenues de Dieu pour subsister. Contemplez donc et admirez, ô mon âme la bonté infinie du Créateur qui porte et conserve si amoureusement ses ouvrages, quoi qu'il n'en ait aucun besoin ; et n'admirez pas moins sa patience à supporter avec tant de bonté les ingrats et les méchants, "qui tam benignus est, super ingratos et malos" (Luc. VI), qu'il nourrit ceux qui le blasphèment, et en conserve plusieurs qui seraient dignes d'être anéantis ; et ne regardez plus comme trop pénible d'être obligés à supporter les infirmités de vos frères, et de faire du bien à ceux qui vous haïssent. Mais ce n'est pas en cela seul que consiste la supériorité de cette source de l'être, qui ne le reçoit de personne et le communique à tout, Car les eaux des fontaines sont du même genre que celles des fleuves ; et quoique les fontaines ne reçoivent point leurs eaux d'autres fontaines, elles ont cependant leur origine dans les vapeurs de la terre ; ces vapeurs sont produites par d'autres causes qui remontent à Dieu, première cause de tous les êtres créés. Mais Dieu, votre créateur, n'est pas, ô mon âme, de même genre que les choses créées ; il en diffère infiniment par sa dignité, sa noblesse et son excellence ; il est vraiment et proprement la source de l'être, non seulement parce qu'il ne tient l'être de personne, mais encore parce qu'il ne reconnaît aucun principe de son existence, étant à lui-même son principe. Une source d'eau terrestre, comme nous l'avons dit, dérive non d’une autre source, mais d'une autre cause la source de l'être étant incréée, n'a rien qui la précède, ne dépend et n'a besoin d'aucune chose ; rien ne peut lui nuire, mais tout dépend de ce principe, de cette source, qui peut d'un seul signe anéantir toutes les créatures. Admirez, ô mon âme, cette suprême majesté, ce principe sans principe, cette cause sans cause, cet être infini, illimité, immense, absolument nécessaire, tandis que tout le reste n'est que contingent. C'est peut-être dans ce sens que la suprême Vérité a dit qu'une seule chose était nécessaire : "Porrò unum est necessarium" (Luc X). C'est pourquoi ne vous attachez qu'à lui, ne servez que lui, ne cherchez d'autre plaisir que celui de l'aimer, et ne désirez que de le posséder ; méprisez pour lui tout le reste, ou du moins n'en ayez pas trop de sollicitude, puisqu'une seule chose est nécessaire, et que cette seule chose qui est Dieu peut suffire à vous et à tout le monde. Ainsi n'ayez d'autre sollicitude que celle de ne jamais perdre sa grâce et de lui plaire toujours et en toutes manières. CHAPITRE VII. 7° C'est donc dans le sens le plus strict, le plus vrai, que Dieu est appelé une source de vie, parce qu'il vit, qu'il a la vie en lui, et qu'il est lui-même la vie éternelle : "Hic est uerus Deus et uita aeterna (1 Jean, V), et que tous les êtres vivants tirent leur vie de cette source, et qu'ils s'anéantissent et retournent dans la poussière, dès que Dieu cesse de les soutenir (Ps. 103). Produire son semblable est le privilège des êtres vivants ; or Dieu a engendré un Fils qui lui est parfaitement semblable Dieu comme lui, vivant par lui-même comme lui : Car, dit St. Jean (V), comme le Père a la vie en lui-même, et qu'il est le principe de la vie de son Fils, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même, et d'être le principe de la vie des hommes. Or le Père a la vie en lui-même, parce qu'il est la source de la vie et qu'il ne la reçoit pas d'ailleurs ; et il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même, parce qu'il lui a donné la même vie qu'il possède, et par ce moyen le Fils est aussi une source de vie, mais une source dérivant d'une autre source, comme il est Dieu de Dieu et lumière de lumière. Qui expliquera, qui comprendra même cette vie de Dieu, cette fontaine de vie où vont puiser toutes les créatures vivantes sur la terre et dans le ciel ? La vie que nous connaissons dans ce lieu d'exil n’est autre chose que le principe de mouvement interne ;car nous attribuons la vie à ce qui se meut, d'où vient que par ressemblance nous appelons eaux vives, celles des fontaines et des fleuves, et que nous donnons le nom d'eaux mortes à celles qui croupissent dans les étangs ; parce que celles-là paraissent se mouvoir, tandis que celles-ci ne le peuvent sans être agitées par les vents ou par quelque autre moteur externe. Votre Dieu vit véritablement, ô mon âme, et il est l'auteur et la source de la vie. Il nous l'apprend dans plusieurs endroits de l'Écriture : "Viuo ego, ait Domitius; uiuit Dominus". Il se plaint, par son prophète Jérémie, qu'ils l'ont abandonné, lui qui est une source d'eau vive : "Me dereliquerunt fontem aquae uiuae". Et cependant il n'est mu ni par lui-même, ni par autrui : "Ego Domitius, et non mutor (Malach. 3). Dieu n'est pas sujet au changement comme les enfants des hommes (Nomb. 13). Dans l'office de Nones nous disons encore la même chose : "Rerum, Deus, tenax uigor, immotus in te permanens", etc., pour signifier son repos. Quoique Dieu engendre son Fils, il l'engendre sans changement : et s'il voit, s'il entend, s'il parle, s'il aime, s'il a compassion, s'il juge, il fait toutes ces choses sans changement; qu'il crée et conserve ses créatures, ou qu'il les détruise ou les disperse, et que de nouveau il les renouvelle et les change, il ne perdra pas pour cela son repos, ni son immutabilité. Mais comment vit-il, s'il ne se meut point? Et comment supposer qu'il ne vit pas, s'il est la source, le principe de la vie? On ne peut résoudre facilement cette difficulté ; car il suffit absolument pour vivre, que l'être vivant agisse par lui-même, et ne soit pas mu par un autre. Mais la vie, dans les êtres créés, est pour l'ordinaire le principe interne du mouvement, parce que les choses créées sont imparfaites, et manquent de beaucoup de qualités pour pouvoir remplir les fonctions de la vie; tandis que Dieu est une perfection infinie, qui n'a besoin de rien qui soit hors de lui, et c'est pourquoi il agit par lui-même sans être mu par un autre d'où il résulte qu'il n'a besoin ni de mouvement, ni de changement. Les créatures ont besoin de changement pour se reproduire, parce que cette reproduction se fait hors d'elles-mêmes, et il faut que la chose produite passe du non-être à l'être; mais Dieu qui engendre le Fils, et produit le Saint-Esprit au dedans de lui-même, et le Fils, ni le Saint-Esprit n'ont pas besoin de changement pour passer du non-être à l'être, parce qu'ils reçoivent l'être qui a toujours existé; et ils le reçoivent non dans le temps, mais dans l'éternité. Les créatures ont besoin d'un mouvement d'accroissement, parce qu'elles naissent imparfaites; mais Dieu le Fils est engendré dans toute sa perfection , et Dieu le Saint-Esprit procède du Père aussi dans toute sa perfection. Les créatures ont besoin du mouvement d'altération, pour acquérir les différentes qualités qui leur sont nécessaires; mais Dieu n'a besoin de rien, puisqu'il possède l'essence d'une infinité de perfections. Les créatures ont besoin du changement de lieu, parce qu'elles ne sauraient être partout en même temps; mais Dieu est tout entier eu tous lieux. De plus, les créatures ont besoin de secours étrangers pour voir, pour entendre, pour parler, pour opérer, parce que leur vie est imparfaite et privée de beaucoup de choses ; mais Dieu n'a besoin de rien qui soit hors de lui, pour tout voir, tout entendre, se faire entendre de tous et tout opérer en toutes choses ; parce que non-seulement il a la vie, mais une vie des plus abondantes et des plus heureuses, et qu'il est lui-même la vie et la source de la vie. Pour donner un exemple de l'action de voir, considérons les besoins de l'homme ; pour exercer cette faculté, il a besoin de la puissance visuelle, qui est distincte de l'âme, laquelle vit et voit par elle-même ; il lui faut un objet, je veux dire un corps coloré placé hors de lui ; il lui faut la lumière du soleil, ou de quelque autre corps lumineux ; il lui faut un milieu, c'est-à-dire un corps visible ; il lui faut une image sensible, qui de l'objet parvienne à ses yeux ; il lui faut un organe corporel, c'est-à-dire, un oeil pourvu de différentes humeurs et de tuniques ou pellicules charnues ; il lui faut des esprits sensitifs, et des nerfs optiques qui servent de passage à ces esprits; il lui faut une distance proportionnée, et l'application de la puissance visuelle. Voyez de combien de secours les hommes et tous les animaux ont besoin pour remplir une seule fonction de la vie! Mais Dieu, qui possède véritablement toute la vie en lui-même, n'a besoin de rien. Son essence infinie lui tient lieu de puissance, d'objet, d'images, de lumière et de tout le reste. De lui-même, par lui-même et en lui-même, Dieu voit tout ce qui existe, tout ce qui a existé, et tout ce qui existera, et il connaît parfaitement tout ce qui peut exister. Avant que le monde fût, Dieu voyait tous les êtres, et la création n'a rien ajouté à sa science ni à sa connaissance. Que vous arrivera-t-il donc, ô mon âme, quand vous serez participante de sa vie ? Dieu vous commande-t-il quelque chose de trop, lorsqu'il exige que vous employiez cette vie corporelle, animale, imparfaite et misérable, pour le service de vos frères et pour le sien, afin de mériter de participer à cette vie éternelle, fortunée et infiniment heureuse ? Et s'il ne commande rien de trop pénible, en nous ordonnant de mépriser la vie pour son amour, combien devons nous regarder comme facile et léger de donner aux pauvres des richesses périssables ? de nous abstenir des concupiscences charnelles, de renoncer au démon et à ses pompes, et de soupirer avec toute l'ardeur de notre âme vers cette vie qui seule mérite de porter le nom de vie ? CHAPITRE VIII. 8° Mais il est déjà temps de monter, comme nous pourrons, à la source de la sagesse "Fons sapientiae uerbum Dei in excelsis (Eccli. I). L'écrivain sacré a raison de dire que cette source est dans les lieux élevés ; car la source de la sagesse coule abondamment et copieusement sur les saints anges, et sur les âmes bienheureuses qui habitent le ciel pour nous, voyageurs et pèlerins dans le désert de la vie, nous n'avons en partage qu'une vapeur, pour ainsi dire, et un parfum de cette sagesse. C'est pourquoi, ô mon âme, ne vous élevez pas trop maintenant. N'allez pas scruter la Majesté suprême, de peur d'être opprimée par sa gloire. Admirez la sagesse de celui que l'Apôtre (Rom. XVI) appelle le,seul sage : "Soli sapienti Deo". Félicitez les bienheureux esprits de se désaltérer à la source de la sagesse ; et quoiqu'ils n'aient pas la compréhension de Dieu, qui est réservée à la source clé la sage, ils voient cependant sans voile !a face de Dieu, c'est-à-dire de la première cause; éclairés par lui ils jugent parfaitement de tout; à l'aide de cette lumière brillante de la sagesse, ils ne craignent ni les ténèbres de l'erreur, ni l'obscurité de l'ignorance, ni l'éblouissement des opinions. Aspirez à cette félicité, et, pour y parvenir sûrement, aimez de tout votre coeur notre Seigneur Jésus-Christ, en qui sont renfermés tous les trésors de la. science et de la sagesse de Dieu ( Col. II). Il vous dit lui-même dans l'Évangile ( Jean XIV, 21) : Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je l'aimerai aussi, et Je me découvrirai à lui, c'est-à-dire, je lui découvrirai tous les trésors de la science et de la sagesse de Dieu que je renferme en moi-même. Tout homme désire naturellement de savoir ; et quoique les plaisirs sensuels émoussent ce désir dans quelques-uns, cependant, lorsque nous aurons déposé ce corps qui doit être détruit, et qui maintenant appesantit l'âme, l'ardeur de ce désir l'emportera sur tous les autres. Quelle sera donc votre félicité, ô mon âme, lorsque Jésus-Christ, que vous aimez et qui vous aime, vous montrera tous les trésors de la science et de la sagesse de Dieu! Pour n'être pas frustrée d'une si belle espérance, appliquez-vous à l'observation des commandements de Jésus-Christ; il vous dit lui-même (Jean XIV) : Celui qui m'aime observe mes commandements. En attendant, attachez-vous à cette sagesse que décrit le saint homme Job lorsqu'il dit que la crainte de Dieu est elle-même la sagesse; et que l'intelligence consiste à s'abstenir du mal. Et quelques perfections que vous voyiez dans les créatures, sachez quelles: découlent du Dieu de bonté comme de leur source, afin que vous appreniez, avec St. François, à goûter dans chaque créature, comme dans autant de ruisseaux, la bonté fécondante de Dieu (V. St. Bonav. dans la vie de St. François, chap. 9).