[0] A L'ÉPOUSE DE NECTAIRE. [1] J'avais résolu de ne vous point écrire et de garder le silence, parce que sans doute, comme les remèdes les plus doux causent de la douleur à un œil enflammé, ainsi les paroles les plus consolantes sont importunes à une âme abîmée dans la tristesse, si on les lui adresse lorsque la plaie est encore toute saignante. Mais quand j'ai fait réflexion que j'avais à parler à une chrétienne, versée depuis longtemps dans les choses divines, et disposée à souffrir les accidents de cette vie mortelle, je me suis cru obligé de m'acquitter de mon devoir. Je sais quelles sont les entrailles d'une mère; et quand je pense combien vous avez de douceur et de bonté pour tout le monde, je n'ai point de peine à comprendre que vous devez être sensiblement touchée du malheur qui vous arrive. Vous avez perdu un fils qu'admiraient pendant sa vie toutes les mères, qui auraient désiré en avoir un pareil, et qu'elles ont pleuré après sa mort, comme si toutes elles eussent été privées de leur propre enfant. Sa mort est aussi affligeante pour notre patrie que pour la Cilicie. Une maison illustre dont il était le soutien est comme renversée avec lui. O fatal effet de la malice du démon! quel coup douloureux il nous a porté! O terre malheureuse, exposée à subir une si cruelle disgrâce! Si le soleil a du sentiment, il a dû frémir d'un si désolant spectacle. Où trouver des expressions qui puissent égaler les angoisses de notre âme? [2] Mais nous sommes gouvernés par une sage providence, comme nous l'apprenons de l'Evangile, qui nous dit que même un passereau ne tombe point sans la volonté du Père céleste (Matth. 10. 33) C'est donc par la volonté du Créateur que nous est arrivé l'accident qui nous fait gémir. Or, qui peut résister à la volonté de Dieu? Recevons les peines qu'il nous envoie. Notre impatience, sans réparer le mal, ne fait que nous perdre nous-mêmes. Ne condamnons pas le juste jugement de Dieu. Nous sommes trop peu instruits pour pouvoir pénétrer dans les secrets de sa justice. Le Seigneur veut éprouver maintenant votre amour pour lui. Voici le temps de mériter par votre patience la récompense des martyrs. La mère des Macchabées vit la mort de ses sept enfants sans gémir, sans répandre d'indignes larmes : elle rendait grâces à Dieu en voyant ses fils délivrés des liens du corps par le feu, le fer, et les autres instruments des plus cruels supplices. Aussi s'est-elle acquis une gloire immortelle devant Dieu et devant les hommes. Votre affliction est grande, je l'avoue; mais les récompenses que Dieu réserve aux hommes patients sont bien plus grandes encore. Lorsque vous êtes devenue mère, et que vous voyant un fils vous avez rendu grâces à Dieu, vous saviez qu'étant mortelle, vous aviez donné la naissance à un homme mortel. Or, qu'y a-t-il d'étonnant qu'un homme mortel soit mort? Mais ce qui nous afflige, c'est sa fin prématurée. Nous ne saurions décider s'il était avantageux qu'il ne mourut pas sitôt: nos lumières sont trop courtes pour savoir choisir ce qui convient aux âmes, et pour mesurer les bornes de la vie humaine. Jetez les yeux sur ce monde que vous habitez, et songez que tout ce que vous voyez est périssable, sujet à la corruption. Regardez le ciel ; il sera détruit un jour. Le soleil lui-même ne subsistera pas éternellement. Tous les astres, les animaux aquatiques et terrestres, les ornements qui embellissent la terre, la terre elle-même, tout est corruptible, tout disparaîtra dans peu de temps. Que ces réflexions adoucissent le chagrin que vous cause votre perte. Ne considérez pas votre malheur en lui-même, car il vous paraîtrait insupportable ; mais comparez-le avec toutes les misères humaines, et cette comparaison adoucira votre tristesse. Un des motifs les plus forts que je puisse vous offrir, c'est que vous devez ménager la douleur de votre époux. Consolez-vous l'un l'autre, et n'aggravez pas ses peines en vous abandonnant trop à votre affliction. En général, je crois que les paroles ne sont pas suffisantes pour votre consolation, il faut avoir recours à la prière dans une conjoncture aussi fâcheuse. Je prie donc le Seigneur de toucher votre âme par son ineffable puissance, et d'éclairer votre esprit par des réflexions utiles, afin que vous puissiez trouver en vous-même de quoi vous consoler.