[8,0] VIII. Actéon et Penthée, ou l'homme trop curieux. Cette indiscrète curiosité qui va épiant les secrets d'autrui, et qui assez ordinairement est peu scrupuleuse dans le choix des moyens qu'elle emploie pour les découvrir, est allégoriquement figurée dans deux fables inventées par les anciens, savoir: dans la fable d'Actéon et dans celle de Penthée. Actéon étant survenu >sr hasard lorsque Diane était au bain et l'ayant vue tout-à-fait nue, elle le métamorphosa en cerf, et il fut mis en pièces par les chiens mêmes qu'il avait nourris. Penthée, voulant voir par ses propres yeux les sacrifices secrets et les orgies de Bacchus, monta sur un arbre pour satisfaire sa curiosité, en punition de laquelle il fut attaqué de frénésie. Or, la démence de Penthée était de telle nature que tous les objets lui paraissant doubles, il voyait deux soleils, deux villes de Thèbes, etc., en sorte que lorsqu'il voulait aller à Thèbes il croyait voir d'un autre côté une autre ville de Thèbes, ce qui le faisait revenir sur ses pas; et trompé par cette illusion il ne faisait qu'aller et venir, monter et descendre, n'ayant plus ni de but fixe ni de repos. C'est ce que dit le poète Horace. "Semblable à Penthée, apercevant la troupe des Euménides, et voyant deux soleils, deux Thèbes, etc." {Virgile, L'Énéide, IV, 469} La première de ces deux fables a pour objet les secrets des princes et la seconde les mystères de la religion ; car ceux qui sont parvenus à découvrir les secrets des princes sans avoir été admis dans leur conseil et contre leur volonté sont assurés de leur devenir odieux. Aussi, n'ignorant pas que leur maltre, indisposé contre eux, épie les occasions et cherche des prétextes pour les perdre, ils mènent une vie timide comme les cerfs et tout leur fait ombrage. Trop souvent aussi leurs propres domestiques, pour faire leur cour au prince, les accusent et contribuent à leur perte. Car, lorsqu'un homme ayant encouru la haine du prince, sa disgrâce devient publique, il trouve dans ses propres domestiques autant de traltres qui se joignent à ses ennemis, et il éprouve le sort d'Actéon. Le malheur de Penthée est d'une autre nature ; lorsque l'homme, prenant un essor téméraire et oubliant trop aisément sa condition de mortel, veut, du haut de la nature et de la philosophie (hauteur représentée dans cette fable par cet arbre sur lequel Penthée monta), découvrir les divins mystères, sa témérité est punie par une incertitude et une irrésolution perpétuelles; car la lumière de la nature et la lumière divine étant très différentes, les hommes dont nous parlons croient voir deux soleils. En quoi ils ressemblent à Penthée, s'imaginant voir deux villes de Thèbes; car Thèbes, dans la fable que nous expliquons, représente les buts, les fins des actions humaines, cette ville étant alors la résidence, l'asile de Pentbée; d'où il arrive qu'en toutes circonstances, flottant dans une incertitude et une irrésolution perpétuelles, ils ne savent de quel côté tourner leurs pas et ne font que tournoyer ou aller et venir, en s'abandonnant sans réflexion aux soudaines impulsions de leur esprit et en cédant toujours à l'impression du moment.