ide suite, elle n'en acquiert pas plus de tendance à monter d'elle - mente; que nous avons beau voir et entendre à cha- que instant, nous n'en voyons et n'en entendons pas mieux (1). Car , quoique cette loi soit en effet observée dans quel- ques sujets où la nature est plus limitée ( exception dont ce n'est pas ici le lieu de rendre raison), il en est tout autre- ment de ceux où la nature est , dans une certaine latitude, susceptible d'augmen- tation et de diminution. Il a pu s'assurer, par sa propre expé- rience, qu'un end un peu trop étroit, à force d'être mis, devient plus aisé; qu'un bdton long-temps fléchi en sens contraire de son pli naturel, demeure peu après dans l'état où on l'a mis ; que, par l'exercice, la voix devient plus forte et plus sonore; que 1' habitude rend ca- pable d'endurer le froid et le chaud; et il est une infinité d'exemples de cette es- pèce. Mais les deux derniers reviennent mieux à la question , que ceux qu'il a allégués. Quoi qu'il en soit, plus il eût été vrai que les vices, ainsi que les ver- tus, ne consistent que dans l'habitude, plus il eût dû prendre à tache de pres- crire les règles à suivre pour acquérir ou perdre de telles habitudes; car on pour- toit composer de très bons préceptes pour régler les exercices tant de l'aine que du corps. Nous allons en exposer quelques- uns. Le premier est de se garder, en com- mençant, des triches trop difficiles, ou trop mesquines. Car, si vous imposez à un esprit médiocre tut fardeau trop pe- sant, vous éteindrez en lui l'espérance et l'ardeur qu'elle inspire. Que, s'il s'a- git d'un esprit plein de confiance en ses propres forces, vous ferez aussi qu'il présumera trop de lui - même, et qu'il se promettra de soi plus qu'il ne peut faire (i) ; ce qui entratne avec soi la né- gligence. L'effet de cette méthode sur ces deux sortes d'esprit, sera de tromper leur attente; ce qui humilie et décourage. Que si la fiche est trop légère, alors vous aurez un grand déchet dans la somme de la progression. Le second sera que, lorsqu'il s'agit d'exercer quelque faculté dont on veut acquérir l'habitude , il faut , observer deux espèces de temps; savoir : celui où l'on est le mieux disposé pour le genre dont on veut s'occuper, et celui où on l'est le plus mal possible, afin de profiter du premier pour faire beaucoup de che- min, et de l'autre, pour employer toute la vigueur de son esprit à lever les ob- stacles et les difficultés ; et afin que les temps moyens coulent plus aisément et plus paisiblement. Nous poserons pour troisième pré- cepte, celui dont Aristote dit uninot en passant; savoir : qu'il faut, de toutes ses forces, en-deçà. toutefois de ce degré extrême qui est vicieux, se porter da côté opposé à celui vers lequel la nature nous pousse le plus, à peu près comme l'on fait en ramant en sens contraire du courant, ou en pliant un Baton du côté opposé à celui où il est fléchi, afin de le redresser. Le quatrième précepte dépend de cet axiôme incontestable : que l'ante hu- maine se porte, avec plus de plaisir et de succcès, vers quelque but que ce soit, lorsque ce à quoi nous tendons n'étant pas notre objet principal, mais seule- ment accessoire, nous nous en occupons comme en faisant autre chose; vu que l'aine humaine hait toute nécessité trop impérieuse, tout commandement trop absolu. Il est une infinité d'autres cho- ses qu'on pourrait prescrire utilement sur l'art de gouverner l'habitude : car si l'on use d'une certaine prudence et d'une certaine adresse en contractantune habitude, c'est alors véritablement que (comme on le dit communément), elle devient une seconde nature. Mais, si l'on s'y prend gauchement, et si l'on marche au hazard, l'habitude ne sera plus que le singe de la nature; et au lieu d'en être la fidelle imitation , elle n'en sera qu'une copie mal-adroite et grimaçante. De même, si nous voulions parler des livres et des études, de leur influence et de leur pouvoirsur les mœurs, n'aurions- nous pas sous notre main une infinité de préceptes et de conseils utiles tendantsi ce but? Un des saints personnages, dans son indignation, n'appelloit-il pas lapé- sic, le vin des démons; vu qu'en effet elle excite une infinité de tentations, de désirs désordonnés et de vaines opinions ? N'est-ce pas encore un mot bien judi- cieuxet bien digne d'attention, que cette sentence d'Aristote? Les jeunes-gens n'ont point d'aptitude pour la morale , et sont (le mauvais disciples en ce genre; parce que, chez eux, l'effervescence des passions n'est pas encore calmée et as- soupie par l'âge et l'expérience; et, s'il faut dire ce que nous pensons sur ce su- jet, ne seroit-ce pas par cette raison mê- nie que les plus excellens livres et les plus éloquens discours des anciens , qui invi- tent si puissamment les hommes 1, la ver- tu , en présentant aux yeux de tous sa nea- jestueuse et auguste image, et en livrant au ridicule ces opinions populaires qui insultent â la vertu sous le personnage (le parasites; que ces livres, dis-je, et ces dis- cours sont de si peu d'effet pour multiplier les gens de bien etréf'ormer les mauvaises moeurs (i); par cette mème raison , que s'il est quelqu'un qui prenne la peine de les lire et/de les méditer, ce ne sont point du tout des hommes dont le jugement soit mùri par lige, mais des enlâns et des novices auxquels on les abandonne. N'est-il pas également vrai que les jeunes- gens ont encore moins d'aptitude pour la politique que pour la morale, avant d'être parfaitement imbus de la religion et de la doctrine des mœurs et des devons ? car, sans ces études préliminaires, leur jugement étant dépravé et corrompu d'a- vance, ils pourroient tomber dans cette opinion : qu'il n'est point de vraie mo- ralité dans les choses humaines, et qu'il faut tout mesurer d'après l'utilité ou le succès, comme le dit certain poete Et c'est le crime heureux qu'on appelle vertu; et il ajoute: Etpourprix d'un forfait qui fit au fond le même , L'un obtint une croix, et l'autre un dia- dente. Il est vrai que les poëtes ne parlent ainsi que par indignation et sur le ton de la satyre. Mais il est tel livre de poli- tique où l'on a avancé cela sérieusement, positivement. Car c'est ainsi qu'il plaît à Machiavel de s'exprimer : ai César etlt été vaincu, il eflt été plus odieux que Catilina. Sans doute, comme s'il n'y eAt eu d'autre différence que le succès entre je ne sais quelle furie pètrie de sang et de libertinage , et une aine élevée, un personnage qui, de tous les hommes for- més par la nature, eût, sans contredit (s'il eût été un peu moins ambitieux) , le plus justement mérité notre admira- tion. Nous voyons, par cet exemple mè- tue , combien il importe que les hommes s'abreuvent à longs traits de doctrines morales et religieuses, avant de goûter de la politique; car noua voyons que ceux qui ont été nourris dans les cours des princes , et formés aux affaires dès leur plus tendre enfance , n'acquièrent jamais une probité bien sincère et bien intime, et beaucoup moins encore l'ae- querroient-ils, si les maximes des livres s'accordoient avec les principes reçus dans une telle éducation. De plus , n'y auroit-il pas quelques précautions sl pren- dre par rapport à. ces maximes mêmes, ou du moins relativement sl quelques- unes i? de peur qu'elles ne rendissent les hommes opiniàtres, arrogans et insocia- bles : ce qui nous rappelle à ce que Cicé- ron disoitde Caton d'Utique : cesgrandes qualités que nous voyons en lui, ces qualités vraiment divines qui le distin- guent, sachez qu'elles lui appartien- nent, qu'elles lui sont propres : quant à ces légers défauts que nous y apper- cevons, ce n'est pas de la nature qu'il les tient, mais de ses maîtres. Il est une infinité d'autres principes relatifs à l'in- fluence des livres et des études sur les moeurs; car rien de plus vrai que ce mot d'un certain auteur : les études passent dans les moeurs; ce qu'il faut dire aussi de beaucoup d'autres causes, telles que les sociétés, la réputation , les loin de la pu- trie, causes dont nous venons de faire l'énumération. Au reste, il est une certaine culture de l'urne qui exige encore plus de soins et de peines. Elle s'appuie sur ce fonde- ment : que les ames des mortels se trou- vent , en certains temps, dans un état de plus grande perfection; et en d'au- tres temps, dans un état de plus grande dépravation. Ainsi l'objet et la règle de cette culture est de tacher d'entretenir ces bons momens et d'effacer les mau- vais, de les rayer, pour ainsi dire, du calendrier. Or, la fixation des bons mo- mens peut être opérée de deux manières: par des vœux durables, ou du moins par de constantes résolutions, et par des ob- servances, (les exercices, qui n'ont pas tant de valeur en eux-mêmes, qu'en ce qu'ils maintiennent l'aine perpétuelle- ment dans le devoir et l'obéissance. On peut aussi effacer les mauvais momens par deux espèces de moyens; savoir: en rachetant ou expiant le passé, et en se faisant un nouveau plan de vie, et re- commençant, pour ainsi dire , à vivre. Mais cette partie semble appartenir pro- prement à la religion; et c'est ce qui ne doit milleinent étonner, vu que la phi- losophie morale, pure et véritable, com- me nous l'avons Béja dit, ne fait, à l'é- gard de la théologie, que le simple office de servante. Ainsi nous terminerons cette partie de la culture de l'aine par ce remède, qui non-seulement est le plus sommaire et le plus abrégé, mais qui est aussi le plus noble et le plus puissant pour former Parue à la vertu, et la placer dans l'état le plus voisin de la perfection; ce remède est que les fins que nous choisissons et nous proposonspourdiriger nosactions et notrevic entière, soient droites, honnêtes et coq/bernes à la .vertu : fins qui pourtant doivent être de telle nature, que nous trouvions en nous -,aê,ues, à certaine mesure, la faculté d'y atteindre. Car si nous supposons une fois ces deux choses : l'une, que les, fins de nos actions soient bonnes et honnêtes; l'autre, que le dé. cret de l'ante, poury atteindre et s'en saisir, soit fixe et immuable; dés-lors c'est une conséquence nécessaire, que l'amo aille se perfectionnant de plus en plus, et se fiiçonne, d'un seul coup, à toutes les vertus. Et telle est véritable- ment l'opération qui retrace les oeuvres de la nature; an lieu que ces autres dont nous parlions, semblent n'être que des couvres de la main humaine. Car de mê- me qu'un sculpteur, lorsqu'il fait une statue, ne figure que la partie dont il est actuellement occupé, et non les autres: par exemple , s'il figure la face , le reste du corps demeure informe et grossier, jusqu'à ce qu'il en soit là : au contraire, la nature, lorsqu'elle forme une fleur, ou un animal, figure toutes les parties à /alois; et, d'un seul coup, ébauche le tout (1). C'est ainsi que, lorsqu'on s'efforce d'acquérir la vertu par la seule habitude, tandis qu'on s'occupe de la tempérance, on fait peu de progrès dans la force; mais, si une fois l'on s'est con- sacré , dévoué à des fins droites et lion- nétes, quelle que soit la vertu que ces fins imposent, commandent à notre ante, nous nous trouverons Béja tout imbus et disposés d'avance, par une certaine aptitude et un commencement d'incli- nation, à l'acquérir et à la produire au dehors. Et c'est peut etre là cet état de l'aine dont Aristote nous donne une si haute idée; car telles sont ses expres- sions : Or, à l'inhumanité il convient d'op- poser cette vertu qui est au-dessus de l'humanité, et qu'on peut qualifier d'hé- roique, ouplut&de divine; et peu après: car la brute n'est susceptible ni de vice ni de vertu, et il en faut dire autant de la divinité. Mais ce dernier état est quelque chose de plus élevé que la ver- tu; l'autre n'est tout au plus que l'ab- sence des vices : certes, Pline second, en usant de cette licence propre à le pompeuse éloquence des pfiiens, présen- te la vertu de Trajan, non comme une imitation, niais comme un modale de la vertu divine, lorsqu'il dit : que les mortels ne devoient plus adresser aux Dieux d'autre prière que celle-ci : qu'ils daignassent se montrer aussi propices et aussi , favorables aux mortels, que Trajan l'avoit été. I)e telles expressions se sentent trop de cette profane jactance des païens, qui , trompés par de cer- ' tainesombresplus grandes que les corps, s'effo soient vainement de les embras- ser. Mais ce qui leur échappoit, la vraie religion , la sainte foi du christianisme le saisit, en imprimant dans les aines la charité ; et c'est qu'on la qualifie de lien de pecfe c•tion ; car c'est elle qui lie entre elles toutes les vertus , et n'en forme qu'un seul corps. Rien de plus élégant que ce que dit Ménandre de l'amour sensuel, qui n'est qu'une mau- vaise imitation de l'amour divin. L'a- mour, dit-il, est un bien plus grand maître, dans la vie humaine, que le sophiste Gauchie : paroles par lesquelles il fait entendre que l'amour sait bien mieux donner aw moeurs et aux ma- nières , une certaine élégance , qu'un sophiste, qu'un précepteur inepte, qu'il désigne par ce nom de Gauche; car, avec tout l'appareil de ses lourds pré- ceptes et de ses règles laborieuses (1), il ne saura jamais façonner un homme avec autant de facilité et (le dextérité , et le mettre en état de coiinoitre son propre prix , et de se porter, en toute occasion, avec autant de grace que de décence; je dis que ce sophiste ne don- nera jamais de telles leçons , aussi bien que l'amour le saura Lire. C'est ainsi, sans contredit , que l'urne de tel homme que ce puisse être , dès qu'elle brûle du feu de la vraie charité, s'élève â un plus haut degré de perfection , que par tout l'appareil de la morale, qui , coin parée à cet autre mitre , n'est qu'une sorte de sophiste. Disons plus : de même que Xénuphon a si judicieusement ob- servé , que les autres affections , bien qu'elles élèvent l'aine , ne laissent pas de la fatiguer et de la désaccorder par leur ivresse et leurs excès ; mais que le seul amour peut tout à la fois la dilater et la mettre d'accord : c'est ainsi que toutes ces autres facultés humaines qui font ,l'objet de notre admiration, tout en nous domiantune certaine élévation, ne laissent pas d'être sujettes à l'excès; mais la charité n'est point susceptible d'excès. Les anges, en aspirant à une puissance égale à celle de la divinité, prévariquèrent et déchurent : je m'éle- vc,zli et serai semblable au Très-Haut. L'homme, en aspirant à une science égale à celle de Dieu, prévariqua et dé- chut aussi : vous serez semblables à des Dieux, connoissant le bien et k mal: mais en aspirant à devenir semblable à Dieu par la bonté et la charité, jamais ange ni homme ne futnine sera en dan- gels, Se dirai plus : c'est à cette imitation. là même qu'on nous invite : aimez vos ennemis; fuites du bien à ceux qui -fous Tuassent, et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient, afin d'être vraiment onfans de ce père qui est dans les cieux, qui frit luire son soleil sur les bous et les médians : et qui pleut indistinctement sur le juste et l'in uste: disons encore plus, dans l'ar- chetype même (le la nature divine, le pa- ganisme plaçoitainsi les mots suiv ans (op- timue, maximus) très bon, très grand ) ; or, l'écriture sainte prononce que sa mi- séricorde est au-dessus de toutes ses oeu- vres. Nous voici donc arrivés à la fin de cette partie de la acoçalc qui traite de la géorgique de l'aine. En quoi, si , à la vue des différentes parties de cette scien- ce que nous avons touchées, quelqu'un s'imaginait que tout notre travail consiste à réunir en un corps de doctrine et à réduire en art ce que d'autres ont omis, le regardant comme trop connu, trop fa- miner, comme assez clair et assez évi- dent par soi-même, il peut li brement user de son jugement. Cependant qu'il se sou- vienne de cet avertissement que nous avons donné au commencement, que ce que nous cherchons en tout, ce n'est pas le beau, mais l'utile et le vrai. Qu'il se rappelle aussi un moment cette antique parabole des deux portes du sommeil. Le sommeil a deux portes, dont l'une, dit-on, est de corne : c'est par celle-ci que les songes véritables s'ouvrent un facile passage; l'autre est toute écla- tante d'ivoire, et c'est par celle-là que les Indues enveient vers les cieux des songes trompeurs. La porte d'ivoire est sans doute d'une magnificence trots pro- pre pour fixer les regards; mais c'est par la porte de corne que passent les songes véritables (1). Par forme de supplément t cette doc- trine morale, nous pouvons ajouter cette observation : qu'il est une certaine rela- tion, une certaine analogie entre le bien de Paule et le bien du corps. Car, de niênie que le bien du corps, coetme nous l'avons dit, consiste dans la santé, la beauté, la vigueur et la volupté; (le mê- me , si nous envisageons le bien de l'a me d'après les principes de la morale, nous verrons clairement qu'il tend à ce quadruple but; à rendre l'aine saine et exempte de troubles; belle et parée de véritables graces; flirte et agile , pour exécuter toutes les fonctions de la vie; enfin sensible et non stupide; enun mot, conservant un vif sentiment de la vraie volupté, et capable de jouissances hon- nêtes. Or, ces quatre sortes d'avantages, qui se trouvent si rarement réunis dans le corps, se trouvent tout aussi rarement ensemble dans rame. Car vous verrez assez de gens distingués par la vigueur de leur génie et par la force de leur aine, qui ne laissent pas d'être infestés par des agitations, et dont les moeurs manquent jusqu'à un certain point de grace et d'é- légalise : d'autres qui n'ont que trop de cette grave et de cette élégance , mais qui n'ont point assez de probité pour vouloir bien faire, ou assez de force pour le pouvoir : d'autres encore doués d'une ame honnête et purifiée de toute souil- lure de vice, mais qui ne savent ni se faire honneur a eux-mêmes, ni être uti- les à la république d'autres enfin qui sont peut-être en possession de ces trois espèces d'avantages; mais qui, par une certaine austérité stdique, ou par une sorte de stupidité, font assez d'actes de vertus, mais ne savent point goûter ces douces jouissances qui en doivent être le fruit. Que si par fois, de ces quatre avantages , deux ou trois cohcourent dans un seul et même individu, rare- ment , très rarement, comme nous l'a- vons dit, ils s'y trouvent tous ensemble. Nous avons désormais traité ce princi- pal membre de la philosophie humaine, qui envisage l'homme en tant qu'il est composé de corps et d'ante, mais cepen- dant comme isolé, et non encore réuni en société.