[4,3] CHAPITRE III. Division de cette partie de la philosophie humaine qui a l'âme pour objet, en doctrine du souffle de vie, et doctrine de l'âme sensible ou produite. Seconde division de la même philosophie en doctrine de la substance et des facultés de l'âme; et doctrine de la destination et des objets de ces facultés. Deux appendices de la doctrine des facultés de l'âme, doctrine de la divination naturelle, et doctrine de la fascination. Division des facultés de l'âme sensible en mouvement et sentiment. Passons à la doctrine de l'âme humaine ; de ses trésors sont tirées les autres sciences. Elle a deux parties : l'une traite de l'âme rationnelle, qui est divine; l'autre, de l'âme irrationnelle, qui nous est commune avec les brutes. Nous avons marqué ci-dessus, en parlant des formes, ces différences si frappantes qui distinguent ces deux émanations, et qui se montrent si sensiblement au moment de la première création de l'une et de l'autre ; savoir : que l'une tire son origine du souffle divin; et l'autre, des matrices des éléments. Car tel est le langage de l'écriture, lorsqu'elle parle de la génération primitive de l'âme rationnelle : "il forma l'homme du limon de la terre, et souffla sur sa face un souffle de vie" : au lieu que la génération de l'âme irrationnelle, c'est-à-dire, de celle des brutes, fut l'effet de ces paroles : "que l'eau produise, que la terre produise". Or, cette dernière espèce d'âme, telle qu'elle se trouve dans l'homme, n'est, par rapport l'âme rationnelle, qu'un simple organe; et semblable en cela à celle des brutes, elle tire elle-même son origine du limon de la terre ; car il n'est pas dit : il forma le corps de l'homme du limon de la terre, mais il forma l'homme, c'est-à-dire, l'homme tout entier, à l'exception du souffle de vie. Ainsi cette première partie de la doctrine sur l'âme humaine, nous l'appellerons doctrine sur le souffle vital; et la seconde, nous la qualifierons de doctrine de l'âme sensible ou produite. Cependant, comme jusqu'ici nous ne traitons encore que la seule philosophie, ayant renvoyé la théologie sacrée à le fin de l'ouvrage, nous n'emprunterions pas cette division à la théologie, si une telle distribution n'était aussi d'accord avec les principes de la philosophie. En effet, l'âme humaine a une infinité de caractères de supériorité qui la distinguent de l'âme des brutes : caractères sensibles même pour ceux qui ne philosophent que d'après les sens. Or, partout où se trouvent des caractères si marqués d'excellence et en si grand nombre, la règle est d'y établir une différence vraiment spécifique. Ainsi nous ne goûtons pas trop cette manière confuse et indistincte dont les philosophes ont traité des fonctions de l'âme : il semble, à les entendre, qu'il n'y ait entre l'âme humaine et celle des brutes, que la simple différence du plus au moins, et non une différence vraiment spécifique; à peu près comme, entre le soleil et les autres astres, l'or et les autres métaux. Avant d'entrer dans le détail des espèces, il faut ajouter ici une autre distribution de la doctrine sur l'âme humaine. Car ce que nous dirons ensuite des espèces, s'appliquera aisément à ces deux divisions, tant à celle que nous avons déja exposée, qu'à celle que nous allons proposer : soit donc la seconde de ces deux divisions; doctrine de la substance et des facultés de l'âme, et doctrine de la destination et des objets de ces facultés. Ces deux divisions une fois déterminées, passons aux espèces. La doctrine du souffle vital, laquelle ne diffère en rien de celle de l'âme rationnelle, comprend les recherches suivantes sur sa nature; savoir : si elle est native ou adventice, séparable ou inséparable, mortelle ou immortelle, jusqu'à quel point elle est liée aux lois de la matière, et jusqu'à quel point elle en est dégagée, et autres semblables questions. Or, quoique toutes les questions de même nature soient susceptibles, même en philosophie, de recherches plus exactes et plus profondes que celles dont elles ont été l'objet jusqu'ici; néanmoins c'est à la religion qu'il faut abandonner le soin de les résoudre et de les décider; sans quoi nous serons exposés à des erreurs sans nombre et aux illusions des sens. En effet, comme la substance de l'âme humaine, au moment qu'elle fut créée, ne fut point extraite de la masse du ciel et de la terre, mais produite par l'inspiration immédiate de Dieu; que d'ailleurs les lois du ciel et de la terre sont le sujet propre de la philosophie, comment pourrions-nous tirer de cette seule philosophie la connaissance de l'âme rationnelle? Il est clair que cette connaissance doit être tirée de cette même inspiration divine dont la substance de l'âme est émanée. Or, la doctrine sur l'âme sensible ou produite, même ce qui concerne sa substance, est bien une recherche dont on s'occupe, mais cette recherche-là nous paraît aussi presque à suppléer. Car enfin que font à la doctrine sur la substance de l'âme, l'acte dernier, la forme du corps, et autres fadaises logiques? attendu que l'âme sensitive, ou celle des brutes, doit être regardée comme une substance tout- à-fait corporelle; substance atténuée par la chaleur, et rendue invisible par cette atténuation : c'est, dis-je, un fluide, tenant de la nature de l'air et de celle de la flamme ; doué de la souplesse de l'air pour recevoir les impressions, et de l'activité du feu pour darder son action ; nourri, en partie de substances huileuses, en partie de substances aqueuses; caché sous l'enveloppe du corps; ayant, chez les animaux parfaits, son principal siège dans la tete ; parcourant les nerfs et réparant ses pertes à l'aide d'un sang spiritueux que fournissent les artères. Telle est l'idée qu'en ont donnée Bernard Télèse et Augustin Donius, son disciple, idée qui, à certains égards, n'est pas sans quelqu'utilité. Ainsi, cette doctrine doit être le sujet de recherches plus exactes; et cela d'autant plus, que c'est pour n'avoir pas assez approfondi ce sujet, qu'on est tombé dans ces opinions superstitieuses, profanes, et qui vont à rabaisser odieusement la dignité de l'âme humaine : je veux dire, celle de la métempsycose, celle de la purification des âmes durant certaines grandes périodes; enfin celle de l'analogie complète de l'âme humaine avec celle des brutes. Or, celle-ci est, dans les brutes, l'âme principale; et le corps des brutes est son organe. Au lieu que, dans l'homme, ce n'est qu'un organe de l'âme rationnelle; et quant à cette dernière, on devrait plutôt la désigner par le nom d'esprit, que par celui d'âme. En voilà assez sur la substance de l'âme humaine. Les facultés de l'âme les plus connues sont l'entendement, la raison, l'imagination, la mémoire, l'appétit, la volonté; enfin, tous celles qui sont les objets de la logique et de la morale. Mais c'est dans la doctrine même de l'âme qu'il faut traiter de leurs origines; et cela physiquement, et en tant qu'elles sont innées dans l'âme, qu'elles y sont inhérentes ; en n'attribuant à ces autres arts dont nous venons de parler, que la destination et les objets de ces facultés. Mais je ne vois pas que, sur cette partie-là, on ait fait de découverte vraiment grande; cependant nous n'avons garde de dire qu'elle nous manque entièrement. Cette même partie a aussi deux appendices sur les facultés de l'âme; deux sciences qui, vu la manière dont on les traite, n'ont produit que certaines fumées d'opinions obscures, et pas la moindre étincelle de vérité. L'une de ces appendices est la doctrine de la divination naturelle; l'autre, celle de la fascination. C'était avec raison que les anciens divisaient cette science de la divination en deux parties ; savoir : l'artificielle et la naturelle. L'Artificielle, raisonnant d'après les indications que fournissent les signes, tire ses prédictions de ces raisonnements. La naturelle pronostique d'après un certain pressentiment intérieur de l'âme, et sans le secours des signes. L'artificielle est de deux espèces. L'une raisonne d'après la connaissance des causes; l'autre, d'après la seule expérience, à laquelle elle donne aveuglément une certaine autorité : la dernière est le plus souvent superstitieuse. Telles étaient ces règles des Païens sur l'inspection des entrailles, le vol des oiseaux, etc. L'astrologie des Chaldéens fut encore plus célèbre, et n'en valait pas mieux. Mais ces deux espèces de divinations artificielles se trouvent dispersées dans les différentes sciences. L'Astrologue a ses prédictions fondées sur l'inspection de la situation des astres. Le médecin a aussi les siennes sur les approches de la mort, sur la convalescence, sur les symptômes futurs des maladies; prédictions qu'il tire de l'inspection des urines, du pouls et de l'extérieur des malades. Enfin, le politique a les siennes : "ô ville vénale! et qui périrais bientôt s'il se trouvait un acheteur" {Salluste, Guerre de Jugurtha, 38} : prédiction qui ne tarda pas à s'accomplir, d'abord en la personne de Sylla, puis en celle de César. Ainsi les prédictions de cette espèce n'entrent pas dans le plan de l'ouvrage dont nous parlons ici, et elles doivent être renvoyées aux arts auxquels elles sont propres. Mais enfin, c'est de cette divination qui tire sa vigueur d'une certaine force intérieure de l'âme, c'est de celle-là seulement qu'il s'agit ici : elle est de deux espèces; l'une, native; l'autre, produite par une sorte d'influence. La native s'appuie sur ce fondement : elle suppose que l'âme n'étant plus répandue dans les organes du corps, mais recueillie et concentrée en elle-même, a, en vertu de son essence, quelque prénotion de l'avenir. Et c'est ce dont on voit des exemples frappants dans les songes, dans les extases, aux approches de la mort; rarement durant la veille, on lorsque le corps est sain et vigoureux. Or, cet état de l'âme, on peut le produire ou du moins le faciliter par les abstinences et par tous ces moyens dont l'effet est de dégager l'âme de ses fonctions relatives au corps, et qui la mettent en état de jouir de sa propre nature, sans que les causes extérieures puissent l'en empêcher. La divination par influence se fonde sur cette autre supposition : que l'âme, semblable à un miroir, reçoit une certaine illumination secondaire de la préscience de Dieu et des esprits. Et c'est encore un état auquel, comme au premier, la disposition du corps et le régime peuvent contribuer. Car cette même abstraction de l'âme la rend aussi plus capable de jouir pleinement de sa propre nature, et plus susceptible des influences divines; si ce n'est que, dans cette divination par influence, l'âme est dans une sorte d'effervescence, et semble ne pouvoir soutenir la présence de la divinité (ce que les anciens qualifiaient de fureur sacrée); au lieu que, dans la divination native, sa disposition approche davantage d'un état de repos et de tranquillité. Quant à la fascination, c'est une force, un acte puissant de l'imagination sur le corps d'un autre individu; car, pour ce qui est de la force qu'exerce l'imagination sur le corps de celui même qui imagine, nous avons ci-dessus touché ce point en passant. Et c'est en quoi l'école de Paracelse, et tous ceux qui cultivent la fausse magie naturelle, ont donné dans l'excès au point d'égaler la force et l'appréhension de l'imagination, à cette foi qui opère des miracles. D'autres qui approchent plus de la vraisemblance, considérant avec plus de pénétration les énergies et les impressions occultes des choses, les irradiations des sens, les contagions qui se transmettent de corps à corps, et cette propriété qu'a la vertu magnétique d'agir à distance, en vinrent jusqu'à penser qu'à beaucoup plus forte raison, d'esprit à esprit, ces impressions, ces transmissions et ces communications pouvaient avoir lieu, l'esprit étant ce qu'il y a de plus fort et de plus actif, et en même temps de plus susceptible d'impressions, de plus facile à affecter. De là sont nées ces opinions, devenues presque populaires; comme celle d'un génie supérieur, celle qui fait croire que certains hommes portent malheur et sont de mauvais présage, celle des coups d'amour et d'onde, et autres semblables. A cette recherche s'en joint une autre où il s'agit de savoir comment on peut fortifier l'imagination et augmenter son intensité. Car, s'il est vrai qu'une imagination forte ait la puissance qu'on lui attribue, il serait utile sans doute de savoir par quels moyens on peut l'exalter, et faire qu'elle se surpasse, pour ainsi dire, elle-même; ce qui fournirait un moyen, indirect à la vérité, mais pourtant dangereux, de pallier et de défendre jusqu'à un certain point la plus grande partie de la magie cérémonielle. Ce serait en effet un prétexte assez spécieux, que de dire que ces cérémonies, ces caractères, ces enchantements, ces gesticulations, ces amulètes, et autres moyens semblables dont ils font usage, ne doivent point leur force à un certain pacte avec les mauvais esprits, soit tacite, soit continué par quelque sacrement; mais qu'ils ont simplement pour but de fortifier et d'exulter l'imagination, à peu près comme dans la religion on emploie les images pour fixer les esprits dans la contemplation, et pour exciter la dévotion de ceux qui prient. Mon sentiment néanmoins est qu'en accordant même que l'imagination ait cette force et cette puissance qu'on lui attribue; que de plus ces cérémonies augmentent cette force et lui donnent plus d'intensité ; qu'en accordant enfin que ces cérémonies tendent sincèrement et uniquement à ce but, que c'est même une sorte de remède physique, sans qu'il y entre le plus faible degré d'intention d'implorer le secours des esprits; mon sentiment, dis-je, est que de tels moyens doivent être tenus pour illicites, attendu qu'ils résistent et regimbent, pour ainsi dire, contre cette sentence que dieu a portée contre l'homme, à cause de son péché : "tu mangeras ton pain à la sueur de ton front". {Genèse, III, 19} Ces fruits si doux que Dieu a constitués comme le salaire du travail, cette sorte de magie les propose pour prix d'un petit nombre d'observances faciles, et qui n'exigent aucun travail. Restent deux doctrines qui se rapportent principalement aux facultés de l'âme inférieure ou sensible, vu qu'elles ont les relations les plus étroites avec les organes corporels : l'une traite du mouvement volontaire; l'autre, du sentiment et de l'être sensible. Dans la première, que d'ailleurs on a traitée d'une manière assez mesquine, il manque une partie presque en entier. En effet, s'agit-il de déterminer quelle est la fonction et la structure la plus parfaite des nerfs, des muscles et autres instruments requis pour ce mouvement; quelle partie se repose, tandis que telle autre se meut; de savoir aussi pourquoi c'est l'imagination qui maîtrise ce mouvement, et qui est ici, est en quelque manière, le cocher: en sorte que l'image à laquelle tend le mouvement, venant à disparaître, le mouvement est aussitôt intercepté, arrêté, comme nous le voyons par ce qui nous arrive à nous-mêmes lorsque nous nous promenons ; car si alors il nous survient quelque pensée vive et un peu fixe, nous nous arrêtons aussitôt : s'il s'agit enfin de tout cela et de quelques autres remarques assez fines, l'observation et les recherches se sont tournées de ce côté-là. Mais demande-t-on comment les compressions, les dilatations et les agitations de l'esprit, qui est sans contredit le principe du mouvement, peuvent fléchir, exciter, pousser une masse aussi grossière que celle du corps humain ; c'est un sujet sur lequel on n'a pas fait encore des recherches assez exactes, et qu'on n'a pas assez manié. Et doit-on en être étonné, quand on voit que l'âme sensible elle-même a été jusqu'ici regardée plutôt comme une entéléchie, comme une sorte de fonction, que comme une vraie substance? Mais, quand on se serait déjà assuré que c'est une substance vraiment corporelle, une vraie matière, encore resterait-il à savoir par quelle espèce de force une vapeur si déliée et en si petite quantité, peut mettre en mouvement une masse d'une si grande consistance et d'un si grand volume : ainsi cette partie est à suppléer, et l'on doit en faire l'objet d'une recherche particulière. Quant au sentiment même et à l'être sensible, on a poussé beaucoup plus loin les recherches sur ce sujet, tant dans les traités généraux composés dans cette vue, que dans certains arts particuliers, tels que la perspective et la musique : mais, s'il faut dire la vérité, c'est d'une manière qui ne répond nullement au but ; puisqu'après tout il n'est pas permis d'agréger cette partie aux choses à suppléer. Il est pourtant, dans cette doctrine même, deux parties vraiment importantes et dignes de considération, qui nous paraissent manquer : l'une a pour objet la différence de la perception et du sentiment; l'autre, la forme de la lumière. Or, quant à la détermination très exacte de la vraie différence qui existe entre la perception et le sentiment, c'est ce que les philosophes auraient dû mettre en tête de leurs traités sur le sentiment et l'être sensible; c'est au point vraiment fondamental; car nous voyons qu'il existe dans tous les corps naturels une certaine faculté de percevoir, et même une sorte de choix en vertu duquel ils s'unissent avec les substances amies, et fuient les substances ennemies. Or, nous ne parlons pas ici des perceptions les plus subtiles, telles que celles qui ont lieu, lorsqu'on voit l'aimant attirer le fer, la flamme s'élancer vers le naphte; une bulle approchée d'une autre bulle, s'y réunir; les rayons de lumière se réfléchir sur un corps blanc ; le corps d'un animal s'assimiler les substances qui lui sont utiles, et se débarrasser de l'inutile par les excrétions ; la partie d'une éponge, élevée au-dessus du niveau de l'eau, attirer ce fluide en chassant l'air; et d'autres semblables phénomènes. En effet, qu'est-il besoin de dénombrer les exemples de cette espèce? Ne sait-on pas que jamais corps approché d'un autre corps, ne le change et n'est changé par lui, si cette opération n'est précédée d'une perception réciproque ? Un corps perçoit les pores dans lesquels il s'insinue, il perçoit le choc d'un autre corps auquel il cède. Lorsqu'un corps étant retenu par un autre corps, celui-ci vient à s'éloigner; le premier, en se rétablissant, perçoit cet éloignement; il perçoit sa solution de continuité à laquelle il résiste pendant quelque temps. Enfin, la perception se trouve partout. La perception que l'air a du froid et du chaud, est si délicate, que son tact, à cet égard, est plus fin que le tact humain, qu'on regarde ordinairement comme la mesure du chaud et du froid. Ainsi, les hommes ont commis, relativement à cette doctrine, deux espèces de fautes : l'une est que le plus souvent ils l'ont négligée et laissée comme intacte, quoiqu'elle soit des plus importantes; l'autre, que ceux qui ont tourné leurs vues de ce côté-là, ont été beaucoup trop loin, attribuant le sentiment à tous les corps sans exception : en sorte que, selon eux, ce serait une sorte de sacrilège que d'arracher une branche d'arbre et s'exposer à l'entendre pousser des gémissements, comme celle de Polydore. Ils auraient dû pourtant chercher la véritable différence qui est entre la perception et le sentiment; et cela non pas seulement en comparant les êtres sensibles avec les êtres insensibles, quant à la totalité de leur corps, comme les plantes et les animaux; mais de plus tâcher de savoir pourquoi, même dans un seul corps sensible, il est tant d'actions qui s'exécutent sans le moindre sentiment: pourquoi les aliments sont digérés et rejetés par les excrétions; les humeurs et les sucs se portent, tantôt vers le haut, tantôt vers le bas; le coeur et les artères font leurs vibrations : enfin pourquoi tous les viscères, comme autant d'ateliers vivants, exécutent toutes leurs fonctions; et cependant tout cela, ainsi qu'une infinité d'autres choses, sans que le sentiment ait lieu et les fasse apercevoir. Mais les hommes n'ont pas eu la vue assez fine pour découvrir en quoi consiste l'action qui constitue la sensation ; quel genre de corps, quelle durée, quel redoublement d'impression est nécessaire pour que le plaisir et la douleur s'ensuivent. Enfin ils nous paraissent ne connaître en aucune manière la différence qui existe entre le sentiment et la perception, ni savoir jusqu'à quel point la perception peut avoir lieu sans le sentiment. Et ce n'est pas ici une simple dispute de mots, mais une question de la plus grande importance. Ainsi cette doctrine, singulièrement utile et qui mène à une infinité de connaissances, mérite aussi des recherches plus approfondies. Car c'est encore l'ignorance sur ce point qui a eu assez de pouvoir sur quelques anciens philosophes, pour les porter à croire qu'une âme était répandue dans tous les corps sans distinction; ils ne concevaient pas comment un mouvement avec choix pouvait avoir lieu sans le sentiment, ni comment le sentiment pouvait avoir lieu sans une âme. Quant à la forme de la lumière, qu'on n'ait pas fait sur ce sujet les recherches nécessaires, après tant de travaux sur la perspective, n'est-ce pas une négligence bien faite pour étonner? En effet, ni dans la perspective, ni ailleurs, on ne trouve de recherche qui mérite attention. On parle assez de la marche des rayons de la lumière ; quant à ses origines, on n'en dit mot. Mais l'usage où l'on est de placer la perspective clans les mathématiques, est la véritable cause de cette omission, ainsi que d'une infinité d'autres, parce qu'on s'est trop tôt éloigné de la physique. Or, la manière dont on traite de la lumière et de ses causes, même quand on lui donne place dans la physique, est presque toujours superstitieuse. Il semble qu'on la regarde comme une substance moyenne entre les choses divines et les choses naturelles, et cela au point que tel Platonicien a avancé qu'elle était plus ancienne que la matière même; que l'espace étant une fois développé, il fut d'abord rempli par la lumière, puis par les corps de toute espèce. Tel est le conte qu'ils ont imaginé, quoique l'écriture sainte dise positivement que la masse ténébreuse du ciel et de la terre fut créée avant la lumière ; mais dans les ouvrages où l'on traite ce sujet physiquement, et d'après les sensations, on se hâte de descendre aux détails de la marche des rayons, en sorte qu'il n'est point, sur ce sujet, de recherche vraiment physique. Les hommes auraient dû pourtant rabaisser un peu leur contemplation, et chercher ce qu'il y a de commun entre tous les corps lumineux, c'est-à-dire la forme de la lumière. En effet, quelle différence infinie, quant à la matière (si nous les considérons par rapport à leur dignité), entre le soleil et le bois pourri, et même les écailles putréfiées des poissons. Ils auraient dû aussi chercher pourquoi certains corps étant chauffés, deviennent lumineux, et d'autres point. Pourquoi le fer, les métaux, les pierres, le verre, les bois, l'huile, le suif, sont enflammés par le feu, ou du moins poussés jusqu'au rouge; tandis que l'eau et l'air exposés à une chaleur très forte et comme furieuse, n'ont pourtant rien de lumineux, et sont sans éclat: que si quelqu'un, pour rendre raison de cette différence, prétendait que le propre du feu est de luire, et que l'eau, ainsi que l'air, sont tout-à-fait ennemis du feu, cet homme- là n'aura donc jamais été à la rame sur mer, durant une nuit obscure, et par un temps chaud ; car alors il aurait vu les gouttes d'eau que le choc des rames fait sautiller, toutes brillantes et toutes lumineuses. C'est ce qu'on observe aussi dans l'écume d'une mer fort agitée, et ce qu'on appelle "poumon marin". Enfin, qu'ont de commun avec la flamme et les corps rougis au feu, les vers luisants, les lucioles; et cette mouche de l'Inde, qui éclaire toute une chambre ; et les yeux de certains animaux, qui étincellent dans les ténèbres; et le sucre, qui brille lorsqu'on le rappe ou le broie ; et la sueur de certain cheval galopant durant la nuit, sueur qui était toute lumineuse; et une infinité de phénomènes semblables. Il y a plus : les hommes ont des vues si bornées sur ce sujet, qu'ils s'imaginent que ces étincelles qu'on tire d'un caillou, sont de l'air enflammé par le frottement. Cependant, puisque l'air ne prend point feu, et qu'il ne laisse pas de devenir sensiblement lumineux; comment se peut-il que les hiboux, les chats et quelques autres animaux, voient durant la nuit? Il faut bien supposer que l'air même (car la vision ne peut avoir lieu sans la lumière), que l'air, dis-je, recèle une certaine lumière native et originelle, quoique faible et peu sensible; lumière qui pourtant étant proportionnée à leurs rayons visuels, les met en état de voir durant la nuit. Mais la source de cette erreur et d'une infinité d'autres, est que les hommes ne s'attachent pas assez aux faits particuliers, pour en extraire les formes communes des natures, formes que nous avons constituées comme le sujet propre de la métaphysique, qui n'est elle-même qu'une partie de la physique, ou de la science de la nature. Ainsi, il faut faire de la forme et des causes de la lumière, un sujet de nouvelles recherches, et en attendant, la classer parmi les choses à suppléer. Voilà donc ce que nous avions à dire sur la doctrine de la substance de l'âme, tant rationnelle que sensitive, considérée avec ses facultés, et sur les appendices de cette science.