[3] III. De la négligence des anciens dans leur recherche sur le mouvement et sur les principes du mouvement. Placer l'étude de la nature dans l'examen et la contemplation du mouvement, c'est se montrer habile observateur des phénomènes; mais observer et présenter les principes inertes des choses, c'est vouloir dire des mots et soulever des discussions. J'appelle inertes les principes qui enseignent de quoi les choses se composent et en quoi elles consistent, mais qui ne disent rien de la puissance et du moyen qui les réunissent. Il ne suffit pas, et il importe peu, pour agir et étendre la puissance ou la pratique scientifique, de connaître de quoi les choses se composent si l'on en ignore les règles et les moyens de mutations et de transformations. Prenons pour exemple les arts mécaniques, dont les inventions semblent avoir produit toutes ces hautes recherches sur les principes des choses. Celui qui connaît les simples ingrédients de la thériaque pourra-t-il par cela même la composer ? ou bien celui qui a sous a main les véritables matériaux pour fabriquer du sucre, du verre ou des étoffes, semble-t-il posséder l'art qui les prépare et les confectionne? Et c'est cependant à la recherche et à l'étude de ces principes inertes que les hommes se sont spécialement appliqués, semblables en cela à celui qui se proposerait et se contenterait de se livrer à l'anatomie de la nature morte, sans rechercher les facultés et les propriétés de la nature vivante. Ce n'est pour ainsi dire qu'en passant qu'on a parlé des principes du mouvement, de sorte qu'on ne saurait assez s'étonner de voir avec quelle négligence et quel abandon on s'est livré à l'étude et à la recherche de ce qu'il y a de plus grand et de plus utile. Car examinons un peu les questions dont on s'occupe communément pour déterminer s'il y a excitation de la matière par la privation, s'il y a passage de la matière à l'idée, s'il y a agrégation de particules semblables, s'il y a mouvement fortuit des atomes dans le vide, s'il y a divergence et concordance, s'il y a mouvements réciproques du ciel et de la terre, s'il y a harmonie des éléments par des propriétés inconnues, s'il y a influence des corps célestes, s'il y a sympathies et antipathies des choses, s'il y a des vertus occultes et des propriétés spécifiques, s'il y fatalité, fortune et nécessité, et autres généralités semblables qui ne sont, à vrai dire, que des spectres et des fantômes qui nagent et se jouent sur la surface des choses comme sur celle des eaux. Nous le demandons, de telles spéculations amélioreront-elles la condition humaine ou étendront-elles le domaine des sciences? Telles sont celles cependant qui remplissent ou qui enflent plutôt l'imagination, sans résultat utile pour la découverte des phénomènes, la mutation des corps ou la détermination du mouvement. Car, quant au mouvement violent et naturel, au mouvement spontané et d'autre espèce, aux termes du mouvement, on ne s'est livré qu'à de creuses arguties et on ne s'est appliqué qu'à de petites subtilités; on n'a pas cherché à pénétrer dans les entrailles de la nature, mais on s'est plutôt arrête à l'écorce. Qu'on quitte donc cette voie, et que de semblables discussions soient abandonnées de bas discoureurs; qu'on recherche enfin les penchants et les affectloins des choses, source d'où jaillit l'immense variété d'effets et de mutations qui nous surprend dans les oeuvres de l'art et de la nature. Tàchons de lier la nature comme Aristée enchaina Protée ; car il y a à découvrir et à dénouer différentes espèces de mouvements, qui sont de véritables chaines de Protée. Qu'on trouve en effet les causes et les difficultés du mouvement, c'est-à-dire des causes motrices et répulsives, et l'on parviendra facilement ensuite à la conversion et à la transformation de la matière même.