LIVRE III L'étude de la sagesse, étude que nous appelons philosophie, paraît généralement embrasser trois spécialités ou parties : une qui s'applique à la nature, une qui s'applique à la morale, et une troisième, dont je me propose de parler maintenant, qui s'applique au raisonnement dans le discours et qui constitue la logique. Puisque nous allons parler du discours, disons d'abord qu'il se produit sous une variété infinie de formes : il commande, il informe, il raconte ; il exprime le courroux, le souhait, le voeu, la colère, la haine, l'envie, la faveur, la pitié, l'admiration, le mépris, le reproche, le repentir, la douleur ; il est tantôt voluptueux, tantôt terrible ; et dans ces genres divers, l'orateur excellent sait restreindre les pensées qui sont trop vastes, développer celles qui ne le sont pas assez ; il met son talent à présenter des idées ordinaires sous une tournure élégante, des idées neuves sous une physionomie qui semble tout habituelle, et réciproquement des idées communes sous une physionomie nouvelle ; à affaiblir les grandes pensées, à faire naître des plus petits moyens les plus grands effets ; son art enfin se compose d'une foule de secrets du même genre. Parmi les différentes formes sous lesquelles se présente le discours, il en est une sur laquelle nous nous proposons d'insister : c'est la forme énontiative, pronuntiabilis. Cette forme procède par sens finis, et elle est la seule pour laquelle on puisse reconnaître erreur ou vérité. Sergius l'appelle effatum (principe), Varron, proloquium (idée première), Cicéron, enuntiatum (énoncé), les Grecs, protase, d'autres fois axiome, ce qui signifie à la lettre protension ou question ; j'emploierai le terme plus usité de proposition. Les propositions donc, comme les conclusions mêmes auxquelles elles aboutissent, sont de deux espèces. Les unes sont positives et en même temps simples, comme quand on dit : Celui qui règne est heureux ; les autres sont subordonnées ou conditionnelles et en même temps composées, comme quand on dit : Celui qui règne, s'il est sage, est heureux ; car on subordonne une condition par laquelle s'il n'y a pas sagesse il n'y aura pas bonheur. Nous allons présentement parler des positives, qui par leur nature sont les premières et sont en quelque sorte l'élément des propositions subordonnées. Il existe encore d'autres différences entre les propositions, selon qu'elles ont ou plus d'extension ou plus de compréhension. Ce qui constitue la différence d'extension, c'est que les unes sont générales, comme : Tout ce qui respire est vivant ; les autres, particulières, comme : Certains animaux ne respirent pas ; d'autres sont indéfinies, comme : Un animal respire ; car on ne précise pas si c'est tout animal, ou certain animal : du reste, ces dernières sont toujours regardées comme particulières, parce que, dans l'incertitude, il est plus prudent de se décider pour ce qui a le moins d'extension. Ce qui constitue leur différence de compréhension, c'est que les unes sont attributives, en ce sens qu'elles attribuent un état à tel ou tel sujet, comme : La vertu est un bien : cette proposition indique que la vertu a le bien pour attribut. Les autres sont négatives, en ce sens qu'elles nient l'existence de tel attribut chez tel ou tel sujet, comme : La volupté n'est point un bien : on nie que le bien soit un attribut inhérent à la volupté. Les stoïciens croient faire aussi une proposition attributive, quand ils disent : Il arrive à certaine volupté de n'être point un bien. C'est indiquer ce qui arrive à la vertu ou indiquer ce qu'elle est. Conséquemment, disent-ils, c'est là une proposition attributive, parce qu'il y est parlé de l'existence d'un attribut à propos d'un sujet dans lequel cet attribut paraît ne pas exister. En un mot les stoïciens n'appellent propositions dénégatives, que celles qui sont précédées de la particule négative. Mais en ce point, comme en d'autres, ils ne peuvent appuyer leur dire ; car, qu'on pose ainsi la formule : Ce qui n'a aucune substance n'est pas, ils seront contraints, d'après leur énoncé, de reconnaître que ce qui n'est pas, ce qui n'a aucune substance, existe pourtant. Du reste, la proposition, comme dit Platon dans le Théétète, se réduit rigoureusement à deux des parties du discours, le nom et le verbe : comme Apulée disserte ; ce qui est vrai ou faux, et par conséquent forme une proposition. Quelques uns même ont cru pouvoir en induire que ce sont les deux parties uniques du discours, parce qu'à elles seules elles peuvent constituer le discours parfait, autrement dit, parce qu'elles renferment un sens complet. Suivant cette opinion, les adverbes, les pronoms, les participes, les conjonctions, et les autres termes énumérés par les grammairiens, ne sont pas plus des parties du discours que les ornements ne font partie intégrante du vaisseau, que les poils ne font partie de l'homme ; ou au moins, le discours étant comparé à un bâtiment, toute cette nomenclature grammaticale n'en représentera que les clous, la poix et le goudron. Quoi qu'il en soit, des deux parties ci-dessus énoncées, l'une est appelée sujet, comme étant effectivement subordonnée : c'est Apulée ; l'autre est l'attribut, disserte, ou bien ne disserte pas : elle attribue effectivement à Apulée tel ou tel fait. Il est permis, en laissant la même valeur à chacun de ces éléments, de développer l'un ou l'autre en un plus grand nombre de mots ; par exemple, au lieu d'Apulée, on peut dire : Le philosophe platonicien de Madaure. De même, au lieu de disserte, on peut dire : Se livre à une dissertation. D'ordinaire, le sujet a moins d'extension, et l'attribut en a davantage, pouvant s'appliquer non seulement au sujet de la proposition mais encore à d'autres ; car Apulée n'est pas le seul qui soit discourant : un grand nombre d'autres sont dans le même cas, et le même attribut peut leur convenir pareillement. Toutefois, l'attribut peut être l'énoncé d'un fait exclusivement propre au sujet, comme quand on dit : L'être appelé cheval a la propriété de hennir. C'est un fait particulier au cheval que celui de hennir ; et dans ces phrases toutes particulières, il y a parité d'extension dans le sujet et dans l'attribut. Ce dernier, contrairement aux autres cas, n'a pas plus d'extension ; si bien qu'il est possible de renverser l'ordre et de mettre pour sujet ce qui était d'abord l'attribut en disant d'une manière inverse : L'être qui a la propriété de hennir est l'être appelé cheval. Or, on ne peut intervertir ainsi quand les deux termes n'ont pas même extension. Effectivement, bien qu'il soit vrai que tout homme est un animal, néanmoins, si vous prenez l'inverse, il ne sera pas vrai pour cela que tout animal soit un homme ; attendu que l'état d'animal n'est pas exclusivement le partage de l'homme, comme l'état de hennissant l'est du cheval, et qu'au contraire il y a outre l'homme une quantité innombrable d'animaux. Conséquemment, lorsque les termes de la proposition sont intervertis, l'attribut se reconnaît à plusieurs traits distinctifs. D'abord, cet attribut peut avoir plus d'extension que le sujet ; ensuite, il n'est jamais exprimé par un nom, il l'est toujours par un verbe, et même cette dernière propriété empêcherait à elle seule de confondre entre eux le sujet et l'attribut, ce dernier se trouvât-il avoir autant d'extension que le sujet. Pareillement, si l'on étudie leurs points de ressemblance, on verra que, comme il y a des propositions déterminées et des propositions indéterminées, de même il est constant que le sujet et l'attribut sont tantôt déterminés, comme animal, homme ; tantôt indéterminés, comme qui n'est pas animal, qui n'est pas homme. En effet, on ne détermine pas ce qu'est tel sujet ou tel attribut, quand il n'est pas animal, quand il n'est pas homme ; on indique seulement qu'il est autre chose que cela. Maintenant, il faut dire quel est le rapport des quatre propositions entre elles, et il sera bon de les considérer d'après une figure linéaire. Soit donc sur une ligne supérieure une proposition générale attributive, et une proposition générale dénégative, comme : Toute volupté est un bien ; - Nulle volupté n'est un bien ; et soient appelées ces deux propositions, propositions contraires. De même, sur une ligne inférieure et au-dessous de chacune des deux générales, plaçons leurs particulières corrélatives : Certaine volupté est un bien ; - Certaine volupté n'est pas un bien ; et appelons ces deux dernières sous-contraires entre elles. Ensuite menons des ligues obliques qui se coupent, l'une allant de la générale attributive à la particulière dénégative ; l'autre, de la particulière attributive à la générale dénégative. De cette manière, nous établirons un nouveau rapport de propositions à extension et à compréhension inverses, que nous appellerons contradictoires. De ces dernières, il faut absolument que l'une ou l'autre soit vraie, ce qui constitue l'entière et parfaite contradiction ; mais entre les deux propositions sous-contraires et entre les deux propositions contraires, il n'y a qu'une demi-contradiction. Sans doute deux contraires ne sont jamais vraies ensemble, mais quelquefois elles sont fausses ensemble ; réciproquement, deux sous-contraires ne sont, à la vérité, jamais fausses ensemble, mais quelquefois elles sont vraies ensemble ; et par conséquent la réfutation de laquelle des deux l'on voudra est précisément la preuve de l'autre, sans que pourtant, par réciproque, la preuve de la vérité de l'une soit la réfutation de l'autre. Démontrer la vérité de laquelle on voudra des contraires, c'est par le fait même nier l'autre, sans que néanmoins la réciproque soit vraie et que réfuter l'une ce soit prouver l'autre. A l'égard des contradictoires, prouver n'importe laquelle c'est toujours réfuter l'autre, et réfuter l'une c'est toujours prouver l'autre. Enfin, chacune des deux propositions générales, quand elle est établie, établit sa particulière, et néanmoins peut être réfutée sans la détruire ; de même que, vice versa, toute proposition particulière infirme par sa réfutation la générale correspondante, et ne l'établit pourtant pas par sa preuve. On vérifiera sans peine tous ces principes, en jetant les yeux sur les propositions elles-mêmes combinées dans la figure que voici : Toute volupté est un bienContrairesNulle volupté n'est un bien Certaine volupté est un bienSub-contrairesCertaine volupté n'est pas un bien Il est certain, du reste, qu'il y a concession faite du moment qu'il y a proposition. On détruit l'une ou l'autre des propositions générales de trois manières : en démontrant ou que sa proposition particulière est fausse, ou que sa contraire est vraie, ou encore que sa sub-contraire est vraie ; mais on n'établit cette même proposition générale que d'une seule manière, en démontrant que sa contradictoire est fausse. Pareillement, on détruit la proposition particulière d'une seule manière, en démontrant la vérité de sa contradictoire ; et on l'établit de trois manières, en démontrant ou que la proposition générale correspondante est vraie, ou que l'une des deux autres, à savoir sa sub-contraire ou sa contradictoire, est fausse. Nous observerons la même chose dans les propositions équipollentes. Or, on appelle équipollentes celles qui sous des énoncés différents ont la même valeur : elles sont ou vraies ensemble ou fausses ensemble, et se prouvent conséquemment l'une par l'autre, comme la proposition indéfinie et la proposition particulière. De plus, si une proposition quelconque prend à son commencement la particule négative, elle équivaut à sa contradictoire ; soit, par exemple, la proposition générale affirmative : Toute volupté est un bien : si on la fait précéder d'une négation, on aura : Toute volupté n'est pas un bien ; proposition qui équivaut à la contradictoire de la précédente : Certaine volupté n'est pas un bien. Il faut savoir qu'il en est de même pour les trois autres propositions. Passons maintenant à la conversion. Les propositions qui peuvent être converties sont la générale négative et sa contradictoire, c'est-à-dire la particulière affirmative. Cela tient à ce que les éléments constitutifs de ces propositions, c'est-à-dire le sujet et l'attribut, peuvent toujours changer de place entre eux sans qu'elles cessent d'être vraies ou fausses comme auparavant. En effet, comme cette proposition-ci est vraie : Nul homme sensé n'est impie ; de même, si vous changez les deux membres de place, il sera vrai de dire : Nul impie n'est sensé. Pareillement, comme c'est une proposition fausse que celle-ci : Nul homme n'est animal ; de même, en l'intervertissant, elle sera fausse encore : Nul animal n'est homme. Le même procédé de conversion s'applique à la particulière affirmative : Certain grammairien est homme, et Certain homme est grammairien. On ne peut pas toujours opérer de même sur les deux autres propositions. Ce n'est pas que parfois on ne les intervertisse ; mais néanmoins elles ne sont pas pour cela appelées conversibles ; car il suffit qu'une opération trompe dans quelques cas, pour qu'on la regarde comme incertaine et qu'on la rejette. Il faut donc pour chaque proposition s'assurer par tous les sens qu'elle présente si elle conserve encore son caractère distinctif après la conversion. Ces propositions qui ne se convertissent pas simplement ne sont pas très nombreuses : elles se réduisent à cinq seulement. En effet, on énonce d'un sujet ou sa nature propre, ou son genre, ou sa différence, ou son essence, ou son accident ; hors ces cinq espèces d'attributs, on ne saurait en trouver d'autres pour établir une proposition. Par exemple, que le sujet soit homme, tout ce que vous pourrez dire de lui se rapportera ou à une propriété, comme ayant la faculté d'éclater de rire ; ou au genre, comme animal ; ou à la différence, comme raisonnable ; ou à la définition, comme animal raisonnable mortel ; ou à une circonstance accidentelle, comme orateur. En effet, tout attribut peut à son tour devenir sujet ou bien ne le peut pas ; or, quand il le peut, il exprime ce qu'est la chose, et c'est une définition, ou il ne l'exprime pas, et c'est une propriété. Si au contraire il ne le peut pas, ou il est ce qui doit figurer dans toute définition, c'est-à-dire il est ou genre ou différence ; ou il est ce qui ne doit pas y figurer, et il est une manière d'être purement accidentelle. En appliquant ces principes on reconnaîtra qu'une particulière négative n'est pas susceptible d'être convertie. Une proposition générale affirmative elle-même n'est pas susceptible d'être convertie ; mais pourtant si la proposition, en restant affirmative, devient particulière, elle peut subir ce changement. Ainsi, soit la proposition : Tout homme est un animal, elle ne peut être ainsi convertie : Tout animal est un homme ; et si on en fait une proposition particulière, on pourra dire : Certain animal est un homme. Mais cela n'a lieu que pour la conversion la plus simple de toutes, laquelle en logique se nomme réflexion. En effet il y a une autre manière de convertir les propositions, qui change non seulement l'ordre mais encore la qualité même de leurs parties constitutives. Ainsi un sujet, un attribut particuliers deviennent généraux et vice versa. Or, ce mode de conversion s'applique aux deux propositions qui restent, à savoir, la générale affirmative et la particulière négative ; exemples : Tout homme est un animal ; Tout ce qui n'est pas animal, n'est pas homme ; et encore : Certain animal n'est pas raisonnable ; Certain être non raisonnable est animal. Il en est constamment ainsi, comme on peut s'en convaincre au moyen des cinq espèces d'attributs précitées. Il y a des cas où plusieurs propositions peuvent concourir à former un même raisonnement : c'est quand elles ont un terme commun qui les unit les unes aux autres. Ce terme commun, que l'on nomme moyen terme, peut être ou sujet dans les deux propositions, ou attribut dans chacune d'elles, ou sujet dans l'une et attribut dans l'autre. De là par conséquent, trois formes que les logiciens nomment figures. La première, quand le terme commun est sujet dans une proposition et dans l'autre attribut. Or, nous donnons à cette forme le nom de première, non pas seulement parce que dans l'énumération il faut commencer par une, mais en outre parce qu'elle donne les conclusions les plus importantes. La dernière est la troisième, parce qu'elle ne conclut qu'au particulier ; et la deuxième passe avant elle, parce que si elle n'aboutit, il est vrai, qu'à des conclusions négatives, ces conclusions du moins sont générales. La supériorité de la première tient à ce qu'elle conduit à des conclusions de toute espèce. J'appelle conclusion ou proposition déduite celle qui s'infère et se conclut d'un fait concédé par l'adversaire, d'une concession. Une concession, c'est une proposition dont cet adversaire accorde la vérité. Soit, par exemple, cette phrase : Toute chose honnête est-elle bonne ? Voilà une proposition. Or, si l'adversaire déclare y donner son assentiment, elle devient une concession ; on supprime la forme interrogative, et on a une proposition générale : Toute chose honnête est bonne. Joignez-y une seconde concession, ou, en d'autres termes, une seconde proposition : Toute chose bonne est utile. De ce rapprochement, comme bientôt nous le montrerons, résulte un premier mode de proposition concluante, laquelle est générale si la conclusion est directe ; comme par exemple : Donc toute chose honnête est utile ; et particulière, si la conclusion est formée en convertissant : Donc certaine chose utile est honnête. Car en convertissant des propositions générales affirmatives, on ne peut obtenir que des propositions particulières. Or, je dis qu'il y a conclusion directe quand le sujet est le même aussi bien dans les propositions concédées que dans la proposition concluante ; et pareillement, quand l'attribut est le même dans l'une et dans l'autre. Il y a conclusion indirecte, quand le contraire de ce que nous venons de dire a lieu. Du reste, tout ce raisonnement, qui consiste en propositions concédées et propositions concluantes, s'appelle conclusion ou syllogisme. Suivant Aristote on peut très convenablement définir le syllogisme : Un discours dans lequel certaines choses étant accordées, il en résulte nécessairement quelque autre chose outre ce qui est accordé, mais par suite de ce même qui a été accordé. Dans cette définition il ne s'agit d'autre forme de discours que de la forme assertive, laquelle seule est absolument vraie ou absolument fausse. On y dit exprès au pluriel, certaines choses étant accordées, parce qu'une seule proposition ne suffirait pas pour faire un raisonnement. Nous voulons toujours conclure non à ce qu'on nous accorde, mais à ce qu'on ne nous accorde pas ; c'est pour cela que la définition porte : Il résulte nécessairement quelque autre chose outre ce qui est accordé. Il importe beaucoup de distinguer s'il s'agit d'une chose qui existe actuellement ou d'une chose qui n'arrivera que sous certaines conditions préalables. La définition dit encore : Il résulte nécessairement ; elle s'exprime ainsi, pour qu'on distingue le syllogisme rigoureux de la simple induction qui argumente d'après des similitudes. Car dans l'induction aussi certaines choses sont accordées ; comme, par exemple : L'homme meut sa mâchoire inférieure ; le cheval meut sa mâchoire inférieure : de même le boeuf et le chien. De ces concessions on arrive à quelque autre induction ; à celle-ci, par exemple : Ainsi pareillement tout animal meut sa mâchoire inférieure. Or, c'est ce qui n'est pas vrai à l'égard du crocodile ; on peut, tout en accordant les premières propositions, se refuser ici à leur conséquence ; tandis que s'il y avait eu syllogisme, on n'aurait pu se refuser à cette conclusion, qui existe virtuellement dans ce qu'on a accepté : c'est ce qui motive ces mots, il résulte nécessairement. Enfin, la dernière partie de la définition n'est pas elle-même sans portée : elle montre que c'est par suite de ce qui a été accordé qu'on doit arriver à la conclusion, et qu'autrement celle-ci est illusoire. Mais voilà assez de développements à cet égard. Disons maintenant de quelles manières et par quelles combinaisons on pourra en se renfermant dans un certain nombre de propositions assertives arriver à des conclusions véritables : c'est ce qu'on appelle figures. Par une première figure on trouve seulement neuf modes, dont six sont concluants ; dans la deuxième, quatre modes, dont trois sont concluants ; dans la troisième, six modes, dont cinq sont concluants. Je parlerai prochainement de chacun de ces modes en leur ordre ; mais je dois dire à l'avance que les particulières seules ou les négatives seules ne sauraient donner des conclusions logiquement satisfaisantes, attendu que souvent même elles peuvent en donner de fausses. Pareillement, quel que soit le nombre des propositions affirmatives, si on les combine avec une seule qui soit négative, la conclusion devient non pas affirmative, mais négative ; tant est grande l'influence d'une seule de cette espèce mêlée aux autres ! Semblable est la force des propositions particulières : une d'elles, quelle qu'elle soit, mêlée à des générales, donne pour concluante une proposition particulière. Dans la première figure, le premier mode est celui qui de prémisses générales affirmatives tire directement une conclusion générale affirmative ; exemple : Toute chose juste est honnête : Toute chose honnête est bonne : Donc toute chose juste est bonne. Mais si vous concluez par conversion : Donc certaine chose bonne est juste, la même combinaison donnera le cinquième mode. Car une générale affirmative ne peut être convertie que de cette manière, comme je l'ai indiqué précédemment. Le deuxième mode est celui dans lequel on conclut directement à une négative générale d'une générale affirmative et d'une générale négative ; exemple : Toute chose juste est honnête : Nulle chose honnête n'est honteuse : Donc nulle chose juste n'est honteuse. Mais si vous concluez par conversion, Donc nulle chose honteuse n'est juste, vous obtiendrez le sixième mode. Car, comme nous avons dit, la proposition générale négative se convertit simplement. Seulement, n'oublions pas que c'est de l'affirmative que doit être tiré le sujet de la proposition concluante dans le deuxième mode ; c'est pour cela qu'il faut considérer cette proposition affirmative comme la majeure, quand même on énoncerait d'abord la négative. Et en général c'est la proposition la plus influente du syllogisme qui doit être considérée comme la majeure. Dans le sixième mode, le sujet est tiré d'une proposition négative. Voilà la seule différence qui distingue ces deux modes. Il y a, en outre, le troisième mode dans lequel d'une affirmative particulière et d'une affirmative générale on conclut directement à une particulière affirmative ; exemple : Certaine chose juste est honnête : Toute chose honnête est utile : Donc certaine chose juste est utile. Mais si vous concluez par conversion : Donc certaine chose utile est juste, vous produirez le septième mode, attendu, comme il a été dit, qu'une particulière affirmative se convertit d'elle-même. Le quatrième mode est celui où, d'une particulière affirmative et d'une générale négative, on conclut directement à une particulière négative ; exemple : Certaine chose juste est honnête : Nulle chose honnête n'est honteuse : Donc certaine chose juste n'est pas honteuse. Ce quatrième mode a des propriétés qui sont opposées à celles des précédentes. En effet, le huitième et le neuvième mode auxquels il donne naissance conservent sa conclusion, et cela sans la convertir comme on l'a fait pour les autres modes. Ils convertissent seulement les prémisses elles-mêmes en les remplaçant par des propositions équivalentes, et ils en changent l'ordre, mettant la négative en premier. C'est pourquoi on dit qu'ils concluent par conversion de prémisses. En effet, convertissez la prémisse universelle négative du quatrième mode, faites-la suivre de l'universelle affirmative obtenue par la conversion de la particulière affirmative, et vous aurez le huitième mode qui par conversion tire de deux universelles, l'une négative et l'autre affirmative, une concluante particulière négative ; exemple : Nulle chose honteuse n'est honnête : Toute chose honnête est juste : Donc certaine chose juste n’est pas honteuse. Le neuvième mode est le produit d'une semblable conversion : d'une générale négative et d'une particulière affirmative, il conclut par conversion à une particulière négative : Nulle chose honteuse n'est honnête : Certaine chose honnête est juste : Donc certaine chose juste n'est pas honteuse. Veut-on savoir pourquoi à lui seul le quatrième mode en a formé deux, tandis que tous les autres n'en donnent chacun qu'un seul ? La raison en est que si dans le premier mode les deux prémisses sont converties, il y aura une combinaison de deux particulières qui ne conclura à rien. Si on convertit l'une seulement, on obtiendra la deuxième ou la troisième figure. De même, si dans le deuxième mode on convertit ces deux mêmes prémisses, on aura la combinaison du neuvième, laquelle nous avons déjà démontré naître du quatrième, attendu que la générale affirmative du deuxième mode ne peut se convertir qu'en une particulière ; et si on n'en convertit qu'une, on aura la deuxième figure ou la quatrième. Or, de ces neuf modes contenus dans la première figure, les quatre premiers sont appelés indémontrables ; non pas qu'ils ne puissent se démontrer, comme le pense d'eux tous Ariston, ou qu'on soit à leur égard comme à l'égard de la quadrature du cercle ; mais parce que ces modes sont si simples et si évidents qu'ils n'ont pas besoin de démonstration ; à tel point que ce sont eux qui engendrent les autres, et leur communiquent le caractère d'évidence qu'ils ont eux-mêmes. Maintenant nous allons donner les modes de la deuxième figure : le premier mode, dans la deuxième figure, est celui qui, d'une générale affirmative et d'une générale négative, conclut directement à une générale négative ; exemple : Toute chose juste est honnête : Nulle chose honteuse n'est honnête : Donc nulle chose juste n'est honteuse. Ce mode se ramène au deuxième des modes indémontrables, si on y convertit les termes de la deuxième proposition. Le deuxième mode est celui qui, d'une générale négative et d'une générale affirmative, conclut directement à une générale négative ; exemple : Nulle chose honteuse n'est honnête : Toute chose juste est honnête : Donc nulle chose honteuse n’est juste. Ce mode ne diffère du précédent par sa combinaison qu'en ceci : à savoir, qu'il prend le sujet de la proposition concluante dans la proposition négative ; or, cela tient à ce que l'ordre des prémisses a été interverti, ce qui ne peut avoir lieu dans la première figure. Le troisième mode est celui qui, d'une particulière affirmative et d'une générale négative, conclut directement à une particulière négative ; exemple : Certaine chose juste est honnête : Nulle chose honteuse n'est honnête : Donc certaine chose juste n'est pas honteuse. Intervertissons dans ce syllogisme les deux termes de la générale négative ; nous aurons le quatrième mode indémontrable, d'où naît celui-ci. Le quatrième mode est celui qui, d'une particulière négative et d'une générale affirmative, conclut directement à une particulière négative ; exemple : Certaine chose juste n'est pas honteuse : Toute chose mauvaise est honteuse : Donc certaine chose juste n'est pas mauvaise. Ce mode est le seul qui se démontre par l'impossible, procédé dont nous parlerons quand nous aurons exposé les modes de la troisième figure. Dans la troisième figure, le premier mode est celui qui, de deux générales affirmatives, conclut à une particulière affirmative soit directement soit par conversion ; exemple : Toute chose juste est honnête : Toute chose juste est bonne : Donc certaine chose honnête est bonne ; ou bien ainsi : Donc certaine chose bonne est honnête. Car peu importe à laquelle des deux prémisses vous empruntiez le sujet de la conclusion, parce que peu importe lequel de leurs attributs vous énonciez le premier. Le deuxième mode est celui qui, d'une particulière affirmative et d'une générale aussi affirmative, conclut directement à une particulière affirmative ; exemple : Certaine chose juste est honnête : Toute chose juste est bonne : Donc quelque chose honnête est bonne. Le troisième mode est celui qui, d'une générale affirmative et d'une particulière affirmative, conclut directement à une particulière affirmative ; exemple : Tout ce qui est juste est honnête : Certaine chose juste est bonne : Donc certaine chose bonne est honnête. Le quatrième mode est celui qui, d'une générale affirmative et d'une générale négative, conclut directement à une particulière négative ; exemple : Toute chose juste est honnête : Nulle chose juste n'est mauvaise : Donc certaine chose honnête n'est pas mauvaise. Le cinquième mode est celui qui, d'une particulière affirmative et d'une générale négative, conclut directement à une particulière négative ; exemple : Certaine chose juste est honnête : Nulle chose juste n'est mauvaise : Donc certaine chose honnête n'est pas mauvaise. Le sixième mode est celui qui, d'une générale affirmative et d'une particulière négative, conclut directement à une particulière négative ; exemple : Toute chose juste est honnête : Certaine chose juste n'est pas mauvaise : Donc certaine chose honnête n'est pas mauvaise. De ces six modes, les trois premiers se ramènent au troisième des indémontrables, si on convertit la première proposition du premier et du deuxième ; pour le troisième, il offre la même combinaison que le deuxième, n'en différant qu'en ce qu'il tire son sujet de celle des prémisses du deuxième, qui est une générale. Aussi on le ramène au troisième des indémontrables, en convertissant non seulement une des prémisses, mais encore la conséquente. De même le quatrième et le cinquième naissent du quatrième indémontrable, si on convertit la première de leurs prémisses. Pour le sixième mode, on ne pourra par la conversion ni d'une ni de deux de ses prémisses le ramener à quelqu'un des indémontrables : il ne peut se prouver que par l'impossible. Il a cela de commun avec le quatrième de la deuxième figure ; et c'est pour cela que tous les deux ils sont comptés les derniers. Quant aux autres, leur ordre est disposé, dans toutes les figures, selon l'importance diverse qu'ils prennent en raison des prémisses qui y sont combinées et de leurs conclusions ; car comme l'affirmation s'énonce avant la négation, et que le général a le pas sur le particulier, les propositions générales sont placées avant les particulières, et les propositions affirmatives, soit prémisses ou conséquence, passent avant les négatives. Le mode qu'on, place avant les autres est celui qui se ramène le plus facilement à l'indémontrable, c'est-à-dire qui s'y ramène par une seule conversion ; et du reste, c'est la seule manière de prouver que ces modes arrivent à une conclusion certaine. Il y a encore une manière de prouver commune à tous les modes, même aux indémontrables : c'est celle qui est dite par l'impossible, et que les stoïciens appellent première constitution ou premier exposé. Ils la définissent ainsi : Si de deux prémisses on infère une conclusion, chacune d'elles combinée avec le contraire de la conclusion, inférera nécessairement le contraire de la prémisse restante. Voici maintenant l'ancienne définition : Nier la conséquente d'un syllogisme quelconque en même temps qu'on accepte une des deux prémisses, c'est nier la seconde prémisse. Cet aphorisme a été formulé contre ceux qui en concédant des prémisses se refusent impudemment à la concluante ; car il les réduit à l'absurde, attendu que de ce qu'ils nient on tire une conclusion contraire à ce qu'ils avaient concédé auparavant. Or, il est impossible que deux choses contraires soient simultanément vraies. Ils sont donc, sous peine d'absurdité, contraints d'admettre la conséquence ; et les dialecticiens ont eu raison de déclarer que ce mode est vraiment celui dans lequel le contraire de la conclusion combiné avec une des deux prémisses détruit l'autre. Les stoïciens prétendent qu'une conséquence n'est niée ou qu'une des prémisses n'est réfutée, que si on emploie une particule négative, comme tout est, il n'est pas vrai que tout soit ; certaine chose est, il n'est pas vrai que certaine chose soit. Il se forme donc contre tout syllogisme huit conclusions contraires ; attendu que chaque prémisse est réfutée de deux manières ; et l'on construit deux fois quatre syllogismes, tantôt en faisant précéder d'une particule négative la conséquence, tantôt en prenant la contradictoire de cette conséquence même. Choisissons pour exemple le premier des modes indémontrables : Toute chose juste est honnête : Toute chose honnête est bonne : Donc toute chose juste est bonne. Celui qui se refuserait à cette conclusion après avoir accepté les prémisses, dirait nécessairement : Certaine chose juste n'est pas bonne. Or, si vous faites précéder cette proposition d'une des deux qui sont accordées : Toute chose juste est honnête, vous aurez une conséquence selon le sixième mode de la troisième figure : Donc certaine chose honnête n'est pas bonne ; ce qui est le contraire de la deuxième proposition, laquelle avait accordé : Toute chose honnête est bonne. Pareillement, si les prémisses restant les mêmes nous concluons par l'équivalente, nous aurons cette conséquente-ci, qui est encore tout l'opposé : Donc il n'est pas vrai que toute chose honnête soit bonne. De même, nous ferons deux autres syllogismes, si nous prenons la deuxième proposition comme nous venons de faire la première, à savoir : Certaine chose juste n'est pas bonne : Toute chose honnête est bonne : on arrive à une conclusion double, qui répond au quatrième mode de la deuxième figure : Donc il n'est pas vrai que toute chose juste soit honnête ; ou, Donc certaine chose juste n'est pas honnête. Or, chacune de ces deux conclusions répugne également à la première proposition, qui avait accordé : Toute chose juste est honnête. Maintenant, laissons subsister ces quatre raisonnements ; changeons seulement une prémisse, et, au lieu de celle-ci, Certaine chose juste n'est pas bonne, mettons, Il n'est pas vrai que toute chose juste soit bonne, de manière que la conclusion soit doublement niée ; on obtiendra quatre autres syllogismes avec les mêmes changements. Pareillement, si vous substituez à cette même prémisse la suivante, Nulle chose juste n'est bonne, de manière à réfuter triplement la conclusion, il y aura trois fois quatre raisonnements, mais seulement dans les syllogismes qui concluront par une générale. Car il n'y a qu'une conclusion générale qui puisse être réfutée de trois manières ; et conséquemment les autres formes de syllogisme ne peuvent jamais avoir contre elle plus de huit conclusions. Du reste, de même que, si on le veut, on pourra formuler toutes ces combinaisons séparément selon chaque mode en particulier d'après la marche que nous indiquons ; de même aussi on peut suivre le procédé algébrique, c'est-à-dire employer des lettres pour indiquer l'ordre et le changement des propositions ainsi que de leurs termes ; seulement, on procédera en énumérant les syllogismes par l'ordre d'importance de leurs conclusions. Soit le premier mode des indémontrables représenté par la formule : A est affirmé de tout В : Et В est affirmé de tout С : Donc A est affirmé de tout C. On commence par l'attribut, et par conséquent par. la deuxième proposition. Or, ce deuxième mode, ainsi algébriquement disposé, devient en déplaçant les termes : Tout С est В : Tout В est A : Donc tout С est A. Les stoïciens, au lieu de lettres, emploient des nombres, et formulent ainsi : Si le premier a lieu, pareillement le deuxième : Or le premier a lieu : Donc le deuxième. Aristote ne signale que quatre indémontrables dans la première figure ; Théophraste et les autres en comptent cinq. Cela tient à ce qu'ajoutant la proposition indéterminée, ils y joignent aussi la conclusion indéterminée. Or il est inutile de s'y arrêter, attendu que l'indéterminée est prise comme une particulière, et que les modes seront les mêmes que ceux qui résultent d'une particulière. Pour nous, nous avons déjà montré que dans la première figure il y a quatre modes ; si on veut les doubler en prenant l'indéterminée pour une particulière, et en concluant par une proposition indéterminée, il y aura en tout vingt-neuf modes. Ariston d'Alexandrie et quelques péripatéticiens modernes admettent encore cinq autres modes de conclusions au moyen de générales : dans la première figure, trois ; dans la deuxième, deux, en substituant le particulier au général. Mais quand le plus a été accordé, rien n'est plus absurde que de conclure par le moins. Il reste donc prouvé que les modes certains, dans les trois figures qui sont consacrées, ne s'élèvent pas au-delà des dix-neuf indiqués ci-dessus. Il y a quatre propositions : deux particulières, deux générales. Chacune d'elles, comme dit Aristote, se combine de quatre sortes, pouvant être suivie, soit d'une proposition du même genre qu'elle, soit de chacune des trois autres ; et de cette manière, dans chaque figure il y a seize combinaisons. Six d'entre elles sont également nulles dans toutes les figures ; deux, quand une des négatives, n'importe laquelle, précède une autre négative ; quatre, lorsqu'une des particulières, n'importe laquelle, vient avant ou après une autre particulière. Car il n'y a pas de conclusion possible toutes les fois qu'il y a dans les prémisses deux particulières ou deux négatives. Restent donc pour chaque figure dix combinaisons. Or, de ces dix, tant dans la première que dans la deuxième figure, deux sont nulles, lorsqu'une générale affirmative précède une particulière soit affirmative soit négative. Pareillement encore, dans la première et dans la troisième figure, il faut retrancher deux combinaisons, à savoir celles où une particulière négative précède une affirmative quelle qu'elle soit. Ce qui fait qu'à la première figure il reste pour ses neuf modes six combinaisons ; et aux deux autres figures, huit. Dans ces huit, il y en a une qui ne peut se prouver ni dans l'une ni dans l'autre ; c'est celle où une générale négative précède une particulière affirmative. Des sept qui restent, il y en a dans la deuxième figure quatre qui sont essentiellement fausses ; c'est quand une générale affirmative est jointe à une autre affirmative soit générale soit particulière, et cela quel que soit l'ordre de leurs termes. De même, dans la troisième figure, il y en a deux qui par elles-mêmes n'ont pas de valeur ; c'est quand n'importe quelle négative est placée avant une générale affirmative. Les autres combinaisons certaines qui restent sont au nombre de trois dans la deuxième formule, de cinq dans la troisième, comme nous l'avons fait voir ci-dessus, quand nous les ramenions aux six combinaisons de la première figure. Ainsi des quarante-huit combinaisons, quatorze seulement sont valables. Les trente-quatre autres que j'ai énumérées, sont repoussées et doivent l'être, parce que d'un principe vrai elles peuvent aboutir à une conclusion fausse. C'est ce dont tout le monde peut se convaincre par les cinq espèces d'attributs ci-dessus énoncées, le genre, le propre, etc. De plus, avec ces quatorze que nous admettons, on ne peut pas établir plus de modes que nous n'en avons indiqué, comme il se reconnaît d'après ces conclusions elles-mêmes, soit qu'on les prenne dans leur ordre naturel, soit qu'on les convertisse autant que le permet le bon sens. Conséquemment le nombre de ces modes ne peut être augmenté.