LETTRES D'ABÉLARD ET D'HÉLOÏSE TRADUCTION NOUVELLE D’APRÈS LE TEXTE DE VICTOR COUSIN PRÉCÉDÉE D’UNE INTRODUCTION PAR OCTAVE GRÉARD INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE DIRECTEUR DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE DE LA SEINE ――― DEUXIÈME ÉDITION ――― PARIS GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS 6, rue des saints-pères, 6 ―― 1875 LETTRES D'ABÉLARD ET D'HÉLOÏSE ――――― paris. — imp. simon raçon et comp., rue d’erfurte, 1. ――――― LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE TRADUCTION NOUVELLE D’APRÈS LE TEXTE DE VICTOR COUSIN PRÉCÉDÉE D’UNE INTRODUCTION PAR OCTAVE GRÉARD INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE DIRECTEUR DE L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE DE LA SEINE ――― DEUXIÈME ÉDITION ――― PARIS GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS 6, rue des saints-pères, 6 ―― 1875 Tous droits réservés. INTRODUCTION ―――― Il est peu de noms aussi populaires que ceux d’Héloïse et d’Abélard. Par leur vie, par leur œuvre, ils appartiennent l’un et l’autre, a dit V. Cousin [1], « à l’histoire de l’esprit humain. » Disciple, puis rival et vainqueur de Guillaume de Champeaux, la colonne des docteurs ; condamné pour la hardiesse de son enseignement, obligé de fuir et partout suivi par sa renommée ; chef d’École et presque martyr de ses opinions, Abélard a la gloire d’avoir, l’un des premiers, introduit dans la théologie les règles de la dialectique et revendiqué, en morale, les droits de la raison : c’est un précurseur de Descartes[2]. Dans une sphère plus modeste, Héloïse ne joue pas un moindre rôle. Dès sa jeunesse, elle étonne et ravit Pierre le Vénérable par l’étendue de son savoir. Saint Bernard, au comble de la puissance, s’avoue vaincu par la fermeté de sa raison. Malgré les liens qui l’attachent invinciblement à Abélard, la cour de Rome la bénit, et la Règle, empreinte d’un libre et sage esprit, qu’elle avait donnée au Paraclet, devient la base des constitutions de tous les monastères de femmes de son temps. Mais il y a quelques années à peine que les titres d’Abélard et d’Héloïse à l’admiration de la postérité ont été mis en lumière ; et ce qui a immortalisé leur souvenir dans les imaginations exaltées, ce sont moins les œuvres qui témoignent de leur génie, que les Lettres qui contiennent l’histoire de leur passion. Jamais enthousiasme cependant ne reposa sur des textes moins propres à le justifier. On aurait peine à imaginer ce qu’ont fait de cette belle correspondance l’infidélité des traducteurs d’une part, d’autre part et surtout, la séparation établie, systématiquement ou par négligence, entre les quatre premières lettres assez improprement désignées sous le nom de Lettres amoureuses et les dernières plus justement appelées Lettres de direction. Et tel est le déplorable effet des interprétations de fantaisie, quand elles sont une fois entrées dans le goût public, que, de nos jours, lorsque la critique s’est attachée au véritable texte des lettres d’Héloïse et d’Abélard, ne pouvant se résoudre à les accepter telles que la tradition les avait transmises, elle a pris le parti d’en contester l’authenticité. Quelques mots sur l’origine et les conséquences de ces erreurs séculaires sont nécessaires pour faire comprendre le but que nous nous proposons. Dès le moyen âge, les lettres d’Abélard et d’Héloïse étaient connues ; l’un des auteurs du Roman de la Rose, Jean de Meung, les avait mises en vers ; le texte même avait été publié au quinzième siècle, d’après un manuscrit latin trouvé dans la bibliothèque de François d’Amboise. Mais c’est du dix-septième siècle que date le zèle déréglé des traducteurs, et c’est Bussy-Rabutin qui parait lui avoir donné l’essor. « Il n’est pas, ma chère cousine, écrivait-il à Mme de Sévigné, le 12 août 1687, que vous n’ayez ouï parler d’Abélard et d’Héloïse ; mais je ne crois pas que vous ayez jamais vu de traduction de leurs lettres ; pour moi, je n’en connais point. Je me suis amusé à en traduire quelques-unes, qui m’ont donné beaucoup de plaisir. Je n’ai jamais vu un plus beau latin, surtout celui de la religieuse, ni plus d’amour ni d’esprit qu’elle n’en a. Si vous ne lui en trouvez pas, ma chère cousine, ce sera mal fait. Je vous prie que notre ami Corbinelli vous les lise en tiers avec la belle Comtesse, et je réglerai l’estime de mon amusement sur les sentiments que vous en aurez tous trois. » — « Nous croyons, la belle Comtesse et moi, répondait Mme de Sévigné, six jours après, que vous avez tout au moins donné de l’esprit à Héloïse, tant elle en a. Notre ami Corbinelli, qui connait l’original, dit que non ; mais que votre français a des délicatesses et des tours que le latin n’a pas ; et sur sa parole, nous n’avons pas cru le devoir apprendre, pour avoir plus de plaisir à cette lecture : car nous sommes persuadés que rien n’est au-dessus de ce que vous écrivez[3]. » — On le voit, Mme de Sévigné avait été avertie par l’exquise justesse de son jugement : elle ne connaît pas le texte des lettres d’Héloïse et d’Abélard, et elle veut être indulgente à « l’amusement » du galant auteur de l’Histoire amoureuse des Gaules ; mais elle a senti que sa traduction est « au-dessus, » c’est-à-dire à côté de l’original, et elle demeure en défiance[4]. La traduction de Bussy-Rabutin est restée néanmoins, pendant plus d’un siècle, le modèle de tous les imitateurs, prosateurs et poètes[5]. « Je n’ai point suivi l’original latin, dit M. de Beauchamps, dans la Préface de sa traduction, réimprimée trois fois en vingt ans, « les savants le trouvant mauvais ; je leur dirai sans chercher à m’excuser, qu’en 1687, M. le comte de Bussy, et en 1695, M. *** ne s’y sont point assujettis et qu’ils s’en sont bien trouvés. Les Lettres d’Héloïse et d’Abailard ne sont guère connues que de ceux qui les ont lues dans ces auteurs. Les produire sous une autre idée, ce serait les défigurer, et je ne sais si l’on serait bien reçu à le faire. Au reste, comme ces messieurs ont suivi leur imagination, j’ai cru pouvoir suivre la mienne. La poésie donne encore plus de liberté que la prose….. » Une fois dans cette voie, chacun s’y met à l’aise. On sépare les Lettres amoureuses des Lettres de direction. On supprime presque les dernières, on bouleverse l’ordre des autres, sans tenir compte des époques et de la succession des sentiments ; on mutile le texte, on le développe, on le commente, on le traite, comme s’il n’existait pas. Savait-on bien au juste qu’il existât ? En 1723, dom Gervaise parait surpris lui-même d’avoir retrouvé le manuscrit de la bibliothèque de François d’Amboise[6], et sa bonne fortune est publiquement traitée de découverte[7]. Mais Dom Gervaise était resté sous l’influence de Bussy-Rabutin. Entrevues secrètes, mystérieuses confidences, billets en prose et en vers, il ne manque à sa « relation des premières amours d’Héloise et d’Abélard, » rien de ce qui en avait fait un commerce galant sous la plume de l’auteur de l’Histoire amoureuse des Gaules. Aussi, le charme du roman, à peine rompu un moment, reprend-il bientôt son empire ; après avoir disputé le terrain à la vérité, la fiction finit par en prendre décidément la place. Sous prétexte « d’embellir la réalité[8], » le talent de Pope[9] et l’esprit de Colardeau[10] achèvent de la fausser. « Quand vous dites que les femmes ne savent ni décrire ni sentir l’amour même, écrivait d’Alembert à Rousseau[11], il faut que vous n’ayez jamais lu les lettres d’Héloise, ou que vous ne les ayez lues que dans qpelque poète qui les aura gâtées. » Cinquante ans après, Chateaubriand, qui critique Colardeau et admire Pope, ne connaît d’autres textes que ceux de Pope et de Colardeau[12]. Le besoin d’exactitude et de vérité qui caractérise les travaux de l’érudition moderne a ramené les traducteurs contemporains à un sentiment plus juste ; tel est le caractère des versions de M. Oddoul[13] et du bibliophile Jacob[14]. Mais trop soumis encore à la tradition, M. Oddoul et le bibliophile Jacob ont cru pouvoir çà et là, à l’exemple de leurs devanciers, substituer la libre analyse à la traduction ; et là où ils interprètent rigoureusement, le latin faisant défaut à côté de leur version, il faut les croire sur parole. Les textes n’avaient jamais été éclairés cependant d’une plus vive et plus abondante lumière. M. de Rémusat venait de publier l’histoire critique de la vie d’Abélard[15], et V. Cousin, une édition complète de ses écrits[16]. Mais, par une anomalie inexplicable, c’est au moment où les Lettres d’Abélard et d’Héloïse étaient rétablies dans leur pureté originale qu’on en contestait l’authenticité. Après avoir été défigurées faute d’une critique qui en fît respecter le texte, elles étaient attaquées par la critique ! La question était soulevée en Allemagne par le savant G. Orelli[17]; en France, par un juge très-érudit en ces matières, M. Ludovic Lalanne[18]. Isolant des Lettres de direction les Lettres amoureuses, G. Orelli et M. Lalanne considéraient, à des degrés divers, celles-ci comme apocryphes. L’âge d’Abélard, sa situation, celle d’Héloïse, tout leur paraissait rendre invraisemblable cette première partie de la correspondance sur laquelle la plume de M. de Rémusat avait répandu tant de charme. Pour G. Orelli, les Lettres amoureuses étaient l’œuvre d’un habile écrivain qui s’était inspiré de la passion des deux amants. M. Lalanne allait moins loin. Il ne se refusait pas absolument à admettre l’exactitude du fond des Lettres amoureuses ; mais il estimait qu’elles avaient été retouchées, remaniées, arrangées : si bien qu’en fin de compte, et malgré la concession, le doute subsistait sur leur authenticité. En présence de ces infidélités et de ces controverses, touchant ce grand problème de psychologie et de morale, il nous a semblé qu’il ne serait peut-être pas sans intérêt de présenter, dans leur ensemble intact et sous le contrôle du texte de V. Cousin, placé en regard, les lettres et tous les morceaux qui portent la marque d’un échange de sentiments ou de pensées entre Abélard et Héloïse. Ainsi pourra-t-on suivre exactement les transformations graduelles ou violentes, les réveils soudains, les mouvements étouffés de la passion qui remplit l’âme d’Héloïse jusqu’à son dernier souffle, et qu’Abélard respecte et ménage, alors même que depuis longtemps il a cessé de la ressentir ou qu’il s’est interdit de la partager. Tel est l’objet de cette traduction nouvelle. Nous voudrions essayer ici d’en marquer le caractère avec précision. Loin de nous la prétention de reprendre dans le détail la dramatique histoire d’Abélard et d’Héloïse. Elle n’est plus à faire. « La Vie d’Abélard, a dit Sainte-Beuve[19], en parlant de la partie biographique de l’ouvrage de M. de Rémusat, est un chef-d’œuvre. » Notre seul dessein est de mettre en lumière les traits essentiels de cette passion sans égale, en les dégageant des erreurs que les imitations et les traductions libres ont accumulées. I La Lettre à un Ami, placée en tête des Lettres amoureuses, en est l’introduction. On ignore à qui elle, était adressée. Le correspondant d’Abélard n’était-il qu’un Philinte imaginaire[20] ? La chose ne vaut guère la peine d’être discutée. En réalité, la Lettre à un Ami est une autobiographie d’Abélard, le récit fait par lui-même, douze ans après la catastrophe qui l’avait séparé d’Héloïse, de ses triomphes et de ses disgrâces. Récit d’un étrange et puissant intérêt. On a comparé cette lettre aux confessions de saint Augustin et à celles de J.-J. Rousseau. Elle tient, des premières, en effet, par un fonds de componction sincère ; elle rappelle les autres par les saillies d’un orgueil que des épreuves cruelles ont pu courber, mais non briser, et de ce double sentiment résulte une franchise d’aveux qui ne trouble et n’embarrasse que par ses hardiesses. Après une jeunesse brillante[21], vouée tout entière à l’étude, « devenu roi sans partage, nous dit-il, dans le domaine de la dialectique, Abélard était entré, comme en triomphe, dans la chaire de Paris, à laquelle sa destinée l’appelait depuis longtemps. » Poëte et musicien, chantant avec goût les vers qu’il faisait avec art, à la gloire du philosophe il unissait celle de l’artiste ; sa renommée s’était étendue par delà l’École ; elle était parvenue jusqu’aux oreilles de la foule. Il avait trente-huit ans à peine, et il semblait avoir épuisé toutes les ambitions de l’esprit. C’est alors, qu’avec une décision tranquille, il aurait cherché les seules satisfactions qu’il ne connût pas encore, les satisfactions de l’amour. La fortune le caressant, écrit-il, lui offrait dans Héloïse la réunion de tous les attraits. Sans être douée d’une beauté remarquable, Héloïse ne manquait pas de charme. Une rare distinction d’intelligence promettait d’ajouter aux agréments de son commerce les plus exquises voluptés de l’esprit. Son goût pour l’étude servirait à en former le lien. Nulle femme, aussi bien, ne pouvait se refuser aux vœux d’Abélard. Et quel obstacle pouvait-il avoir à redouter ? Point de mère dont la tendresse surveillât le premier essor des sentiments de la jeune fille ; point de père qui prît soin de son honneur ; pour tuteur, un oncle tout entier aux fonctions du canonicat, peu clairvoyant, fier de l’instruction de sa nièce et jaloux de l’accroître, mais sans qu’il lui en coûtât aucun sacrifice. Quel coup de fortune pour le vieillard vaniteux et cupide, que le commerce journalier du maître dont la vertu jusqu’alors avait égalé le génie, et qui ne demandait pour prix de ses leçons que l’hospitalité du toit et de la table de famille ! Ainsi, à prendre les termes de sa confession, Abélard avait, de sang-froid, médité et préparé ses plans. Il nous parait difficile d’être aussi sévère pour lui que lui-même. Évidemment, le dialecticien, s’interrogeant à distance, groupe ici les motifs et les circonstances de sa faute avec plus de logique que d’exactitude. La nature humaine n’est pas si simple dans ses ressorts, et même à leur insu, les grands esprits portent dans leurs fautes une sorte de grandeur. Quelle que soit la pensée qu’Abélard ait d’abord suivie, nul doute que, dans ce cœur impétueux, tous les calculs n’aient bientôt cédé la place à un autre sentiment. La peinture qu’il fait de ses émotions, à douze ans d’intervalle, le défend contre son propre témoignage. Ardeurs des sens, enivrements de l’imagination, ravissement de l’âme, jamais passion n’a été décrite avec une énergie plus pénétrante. Dans son aveuglement, Fulbert avait abdiqué tous ses pouvoirs. Il était permis à Abélard, que dis je ? il lui était prescrit de voir son élève à toute heure du jour, de la plier à sa volonté, d’user même, s’il le fallait, pour la contraindre, des réprimandes et des coups. Ces violences infligées et subies avec ivresse étaient pour les deux amants une source nouvelle d’âpres voluptés. Les pages de la Lettre à un Ami[22], qui en retracent le souvenir, sont toutes brûlantes des feux de la jeunesse : c’est le pur délire de l’amour [23]. Mais Abélard n’était pas homme à se contenter des jouissances d’un bonheur caché, et il avait aussitôt divulgué le secret de sa passion dans des chants dont Héloïse était l’objet. Fulbert était le seul à ignorer ce que tout le monde savait autour de lui. Comme si ce n’était pas assez des tristesses avérées de la première partie de ce drame, dont tout à l’heure l’intérêt deviendra si pur et s’élèvera si haut, on a pensé que l’ignorance de Fulbert n’était point involontaire, ni désintéressée. Héloïse était pour lui, dit-on, plus qu’une nièce, et dans Abélard il avait espéré trouver un gendre[24]. C’est une double conjecture que rien n’autorise, et contre laquelle protestent les déclarations d’Abélard. « Deux choses écartaient de l’esprit de Fulbert toute mauvaise pensée, écrit-il noblement[25] : l’affection de sa nièce et ma réputation de continence : on ne croit pas aisément à l’infamie de ceux qu’on aime, et dans un cœur rempli d’une tendresse profonde, il n’y a point place pour les souillures du soupçon. » La découverte de la vérité fut pour le vieillard un coup de foudre, en même temps qu’elle plongea dans le désespoir les deux amants. L’expression d’Abélard, à ce moment de son récit, — il faut encore le noter, — est véritablement empreinte de douleur. La peine de Fulbert le confond de honte ; il gémit sur la faute d’Héloïse et sur la sienne. Mais la violence de la passion l’emporte. « La séparation n’avait fait qu’aviver leurs ardeurs, et la pensée du scandale subi les rendait insensibles au scandale. » Un jour, ils furent surpris ; et peu après, Héloïse sentit qu’elle était mère. Il fallait prendre une résolution. Profitant d’une absence de Fulbert, Abélard la détermina à fuir, sous un costume de religieuse, et elle alla chercher un asile chez sa sœur, en Bretagne, où elle donna naissance à Astrolabe. Pour lui, il était resté à Paris, et, à partir de ce ce moment, il devient impossible d’atténuer les termes de sa confession. Jusqu’à présent du moins, l’impétuosité de ses sentiments en avait, comme il le fait dire à Dinah dans une de ses élégies, « presque justifié la faute[26]. » S’il avait ravi l’amour d’Héloïse, il lui avait tout sacrifié, travaux, leçons, renommée. Mais ici le fond de son caractère va se découvrir tristement. La fuite d’Héloïse avait rendu Fulbert comme fou. On doit croire Abélard, quand il répète qu’une telle douleur l’avait touché de pitié. Mais ce qui l’émeut davantage, c’est le sentiment de son propre péril. Il n’était pièges, embûches, que Fulbert ne méditât. Comme les esprits faibles, le vieillard était passé de la crédulité à la fureur. La seule pensée qui arrêtât sa main, c’était la crainte d’appeler les représailles, en Bretagne, sur la tête de sa nièce bien-aimée. L’humeur altière d’Abélard n’était pas faite pour se soumettre longtemps à cette sourde menace. En toute chose, le but qu’il s’était proposé une fois atteint, la prolongation de la lutte lui devenait insupportable. Il est clair d’ailleurs que, dès cette époque, sa passion commençait à se refroidir, et qu’il avait hâte de reprendre librement sa vie d’étude, d’enseignement et de dispute. C’est dans ces dispositions d’esprit qu’il se détermina à offrir à Fulbert la réparation qui lui était due. Mais, par un singulier renversement des rôles, il se présente en victime. Ce qu’il a fait, dit-il, ne surprendra aucun de ceux qui ont éprouvé la violence de l’amour : on sait dans quels abîmes les femmes ont, de tout temps, entraîné les plus grands hommes. Toutefois il consentira à épouser celle qu’il a séduite, pourvu que sa réputation n’en souffre pas, c’est-à-dire, à la condition que le mariage reste secret[27]. Étrange infatuation de l’orgueil ! Le souvenir de l’abnégation d’Héloïse n’amène même pas sous sa plume une expression de regret ! Loin de là, et comme pour mieux faire mesurer la grandeur du sacrifice qu’il s’imposait, il analyse longuement les objections que, dans l’exaltation du dévouement le plus tendre, Héloïse élevait contre son dessein. Les événements qui en suivirent la réalisation achèvent de mettre son cœur à nu. Malgré le mystère dont il l’avait entourée, leur union secrète avait été bientôt connue. Transporté de colère, Abélard avait enfermé Héloïse à l’abbaye d’Argenteuil. À cette nouvelle, Fulbert perdit toute mesure. On sait sa cruelle et indigne vengeance. Rien ne saurait l’excuser. Mais comment justifier Abélard ? Ce qui domine dans le récit qu’il nous retrace de ses souffrances, c’est le sentiment de l’outrage fait à son orgueil, le désespoir de sa carrière brisée dans l’Église comme dans le siècle, la pensée du cloitre, seule perspective qui lui restât ouverte. Quant à Héloïse qui, oubliant sa propre douleur, succombait sous le poids de celle dont elle se faisait généreusement la cause unique, il semble ne se souvenir d’elle que pour la contraindre à embrasser avec lui, et, — impitoyable témoignage de défiance, — avant lui, la profession monastique[28]. Plus de dix ans se passent alors, dix ans d’indifférence et d’oubli. La passion de la lutte philosophique l’avait ressaisi tout entier. Guillaume de Ch a m peaux et Anselme de Laon étaient morts. Deux de ses disciples, Albéric et Lotulfe, avaient la prétention de se porter leurs seuls héritiers. Abélard était rentré dans l’arène, où il devait trouver les deux plus redoutables adversaires du siècle, Norbert de Chartres et saint Bernard. Sa profession nouvelle lui faisait de l’enseignement théologique un devoir. Écarté de l’abbaye de Saint-Denis où il avait d’abord trouvé asile ; condamné pour les hardiesses de ses propositions sur la Trinité par le concile de Soissons ; contraint de jeter son livre au feu de sa propre main, et relégué dans le cloître de Saint-Médard ; peu après réintégré à Saint-Denis, mais exaspéré par les coups multipliés de la fortune, comme s’il ne les eût pas lui-même le plus souvent appelés, et se croyant en butte aux persécutions du monde entier, il avait fini par s’enfuir en Champagne, sur une terre du comte Thibaut. Là, sa renommée avait, en peu de temps, rassemblé la foule autour de son oratoire de chaume et de sa chaire de gazon. Les disciples arrivaient de toute part, abandonnant les villes et les châteaux. Il semblait revenu aux plus beaux jours de son enseignement. Mais bientôt sa confiance agressive et le nom de Paraclet donné au temple qu’il avait fondé, avaient réveillé les inimitiés de ses adversaires. S’attendant chaque jour à être traîné devant un concile comme hérétique, il se disposait, dit-il, à quitter les pays chrétiens pour passer chez les infidèles, dût-il acheter au prix d’un tribut le droit de vivre chrétiennement parmi les ennemis du Christ, quand le choix unanime des moines de l’abbaye de Saint-Gildas de Ruy6, en Bretagne, d’accord avec le seigneur du pays, l’appela à la tête du couvent. Sur ces entrefaites, l’abbé de Saint-Denis avait, à la suite de graves désordres, réclamé comme une annexe autrefois soumise à sa juridiction l’abbaye d’Argenteuil, et expulsé la communauté dont Héloïse était devenue prieure. Ce fut alors qu’Abélard reporta vers elle sa pensée. Il l’invita à s’établir au Paraclet avec ses religieuses, et lui en fit don. Il revint lui-même à son oratoire, à diverses reprises, pendant deux ans, et les violences des moines de Saint-Gildas lui rendant le séjour de son abbaye intolérable, il semble même qu’il ait un moment songé à s’y faire une retraite où, « comme dans un port, il pût goûter la tranquillité qui partout ailleurs lui échappait. » Mais les calomnies ne lui permirent pas de continuer ses visites, et bientôt elles l’obligèrent à les cesser entièrement. Était-il effectivement rentré en rapport avec Héloïse ? C’est une question sur laquelle la critique est divisée[29]. Le juge le plus autorisé à la résoudre, M. de Rémusat, évite de se prononcer[30]. Il ne nous parait pas impossible d’arriver, d’après les textes, à une certitude satisfaisante. Ce qui fait la difficulté, c’est qu’Héloïse déclare expressément, dans sa première lettre, qu’elle n’a jamais revu Abélard depuis sa conversion[31]. Cependant il n’est point contestable qu’Abélard soit venu et qu’il ait, à divers moments, séjourné au Paraclet pour la donation du couvent d’abord, puis, soit pour l’instruction des religieuses, soit pour des prédications publiques dont le revenu constitua les premières ressources de la communauté[32] ; Héloïse ne nie le fait en aucune façon. Mais de quoi se plaint-elle ? De n’avoir eu avec lui aucun de ces entretiens personnels, par écrit ou de vive voix, qu’elle appelle avec tant d’ardeur dans ses premières lettres[33]. Rien n’empêche donc de croire qu’elle ait vu et entendu Abélard à la tête de sa communauté ; ce qui suffit pour expliquer les calomnies qui se produisirent aussitôt[34]. Mais elle n’avait jamais obtenu de lui cette direction intime dont sa passion non moins que sa foi avait besoin, et voilà ce dont elle gémit. Quoi qu’il en soit, si insuffisant que pût être pour Héloïse ce rapprochement, après dix ans de séparation et de silence, il n’avait pas laissé de produire dans l’esprit d’Abélard une impression profonde. Les dernières pages de la Lettre à un Ami sont comme détendues. L’âpreté des premiers souvenirs a fait place à une sorte de tristesse émue. Abélard rend hommage aux vertus d’Héloïse, et l’on sent que le jour n’est pas loin où, condescendant à sa prière, il la soutiendra de ses conseils et de ses encouragements. Telle est la succession des sentiments qu’une étude attentive de la Lettre à un Ami permet de saisir dans le cœur d’Abélard ; et elle n’est pas, autant qu’on le voudrait, à l’honneur de son caractère. Sans doute, il faut faire la part de la réserve que lui imposaient sa profession et l’implacable vigilance de ses ennemis. Mais quelque effort que l’on fasse pour entrer dans cette situation, et malgré ce que les lignes suprêmes de sa confession ont presque de touchant, la persistance du sentiment personnel, tour à tour superbe ou indifférent, parfois cruel, qui la remplit, laisse une impression pénible. Quand on en rapproche ce qu’elle fait entrevoir de l’abnégation d’Héloïse, cette impression devient plus pénible encore. De la jeunesse et de l’éducation d’Héloïse, nous ne savons guère que ce qu’Abélard nous en apprend, et il ne nous en apprend que ce qu’il importe à sa propre gloire de nous faire connaître. Quelques biographes prétendent qu’elle tenait, par sa mère, à la race des Montmorency[35]. Le silence d’Abélard ne peut laisser aucun doute sur ce point ; il n’aurait pas manqué de faire allusion à une filiation flatteuse pour son orgueil, et il se borne à constater, au sujet du nom d’Héloïse — qu’il rapproche de l’un des noms du Seigneur, Héloïse, — un signe de sainte prédestination[36]. D’après Abélard également, tout ce que l’on peut dire de sa Ggnre, c’est que, contrairement au portrait trop poétique de l’auteur du Roman de la Rose1, elle n’avait rien qui la distinguât. Son témoignage, plus explicite sur la rare aptitude dont elle était douée pour toutes les choses de l’esprit, est confirmé par Hugues de Métel* et par Pierre le Vénérable. « Je n’avais pas franchi les bornes de l’adolescence, écrivait le savant abbé de Cluny3, quand j’entendais dire qu’une femme, encore retenue dans les liens du siècle, se consacrait à l’étude des lettres, et, chose peu commune, de la sagesse, sans que les plaisirs du monde, ses frivolités et ses désirs pussent l’eu arracher. » Suivant Abélard, Héloïse, outre le latin, savait le grec et l’hébreu. Par là il faut entendre, sans doute, qu’elle comprenait les mots de grec et d’hébreu que ramenait le plus ordinairement sous ses yeux l’étude de la théologie. Quant au latin, ses lettres attestent qu’elle possédait et qu’elle maniait habile- ment la langue. Elle se plaît à citer Sénèque, et c’est évidemment son style qu’elle a pris pour modèle. Quelle est la part qui revient à Abélard dans cette éducation ? Il serait difficile de le dire. Les premières années d’Héloïse s’étaient passées au couvent d’Argenteuil. Elle avait ensuite reçu les leçons de Fulbert, et sans doute aussi celles de quelques clercs, que Fulbert, si fier de la supériorité de son intel- ligence, lui avait donné pour maîtres. Mais ce qu’elle avait appris n’avait (ait qu’allumer dans son vif et solide esprit le désir d’ap- prendre, et Ton a pu dire que « l’amour fut d’abord chez elle un désir de la science4. » Son imagination, excitée plutôt que satisfaite, rêvait, au delà du champ qu’il lui avait été donné de parcourir, de plus vastes horizons. Que l’on se représente maintenant, à l’extrémité d’une des ruelles entassées au pied des tours de Notre Dame, une humble demeure, enfoncée d’un côté et comme perdue dans l’ombre de la cathédrale, ouverte de l’autre aux libres et vivants espaces du quai de la Grève et du port Saint-LandryB : c’est là que, dans le silence d’une studieuse retraite, sous une tutelle plus affectueuse qu’éclairée, vivait cette jeune fille de seize ans, l’esprit replié sur lui-même, le cœur ardent. ’ Le Roman de la Hou, vers 999 et suirints. • Bug. de Métel. Épùt. 10 et 17. » Uttrt de Pierre le Vénérable, p. 553. J.-P. Charpentier, Entai tur Thittoire littéraire du moyen âge, ch. n, Par», 1833. M. Charpentier est le premier qui ait fuit entrer dans l’histoire des Lettres ea France les noms d’Héloïse et d’Abélard. Turlot, outrage cilc, p. 153-15*. A quelques pas, dans les cloîtres qui formaient comme le rempart de Notre-Dame, était établie l’école où Abélard régnait. Plus dune fois, les méditations et les rêves de la jeune fille avaient été traverses par les clameurs enthousiastes de la troupe des clercs reconduisant à sa demeure l’irrésistible dialecticien. Plus d’une fois aussi, peut-être, mêlée à la foule, elle l’avait vu passer, le iront rayonnant, la démarche haute, parmi les milliers d’auditeurs que lui envoyaient « la Bre- tagne, l’Angleterre, le pays des Suèves et des Teutons, Rome même, et que ne suffisaient plus à loger les hôtelleries de la Cité. » Et un jour, ce fut à elle qu’au sortir de ces triomphes, le maître souverain de l’éloquence et de la philosophie vint rapporter une gloire dont l’éclat faisait pâlir celle des empereurs et des rois. Tout ce qu’il y avait dans l’esprit, dans le cœur, dans l’imagination de la jeune fille, de passion naissante, s’épanouit aussitôt et se fixa. Deux talents, entre tous, achevèrent de ravir son âme : la verve du poète et la grâce du chanteur1. Mais bientôt science, gloire, génie, talents, tout s’effaça devant un charme unique. « Dieu m’en est témoin, disait- elle ’ : en toi, je n’ai jamais cherché, jamais aimé que toi. » Le coup qui la surprend dans cette ivresse généreuse la trouve prête à tous les sacrifices. Le résumé de ses objections au projet formé par Abélard de l’épouser secrètement, — résumé que nous trouvons dans la Lettre à un Amiy —s’applique-t-il à une lettre ou à un entre- tien ? on ne sait. Qu’il s’agisse d’une lettre ou d’un entretien, ces pages peuvent être considérées comme les premières que nous ayons d’Héloïse, et elles ne sont pas les moins saisissantes. Nous avons rappelé qu’elle était partie en Bretagne par l’ordre d’Abélard. Elle attendait son ordre pour en revenir. Il était allé la retrouver, dans le dessein de la ramener. Noble abnégation d’un amour où la fermeté le dispute à la tendresse ! Tandis qu’A bé lard n’a aucun souci du sacrifice d’Héloïse, Héloïse ne songe qu’aux intérêts de la gloire d’Abélard. Elle se défend de la pensée d’une légitime union comme d’un crime. Priver l’Église et le siècle d’une telle lumière, asservir aux voluptés de la chair un clerc désigné aux dignités les plus hautes, courber sous le joug de la famille un homme fait pour gouverner le monde ! Pères de l’Église, sages de la Grèce, textes de la Bible, elle met tout en œuvre pour dissuader Abélard. Ce n’est pas assez de le détourner du mariage ; elle » JAtret, II, g 5, p. 78. « Ibid., g 4, p. 74. voudrait l’en dégoûter. Ce sentiment maternel qui Pavait fait tressaillir d’allégresse, elle le dégrade, elle le rabaisse à plaisir. Bon pour ceux dont les loisirs et la fortune s’accommodent à toutes les nécessités, de prendre le souci d’une maison. Mais est-il possible à on philosophe de se livrer aux méditations de la sagesse au milieu du train d’un ménage ? Quant à elle, qu’importe le nom dont on l’appelle, amante, maîtresse, ou fille de joie ? le plus humble, le plus déshonorant, le dernier de tous, voilà celui qu’elle réclame, comme le plus glorieux, comme le plus doux… Son désir, d’accord avec son devoir, est donc de rester en Bretagne. La faire revenir à Paris ne peut être qu’un danger. Elle jouira plus rarement, il est vrai, de la présence de son bien aimé ; mais les tristesses de l’éloignement rendront la joie des moments de réunion plus délicieuse ; et c’est seulement par le libre lien d’une tendresse dévouée qu’elle veut qu’il la laisse s’enchaîner à sa vie1. Abélard rappelle que, comme dernier argument, Héloïse lui prédit la séparation à laquelle ils étaient réservés ; et il explique cette sorte de prophétie par la connaissance qu’elle avait du caractère vindicatif de Fulbert. Bien qu’Héloïse, qu’un sentiment de piété filiale sincère, non moins que son élévation d’âme naturelle, tient au-dessus de toute récrimination, ne laisse échapper aucun reproche à l’adresse de son oncle, on peut croire qu’elle n’était point sans inquiétude sur l’effet de ses menaces. Mais à la vérité, c’est d’elle-même, d’elle seule, de sa passion, qu’elle tire les raisons dont elle voudrait convaincre Abélard. A quelque parti qu’il se résolût, et quoi qu’il dût arriver, pour elle, elle ne s’était pas donnée à demi. Le mariage accompli, en vain Fulbert la presse d’obsessions et d’outrages ; elle observe la foi jurée à son époux et le respecte lui-même dans ses violences1. En vain, au moment de s’engager dans les vœux de la profession monastique, ses amis la poursuivent de leurs instances jusqu’au pied de l’autel pour l’y soustraire : s’enveloppant la tête du voile béni, et répétant d’une voix entrecoupée de sanglots les vers mis par Lucain dans la bouche de Cornélie après la mort de Pompée, elle consomme de ses propres mains ce qu’elle appelle son expiation, ce qu’au sens profane du mot on pourrait appeler son martyre. Par une singulière perversion d’imagination, les divers traducteurs des lettres d’Abélard et d’Héloise ont interprété au gré des préjugés 1 Lettre à un Ami, g 7, p. 18. Cf. Lettres, II, g 4, p. 74 et lui*. Lettres, V, g 4, p. iSft. et des passions de leur siècle ce sacrifice sublime. L’auteur du Roman de la Rose, et Villon, dans sa ballade, s’inspirant de leurs ressentiments contre la vie claustrale du moyen âge, prêtent au désespoir d’Héloïse une pointe d’ironique dépit. Entre les mains de Bussy-Rabutin et de ses imitateurs, elle devient une sorte de Longueville repentante, poussée au couvent par le remords de ses fautes. Le dix- huitième siècle en fait une religieuse contrainte et rebelle1. De nos jours, sous l’influence des idées de Werther, de René, d’Obermann, on s’est demandé comment elle n’avait pas plutôt cherché dans la mort le remède et la fin de ses souffrances*. Et l’on n’a pas senti qu’il n’y avait place dans son âme ni pour le dépit, ni pour le repentir, ni pour la révolte, ni pour une résolution personnelle, quelle qu’elle pût être ! Famille, honneur, religion, Héloïse a tout immolé à Abélard ; elle a anéanti sa volonté dans la sienne ; elle ne s’est rien réservé d’elle-même, rien que le droit de se faire tout à lui. Ce qu’une instruction d’une profondeur et d’une étendue peu communes pour son siècle avait développé dans son âme d’énergies généreuses et de pieuses tendresses, s’est soudain converti en un sentiment unique. Elle aime Abélard, elle aime la créature, comme les grands saints aiment Dieu, d’un amour absolu, infini. Au moment de prendre le voile, la seule pensée qui l’eût pénétrée de douleur, c’est qu’Abélard eût pu suspecter l’élan spontané de son immolation. « Moi qui sur un mot, Dieu le sait, dit-elle1, t’aurais, sans hésiter, précédé ou suivi jusque dans les abîmes enflammés des enfers ; car mon cœur .n’était plus avec moi, mais avec toi et tout en toi ! » Et, en effet, n’avait-elle pas accepté la plus cruelle de toutes les morts, l’oubli4 ? Par une interprétation plus déplorable encore, on a supposé qu’elle n’était pas restée étrangère aux désordres qui avaient motivé la dispersion du couvent d’Argenteuil*. Soutenir une telle conjecture, c’est n’avoir rien compris de cette âme que, pendant plus de quarante ans, une seule image a possédée. À Argenteuil, comme plus 1 Bayle, Dictionnaire philoiophique, articles Abailard et HéloUe. Cf. D. Gerraisc, ta Vie d’Abeilard, préface. • Oddoul, Prérace. p. 8. Lettres, II. g 6, p. 80. • Voir sur les caractères de l’amour les obserrations délicates et profondes de V. E. Caro, de l’Académie française [Étude* morale* *ur le temps prêtent, S* édition, I" partie, it ; 2« partie, i). • Galiia Christiana, t. VII. Instrumenta, p. 52. Cf. Histoire littéraire de la France, t. III, p. 633 ; CréWer, Histoire de VUnirersité de Paru, t. I. tard au Paraclet, la vie d’Héloïse était grave et retirée. « Les évéques la chérissaient comme leur fille, les abbés comme leur «tut, les laïques comme leur mère, dit à la fin de la Lettre à un Ami\ Abélard si réservé dans ses jugements ; tous admiraient sa piété, sa sagesse et son incomparable douceur de patience ; moins elle se laissait voir, puis elle se renfermait dans son oratoire pour se livrer à ses méditations saintes et à ses prières, et plus on solli- citait sa présence et les instructions de ses entretiens. » Mais ce que le monde ne savait pas, ce qu’Abélard semble ne pas soupçonner, ces méditations saintes se perdaient en de profanes ex- tases, cette sérénité apparente cachait des transports désespérés. Com- ment des mains de celui auquel elle était adressée, la Lettre à un Ami arriva-t-elle entre les mains d’Héloïse ? C’est un hasard, dit-elle, qui me l’apporta. Ce hasard détermina l’explosion. Depuis douze ans, son cœur était comprimé dans le silence ; il éclata. C’est le début de la correspondance, dont les Lettres amoureuses forment la première partie. II Les Lettres amoureuses sont les seules qu’aient connues ou qu’aient toulu connaître les traducteurs du dix-septième et du dix-huitième siècles. Mais les interprétations libres ont parfois au moins cela d’utile, qu’elles servent à mieux faire sentir l’intervalle qui sépare les inven- tions de l’art des inspirations de la nature. Pour comprendre dans son énergique grandeur la passion d’Héloïse, il n’est pas sans intérêt de commencer par étudier l’image qu’en ont donnée Bussy-Rabutin, Pope et Colardeau. € En lisant l’histoire d’Héloïse et d’Abélard dans les lettres qu’ils se sont écrites, dit Colardeau ’, l’idée m’était venue de la mettre en vers ; mais j’ai préféré le plan de M. Pope qui, dans une seule lettre, j rassemblé les principaux événements de la vie de ces deux infortunés. » Tel avait été également le plan de Kussy Rabulin et de ses premiers imitateurs, bien qu’ils eussent un peu plus marqué les coupures entre les différents moments de la correspondance. Chez 1 Lettre à un Ami, g «y, p. 54. 1 Uttrrt (FBihue à Abélard, Avertissement. les uns comme chez les autres, les lettres d’Héloïse, tout à la fois si précises dans leur but et si diverses de mouvement et de ton, sont fondues en une sorte décomposition oratoire ou lyrique, sans réalité, sans vérité, sans objet. « Que se propose, en effet, l’IIéloïse de Pope ? Elle en appelle à l’avenir ; digne fille du dix-huitième siècle, elle offre, en sujet de concours aux poêles futurs, son cœur et ses souffrances : au plus sen- sible la palme ! C’est sur la même pensée que conclut Golardeau, qui, « sans s’assujettir au sens littéral du poète anglais, toute traduction servile étant, à son sens, froide et languissante, s’est attaché à rendre, autant qu’il a pu, les beautés de l’original ; » il veut que, passant au pied du monument qui enferme les restes d’IIéloïse et d’Abélard, le voyageur s’écrie : …..Ils s’aimèrent trop : ils furent malheureux ; Gémissons sur leur tombe, et n’aimons pas comme eux ». Poussant plus librement encore Iléloïse dans cette voie singulière, Bussy-Rabutin lui avait fait écrire résolument : « Je suis décidée à publier en toutes les langues nos disgrâces, pour faire honte au siècle injuste qui ne nous a pas connus. Je n’épargnerai rien, puisque rien ne vous épargne, et je vous attirerai tant de pitié que l’on ne parlera plus de mon cher Abélard que la larme à l’oeil *. » Ainsi comprises, les lettres d’IIéloïse, on le conçoit, ne sont plus qu’un thème de convention où peuvent se jouer toutes les fantaisies du talent. Celui que Pope a déployé est, au point de vue littéraire, incontestablement supérieur ; à ne regarder que les règles du genre, son épitre est un chef-d’œuvre ; et Ton ne s’étonne pas qu’en un temps où l’art poétique de Boilcau régnait souverainement sur les esprits, elle ait suffi à fonder sa réputation. D’autre part, la prose de Bussy-Rabutin ne manque pas d agrément dans son laisser- aller. Même dans les vers de Colardeau, s’il est aisé de reconnaître, à l’expression décolorée, le produit d’une imitation greffée sur une imitation, on ne peut nier l’élégance générale du tour. Toutefois Bussy-Rabutin et Colardeau sont l’un et l’autre presque aussi loin de Pope, que Pope l’est lui-même du texte latin. Le poème du lyrique anglais, car c’est un poëme, commence méthodiquement par un 1 Colnrdeau, Épitre. • lxtlrc* d’Uéloueà Abélard, i. monologue dramatique avec invocation aux murs, aux autels, aux images, aux statues du monastère ; au monologue succèdent les récits et les réflexions, les confessions et les lieux communs, combinés dans ui savant désordre, où chaque partie a sa place calculée en vue de l’effet, chaque sentiment, son nombre de vers mesuré pour le contraste ; vient ensuite une comparaison développée entre le calme pur de la vierge sage et les fiévreuses agitations de la vierge folle, comparaison brusquement interrompue par l’apparition d’un fantôme sortant, pour ainsi dire, d’un songe ; enfin, dernier tableau, le ciel s’entrouvrant, Abélard appelle Héloïse auprès de lui à la place qu’il lui a réservée à ses côtés. Habilement ordonnée1, cette suite de scènes laisse dans l’esprit quelques images saisissantes, et partout on y sent la vie de l’art ; mais la vérité des sentiments, la seule aujourd’hui qui nous touche, comment y est-elle respectée ? Le rapprochement est curieux à faire, sous ce rapport, entre Pope et Bussy-Rabutin. Le fonds de l’imitation chez l’épistolicr et chez le poète est le même, et Ton a quelque raison de penser que Pope, comme les autres, n’a travaillé que d’après Bussy-Rabutin. Mais tandis que l’un s’abandonne au ton de la simplicité négligée, l’autre se tend jusqu’au lyrisme. On sent d’autant mieux, par le contraste, à quels écarts, le champ de la fantaisie une fois ouvert, les imagina- tions les plus heureuses sont exposées. Leur premier mot est, aux extrêmes opposés, un égal contre-sens. Pope suppose qu’Héloïse a complètement oublié Abélard. « Quoi ! aimerais-je encore ? » se de- mande-t-cllc. Elle s’étonne qu’une lettre ait réveillé en elle quelque sentiment. Ce n’est qu’après une longue hésitation qu’elle semble reconnaître la main qui l’a écrite, et elle se reproche de l’avoir devinée. « Nom cher et fatal, je ne veux plus te prononcer ; ne passe plus ces lèvres… ;que ma main s’arrête… ; mais je viens de l’écrire, c’est à mes larmes à l’effacer. » A entendre Bussy-Rabutin, un commerce régu- lier de correspondance n’a jamais cessé d’exister entre Héloïse et Abé- lard, et le courrier est là qui atttnd, pour la reprendre, la réponse à l’épltre qu’il vient d’apporter. «J’aurais eu le plaisir de vous renvoyer votre lettre effacée par mes larmes, dit-elle, si l’on n’était venu un peu trop tôt me la demander. » Poursuivons. En l’invitant à la réplique, Héloïse badine et se joue. « Si vous voulez attendre pour écrire que vous ayez des choses agréables à me mander, j’ai peur que 1 Toir VillêiDâin, Tableau de la littérature française au xtiii» tiède, i, leçon tu», p. 140. vous n’attendiez trop longtemps. La fortune et la vertu s’accordent rarement. Donnez-moi donc le plaisir de recevoir de vos lettres, sans attendre un miracle de la fortune. C’est pour soulager les personnes enfermées comme moi que les lettres ont été inventées. Écrivez- moi sans application, avec négligence ; que votre cœur parle, et non votre esprit. » Une nuance de moins dans le goût et dans le tour, nous voilà dans la platitude. Les imitateurs à la suite n’y ont pas échappé. Mais si mon fol amour exige trop de tous, Du moins, cher Abélard, du moins, écrivez-nous, traduit M. de Beauchamp[37]. C’est avec emphase, au contraire, que, sous la plume de Pope, Héloïse réclame la même faveur. « Une lettre ! s’écrie-t-elle ; par les lettres, un soupir passe de l’Inde jusqu’aux pôles. » Quelques traits encore. A la scène de la prise de voile, scène si grande dans sa simplicité, telle qu’Abélard l’a reproduite, ils substituent, l’un, un tableau de drame, l’autre une invention de roman. Chez Pope, au moment où s’accomplit le sacrifice, les autels tremblent, les lampes pâlissent. « En prononçant mes vœux, dit Héloïse dans Bussy-Rabutin, j’avais sur moi un billet de vous par lequel vous me juriez que vous seriez toujours à moi ; » et aussi, sans doute, ce portrait qui lui servait « de consolation dans sa prison monastique. » Enfin, par un étrange oubli de toutes les vraisemblances, ils lui font reprendre tous deux, Et le reste dans ce style du goût de Pradon : Lorsque je tous perdis, je n’avais que vingt ans ; Je recevais partout des vœux et de l’encens ;… J’aurais même voulu, pour vous plaire toujours, Être plus belle encor que celle (la déesse) des amours… A ce triste portrait, connaisse !, cher époux, Quels sont les sentiments qu’flélotse a pour vous….. Abélard lui répond sur le môme ton amoureux transi : J’ai reçu votre lettre, et je n’ose vous dire Dans quel état funeste elle a su me réduire….. Hé ! comment voulez-vous que je guide vos pas ? Je m’égare moi-même, et ne me connais pas….. Pour ne vous point aimer, j’avais un cœur trop tendre C’était peu : je voulus vous inspirer mes feux ; J’y réussis trop bien : vous comblâtes mes vœux….. Oublier Héloïse I Ah ! que plutôt la foudre Aux yeux de l’univers mette Abélard en poudre….. Il est temps de finir ; adieu, chère Héloïse, Tachez de soutenir votre sainte entreprise….. chacun à sa manière, le récit de la mutilation d’Abélard. « Si j’avais été auprès de tous, quand on vous mit dans le triste état où tous êtes, je vous aurais défendu au péril de ma vie ; mais n’en parlons plus, » dit Bussy-Rabutin avec un sans-façon qui, au milieu de ces émotions si saisissantes, amène presque le sourire sur les lèvres, « Quelles horreurs se retracent tout à coup à mon imagination, à mes yeux ! s’écrie tragiquement Pope. Où était Héloïse dans ces affreux moments ? Barbares, arrêtez… par pitié, par pudeur, cessez… Mes sanglots redoublés et ma rougeur brûlante m’ôtent la force d’achever. » Bien plus, suivant jusqu’au bout l’un et l’autre les entraînements de leur imagination, ils poussent leur héroïne aux provocations les plus inouïes : a Je ne saurais plus vivre, si vous ne me dites que vous m’aimez : le sacrement a rendu notre commerce hors de scandale ; vous pouvez venir me voir sans danger, » avait écrit Bussy-Rabutin. a Viens donc, dit Pope, que ma tête se repose encore sur ton sein ; que je boive à longs traits le délicieux poison que j’ai pris dans tes yeux ; que je retrouve ce poison sur tes lèvres : donne ce qui est en ton pouvoir, et laisse-moi imaginer le reste. » On a beaucoup admiré la grâce lascive de ce dernier trait, et la traduction qu’en a faite Colardeau[38], a contribué, pour une large part, au succès de son épître. Le trait est faux, comme tous ceux qui précèdent. Contre-sens d’autant plus révoltants, que les lecteurs qui prennent une idée des choses par les quelques mots saillants que tout le monde répète, et c’est le grand nombre, ont jugé par là de Vaine d’Héloïse. « Si l’on voulait apprécier la correspondance d’Abélard et d’Héloïse par les traductions qu’on en a données jusqu’à présent, disait dom Gervaise[39], on ne pourrait les regarder que comme on commerce de galanterie ;… or, il n’y a pas plus d’éloignement entre le ciel et la terre qu’il n’y en a entre leurs lettres et ce que ces infidèles traductions leur font dire. » Dom Gervaise parlait en homme qui, du moins, avait vu les textes. Les lettres d’Héloïse n’ont, en effet, ni ces mignardises ni ces hardiesses d’impudeur. Loin, bien loin d’elle, la préoccupation misérable de ce qu’un jour l’avenir pourra penser de ses infortunes ! Douze ans de silence et de compression étouffaient son cœur. Une occasion inattendue s’est offerte de rentrer en rapport de pensée avec Abélard, de le revoir peut-être, elle la saisit. Et avec quels élans de douleur, tour à tour âpre et douce, violente et délicate ! Quels cris de l’âme ! Sous ce langage embarrassé par les formes scolastiques, quelle flamme, quelle passion ! Qui a lu la première lettre d’Héloïse, a-t-on dit excellemment[40], ne l’oubliera jamais. Certes, ce n’est pas elle que l’écriture d’Abélard a pu tromper ; à la simple suscription elle a reconnu la main de son bien-aimé, et elle a peine un moment à dominer le trouble qui l’envahit. « Votre lettre, votre écriture…, » dit-elle comme hésitante et ne sachant quel ton elle a le droit de prendre, après tant d’années de séparation ; mais bientôt revenue à elle-même, elle ne peut se contenir : « Ah ! c’est bien là le tableau de tes épreuves sans merci ni trêve, ô mon bien suprême ! » et aussitôt elle en analyse, minutieusement le récit, « plein de fiel et d’absinthe, » comme pour le convaincre qu’il n’en est aucune qui lui ait échappé. Sans doute, ces épreuves sont aussi les siennes, mais elle s’efforce de l’oublier. Elle craint d’avoir trop laissé paraître sa propre douleur et elle se contraint. Ce n’est même pas en son nom qu’elle parle, c’est au nom de celles qu’Abélard a établies au Paraclet sous sa direction, et dont il a pris la charge ; ce sont elles qu’elle l’adjure de rassurer par ses lettres, de réconforter par ses conseils. Sous l’expression de cette prière, cependant, on sent peu à peu se gonfler le flot de l’émotion qu’elle réprime. Aucun titre ne répondant suffisamment à sa pensée pour exprimer la situation de ses compagnes vis-à-vis de lui, — ni celui d’amies, ni celui de sœurs, ni même celui de filles, — elle cherche s’il s’en peut imaginer un qui soit plus doux encore et plus sacré. Le mot qui remplit son cœur lui échappe enfin. « Peut-être, dit-elle, mettras-tu plus de zèle à t’acquitter de ta dette à l’égard de toutes ces femmes qui se sont données à Dieu, dans la personne de celle qui s’est donnée exclusivement à toi. » Et alors, comme par la brèche d’une digue rompue, tous ses sentiments débordent à la fois en un mélange passionné de souvenirs amers, de récriminations ardentes et de tendres protestations. Ah ! plus d’une fois, elle a comparé de sang-froid ce qu’elle a reçu et ce qu’elle a donné. Violences, outrages, elle a tout souffert sans se plaindre ; et si jadis on a pu se demander ce qu’elle suivait, de la voix de l’amour ou de celle du plaisir, aujourd’hui on peut voir clair dans ses sentiments. Par son ordre, avec un autre habit, elle a pris un autre cœur, afin de lui montrer qu’il était le maître unique de cette âme qu’elle lui a livrée aussi bien que de ce corps qu’il a ravi ; c’est pour lui qu’elle s’est vouée aux austérités de la profession monastique, pour lui qu’elle y persévère, non pour Dieu dont l’amour n’a pu encore la toucher. Et lui, a-t-il jamais éprouvé pour elle autre chose qu’une passagère ardeur des sens ? Plus elle s’est immolée à sa sécurité, plus il l’a sacrifiée à son indifférence. Ah ! dès longtemps, elle a lu dans sa pensée, et elle n’y a trouvé qu’orgueil et égoïsme. Si, dans la Lettre à un Ami, il rappelle les arguments par lesquels elle le détournait du mariage, c’est uniquement pour s’en faire gloire, et maintenant qu’elle est la seule qui ait le droit de tout demander, elle est la seule qui ne puisse rien obtenir, pas même un de ces regards de compassion que nul ne refuse à sa misère. Autrefois les lettres d’Abélard venaient incessamment la convier au plaisir ; aujourd’hui, quand il s’agit de fortifier dans l’amour de Dieu une âme qui chancelle, il lui refuse le peu qu’elle implore, des mots pour des choses… Mais à peine s’est-elle laissée emporter à ces récriminations, qu’elle se les reproche, et son cœur se fond en tendresse. Non, ce n’est pas elle qui accuse ainsi Abélard, c’est la foule. Quant à elle, son bonheur est de se repaître de l’image du passé. Elle se plaît à évoquer le charme des jours de triomphe où le monde entier le suivait de ses regards, des heures d’ivresse où il chantait pour elle des vers faits pour elle, où les reines enviaient son sort. Aujourd’hui non moins qu’il y a douze ans, il est son « tout. » Et comme si ce mot, le dernier de sa, lettre, ne disait pas assez complètement ce qu’elle veut lui faire dire, elle en développe la grâce et la force dans cette suscription où elle semble essayer successivement, et où finale- ment elle accumule toutes les formes de la tendresse humaine : « A son maître ou plutôt à son père ; à son époux, ou plutôt à son frère ; sa servante, ou plutôt sa fille ; son épouse, ou plutôt sa sœur ; à Abélard, Héloïse. » La réserve calculée de la réponse qu’elle reçoit d’Abélard la pénètre de douleur, mais ne la décourage point. Elle s’était flatté d’un retour d’affection. On ne lui renvoie que des conseils de haute raison. Mais m peu que la réponse fût en harmonie avec ses propres sentiments, elle devait en être touchée, par cela seul que c’était une réponse. Dès ce moment, en effet, tout reproche expire sur ses lèvres. Abélard a mis son nom avant le sien, et, dans cet ordre naturel qui lui semble une interversion, elle voit une intention d’égards et de considération qui lui est douce. Il ne veut plus être aimé qu’en Jésus-Christ ; contenant la fougue de ses élans, elle lui récrit : « A celui qui est tout pour elle après Jésus-Christ, celle qui est tout à lui en Jésus-Christ. » Il lui envoie un psautier et lui demande de prier pour son salut ; elle priera. Elle s’accuse seule de tous les malheurs dont ils ont été frappés ensemble ; elle ne rappelle plus la part qu’il en a subie, que pour s’en faire un crime. Cependant, si elle obéit, elle est loin d’être apaisée. « S’il arrive que le Seigneur me livre aux mains de mes ennemis, et que ceux-ci triomphant me donnent la mort, que mon corps soit rapporté au Paraclet, pour être enterré par vos soins, » avait dit Abélard ; et ces mots, qui retentissent dans son cœur comme un glas funèbre, y soulèvent un mouvement de révolte. Elle accuse Dieu de ne l’avoir élevée si haut que pour la faire tomber dans un abîme plus profond ; elle s’indigne que sa main l’ait frappée, alors que leur union était devenue légitime, après l’avoir épargnée lorsque cette union était coupable ; elle ne veut point qu’on croie à sa piété, quand le jour, la nuit, sans cesse, le souvenir d’Abélard l’obsède, quand son image l’attire et la remplit ; quand, au milieu de ses prières, pendant le sacrifice de la messe, jusqu’au pied de l’autel, elle sent les ardeurs de la passion qui la dévore. « Trêve aux éloges ! répond-elle avec une étrange véhémence à Abélard, qui avait essayé de flatter sa peine, en lui faisant chrétiennement entrevoir la récompense de ses mérites : on vante ma sagesse ; c’est qu’on ne connaît pas mon hypocrisie ; on porte au compte de la vertu la chasteté de la chair, comme si la vertu était l’affaire du corps et non celle de l’âme ! si je suis glorifiée parmi les hommes, je n’ai aucun mérite devant Dieu qui sonde les cœurs et les reins, et qui voit ce qui est caché. L’éloge venant de vous est d’autant plus dangereux qu’il me séduit et m’enivre… Non je ne cherche pas la couronne de la victoire… Dans quelque coin du ciel que Dieu me donne une place, il aura bien assez fait pour moi[41]. » Et c’est par une sorte de défi à la grâce qu’elle termine sa lettre. Une seconde réponse d’Abélard achève de la soumettre. Elle ne veut point qu’il puisse l’accuser de désobéissance ; elle s’est donc résolue à ne plus parler du passé. De près et dans un entretien, elle ne serait pas sûre d’elle-même ; de loin, dans une lettre, il lui sera moins difficile de se contraindre, ce J’ai imposé à l’expression de ma peine, dit-elle, le frein de ta défense. » Il est « son maître ; » elle sera « sa servante. » Au maître seulement de diriger la servante. IL se prêle à entrer dans les voies d’une direction spirituelle ; elle l’y engage. Si elle a consenti à se taire, c’est à la condition qu’il parlera, lui, lui et point d’autre. Elle ne veut point d’autres conseils que les siens ; elle a besoin des siens ; elle y a droit. Sous la résolution de la contrainte à laquelle elle se réduit, persiste toute l’énergie de la passion. Mais c’est une énergie maîtresse d’elle-même et qui ne cherche qu’à se régler. « Les idées se chassent l’une l’autre, dit-elle ; l’esprit tendu en un sens différent est forcé, sinon d’abandonner les choses d’autrefois, au moins d’en laisser reposer le souvenir. » Qu’il la tienne donc occupée du soin de ses religieuses, en s’en occupant avec elle. Et, pour le mieux faire entrer dans ce dessein, elle lui communique le fruit de ses propres réflexions sur la Règle qu’elle croirait utile d’appliquer au Paraclet. Ainsi commence une nouvelle phase de sa correspondance et de sa vie. Et maintenant entre les mouvements généreux de cette âme, non moins forte qu’ardente, qui lutte, qui se débat, qui finit par « s’imposer le frein, » et l’exaltation artificiellement désordonnée des déclamalions de Pope et de Bussy-Rabutin, quoi de commun ? Il faut toutefois pousser la comparaison plus loin encore, et jusqu’au vif. On a tour à tour essayé de souiller la source de cette passion et d’en exalter le caractère. Bayle, résumant et caractérisant, d’un de ces mots qui ne lui coûtent pas assez, les sentiments d’Héloïse, tels que les dépeignent Bussy-Rabutin et Pope, l’accuse, sans hésiter, d’incontinence, et la traite de fille sans honneur[42]. D’autre part, Chateaubriand, qui pourtant fonde son jugement sur les mêmes textes, dit avec non moins de décision : « Femme d’Abélard, elle vit, et elle vit pour Dieu[43]. » Le cœur d’Héloïse n’est pas plus celui d’une libertine que celui d’une sainte. Non, sa pensée n’est pas détachée d’Abélard, et Dieu n’a pas pris dans son cœur la place qu’elle y a faite à son amant[44] ; elle a l’âme trop ferme et trop haute pour le dissimuler : elle est sans force contre l’enivrement des souvenirs qui la pressent, et elle ne déguise rien de sa faiblesse. Mais quand, déchirant le voile, elle révèle à Abélard les images qui la poursuivent impitoyablement ; quand elle lui confesse, le feu sur les lèvres, qu’elle ne peut arracher son âme au souvenir des jours, des moments, des lieux témoins de son délire, est-ce donc qu’au nom des droits, soit de l’union qui a rendu sa passion légitime, soit de cette passion même, est-ce qu’un seul instant elle songe à solliciter des voluptés dont l’idée lui est doublement interdite ? Ah ! bien au contraire, ces obsessions aux- quelles elle est en proie, elle les considère comme un châtiment mérité de ses fautes ; ces souvenirs dont le charme la torture sont, à ses yeux, comme une première figure du remords qu’elle appelle ; elle les offre à son bien-aimé en expiation des épreuves qu’elle lui a attirées, en attendant qu’elle puisse les offrir à Dieu ; et c’est afin de s’en affranchir, qu’elle conjure Abélard de fixer son âme vn lui sur d’autres pensées. Voilà les traits sous lesquels Héloïse peint elle-même son trouble, trouble profond, douloureux, trouble d’un cœur qui ne s’ap- partient point, qui ne peut pas, qui ne veut pas rompre le lien d’une possession subie avec ivresse, mais qui voudrait en élever, en puri- fier l’objet. Gomment, au surplus, dans la situation imaginée par Pope et par Bussy-Rabutin, comment s’expliquer les réponses d’Abélard ? Il est vrai qu’ils font bon marché de son rôle ; ils le suppriment. Et effectivement, en présence des emportements qu’ils prêtent à Héloïse, que pouvait faire Abélard ? Prêter l’oreille à des appels insensés ? Donner des conseils qu’on ne lui demande pas ? Il ne répond point. Ainsi du moins sont sauvées les convenances, sinon les vraisem- blances. Mais par la suppression des lettres d’Abélard, on lui fait tort d’une solide partie de sa gloire, de la meilleure peut-être. Nulle part, en effet, il ne touche de plus près à la grandeur. Sans doute, l’émotion qu’il laisse entrevoir, dans ses premières réponses, n’est pas encore suffisamment dégagée d’un sentiment de préoccupation personnelle ; et les homélies en quatre points qu’il adresse à Héloïse, en échange de ses lettres enflammées[45], ont au premier abord une froideur qui déconcerte. Quelle âme, il est vrai, ne paraîtrait de glace auprès de l’âme brûlante d’Héloïse ! Si l’on veut bien juger d’ailleurs des conseils d’Abélard, il faut les lire dans le sentiment où ils étaient reçus. Or, pour Héloïse, la forme didactique des instructions d’Abélard lui rappelait les leçons d’autrefois ; pour elle, le commentaire était un aliment d’autant plus précieux qu’il était plus abondant ; et pouvait-il lui donner un plus doux témoignage de sympathie, dût cette satisfaction rouvrir une source amère de larmes, que de l’entretenir de lui ? Enfin dans la réserve où il s’enveloppe, que d’égards et de ménagements ! Le début de sa première réponse est un mot d’apaisement. De récrimination contre les reproches d’Héloïse, aucune ; aucune allusion à leur ancienne faute. On sent qu’il voudrait ensevelir le passé dans l’oubli, et du coup la ravir à Dieu. Il a compris qu’il n’en pourrait rien obtenir qu’en se mettant à l’unisson des sentiments qui la remplissent, et il ne craint pas de réclamer sa prière à titre d’époux. « Souvenez-vous, dans vos oraisons, de celui qui vous appartient, lui dit-il[46], et ayez d’autant plus de confiance dans l’expression de votre prière, qu’ainsi que vous le reconnaissez vous-même, elle n’a rien que de légitime et qui ne puisse être agréable à Celui qu’il faut implorer. » En même temps, il l’encourage, il s’efforce de la relever à ses propres yeux. Le cri de révolte qu’Héloïse lui renvoie l’avertit que ce n’est pas par quelques consolations banales qu’il aura raison de sa passion : il change de ton, et le prend de plus haut. Il rappelle leurs communes erreurs, il insiste sur leur gravité ; et, chose nouvelle dans sa bouche, il en revendique la responsabilité. La vengeance de Fulbert dont elle s’indigne, et que naguère il n’avait subie lui-même qu’avec une résignation hautaine, lui parait aujourd’hui un acte de justice indulgente. S’il a été trahi, c’est qu’il a commencé par trahir. Bien plus, la peine dont il a été atteint, est un coup de la grâce. « Heureux ceux que le Seigneur éprouve et tente, dit-il, parce que la récompense est en proportion de l’épreuve ! Heureux ceux qu’il s’est séparés pour l’éternité, en les punissant dans cette vie mortelle ! » Jamais directeur de conscience n’a dépeint avec plus d’éloquence l’inanité et les misères des voluptés humaines. Un véritable souffle anime les dernières pages de cette admirable lettre, un souffle précurseur de la grandeur de Bossuet et de la grâce de Fénelon. On y reconnaît à la fois le théologien rompu à l’interprétation des textes, le philosophe initié aux passions du siècle, le maître habitué à l’exercice de l’autorité. Autorité d’autant plus touchante ici, qu’elle se fait douce. Si dans celle qu’il a aimée il ne veut plus voir que l’épouse de Jésus-Christ, il ne rompt pas, pour cela, le lien qui a uni leurs destinées. Il ne sépare point le sort d’Héloïse d’avec le sien. C’est avec elle et par elle qu’il veut mériter le bonheur des élus. Il lui envoie la formule même de la prière que, tous les jours, elle doit adresser à Dieu pour leur commune expiation. Et cette prière est, sans contredit, ce qu’il a écrit de plus ému. L’amour humain s’y mêle, dans ce qu’il a de plus pur et de plus exquis, à tout ce que la raison chrétienne peut inspirer de plus solide et de plus haut. Aussi peut-on croire que ce n’est pas seulement par obéissance qu’Héloïse avait cédé au dernier appel dont ce formulaire était l’expression ; elle a senti que la sollicitude d’une pensée amie lui était rendue. III Les Lettres de direction proprement dite, ainsi que les morceaux divers qui s’y rattachent, soulèvent les plus graves questions d’histoire et de morale. Mais, outre que le simple exposé de ces questions nous entraînerait trop loin, elles ont été l’objet d’une étude magistrale[47]. Notre unique prétention est de relever, dans cette seconde phase de la correspondance d’Abélard et d’Héloïse, comme nous l’avons fait pour la première, ce qui peut préparer à en comprendre et à en goûter l’esprit. Si les lettres qui se rapportent à cette phase nouvelle diffèrent essentiellement des précédentes par les matières qui en sont le sujet, elles participent au fond du même sentiment, de la même vie ; elles en sont la suite naturelle et le couronnement. Toutefois, le premier effet qu’on éprouve, en les-abordant, est celui d’un saisissant contraste. Rien de plus sévère que la vie à laquelle Héloïse avait été vouée. « Au premier tintement, dit-elle dans la description qu’elle en fait, nous nous levons en hâte pour vigiles…. Le tintement fini, au signe de la prieure, nous faisons les prières d’usage, les jours de fête, à genoux ; les jours ordinaires, prosternées. Les prières faites, nous nous signons et nous entrons dans nos stalles. Après vigiles, tout le inonde sort. S’il ne fait pas jour, on allume et on reste tranquille dans le chapitre. S’il fait jour, prime suit aussitôt…..Après prime, messe du matin. Puis, chapitre. Au sortir du chapitre, lecture jusqu’à tierce, si le temps le permet. Suit tierce, puis la grand’messe, et après la grand’messe, sexte immédiatement. Après sexte, lecture jusqu’à none. Après none on va au réfectoire ; on écoute La lecture en grand silence. Au tu autem, on se met en marche en ordre, chantant les prières, et on entre à la chapelle. Les prières Boies, on se rend au chapitre pour entendre quelque sermon d’édification. Puis vêpres. Après vêpres, méditation, priant de cœur, sans aucun signe extérieur, dans le plus profond silence. Puis collation et compiles. Après le requiescat in pace, on fait la prière dans les stalles. Au signal de l’abbesse, on se signe, on sort en ordre, les plus âgées les premières ; l’abbesse donne l’eau bénite. On monte au dortoir, chacune se rend à son lit et se couche ceinte et habillée[48]… » Voilà les austérités froides dans lesquelles avait été jetée toute vive cette âme de feu. Mais Héloïse avait promis de se soumettre ; elle s’y était engagée vis-à-vis d’elle-même ; elle se tient parole. Autant le ton de ses réponses jusque-là était vif, pressant, tumultueux, autant il devient grave et recueilli. Il semble qu’aux sourds grondements d’une nuit de tempête ait succédé le calme d’une aube pure. Elle avait demandé à Abélard, tant en son nom qu’au nom de ses compagnes, une histoire de l’origine des ordres de religieuses et une Règle pour le Paraclet. Allant elle-même au-devant des prescriptions qu’elle sollicite, elle développe ses idées personnelles sur les fondements de la discipline monacale, tels qu’elle en comprend l’application à des femmes, et sa haute raison se déploie dans cet exposé de principes avec une remarquable sérénité. Elle ne se fait pas illusion sur les faiblesses et les désordres de son temps ; elle sait que, « si l’on se précipite dans la vie monastique, on y vit plus irrégulièrement encore d’ordinaire qu’on n’y est entré, et qu’on y brave la règle d’autant plus facilement qu’on l’a acceptée sans la connaître[49]. «D’autre part, elle se refuse à attacher une importance souveraine aux pratiques extérieures. « Communes aux réprouvés et aux pénitents, aux hypocrites et aux vrais dévots, dit-elle, elles ne peuvent avoir qu’un médiocre mérite aux yeux de Dieu, et ne sauraient être une préparation à entrer dans son royaume[50]. » C’est l’intention, non l’acte, qu’elle veut que Ton considère. Aussi n’est- elle point d’avis qu’on pousse aucune observance à l’extrême rigueur. Le monde ayant vieilli, les règles ont été atténuées pour les hommes : à plus forte raison, doivent-elles être adoucies à l’égard des femmes, pour qui elles n’ont pas été faites. Les travaux manuels, par exemple, ne sont-ils pas en désaccord avec la faiblesse de leur sexe ? En un mot, l’idéal qu’Héloïse se fait de la vie religieuse est à la fois élevé et doux. Des vœux modestes, la volonté de s’y tenir, et, s’il se peut, «l’y ajouter sans cesse par une progression réfléchie d’humilité, de sagesse, d’obéissance, par-dessus tout, l’accomplissement des préceptes de l’Évangile : voilà les bases du Règlement qu’elle propose. Elle le résume, avec une précision heureuse, en ces termes : « Quiconque ajoutera la continence aux vertus de l’Évangile réalisera la perfection monastique. Plût à Dieu que notre profession nous élevât seulement jusqu’à la hauteur de l’Évangile ! gardons-nous de prétendre la dépasser : n’ayons pas l’ambition d’être plus que chrétiennes3. » À ces observations judicieuses, Abélard a reconnu l’esprit de sa doctrine. Il y répond en les fortifiant de nouveaux arguments empreints d’un esprit large et généreux. En principe, il n’admet aucune infériorité de sexe au désavantage des femmes, et il fait remonter à Jésus-Christ l’institution des congrégations de religieuses. N’hésitant même pas à aller rechercher jusque chez les vierges du paganisme l’exemple anticipé des vertus chrétiennes \ il en tire la preuve de l’égalité fondamentale des deux sexes. Toutefois, ce n’est point une raison, à son sens, pour imposer aux femmes les mêmes devoirs qu’aux hommes. Il veut que l’on mesure le fardeau aux forces, à la condition que, pour tout le monde, l’effort soit en proportion des moyens. La continence, la pauvreté, le silence, sont les trois règles de profession monacale qu’il établit comme les obligations communes à l’un et à l’autre sexe. Mais pour l’un comme pour l’autre, il ne demande que l’utile cl le possible. Ni superflu, ni privations ; point de travaux excessifs, point d’oisiveté énervante ; le corps allègre, l’âme saine, le cœur pur et haut ; car Dieu regarde plutôt » ld., ibid., g 7, p. 152. » ld., VI, g 6, p. 150. ld , VII, g 0, p. 2’.’6, etc. 3Á les cœurs que les œuvres1. A ces enseignements généraux, il ajoute des recommandations spéciales sur le rôle qui convient à l’abbesse, à la tourière, aux diverses dignitaires ou officières du couvent ; il passe en revue chaque emploi et en détermine le caractère. Puis de ces détails d’organisation pratique remontant aux principes dont la pensée le domine, il conclut en exigeant, entre toutes choses, que, par l’étude approfondie, par la méditation raisonnée des saintes Écritures, on combatte l’ignorance, ce fléau de la vie monastique etde la religion. « Ne nous lassons pas, dit-il, de creuser des puits d’eau vive, c’est- à-dire de pénétrer nous-mêmes dans les profondeurs du sens des- saintes Écritures ; creusons les anciens, ouvrons-en de nouveaux. Les Philistins dussent-ils s’y opposer, persévérons avec ardeur, afin qu’il nous soit dit à nous aussi : buvez de l’eau de vos vases et de vos puits. Creusons jusqu’à ce que l’eau déborde dans les. places publi- ques. Que la science des divines Écritures ne nous permette pas seu- lement de donner satisfaction à nos propres besoins : apprenons aux autres à boire. Que les hommes boivent et les animaux aussi, suivant la parole du Prophète*. » Ces instructions, dont nous retrouvons l’application fidèle dans la Règle attribuée à Héloïse3, sont, peu après, suivies d’un recueil d’hymnes et d’un choix de sermons pour toutes les grandes fêtes de l’année. Lesxadres de la vie du Paraclet ainsi tracés, pour ainsi dire, Âbélard revient au moyen de direction sur lequel il fait le plus de fond, à savoir la culture des lettres. Il y compte pour empêcher que, « tandis que les mains sont occupées, le cœur ne s’échappe, et, infi- dèle à son céleste Époux, ne s’abandonne au commerce impur du siècle4. » Il se fait gloire d’ailleurs de pousser ses filles dansjes études qui peuvent contribuer à « régénérer la connaissance abâtardie de l’Écriture, et à tirer le monde, par le zèle des femmes, des ténè- bres où l’incurie des hommes Ta fait tomber. » Il les invite à s’attacher au lexte même de l’Évangile, en répudiant toutes les tra- ductions. « Heureuse, dit-il, l’àme qui, méditant nuit et jour sur la loi du Seigneur, étanche sa soif à la source même comme à une eau limpide, et ne s’expose pas, puisant un breuvage troublé au lieu d’un breuvage pur, à rejeter de dégoût ce qu’elle a pris8 ! » » Lettres, VIII, g 12, p. 320. „ ld., VIII, g 14, p. 360. 1 Extraits d« Règle* du monastère du Paraclet, p. 361. 4 Lettre aux vierges du Paraclet sur Vétude des Lettres, p. 512. Lettre aux vierges du Paraclet sur’Vilutle des Lettres, p. 509. « Sensibles à ces avis, répond’Héloïse, et en cela, comme en tout le reste, faisant de notre mieux pour accomplir envers vous les de- voirs de l’obéissance, nous avons été saisies, nos sœurs et moi, d’un ardent amour de la science des Écritures ; suivant votre recomman- dation, nous avons travaillé à en approfondir le sens ; mais souvent des obscurités nous arrêtent, et nous venons, comme des disciples à leur maître, comme des filles à leur père, vous demander des éclaircissements1. » Ainsi s’engage un échange de questions et de réponses : questions simples, précises, parfois embarrassantes par leur netteté même et qui témoignent d’une lecture aussi attentive qu’intelligente ; réponses étendues, raisonnées, érudites, plus subtiles en général que concluantes, mais pour lesquelles Abélard ne ménage ni son savoir ni son esprit. Ce n’étaient donc pas seulement les principes de son enseignement qui présidaient à Tordre général du Paraclet ; sa pensée en inspirait, en réglait incessamment la pensée. Et qui ne sent que, dans ce com- merce de direction souveraine et de subordination absolue, lléloïse et Abélard trouvaient, tous deux, autre chose qu’une pure satisfaction de savoir, d’intelligence et de raison ? Héloïse, fidèle à ses engagements, « a fait rentrer son cœur dans le silence. » Depuis qu’elle a promis de se contraindre, nous n’a- vons plus de sa main que la lettre où elle expose ses idées au sujet du gouvernement du Paraclet, et quelques lignes de billets d’envoi. Mais, flamme assoupie et non éteinte, le sentiment qui la possède se fait jour : ici par des exagérations de défiance d’elle-même ; là, par des effusions d’obéissance ; ailleurs, par la vigueur d’une simple expression, où elle ramasse foutes les forces de son àme ; ailleurs enfin, par des explosions de tendresse qu’elle arrête aussitôt, mais qu’elle n’a pu contenir. « 0 maître cher à tant de cœurs, mais à nul plus qu’au nôtre ! s’écrie-t-ellc*, c’est vous qui avez réuni dans ce temple, qui est vôtre, les servantes du Christ, vos filles spirituelles ; c’est vous qui les avez soumises au joug du Seigneur ; vous qui nous avez pressées de nous appliquer à l’intelligence de la parole divine, vous qui vous êtes chargé de la direction de nos éludes et de nos vertus… » Peu s’en faut qu’elle n’ait ajouté, appliquant la parole de saint Paul : « En vous nous existons, nous vivons, et nous sommes. » Toutes les recommandations, tous les conseils, les moindres mots d’Abélard, Questions et réponses, p. 515. ld., ibid. se gravent dans son esprit. Elle les recueille, s’en pénètre, s’en nourrit. Grâce à la Règle dont elle a obtenu l’approbation, au recueil de sermons, d’hymnes, de prières qu’elle s’est fait successivement envoyer, aux explications et aux commentaires qu’elle provoque sans relâche, il n’est pas un jour, pas une heure, pas un moment de sa vie, pour ainsi dire, pas une occupation où elle ne se sente éclairée, dirigée par lui. Abélard, qu’une soumission si discrète a fini par émouvoir, ne se refuse pas à en paraître touché. Ce rôle tout spirituel de directeur de conscience le met à l’aise, et à mesure qu’il s’y engage, sa sympa- thie se marque plus sensiblement. Si sa sollicitude embrasse « toutes ses filles » du Paraclet, c’est toujours à Héloïse particulièrement qu’il s’adresse, à sa sœur jadis si chère dans le siècle, plus chère encore en Jésus-Christ. 11 ne lui refuse aucun des titres, aucune des faveurs que jadis elle sollicitait vainement. Nouveau Jérôme, il se plaît à saluer en elle une Marcelle, une Paule, une Eustochie. Il l’exalte pieusement aux yeux de ses compagnes. Il reproduit ses paroles, comme pour lui prouver quel souci il a d’entrer dans sa pensée. Il ne craint même pas de laisser passer dans ses conseils quelque tendresse. Certaines expressions empreintes d’une délica- tesse affectueuse et d’une sorte de fraîcheur témoignent que, si la source de l’amour où s’est enivrée sa jeunesse est profondément refoulée dans son cœur, le temps, qui l’a recouverte, ne l’a pas, desséchée. Et quand, au concile de Sens, frappé du coup dont il ne devait plus se relever, il a mis sa conscience en règle vis-à- vis du chef de l’Église, c’est à elle encore, à elle seule qu’il songe, pour la rassurer sur l’orthodoxie de ses doctrines et sur le salut de son âme. H sait que l’écho des accusations dont il est pour- suivi n’a nulle part retenti plus douloureusement que dans le cœur d’Héloïse ; il veut que « tout sentiment d’angoisse et de doute cesse de la faire palpiter de terreur1 ; » il lui envoie sa profession de foi, testament suprême de son cœur et de sa raison. • Uttre et profetnon de foi d*Abélard, p. 545. IV Tel est l’epsemble, tel est le mouvement des lettres d’Abélard et d’Héloïse. Les incertitudes de G. Orelli et de M. Lud. Lalanne sur l’authenticité des Lettres amoureuses se seraient-elles produites, si, rompant avec la tradition du dix-septième siècle f ils avaient considéré dans son unité, comme nous avons essayé de le faire, cette correspondance, ardente, enflammée d’abord de la part d’Héloïse, autant qu’elle est froide et mesurée de la part d’Abélard, puis grave et contenue, sans cesser d’être touchante, lorsqu’Abélard a commencé à se montrer lui-même ému, et présentant dans ces deux phases une indissoluble communauté de sentiments ? Pour nous, les Lettres amoureuses n’ont pas de sens réel, détachées des Lettres de direction, tandis qu’elles s’expliquent les unes par les autres et se complètent. Assurément du moins, la persistance du sentiment qui se manifeste encore si nettement dans les Lettres de direction, aide à comprendre l’ardeur de celui qui éclate dans les Lettres amoureuses. Chose singulière, c’est l’énergie persévérante de cette passion, nous l’avons vu[51], qui a mis en défiance ! Ce qui était l’explication, la lumière, est devenue l’objection. L’erreur de la critique ne serait-elle pas simplement d’avoir voulu soumettre cet amour sans exemple à la commune mesure des sentiments humains ? « Qu’une vie est heureuse, a dit Pascal, qui commence par l’amour et qui finit par l’ambition ! » Si la vie d’Abélard a commencé, comme elle a fini, par l’ambition, nul doute que l’amour n’y ait tenu une grande place. Il était né avec l’humeur mobile et légère, le caractère violent et superbe : son cœur n’était pas* la hauteur de son génie. Destiné par son père à la profession des armes, il lui était resté de cette vocation de famille le goût de la lutte, la passion de la victoire. Impatient de toute supériorité, il ne souffrait ni la contradiction, ni l’obstacle. Tout ce qu’il convoitait lui semblait dû, et dès qu’il avait fixé un but à ses désirs, il ne se reposait que dans la satisfaction conquise. Le succès obtenu, il en épuisait les jouissances avec éclat, sans ménagement pour son adversaire ; puis il marchait, avec une ardeur nouvelle, à d’autres combats. Tel il se représente lui-même dans sa triomphante jeunesse, avant que le doigt de Dieu l’eût touché. Il avait porté dans son amour la même âpreté souveraine. Après avoir séduit Héloïse, il la sacrifia, Il avait trente-huit ans, quand îl la connut, quarante ans quand il s’en sépara. Qu’après les premiers déchirements, cette passion ne lui ait d’abord paru, dans sa vie aventureuse, qu’une aventure de plus, on peut le croire. Mais l’image d’Héloïse était profondément fixée dans son âme, plus profondément qu’il ne l’avait peut-être lui-même soupçonné. Les Lettres de direction ne nous le montrent-elles pas passant peu à peu du sentiment à peine indiqué d’une compassion froide à l’expression d’abord discrète, puis délicate et avouée d’une pieuse tendresse ? Au milieu des luttes qu’il poursuit, il écrit, il compose pour Héloïse ; pendant dix ans, il entretient assidûment avec elle un grave et doux commerce ; et lorsque toutes ses ambitions- ont été anéanties, lorsque, brisé par les coups répétés de ses adversaires, il succombe pour ne plus se relever, elle est le dernier objet de sa peine, sa dernière pensée. Certes, c’en est assez pour comprendre que, douze ans après la séparation, alors que déjà des déceptions cruelles et d’implacables inimitiés avaient commencé à faire fléchir son courage, il ait éprouvé un charme douloureux à dépeindre son amour dans la Lettre à un Ami, quand surtout les jouissances qu’il trouvait dans ces souvenirs étaient comme épurés à ses yeux par l’idée d’expiation qui y était jointe. Ce qui se justifie si aisément pour Abélard, a-t-il besoin d’être expliqué pour Héloïse ? Comme on l’a dit heureusement[52], Abélard eut deux passions : Héloïse et l’ambition ; Héloïse n’en eut qu’une : Abélard. Trois années au plus après être sortie du couvent, Héloïse y est rentrée, et rentrée à jamais, sans vocation. Ces trois années, qui furent toute sa vie, ont été enchantées tour à tour et déchirées cruellement. Le souvenir des ivresses et des douleurs qu’elle a traversées est le seul bien qu’elle se soit réservé. Est-il si difficile de concevoir que, nourri dans le silence du cloître, sans expansion, sans soulagement, ce souvenir soit resté intact et vivace au fond « d’une âme que Dieu même n’a pu disputer à son amant[53] ? » Même alors qu’il a été purifié, sinon calmé, par une pensée plus haute, ne subsiste-t-il pas dans toute sa force ? Ne survit-il pas à la mort de celui qui en est l’objet ? Abélard à peine éteint à Cluny, Héloïse fait transporter ses restes au Paraclet, poursuit son absolution, pourvoit au sort de l’enfant qu’elle devait à son amour ; et l’imagination populaire, qui ne s’exalte que pour les sentiments vrais, la représente fidèle à ce culte, pendant plus de vingt ans et jusqu’à son dernier soupir, c Oui, elle fut véritablement son amie, » dit la. Chronique de Saint-Martin de Tours ; et une touchante légende ajoute que, sur l’ordre qu’elle donna avant d’expirer, son corps ayant été déposé dans le caveau de son mari, Abélard étendit les bras vers elle pour la recevoir, et les referma dans cet embrassement[54]. Comme sa destinée, son âme est, pour me servir de l’expression appliquée par Montaigne aux grandes âmes de l’antiquité, « hors de la portée accoustumée du ject. » Les traits ne manquent pas pour la dépeindre. A l’époque où il s’occupait avec le plus de passion de Mme de Longueville, — la date n’est pas indifférente, — un jour, Y. Cousin, dans un de ces entretiens où il portait tant de feu, jeta tout d’un coup à ses interlocuteurs celte question : Quelle est la femme dont il eût été le plus deux d’être aimé ? Divers noms furent cités et discutés, celui de Vittoria Colonna, entre beau- coup d’autres. V. Cousin nomma Héloï*e, et, partant d’un trait, il se mit à parler de l’amante d’Abélard comme il parlait de toutes choses, grandement. H est regrettable que, d’une admiration si bien sentie, il ne nous reste que ce beau, mais trop bref témoignage, incidemment exprime dans l’Introduction à la philosophie d’Abélard :.. « Cette noble créature, qui aima comme sainte Thérèse, écrivit quelquefois comme Sénèque, et dont le charme devait être irrésistible, puisqu’elle charma saint Bernard lui-même… » Dans une de ses comparaisons les plus malheureuses, Pope représente Héloïse sous l’image de la vierge folle. L’attitude que toutes les traditions s’accordent à lui prêter est celle du recueillement et de la réflexion : a la très-sage Héloïse, » dit Villon[55]. L’ardeur de sa passion n’a d’égale, en effet, que la vigueur de,sa raison. L’autel qu’elle a élevé à Abélard, dans le fond de son cœur, comme dans un sanctuaire, ne lui dérobe aucune de ses faiblesses ; elle le connaît et elle le juge. Elle ne lit pas moins clairement dans sa propre pensée. Impuissante parfois à réprimer tout d’abord les mouvements qui l’entraînent, elle en a conscience, elle les analyse, les raisonne et finit par les régler. Ses lettres sont un mélange d’élans passionnés et de savantes controverses. Sous le coup des émotions les plus poignantes, son esprit reste libre. Au moment de prendre le voile, elle trouve dans ses souvenirs, pour peindre sa situation, une inspiration héroïque. À Argenteuil, tandis qu’elle souffre et s’indigne, en proie à toutes les tortures de l’amour qui la dévore, elle donne le spectacle d’une édifiante sérénité. La lecture de Sénèque et des Pères de l’Église, dont elle était nourrie, n’avait pas seulement orné son imagination ; elle avait trempé son âme. Au premier siècle de notre ère, païenne, elle eût honoré le stoïcisme ; .chrétienne, elle eût fait aimer et glorifier le martyre. Incapable de se résigner, elle sait se contraindre. Elle discute avec saint Bernard[56], le faux apôtre ; comme elle l’appelait dans son implacable fidélité aux ressentiments de son époux. Les plus fougueux adversaires d’Abélard la ménagent. Les Papes la protègent[57]. La volonté d’Abélard est la seule sous laquelle elle s’incline, et elle lui obéit plutôt qu’elle ne lui cède. Cette fermeté d’intelligence l’avait, au témoignage de Pierre le Vénérable, distinguée dès sa jeunesse ; la vie monastique avait achevé d’en condenser les forces. Faut-il s’étonner qu’avec une telle puissance de caractère et de réflexion, elle ait pu, à quelques années de distance, retracer toutes les péripéties d’un amour que le temps et la séparation n’avaient fait, qu’enflammer ? Au milieu des intérêts qui se disputent la vie fiévreuse des sociétés modernes, nous avons peine à concevoir cette domination d’un sentiment unique absorbant en lui toutes les énergies d’une noble intelligence. Mais n’est-ce pas la marque et la grandeur des époques analytiques et rêveuses .comme le moyeu âge d’avoir, par ce travail de concentration généreuse, pour ainsi dire, produit, sous la figure des Godefroy de Bouillon, des saint Louis, des Jeanne d’Arc, le type achevé des plus belles, des plus saintes passions ? Et si ce n’est point par Abélard et par Héloïse que ces lettres ont été écrites, quel en est donc l’auteur ? « Un ami, dit Orelli, un admirateur qui les aurait rédigées après leur mort, assez heureusement. » Certes, la rédaction est assez heureuse. Celui-là était un écrivain de génie, qui a pu concevoir et exprimer avec une telle éloquence une telle passion ; il mériterait d’être connu comme un des maîtres de notre art dramatique ; il était digne de peindre l’âme des Émilie et des Hermione, des Pauline et des Phèdre. Plus ingénieuse, la conjecture de M. Lud. Lalanne est aussi plus plausible. Ce qui a surtout éveillé les doutes de M. Lalanne sur l’authenticité des Lettres amoureuses, c’est le tour de certains passages suspects à ses yeux d’arrangement[58] ; » et il conclut en supposant qu’Héloïse avait conservé les minutes de ses propres lettres en même temps que celles d’Abélard, et que c’est elle qui les a « arrangées » et disposées dans la suite, a en forme de composition régulière. » La supposition n’a rien que d’acceptable, et l’on aime à se figurer Héloïse relisant et remaniant cette correspondance si chère. C’est, à nos yeux, un trait de vérité de plus dans l’histoire de cette passion unique. Mais est-il besoin de recourir à tant de mystère ? Nul doute d’abord que la Lettre à un Ami ait couru le monde. Rien de plus simple, d’autre part, qu’Héloïse ait gardé précieusement toutes les réponses d’Abélard, et qu’elle ait pris copie des siennes, avant de les transmettre. L’œuvre s’est ainsi composée toute seule, parle simple rapprochement des morceaux qui se faisaient suite naturellement. Est-ce à dire maintenant que ces morceaux n’aient subi aucune retouche, et que le manuscrit de Troyes, qui date d’un siècle après la mort d’Héloïse, nous les ait transmis tels qu’ils étaient sortis de sa main et de celle d’Abélard ? La langue d’Abélard et d’Héloïse, on le sait, n’est pas pure. Semé de traits brillants, mais surabondamment nourri de textes, orné plutôt qu’élégant, parfois rude et grossier, toujours tendu et comme armé en guerre, le style d’Abélard manque en général de naturel et de charme. Celui d’Héloïse, bien supérieur par la vigueur et par le feu, présente d’étranges intermittences de froideur, partout où la controverse se glisse à la place de la passion, et Bayle n’a pas tort de dire que, si Bussy-Rabutin « se fût aussi bien connu en langue latine qu’en langue française, il n’eût pas donné tant d’éloge à sa latinité, trop souvent pédantesque et subtile. » C’étaient les défauts propres au temps. Ces défauts n’ont-ils pas été encore aggravés dans la transcription des manuscrits ? Pour nous, c’est d’abord à cette marque que nous reconnaîtrions volontiers la trace du travail des interpolateurs. Bien qu’Abélard et Héloïse, suitvant les goûts de leur siècle, tinssent l’érudition et la dialectique à grand honneur, évidemment les surcharges de citations et de raisonnements, qui viennent tout d’un coup briser et comme écraser, surtout dans les lettres d’Héloïse, le mouvement des pages les plus entraînantes, accusent l’intervention d’une main étrangère. Que cette nain ait, en outre, introduit certains liens, certains arrangements, il n’est pas déplacé de le croire. Mais qu’importe ? Cet appareil de régularité trop savante n’est-il pas justement ce qu’on voudrait détacher des lettres d’Héloïse et d’Abélard, comme on détache la gangue du métal précieux ? Non, ce ne sont point les interpolateurs ou les arrangeurs, quels qu’ils soient, qui ont fait vivre cet admirable correspondance ; c’est asses pour leur honneur de n’avoir pas empêché qu’elle ait vécu. Ce qui l’a fait vivre, c’est ce qu’Héloise y a déposé de son âme ; Abélard, de son grand esprit. Son originalité impérissable est dans le souffle de passion qui, à des degrés divers, l’anime d’un bout à l’autre et la remplit. Aussi est-elle demeurée un monument sans rival comme sans modèle ; elle a fait école, en restant inimitable. Les plaintes exaltées de l’héroine des Lettres portugaises, que la critique se plait d’ordinaire à en rapprocher[59] ; ses appels de tendresse[60], d’une grâce efféminée et monotone, n’ont rien de commun avec les cris de souffrance, les murmures de contrainte, les efforts de soumission d’Héloïse. C’est une âme qui s’exhale, a-ton dit de la Religieuse portugaise ; Héloïse est un caractère. D’un autre côté, à ne prendre dans la Nouvelle Héloïse que la peinture des sentiments qui témoignent d’une idée d’emprunt, l’œuvre élevée par Rousseau aux « deux idoles de son cœur, l’amour et l’amitié, » ne rappelle-t-elle pas trop souvent le spirituel traité où Saint Évremont décrit l’amour sans amour et l’amitié sans amitié ? La beauté de langage la plus soutenue ne peut tenir lieu de la vérité des sentiments. Faut-il l’ajouter ? Mêler le souvenir d’Héloïse à une conception de roman, si touchante qu’elle soit, c’est, à nos yeux, une sorte de profanation. Dans l’histoire des passions humaines, il est des caractères empruntés à l’histoire ou créés par la poésie, que l’admiration universelle a, pour ainsi dire, consacrés. Qui oserait jeter dans une intrigue vulgaire les noms d’Alceste, d’Iphigénie, d’Antigone, d’Andromaque, de Pauline ? C’est sur ces cimes inviolables que nous voudrions placer Héloïse. Parmi ses contemporains, les rois, les peuples, l’Église même s’inclinaient devant son infortune ; elle inspire au monde entier un respect attendri. À ce degré d’absolu sacrifice, en effet, et d’épuration généreuse, composé de cet incomparable mélange de passion et de raison, d’abandon et de force, l’amour n’est-il pas une des formes des plus nobles de la grandeur humaine ? ne touche-t-il pas à la vertu ? LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE EPISTOLA PRIMA QUÆ EST HISTORIA CALAMITATUM ABÆLARDI AD AMICUM SCRIPTA ARGUMENTUM Hanc epistolam ex monasterio Divi Gildasii, in minore Britannia sito, quod tunc ipse l’etrus Abælardus abbas regebat1, scribit ad amicum cujus nomcn tota cpistola, licct prolixa, nec ipse edit, ncc etiam Hcloissa, quum hujus cpistohc mcminit in sccunda. Est autcm nar- ratoria. Toto enim epistola; textu suam vilam anle actam ab infantia nd illud usquc lempus, quo hanc scripsit, diligenlcr enarrat; nullam lamen Joanuis Ilozelini menlioncm facit, quo philosopho docti- tolam potius ad propriam quam ad amici consolationcm scripsisse vidctur, siilicct tit et prasentes calamttales cx recordationc proteritarum lcnius ferrct. et immincnlium perti- culorum timorem iacilius detergcret. Kullas enim amici molestias cum suis confcrt, ul cx comparalione graviores appareant. Srcpe humanos affectus aut provocant aut mitigattt amplius exempla quani verba. Untle post uonnullam sermonis ad pra?sentem habiti consolationem, de ipsis calamitatum mearum experimentis consolutoriam ad absentcm scri- bere decrevi : ut in comparatione mearum, tuas aut nullas, aut modicas lentationes recognoscas, et tolcrabilius feras. I. Ego i^ttur oppido quodam oriundus quod in ingressu minoris Dritan- nise constructum, ab urbc Nannetica versus orientem octo, credo, milliariis remotum, proprio vocabulo Palatium appellatur. Sicut naluraterrae raeaevel generis animo levis, ita et ingenio extiti ad litteratotiam disciplinam faciiis. Patrem autem habebam litteris aliquantulum imbutum, antequam militari cingulo insigniretur. Unde postmodum tauto litteras nmore complc\us esl, ut quoscunque filios habcret litleris nntequam armis instrtti clisponoiet. Sic- 1 Cette indication cst une eneur : Abelard avait, u celtc epoquc, ainsi qu'il ic dit ii l* fltt de sa lettrc, quittc Saiot-Gildas. LETTRE PREMIÈRE HISTOIRE DES MALHEURS D’ABÉLARD ADRESSÉE À UN AMI SOMMAIRE Celle lettre est adressée par Abélard, du monastère de Saint-Gildas, situé en Bretagne, qu’il dirigeait alors, à un ami, dont le morceau, bien que fort étendu, ne fait pas connaître le nom, et qu’Héloïse, en s’y référant, ne désigne pas non plus dans le morceau suivant. Elle est rédigée sous forme de récit. Abélard y raconte tout au long l’histoire de sa vie depuis son enfance. Toutefois, il ne fait aucune mention de Jean Rosselin, le savant philosophe dont l’évêque Othon de Freisingen, écrivain d’une autorité considérable et son contemporain, affirme qu’il suivit les leçons. Mais il expose en détail les sentiments qui ont inspiré sa conduite ou ses écrits, les persécutions dont il a été l’objet, les fureurs de l’envie qui a animé ses rivaux contre lui, et il en prend occasion pour adresser, en passant, un mot de vive réponse à ses ennemis. Enfin, il parait avoir écrit cette lettre comme un soulagement pour lui-même plutôt que comme une consolation pour autrui, c’est-à-dire en vue du rendre plus léger le poids de ses infortunes présentes par le souvenir de ses malheurs passés, et d’effacer de son cœur la crainte des périls qui le menacent. Nulle part, en effet, il n’établit entre les chagrins de son ami et les siens aucun rapprochement de nature à en faire sentir la gravité relative. Souvent l’exemple a plus d’effet que la parole pour exciter ou pour calmer les passions humaines. Aussi, après vous avoir fait entendre de vive voix quelques consolations, je veux retracer à vos yeux le tableau de mes propres infortunes : j’espère qu’en comparant mes malheurs et les vôtres, vous reconnaîtrez que vos épreuves ne sont rien ou qu’elles sont peu de chose, et que vous durez moins de peine à les supporter. I. Je suis originaire d’un bourg situe à l’entrée de la Bretagne, à huit milles environ de Nantes, vers l’est, et appelé le Palais. Si je dois à la vertu du sol natal ou au sang qui coule dans mes veines la légèreté de mon caractère, je reçus en même temps de la nature une grande facilité pour la science. Mou père, avant de ceindre le baudrier du soldat, avait reçu quelque teinture des lettres ; et plus tard, il s’éprit pour elles d’une telle passion, qu’il voulut faire donner à tous ses fils une éducation littéraire, avant de les former au métier des armes. Et ainsi fut-il réalisé. J’étais son que profecto actum est. Me itaque primogenitum suum, quanto cariorem habebat, tanto diligentius erudiri curavit. Ego vero, quanto amplius et facilius in studio litterarum profeci, tanto ardentius in eis inhæsi, et in tanto earum amore illectus sum ut, militaris gloriæ pompam cum hæredidate et prærogativa primogenitorum meorum fratribus derelinquens, Martis curias penitus abdicarem ut Minervæ gremio educarer. Et quo iam dialecticarum rationum armaturam omnibus philosophiæ documentis prætuli, his armis alia commutavi, et trophæis bellorum conflictus prætuli disputationum. Proinde diversas disputando perambulans provincias, ubicunque hujus artis vigere studium audieram, peripateticorum æmulutor factus sum. II. Perveni tandem Parisius, ubi jam maxime disciplina hæc florere consueverat, ad Guillelmum scilicet Campellensem, præceptorem meum in hoc tunc magisterio re et fama præcipuum : cum quo aliquantulum moratus primo ei acceptus, postmodum gravissimus extiti, quum nonnullas scilicet ejus senientias refellere conarer, et ratiocinari contra cum sæpius aggrederer, et nonnumquam superior in disputando viderer. Quod quidem et ipsi qui inter conscholares nostros præcipui habebantur tanto majori sustinebant indignatione, quanto posterior habebar ætatis et studii tempore. Hinc calamitatum mearum, quæ nunc usque perseverant, cœperunt exordia, et quo amplius fama extendebatur nostra, aliena in me succensa est invidia. Factum tandem est ut, supra vires ætatis meæ de ingenio meo præsumens, ad scholarum regimen adolescentulus aspirarem, et locum, in quo id agerem, providerem : insigne videlicet tunc temporis Meliduni castrum, et sedem regiam. Præsensit hoc prædictus magister meus, et quo longius posset scholas nostras a se removere conatus, quibus potuit modis latenter machinatus est ut, priusquam a suis recederem scholis nostrarum præparationem præpediret, et provisum mihi locum auferret. Sed quoniam de potentibus terræ nonnullos ibidem habebat æmulos, fretus eorum auxilio, voti mei compos extiti, et plurimorum mihi assensum ipsius invidia manifesta conquisivit. Ab boc autem scholarum nostrarum tyrocinio ita in arte dialectica nomen meum dilatari cœpit, ut non solum condiscipulorum meorum, verum etiam ipsius magistri fama contracta paulatim extingueretur. Hinc factum est, ut, de me amplius ipse præsumens, ad castrum Corbolii, quod Parisiacæ urbi vicinius est, quantocius scholas nostras transferrem, ut inde videlicet crebriores disputationis assuitus nostra daret importunitas. Non multo autem interjecto tempore, ex immoderata studii afflictione correptus infirmitate, coactus sum repatriare, et per annos aliquot a Francia quasi remotus, quærebar ardentius ab iis quos dialectica sollicilabat doctrina. Elapsis autem paucis annis, quum ex infirmitate jamdudum convalerem, præceptor meus premier-né ; plus je lui étais cher, plus il s’occupa de mon instruction. De mon côté, plus j’avançais avec rapidité dans l’étude, plus je m’y attachais avec ardeur, et tel fut bientôt le charme qu’elle exerça sur mon esprit, que, renonçant à l’éclat de la gloire militaire, à ma part d’héritage, à mes privilèges de droit d’aînesse, j’abandonnai définitivement la cour de Mars pour me réfugier dans le sein de Minerve. Préférant entre tous les enseignements de la philosophie la dialectique et son arsenal, j’échangeai les armes de la guerre contre celles de la logique et sacrifiai les triomphes des batailles aux assauts de la discussion. Je me mis à parcourir les provinces, allant partout où j’entendais dire que cet art était en honneur, et toujours disputant, en digne émule des péripatéticiens. II. J’arrivai enfin à Paris, où depuis longtemps la dialectique était particulièrement florissante, auprès de Guillaume de Champeaux, considéré, à juste titre, comme le premier des maîtres dans ce genre d enseignement, et je séjournai quelque temps à son école. Mais, bien accueilli d’abord, je ne tardai pas à lui devenir incommode, parce que je m’attachais à réfuter certaines de ses idées, et que, ne craignant pas d’engager la bataille, j’avais parfois l’avantage. Cette hardiesse excitait aussi la colère de ceux de mes condisciples qui étaient regardés comme les premiers, colère d’autant plus grande que j’étais le plus jeune et le dernier venu. Ainsi commença la série de mes malheurs, qui durent encore. Ma renommée grandissant chaque jour, l’envie s’alluma contre moi. Enfin, présumant de mon esprit au delà des forces de mon âge, j’osai, tout jeune encore, aspirer à devenir chef d’école, et déjà j’avais marqué dans ma pensée le théâtre de mon action : c’était Melun, ville importante alors et résidence royale. Mon maître soupçonna ce dessein et mit sourdement en œuvre tous les moyens dont il disposait pour éloigner ma chaire de la sienne, cherchant, avant que je quittasse son école, à m’empêcher de former la mienne et à m’enlever le lieu que j’avais choisi. Mais il avait des jaloux parmi les puissants du pays. Avec leur concours, j’arrivai à mes fins ; la manifestation de sou envie me valut même nombre de sympathies. Dès mes premières leçons, ma réputation de dialecticien prit une extension telle, que la renommée de mes condisciples, celle de Guillaume lui-même, peu à peu resserrée, en fut comme étouffée. Le succès augmentant ma confiance, je m’empressai de transporter mon école à Corbeil, ville voisine de Paris, afin de pouvoir plus à l’aise multiplier les assauts. Mais peu après, atteint d’une maladie de langueur causée par un excès de travail, je dus retourner dans mon pays natal ; et pendant quelque temps je fus, pour ainsi dire, séquestré de la France. J’étais ardemment regretté par tous ceux que tourmentait le goût de la dialectique. Quelques années s’étaient écoulées, depuis longtemps déjà j’étais rétabli, quand mon illustre maître, Guillaume, archidiacre de Paris, quitta son habit pour entrer dans Tordre des clercs réguliers, avec la pensée, disait-on, que cette manifestation de zèle le pousserait dans la voie des ille Guillelmus Parisieusis archidiaconus, habitu pristino commutato, ad re- gularium clericorum ordinein se convertit ; ea, ut referebant, intenlione, ut, quo rcligiosior crederetur, ad majorem praelationis gradum promove- retur, sicut in proximo contigit, eo Catalaunensi episcopo facto. Nec tamen is suae conversionis habitus aut ab urbc Parisiaca, aut a consueto philosophiae studio eum revocavit : sed in ipso quoque monasterio, ad quod se causa religioni* contulerat, statim more solito publicas exercuit scholas. Tum ego ad eum reversus ut ab ipso rhetoricam audirem, inter caetera disputatiouum nostrarum conamina, anliquam ejus de universalibus sententiam pateutissimis argumentorum disputationibus ipsum commu- tare, imo destruere compuli. Erat autem in ea sententia de communitate universalium, ut eamdem essentialiter rem lotam simul singulis suis inesse astrueret individuis ; quorum quidem nulla esset in essentia diversitas, sed sola multitudine accidentium varietas. Sic autem istam tunc suam correxit sententiam, ut deiuceps rem eamdem non essentiaiiter, sed indiflerenter di- ceret. Et quoniam de universalibus in hoc ipso pnei ipua semper est apud dialecticos quaestio, ac tanta ut eam Porphyrius quoque in hagogis suis, quum de universalibus scriberet, diftinire non prsesumeret, dicens : « Altissimum euim est hujusmodi negotium ; » quum hanc ille correxissct, imo coactus dimisisset sententiam, in tantam lectio ejus devoluta est negligentiam, ut jam ad dialectic® lectionem vix admitlcretur : quasi in hac scilicet de universalibus sententia tota hujus artis cousisteret summa. Hinc tantum roboris etauctoritatisnostra suscpit disciplina, ul ii qui, antea vehemcntius magistro illi nostro adhsrebant, et maxime noslram infestabant doctrinam, ad nostras convolarent scholas ; et ipse, qui iu scholis Parisiacae sedis ma- gistro nostro successerat, locum mihi suum offerret, ut ibidem cum cseteris nostro se traderet magisterio, ubi antea suus ille et uoster magister floruerat. Paucis itaque dicbus ibi me studium dialectieae regente, quanta invidia ta- bescere, quanto dolore xstuare coeperit magister noster, non est faciie ex- primere. Nec conceptse miseriae aestum diu sustiuens, callide aggressus est me etiam tunc removere. Et quia in me quod aperte ageret non habebat, ei scholas auferre molitus est, turpissimis objectis criminibus, qui mihi suum concesserat magisterium, alio quodam semulo meo in locum ejus substituto. Tuncego Melidunum reversus, scholas ibi nostras, sicut antea, constitui ; et quanto manifestius ejus me persequebatur iuvidia, tanto mihi auctoritalis amplins eonferebat, juxta illud poeticum[61] : Summa prlit livor, pcrflant altissima venli. Non multo autem post, quum ille intelligeret fere omnes discipulosde rcli- dignités ; ce qui, en effet, ne tarda pas à arriver : car il fut fait évêque de Chalons. Ce changement de profession toutefois ne lui fit abandonner ni le séjour de Paris ni ses éludes de philosophie, et dans le monastère même où il s’était retiré par esprit de piété, il rouvrit aussitôt un cours public d’enseignement. Je revins alors auprès de lui, pour étudier la rhétorique à son école. Entre autres controverses, j’arrivai, par une argumentation irréfutable, a loi faire amender, bien plus, à ruiner sa doctrine des universaux. Sur les universaux, sa doctrine consistait à affirmer l’identité parfaite de l’essence dans tous les individus du même genre, en telle sorte que, selon lui, il n’y avait point différence dans l’essence, mais seulement dans l’infinie variété des accidents individuels. Il en vint alors à modifier cette doctrine, c’est-à-dire qu’il affirmait toujours l’essence dans un même genre, mais non plus sans différence. Et comme cette question des universaux avait toujours été une des questions les plus importantes de la dialectique, si importante que Porphyre, la touchant dans ses Préliminaires, n’osait prendre sur lui de la trancher et disait : « c’est un point très-grave, » Champeaux, qui avait été obligé de modifier sa pensée, puis d’y renoncer, vit son cours tomber dans un tel discrédit, qu’on lui permettait à peine de faire sa leçon de dialectique, comme si la dialectique eût consisté tout entière dans la question des universaux. Cette situation donna à mon enseignement tant de force et d’autorité, que les partisans les plus passionnés de ce grand docteur et mes adversaires les plus violents l’abandonnèrent pour accourir à mes leçons ; le successeur de Cham ; eaux lui-même vint m’offrir sa chaire et se ranger, avec la foule, parmi mes auditeurs, dans l’enceinte où avait jadis brillé d’un si vif éclat son maître et le mien. Au bout de peu de temps, je régnais donc sans partage dans le domaine de la dialectique. Quel sentiment d’envie desséchait Guillaume, quel levain d’amertume fermentait dans son cœur, il ne serait point facile de le dire. il ne put pas longtemps contenir les bouillonnements de son ressentiment, et il chercha encore une fois à m’écarter par la ruse. N’ayant point de motif pour me faire une guerre ouverte, il fit destituer, sur une accusation infamante, celui qui m’avait cédé sa chaire, et eu mit un autre à sa place pour me faire échec. Alors, revenant moi- même à Melun, je rétablis mon école, et plus j’étais manifestement poursuivi par l’envie, plus je gagnais en considération, suivant le mot du poète : « La grandeur est en butte à l’envie ; c’est contre les cimes élevées que se déchaînent les tempêtes. » Peu de temps après, sentant que la sincérité de sa piété était suspecte a la plupart de ses disciples et qu’on murmurait tout haut au sujet de sa gione ejus plurimum haesitare, et de conversione ipsius vehementer susur- rare, quod videlicet a civitalc minime recess sset, translulit sc et conventi- culum fralrum cum scholis suis ad villam quamdam ab urbc remolam. Statimque ego Meliduno Parisius redii, pacem ab illo ulterius sperans. Sed - quia, ut diximus, locum nostrum ab aemulo nostro fecerat occupari, extra civitatcm in monte S. Genovefae, scholarum noslrarum Vastra p jsui, quasi eum obsessurus qui locum occupavcrat nostrum. Quoaudito, magister nos- ter statim ad urbem impudeuter rediens, schola- quas tunc habere poterat, etcotiventiculum fratrura ad pristinum reduxit mouasterium, quasi mililem suum, quem deseruerat, ab obsidione noslra liberaturus. Yerum, quum ifli prodessein’euderel, maxime nocuit. llle quippe anlea aliquos habebat qua- lescunque discipulos maxime propter lectionem Prisciani in qua plurimuni valere credebatur. Postquam autem magister advenit, omues pcnitus ami- sit, et sic a regimiue scholarum cessare compulsus est. Nec post multum tempus, quasi jam ulterius de mundaua desperans gloria, ipse quoque ad monasticam conversus est \itam. Post rediium vero magistri nostri ad ur- bem, quos conflictus disputatiouum scholares nostri, tam cum ipso, quam cum discipulis ejus habueriut, et quos fortitua eventus in his bellis dederit nostiis, imo mihi ipsi in eis, te quoque res ipsa jam dudum edocuit. Illtid vero Ajacis et tempjrautius loquar, et au.lacler proferam [62] : Si queritis hujus Fortunam pugnse, noa sum superutus ab HIo. Quod si ego taceam, res ipsa clamat, et ipsius rei finis indicat. III. Dum verohaec agerentur, carissima mihi mnter mea Lucia repalriare v me compulit. Quaj videlicet, post convcrsionem Berengarii palris mei ad professionem monasticam, id»*m facere disponebat. Quo complcto, reversus sum in Franciam, maximc ut de Diviniate addiscerem, quandojam siepe fatus magistcr noster Guillelmus in episcopatu Gatalaunensi polhbat, in hac autem lectione magistcr ejus Anselmus Landunensis maximam ex antiquitate auctorilatem tunc tenebat. Accessi igitur ad hunc scnem, cui raagis longacvus usus quam ingenium vel memoria nomen comjiaraverat. Ad quem si quis dc aliqua quacstione pulsandum accederet incertus, redibat incertior. Mirabilis quidem eral in oculis ausciiltantium, sed nullus in conspeclu qMrrstionanlium. Verborum usum habebal mirabilem, red sensu contemplibilern, et rationc vacuum. Quum ignem accenderet, doinumsuam fumo implcbnt, nonluce illustrabat. Arborejus tota infoliis aspicicn.ibus a longe conspicua videbatur, sed pro- pinquantibus et diligentius intueutibus infructuosa reperiebatur. Ad hanc versionconversion qui ne lui avait pas fait un moment quitter Paris, il se transporta, lui, sa petite confrérie et son école, dans une campagne, à quelque distance de la capitale. Aussitôt je revins de Melun à Paris, avec l’espérance qu’il me laisserait la paix. Mais voyant qu’il avait fait occuper ma chaire par un rival, j’allai établir mon camp hors de la ville, sur la montagne Sainte-Geneviève, comme pour faire le siège de celui qui avait usurpé ma place. À cette nouvelle, Guillaume, perdant touts pudeur, revint à Paris, ramenant ce qu’il pouvait avoir de disciples et sa petite confrérie dans un ancien cloitre, comme pour délivrer le lieutenant qu’il y avait laissé. Mais, en le voulant servir, il le perdit. Eu effet, le malheureux avait encore quelques disciples tels quels, à cause de ses leçons sur Priscieu qui lui avaient valu quelque réputation. Le maître à peine de retour, il les perdit tous, dut renoncer à son école, et peu après, désespérant de la gloire de ce mondé, il se convertit, lui aussi, à la vie monastique. Les discussions que mes élèves soutinrent avec Guillaume et ses disciples après sa rentrée à Paris, les succès que la fortune nous donna dans ces rencontres, la part qui m’en revint, sont des faits que vous connaissez depuis longtemps. Ce que je puis dire avec un sentiment plus modeste qu’Ajax, mais hardiment, c’est que, « si vous demandez quelle a été l’issue de ce combat, je n’ai poiut été vaincu par mon ennemi. » Je voudrais n’en rien dire, que les faits parleraient d’eux-mêmes, et l’événement le ferait assez connaître. III. Sur ces entrefaites, Lucie, ma tendre mère, me pressa de revenir en Bretagne. Bérenger, mon père, avait pris l’habit ; elle se préparait à faire de même. La cérémonie accomplie, je revins en France, particulièrement dans l’intention d’étudier la théologie. Guillaume, qui l’enseignait depuis quelque temps, avait commencé à s’y faire un nom dans son évêché de Châlon : il avait reçu les leçons d’Anselme de Laon, le maître le plus autorisé de ce temps. J’allai donc entendre ce vieillard. C’était à la routine, il est vrai, plutôt qu’à l’intelligence et à la mémoire qu’il devait sa réputation. Allait-on frapper à sa porte et le consulter sur quelque difficulté, on remportait plus de doutes qu’on n’en avait apportés. Admirable aux yeux d’un auditoire, dans une entrevue de consultation il était nul. Il avait une merveilleuse facilité de langage, mais le fond était misérable et vide de raison. Le feu qu’il allumait remplissait la maison de fumée et n’éclairait point. C’était un arbre tout en feuilles qui, de loin, présentait un aspect imposant : de près, et quand on l’examinait avec attention, on trouvait un bois stérile. Je m’en était approché pour recueillir quelque fruit ; je reconnus que c’était le ilaque quuni accessissem ul fructum inde colligerem, deprchendi illam csse ficulncam cui maledixit Dominus, scu illum vcterem quercum, cui Pom- peium Lucanus comparat diccns [63] : Stat magni nominis iimbra, Qualis frugifero qucrcus sublimis in agro. Hoc igitur comperto, non multis diebus in umbra ejus otiosus jacui. Paulatim vero me jam rarius et rarius ad lectiones ejus acccdentc, quidam tunc intcr discipulos ejus emincntes graviter id ferebant, qunsi tanti magistri contemptor ficrem. Proindc, illucn quoquc adversum me latcnter commovcntcs, pravis suggestionibus ei me invidiosum fecerunt. Accidit autem, quadam die, ut post aliquas sententiarum collationes nos scholares invicem jocarc- mur. Ubi quum me quidam animo intcntans interrogavisset quid mihi de divinorum lectione librorum videretur, qui nondum nisi in physicis studueram, respondi saluberrimum quidem hujus lectionis esse studium ubi salus animac cognoscitur, sed me vcliementer mirari, quod liis qui tilterati sunt, ad cxpositiones Sanctorum intelligcndas, ipsa eorum scripta vel glosre non sufliciant, ut alio scilicet non cgeant magisterio. Irridentes plurimi qui ade- rant, an hoc ego possem et aggredi pra ?suincrem, requisicruut. Rcspondi me id, si vellent, experiri paratum csse. Tunc conclamantes ct amplius irri- dentes : « Certe, inquiunt, et nos assentimus. » — « Quosratur itaque et tradatur vobis cxpositor alicujus inusitata ? scriptura ?, et probemus quod vos promittitis. » Et consenserunt omncs in obscurissima Ezechielis prophetia. Assumpto itaque expositore, statim in crastino eos ad lcctiouem invitavi. Qui, invito niilii consilium dantes, dicebant ad rcm tantam non csse propcrandum, sed diutius in expositione rimanda et firmauda mihi hanc inexperto vigilan- dum. Indignatus autem respondi non esse meae consuctudiuis per usum proficere, sed peringenium ; alquc adjeci vel me penilus desiturum esse, vel eos pro atbitrio mco ad lcctionem acccdere non diflerrc. Et prima ? quidcm lcctioni nostnc pauci tunc inteifuere, quod lidiculum omnibns vide- retur me. adhuc quasi penitus sacrac lcctionis expcrtem, id tam propcrc ag- gredi. Omuibus tamen qui affuerunt in tantum Iectio illa grata extitit, ut eam singulari praxonio extollcrent, et me secundum hunc nostnc lectionis tenorem ad glosandum compellercnt. Quo quidem audilo, ii qui non inter- fuerant coeperunt ad sccundam ct tcrtiam lcctioncm cerlalim acccdere, et omnes pariter de transcribendis glosis quas prima die incorpcram, in ipso eorum initio plurimum solliciti essc. IV. Hinc itaque prccdictus senex vehemcnti commotus invidia, et quomm- guierfiguier maudit par le Seigneur, ou le vieux chêne auquel Lutain compare Pompée dans ces vers : « Ce n’est plus que l’ombre d’un grand nom : tel le chêne altier dans une campagne féconde. » La chose reconnue, je ne demeurai pas longtemps oisif sous son ombre. Je me montrai de moins en moins assidu à ses leçons, Quelques-uns de ses disciples les plus distingués en étaient blessés, comme d’une marque de mépris pour un tel docteur. L’excitant donc sourdement contre moi, ils parvinrent, par leurs suggestions perfides, à l’émouvoir de jalousie. Un jour, après la séance de controverse, nous devisions familièrement entre camarades : l’un d’eux, m’ayant demandé insidieusement ce que je pensais de la lecture des livres saints, moi qui n’avais encore étudié que la physique, je répondis que c’était la plus salutaire des lectures, puisqu’elle nous éclairait sur le salut de notre âme, mais que j’étais extrêmement étonné que des gens instruits ne se contentassent point, pour expliquer la Bible, du texte même et de la glose, et qu’il leur fallût un commentaire. Cette réponse fut accueillie par un rire général. On me demanda si je me sentais la force et la hardiesse d’entreprendre une pareille tâche. Je répondis que j’étais prêt à en faire l’épreuve, si l’on voulait. Se récriant alors, et riant de plus belle : « Assurément, dirent-ils, nous y consentons de grand cœur. » — « Eh bien ! repris-je, qu’on cherche et qu’on me donne un texte qui ne soit pas usé avec une seule glose, et je soutiendrai le défi. » D’un commun accord, ils choisirent une obscure prophétie d’Ézéchiel. Je pris la glose, et je les invitai à venir, dès le lendemain, entendre mon commentaire. Ne prodiguant alors des conseils que je ne voulais pas entendre, ils m’engageaient à ne point précipiter une telle épreuve, à prendre plus de temps, dans mon inexpérience, pour trouver et arrêter mon interprétation. Piqué au vif, je répondis que j’avais l’habitude de compter non sur le temps, mais sur mon intelligence ; j’ajoutai que je renonçais à l’épreuve, s’ils ne venaient m’entendre sans autre délai. Ma première leçon réunit, il est vrai, peu de monde : il paraissait ridicule qu’un jeune homme, qui n’avait fait aucune étude des livres saints, les abordât si légèrement. Cependant, ceux qui m’entendirent furent tellement ravis de cette séance, qu’ils en firent un éloge éclatant, et m’engagèrent à donner suite a mon commentaire suivant la même méthode. La chose ébruitée, ceux qui n’avaient pas assisté à la première leçon s’empressèrent à la seconde et à la troisième, tous jaloux de prendre en note mes explications, surtout celles de la première séance. IV. Ce succès alluma l’envie du vieil Anselme. Déjà excité contre moi, comme je l’ai dit, par des instigations malveillantes, il commença à me dam persuasionibusjam adversum me, utsupramemiui,ex tuncstimulatus, lioii minus in sacra lectione mc perscqui coepit, quam antca Guillelmus noster in philosopbia. Erant autem tunc in scliolis hujus senis duo qui caeteris praeemtnere videbantur : Albcricus scilicet Remensis, et l.otulphus Lombardus ; qui quanto dc se majora praesumebant, amplius advcrsum mc acccndebantur. Horum ihque maximc suggestionibus, sicut postmodum deprehensum est, senex ille perturbatus impudenter mihi interdixit incneptum glosandi opus in loco magisterii sui amplius excrcere : hanc videlicet causam pree- tendens, ne si forle in illo opere aliquid per crrorem sctiberem, ut pote rudis adhuc in hoc studio, ei deputarelur. Quod quum ad aures scholarium pervenisset, m.ixima commoti sunt indignatione super tam manifesla livoris calumnia, quaenemini unquam ulterius acciderat. Quac quanto raanifestior, tanto mihi honorabilior extitit, et persequendo gloriosiorem effecit. V. Post paucos itaque dies Parisius reversus, scholas mihi jamdudum dcstinatas atque oblatas, unde primo fueram cxpulsus, aunis aliquilms quicte possedi ; atque ibi in ipso statim scholarum inilio glosas illas Ezcchietis, quas Lauduni incoeperam, consummare studui. Qusc quidem adeo legcntibus acceptabiles fuerunt, ut me non minorem grntiam in sacra lectione adeptum jam crederent, quam in philosophica viderant. Unde utriusque lectiouis stu- dio scholae nostne vehementer multiplicalae quanta mihi de pecunia lucra, quantam gloriam compararent, ex fama te quoque lalere non potuit. Sed quoniam prosperitas stultos sempcr inftat, et mundana tranquillitas vigorem enervat animi, et per carnales illccebras facile resolvit ; quum jam me solum in mundo superesse philosophum sestimarem, nec ullam ulterius inquicta- tionem formidarein, Irena libidini coepi laxare. qui antea vixeram continen- tissime ; et quo amplius in philosophia vel sacra lectione profeccram, am- plius a philosophis et divinis immunditia vitao rec^debam. Coustat quippe philosophos, nedum divinos, id est sacrae lectionis exliorlationibus iutentos, continentiae decore maximc polluisse. Quum igitur tolus in superbia atquc luxuria laborarem, utriusquc morbi remedium divina mihi gratia, licet no- leuti, contulit ; ac primo luxuriae, dcinde superbiac : luxuriae quidcm, his mc privando quibus hanc cxerccbam ; supcrbiae vero, quae mihi cx litte- rarum maxime scientia nascebatur, juxta illud Apostoli : « Scientia inflat,» illius libri, quo maxime glorinbar, combustione me humiliando. VI. Cujus nunc rei utramque hisloriam verius ex ipsa re, qttam ex auditti cognoscere te \olo, ordine quidem quo processerunt. Quia igitur scortorum immunditiam semper abhorrebam, et ab accessu persécuter pour mes leçons théologiques, comme avait fait Guillaume pour la philosophie. I) y avait alors, dans son école, deux disciples qui passaient pour être supérieurs à tous les autres, C’étaient Albéric de Reims et Lotulphe de Lombardie. Ils étaient d’autant plus animés contre moi, qu’ils avaient d’eux- mêmes une plus haute idée. L’esprit troublé par leurs insinuations, ainsi qne j’en eus plus tard la preuve, le vieillard m’interdit brutalement de continuer dans sa chaire le commentaire que j’avais commencé, sous le prétexte que les opinions erronées que je pourrais émettre, dans mon inexpérience de la matière, seraient mises à sa charge. La nouvelle de cette interdiction répandue dans l’école, l’indignation fut grande : jamais l’envie n’avait si ouvertement frappé ses coups. Mais plus l’attaque était manifeste, plus elle tournait à mon honneur, et les persécutions ne firent qu’accroitre ma renommée. V. Je revins donc peu après à Paris ; je remontai dans la chaire qui m’était depuis longtemps destinée, de laquelle j’avais été expulsé : je 1’occupai tranquillement pendant quelques années. Dès l’ouverture du cours, reprenant les textes d Ézéchiel dont j avais commencé l’explication à Laon, je pris à tâche n’en terminer l’étude. Ces leçons furent si bien accueillies, que bientôt le crédit du théologien ne parut pas moins grand que n’avait été jadis celui du philosophe. L’enthousiasme multipliait le nombre des auditeurs de mes deux cours ; quels bénéfices ils me rapportaient et quelle gloire, la renommée a du vous l’apprendre. Mais la prospérité enfle toujours les sots ; la sécurité de ce monde énerve la vigueur de l’âme et la brise aisément par les attraits de la chair. Me croyant désormais le seul philosophe sur terre, ne voyant plus d’attaques à redouter, je commençai, moi qui avais toujours vécu dans la plus grande continence, à lâcher la bride à mes passions ; et plus j’avançais dans la voie de la philosophie et de la théologie, puis je m’éloignais, par l’impureté de ma vie, des philosophes et des saints. Car il est certain que les philosophes, à plus forte raison, les saints, je veux dire ceux qui appliquent leur cœur aux leçons de l’Écriture, ont dû leur grandeur surtout à leur chasteté. J’étais donc dévoré par la fièvre de l’orgueil et de la luxure ; la grâce divine vint me guérir malgré moi de ces deux maladies ; de la luxure d’abord, puis de l’orgueil : de la luxure, en me privant des moyens de la satisfaire ; de l’orgueil que la science avait fait naître en moi, — suivant cette parole de l’Apôtre : a la science enfle le cœur », — en m’humiliant par la destruction de ce livre fameux dont je tirais particulièrement vanité et qui fut brûlé. VI. Je veux vous initier à cette double histoire ; l’exposition des faits vous la fera mieux connaître que tous les bruits qui en ont couru ; je suivrai l’ordre des événements. J’avais de l’aversion pour les impurs commerces de la débauche ; la et frequentatioue nobilium feminaruni studii scholaris assiduitate revo- cabar, ucc laicarum conversationem multum noveram, prava niihi, ut dicitur, fortuna blandiens, commodiorem nacta est occasionem, qua me facilitis dc sublimitatis hujus fastigio prosterneret : inio supcrbissimum, nec accepta ? gratise memorein divina pietas hutniliatum sibi vindicaref. Erat quippe in ipsa civitate Parisius adole^centula qusedam nomine He- loissa, neplis canonici cujusdam, qui Fulbertus vocabaliir, qui eam quanto amplius diligebat, tanto diligcntius in omnem quam poterat scicntiam lit- terarum promoveri studuerat. Qttae quum per faciem non esset infima, per abundantiam litterarum erat suprema. Nam quo bonum hoc, lttteratorisc scilicct scientiae, in mulieribus est rarius, eo amplius puellam commenda- bat, et in toto regno nominatissimam fecerat. Hanc igitur, omnibus circum- spectis, quse amantes allicere solent, commodiorem censui in amorem mihi copulare, ct mc id facillimc credidi posse. Tanli quippc tunc nominis eram, et juventutis et fortme gtatia praeminebam, ut quamcumquc feniinarum nostro dignarcr amorc, nullam vererer rcpulsam. Tanto autem facilius hanc mihi puellam consensuram credidi, quanlo amplius eam litlcrarum scien- tiam et habere et diligerc noveram, nosque etiam absentes scriplis inter- nuntiis inviccm liccrct pnesentare, et plera-jue audacius scribere quam col- loqui, et sic semper jucundis interessc colloquiis. In hujus itaquc aduli sccntulce amorem totus iullatnmatus, occasionem quaisivi quaeam mihi dotnesticaet quotidiaua convcrsationc familiaretn ef- ficerem, et facilius ad cons.nsum trahcrem. Quod quidem ut fieret, egi cum pradicto pucllae avunculo, quibusdam ipsius amicis intervenicntibus, qua- tenus me in domum suam, quse scholis noslris proxima crat, sub quocunque* procurationis pretio susciperet ; hanc videlicct occasioncm praeteudens quod studium nostrum domestica nostrae familiac cura plurimum pt.Tpediret et impcnsa nimia nimium mc gravaret. Erat autem cnpidus illc valde, atquc erga neptim suam, ut amplius scmper indoclrinam proficerct litteratoriam, plurimum sludiosus. Quibus duobus facile assensum assccutus sum, et quod oplabam obtinui : quum ille vidclicet ct ad pecuniam totus inhiarct, et neplim suam ex doctrina nostra aliquid pcrcepturani crcdcret. Super qtto teheuieiiler mc deprecntus, supra quaut sperare prsesunieiem, votis meis accessit, ct alnori coiisuluit : eam vidclicet totam nostro magistcrio cont- mittens, ut quotics mihi a scholis reverso vacarettam in dic quant in nocte, ei docendic opcram darcm, el cam si ncgligentem senlireni, vchementcr constringcrem. In qua re quidem quanta ejus simplicitas csset Yehementcr admiratus, nou minus apud me obslupui, quam si agnam leneram famelico lupo conuuitlerct. Qui quum cam mihi non solttm docendam, verum ctiam paratiou laborieuse de mes leçons ne me permettait guère de fréquenter la société des femmes de noble naissance ; j’étais aussi presque sans relations avec celles de la bourgeoisie. La fortune me caressant, comme on dit, pour me trahir, trouva un moyen plus facile pour me précipiter du faite de ces grandeurs, et ramener, par l’humiliation, au sentiment du devoir envers Dieu le cœur superbe qui avait méconnu les bienfaits de sa grâce. Il existait à Paris une jeune fille, nommée Héloïse. Elle était nièce d’un chanoine appelé Fulbert, lequel, par tendresse, n’avait rien négligé pour pousser l’éducation de sa pupille. Physiquement, elle n’était pas mal ; par l’étendue du savoir, elle était des plus distinguées. Ces avantages de 1*instruction si rares chez les femmes, ajoutaient à ses attraits : aussi était- elle déjà en grand renom dans tout le royaume. La voyant donc parée de toutes les séductions, je pensai à entrer en rapport avec elle, et je m’assurai que rien ne serait plus facile que de réussir. J’avais une telle réputation, une telle grâce de jeunesse et de beauté, que je croyais n’avoir aucun refus a craindre, quelle que fût la femme que j’honorasse de mon amour. Je me persuadai d’ailleurs que la jeune fille se rendrait à mes désirs d’autant plus aisément, qu’elle était instruite et aimait l’instruction ; même séparés, nous pourrions nous rendre présents l’un à l’autre par un échange de lettres : la plume est plus hardie que la bouche ; ainsi se perpétueraient des entretiens délicieux. Tout enflamme de pa.osiou, je cherchai donc l’occasion de nouer des rap- ports intimes et journaliers qui familiariseraient cette jeune fille avec moi et l’amèneraient plus aisément à céder. Pour y arriver, j’entrai en relation avec son oncle par l’intermédiaire de quelques-uns de ses amis ; ils l’enga- gèrent à me preudre dans sa maison, qui était très-voisine de mon école, moyennant une pension dont il fixerait le prix. J’alléguais pour motif que les soins d’un ménage nuisaient à mes études et m’étaient trop onéreux. Fulbert aimait l’argent. Ajoutez qu’il était jaloux de faciliter a sa nièce tous les moyens de progrès dans la carrière des belles-lettres. En flattant ces deux passions, j’obtins sans peine son consentement, et j’arrivai à ce que je souhaitais : le vieillard céda à la cupidité qui le dévorait, en même temps qu’à l’espoir que sa nièce profiterait de mon savoir. Répondant même à mes vœux sur ce point au delà de toute espérance, et servant lui-même mon amour, il confia Héloïse à ma direction pleine et entière, m’invita à consacrer à son éducation tous les instants de loisir que me laisserait l’école, la nuit comme le jour, et quand je la trouverais en faute, à ne pas craindre de la châtier. J’admirais sa naïveté, et ne pouvais revenir de mon étonnement : confier ainsi une tendre brebis à un loup affamé ! Me la donner non-seulement ii instruire, mais à contraindre, à châtier, était- ce autre chose que d’offrir toute licence à mes désirs et me fournir, fût- vehcmenter constringcndam trader.t, quid aliud agebat, quam ul volis meis licentiam peuitus daret,et occasionem, etiam si nollemus, oflenet, ut quam videlicet blanditiis non pos-eni, minis et verberibus facilius flecte- rom ? Sed duo erant, qux eutu maximca turpi suspicione revocabant, amor videlicet neptis, ct continenlis mese fama prwterila. Quid plura ? primum domo una conjungimur, postmodum aniino. Sub occisione ilaque dbciplina ?, amori peuitus vacabamus, el seerelos recessus, quos amor optabat, studium lcctionis offerebal. Apertis itaquc libris, plura de amore quam dc lectione verba se in^erebant, plura eraut oscula quam senlentia ?ySaepius ad sinus quam ad libros reducebantur manus ; crebrius oculos amor in se rcflectebat quam lectio in scriptu- ram dirigebat ; quoque minus suspicionis habcrcmus, verbera quahdoque dabat amor, nou furor, gratia. non ira, quseomnium unguentorum suavita- tem transceuderciit. Quid denique ? nullus a cupidis intermissus est gradus amoris, et si quid insolitum amor excogitare potuit, cst additum. Et quo minus ista fueramus experti gaudia, ardcntius illis insistebamus, et minus in fastidium vi recitator pristinorum essem invenlorum, et si qua iuvenirc liceret carmina, essent amatoria, uon pliilo- sophise secreta. Quorum etiam carminuin plcraque adhuc in niultis, sicut et ipsenosti, frequentantur et decantantur regionibus, abhis maxime quos vita simul oblectat. Quantam a»itemmoestitiani,quos gemitus, quae lamenta noslri super hocscholares assumercnt, ubi videlicct hanc animimei occupa- tionem, imo perlurbationera praesensei unt, non est facile vel cogitare. P.mcos enim jam res tam manifesla decipere polerat, ac ncminem (credo) pneter eum, ad cujus igiiontiniam maxime id spectabat^ ipsnm videlicet puellas avuuculum. Cui quidem hoc quum a nonnullis tionnunquam suggestum fuisset, credere non poterat, tum, ut supra memini, propter immodera- tam suse neptis amicitiam, tum etiam proplcr anteacta ? vitae m»ae con- tinentiam coguitam. Non enim facile dc his quos plurimum diligimus turpitudinem suspicamur, nec in vehemcnti dilectionc turpis suspicionis labes potest inesse. Unde ct illnd est beati Hieronymi in epistola ad Sa- binianum : • Solemus mala domus nostra scirc novissimi, ac liberorum ac conjugum vitia, vicinis cancnlibus, ignorarc1. r Sed quod novissime » Epist. 03. scitur, utique sciri quandoque contingit, et quod omues deprehendunt, non est facile unum latere. Sic itaque, pluribus evolutis mensibus, et de nobis accidit. O quantus in hoc cognoscendo dolor avunculi ! quantus in separatione amantium dolor ipsorum ! quanta sum erubescentia confusus ! quanta c©n- tritione supcr aftlictione puella ? sum afilictus ! quantos moeroris ipsa de vere- cundia mea sustinuit aestus ! Neuter quod sibi, sed quod alteri contigeral querebatur. Neuter sua, sed alterius plangebat incommoda. Separatio autem hsec corporum maxima erat copulatio animorum, et negata sui copia amplius amorem accendebat/et verecundise transacta jam passio iuverecundiores red- debat, tantoque vcrecundia ? minor extiterat passio, quanto convenientior vi- debatur actio. Actum itaque in nobis est quod in Marte el Yenere deprehensis poetica narrat fabula. Non multo autem post puella se concepisse comperit, et cum summa exullatione mihi super hoc illico scripsit consulens quid de hoc ipse facicndum deliberarem. Quadam itaque nocte avunculo ejus absente, sicut nos condixeramus, eam de domo avunculi furtim, sustuli, et in patriam meam sine mora transmisi, ubi apud sororem meam taudiu conversata est, donec pareret masculum, quem Astralabium nominavit. Avunculus autem ejus post ipsius recessum quasi in insaniam conversus, quanto acstuaret dolore, quanto afOceretur pudore, nemo nisi experiendo cognosceret. Quid autem in me ageret, quas mihi tcnderet insidias, igno- rabat. Si mc interficeret, seu in aliquo corpus meum debilitaret, id polissi- mum metuebat ne dilectissima neptis hoc in patria mea plecteretur. Capero mc ct invilum alicubi coercere millatenus valebat, maxime quum ego mihi super hoc plurimnm providerem, quod eum si valeret, vel auderet, cilius aggredi non dubitarcm. Tandc-m ego ejus immoderatac anxidati admodum compatiens, et de dolo quem fecerat amor, tanquam de summa proditione, meipsum vehementer accusans, conveni homiuem supplicando el promit- tendo quamcunque supcr hoc emcndationem ipse conslituerct, nec ulli mirabile id videri assercns, quicunque vim amoris cxpertus fuisset, et qui quanta ruina summos quoquc viros ab ipso statim humani generis exordio mulieres dejecerint memoria relinerel. Atque ut amplius eum mitigarem, supra quam sperare poterat, obtuli me ei satisfacere : eam scilicet quam cor- ruperam mihi matrimonio copulando, dummodo id sccrcto fieret, ne famae detrimentum incurrerem. Ass^nsil ille, ct lam sua quam suorum tideet os- culis eam quam requisivi concordiam me cum iniit, quo me facilius proderet. VII Illico ego ad patriam meam reversus amicam reduxi, ut uxorem facerem, illa tamen hoc minimeapprobante, imopenitus duabusdecausis dis- suadente : tam scilicet pro periculo, quam pro dedecorc meo. Jurabat illum nulla unquam satisfactioue super hoc placari posse, sicut postmodum co- gnitum cst. Qu&rebat etiam quam dc me gloriam habitura esset, quum me jigloriosum efticerct, et se et me pariter humiliarcl ; quantas ab ca mundus poenas exigere deberet, si tanlam ei lucernam auferret ; quantae maledictio- nes, quanta damna Ecclesia», quantse pliilosopborum lacrymac boc matrimo- nium essent secutune ; quam indeccns, quam lamentabile essel, ut quem omnibus natura creaverat, uni mc feminsc dicarem, et turpitudini tantai subjicer.m. Delestabalur vebemenlcr boc matrimonium, quod mibi per omnia probrosum esset, atque oncrosum. Prsetendebat infamiam mei pari- ter ct difficultates matrimonii, ad quas quidem vitaudas nos exhortans Apos- tolus ait1 : «Solutus es ab uxore ? noli quaerere uxorem. Si autem acceperis uxorem, non peccasti. Et si nupserit virgo, non peccabit. Tribulationem (amen carnis habebunt hujusmodi. Ego autem vobis parco. » Et iterum : « Volo autem vos siue sollicitudine esse. » Quod si nec Apostoli consilium, nec sanctorum exhortationes de tanto matrimonii jugo susciperem : saltem, inquit, philosophos consulerem, et quae super hoc ab eis vel de eis scripta sunt attendercm ; quod plcrumque ctiam Sancti ad incrcpationem nostram diligcnter faciunt. Quale illud est bcali Hieronymi iu primo Contra Jovi- nianum, ubi scilicet commemorat Thcophrastum intolerabilibus nuptiarum raolestiis, assiduisque inquietudinibus ex magna parte diligenter expositis, uxorem sapienti non csse ducendam evidentissimis rationibus adstrinxisse, ubi et ipse illas exhortationis philosophicae rationes ta’i fine concludens : « Hoc, inquit, ct bujusmodi Theophrastus disserens, quem non suffundat Christianorum ? » Idem in codem : « Cicero, inquit, rogatus ab Hirtio ut post repudium Terentiae sororem ejus duceret, omnino facere supersedit, dicens non possc se ct uxori et philosophiae operam pariter darc. » Non ait « operam dare,» sed adjunxit pariter, « nolens quicquam agere quod studio a ?quaretur philosophix. » Ut autem hoc philosophici studii nunc omittam impedimentum, ipsum consule honesta ? conversationis statum. Quae enim conventio scholarium ad pedlssequas, scriptoriorum ad cunabula, librorum sive tabularum ad colos, slylorum sivc calamorum ad fusos ?Qui dcniquc sacris vel philosophicis meditationibus intcntus, pucriles vagitus, nutricum qua3 hos mitigant nae- nias, tumultuosam familisc tam in viris quam in feminis turbam sustinere poterit ? Quis etiam inhonestas illas parvulomm sordes assiduas tolerare valebit ? Id, inquics, divites possunt, quorum palatia vel domus ampke 1 Corinth., I, vn, 27, 28 ct 52. déshonneur auquel j’allais m’exposer. Elle jurait qu’aucune satisfaction n’apaiserait son oncle ; et l’événement le prouva. Elle demandait quelle gloire elle pouvait tirer d’un mariage qui ruinerait ma gloire, et la dégrade- rait, elle comme moi. Et puis quelle expiation le monde ne serait-il pas en droit d’exiger d’elle, si elle lui ravissait un tel flambeau ! Quelles malédic- tions elle appellerait sur sa tête ! Quel préjudice ce mariage porterait à l’Église ! Quelles larmes il coûterait à la philosophie ! Combien ne serait-il pas inconvenant et déplorable de voir un homme, que la nature avait créé pour le monde entier, asservi à une femme, et courbé sous un joug hon- teux ! Elle repoussait donc énergiquement cette union comme un déshonneur et comme une charge pour moi. Elle me représentait à la fois l’avilissement et les difficultés du mariage, difficultés que l’Apôtre nous exhorte à éviter quand il dit : « Es-tu délivré de femme ? ne cherche point femme. Se ma- rier, pour l’homme, n’est point pécher ; ce n’est point pécher non plus pour la femme. Cependant ils seront soumis aux tribulations de la chair, et je veux vous épargner. » Et plus bas : a Je veux que vous soyez sans inquiétude, Que si je ne me rendais ni au conseil de l’Apôtre, ni aux exhortations des Saints sur les entraves du mariage, je devais au moins, disait-elle, écouter les philosophes et prendre en considération ce qui avait été écrit, à ce sujet, soit par eux, soit pour eux, ainsi que le plus souvent les Saints le faisaient avec soin pour nous gourmander. Témoin, disait-elle, ce passage de saint Jérôme, — contre Jovinien, livre I, — où il rappelle que Théophraste, après avoir retracé en détail les intolérables ennuis du mariage et ses perpétuelles inquiétudes, prouve, par les arguments les plus convaincants, que le sage ne doit pas se marier, et couronne ces conseils de la philosophie par cette observation : i Quel est le chrétien qui ne serait pas confondu de trouver une telle argumentation chez Théophraste ? » Dans le même livre, continuait-elle, saint Jérôme cite encore l’exemple de Gicéron, qui, sollicité par Hirtius d’épouser sa sœur après la répudiation de Terentia, s’y refusa formellement, disant qu’il ne pouvait donner à la fois ses soins à une femme et à la philosophie. Il ne dit pas « donner ses soins, » mais il ajoute, ce qui revient au même, « qu’il ne voulait rien faire qui pût balancer pour lui l’étude de la philosophie. » Mais ne parlons pas, poursuivait-elle, des entraves qu’une femme apporterait à vos études de philosophie, et songez à la situation que vous donnerait une alliance légitime. Quel rapport peut-il y avoir entre les travaux de l’école et le train d’une maison, entre un pupitre et un berceau, un livre ou une tablette et une quenouille, un style ou une plume et un fuseau ? Est-il un homme qui, livré aux méditations de l’Écriture ou de la philosophie, puisse supporter les vagissements d’un nouveau-né, les chants de la nourrice qui l’endort, le va-et-vient du service, hommes et femmes de la maison, la malpropreté de l’enfance ? Les riches le font bien, direz-vous : oui, sans doute, parce qu’ils ont dans leurs palais ou dans leurs vastes demeures des diversoria habent, quorum opulentia non sentit expensas, nec quolidianis sollicitudinibus cruciatur. Sed non est, inquam , hgec conditio philoso- phorum quae divitum, nec qui opibus student vel saecularibus implican- tur curis, divinis seu philosophicis vacabunt ofiiciis. Unde ct insignes olim philosophi mundum maxime contemncntes, nec tam relinqucntes saeculum quam fngientcs, omnes sibi voluptatcs intcrdixcrunt, ut in unius philoso- phise requiescerenl amplexibus. Quorum unus et maximus Scneca Lucilium instruens ait * : c Non quum vacaveris, philosophandum est : omnia negli- genda sunt, ut huic assideamus, cui millum tempus satis magnum cst. Nou multum refert utrum omittas philosophiam an intermittas. Non enim ubi iuterrupta est, manet. Resistendum csl occupationibus, nec cxplicatidie sunt, sed submovendae. » Quod nunc igitur apud nos amore Dci sustincnt qui vere monachi dicuntur, hoc desiderio philosophiae qui nobiles in gcntibus extite- ruut philosophi. In omni namquc populo tam gcntili scilicet quam judaico, sive christiano, aliqui semper extiterunl fide seu morum honcstate caeleris praeeminentcs, et se a populo aliqua continentke vel abslinentia ? singulari- tate segregantcs. Apud Judaeos quidem antiquitus Nazaraei, qui se Domino se- cundum legem consecrabant, sive filii prophetarum Rlia ? vel Elisaei secta- tores, quos, beato attestante Hieronymo, monachos legimus in Veteri Testamento ; novissime autem tres ilhe ptulosophiae seclae, quas Josephus in libro Antiquitatum XVIII distinguens, alios Pharisaeos, alios Saduca ?os, alios nominat Essaeos. Apud nos vcro monachi, qui videlicct aut communem Apo- stolomm vitam, aut priorem illam ct solitariam Joannis imitantur. Apud gcntiles autem, ut dictum est, philosophi. Non enim sapientiae vcl philoso- phiae nomen tam ad scicntiae pcrccptionem quam ad vitae religionem rcfc- rebant, sicul ab ipso ctiam hujus nominis ortu didicimus, ipsorum quoquc testimonio sanctorum. Uude et illudcst beati Augustiui VIII de Civitale Dei libro, genera quidem philosophonim distingucntis : « Italicum gcnus auc- torem habuit Pythagoram Samium, a quo et fertur ipsum philosophirc nomcn exortum. Nam quum antcasapientes appellarcntur qui modo quodam lauda- ’ bilis vitae aliis praestarc videbanlur, iste, interrogatus qui profiterctur, phi- losophum se esse respondit, id esl studiosum vcl amatorem sapientice, quo- niam sapientem profitcri arrogantissimum vidcbatur. » Hoc itaquc loco quum dicitur : « Qui inodo quodam laudabilis vitae aliis pncstare vidcban- tur, i» aperte monstratur sapicntes gcntium, id est philosophos, ex laude vilac potius quam scientiao sic esse nominalos. Quam sobrie autcm atque continenter ipsi vixerint, nou cst noslrum modo excmplis colligerc, nc Mi- nervam ipsam videar docere. Si autem sitf laici gcntilcsque vixerunt, niilla Epit. 72. appartements réservés, parce que l’argent ne coûte point à leur opulence et qu’ils ne connaissent pas les soucis de chaque jour. Mais la condition des philosophes n’est pas la même que celle des riches, et ceux qui cherchent la fortune ou dont la vie appartient aux choses de ce monde ne se livrent guère à l’étude de l’Écriture ou de la philosophie. Aussi voyons-nous les philosophes célèbres du temps passé, pleins de mépris pour le inonde, quit- tant, que dis-je ? fuyant le siècle, s’interdire toute espèce de plaisir et ne se reposer que dans le sein de la philosophie. C’est ainsi que l’un d’eux, le grand Sénèque, dit dans ses lettres à Lucilius : c Ce n’est pas dans les mo- ments perdus qu’il convient de se livrer à la philosophie : il faut tout né- gliger pour s’y livrer sans partage ; on ne lui donnera jamais assez de temps. La laisser de côté pour un moment, c’est presque même chose que d’y renoncer.Toute interruption eu fait perdre le fruit. Il faut donc ré- sister aux occupations, et, bien loin d’en accroître l’étendue, les écarter de soi. » Ce que les moines véritablement dignes de ce nom acceptent chez nous en vue de l’amour de Dieu, les philosophes distingués l’ont pratiqué par amour de la philosophie. Chez tous les peuples, en effet, gentils, Juifs ou chrétiens, il s’est de tout temps rencontré des hommes s’élevant au dessus du vulgaire par la foi ou par la sévérité des mœurs, et se séparant de la foule par une continence ou par nne austérité singulière. Tels furent, dans l’antiquité, chez les Juifs, les Nazaréens qui se consacraient au service du Seigneur suivant la loi, et les fils des prophètes, et les sectateurs d’Élie et d’Elisée que l’ancien Testament, d’accord avec le témoignage de saint Jé- rôme, nous représente comme des moines. Telles, plus tard, ces trois sectes de philosophes que Josèphe, dans son dix-huitième livre des Antiquités, dis- tingue sous le nom de Pharisiens, de Saducéens et d’Esséens. Tels, chez nous, les moines qui vivent en commun, suivant l’exemple des apôtres, ou qui prennent pour modèle la vie solitaire et primitive de Jean. Tels enfln chez les gentils, les philosophes ; car c’est moins à l’intelligence de la science qu’à l’austérité des mœurs que ce nom de sagesse ou de philosophie était attribué, ainsi que nous l’apprennent l’étymologie du mot et le témoi- gnage des saints, comme le dit saint Augustin dans ce passage du huitième livre de la Cité de Dieu où il établit la distinction des sectes philosophi- ques : « L’école Italique eut pour fondateur Pythagore de Samos qui passe pour avoir donné son nom à la philosophie elle-même : avant lui, on appe- lait sages les hommes qui semblaient l’emporter sur les autres par un genre de vie digne d’éloge ; mais interrogé un jour sur sa profession, ij ré- pondit qu’il était philosophe, c’est-à-dire sectateur ou ami de la sagesse, trouvant qu’on ne pouvait sans orgueil faire profession d’être sage. » Cette expression : « Ceux qui semblaient l’emporter sur les autres par un genre de vie digne d’éloge, » indique clairement que les sages chez les gentils, c’est-à-dire les philosophes, devaient ce nom à leurs mœurs plutôt qu’à leur «avoir. Quant à la sagesse de leurs mœurs, je ne chercherai pas à en rassem- scilicet professione religionis adstricli, quid ie clericum atque canonicuw facere oportet, ne divinis officiis lurpes praeferas voluptates, ne te praecipi- tem haec Charibdis absorbeat, ne obscenitatibus istis te impudenter alenc- dictum velum ab altare tulit, et se monasticae professioni coram omnibus alligavit. IX. Vix autcm de vulnere adhuc convalueram, quum ad me conflucntcs clerici tam ab abbate nostro, quam a meipso, continuis supplicationibus effla- gitabant, quatenus quod hucusque pecuuise vel laudis cupiditate egeram, nunc amore Dci opcram studio darem, attendens quod mihi fuerat aDomino talentum commissum ab ipso esse cum usuris exigendum ; ct qui divitibus maxime hucusquc intenderam, pauperibus erudiendis amodo studerem ; ct ob hoc maxime Dominica manu me nunc tactum csse cognoscercm, quo liberius, a carnalibus illecebris et tumultuosa vita seculi abstractus, studio litterarum vacarem ; nec tam mundi quam Dei vere philosophus fierem. Eratautem abbatia illa nostra, ad quam me contuleram, sccularisadmodum vitae atquc turpissimae. Cujus abbas ipse, quo caeteris praelalione major, tanto vita deterior atque infamia notior erat. Quorum quidem iutolerabiles spurcitias ego frequenter atquc vehementer modo privatim, modo publice redarguens, omuibus me supra modum onerosum atque odiosum efJTeci, qui ad quotidianam discipulorum nostrorum instantiam maxime gavisi, occa- sionem nacti sunt, qua me a se removcreut. Diu ilaque illis instantibus atque importune pulsantibus, abbate quoquc nostro el fratribus intervenien- tibus, ad cellam quamdam recessi, scholis more solito vacaturus ; ad quas quidem tanta scholanum multitudo confluxit, ut nec locus hospitiis, nec terra sufGceret alimentis. Ubi, quod professioni me» convenientius crat, sacne plurimum lectioni studium intendens, secularium artinm discipli- nam, quibus amplius assuetus fueram, et quas a mc plurimum require- bant, non penitus abjeci, sed de his quasi hamum quemdam fabricavi, quo illos philosophico sapore inescatos ad verae philosophia) lcctionem attrahe- rem, sicut et summum christianorum philosophorum Origenem consuevisse Hi&toria meminit ecclesiastica*. Quum autem in divina Scriptura non mi- 1 Lucain, Pharsal., vm, 94 et 399/— * Euscb. Hist. eecles. u. 7. Nous revêtîmes donc tous deux en même temps l’habit religieux, moi dans l’abbaye de Saint-Denis, elle, dans le couvent d’Argcnteuil dont j’ai parlé plus haut. On voulait, je m’en souviens, soustraire sa jeunesse au joug de la règle monastique, comme à un insupportable supplice, on s’apitoyait sur son sort ; elle ne répondit qu’en laissant échapper à travers les pleurs et les sanglots, la plainte de Cornélie : « 0 noble époux, si peu fait pour un tel hymen ! Ma fortune avait-elle donc ce droit sur une tête si haute ? Cri- minelle que je suis, devais-je t’épouser pour causer ton malheur ! Reçois eu expiation ce châtiment au-devant duquel je veux aller. » C’est en pronon- çant ces mots qu’elle marcha vers l’autel, reçut des mains de l’évèquc le voile béni et prononça publiquement le serment de la profession monastique. IX. A peine étais-je convalescent de ma blessure, qu’accourant en fouie, les clercs commencèrent à fatiguer notre abbé, à me fatiguer moi-même de leurs prières : ils voulaient que ce que j’avais fait jusque-là par amour de l’argent ou de la gloire, je le fisse maintenant pour l’amour de Dieu ; ils disaient que le talent dont le Seigneur m’avait doué, le Seigneur m’en de- manderait compte avec usure, que je ne m’étais guère encore occupé que des riches, que je devais me consacrer maintenant à l’éducation des pau- vres ; que je ne pouvais méconnaître que, si la main de Dieu m’avait tou- ché, c’était afin qu’affranchi des séductions de la chair et de la vie tumul- tueuse du siècle, je pusse me livrer à l’étude des lettres, et de philosophe du monde devenir le vrai philosophe de Dieu. Or l’abbaye où je m’étais re- tiré était livrée à tous les désordres de la vie mondaine. L’abbé lui-même ne tenait le premier rang entre tous que par la dissolution et l’infamie de ses mœurs. Je m’étais plus d’une fois élevé contre ces scandaleux déporte- ments tantôt en particuli r, tantôt en public, et je m’étais ainsi rendu odieux et insupportable à tous ; si bien que, charmés des instances journel- lement répétées de mes disciples, ils profitèrent de l’occasion pour m’écar* ter. Presse par les sollicitations incessantes des écoliers, et cédant à l’inter- vention de l’abbé et des frères, je me retirai dans un prieuré, pour repren- dre mes habitudes d’enseignement ; et telle fut l’aflluence des auditeurs, que le lieu ne suffisait pas à les loger, ni la terre à les nourrir. Là, confor- mément à mon caractère, je me livrai particulièrement à l’enseignement de la théologie. Toutefois je ne répudiai pas entièrement l’élude des arts sécu- liers dont j’avais plus particulièrement l’habitude et qu’on attendait spécia- lement de moi ; j’en fis comme une amorce pour attirer ceux qui m’écou- taient, par une sorte d’avant-goût philosophique, à l’étude de la vraie philo- sophie, selon la mélhode attribuée par VHistoire ecclésiastique au plus grand des philosophes chrétiens, Origène. Et comme le Seigneur semblait ne m’avoir pas moins favorisé pour l’intelligence des saintes Écritures que norem mihi gratiam, qnain in seculari Dominus coiitulissc vidcrctur, ca ?pc- runt admodum ex utraque leclionc scholsc nostra multiplicari, et cxtera omnes vehementer attenuari. Unde maxime magistrorum invidiam atquc odium advcrsum mc concilavi, qui iu omnibus quac poterant mihi derogan- tcs, duo pracipue abscnti mihi scmper objiciebant : quod scilicet proposito monachi valdc sil coutrarium sccularium librorum studio detincri, ct quod sinc magistro ad magistcrium divinac leotionis accedere prasumpsisscm ; ul sic videlicet omne mihi doctrinaj scholaris excrcitium interdiccretur, ad quod incessanter episcopos, archiepiscopos, abbates, et quascunque potcraul religiosi nominis personas incitabant. X. Accidit autem mihi ul ad ipsum fidei nostra fundamentum humaiwe ratiouis similitudinibus dissercndum primo mc applicarein, cl quemdum theologise tractatum de Unitate et Trinitate divina scholaribus nostris com- ponercm, qui humanas, cl philosophicas rationes requirebant, ct plus quaj intelligi quam qua3 dici possent efflagilabant : diccntcs quidcm Ycrborum superfluam esse prolationem, quam iutelligentia nou scqueretur, ncc credi posse aliquid uisi primitus iiitellcctum, ct ridiciilosum cssc aliqucm aliis pradicarc quod nec ipse, ncc illi quos doccret intellcctu capcrc possent, Domino ipso arguente ([uoAcceci essent dttces ccecorum. Quem quidcm trac- tatum quum vidissent et lcgissent plurimi, coepit in communc omnibus plurimum placcrc, quod in eo pariter omnibus satisficri super hoc quaestio- nibus videbatur. Et quoniam quicsliones islac pra omnibus difficilcs vide- banlur, quanto earum major extiterat gravitas, tanto solutionis earum ccn- sebatur raajor subtilitas. Unde aemuli mei, vehcmcnter acccnsi, coucilium contramc congregaverunt, maximeduo illiantiqui insidiatorcs, Albericus sci- licct ct Lotulfus, qui jam defunctis magistris eorum ct nostris, Guillelmo sci- licet alque Anselino, post eos quasi regnare sc solos appetcbant, atquc ctiam ipsis tanquam haeredes succedcre. Quum autem utriquc Hcmis scholas rcgiv- rcnt, crebris suggestionibus archiepiscopum suum Radulphum adversum rac commovcruut, ut ascito Conano, Pranestino cpiscopo, qui tunc lcgalionc fungcbatur in Gallia, couvcnticulum quemdam sub nominc coucilii in Suessioncusi civitalc cclebrareut, mcque invitarcnt quatciius illud opus clarum, quod dc Trinitatc composueram, mccum aflerrem. Et fattum cst ita. Antequam autcm illuc pervenirem, duo illi pradicti scmuli nostri ita me in clero et populo diffamaverunt, ut pcne me populus paucosquc qui advenerant ex discipulis nostris, prima die noslri adventus lapida- rent, dicentes me tres Deos pradicare et scripsisse, sicut ipsis per- suasum fuerat. Accessi autem, mox ut ad civitatcm veni, ad legatum, eique, libclhim nostrum inspicicndum et djjudicandum tradidi ; ct me, pour celle des lettres profanes, le nombre de mes auditeurs, attirés par les deux cours, ne tarda pas à s’accroître, tandis que l’auditoire des autres se dépeuplait. Ce qui excita contre moi l’envie et l’inimitié des maîtres. Tous travaillaient à me dénigrer ; mais deux surtout profitaient de mon éloigne- ment pour établir contre moi que rien n’était plus contraire au but de la profession monastique que de s’arrêter à l’étude des livres profanes, et qu’il y avait présomption, de ma part, à monter dans une chaire de théo- logie sans le concours d’un théologien. Ce qu’ils voulaient, c’était me faire interdire l’exercice de tout enseignement, et ils y poussaient incessamment les évéques, les archevêques, les abbés, en un mot, toutes les personnes ayant nom dans la hiérarchie ecclésiastique. X. Or il arriva que je m’attachai d’abord à discuter le principe fonda- mental de notre foi par des analogies, et que je composai un traité sur l’unité et la trinité divine à l’usage de mes disciples, qui demandaient sur ce sujet des raisonnements humains et philosophiques, et auxquels il fallait des démonstrations, non des mots. Ils disaient, en effet, qu’ils n’a- vaient pas besoin de vaines paroles, qu’on ne peut croire que ce que l’on a compris, et qu’il est ridicule de prêcher aux autres ce qu’on ne comprend pas plus que ceux auxquels on s’adresse ; que le Seigneur lui-même con- damne les aveugles qui conduisent les aveugles. Ou vit ce traité, on le lut, et généralement on en fut content, parce qu’il semblait répondre à tous les points du sujet. Et ces points paraissant d’une difficulté transcen- dante, plus on en reconnaissait la gravité, plus on en admirait la solution. Iles rivaux furieux assemblèrent contre moi un concile. A leur tête étaient les deux meneurs d’autrefois, Albéric et Lolulfe, qui, depuis la mort de nos maîtres communs, Guillaume et Anselme, avaient la prétention de régner et de se porter leurs seuls héritiers. Us tenaient tous deux école à Reims. Par leurs suggestions réitérées, ils déterminèrent leur archevêque Raoul à appeler Conan, évéque de Préneste, qui remplissait alors en France la mis- sion de légat, à réunir une sorte d’assemblée, sous le nom de concile, dans la ville de Soissons, et à m’inviter à leur apporter ce fameux ouvrage que j’avais composé sur la Trinité. Ainsi fut-il fait. Mes deux rivaux m’avaient tellement calomnié dans le clergé et dans le peuple, qu’il s’en fallut de peu qu’à mon arrivée à Soissons, la foule ne me lapidât, moi et ceux qui m’ac- compagnaient, sous le prétexte que j’enseignais et que j’avais écrit qu’il y avait trois Dieux. C’était ce qu’on leur avait persuadé. Cependant, à peine entré en ville, j’allai trouver le légat, je lui remis mon livre, l’abandon- nant à son examen et à son jugement, et me déclarant prêt, soit à amender ma doctrine, soit à faire réparation, si j’avais rien écrit qui s’écartât des principes de la foi. Le légat m’enjoignit aussi de porter le livre à l’archevêque et à mes deux rivaux, me renvoyant au jugement de ceux qui m’accusaient ; en sorte que la parole divine fut ainsi accomplie envers moi : f et nos ennemis sont nos juges. » Ceux-ci, après avoir feuilleté et si aliquid scripsissem quod a catholica fide dissentirct, paratum esse ad correptionem vel satisfactionem obtuli. Ule autem statim mihi pracipit libellum ipsum archiepiscopo illisque semulis meis dcferre, quatenus ipsi me judicarent, qui mc super hoc accusabant : ut illud in me etiam complerc- tur : « Etinimici nostri sunt judices1.» Sacpius autem illi inspicientesatqae revolventes libellum, nec quid in audientia proferre adversum irie audcrcnt invcnientes, distulerunt usque in finem concilii libii, ad quam anhclabant, damnationem. Ego autem, singulis diebus antequam sederel concilium, in publice omnibus secundum quam scripseram fidem catholicam disserebam, et cum magna admiratione omnes qui audiebaut, tam vcrborum apertio- nem, quam sensum nostrum, commendabant. Quod quum populus et cle- rus inspiceret, cceperunt adinvicem dicere : « Ecce nunc palam loquilur, ct nemo in cum aliquid dicit ; et concilium ad finem festinat, maximc in eum, ut audivimus, congregatum. Nunquid judices cognoverunt quia ipsi potius quam ille crrant ? » Ex quo semuli nostri quotidie niagis ac magis inflam- mabantiir. Quadam autem die, Albericus ad me animo intentandum cum qui- busdam discipulis suis accedens, post quscdam blanda colloquia, dixit se mirari quoddam, quod in libro illo notaverat : quod scilicet, quum Deus Deum genueril, nec nisi unus Deus sit, negarem tamen Deum seipsum ge- uuisse. Cui statim respondi : « Supcr hoc, si vultis, rationem proferam. — Non curamus, inquit ille, rationem humanam, aut sensum nostrum in ta- libus, sed autontatis verba solummodo. » Cui cgo : « Vertite, inquam, fo- lium libri, et invenietis auctoritatem. » Et erat praesto liber quem secum ipse detulerat. Revolvi ad locum quem noveram, quem ipse minime com- pererat, aut cui non nisi mihi nocitura quserebat. Et voluntas Dei fuit, ut cito occurreret mihi quodvoIebam.Erat aulcmsententia iutitulata : Augusti- nus de Trinitatey lib. I : « Qui putat ejus potentiae Deum, ut seipsum ipsc genuerit, eo plus errat quod non solum Deus ita non est, sed ncc spirilualis creatura, nec corporalis. Nulla enim omnino res est, quae seipsam gignat. » Quod quum discipuli ejus qui aderant audissent, obstupefacti erubesce- bant. Ipse autem, ut *e quoquomodo protegeret : « fiene, inquit, est intclli- gendum. » Ego autem subjeci hoc non esse novelluni, sed ad praesens nihil altinere, quum ipse verba tautum, non sensum requisisset. Si autem sen- sum et rationem attendero vellet, paratum me dixi ei ostendere, secundum ejus sententiam, quod in cam lapsus essct hscresim, secundum quani is qui 1 Deuter, c«p. nxii, v. 31. scrute le livre en tous sens, n’y trouvant rien qu’ils osassent produire contre moi à l’audience,, ajournèrent à la fin du concile cette condamna- tion à laquelle ils aspiraient. Pour moi, j’avais employé tous les jours qui avaient précédé le concile à établir publiquement les bases de la foi catho- lique dans le sens de mes écrits, et tous mes auditeurs exaltaient avec une admiration sans réserve mes commentaires et leur esprit. Le peuple et le clergé, témoins de ce spectacle, commencèrent à so dire : Voici maintenant qu’il parle devant (out le monde, et que personne ne lui répond, et’le concile qu’on nous disait réuni principalement contre lui touche à sa fin : est-ce que les juges auraient reconnu que Terreur est plutôt de leur côté que du sien ? Et ce langage excitait chaque jour davantage la fureur de mes rivaux. Lu jour, Albéric, dans l’intention de me tendre un piège, vint me trouver avec quelques-uns de ses disciples. Après quelques mots de politesse, il me dit qu’il avait remarqué dans mon livre un passage qui l’avait étonné. Dieu ayant engendré Dieu, et Dieu n’étant qu’un, comment pouvais-je nier que Dieu se fût engendré lui-même ? — C’est, répondis-je aussitôt, une thèse que je vais, si vous voulez, démontrer rationnellement. — En telle matière, ré- pondit-il, uous ne tenons point compte de la raison humaine et de notre sentiment : nous ne reconnaissons que les paroles de l’autorité. — Eli bien, lui dis-je, tournez le feuillet et vous trouverez l’autorité. -—- Nous avions justement sous la main le livre, qu’il avait pris avec lui. Je me reportai au passage que je connaissais et qui lui avait échappé ou qu’il n’avait pas voulu voir, parce qu’il ne cherchait dans mon livre que ce qui pouvait me nuire. Et la volonté de Dieu fit que je trouvai aussitôt ce que je voulais. C’était la citation de saint Augustin sur la Trinité, livre I" : « Celui qui suppose à Dieu la puissance de s’être engendre lui-même se trompe d’autant plus que ce n’est pas à l’égard de Dieu seulement qu’il n’en est pas ainsi, mais à l’égard de (otite créature spirituelle ou corporelle : il n’y a absolument rien, en ellet, qui s’engendre soi-même. » A la lecture de cette citation, les disciples d’Albéric, qui étaient là, rougirent deslupéfacti n. Quanta lui, cherchant à se retrancher de fon mieux : Le tout, dit-il, est de bien comprendre. — Mais, répliquai-jc, cela n’est point une opi- nion nouvelle, et pour le moment, au surplus, il importe peu, puisque ce sont des paroles que vous demandez, et non une iuterpré’ation. J’ajoutai que, s’il voulait établir une interprétation et en appeler à la raison, j’étais prêt à raison- ner et à lui démontrer par ses propres paroles qu’il était tombé dans l’hérésie paler esl sui ipsius filiussit. Quoille audito, statim quasi furibundus eifec- lus, ad minas conversus est, asserens nec rationes jneas, nec auctoritates mihi in hac causa suffragaturas esse. Atque ita recessit. Extrema vero die concilii, priusquam residerent, diu legatus ille atque archiepiscopus cum semulis meis et qiiibusdam personis deliberare ccepe- runt, quid de meipso et libro meo statuerctur, pro quo maxime vocati fue- rant. Et quoniam ei verbis meis, aut scriplo quod erat iu prsesenti, non habebant quod in me praetenderent, omnibus aliquantulum conticentibus, aul jam mihi minus aperte detraheutibus, Gaufridus, Garnotensis episcopus, qui caeteris episcopis et religionis nomine et sedis dignitate prsecellebat, ita exorsus est : « Nostis, domini omnes qui adestis, hominis hujus doctrinam, qualiscunque sit, ejusque ingenium, in quibuscunque studuerit, multos assentatores et sequaces habuisse, et magistrorum tam suorum quam nos- trorum famam maximc compressisse, et quasi ejus vineam a mari usque ad mare palmites suos extendisse. Si hunc pnejudicio, quod non arbitror, gra- vaveritis, etiamsi recte, niultos vos oflensuros sciatiset non deesse plurimos qui eum defendere velint : presertim quum in prsesenti scripto nulla vi- deamus qusc aliquid obtineant apertae calumnise ; et quia juxta illud Hie- ronymi : dictus doctor meminit, cito oppriniitur, et vita posterior judicat de priore.» Si autem cauonice agere in eum disponitis, dogma ejus vel scriplum in me- dium proferatur, ct, inlerrogato, libere respondere liceat, ut convictus vel confessus penitus obmutescat juxta illam saltem beati Nicodemi sentcntiam, qua Dominuin ipsum liberare oupicns, aiebat : « Nuuquidlex nostrajudicat hominem, nisi audierit ab ipso prius, et coguoverit quid faciat ? » Quo au- dito, statim aimuli mci obstrepentes cxclamaverunt : « 0 sapieutis consi- lium, ut contra ejus vcrbositatem conteiidamus, cujus argumentis vel so- phismatibus universus obsistere mundus non posset l » Sed ccrto multo difficilius erat cum ipso contendere Christo, ad quem tamen audiendum Ni- codemus, juxta legis sanctionem, invitabat. Quum autem episcopus ad id quod proposuerat eorum animos inducere non posset, alia via eomm iuvi- diam refrenare attenlat, dicens ad discussioncin tanlsc ici, paucos qui adc~ raut nou possc sufficere, tnajorisquc examinis causam hanc indigere ; in Hurat. Od. 11, 10. de ceux qui prétendent que le père est à lui-même son propre fils. A ces mots, comme fou de fureur, il s’emporta en menaces, s’écriant que iii nies raisonnements ni mes autorités ne me sauveraient. Et là-dessus il se retira. Le dernier jour- du concile, avant l’ouverture de la séance, le légat et Varchevéque eurent avec mes rivaux et quelques autres personnes tin long entretien, pour savoir ce qu’on déciderait de moi et de mon livre, qui avait été l’objet principal de la convocation. Comme ni mes paroles ni l’écrit qu’ils avaient tous les yeux ne fournissaient matière à incrimination, il y eut un moment de silence, et mes détracteurs étaient déjà moins hardis, lorsque Geoffroy, évoque de Chartres, qui, par sa réputation de sainteté comme par l’importance de son siège, avait la prééminence sur les autres évéques, prit la parole eu ces termes : Vous savez tous, messcigneurs ici présents, que le savoir universel de cet homme et sa supériorité dans toutes les études auxquelles il s’est attaché, lui ont fait de nombreux et fidèles par- tisans ; qu’il a fuit pâlir la renommée de ses maîtres et des nôtres, et que sa vigne, si je puis m’exprimer ainsi, a étendu ses rameaux d’une mer h l’autre. Si vous faites peser sur lui le poids d’une condamnation, sans l’avoir entendu, — ce «pic je ne pense pas, — sa condamnation, fût-elle juste ; blessera bien des gens, et il s’en trouvera plus d’un qui voudra prendre sa défense, alors surtout que nous ne voyons, dans l’écrit incriminé, rien qui ressemble à une attaque ouverte. On dira, selon le mot de saint Jérôme, que la force qui se montre attire les jaloux, et que, suivant le poète, les hautes cimes appellent la foudre. Craignez donc que des procédés violents contre cet homme u’aient d’autre résultat que d’accroître sa renommée, et que, par suite de la malveillance publique, l’accusation ne fasse plus de tort aux juges que la sentence à l’accusé, a Car un faux bruit est vite étouffé, dit le méinc docteur, et la seconde période de la vie prononce sur la première. » Mais si vous voulez procéder régulièrement, que l’enseignement de cet homme ou que son livre soit produit eu pleine assemblée, qu’on l’interroge, qu’il soit mis eu demeure de répondre, et qu’ainsi, confondu, il en vienne à confesser sa faute, ou bien qu’il soit réduit au silence, suivant le mot du bienheureux Nicotlème qui, voulant sauver Notrc-Seigneur, disait : i Depuis quand notre loi juge-t-elle un homme, sans l’avoir entendu, et sans qu’on ait vérifie ce qu’il a fait ?—A ces mots, mes rivaux murmurent et s’écrient : 0 le sage conseil de vouloir nous faire engager la lutte contre la faconde d’un homme, dont les arguments et les sophismes triompheraient du monde en- tier ? Certes, il était plus difficile d’engager la lutte avec Jésus lui-môme, et cependant Nicotlème invitait les juges à l’entendre, suivant l’esprit de la loi. Geoffroy, ne pouvant les amener à sa proposition, essaye d’un autre moyen j>our mettre un frein à leur haine. Il déclare que, dans une matière d’une telle gravité, le petit nombre des personnes présentes ne peut suffire, et que. la question réclame un examen plus approfondi. Sou avis est donc hocque ulterius tantum suum csse consilium, ut ad abbatiam mcain, hoc cst monasterium Sancti Dionysii, abbas meus, qui adeiat, me reduceret ; ibique pluribus ac doctioribus personis convocatis, diligcntiori cxamine quid super hoc faciendum esset statucrctur. Assensit legatus huic novissimo con- silio, et cseteri omnes. Inde mox legalus assurrcxit, ut missam celebraret, autequam concilium intrarct, et mihi per episcopum illum licentiam con- slitutam mandavit, rcvertendi scilicetad monasterium noslrum, ibi expcc- taturo quod condiclum fuerat. Tunc aemuli mei, uihil se egisse cogitantes si cxtra dicecesim suam hoc negotium ageretur, ubi videlicet judicium minime exerccre valercnt, qui scilicet de juslitia minus confidebant, arcbiepiscopo persuaserunt hoc rihi valde ignominiosum esse, si ad aliam audientiam causa haec transfertur, et periculosum tieri, si sic evaderem. Et stalim ad legatum concnrrentes, ejus immutaverunt sententiam, et ad hoc iuvitum pcrtraxerunt, ut librum sinc ulla inquisitione damnarct, atque in conspectu omnium slatim com- bureret, et me in alieno monastcrio percnni clausura cohiberet. Dicebant enim ad damnationern libelli satis hoc esse deberc, quod nec romani ponli- ’licis, nec Ecclesia ; auctoritate commcndatum legere publicepraesumpscram, atque ad transcribendum jam pluribus eum ipsc praestitissem ; et hoc pcru- tile futurum fidei chrislianae, si exemplo mei multorum similis praesumplio praeveuirelur. Quia autem legatus ille minus quam necessc esset litteratus fuerat, plurimum archicpiscopi consilio utebatur, sicut et archiepiscopus illorum. Quod quum Carnotensis prccsensisset episcopus, statim macluna- meuta haec ad me retulit, et me vehementer hortatus est ut hoc tanto lenius tolerarem, quanto violentius agerc cos omnibus patebat ; atque hanc tam manifestae invidias violentiam eis plurimum obfuturam, et mihi profutu- ram non dubitarem ; nec de clausura monasterii ullatcnus pcrturbarer, sciens profecto legatum ipsum, qui coactus hoc facicbat, post paucosdies, quum hiuc recesscrit, mc peiiitus liberaturum. Et sic me, ut poluit, flcn- tcm flens et ipse consolatus est. Vocatus itaquc statim ad concilium adfui, et, sine ullo discussionis examine, meipsum compulerunl propria manu librum mcmoratum meum in igncm projiccre. Et sic combustus est, ut tamen quum nihil diccre vide- rentur, quidamdeadversariismeisidsubmurmuravit,quod in libro scriptum deprehenderat, solum Dcum Patrcm omni|>otcntem cssc. Quod quum legatus subintellexisset, valdc admirans ci respondit hoc necdc pucrulo aliquo credi debere, quod adeo erraret, quum communis, inquit, fides et teneat et pro- fiteatar tres omnipotentes esse. Quo audito, Terricus quidam, scholarum magister, irridendo subintulit illud Athanasii :« Et tamen nou tres omni- que mon abbé, qui siégeait, me ramène dans mon abbaye, c’est-à-dire au monastère de Saint Denis ; là, on convoquerait un plus grand nombre de docteurs éclairés, lesquels, après mûr examen, statueraient sur le parti à prendre. Le légat approuva cette dernière motion, et après lui, tout le monde. Quelques instants après, il se le\a pour aller célébrer la messe avant d’entrer au concile, et il me fit transmettre par l’évéque peoffroy l’autori- sation qui m’était accordée de revenir au monastère pour y attendre le résultat de la mesure adoptée. Alors mes ennemis, réfléchissant que tout était perdu, si l’affaire se passait hors de leur diocèse, c’est-à-dire en un lieu où ils n’auraient plus x droit de siéger, et peu confiants dans la justice, persuadèrent à l’archevê- que que ce serait pour lui une grande honte que la cause fût déférée à un autre tribunal, et qu’il y aurait péril à me laisser échapper ainsi. Et aussitôt, courant trouver le légat, ils le firent changer d’avis et l’amenè- rent malgré lui à condamner, sans examen, mon livre, à le brûler immédia- tement sous les yeux du public, et à prononcer contre moi-même la réclu- sion perpétuelle dans un monastère éloigné. Ils disaient que, pour justifier ta condamnation de mon livre, ce devait être assez que j’eusse osé le lire pu- bliquement et le donner à transcrire à plusieurs personnes sans avoir obtenu l :i permission du Pape ni celte de l’Église, et qu’il serait éminemment utile à la foi qu’un exemple prévint pour l’avenir une telle présomption. Le légat n’était pas aussi instruit qu’il aurait dû l’être ; en toute chose, il se laissait guider par l’archevêque, comme l’archevêque par eux. Pressentant le résultat de ces intrigues, l’évéque de Châlons m’avertit, et m’engagea vivement à ne répondre à une violence évidente que par un redoublement de douceur. Cette violence si manifeste, dis-ût-il, ne pouvait qtie leur nuire et tourner à mon avantage. Quant à la réclusion dans un monastère, il n’y avait pas à s’en ef- frayer, sachant que le légat, qui n’agissait que par contrainte, ne manquerait pas, quelques jours après son départ, de me rendre ma pleine liberté. C’est ainsi que, mêlant ses larmes aux miennes, il me consola de son mieux. Appelé au concile, je m’y rendis sur-le-champ ; et là, sans discussion, sans examen, on me força à jeter de ma propre main le livre au feu*. Il fut brûlé au milieu d’un silence qui ne paraissait pas devoir être rompu, quand un de mes adversaires murmura timidement qu’il avait trouvé écrite cette proposition, que Dieu le Père est seul tout-puissant. Le prélat se récria vive- ment et répondit que la chose n’était pas possible, qu’un enfant ne tombe- rait pas dans une telle erreur, puisque la foi commune tient et professe qu’il y a trois tout-puissants. A quoi un docteur des écoles, un certain Tcr- rière, répliqua ironiquement par ce mot de saint Anbroise : « Et cependant il o’y a pas trois tout-puissants, mais un seul tout-puissant. » Son évêque potentcs, sed unus omnipotens. »Quem quum episcopus suus incrcpare cce - pisset, et rcprimere quasireum, qui in majestatem loqueretur, audacter illo restitit, el quasi Danielis vcrba commemorans, ait : « Sic, fatui filii lsracl, non judicantcs, neque quod verum est cognoscentes, condemnastis Ijlium Israel. Revcrtimini ad judicium, et de ipsojudicc judicate, qui falem judi- cem quasi ad instructionem iidei et correctionem erroris instituislis, qui quum judicare deberet, ore se proprio condemnavit. Divina hodie miseri- cordia innocentem patenter, sicut olim Susannam a falsis accusatoribus, liberat. t Tunc archiepiscopus assurgens, verbis, prout oportebat, comniu- tatis, sententiam legati confirmavit, dicens : « Rcvera, domine, inquit, omnipotens Pater, omnipotens Filius, omnipotens Spiritus sanctus ; et qui ab hoc dissentit aperte devius est, nec est audiendus. Et modo, si placet, bonum est ut frater ille fidem suam coram omnibus exponat, ut ipsa, prout oportet, vel approbetur, vel improbetur, atque corrigatur. » Quum autem ego adprofitendam et exponendam fidem meam assurgerem, ut quod sentie- bam verbis propriis exprimerem, adversarii dixerunt non aliud mihi neccs- sarium esse, nisi ut symbolum Athanasii recitarem, quod quivis puer acque. facere posset. Ac ne ex ignorantia pretenderem excusationem, quasi qui verba illa in usu non haberem, scripturam ad legendum afferri fccerunt. Legi inter suspiria, singultus et lacrymas ; prout potui. lnde quasi reus et convictus abbati Sancti Medardi, qui aderat, traditus, ad claustrum ejus, tanquam ad carcerem, trahor ; statimque concilium solvitur. XI. Ahbas autem et monachi illius monasterii me sibi remansurum ulte- rius arbitrantes, summa exullatione susceperunt, et cum omni diligentia traclantes consolari frustra nitebantur. Deus qui judicas aequitatem, quanto tnnc animi felle, quanta mentis amaritudine teipsum insanus arguebam, te furibundus accusabam, saepius repetens illam beati Anlonii conquestionem : « Jesu bone, ubi eras ?» Quanto autem dolore aestuarem, quanta erubescen- tia confunderer, quanta desperatione perturbarer, sentire tunc potui, pro- fcrre non possum. Confcrebam cum his quae in corporc passus olim fueram quanta nunc sustinercm : et omnium hominum me restimabam miserri- mum. Parvam illam ducebam proditionem in comparatione hujus injuria ?, et longc amplius famac quam corporis detrimentum plangebam : quum ad illam ex aliqua culpa devenerim, ad hanc me lam pateutem violentiam siu- ccra iutentio amorquc fidei nostrac induxisseut, quae me ad scribendum compulerant. Quum autem lioc tam crudeliter et inconsiderate factum omnes ad quos fama delatum est vehementer arguerent, singuli qui inter- fucrant a se culpam repcllentes in alios transfundebanl : adeo ut ipsi quoque voulut le gourmander et l’arrêter comme coupable de lèse-majesté ; mais Terrière lui tint tête hardiment, et .s’écria, empruntant les paroles de Da- niel : i Ainsi, (ils insensés d’Israël, sans avoir vérifié In vérité, vous avez condamné le fils d’Israël. Revenez sur votre jugement et jugez le juge lui- même, vous qui l’avez établi juge pour l’enseignement de la foi et le redres- sement de l’erreur ; lorsqu’il devait juger, il s’est condamné par sa propre bouche. L’innocence de l’accusé a été dévoilée aujourd’hui par la miséri- corde divine : délivrez-le, comme autrefois Suzanne, de ses faux accusateurs. » Hors l’archevêque se levant, et changeant un peu la formule, selon l’exi- <#nce du moment, confirma, en ces termes, l’opinion du légat : « A coup ht, monseigneur, le Père est tout-puissant, le Fils tout-puissant, le Saint- Eeprit tout-puissant. Quiconque s’écarte de ce dogme est évidemment hors de. voies et ne mérite pas d’être entendu. Toutefois, si vous le voulez bien, il lirait bon que notre frère exposât sa foi publiquement, afin qu’on pût, jeloi qu’il conviendra, ou l’approuver, ou la désapprouver, ou la redresser. » Et c«nme je me levais pour confesser et exposer ma foi avec l’intention d’en déveopper l’expression à ma manière, mes adversaires dirent que je n’avais pas lesoin d’autre chose que de réciter le symbole d’Athanase : ce que le premer enfant venu aurait pu faire aussi bien que moi. Et afin qu’il me fut impoaible de prétexter d’ignorance, ils firent apporter le texte écrit pour me le fair< lire, comme si la teneur ne m’en était pas familière. Je lus à travers les saiglots, les soupirs et les larmes, comme je pus. Livré ensuite comme coupable et convaincu à l’abbé de Saint-Médard, qui était présent, je suis traîné à son cloître comme à une prison, et aussitôt le concile est dissous XI. l’abbé et les moines de ce monastère, persuadés que j’allais leur rester, ne reçurent avec des transports de joie et me prodiguèrent toutes sortes dattentions, essayant vainement de me consoler. Dieu, qui juges les cœurs droits, telle était, tu le sais, la peine qui me dévorait, telle l’amer- tume de mon cœur, que dans mon aveuglement, dans mou délire, j’osai me révoter et l’accuser, répétant sans cesse la plainte de saint Antoine : « Jésus, mon Sauveur, où étiez-vous ? » Fièvre de la douleur, confusion de la honte,trouble du désespoir, tout ce que j’éprouvai alors, je ne saurais l’exprima1 aujourd’hui. Je rapprochais le supplice infligé à mon corps des tortures le mou âme, et je m’estimais le plus malheureux des hommes. Comparé*, à l’outrage présent, la trahison d’autrefois me paraissait peu de chose, et je déplorais moins la mutilation de mon corps que la flétrissure de mou wm. J’avais provoqué la première par ma faute ; la persécution qui m’accabl it aujourd’hui u’avait d’autre cause que l’intention droite et l’at- tachemeit à la foi qui m’avaient pousse à écrire. Cet acte de cruauté et d’injustie avait soulevé la réprobation de tous ceux qui en avaient eu con- naissance si bien que les membres du concile s’en rejetaient les uns aux autres la responsabilité. Mes rivaux eux-mêmes se défendaient de l’avoir semuli nostri id consilio suo factum esse denegarent, et legatus coram om- nibus invidiam Francorum super boc maxime detestaretur. Qui slatim pce- nitentia ductus post aliquos dies, quum ad tempus coactus satisfecisset illo- rum invidiae, me de alieno eductum monasterio ad proprium remisit ; uh fere quolquot erant olim jam, ut supra memini, infestos habebam : quufi eorum vitae turpitudo et impudcus conversatio me suspectura peuitus habe- rent, quem arguentem graviter sustinerent. Paucis autem clapsis niensibus, occasionem eis fortuna obtulit, qua me perdcre molirenlur. Fortuilu namque mihi quadam dic legenti occurrit quscdam Bedae sei> tentia qua in expositionc Actuum Apostolorum asserit Dionysium Areopaj*- tam Corinthiorum potius quam Atheniensium fuisse cpiscopum. Quod vatfe eis contrarium videbatur, qui suum Dionysium esse illum Areopagitam jic- titant, quem ipsum Athenicuscm episcopum gesta ejus fuisse profitentir. Quod quum reperissem,quibusdam circumslanlium fratmm quasijoefldo monstravi, tcstimonium scilicol jllud Bedac, quod nobis objiciebatur IHi vero, valde indignali, dixerunt Bedani mendacissimum scriptorcm, tt se Hildonium abbatem suum vcriorem habcre testem, qui prohociuvestipndo Graeciam diu perlustravit, et rei veritate agnita, in gcstis illius, qua» coijcrip- sit,hanc vcraciter dubitationem rcmovit. Undc quum unns corum imprtuna interrogationc pulsaret, quid mihi super hac conlroversia, Bedae vi(elicet atque Hildonii, videretur, respondi Bedrc auctorilatem, cujus scripa uni- versa ? Latinorum frequentant Ecelesiae, gratiorem mihi videri. Ex aio Uli vehementer accensi, clamare coeperunt nunc me patenter ostendis$ quod semper monastcrium illud nostrum infestaverim, et quod nuncmaxtnc toti regno derogaverim, ei videlicet honorem illum auferens, quo singilariter gloriaretur, quum eorum patronum Areopngitam fuisse dencgarm. Ego autem respondi, nec me hoc denegasse, nec multum curandum ess{ utrum ipse Areopagita an aliunde fuerit, dummodo tantam apud Deum odiptus sit coronam. fUivero, ad abbatem statim concurrente*, quod milii impsucrant nuntiaverunt. Qui libenler hoc audivit, gaudens se occasionemaliquam adipisci qua me opprimeret ; utpote qui, quauto ca ?tcris turpiu^vivebat, magis rae verebatur. Tunc concilio suo congregato, et fratribus co^regatis, graviter mihi comminatus est, et sc ad regem cum festinalione $issurum dixit, ut de n :c vindictam sumeret, tanquam regni sui gloriam et ctonam ei auferente ; et me iuterim bene observare praecipit, donec me regi tradret. Ego autem ad regularem disciplinam, si quid deliquissem, fruslra me oferebam. Tunc ego nequitinm eorum vehemenler exhorrens, utpote qui t$diu tam adversam tubuissem fortunam, penitus desperatus, quasi advesum me universus conjnrasset mundus, quorumdnm consensu fratrum itei mise- provoqué, et le légat déplorait publiquement l’nnimosité du clergé des Francs. Bientôt même, cédant au repentir, ce prélat, qui n’avait, un mo- ment, donné satisfaction à leur malveillance que malgré lui, me tira de celte abbaye étrangère pour me renvoyer daus la mienne. J’y retrouvai dans presque tous les frères d’anciens ennemis. Le dérèglement de leur vie, leurs habitudes de licencieux commerce, dont j’ai parlé plus haut, ren- daient suspect à leurs yeux un homme dont ils auraient à supporter les ûves censures. Quelques mois à peine s’étaient écoulés, que la forluue leur offrit l’occasion de me perdre. Un jour, dans une lecture, je tombai sur un passage de l’exposition des Actes des Apôtres de Bède, où cet auteur prétend que Denys l’Aréo- pagite était évéque de Corinlhe, non d’Athènes. Cette opinion contrariait vivement les moines de Saint-Denis, qui se vantent que le fondateur de leur ordre, Denys, est précisément l’Aréopagite. Je communiquai à quel- ques frères qui m’entouraient le passage de Bède qui nous était opposé. Aussitôt, transportés d’indignation, ils s’écrièrent que Bède était un imposteur, qu’ils tenaient pour plus digne de foi le témoignage d’Hil- duin, leur abbé, qui avait longtemps parcouru la Grèce entière pour vé- rifier le fait, et qui, après en avoir reconnu l’exactitude, avait péremptoi- rement levé tous les doutes dans son histoire de Denys l’Aréopagite. L’un d’eux me priant alors avec instance de faire connaître mon avis sur le litige de Bède et d’Hilduiu, je répondis que l’autorité de Bède, dont les écrits sont suivis par toute l’Église latine, me paraissait plus considérable. Enflammés de fureur, ils commencèrent à crier que je venais de prouver manifestement que j’avais toujours été le fléau du monastère, et que j’étais traître au pays tout entier auquel je voulais enlever une gloire qui lui était particulièrement chère, en niant que l’Aréopagite fut leur* patron. Je ré- pondis que je n’avai« rien nié, et qu’au surplus il importait peu que leur patron fut Aréopagite ou d’un autre pays, puisqu’il avait obtenu de Dieu une si belle couronne. Mais ils coururent aussitôt trouver l’abbé et lui répétèrent ce qu’ils m’avaient fait dire. Celui-ci s’en réjouit, heureux de trouver une occasion de ntc perdre ; car il me craignait d’autant plus, qu’il était encore plus mal famé que ses moines. Il réunit donc sou conseil, et devant tous les frères assemblés, il me ût de sévères menaces, déclarant qu’il allait immédiatement m’envoyer au roi pour qu’il me punît comme un homme qui avait attenté à la gloire du royaume et porté la main sur sa couronne. Puis il re- commanda de me surveiller, jusqu’à ce qu’il m’eût remis entre les mains du roi. Pour moi, j’offris de me soumettre à la règle disciplinaire de l’ordre, si j’avais été coupable : ce fut en vain. Alors, ne pouvant plus résister au sentiment d’horreur que m’inspirait leur méchanceté, exaspéré par les coups de la fortune et, m’imaginant dans mon désespoir que l’univers entier conspirait contre moi, je profitai rantium, ot quorumdam discipulorum nostrorum siuTmgio, nocle latentcr aufugi, atque ad terram comitis Theobaldi proximam, ubi antea in cella moralus fueram, nbcessi. Ipse quippe et mihi aliquantulum notus erat, et oppressionibus meis quas audierat admodum compaticbatur. Ibi autem in castro Privigni morari ccepi, in cella videlicet quadam Trecensium monacborum, quorum prior anlca mihi familiaris extiterat, et valde di- " lexerat : qui valde in adventu meo gavisus, cum omni diligentia me procu- rabat. Accidit autem, quadam dic, ut ad ipsum castrum abbas noster ad prae- dictum comitcm pro quibusdam suis negotiis veniret. Quo cognito, accessi ad comitem cum priore illo, rogans eum quatenus pro me ipse intercederet ad abbatem nostrum, ut me absolvcret, et Hcentiam daret vivendi monastice - ubicunque mibi competens locus occurreret. lpse autcm, et qui cum eo erant, in consilio rem posuerunt, responsuri comili super hoc in ipsa die, antc quam recederent. Inito autem consiiio, visum est eis me ad aliam abbatiam velle transire, et hoc suic dedecus immensum fore. Maximaa namque glorise sibi imputabant quod ad eos in conversione mea divertissem, quasi caeteris omnibus abbatiis contcmptis ; et nunc maximum sibi imminere dicebnnt opprobrium, si, eis abjectis, ad alios transmearem. Unde nullatenus vel me, vel comitem superhoc audierunt ; imo mibi statim oomminati sunt, quod, nisi festinus rcdirem, mc excommunicarent ; ct priori illi, ad quem rcfugcram, modis omnibus interdixerunt ne me dcinceps retineret, nisi excommunicationis particeps esse sustineret. Quo audito, tamprior ipse quam ego valde anxiati fuimus. Abbas autem in hac obstinatione recedens, post paucos dies defunctus est. Cui quum alius successi>~set, conveni eum cum episcopo Meldensi, ut milii hoc quod a praedecessore ejus peticram indulgeret. Gui rei quum ucc illc primo acquiesceret, postea intervenienlibus amicis quibusdam nostris, rcgem ct consihum ejus super hoc compellavi ; et sic quod volebam impc- travi. Stcphanus quippe, regis tunc dapifer, vocalo in partem abbate et fa- miliaribus ejus, quaesivit ab cis cur mc invitum retincre vellcnt, cx quo incurrere facile scandalum possent, et nullam utilitatem habere : quum , nuliatenus vita mea et ipsorum convenire possent. Scicbam autem in hoc regii consilii scntentiam esse, ut quo minus regularis abbatia illa esset, magis regi esset subjecta atque utilis, quantum videlicct ad lucra tempora- lia ; nnde me facile regis et suorum assensum consequi credideram ; sicque actum cst. Sed ne gloratiouem suam, quam de mc habcbat, monasterium nostrum amitteret, concesserunt mihi ad qnam vellem solitudinem transire, dummodo nulli me abbatiao subjugarem ; hocque in prascntia regis et suo- rum utrinque assensum est et conKrmatum. de l’aide de quelques frères émus de pitié pour mou sort et de l’appui d’un petit nombre de disciples, pour m’évader secrètement, la nuit, et me ré* fugier sur une terre du comte Thibaud, située dans le voisinage, et dans laquelle j’avais précédemment occupé un prieuré. Le comte lui-même m’é- tait un peu connu ; il n’ignorait ]ias mes malheurs et il y compatissait. Je séjournai d’abord au château de Provins, dans une chartreuse de moines de Troyes ; j’avais été autrefois en relation avec le prieur, et il m’aimait beaucoup : il me reçut avec joie et m’entoura de toutes sortes d’attentions. Mais un jour il arriva que notre abbé vint, au château, trouver ie cornue pour quelques affaires personnelles. Instruit de cette visite, j’allai trouver le comte avec le prieur, le suppliant d’intercéder en ma faveur, et d’obtenir pour moi le pardon et la permission de vivre monastiquement dans la retraite qui me conviendrait le mieux. L’abbé et ceux qui l’accompagnaient mirent la chose en délibération ; car ils devaient rendre réponse au comte, le jour même, avant de repartir. La délibération commencée, ils se dirent que mon intention était de passer dans une autre abbaye, ce qui serait pour eux un affront immense. En effet, ils considéraient comme un titre de gloire que j’eusse choisi leur couvent de préférence à tous, et ils disaient que ce serait pour eux un très-grand déshonneur que je les abandonnasse pour passer chez d’autres. Ils ne voulurent donc rien entendre là-dessus, ni de ma part ni de celle du comte. Us me menacèrent même de m’excommunier si je ne me hâtais de revenir, et ils firent défense absolue au prieur qui m’avait donné asile de me conserver plus longtemps, sous peine d’être enveloppé dans la même excommunication. Cette décision nous plongea, le prieur et moi, dans la plus grande anxiété. Cependant l’abbé, qui s’était retiré en persistant dans sa décision, mou- rut quelques jours après. Un autre lui succéda. Je m’entendis avec l’évêque de Meaux pour le prier de m’accorder ce que j’avais demandé à son pré- décesseur. Et comme il ne semblait pas disposé à y acquiescer tout de suite, j’employai l’intermédiaire de quelques amis pour présenter ma requête au roi en son conseil ; j’arrivai ainsi à ce que je désirais. Etienne, alors officier de bouche du roi, fit venir l’abbé et ses amis, leur demanda pourquoi ils voulaient me retenir malgré moi et ^exposer à un scandale inévitable, sans aucun avantage possible, leur genre de vie et le mien étant absolument inconciliables. Je savais que l’avis du conseil était que l’abbaye devait au moins racheter l’irrégularité de ses mœurs par une soumission plus grande, et son attachement aux intérêts temporels par un surcroît de contribu- tions : c’était ce qui m’avait fait espérer que j’obtiendrais facilement l’as- sentiment du roi et de ses conseillers. Ainsi arriva-t-il. Toutefois, pour que notre monastère ne perdit pas l’honneur qu’il prétendait tirer de mon nom, on ne m’accorda la permission de prendre ta retraite de mon choix qu’à la con- dition que je ne me placerais sous la dépendance d’aucune abbaye. Cette con- vention fut réglée, de part et d’autre, en présence du roi et de ses ministres. XI !. Ego itaque ad solitndinem quamdam, in Trercnsi pago, mihi anlea cognitam, me conluli, ibique a quibusdam terra mihi donata, assensu epi- scopi terrae, oratorium quoddam in nomine sanclce Trinitalis, cx calamis et culmo primum construxi, ubi cum quodam clerico nostro lalitans, illud vere Domiuo poteram decantare : « Ecce elongavi fugiens, et mansi solitudine1. » Quod quum cognovissent scholares, ccepcrunt undique concurrere, ct relictis civitalibus et castellis, solitudinem inhabitare, ct, pro amplis domibus, parva tabernacula sibi construere, et, pro delicatis cibis, lierbis agrestibus et pane cibario victitarc, ct pro mollibus stratis, culmum sibi et stramen com- parare, et, pro mensis, gtebas erigere. Et vere eos priores philosophos imitari crederes de quibus et Hieronymus in libro secundo Contra Jovinianum his commemorat verbis* : « Pcr sensus, quasi per quasdam fenestras, vitiorum ad animam introitus est. Non potest metropolis et arx menlis capi, nisi per portas irruerit bostilis exercilus. Si circensibus quispiam delectUur, si alhletarum certamine, si mobilitatc histrionum, si formis mulierum, si splendore gemmanim, vestium, et caeleris hujusmodi, per oculorum fenestras animac capta liber- tas est, et impletur illud propheticum : « Mors intravit per fenestras nos- v tras. » Igitur quum per bas portas, quasi quidam perturbationum cunei ad arccm nostne mentis intraverint, ubi crit libertas ? ubi fortitudo ejus ? ubi de Deo cogitatio ? Maxime quum tactus depingat sibi ctiam pneteritas voluptates, et recordatione vitiorum cogat animam compati, et quodam modo excrccre quod non agit. » His igitur rationibus invitati, multi phi- losophorum reliquemnt frequentias urbium et hortulos suburbanos, ubi ager irriguus, et arborum coma ?, et susurnisavium, fontis spcculum, rivus murmurans, et mnltac oculorum auriumque illecebrae, ne per luxum et abundantiam copiarum, animse fortitudo raollesceret, et ejus pudicitia stupraretur. Inutite quippe est crebro videre per quae aliquando captns sis, et eorum te experimento commitlerc quibus difficulter careas. Nam et Pytha- goraei hujusmodi frequeutiam declinantes, in solitudine et desertis locis habitare consucverant. Sed et ipse Plato, qutim dives esset et torum ejus Diogenes lutatis pedibus conculcaret, ut posset vacare philosophiae, e !egit academiam villam, ab urbe procul non solum desertam, scd et pestilentem : ut cura et assiduitate morborum, libidinis impetus frangerentur, discipuli- que sui nullam aliam sentirent voluptatem nisi earum renim quas discerent. Talem et filii prophetarum, Elisaeo adhxrentes, vitam refcruntur duxisse. De quibus ipsc quoque Hieronymus, quasi de monachis illius tcmpris, ad Pwdm., lt, r. 8. — ■ Epit., »5. XII. Je me retirai donc sur le territoire de Troyes, dans une solitude qui m’était connue, et quelques personnes m’ayant fait don d’un morceau de terrain, j’élevai, avec le consentement de l’évèque du diocèse, une sorte d’oratoire de roseaux et de chaume, que je plaçai sous l’invocation de la Sainte-Trinité. Là, taché avec un de mes amis, je pouvais véritablement m’écrier avec le Seigneur : « Voilà que je me suis éloigné par la fuite, et je me suis arrêté dans la solitude, 8 Ma retraite ne fut pas plus tôt comme, que les disciples affluèrent de toutes parts, abandonnant villes et châteaux pour habiter une solitude, quittant de vastes demeures pour de petites cabanes qu’ils se construisaient de leurs mains, des mets délicats pour des herbes sauvages et un pain grossier, des lits moelleux pour le chaume et la mousse, des tables pour des bancs de gazon. On aurait cru vraiment qu’ils avaient à cœur de suivre l’exemple des premiers philosophes, au sujet desquels saint Jérôme, dans son IIe livre contre Jovinien, dit : « Les sens sont comme des fenêtres par où les vices s’introduisent dans l’âme. La métropole et la citadelle de l’esprit ne peuvent être prises, tant que l’armée ennemie n’a pas passé les portes. Si quelqu’un prend plaisir à regarder les jeux du cirque, les combats des athlètes, le jeu des histrions, la beauté des femmes, l’éclat des pierreries et des étoffes, et tout le reste, la liberté de son àme se trouve prise par les fenêtres de ses yeux, et alors s’accomplit cette parole du prophète : « La mort est entrée par nos fenêtres. » Lors donc que l’armée des troubles, faisant irruption, aura pénétré dans la citadelle de notre àme, où sera la liberté ? où sera la force ? où sera la pensée de Dieu ? surtout si l’on réfléchit que la sensibilité se retrace les images mêmes des plaisirs passés, réveille le souvenir des passions, force l’àme à en subir de nouveau les effets, et à accomplir, en quelque sorte, des actes imaginaires. Telles sont les raisons qui déterminè- rent nombre de philosophes à s’éloigner des villes peuplées et des jardins de plaisance où ifc trouvaient réunis la fraîcheur des campagnes, le feuillage des arbres, le gazouillement des oiseaux, le cristal des sources, le murmure des ruisseaux, tout ce qui peut charmer les oreilles et les yeux ; ils craignaient qu’au milieu du luxe et des jouissances, la vigueur de leur âme ne fût énervée, sa pureté souillée. Et, effectivement, il est inutile dé voir souvent les choses qui peuvent séduire, et de s’exposer à la tentation de celles dont on ne pourrait plus se passer. Voilà pourquoi les Pythagoriciens, évitant tout ce qui pouvait flatter les sens, vivaient dans la solitifde et les déserts. Platon lui-même, qui était ri clic, et dont Diogène foulait un jour le lit sous ses pieds souillés de bouc, Platon, afin de pouvoir se livrer tout entier à la phi- losophie, choisit, pour siège de son académie, une campagne abandonnée et pestilentielle, loin de la ville, afin que la perpétuelle préoccupation de la maladie brisât la fougue des passions, et que ses disciples ne connussent d’autres jouissances que celles qu’ils tireraient de l’étude. Tel fut aussi, dit-on, le genre de vie des fils des prophètes, sectateurs d’Elisée. Saint Jérôme, qui Rusticum monackum, inter caetera ita scribit : « Filii prophetarum, quos monachos in Veteri legimus Testamento, aedificabant sibi casulas prope fluenta Jordanis, et turbis et urbibus derelictis, polenta et herbis agrestibns victitabant. » Tiles discipuli nostri, ibi Miper Arduzonem fluvium casulas suas aedificantes, eremitaj magis quam scholares videbanlur. Quanto aulem illuc major scholarium crat confluentia, et qttanto du- riorem in doctrina uostra vilam sustincbant, tanto amplius mihi aemuli crstimabant gloi iosum, et sibi ignominiosum. Qui quum cuncta quac potcraut in me egissent omnia cooperari milii in bonum dolebant ; atque ita juxta illud Hieroiiymi, mc procul ab urbibus, foro, litibus, turbis remotum, sic quisque, ut Quintilianus ait’, latentem invenitinvidia, quia apud semetipsos tacite conquercntcs, et ingemiscentes, diccbant : Ecce mundus totus post eum abiit : nihil pcrsequendo profecinius ; sed magis eum gloriosum effeci- raus. Extinguere nomen cjus studuinius, scd magis accendimus. Ecce in civitalibus omnia necessaria scbolares ad manum hahent, et, civiles delicias contemncntes, ad solitudinis inopiam confluunt, et sponte miscri fiunt. Tunc autem praccipuc ad scholarum regimen inlolerabilts mc compulit paupertas, quum fodere non valerem, et mendicare erubescerem. Ad artem itaquc, quam noverani, recurrens, pro labore manuum,ad oflicium linguac compulsus sum. Scbohires autcm ultro mihi tmaelibet necessaria prscpa- rabant, tam in victu scihcet quam in vestitu, vel cultura agrorum, seu in cxpensis tcdificiorum, ut nulla mc scilicct a sludio cura domestica retar- daret. Quum autem oratorium nostrum modicam eorum portionem capere non possct, neccssario ipsum dilataverunt, ct dc iapidibus ct lignis con- siruentes melioravcrunt. Quod quum in nomine sancttc Trinitatis cssct fundatum, ac postea dedicatum : quia taiuen ibi profugus ac jam dcspera- tus, divinee gratia consolationis aliqunntulum respirassem, in memoriam hujus beueficii, ipsum Paracletum nominavi. Quod multi audientes, non sine magna admiratione susccperunt, et nonnulli hoc vehementer calum- uiali stmt, dicentes non Hcere Spiritui sancto specialiter magis quam Deo Patri ecclesiam aliquam assignari ; sed vcl soli Filio, vel toti simul Trini- tati, secttndum antiquam cousuetudinem. Ad quam nimirum calumniam hic eos error plurimum induxit, quod inter Paracletum et Spiritum paracletum nihil referre crederent, quum ipsa quo- quc Trinttns et quaclibct in Trinitate persona, sicut Deus vel adjutor dicitur, ita et Paraclctus, id est consolator recte nuucupetur, juxta illud Apostoli* t » Institul. orat., XII, vm, 10.—* Corinlli. H, I, 3 et i. parie d’eux comme des moines de ce temps, dit entre autres choses : « Les fils des prophètes, que l’Ancien Testament nous représente comme des moines, se bâtissaient de petites cabanes vers le cours du Jourdain, et aban- donnaient les villes et la société des hommes, pour aller vivre de grains broyés et d’herbes sauvages. » De même, mes disciples, élevant de petites cellules sur les bords de l’Arduzon, ressemblaient plutôt à des ermites qu’à des étudiants. Mais plus leur aiïluencc était considérable, plus les privations qu’ils s’impo- saient, conformément aux prescriptions de mon enseignement, étaient rigou- reuses, plus mes rivaux y envisageaient de gloire pour moi et de honte pour eux. Après avoir tout fait pour me nuire, ils souffraient de voir la chose tourner à mon avantage ; et, selon le mot de saint Jérôme, loin des villes, loin des affaires publiques, des procès, de la foule, l’envie, comme dit Quinti- lien, vint me relancer dans ma retraite. Au fond de leur cœur et tout bas, ils disaient. Tout le monde s’en est allé après lui : nos persécutions n’ont rien fait ; nous n’avons réussi qu’à augmenter sa gloire. Nous voulions éteindre l’éclat de son nom, nous l’avons fait resplendir. Voici que les étudiants, qui ont sous la main, dans les villes, tout ce qui leur est néces- saire, dédaignent les agréments des villes, courent chercher Fes privations de la solitude et se réduisent volontairement à la misère. A ce moment, ce fut surtout l’excès de la pauvreté qui me détermina à ouvrir une école : je n’avais pas la force de labourer la terre et je rougissais de mendier. Ayant donc recours à l’art que je connaissais, pour remplacer le travail des mains, je dus faire office de ma langue. De leur côté, mes disciples pourvoyaient d’eux-mêmes à tout ce qui m’était nécessaire : nourriture, vête- ments, culture des champs, constructions, si bien qu’aucun soin domestique ne me distrayait de l’étude. Mais, comme notre oratoire ne pouvait contenir qu’un petit nombre d’entre eux, ils se trouvèrent forcés de l’agrandir, et ils le rebâtirent d’une manière plus solide, en pieiTes et en bois. Fondé d’abord au nom de la Sainte-Trinité, placé ensuite sous son invocation, le sanctuaire fut appelé Paraclet, en mémoire de ce que j’y étais venu eu fugitif, et de ce qu’au milieu de mon désespoir, j’y avais trouvé quelque repos daus les con- solations de la grâce divine-. Cette dénomination fut accueillie par plusieurs avec un’grand étonnement ; quelques-uns l’attaquèrent avec violence, sous préleste qu’il n’était pas permis de consacrer spécialement une église au Saint-Esprit, pas plus qu’à Dieu le Père, mais qu’il fallait, suivant l’usage ancien, la dédier soit au Fils seul, soit à la Trinité. Leur erreur provenait de ce qu’ils ne voyaient pas la distinction qui existe entre l’Esprit du Paraclet et le Paraclet. Eu effet, la Trinité elle-même et toutes les (icrsonnes de la Trinité, de même qu’elle est appelée Dieu et Pro- tecteur, peut être parfaitement invoquée sous le nom de Paraclet, c’est-à- dire de Consolateur, selon la parole de l’Apôtre : « Dieu béni et le Père de N. S. Jésus-Christ, le père des miséricordes, le Dieu de toutes les consola- « Benedictus Deus et Pater Doimni nostri Jesu Christi, Pater miserirordiarum, et Deus totius consolationis, qui consolalur nos in orani tribulatione nostra. n Et secundmn quod Ycritas ait * : < Et alium Paraclctum dabit vobis. » Quid etiani impedit, quum omnis Ecclesia in nomine Patris, el Filii, et Spiiitus sancti pariter cousecretur, nec sic eorum iu aliquo possessio divers.i, quod domus Domini non ita Patri, vel Spiritui sancto adscribatur, sicut Filio ? Quis titulum ojus, cujus est ipsa domus, de fronte vestibuli ralerc prajsu- mat ? Aut quum se Filius iu sacriOcium Patri obtulerit, cl secundum boc in celebiationibus missarum specialiter ad Patrem orationes dirigaulur, et hostise fiat immolatio ; cur cjus prsecipue altare esse non videatur, cui maxime supplicatio et sacrificium agilur ? Nunquid rcclius ejus cui immo- latur, quam illius qui immolatur, altaredicendum est ? An melius dominicae crucis, aut sepulcri, vel beati Micliaelis, seu Joannis, autPelri, aut alicujus sancti, qui nec ibi immolanlur, nec eis immolalur, aut obsecrationes eis fiunt, altarc quis csse confitebitur ? Nimirum nec inter idolatras altaria vel templa aliquorum dicebanlur, nisi quibus ipsi sacrificium atque obsequium impendere intendebint. Sed fortasse dicat aliquis, idco Patri non esse vel ecclesias, vel altaria dedicanda quod ejus aliquod festum nou exislit, quod specialem ei solemuitatem tribuat. Sed luec profecto ratio ipsi hoc Trinitati aufert, ct Spiritui sancto non aufert, quum ipse quoquc Spiritus cx adventu suo propriam habeat Pentecostes solemnitatcm, sicut Filius ex suo Natalis sui festivilatem. Sicut enim Filius missus est in mundum, ita et Spiritus sanclus in discipulos propriam sibi vindicit solemnitatcm. Cui etiam pro- babilius quam alicui aliarum personarum templum adscribcndum videtur, si diligentius apostolicam attcndamus auctoritatcm, atque ipsius Spiritus operationem. Nulli eniin trium personarum spirituale, templum specialiter adscribit Apostolus, nisi Spiritui sancto. Non enim ita templuni Palris, vel templum Filii dicil, sicut templum Spiritus sancti, in prima ad Corinthios ilascribeus1 :« Qui adhasret Doinino, unus spiritus esl.»Iteni : « An nescilis quia corpora veslra templum sunt Spiiitus saucti, qui in vobis est, quem habetis a Deo, et non estis veslri ? » Quis eliam divinorum sacramenta bene- ficiorum, qu»3 in Ecclesia fiunt, opcrationi divinas gratiac, qua Spiritus sanctus intelligilur, ncsciat specialileradscribi ? Ex aqua quippe, el Spiritu sancto, iu baptismo renascimur, et tunc primo quasi speciale templum Deo constituimur. In consummatione quoque scptiformisSpiritus gratia traditur, ([uibus ipsum Dei lemplum adomatur atque dedicatur. Quid ergo mirum, si ei pcrson» cui specialiter spirituale templum Aposlolus tribuit, nos corporale assigncmus ? Aut cujus personae rectius ccclesia esse dicitur, quam Joan.,xiv, 16. — * Corinth. I, vi, 17. tions, le consolateur de toutes les tribulations ; » et aussi selon ce que dit la Vérité : « 11 vous donnera un autre consolateur. » Qu’est-ce qui empêche, puisque tou’e église est également consacrée au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et qu’elle est la possession indivise des trois, qu’< si-ce qui em- poche de dédier la maison du Seigneur au Père ou au Saint-Esprit, aussi bien qu’au Fils ? Qui oserait effacer du frout du vestibule le nom de celui à qui appartient la demeure ? Ou bien encore, puisque le Fils s’est offert en holo- causte au Père, et qu’en conséquence, dans la célébration des inesses, c’est spécialement au Père que s’adresent les prières et pour lui que se fait le sacri- fice, pourquoi l’autel n’appartiendrait-il pas plus particulièrement à celui auquel se rapportent plus particulièrement la prière et le sacrifice ? N’est il pas plus juste de dire que l’autel appartient à celui auquel on immole, qu’à celui qui est immolé ? Quelqu’un oserait-il prétendre que c’est plutôt l’autel de la croix de Jésus, ou de son sépulcre, ou de saint Michel, ou de saint Jean, ou de quelque autre saint, qui ne sont ni les victimes, ni les objets des sacri- fices et des prières ? Chez les idolAires eux-mêmes, les autels et les temples n’étaient jamais placés que sous l’invocation de ceux qui étaient l’objet des sacrifices et des hommages. Peut-être dira-t-on qu’il ne faut dédier au Père ni les églises ni les au- tels, (titree qu’il n’existe aucun fait qui puisse justifier une solennité spéciale en son homeur. Mais ce raisonnement, qui ne va à rien moins qu’à en- lever le même privilège à la Trinité, n’enlève rien au Saint-Esprit, dont la venue constitue une fête qui lui est spéciale, la solennité de la Pentecôte, de même que la venue du Fils lui assure en propre la fête de la Nativité. En effet, l’Esprit-Saint, qui a été envoyé aux disciples de Jésus-Christ, comme le Fils a été envoyé au monde, peut revendiquer sa fête à lui. Il semble même qu’il y aurait plus de raisons de lui vouer un temple qu’à aucune autre personne de la Sainte-Trinité, pour peu que l’on regarde à l’autorité apostolique cl à l’œuvre du Saint-Esprit lui même. Effectivement, l’Apôtre n’assigne de temps particulier à aucune au Ire personne qu’au Saint-Esprit. Il ne dit pas, en effet, le temple du Père, le temple du Fils, comme il dit le temple du Saint-Esprit, dans la première aux Corinthiens : « Celui qui s’attache au Seigneur n’est qu’un seul esprit avec lui ; » et plus loin : « Ne savez-vous pas que vos corps sont le temple de l’Esprit Saint qui est eu vous, que vous a\cz reçu de Dieu, et qui ne vient point de vous ? » De plus, qui pourrait méconnaître que les bienfaits des sacrements divins conférés par l’Église sont spécialement dus à l’opération de la grâce divine, c’est-à-dire du Saint-Esprit ? C’est par l’eau et le Saint-Esprit, eu effet, que nous renais- sons dans le baptême, et que dès lors, nous devenons un temple spécial pour le Seigneur. Pour achever ce t mple, l’Esprit-Saint nous est communiqué sous la forme de sept dons, et les effets de la grâce en sont les ornements et la dédicace. Qu’y a-t-il donc d’étonnant que nous attribuions un temple corporel à celui auquel l’Apôtre attribue spécialement un temple spirituel ? À ejus cujus operatioui cuncta quae in Ecclesia ministrantur beneficia specia- liter assignatur ? Non tamen lioc ita conjicimus, ut quum Paraclelum primo nostrum vocaverimus oratorium, uni ipsum personae uos dicasse fateamur ; sed propter eam quam supra reddidimus causam, in memoriam sciiicet nostra consolationis, quanquam si illo quoque, quo credilur, modo id fecis- semus, non esset rationi adversura, licet consuetudini incognitum. XIII. Hoc autem loco me corpore latitante, sed fama tunc maxime univer- sum mundum perambulante, et illius poelici figmenti, quod Echo dicitur, instar penitus recinente, quod videlicet plurimum vocis habeat, sed nihil subest : priores a ?muli, quum per se jam minus valerent, quosdam adver- sum me novos apostolos, quibus mundus plurimum credebat, excitaverunt ; quorum alter regularium canonicorum vitam, alter monachorum se rcsus- citasse gloriabatur. Hi pradicando per mundum discurrentes, et me impu- denter quantum poterant corrodcntes, non modice tam ecclesiasticis quibus- dam quam secularibus potestntibus contemptibilem ad tempus eflecerunt, et de mea tam fide quam vita, adeo sinistra disseminaverunt, ut ipsos quo- que amicorutn nostrorum pracipuos a me averterent, et si qui adhuc pris- tini amoris erga me aliquid retinerent, hoc ipsi modis omnibus, metu illorum, dissimularent. Deus ipse mihi testis est, quoties aliquem ecclesiasti- carum personarufn conventum adunari novcram, bocin damnationem nfeam magis credebam. Stupefactus illico quasi supervenientis ictum fulguris, ex- pectabam ut quasi haereticus aut profanus in couciliis traherer, aut synago- gis.Atque ut de pulice ad leonem, de formica ad elephaulem comparatio ducatur, non me mitiori animo persequebantur a ?muli mei, quam beatum olim Athanasium haeretici. Saepe autem (Deus scit) in tantam lapsus sum desperationem, ut christianorum finibus excessis, ad gentes transiie dispo- nercm, atque ibi quiete, sub quacunque tribnti paclioue, inter inimicos Chrisli chrisliaiie vivere ; quos tanto magis j ropitios me habitnrum crede- bam, quanto me minus christianum ex imposilo mihi crimine suspicaren- tur, et ob hoc facilius ad seciam suam inclinari posse crederent. XIV. Quum autem lantis perturbationibus incessanter affligerer, atque hoc extremum mihi superessetconsilium, et apud iuimicos Gliristi ad Christum confugerem, occasionem quamdam adeptus qua insidias istas paululum de- cliuare me credidi, incidi in christianos atque monachos gentibus longo sa> viores atque pejores. Erat quippe in Britannia minore, in episcopatu Venetensi, abbatia quac- dam Sancti Gildasii Ruiensis, pmtore deluncto desolata, ad quam me concors fralrum electio cum asseusu priucipis terree vocavil, atque hoc quelle personne une église «era-t-elfe plus justement consacrée qu’à celle à l’œuvre de laquelle sont rapportés tous les bienfaits des grâces do l’Église ? Ce n’est pas qu’en appelant mon oratoire Paraclet, j’aie eu l’intention de le dédier à une seule personne ; je lui ni donné cette appellation pour le motif dont j’ai parlé plus liant, c’est-à-dire en mémoire de la consolation que j’y trouvai. Je veux dire seulement que, si j’avais agi dans les intentions qu’on me suppose, je n’aurais rien fait de contraire à la raison, bien que la chose fût étrangère à l’usage. Xlll. Cependant, tandis que j’étais, de corps, caché en ce lieu, ma renom- mée parcourait le monde et le remplissait de ma parole, comme ce personnage de la fable appelé Écho, sans doute parce qu’il est doué d’un organe puissant, bien qu’il n’y ait rien dessous. Mes anciens rivaux ne se sentant plus par eux- mêmes assez de crédit, suscitèrent contre moi de nouveaux apôtres en qui le monde avait foi. L’un d’eux se vantait d’avoir fait revivre les principes des chanoines réguliers ; l’autre, ceux des moines. Ces hommes, dans leurs pré- dications à travers le monde, me déchirant sans pudeur de toutes leurs for- ces, parvinrent à exciter momentanément contre moi le mépris de certaines puissances ecclésiastiques et séculières, et à force de débiter, tant sur ma foi que sur ma vie, des choses monstrueuses, ils réussirent à détacher de moi quelques-uns de mes principaux amis ; quant à ceux qui me conservaient quelque affection, ils n’osaient plus me la U’mo’gner. Dieu m’en est témoin je n’apprenais pas la convocation d’une assemblée d’ecclésiastiques, sans penser qa’vlle avait ma condamnation pour objet. Fr.ippé d’effroi, cl comme sous lu menace d’un coup de foudre, je m’ai tendais à être, d’un moment à l’autre, traîné comme un héréli pie ou un impur dans les conciles ou dans les syna- gogues. S’il est permis de comparer la puce au lion, la fourmi à l’éléphant, mes rivaux me poursuivaient avec la même animosité que jadis les hé- rétiques avaient fait Alhauase. Souvent, Dieu le sait, je tombai dans un tel désespoir, que je songeais à quitter les pays chrétiens pour passer chez les iitfldcli s, et à acheter, an prix d’un tribut quelconque, le droit de vivre chrétiennement parmi ’es ennemis du Christ. Je me dirais que les païen.6 me feraient d’autant meilleur accueil, que l’accusation dont j’étais l’objet les mettrait en doute sur mes sentiments chrétiens, et qu’ils en concevraient l’espérance de nie convertir aisément à leur idolâtrie. XIV. Sous le coup dj ces attaques incessantes, je ne voyais plus d’autre parti que de me réfugier dans le sein du Christ, chez les ennemis du Christ, quand au moment où je trouvais une occasion de me soustraite aux embû- ches, je tombai entre les mains de chrétiens et de nioiin s mille fois plus cruels et pires que les gentils. H y avait en Bretagne, dans l’évêché de Vannes, une abbaye de Snint- Gildas-de-Ruys, que la moit du pasteur laissait sans chef. Le choix unanime des moines, d’accord avec le s ïgueur du pays, m’appela à ce siège ; le con- sentement de l’abbé et des frères de mon couvent ne fut pas difucile à obte ab abbate noslro ct fratribus facile impetravit ; sicque me Francorum in- vidia ad Occidentcm, sicut Hieronymum Romanorum expulit ad Orientem. Nunquam cnim huic rei (sciat Deus) acquievissem, nisi ut quocunque modo iias quas incessautersuslinebam oppressioues, ut dixi, declinarem. Terra quippe barbara, etterrae lingua mihi incognita crat, et turpis atque indomabilis illorum monacborum vita omnibus fere notissima, et gens ternc illius in- htimana atque incomposita, Sicut ergo ille, qui imminente sibi gladio per- territus in pracipitium sc collidit, ct ut puncto temporis uiorlem unam dif- ferat, aliam incurrit : sic ego ab uno periculo iuaiud scienter me contuli, ibiquc ad horrisoni undas Occani, quum fugani niihi ulterius lerrae postre- inilas non praeberet, saepe in orationibus meis illud revolvelaml : « A fini- bus terrscad te clamavi, dumanxiaretur cor meum. » Quanta cnim anxielatc illa cti tm quam regendam susceperam indisciplinata fralrum congregatio cor meum die ac nocle cruciaret, quum tam animac niese quam corporis pe- ricula pensarem, iieniincm jam latcre arbitror. Certum quippe habcbam quod, si eos ad regularcm vitam quam professi fuerant compellere tenta- rem, me vivere non posse, ct si hoc in quantum possem non agcrem, me damnandum esse. Ipsam e !iam abbatiam tyrannus, quidam in terra illa po- lentissimus, ita jjni diu sibi subjugavcraf, ex iuordinationc scilicet ipsius monasterii nactus occasionem, ut omuia loca monasterio udjacenlia in usus proprios redegisset, ac gravioribus cxactionibus monachos ipsos quam tribu- tarios^udscos exagitarct. Urgebant me monachi pro necessitudinibus quoti- dianis, quum nihil in commune haberent quod eis ministrarem, *ed unus- quisquede propriis olim marsupiis se ctconcubinas suas cum filiis et filiabus sustentarct. Gaudebaut me super hoc anxiari, et ipsi quoque fuiabantur et asportabaut quac poteraul, utquum in administrationc i/sa deficerem, com- pellercr aut a disciplina ccssare, aut omnio recedere. Quum autem tota terneilliusbarbaries pariter exlex et indisciplinata csset, nulli cranthomi- num ad quorum confugcre possein adjutorium, quum a moribus omnium pariter dissiderem. Foris me tyrannus ille et satellites sui assidue opprime- bant, intus mihi fralres incessantcr insidiabantur : ut illud Aposloli iu me specialitcr diclum res ipsa indicaret* : « Foris pugnse, intus timores. » Considcrabam, et plangcbam quam inutilem et miseram vilam ducerem, et quam infrucluose tam mihi quam aliis viverem, et quanlum antea clericis profecisscm, et quod nunc, eis propter monachos dimissis, nec in ipsis, nec in monachis aliijuem fructum haberem, el quam ineflicax in omnibus in- cceplis atque conatibus meis redderer, utjam mihi de omnibus illud impro- perari rectissimc deberet5 : « Hic homo caepit aediGcare, ct non potuit con- Psalm., lx, 5. — * lk)rinth. U, vn, 5, — * Luc, xtv. nir ; c’est ainsi que la malveillance des Francs me poussa vers l’Occident, comme celle des Romains avait fait jadis saint Jérôme vers l’Orient. Jamais (j’en prends Dieu à témoin), jamais je n’aurais acquiescé à une telle offre, s’il ne se fût agi d’échapper, n’importe comment, aux vexations dont j’é- tais incessamment accablé. Celait, en effet, une terre barbare, une langue inconnue, une population brutale et sauvage, et chez les moines, des habi- tudes de vie notoirement rebelles à tout frein. Tel un homme qui, pour éviter un glaive suspendu sur sa tête, se lance de terreur dans un précipice, et, pour retarder d’une seconde la mort qui le presse, se jette daus une autre qui IVtend, tel je me jetai sciemment d’un péril dans un autre. Là, sur le rivage de l’Océan aux voix effrayantes, relégué aux extrémités d’une terre qui m’interdisait toute possibilité de fuir plus loin, je répétais dans mes prières : « Des extrémités de la lerrej’ai crié vers vous, Seigneur, taudis que mon coeur était dans les angoisses. » Quelles angoisses, en effet, me torturaient, nuit et jour, corps et âme, quand je me représentais l’indis- cipline des moines que j’avais entrepris de gouverner, personne ne l’ignore. Tenter de les ramener à la vie régulière à laquelle ils s’étaient engagés, c’était jouer mon existence, je n’avais pas d’illusion ; d autre part, ne pas faire, en vue d’une réforme, tout ce que je pouvais, c’était appeler sur ma tète la damnation éternelle. Ajoutez que le seigneur du pays, qui avait un pouvoir sans limites, profitant du désordre qui régnait daus le monastère, avait de- puis longtemps réduit l’abbaye sous son joug. 11 s’était approprié toutes les terres domaniales et faisait peser sur les moines des exactions plus lourdes ~ que celles mêmes dont les juifs étaient accablés. Les moines m’obsédaient pour leurs besoins journaliers, car la communauté ne possédait rien que je pusse distribuer, et chacun prenait sur son propre patrimoine pour se soutenir lui et sa concubine, et ses fils et ses filles. Non contents de me tourmenter, ils volaient et emportaient tout ce qu’ils pouvaient prendre, pour me créer des embarras, et me forcer, soit à relâcher les règles de la discipline, soit à me retirer. Toute la horde de la contrée étant également sans lois ni frein, il n’était personne dont je pu>se réclamer l’aide. Aucun rapport de vie entre eux et moi. Au dehors, le seigneur et ses gardes ne cessaient de m’écraser ; au dedans, les frères me tendaient perpétuellement des pièges. Il semblait que la parole de l’Apôtre eût été écrite pour moi : « Au dehors les combats, au dedans les craintes. » Je considérais en gémissant combien ma vie était stérile et malheureuse : stérile pour moi comme pour les autres, tandis qu’elle était jadis si utile à mes disciples. Je me disais qu’aujourd’hui que je les avais abandonnés pour les moines, je ne pouvais, ni dans les moines, ni dans mes disciples, produire aucun fruit. J’étais frappé d’impuissance tlans toutes mes entreprises, dans tous mes efforts, et l’on pouvait justement m’applique !- cejnot : « Cet" homme a commencé à bâtir, et il n’a pu achever. » J’étais au désespoir. Quand je me rappelais les périls auxquels j’avais échappé summare. » Desperabam penitus, quum recordarer quae fugeram, et considerarem quse incurrerem ; et priores molestias quasi jam nullas repu- tans, crebro apud me ingemiscens dicebam : « Merito haec patior, qui, Pa- racletum, id est consolatorem, deserens, in desolationem certam me in- trusi, et minas evilare cupiens, ad certa confugi pericula. » Illud autem plurimum me cruciabat, quod oralorio nostro dimisso, de divini celebra- tione officii, ita ut oporteret, providere non poleram ; quoniam loci nimia paupertas vix unius bominis necessitudini sufficeret. $ed ipse quoque verus Paracletus mibi maxime super hoc desolato veram attulit consolationem, et proprio, prout debebal, providit oralorio. Accidit namque ut abbas voster Sancti Dionysii praedictam illam Argen- teoli abbatiam, in qua religionis habitum nostra illa jam in Christo soror, potius quam uxor, Heloissa susceperat, tauquam ad jus monasterii sui antiquitus pertinentem, quocunque modo acquireret, et conventum inde sanctimonialium, ubi illa comes vostra prioratum habebat, violenter ex- pelleret. Quae quum diversis locis exules dispergerentur, oblalam mihi a Domino iutellcxi occasionem qua nostro consulerem oratorio. Iiluc ita- que reversus, eam cum quibusdum aliis de eadem congregatione ipsi adhaerentibus, ad pradictuin oralorium invitavi ; eoque iilis adductis, ipsum oratorium cum omnibus ei pertiuenlibus concessi et donavi ; ipsam- que postmodum donationem nostram, assenstt atque interventu episcopi terrae, papa Innoceiilius secundus ipsis et earum sequacibus per privile- gium in perpetuum corroboravit. Quas ibi quidem primo inopem susti- ncntes vitam, et ad lempus plurimum desolalas, divinae misericordia ? res- peclus, cui dcvote serviebant, in brevi consolatus est, et se eis quoque venim cxhibuit Paracletum, ct circumadjacentes populos misericordes eis atquc propitios eflVcit. El plus (scial Dcus), ul arbitror, uuo anno in terre- nis commodis sunt imiltiplu-ula*, quam ego per centum, si ibi pcrmansis- sem. Quippe quo feminarum scxus est infirmior, tanlo earum inopia mise- rabilior facile humanos commovet aflectus, et carum virtus tam Deo quain hominibus est gratior. Tantam autem gi atiam in oculis omnium illi sorori nostrte, quae caetcris j)i\cerat, Doininus annuit, ut cam episcopi quasi filiain, abbates quasi sororem, laici quasi matrem diligercnt ; et omnes paritcr ejus religionem, prudenliam, et in omnibus incomparabilem patientis mansue- tudinem aJmirabantiir. Quse qtianto i-arius se videri permittebat, ut scili- cei, clauso cubiculo, sacris meditationibus alqueoralionibus purius vacaret, tanlo ardentius ejus piTCscntiam atque spiritualis colloquii monita hi qui foris sunt cfllagitabaii !. Qutim autem omnes earura vicini vehementer me culparcnt quod earum quand j’envisageais ceux auxquels j’étais exposé, mes épreuves passées ne nie paraissaient plus rien, et je me répétais en gémissant : « Ce châti- ment est juste : j’ai abandonné le Paraclet, c’est-à-dire le Consolateur, et je me suis précipité moi-même dans la désolation ; pour éviter des mena- ces, j’ai été chercher le danger. » Ce qui surtout me torturait, c’était la pensée, qu’après avoir abandonné mon oratoire, je ne pouvais prendre les mesures nécessaires pour y faire célébrer l’office divin : l’extrême pauvreté de l’endroit suffisait à peine à l’entretien d’un desservant. Mais le véritable Paraclet apporta lui-même une consolation à cette douleur, et il pourvut à son oratoire, comme il convenait. i IJ arriva, en effet, que l’abbé de Saint-Denis ayant réclamé et obtenu comme une annexe autrefois soumise à sa juridiction l’abbaye d’Argeuteuil, — dans laquelle ma sœur en Jésus-Christ, plutôt que mon épouse, avait pris l’habit, — expulsa violemment la congrégation des nonnes dont elle était prieure. Les voyant dispersées de tous côté=> par l’exil, je compris que c’était une occasion qui m’était offerte par le Seigneur pour assurer le service démon oratoire. J’y retournai donc ; j’invitai Héloïse à venir avec les reli- gieuses de sa communauté ; et lorsqu’elles furent arrivées, je leur fis dona- tion entière de l’oratoire et de ses dépendances, donation dont, avec l’assen- timent et par l’intervention de l’évêque du diocèse, le pape Innocent II leur confirma le privilège à perpétuité pour elles et pour celles qui leur succé- deraient. Pendant quelque temps, elles vécurent dans la misère et la déso- lation. Mais un regard de la divine Providence, qu’elles servaient pieuse- ment, leur apporta bientôt la consolation. Pour elles aussi, le Seigneur se montrant le véritable Paraclet, toucha de pitié et de bienveillance les po- pulations environnantes. En une seule année, j’en atteste Dieu, les biens de la terre se multiplièrent autour d’elles plus que cent années n’auraient pu le faire pour moi, si je fusse resté. C’est que, si le sexe des femmes est plus faible, leur détresse émeut d’autant plus aisément les cœurs ; et,comme aux hommes, leur vertu est aussi plus agréable à Dieu. Or le Seigneur ac- corda à notre chère sœur, qui dirigeait la communauté, de trouver grâce devant les yeux de tout le monde. Les évoques" la chérissaient comme leur fille, les abbés comme leur sœur, les laïques comme leur mèr.1 ; tous égale- ment admiraient sa piété, sa sagesse et son incomparable douceur de pa- tience. Moins elle se laissait voir, plus elle se renfermait dans son oratoire pour s’absorber dans ses méditations saintes et ses prières, et plus on sol- licitait avec ardeur sa présence et les instructions de ses entretiens. Tous les voisins me blâmaient vivement de ne pas faire ce que je pouvais, inopiae minus quain possem et deberem consulerem, et facile id nostra sal- tem pradicationc valerem, orpi saepius ad eas revcrti, ut eis quoquomodo subvenirem. In quo nec invidiac mihi murmur de/uit, et quod me facerc sincera charitas corapellebat, solita derogantium pravilas impudentissime accusabat, dicens me adhuc quadam carnalis concupiscenlise oblcctatioue teneri, quasi prislinae dilcctae sustinere absentiam vix aut nunquam patercr. Qui frequenter illam beati Hieronymi querimoniam mecum volvens, qui ad Asellam de fictis amicis scribens, ait1 : « Nihil mihi objicitur nisi sexus meus, et hoc nunquam objicetur, nisi quum Hierosolymam Paula proficisci- tur. » Et iterum : « Antequam, inquit, dom6m sanctae Paulae nossem, to- tius in me urbis studia consonabaut, omnium pene judicio dignus summo sacerdotio decernebar. Sed scio per bonam et malam hmam devenire ad regna ccelorum. v Quura hanc, iuquam, iu tantum virum detractionis inju- riam ad mentem reJucercm, non modicam hinc consolationem carpebam, inquiens : 0 si tantam suspicionis causam acmuli mei iii me reperirent, quanla me dctrectatione opprimerent ! Nunc vero mihi divina miscricordia ab hac suspicione liberato, quomodo hujus pcrpctrandae turpitudinis facul- tale ablata, suspicio remanet ? Quaeetiam tam impudens ha ?c crimiuatio no- vissima ? Adeo namque resista omnem hujusturpiludinis suspicionem apud omnes removet, ut quicunque mulieres observarc diligeutius student, eis eunuchos adhibeant : sicut de Esther cl cacteris regis Assueri puellis sacra narrat historia. Legimus et potentcm illum reginae Candacis cunuchum universis ejus gazis pncesse ; ad quem convertendum et baptistandum Phi- Hppus apostolus ab angelo dircctus cst. Tales quippe semper apud verecun- das et honestas fcminas tauto amplius diguitatis et familiaritatis adepli sunt, quanto longius ab hac absistebant suspicione. Ad quam quidem pe- nitus removendam, maximum illum christianorum philosophum, Orige- nem, quum mulierum quoque sancts doctrina ; intenderet, sibi ipsi manus intulisse Ecclesiasticce historicc liber VI continct. Putabam tamen in hoc mihi magis quam illi divinam misericordiam propitiam fuisse, ut quod ille minus provide creditur egisse, atque inde non modicum crimen incurrisse, id aliena culpa in me ageret, ut ad simile opus me liberum pracparet, ac tanto minore pcena, quanto breviore ac subita, ut oppressus somno, quum mihi manus injicerent, nihil pocnae fere sentireni. Sed quod tunc forlc mi- nus pertuli ex vulnere, nunc cx dctraclione diutius plector, et plus cx de- trimento fama ? quara ex corporis crucior diminutionc. Sicut enim scriptum esl1 : « Melius est nomen bouum quam divitiac multa ?. » Et, ut beatus ne- minil Augustinus in sermoue quodam de Vita et Moribus Clericum5 : « Qui 1 Epit., 23. — * Prov., xmi, 1. —» Sormon. 345. ce que je devais, pour venir en aide à la misère du couvent, quand, par la prédication, la chose m’était si ficile. Je fis donc aux sœurs dos visites plus fréquentes, afin de travailler à leur être utile. Les insinuations malveillantes ne manquèrent pas de s’attacher à ces visites. Ce que le pur esprit de la charité me poussait à faire, mes ennemis, avec leur malignité accoutumée, le tour- naient à mal ignominieusement. On voyait bien, disaient-ils, que j’étais encore dominé par l’attrait des plaisirs charnels, puisque je ne pouvais sup- porter l’absence de la femme que j’avais aimée. Je me rappelais alors la plainte de saint Jérôme dans sa lettre à Aseila sur les faux amis : « La seule chose qu’on me reproche, disait-il, c’est mon sexe, et l’on n’y songe- rait pas, si Paule n’était allée avec moi à Jérusalem. » Et ailleurs : « Avant que je connusse la maison de sainte Paule, c’était sur moi, dans la ville, un concert de louanges ; de l’avis de tous, j’étais digne du souverain pontificat ; mais je sais qu’on arrive au royaume des cieux à travers la bonne et la mau- vaise renommée. » Et quand je reportais mon esprit sur les outrages que la calomnie avait fait souffrir à un tel homme, j’en tirais de grands sujets de consolation. Oh ! me disais-je, si mes en nemi» trouvaient en moi pareille ma- tière aux soupçons, combien leur malveillance m’accablerait ! Mais aujour- d’hui que la divine Providence m’a affranchi des cause demonstrat, ut et cumeisetiam ad praedicationem procederent.« Adhocenim, inquit1, et fideles mulieres habentes terrenam substantiam ibant cum eis, et ministra- bant eis de sua substantia, ut nul>iu< indigerent horum quaj ad substantiam vitaihujus pertincrent. » Et quisquis non putat ab apostolis fieri, ut cum cis sanclae coiiversalionis mulierescmsitaient quocumque evangelium prsedica- bant evangelium audiat, et cognoscat quemadmodum hoc ipsius Domini excin- plo faciebant. In Evangelio enim scriplum est * : « Deinceps et ipse iter faciebat per civilates et castella, evangelizans regnum Dei, et duodecim cum illo, et muliercs aliquse, quae eraut curatae a spiritibus immundis, et infirmitalibus, Maria, quae vocatur Magdalena, et Joanua, uxor Cuzaj procuratoris Herodis, et Susanna, et aliae mnltae quas ministrabaul ei de facultatibus suis. » Et LeoNonus, contra epistolam Parmeniani de Studio Monasterii : « Omniuo, inquit, profitemur non licere episcopa, presbytcro, diacono, subdiacono propriam uvorem, causa religionis abjicere cura sua, ut non ei victum et vestitum largiatur, sed non ut cum illa carnaliter jaceat. Sic et sanctos apostolos legimus egisse bcato Paulo dicentes : « Nunquid non habemus po- testatem sororem mulierem circumducendi, sicut fratres Domini et Cc- phas ? » Yide insipiens quia non dixit : Nunquid non habemus potestatem sororem mulierem amplectandi ? sed circumducendi : scilicet ut mercedc pneilicationis sustentarentur ab eis, ne semper praesentes habeo, et eorum insidias jugiter sustin ?o. Hostium violentiam in corporis meipericulum video, si a claustro procedam. In claustro autem filiorum, id est monaclionim mihi tanquam abbali, lioc est p.itri, commissorum, tara violetita quam dolosa incessanter sustineo ma- cliinamenta. 0 quoties veueno me perdere tentaverunt, sicut el in beato fac- tum est Benedicto ! Ac si haec ipsa causa, qua ille perversos deseruit filios, ad hoc ipsum mc patenfcr tanti patris adhortarelur evemplo, ne me certo videlicet opponens periculo, temerarius Dei tentator potius quam amalor, imo mei ipsius pereniptor invenircr. A talibus autem eorum quotidianis insi- diis quum mihi, in adminislratione cihi vel poius, quantum posscm, provi- derem, in ipso allaris sacrificio toxicare me niolili sunt, veneuo scilicet calici immisso. Qui etiam, quadam die, quum Nanneti ad comitem in a ?gritudine sua visitandum venissem, bospitatum me ibi iu domo cujusdam tratris mei carnalis, per ipsum qui in comitata noslro cr.it famulum, veneno interficere machinati sunt, ubi videlicel me minus a tali machinatione providere credi- dcrunt. Divina autem dispositione tunc aclum est, ut dum cibum mihi ap- paratum non curarem, fratcr quidam ex monarhis quero mecum adduxeram, hoc cibo per ignorautiam usus, ibidem mortuus occumberet, et fimulus ille qui boc prasumpsei at, tam conscientise susc, quam testimouio ipsius rei pertcrritus, aufugeret. Ex tunc itaque manifesta omnibus eorum nequitia, patentcr jam ccqri eorum, prout poteram, insidias declinare, et jam a conventu abbatia ? me subtratiere, et in cellulis cum paucis habitare. Quf si me tran>iturum ali- quo pracsensisscnt, corruptos per pccuniam latroucs in viis aut semitis, ut me interficcrent, oppouebant. Dum autcm in isli< laboi arem periculis, forte mc die quadam, de nostra lapsum equilatura, mauus Domini vehc- menter collisit, colli vidclicet mei canalem coulringcns. Et multo mc amplius lieec fractura afflixit et dcbilitavit, quam prior plaga. Quandoque horum indomitam rehellionem per cxcommunicationem coei cens, quosdam eornm, qtios magis formidabam, ad hoccompuli, ut fide sua seu sacramento publice mihi promillerenl sc ulterius ab abbatia penitus reccssuros, nec me amplius in aliquo inquietaturos. Qui publice et impudentissime tam fidem datam quam sacramenta facta violantes, tandem per auctoi itateni romani pontifiuis Innocentii, legato proprio ad iioc destiualo, in prasentia comilis et episcoporum, hoc ipsum jurare compulsi sunt, et pleraque alia. Nec sic adhuc quieverunt. Nupcr aulem quum illis, quos pncdixi, ejectis, ad conventum abbatisc rediissem ; ct reliquis fralribus, quos minus suspicaliar, me com- raitlercm, multo hos pejores quam illos rcperi. Quos jam quidem non dc veneno, sed de gladio in juguium mcum tractantes}cujusdam proceris terras ligules et plus redoutables que celles de mes ennemis ; car mes fils sont toujours là, je suis perpétuellement sous le coup, de leurs embûches. Pour mes ennemis, s’ils me préparent quelque violence, je les vois venir, quand je sors du cloître, tandis que c’est dans le cloître que j’ai à soutenir contre mes fils, c’est-à-dire avec les moines qui me sont confiés comme à un abbé, comme à un père, une lutte sans relâche de violence et de ruse. Combien de fois n’ont-ils pas tenté de m’empoisonner, comme on l’a fait pour saint Be- noit ! La même cause qui décida un si grand pasteur à abandonner ses per- vers enfants aurait pu me déterminer à suivre son exemple. Car s’exposer à un péril certain, c’est tenter Dieu et non l’aimer, et courir le risque d’être considéré comme le meurtrier de soi-même. Comme je me tenais en garde contre leur- tentatives de tous les jours en surveillant autant que je le pouvais ce qu’on me donnait à manger et à boire, ils essayèrent de m’empoisonner pendant le sacrifice, en jetant une ubslance vénéneuse dans le calice. In autre jour que j’étais venu à Nantes visiter le comte malade, et que j’étais lojjé chez un de mes frères selon la chair, ils voulurent se défaire de moi à l’aide du poison par la main d’un serviteur de ma suite, comptant, sans doute, que j’étais moins eu éveil contre cette sorte de machination. Mais le ciel voulut que je ne touchasse pas aux aliments qui m’avaient été préparés, et on moine que j’avais amené avec moi de l’abbaye, en ayant mangé par ignorance, mourut sur-le-champ ; le frère servant, épouvanté par le témoi- gnage de sa conscience non moins que par l’évidence du fait, prit la fuite. Dès lors, leur méchanceté ne pouvant plus être mise en doute, je commen- çai à prendre manifestement des précautions contre leurs pièces ; je m’absen- tais souvent de l’abbaye, et je restais dans des obédiences avec un petit nom- bre de frères. Mais lorsqu’ils venaient à apprendre que je devais passer par quelque endroit, ils apostaient sur les grandes routes ou dans les sentiers de traverse des brigands payés à prix d’or pour me tuer. Tandis que j’étais ex- posé à ces périls de toute sorte, un jour je tombai de ma monture, et la main du Sci.ncur me frappa rudement, car j’eus les vertèbres du cou brisées. Cette chute m’abattit et m’affaiblit bien plus encore que mon premier mal- heur. Parfois cependant je tentai de réprimer par l’excommunication cette insubordination indomptable ; j’arrivai même à contraindre quelques-uns des plus dangereux, à me promettre, sous la foi de leur parole ou par un serment public, qu’ils se retireraient pour toujours du monastère et qu’ils ne m’in- quiéteraient plus. Mais ils violèrent ouvertement et sans pudeur parole et serments. Enfin l’autorité du pape Innocent, par l’organe d’un légat expres- sément envoyé, les obligea à renouveler leurs serments sur ce point et sur d’autres, eu présence du comte et des évêques. Même depuis lors, ils ne se tinrent pas en repos. Tout récemment, après l’expulsion de ceux dont j’ai parlé, j’étais revenu à l’abbaye, nVabandonnant aux autres qui m’inspi- raient moins de défiance : je les trouvai encore pires. Ce n’était plus de poison qu’il s’agissait ; c’était le fer qu’ils aiguisaient contre mon sein. conduclu, vix cvasi. In quo etinm adhuc laboro periculo, ct quotidic quasi cervici meae gladium imminentem suspicio, ut inter epulas vix respirem, sicut de illo legitur qui, quum Dionysii tyranni potentiam atque opes con- quisitas mnximsc impularet bcalitudini, filo latenter appensum supcr se gla- dium aspiciens, quae terrenam potentiam feiicilas consequatur edoctus cst. Quod nunc quoque ipse de paupere monacho in abbatem promotus, inces- santer expcrior, tanto scilicet raiserior quanto ditior eftectus ; ut nostroetiam exemplo, eorum qui id sponte appetunt, ambitio rcfrenetur. XVI. Ha ?c, dileclissime frater in Chrislo, etcx diutina convcrsa’ionc familia- rissime comes, de calamitatum mearum historia, in quibus quasi a cunabulis jugiter laboro, tuae mc desolatioui alque injurisr illalac scripsisse sufilciat ; ut, sicut in exordio praefattis sum epistolse, oppressionem tuam in comparatione mearum, aut nullam, aut modicam csse judices ; ct tanlo eam patientius fcras, quanto minorem consideras, illud semper in consolalionem assumens, quod membris suis de membris diaboli Dominus piaedixit1 :«Si me persecuti sunt, et vos perscquentur. Si mundus vos odit, scitote quoniam me priorem vobis odio habuit. Si de mundo fuissetis, mundusquod suum eratdiligeret. » Et* : « Omnes, inquit Apostolus, qui voluut pie \ivcre in Christo, persecutioncm patientur. » Et alibi* : « Haud qusero hominibus placere. Si adhuc liomini- bus placerem, Christi servus non csscm. » Et Psalmisla4 : « Confusi sunt, inquit, qui hominibus placent, quoniam Deus sprevit eos.» Quod diligenter beatus attendens Hieronymus, cujus me praecipue in contumeliis detraclio- num haercdcm conspicio, ad Nepotiauum scribens ait * : < Si adhuc, inquit Apostolus, hominibus placeretn, Clirisli servus non essem. Desiit placere ho* minibus, et servus factus cst Christi. » Idem ad Ascllam de fictis amicis " : « Gralias , devorare qucerens, circuit, et tu pacem putas ? Sedet in insidiis cum divitibus. » His ilaque documentis atque exemplis animati, tanto securius ista tolere- mus, quanto injuriosius accidunt. Qua ? si nou ad uieritum nobis, saltem ad purgation ?m aliquam proficere non dubitemus. Et quoniam omiiia divina dispositione geruntur, in hoc se saltem quisquc fidelium in omni pressura » Jcan, xt, 20.— * Timoth.,.111, 1’2. — 3 Galnt., 1,10. — * Psalm. m, 3.— « Epil. 54. — •Id.t 28. —’ M., 5. J’eus gtand’peine à leur échapper, sous la conduite d’un des puissants du pays. Mêmes périls me menacent encore, et tous les jours, je vois le glaive levé sur moi. A table même, je puis à peine respirer, ainsi qu’il est dit de cet homme qui plaçait le bonheur suprême dans la puissance et dans les trésors de Dcnys le Tyran, et qui, à la vue d’une épée suspendue sur sa tête par un fil, apprit de quelle félicité sont accompagnées les grandeurs de la terre. Voilà le supplice que j’éprouve à tout instant du jour, moi, pauvre moine élevé à la prélature, et devenu plus misérable en devenant plus grand, afin que, par mon exemple aussi, les ambitieux mettent un frein à leur désir. 0 mon très-cher frère en Jésus-Christ, mon vieil ami, mon intime com- pagnon, qu’il me suffise d’avoir, en regard de votre affliction et de l’injustice qui vous a frappé, retracé ces traits des infortunes qui, depuis le berceau, n’ont pas cessé de m’accabler. J’ai voulu, comme je vous le disais en com- mençant, que, comparant vos épreuves aux miennes, vous pussiez con- clure qu’elles ne sont rien ou peu de chose, et que vous arriviez à les sup- porter avec plus de patience, les trouvant plus légères. Prenez en consolation ce que le Seigneur a prédit à ses membres touchant les membres du dé- mon : « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ; si le monde vous hait, sachez que, le premier de tous, j’ai éprouvé la haine du monde ; si vous aviez été du monde, le monde aurait aimé ce qui lui appartenait ; » et ailleurs î « Tous ceux, dit l’Apôtre, qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ souffriront la persécution ; » et encore : « Je ne cherche point à plaire aux hommes : si je plaisais aux hommes, je ne serais pas serviteur de Dieu ; » et le Psalmite : « Ceux qui plaisent aux hommes ont été confondus, parce que Dieu les a rejetés. » C’est dans cet esprit que saint Jérôme, dont je me regarde comme l’héritier pour les calomnies de la haine, dit dans sa lettre à Népotien : t Si je plaisais encore aux hom- mes, je ne serais pas serviteur du Christ. Il a cessé de plaire aux hommes, et il est devenu le serviteur du Christ. » Le même, écrivant à Asella sur les faux amis, dit : « Je rends grâce à mon Dieu de m’avoir fait digne de la haine du monde ; » et au moine Héliodore : « C’est une erreur, mon frère, oui, c’est une erreur de croire que le chrétien puisse jamais éviter la persé- cution : notre ennemi, comme un lion rugissant, rôde autour de nous et cherche à nous dévorer. Est-ce là une paix ? Le voleur est en embuscade et guette les riches. » Encouragés par ces enseignements et par ces exemples, sachons donc sup- porter les épreuves avec d’autant plus de confiance qu’elles sont plus in- justes. Si elles ne servent pas à nos mérites, elles contribuent du moins, n’en doutons pas, à quelque expiation. Et puisque une divine ordonnance préside à toute chose, que chaque fidèle, au moment de l’épreuve, se con- sole par la pensée qu’il n’est rien que la souveraine bonté de Dieu laisse ac- complir en dehors de l’ordre providentiel, et que tout ce qui arrive contrai- consoletur, quod nihil iuordinate fieri uuquam summa Dei bonitas permit- tit, et quod qusecunque perverse fiunt, optimo fme ipse terminat. Unde ct ci de omnibus recte dicitur, fiat voluntas tua. Quanta denique diligentium Deum illa est ex auctoritate apostolica consolalio, quae dicit : « Scimus quoniam diligcutibus Deum omuia cooperanlur in bonum. » Quod dili- genter ille sapientissimus attendebat, quum in Proverbiis diceret : « Non contristabit justum quidquid ei acciderit. » Ex quo manifcste a justitia eos recedere demonstrat, quicunquc pro aliquo suo gravamine his irascuntur, qus erga se divina dispensatione geri non dubitant ; et sc propriac volun- tati magis quam divina ; subjiciunt, et ei quod in verbis sonat, fiat vo- luntas tua, desideriis occultis repugnant, divinse voluntati propriam ante- ponentes. Yale. rementcontrairement à cet ordre, il se charge lui-même de le ramener à bonne fin. Voilà pourquoi il est sage de dire sur toute chose : que votre volonté se fasse. Enfin que de puissantes consolations ceux qui aiment Dieu peuvent trouver dans l’autorité apostolique qui dit : « Nous savons que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu ! » C’est cette vérité qu’avait en vue le sage des sages, lorsqu’il écrivait dans ses Proverbes : « Le juste ne sera pas attristé, quoi qu’il arrive. » Ainsi démontre-t-il que ceux-là s’écartent des sentiers de la justice, qui s’irritent contre une épreuve qu’ils savent dispensée par la main de Dieu ; hommes soumis à leur propre volonté plutôt qu’à la volonté divine, hommes dont la bouche dit : votre volonté soit faite, mais dont au fond le cœur se révolte, et qui font passer leur volonté avant celle du Seigneur. Adieu. EPISTOLA SECUNDA QUÆ EST HELOISSÆ AD PETRUM DEPRECATORIA ARGUMENTUM Quum Heloissa quondam Abælardi amica, poslea uxor, ac tandem monasterio Paracletensi, quod ipse sibi discipulorum fortunis a fundamentis eduxerat, ab eo præfecta, epislolam ojus ad amicum legisset, hanc ad eum scribit, orans ut dc suis pcriculis vel liberatione ad sc rescribat, quo rel luctus, vcl gaudii ejusparticcps efliciatur. Expostulat etiam quod ad se, post monaslicam professionem, non scripserit, quum antea plures amatorias mitteret litteras. Suum denique erga iilum tum prwtcriti temporis turpcm et carnalem amorem, tum prcsentis castum et spiritualcm exponit, ac acerbe queritur se ab illo scquc non redamari. Est autem cpistola multis affeclibue ct qucrulis planclibus, more fcmineo, aflatim plena : ubi pectus femincum multa eruditione exuberans inlueri liceat. Domino suo, imo pairi ; conjugi suo, imo fratri ; ancilla sua, imo filia ; ipsius uxor, imo soror ; Abcelardo Heloissa. 1. Missam ad amicum pro cousolatione epistolam, dilectissinie, vestrani ad me forte quidam nuper casus atlulit. Quam ex ipsa statim tituli fronte vestram esse considerans, tanto ardentius eam ccepi legere, quanto scripto- t rem ipsum charius amplector, ut cujus rem perdidi, verbis sallem tanquam . ejus quadam imaginc recreer. Erant, memini, hujus epistolae verba fere ’ omnia felle et absinthio plena, quse scilicet nostne conversionis miserabilem Hiistoriam, et tuas, unice, cruces assiduas referebant. Complesti revera, in epistola illa, quod in exordio ejus amico promisisti, ut videlicet, in comparatione tuarum, suas moleslias nullas vel parvas reputaret. Ubi quidem expositis prins magistrorum tuorum in te persecutionibus, deinde in corpus tuum summæ proditionis injuria, ad condiscipulorum quoque tuorum. Alberici videlicet Rhemensis et Lotulfi Lombardi LETTRE DEUXIÈME HÉLOISE À ABÉLARD SOMMAIRE Héloïse, amante, puis épouse d’Abélard et placée par lui à la tête du monastère du Paraclet, dont il avait jeté les fondements avec l’assistance de ses disciples, ayant lu la lettre qu’il avait adressée à un ami, lui écrit pour le prier de lui faire connaître les dangers qu’il court ou le salut dont il jouit, afin qu’elle puisse s’associer soit à sa peine, soit à sa joie. Elle lui demande avec instances pourquoi il ne lui a plus écrit depuis qu’elle a prononcé ses vœux, quand auparavant il lui adressait tant de lettres d’amour. Elle lui rappelle leur passion d’autrefois, passion charnelle et honteuse ; elle lui expose ses sentiments d’aujourd’hui, sentiments spirituels et purs, et elle se plaint avec amertume qu’il n’y réponde pas. La lettre est celle d’une femme : les élans passionnés, les gémissements, les plaintes y abondent ; on y sent aussi une imagination nourrie d’une exubérante érudition. À son maître, ou plutôt à son père ; à son époux, ou plutôt à son frère ; sa servante, ou plutôt sa fille ; son épouse, ou plutôt sa sœur ; à Abélard, Héloïse. I. La lettre que vous avez, mon bien-aimé, adressée à un ami pour le consoler, un hasard l’a fait venir dernièrement jusqu’à moi. Au seul caractère de la suscription reconnaissant qu’elle était de vous, je la dévorai avec une ardeur égale à ma tendresse pour celui qui l’avait écrite : si j’avais perdu sa personne, ses paroles du moins allaient me rendre en partie son image. Hélas ! chaque ligne, pour ainsi dire, de cette lettre encore présente à ma mémoire était pleine de fiel et d’absinthe, car elle retraçait la déplorable histoire de notre conversion et de vos épreuves sans merci ni trêve, ô mon bien suprême. Vous avez bien rempli la promesse qu’en commençant vous faisiez à votre ami : ses peines, au prix des vôtres, il a pu s’en convaincre, ne sont rien ou peu de chose. Après avoir rappelé les persécutions dirigées contre vous par vos maîtres, et les derniers outrages lâchement infligés à votre corps, vous avez peint l’odieuse jalousie et l’acharnement passionné dont vos execrabileni invidiam, et infestationem nimiam stylum contulisti. Quorum quidem suggestionibus quid de glorioso illo theologiae tuac opere," quid de te ipso quasi in carcere damnato actum sit non pnetermisisti. Inde ad abbatis tui fratrumque falsorum machinationem accessisti, et detractiones illas tibi gravissimas duorum illorum pseudoapostolorum a praedictis acmulis in te commotas, atque ad scandalum plerisque subortum de nomine Paracleti oratorio prseter consuetudinem imposito ; denique ad intolerabiles illas et adhuc continuas in te persecutiones, crudelissimi sciiicft illius exactoris, et pessimorum, quos filios nominas, monachorum profectus, miserabilem historiam consummasti. Qua ? cum siccis occulis neminem vel legere vel audire posse aestimem, tanto dolores meos amplius renovarunt, quanto diligentius singula expresse- runt et eo magis auxerunt, quo in te adbuc pericula crescere retulisti ; ut omnes pariter de vita tua desperare cogamur, et quotidie ultimos illos de nece tua rumores trepidantia nostra corda et palpitantia pectora expectent. Per ipsum itaque, qui te sibi adhuc quoquo modo protegit, Christum obsecramus, quatenus ancillulas ipsius et tuas, crebris litteris de his, in quibus adhuc fluctuas, naufragiis certificare digneris ; ut nos saltem quae ’ tibi solae remansimus, doloris vel gaudii participes habeas. Solent etenim dolenti nonnullam aflerre consolationem qui condolent, et quodlibet onus pluribus impositum levius sustinetur, sive defertur. Quod si paululum hsec tempestas quieverit, tanto amplius maturandse sunt litterae, quanto sunt jucundiores futune. De quibuscunque autem nobis scribas, non parvum nobis remedium conferes ; hoc saltem uno, quod te nostri memorem esse monstrabis. II. Quam jucundae vero sint absentium litterae amicorum, ipse nos, exem- plo proprio, Seneca docet, ad amicum Lucilium quodam loco sic scribens’ : o Quod frequenter mihi scribis, gratias ago. Nam quo uno modo potes te mibi ostendis. Nunquam epistolam tuam accipio, quin protinus una simus. Si imagines nobis amicorum absentium jucundae sunt, quae memoriam renovant, et desiderium absentiae falso atque inani solatio levant, quanto jucundiores sunt litterae, quae amici absentis veras notas aflerunt ? » Deo autem gratias, quod hoc saltem modo prsesentiam tuam nobis reddere nulia invidia prohiberis, nulla diflicultate prsepediris : nulla, obsecro, negligentia retarderis. Scripsisti ad amicum prolixe consolationem cpistolae, et pro adversitatibus « Epit. 40. condisciples aussi, Albéric de Reims et Lotulfe de Lombardie, vous ont poursuivi. Vous n’avez oublié ni ce que leurs cabales ont fait de votre glorieux ouvrage de théologie, ni ce qu’elles ont fait de vous-même, condamné à une sorte de prison. De là vous arrivez aux menées de votre abbé et de vos perfides frères, aux affreuses calomnies de ces deux faux apôtres déchaînés contre vous par ces indignes rivaux, au scandale soulevé dans la foule à propos du nom de Paraclet donné, contre l’usage, à votre oratoire ; enfin, arrivant aux vexations intolérables dont votre vie aujourd’hui encore n’a pas cessé d’être l’objet, de la part de ce persécuteur impitoyable et de ces méchants moines que vous appelez vos enfants, vous avez mis le dernier trait à ce déplorable tableau. Je doute que personne puisse lire ou entendre sans pleurer le récit de telles épreuves. Pour moi, il a renouvelé mes douleurs avec d’autant plus de violence que le détail en était plus exact et plus expressif ; que dis-je ? il les a augmentées en me montrant vos périls toujours croissants. Voilà donc tout votre troupeau réduit à trembler pour votre vie, et chaque jour nos cœurs émus, nos poitrines palpitantes attendent pour dernier coup la nouvelle de votre mort. Aussi nous vous en conjurons, au nom de celui qui, pour son service, semble encore vous couvrir de sa protection ; au nom du Christ, dont nous sommes, ainsi que de vous-même, les bien petites servantes, daignez nous écrire fréquemment et nous dire les orages au sein desquels vous êtes encore ballotté ; que nous du moins, qui vous restons seules au monde, nous puissions partager vos peines et vos joies. D’ordinaire, la sympathie est un allégement à la douleur, et tout fardeau qui pèse sur plusieurs est plus léger à soutenir, plus facile à porter. Que si la tempête vient à se calmer un peu, hâtez-vous d’autant plus d’écrire que les nouvelles seront plus agréables à recevoir. Mais, quel que soit l’objet de vos lettres, elles ne peuvent manquer de nous faire un grand bien, par cela seul qu’elles seront une preuve que vous ne nous oubliez pas. II. Combien sont agréables à recevoir les lettres d’un ami absent, Sénèque nous l’enseigne par son propre exemple dans le passage où il écrit à Lucilius : Vous m’écrivez souvent, et je vous en remercie ; vous vous montrez ainsi à moi de la seule manière qui vous soit possible ; je ne reçois jamais une de vos lettres qu’aussitôt nous ne soyons ensemble. Si les portraits de nos amis absents nous sont doux, s’ils ravivent leur souvenir, et, — vaine et trompeuse consolation,— allègent le regret de leur absence, combien plus douces sont les lettres qui nous apportent l’empreinte véritable de l’ami absent. » Grâce à Dieu, ce moyen vous reste encore de nous rendre votre présence ; l’envie ne vous l’interdit pas ; rien ne s’y oppose : que ce ne soit point de vous, je vous en supplie, que viennent les négligences et les retards. Vous avez écrit à votre ami une longue lettre de consolation, en vue de ses malheurs sans doute, mais c’est des vôtres que vous lui parlez. Tandis que vous les rappelez avec exactitude pour le consoler, vous n’avez pas peu ajouté à notre désolation : en voulant panser ses blessures, vous avez ravivé en nous des plaies nouvelles et élargi les anciennes. Guérissez, je vous en conjure, les maux que vous avez faits, puisque vous prenez souci de soigner ceux qui sont faits par d’autres. Vous avez donné satisfaction à un ami, à un compagnon d’études ; vous avez acquitté la dette de l’amitié et de la confraternité. Elle est bien plus pressante, l’obligation que vous avez contractée envers nous ; car nous sommes, nous, non des amies, mais les plus dévouées des amies ; non des compagnes, mais des filles ; oui, c’est le nom qui nous convient, à moins qu’il s’en puisse imaginer un qui soit plus tendre et plus sacré. III. Si vous pouviez douter de la grandeur de la dette qui vous oblige envers nous, ni les raisons ni les témoignages ne nous manqueraient pour l’établir. Dût tout le monde se taire, les faits parlent assez haut. Après Dieu, vous êtes le seul fondateur de cet asile, le seul architecte de cet oratoire, le seul créateur de cette congrégation. Vous n’avez point bâti sur un fondement étranger. Tout ce qui existe ici est votre ouvrage. Cette solitude, jadis fréquentée seulement par des bêtes féroces et des brigands, n’avait jamais connu d’habitation humaine, n’avait jamais vu de maison. C’est parmi des tanières de bêtes féroces, parmi des repaires de brigands, là où d’ordinaire le nom de Dieu n’est pas même prononcé, que vous avez élevé un divin tabernacle et dédié un temple au Saint-Esprit. Pour l’édifier, vous n’avez rien emprunté aux richesses des rois et des princes, auxquels vous pouviez tout demander, dont vous pouviez tout obtenir ; vous avez voulu que rien de ce qui se ferait ne pût être attribué qu’à vous. Ce sont les élèves et les écoliers qui, s’empressant à vos leçons, vous fournissaient toutes les ressources nécessaires. Ceux-là mêmes qui vivaient des bénéfices de l’Église, qui ne savaient guère que recevoir des offrandes et non en faire, ceux qui jusqu’alors avaient eu des mains pour prendre, non pour donner, devenaient pour vous prodigues et importuns dans leurs libéralités. Elle est donc à vous, bien à vous, cette plantation nouvelle dans le champ du Seigneur, cette plantation toute remplie de jeunes rejetons, qui, pour profiter, ne demandent qu’à être arrosés. Par la nature même de son sexe, elle est débile ; ne fût-elle pas nouvelle, à ce titre seul, elle serait faible. Aussi exige-t-elle une culture plus attentive et plus assidue, selon la parole de l’Apôtre : « J’ai planté, Apollon a arrosé ; mais c’est Dieu qui a donné l’accroissement. » L’Apôtre, par les enseignements de sa prédication, avait planté et établi dans la foi les Corinthiens auxquels il écrivait ; Apollon, son disciple, les avait ensuite arrosés par ses saintes exhortations, et c’est alors que la grâce divine avait donné à leurs vertus de croître. C’est vainement que vous cultivez cette vigne que vous n’avez pas plantée de votre main, et dont la douceur a tourné pour vous en amertume ; vos admonitions incessantes sont stériles, vos sacrés entretiens, inutiles. Songez versam, admonitionibus sacpc cassis, et sacris frustra sermonibus exco- lis. Quid luse debeas atlende, qni sic curam impendis alienae. Doces ct admones rebelles, nec proficis. Frustra ante porcos divini eloquii mar- garitas spargis. Qui obstinatis tanta impendis, quid obedientibus debeas considera. Qui tanta bostibus largiris, quid filiabus debeas meditare. Atque ut cajteras omittam, quanto erga me te obligaveris debito, pensa : ut quod ilevolis communiter debes feminis, unic® tuae devotius solvas. Quot autem et quantos tractatus in doctrina, vel exhortatione, seu eliam consolatione sanctarum feminarum sancti Patres consummaverint, etquanta eos diligentia composuerint, tua melius excellenlia quam nostra parvitas novit. Unde non mediocri admiratione nostrae tenera conversionis initia tua jam dudum oblivio movit, quod nec reverentia Dei, ncc amore nostri, ucc sanctortim Patrum exemplis admonitus fluctuantem me ct jam diutino mcerore confectam, vel sermone pnesentem, vel cpistola absentcm consolari tentaveris. Cui quidem tanto te majore debito noveris obligatum, quanto te amplius nuptialis foederc sacramenti constat esse aslridum ; et eo te magis mihi obnoxium, quo tc semper, ut omnibus patet, immoderato amore com- plexa sum. IV. Nosti, cbarissime, noverunt omnes, quanta in te amiserim, et quam miserabili casu summa et ubique nota proditio meipsam quoqne mihi tecum abstulerit, et incomparabiliter major sit dolor ex amissionis modo quam ex damno. Quo vero major est dolendi causa, majora sunt consolationis adhi- benda remcdia, non utique ab alio, sed a teipso, ut qui solus cs in causa do- lendi, solus sis ingiatia consolandi. Solus quippe es qui me contristare, qui me Uetificare, seu consolari valeas. Et solus es qui plurimum in mihi debeas, et lunc maxime quum universa quac jusseris in tantum impleverim, ut quum te in aliquo offendere non possem, meipsam pro jussu tuo pcrdere sus~ tinerem. Et quod majus est, dictuque mirabile, in tantam versus est amor insaniam, ut quod solum appclebat, hoc ipse sibi sine spe recuperationis au- ferrct, quum ad tuam statim jussionem tam babitum ipsa quam nnimura immutarem : ut te tam corporis mci quam nnimi unicum possessorem os- tenderem. Nihil uuquam (Deus sit) in te nisi tc requisivi ; te pure, non tua concupiscens. Non matrimonii foedera, non doles aliqua expectavi, non tleni- que mcas voluptates aut voluntates, sed tuas, sicut ipse nosti, adim- plere studui. Et si uxoris uomcn sanctius ac validius videtur, dulcius mihi semper extitil amicse vocabulum ; aut, si non indigneris, concubinsc vel scorti ; ut quo me videlicet pro te amplius humiliarem, ampliorem apud à ce que vous devez à la vôtre, au lieu de consacrer ainsi vos soins à celle d’autrui. Vous enseignez, vous prêchez des rebelles : peine perdue. Vainement vous semez devant des pourceaux les perles de votre divine éloquence ; vous vous prodiguez à des âmes endurcies. Considérez plutôt ce que vous devez à des cœurs dociles. Vous vous donnez à des ennemis ; pensez à ce que vous devez à vos filles. Et sans parler de mes sœurs, pesez le poids de la dette que vous avez contractée envers moi : peut-être mettrez-vous plus de zèle à vous acquitter vis-à-vis de toutes ces femmes qui se sont données à Dieu dans la personne de celle qui s’est donnée exclusivement à vous. Combien de graves traités les saints Pères ont adressés à de saintes femmes pour les éclairer, pour les encourager, ou même pour les consoler ; quel soin ils ont mis à les écrire, votre science supérieure le sait mieux que notre humble ignorance. Quel n’est donc pas mon étonnement de voir que depuis longtemps déjà vous avez mis en oubli l’œuvre commencée à peine et encore mal assurée de notre conversion. Sentiment de respect pour Dieu, d’amour pour nous, exemples des saints Pères, rien, quand mon âme chancelle, quand le poids d’une douleur invétérée l’accable, rien ne vous a inspiré la pensée de venir me fortifier par vos entretiens, ou du moins de me consoler de loin par une lettre ! Et cependant, vous ne l’ignorez pas, l’obligation qui vous lie envers moi, le sacrement du mariage, nous enchaîne l’un à l’autre : nœud d’autant plus étroit pour vous que je vous ai toujours aimé, à la face du ciel et de la terre, d’un amour sans bornes. IV. Vous savez, mon bien-aimé, et nul n’ignore tout ce que j’ai perdu en vous ; vous savez par quel déplorable coup l’indigne et publique trahison dont vous avez été victime m’a retranchée du monde en même temps que vous-même, et que ce qui cause incomparablement ma plus grande douleur, c’est moins la manière dont je vous ai perdu que de vous avoir perdu. Plus poignante est ma peine, plus elle réclame de puissantes consolations. Au moins n’est-ce point un autre, c’est vous, vous, seul sujet de mes souffrances, qui pouvez seul en être le consolateur. Unique objet de ma tristesse, il n’est que vous qui puissiez me rendre la joie ou m’apporter quelque soulagement. Vous êtes le seul pour qui ce soit un pressant devoir : car toutes vos volontés, je les ai aveuglément accomplies. Ne pouvant vous résister en rien, j’ai eu le courage, sur un mot, de me perdre moi-même. J’ai fait plus encore : étrange chose ! mon amour s’est tourné en délire ; ce qui était l’unique objet de ses ardeurs, il l’a sacrifié sans espérance de le recouvrer jamais. Par votre ordre, j’ai pris avec un autre habit un autre cœur, afin de vous montrer que vous étiez le maître unique de mon cœur aussi bien que de mon corps. Jamais, Dieu m’en est témoin, je n’ai cherché en vous que vous-même ; c’est vous seul, non vos biens que j’aimais. Je n’ai songé ni aux conditions du mariage, ni à un douaire quelconque, ni à mes jouissances, ni à mes volontés personnelles. Ce sont les vôtres, vous le savez, que j’ai eu à cœur de satisfaire. Bien que le nom d’épouse paraisse et plus sacré et plus te consequerer gratiam, et sic etiam excellcntia ? tuae gloriam minus la> derem. Quod et tu ipse, tui gratia, oblitus penitus non fuisti, in ea, quam supra memini, ad Amieum epistola pro consolatione directa ; ubi et rationes non- nullas, quibus te a conjugio nostro infaustis tlialamis revocarc conabar, cx- ponere non es dedignatus, sed plerisque tacitis, quibus amorem conjugio, libertatem vinculo prseferebam. Deum testem invoco, si me Augustus, uni- verso praesidens mundo, matrimonii honore dignaretur, totumque mihi orbem confirmaret in perpetuo prasidcndum, carius mibi et dignius videre- tur tua dici meretrix, quam illius imperalrix. Non enim quo quisque ditior sive potentior, ideo et melior ; fortwue illud est, hoc virtutis. Nec se minime venalem aestimet esse quse libentius diliori quam pauperi nubit, et plus in marito sua quam ipsum concupiscit. Certe quamcunquc ad nuptias haec concupiscentia ducit, merces ci potius quam gratia debetur. Certum quippe est eam res ipsas, non hominem sequi, et se, si posset, velle prostituere ditiori. Sicul inductio illa Aspasicc philosophac apud socraticum JSschinem cum Xenophonte et uxore ejushabila manifeste convincit. Quam quidem inductionem quum praedicta philosopha ad reconciliandos invicem illos proposuisset, tali fine ipsam conclusi : « Quia nisi hoc peregeritis, ut neque vir melior, neque femina in terris lectior sit, profecto semper id quod optimum putabis esse multo maxime requiretis, ut et tu maritus sis quam optimae, et haec quam optimo viro nupta sit. » Sancla profecto haec et plus quam philosophica est sententia, ipsius potius sophiae quam philosophiae dicenda. Sanctus hic error, et beata fallacia in conjugatis, ut perfecta dilec- tio iliaesa custodiat matrimonii fcedera non tam corporum contineiitia, quam animorum pudicitia- Y. At quod error csteris, veritas mihi manifesta contulerat, quum quod illae videlicet de suis sstimarent maritis, hoc ego de te, hoc mundus uni- versus non tam crederet quam sciret ; ut tanto verior in te meus amor exis- teret, quanto ob errore longius absisteret. Quis ctenim regum aut philosoplio- rum tuam exaequare famam polerat ? Quae lc rcgio, aut civitas, seu villa vi- dere non aestuabat ? Quis te, rogo, in publicum procedentem conspicere non festinabat, ac discedentem colloerecto, oculis directis non insectabatur ? Quae coiijugata, quse virgo non concupiscebat absentem, et non cxardebal in pne- sentem ? Quae regina vel pnepotens femina gaudiis meis non invidebat vel thalamis ? fort, un autre a toujours été plus doux à mon cœur, celui de votre maîtresse, ou même, laissez-moi le dire, celui de votre concubine et de votre fille de joie ; il me semblait que, plus je me ferais humble pour vous, plus je m’acquer- rais de titres à votre amour, moins j’entraverais votre glorieuse destinée. Vous-même, en parlant de vous, vous n’avez pas tout à fait oublié ces sen- timents dans votre lettre de consolation à un ami. Vous n’avez pas dédaigné de rappeler quelques-unes des raisons par lesquelles je m’efforçais de vous détourner d’un fatal hymen, mais vous avez passé sous silence presque toutes celles qui me faisaient préférer l’amour au mariage, la liberté à une chaîne. J’en prends Dieu à témoin, Auguste, le maître du monde, m’eùt-il jugée digne de l’honneur de son alliance et à jamais assuré l’empire de l’univers, le nom de courtisane avec vous m’aurait paru plus doux et plus noble que le nom d’impératrice avec lui ; car ce n’est ni la richesse ni la puissance qui fait la grandeur : la richesse et la puissance sont l’effet de la fortune ; la grandeur dépend du mérite. C’est se vendre, que d’épouser un riche de préférence à un pauvre, que de chercher dans un époux les avantages de son rang plutôt que lui-même. Certes, celle qu’une telle convoitise conduit au mariage mérite d’être payée plutôt qu’aimée ; car il est clair que c’est à la fortune qu’elle est attachée, nou à la perso une, et qu’elle n’eût demandé, l’occasion échéant, qu’à se prostituer à un plus riche. Telle est la conclusion évidente du raisonnement de la sage Aspasie dans son entretien avec Xénophon et sa femme, entretien rapporté par Eschine, disciple de Socrate. Cette femme philosophe, qui s’était proposé de réconcilier les deux époux, conclut en ces termes : « Dès le moment que vous aurez réalisé ce point, qu’il n’y ait pas sur la terre d’homme supérieur, ni de femme plus aimable, vous n’aurez d’autre ambi- tion que le bonheur quTvous paraîtra le bonheur suprême : vous, d’être le mari de la meilleure des femmes ; vous, la femme du meilleur des maris. » Sainte morale assurément et plus que philosophique. Ou plutôt, non, ce n’est pas la philosophie qui parle, c’est la sagesse même ! Sainte erreur, heureuse trom- perie entre des époux, quand une sympathie parfaite garde intacts les liens du mariage, moins par la continence des corps que par la pudeur des âmes ! V. Mais ce que l’erreur persuade aux autres femmes, la vérité la plus claire me l’avait démontré. En effet, et qu’elles seules pouvaient penser de leur époux, le monde entier le pensait de vous ; que dis-je ? le savait de vous comme moi-même ; en sorte que mon amour pour vous était d’autant plus sincère, qu’il était plus loin de l’erreur. Était-il, en effet, un roi, un phi- losophe, dont la renommée pût être égalée à la vôtre ? Quelle contrée, quelle cité, quel village n’était agité du désir de vous voir ? Paraissiez-vous en public, qni, je le demande, ne se précipitait pour vous voir ; qui, lorsque vous vous retiriez, ne vous suivait le cou tendu, le regard avide ? Quelle épouse, quelle fille ne brûlait pour vous en votre absence, et ne s’embrasait à votre vue ? Quelle reine, quelle princesse n’a point]envié et mes joies et mon lit ? Duo autem, fateor, tibi specialiter inerant, quibus feminarum qua- rumlibet animos statim allicere poteras : dictandi vidclicet, et cantandi gratia ; quaj CKleros minime philosophos asseculos esse novimus. Quibus quidem, quasi ludo quodaui, laborem exercitii recreans philosophici, ple- raque amatorio metro vel rhythmo composita reliquisti carmina, quse prec nimia suavitate tam dictaminis quam canlus sxpius frequentata, tuum in ore omnium nomen incessauter tenebant : ut etiam illitteratos melodiac dul- cedo tui non sineret immemores esse. Alque hinc maxime in amorcm tui feminae suspirabanl. Et quum horum pars maxima carminum nostros de- Icantaret amores, multis me regionibus brevi tempore nuntiavit, et multa*» rum iii me ferainarum accendit invidiam. Quod cnim bonum animi vel corporis tuam non cxornabat adolescentiam ? Quam tunc mihi invidenlem, nunc tantis privatae deliciis compati calamilas meanon compcllat ? Quem vel quam, licet hostem primitus, debita copatio mihi nunc non emolliat fQuaj plurimum nocens, plurimum, ut nosti, suni innocens. Non enim rei effectus, sed efficientis affcctus in crimine est ; nec quotre image. Puis-je espérer de vous trouver libéral dans les chose», quand je vous vois avare de paroles ? J’avais cru jusqu’ici m’étre assuré bien verans obsequio. Quam quidem juvenculam ad monastica ? couversationis asperitatem non religionis devotio, sed tua tantum pertraxit jussio ; ubi si nihil a te promerear, quam frustra laborem dijudica. Nulla mihi super hoc merces expectanda est a Deo, cujus adhuc amore nihil me constat cgisse. Properantem te ad Deum secuta sum habitu, imo praecessi. Quas cnim memor uxoris Loth retro converss, prius me sacris vestibus et professioue monastica quam teipsum Deo mancipasti. In quo, fateor, uno minus de te me confidere vehementer dolui atque erubui. Ego autem (Deus scit) ad Vul- cania loca tc properantem praecedere vel sequi pro jussu tuo minime dubi- tarem. Non enim mecum animus mcus, scd tecumerat. Sed et nunc maximc si tecum non est, nusquam est. Esse vero sine te nequaquam potest. Sed ut tecum bene sit, age, obsecro. Bcne autem tecum fuerit, si te propitium in- venerit, si gratiam referas pro gratia, modica pro magnis, verba pro rebus. Utinam, dilccte, tua de me dileclio minus coufideret, ut sollicitior esset ! Sed quo te amplius nunc securum reddidi, negligentiorem sustineo. IMemcnto, obsecro, quae fecerim, et quanta debeas attende. Dum tecum carnali frucrcr voluptate, utrum id amore, vcl libidine agerem, iucertum pluribus habebatur.Nunc autem finis indicat quo id inchoaverim principio. Omnes denique. mihi voluptates iuterdixi, ut tuse parerem voluntati. Nihil raihi reservavi, nisi sic tuam nunc praecipue fieri. Quae vero lua sit ini- quitas perpende, si mcrenti amplius persolvis minus, imo nihil penilus : pnesertim quum parvum sit quod exigeris, et tibi facillimum. Per ipsum itaque, cui te obtulisli, Deum te obsecro, ut, quoquo modo potes, tuam mihi prsesentiam reddas, consolationem videlicet mihi aliquam rescribendo, hoc saltem paclo, ut sic recreata divino alacrior vacem ob- sequio. Quum me ad temporales olim voluptales expeteres, crebris me epistolis visitabas, frequenti carmine tuam in ore omnium Heloissam po- nebas. Me platese omncs, me domus singulae resonabant. Qyanto autem rec- tius me nunc in Deum, quam tunc in Iibidinem excitares ! Perpende, ob- secro, quae debes, attcnde quac postulo ; et longam epistolam brevi fine concludo : vale, unice. des titres à vos égards, ayant tout fait pour vous, et ne persévérant dans la retraite que pour vous obéir : car ce n’est pas la vocation, c’est votre vo- lonté, oui, votre volonté seule qui, jeune, m’a jetée dans les austérités de la profession monastique. Si vous ne m’en tenez aucun compte, voyez com- bien le sacrifice aura été vain, car je n’ai point de récompense à attendre de Dieu ; je n’ai encore rien fait pour lui. Lorsque vous êtes allé à Dieu, je vous ai suivi, que dis-je ? je vous ai pré- cédé ; comme si le souvenir de la femme de Loth et le regard qu’elle jeta derrière elle vous préoccupait, vous m’avez fait la première revêtir l’habit et prêter les vœux monastiques, vous m’avez enchaînée à Dieu avant vous- même. Cette défiance, la seule que vous m’ayez jamais témoignée, me pé- nétra, je l’avoue, de douleur et de honte ; moi qui, sur un mot, Dieu le sait, vous aurais, sans hésiter, précédé ou suivi jusque dans les abimes en- flammés des enfers ! car mon cœur n’était plus avec moi, mais avec vous. Et si, aujourd’hui plu» que jamais, il n’est pas avec vous, il n’est nulle part. Ou plutôt il ne peut être nulle part sans vous. Hais faites qu’il soit bien avec vous, je vous en supplie. Et il sera bien avec vous, s’il vous trouve bienveillant, si vous lui rendez amour pour amour, peu pour beau- coup, des mots pour des choses. Plût à Dieu, mon bien-aimé, que vous fus- siez moins sur de ma tendresse ! vous seriez plus inquiet. Mais plus je vous ai donné de sécurité, plus j’ai encouru votre négligence. Ah ! rappelez-vous, je vous en supplie, ce que j’ai fait, et songez à ce que vous me devez. Tandis que je goûtais avec vous les plaisirs de la chair, on a pu se demander si c’était la voix de l’amour que je suivais ou celle du plaisir. On peut voir maintenant à quels sentiments j’ai, dès le principe, obéi. Pour condescendre à votre volonté, j’en suis arrivée à m’interdire tous les plai- sirs ; je ne me suis rien réservé de moi-même, rien que le droit de me faire toute à vous. Quelle injustice de votre part, voyez donc, si vous accordez de moins en moins à qui mérite de plus en plus, si vous refusez absolu- ment tout, quand on vous demande si peu de chose et une chose si facile ! Au nom donc de celui auquel vous vous êtes consacré, au nom de Dieu même, je vous en supplie, rendez-moi votre présence, autant qu’il est pos- sible, en m’en voyant quelques lignes de consolation. Si vous ne le faites à cause de moi, faites-le du moins pour que, puisant dans votre langage des forces nouvelles, je vaque avec plus de ferveur au service de Dieu. Quand jadis vos vœux ardents me conviaient aux voluptés du monde, vous me visi- tiez coup sur coup par vos lettres, et vos vers mettaient sans cesse le nom de votre Héloïse sur les lèvres de la foule ; oui, c’était de mon nom que retentis* saient toutes les places, de mon nom, toutes les demeures Combien il serait mieux aujourd’hui d’exciter à l’amour de Dieu celle que vous provoquiez alors à l’amour du plaisir ! Encore une fois, je vous en supplie, pesez ce que vous devez, considérez ce que je demande, et je termine d’un mot cette longue lettre : adieu, mon tout. EPISTOLA TERTIA QUÆ EST RESCRIPTUM PETRI AD HELOISSAM ARGUMEXTUM Soperiori epistobc Ueloissae rcspondet Abslardus, ac se candide excusat, quod tanto tem- pore ad illain non scripserit, minime de incuria in eam venisse : sed quod de pradentia, doctrina, pietate, et religione ejus tantum confideret, ut eam vel exhortatione, vcl con • solatione non indigere crederct. Monet autem ut ad se rescribat, quid sihi exltortationis vel con-obtionis divinae ab eo rescribi velit : ct ipso ejus desidcrio faciet satis. Rogat eam, ut tam ipsa quam sacer ejus virginum ac vidunrum cbo :us sc apud Deum precibus juvet. Quantns apud ipsum vircs oraiio maxinie uxorum pro viris bnbe.it, luculenter ex Scripturarum auctorilate dbserens, et commcmoratis prccibus, qute hactenus in ipso monasterio pro se a sacris fcminis fierent ad Doum singulis horis canonicis, alias item quse pro falute absentis fiant instituit. Preterea rogat ut quocunquc modo vel loco eum cx hac vita migrare contingeret, defuncti corpus ad Paracletense copnobium deferri ibi- que sepeliri curaret. Heloissce dilectissimce sorori sttce in Christo Abcelardus frater ejus in ipso. I. Quod, post nostram a seculo ad Deum conversionem, nondum libi ali- quid consolationis vel cxhortationis scripserim, non negligentiae meac, sed tua ?,de qua sempcr plurimum confido, prudentiaeimputandumest. Nonenim cam his indigerc credidi, cui abundauter quae necessaria sunt divina gratia impertivit ; ut tam verbis quam exemplis errantes valeas docere, pusillani- tnes iMiiisolari, trepidos exhortari, sicut et facere jam dudum consuevisti, qutim vuh abbatissa prioiatum obtiueres. Quod si nunc tanta diligentia tuis providr ;is filiabus, quanta tunc sororibus, satis esse credimus, utjamoni- nino Mi|ierfluam doctrinam vel exhortationem nostram aibitremur. Sin au- tcm lumiilitati tua> aliter vidolur, et in iis etiam quas ad Deum pertinent ma^istorio nostro atque scriptis indiges, siiper Iiis quae velis scribe mihi, ut ud ipsam rescribam prout Dominus mihi annuerit. LETTRE TROISIÈME ABÉLARD À HÉLOÏSE SOMMAIRE Abélard, répondant à la lettre précédente, proteste que son silence si prolongé n’est point l’effet de la négligence ou de l’oubli, mais de la confiance qu’il a toujours eue en la sa- gesse d’Héloïse, en ses lumières, en sa piété, en ses mœurs irréprochables, confiance fi grande, qu’il n’a jamais cru qu’elle pût avoir besoin de conseils ou de consolations. Il la prie de s’expliquer clairement au sujet des règles et des consolations qu’elle réclame de lui, et il s’engage à répondre à ses vœux. Il la conjure, elle et la suinte communauté de ses sœur ?, vierges et veuves, de lui concilier, par leurs prières, l’assistance divine. Il lui démontre par l’autorité des saintes Écritures, combien les prières sont puissantes auprès de Dieu, et particulièrement les prières des femmes implorant pour leur époux. Il lui dicte ensuite la formule de h prière dont il voudrait que les religieuses fissent usage, dans le couvent, à des heures réglées, pour le salut de leur fondateur absent. Il lui demande enfin de vouloir bien, de quelque manière et en quelque endroit qu’il sorte de cette vie, prendre le soin de faire transporter et enterrer ses restes au Paraclet. À Héloïse sa très-chère sœur en Jésus-Christ, Abélard son frère en Jésus-Christ. I. Si, depuis que nous avons quitté le siècle pour Dieu, je ne vous ai pas encore adressé un mot de consolation ou d’exhortation, ce’ n’est point a ma négligence qu’il en faut attribuer la cause, mais à votre sagesse dans laquelle j’ai toujours eu une absolue confiance. Je n’ai point cm qu’aucun de ces se- cours fût nécessaire à celle à qui Dieu a départi tous les dons de sa grâce, à Celle qui, par ses paroles, par ses exemples, est capable elle-même d’éclairer les esprits troublés, de soutenir les cœurs faibles, de réchauffer ceux qui s’attiédissent. C’est ce que vous saviez faire il y a déjà longtemps, alors que vous n’étiez encore que prieure obéissant à une abbesse. Aujourd’hui, dès le moment que vous veillez sur vos filles avec autant de zèle que jadis sur vos sœurs, c’est assez pour m’autoriser à penser qu’instructions ou exhortations de ma part ne peuvent être que superflues. Toutefois, si votre humilité en jugeait autrement, et si, même dans les choses qui regardent le ciel, vous éprouviez le besoin d’avoir notre direction et nos conseils écrits, mandez-nous sur quel sujet vous voulez que je vous éclaire, je répondrai selon que le Seigneur m’en donnera le moyen. II. Deo autem gratias, qui gravissimorum et assiduorum periculorum meorum soHicitudinem vestris cordibus inspirans, affliclionis meae parli- cipes vos fecit ; ut orationum suffragio vestrarum divina miseratio me pro- tegat, et velociter Satanam sub | edibus nostris conlernt. Ad lioc autem pnccipue Pgalterium, quod a me sollicite requisisti, soror in seculo quan- dam chara, nunc in Christo charissima, mittcre maturavi. In quo videli- %t, pro nostris magnis et multis excessibus, et quotidiana periculorum meorum instantia, juge Domino sacrificium immoles orationum. Quantum autem locum apud Deum et sanctos ejus fidelium orationes obtineant, etinaxime mulierum pro charis suis, et uxorum pro viris, multa nobis occurrunt testimouia et cxempla. Quod diligenter attendens Aposto- lus, sine intermissione orare nos admonct. Legimus Dominum Moysi dixisse’ : « Diinitte me ut irascalur furor meus. » Et Jeremix * : « Tu vero, inquit, noli orare pro populo hoc, et non obsistas mihi. » fcx quibus videlicet verbis manifeste Dominus ipse profitetur orationes sanctorum quasi quoddam frenum irac ipsius immittere, quo scilicct ipsa coerceatur, ne quantum merita peccantium exigunt, ipsa in eos sspviat. Ut quem ad vindictam justitia quasi spontaneum ducit, amicorum suppHcatio fleclat, ettanquam invitum quasi viquadam retineat. Sic quippc oranti vel oraturo diciturs : c Dimitte me, et ne obsistas milii. » Pracipit Dominus ne oretur pro impiis. Orat justus, Domino prohibenle, et ab ipso itnpetrat quod postulat, ct irati judicis sentcntiam immutat. Sic quippe de Moyse sub- junctum est * : « Et placatus factus est Dominus de malignitatc quam dixit facere populo suo. » Scriptum est alibi de univcrsis operibus Dei* : « Dixit, et facta sunt. » Hoc autem loco et dixisse memoratur quod de afflictione populus raeruerat, et virtute orationis praventus, non implesse quod dixerat. Attende itaque quanta sit orationis virtus, si quod jubemur oremus, quando id quod orare prophetam Deus prohibuit, orando tamen oblinuit, et ab co quod dixerat eum avertit. Cui et alius propheta dicit * : « Et quum iratus fueris, mise- ricordise recordaberis.» Audianl id atque advertant principes terreni, qui occasione prepositae et edictac juslitiae suae, obstinati magis qttam justi reperiuntur, et se re- missos videri erubescunt, si misericordes fiant, et mendaces, si edictum suura mutent, vel quod minus provide statuerunt, non impleant, et si verba rebus emendcnt. Quos quidem recte dixerim Jephthsc comparandos, qui quod stulte voverat stultius adim plens, unicam interfecit. Thessal, n, 7. —• » Exod., xxxit, 10. — » Jer&n., vu, 16. — * Exod., xxxn, 10. — • Ptalin., xxxn, 9. — • Habacuc, m, 2. II. Je rends grâce à Dieu, qui inspire à vos cœurs tant de sollicitude pour mes cruelles et incessantes épreuves, et qui vous fait participer à mon afflic- tion. Faites, par l’assistance de vos prières, que la miséricorde divine me protège et écrase bientôt Satan sous nos pieds. A cet effet, j’ai hâte de vous envoyer le Psautier que vous me demandez avec tant d’instance, ô sœur ja- dis si chère dans le siècle, mais bien plus chère aujourd’hui en Jésus-Christ : qu’il vous serve à offrir au Seigneur un perpétuel holocauste de prières, pour expier nos grands et si nombreux péchés, pour conjurer les périls dont je suis journellement menacé ! Quel mérite ont auprès de Dieu et des saints les prières de ses fidèles, surtout les prières des femmes, pour ceux qui leur sont chers, et des épou- ses pour leurs époux : les témoignages et les exemples qui le prouvent se présentent en foule à ma mémoire. C’est dans la conviction de cette effica- cité que l’Apôtre nous recommande de prier sans cesse. Nous lisons que le Seigneur dit à Moïse : « Laisse-moi, afin que ma fureur s’embrase ; » et à Jérémie : « Cesse d’intercéder pour ce peuple et ne me fais point obsta- cle. » Par ces paroles, le Seigneur déclare lui-même manifestement que les prières des saints mettent, pour ainsi dire, à sa colère un frein qui l’enchaîne, et l’empêche de sévir contre les coupables dans la mesure de leurs fautes. La justice le conduit naturellement â la répression ; mais les supplications des fidèles fléchissent son cœur, et lui faisant, en quelque sorte, violence, l’arrêtent malgré lui. Il sera dit, en effet, à celui qui prie ou qui priera : f Laisse-moi et ne me fais point obstacle. » Le Seigneur ordonne de ne pas prier pour les impies. Le juste prie malgré la défense du Seigneur, et il obtient de lui ce qu’il demande, et il change la sentence du juge irrité. Car il est ajouté, à propos de Moïse : « Et le Seigneur apaisé suspendit la pu- nition qu’il voulait infliger à son peuple. » Il est écrit ailleurs, touchant la création du monde : « 11 dit, et le monde fut. » Mais ici on rapporte qu’il avait dit le châtiment que son peu- ple avait mérité, et, arrêté par la vertu de la prière, il n’accomplit pas ce qu’il avait dit. Voyez donc quelle est la vertu de la prière, si nous prions dans le sens qui nous est prescrit, puisque ce que le Seigneur avait défendu au prophète de lui demander par sa prière, sa prière l’obtint et le détourna de ce qu’il avait prononcé. Un autre prophète lui dit encore : « Et lorsque vous serez irrité, Seigneur, souvenez-vous de votre miséricorde ! » Qu’ils écoutent, qu’ils s’instruisent les grands de la terre qui poursuivent avec plus d’obstination que de justice les infractions faites à leurs arrêts, qui craindraient d’être taxés de faiblesse s’ils étaient miséricordieux, et de mensonge, s’ils changeaient quelque chose à une décision, ou s’ils n’exécu- taient pas une mesure imprévoyante, bien que les faits en vinssent modifier les termes : insensés, et bien dignes, en vérité, d’être comparés à Jephté qui, après avoir fait un vœu inspiré par la folie, l’exécuta plus follement encore et sacrifia sa fille unique. Qui vero, ejus membrum fieri cupil, tunc cum psalmista dicit ! : a Misericordiam et judicium cantabo tibi, Domine.»— « Misericordia, sicut scriptum est*, judicium exaltat, » attendens qnod alibi Scriptura comniina- tur5, « judicium sine misericordia in eum qui misericordiam non facit. i Quod diligenter ipse Psalmista considerans, ad supplicationem uxoris Nabal Garmeli, juramentum quod ex justitia fecerat, de viro ejus scilicet et ipsius domo delenda, per misericordiam cassavit. Orationem itaque justitise praetulit, et quod vir deliquerat, supplicatio uxoris delevit. In quo quidem tibi, soror, exemplum proponitur, et securitas datur, ut, si bujus oratio apud hominem tantum obtinuit, quid apud Deum tua pro me audeat instruaris. Plus quippe Deus, qui pater est noster, filios diligit, quam David feminam supplicantem. Et ille quidem pius ct misericors habe- batur, sed ipsa pielas et miseripordia Deus est. £t quae tunc supplicabat mu- lier secularis erat et laica, nec ex saiictse devotionis professione Domino co- pulata. Quod si ex te minus ad impetrandum suflicias, sanctus qui tecnm est tam virginum quam viduarum conventus, quod per tc non poles, obtiuebit. Quum enim discipulis Yeritas dicat * :« Ubi duo vel tres congregati fuerint in nomine meo, ibi sum in medio eorum ; ». et rursnms : c Si duo ex vobis consenserint de omui re quam petieriul, fiet illud a Patre meo ; » quis non videat quantum apud Deum valeat sanctae congregationis frequens oratio ? Si, ut Apostolus asserit, a multum valet oratio justi assidua, » quid de multitudine sanctae congregationis sperandum est ? Nosti, charissima soror, ex homelia beati Gregorii XXXVIII, quantum gufTragium invito seu conlradicenti fratri oratio fratrum mature attulerit. De quo jam ad extremum ducto quanta periculi anxietate miserrima cjus anima laboraret, et quanla desperatione et taedio vitae fratres ab oralione revocaret, quid ibi diligenter scriptum sit tuam minima latet pruden- tiam. Atque utinam confidentius te et sanctarum conventum sororum ad orationem invitet, ut me scilicet vobis ipse vivum custodiat, per quein, Paulo attestante, mortuos etiam suos de resurrectione mulieres acce- perunt. Si enim Veteris et Evangelici Testamenti paginas revolvas, invenies maxima resuscitationis miracula solis vel maximc*feminis exbibita fuisse, pro ipsis vel de ipsis facta. Duos quippe mortuos suscitatos ad supplica- tiones malernas Yetus commemorat Teslamentum, per Eliam scilicet, et ipsius discipulum Elisxum. Evangclium vero trium tantum mortuorum • Psalm , t, 1. - * Jacob, u, 13. — 5 Ibtd. — « Math.f zrm, 20. — • Jacob, v, tO Quiconque veut devenir un membre de l’Éternel dit avec le Psalmistc ; t Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre justice. » — « La misé- ricorde, est-il écrit, fait monter le plateau de la justice. » — 11 se souvient de cette menace de l’Écriture : a Justice saus miséricorde contre celui qui ne fait point miséricorde. » Pénétré du sens de cette maxime, le Psalmiste, à la prière de l’épouse de Nabal, cassa, par miséricorde, le serment qu’il avait fait, dans un sentiment de justice, d’anéantir Nabal et toute sa maison. Il préféra donc la prière à la punition ; et le crime du mari fut effacé par les supplications de l’épouse. Que ceci vous soit un exemple, ma sœur, et un gage de sécurité : si la prière de cette femme eut tant d’empire sur un homme, voyez ce que pour- rait la vôtre pour moi auprès de Dieu. Dieu, qui est notre père, aime ses enfants plus que David ne faisait cette femme suppliante. David, il est vrai, passait pour un homme pieux et miséricordieux ; mais Dieu est là piété et la miséricorde même. Et cette femme suppliante appartenait au siècle, au monde profane ; elle ne s’était pas donnée à Dieu par les vœux d’une sainte profession. Que si ce n’était pas assez de vous pour être exaucée, cette sainte communauté de vierges et de veuves qui vit avec vous obtiendra ce que par vous seule vous ne pouviez obtenir. Car le Dieu de vérité a dit à ses disci- ples : a Quand deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux ; 0 et ailleurs : « Si deux de vous s’accordent entièrement sur ce qu’ils me demandent, mon Père les exaucera. » Qui pourrait donc méconnaître ce que vaut auprès de Dieu la prière réitérée d’une sainte congrégation ? Si, comme le dit l’Apôtre, « la prière assidue d’un juste est puis- tante, » que ne peut-on attendre des prières réunies d’une sainte congréga- tion ? Vous avez vu, très-chère sœur, dans la trente-huitième homélie de saint Grégoire, quelle assistance la prière d’une communauté de frères, apporta à un frère qui refusait cette assistance ou qui du moins ne s’y prétait pas. 11 se croyait à l’extrémité. A quelle terreur, à quelles angoisses sa malheu- reuse âme était en proie ! avec quel désespoir et quel dégoût de la vie il dé- tournait ses frères de prier pour lui ! Le détail de ce précieux récit n’a pas échappé à votre sagesse. Puisse cet exemple vous engager avec plus d’assu- rance, vous et vos saintes sœurs, dans les voies de la prière, afin que je vous sois conservé vivant par celui dont la grâce, au témoignage de saint Paul, accorda à des femmes la résurrection de leurs morts ! En effet, vous n’avez qu’à parcourir l’Ancien et le Nouveau Testament ; vous trouverez que les plus grands miracles de résurre tion ont été accom- plis presque exclusivement ou particulièrement sous les yeux des femmes, et pour elles ou sur elles. L’Ancien Testament fait mention de deux morts ressuscites à la prière d’une mère : l’un par Élie, et l’autre par son disciple Elisée. D’autre part, l’Évangile contient l’histoire de la résurrection de trois morts accomplie par le Seigneur, et qui, ayant trait à des femmes, confirme suscitationem a Doraiuo factam continet, quae, mulieribus exhibila, maxime illud quod supra commemoTavimus apostolicum dictum rebus suis confir- mant : « acceperunt mulieres de resurrectione mortuos suos. » Filium quippe viduae ad portam civitatis Naym suscilatum matri reddi- dit, ejus compassionc compunctus. Lazarum quoque, amicum suum, ad obsecratiouem sororum ejus, Mariae videlicet ac Marthsc, suscitavit. Quo etiam archisynagogi filiac hanc ipsam gratiam ad petitionem patris impen- dente, « mulieres de resurrectione mortuos suos acceperunt, » quum hxc videlicet suscitata proprium de morte receperit corpus, sicut lllac corpora suorum. Et paucis quidem intervenientibus hx factac sunt resuscitatioues. Vitae vero nostrce conservationem multiplex vestras devotionis oratio facile obtinebit. Quarum |ara abstinentia quam continentia Deo sacrata quanto ipsi gratior habetur, tanto ipsum propitiorem inveniet. Et pleriquc for- tassis horum qui suscitati sunl nec fideles exliterunt, sicut nec vidua prae- dicta, cui non roganti filium Dominus suscitavit, lidclis exlitisse legilur. Nos autem invicem non solum fidei colligat integritas, verum etiam ejus- dem religionis professio sociat. III. Ut autem sacrosanctum collegii vestri nunc omittam conventum, in quo plurimarum virginum ac viduarum devotio Domino jugiter descrvit, ad te unam veniam, cujus apud Dcum sanctitatem plurimum uon ambigo posse, et quae potes mihi pracipue debere, maxime nunc in tantae adversi- tatis laboranti discrimine. Memento itaque semper in orationibus tuis ejus, qui specialiter est tuus, et tanto confidentius in oratione vigila, quanto id esse tibi recognoscis justius, et ob hoc ipsi qui orandus csl ac- ceptabilius. Exaudi, obsecro, aure cordis, quod ssepius audisti aure corporis. Scri- ptum est in Proverbiis1 : « Mulier diligeus corona est viro suo. » Et rursum1 : « Qui invenit mulierem bonam, invemt bonum, et hauriet jucunditatem a Doraino. »Et iterum5 : « Domus et divitiae dantur a parentibus, a Domino autem proprie uxor prudens. » Et in EccJesia$ticoK : « Mulieris bonte bcatus vir. y> Et post pauca * : « Pars bona, mulier bona. » Et juxta auctoritatem apostolicam, « sanctificatus est vir infidelis per mulierem fidelem. » Cujus quidem rei experimentum in regno praecipue nostro, id est Fran- corum, divina specialiter exhibuit gratia, quum ad orationcm videlicet uxoris, magis quam ad sanctorum pnedicationem, CIcmIovco rcgc ad fidem Chrisli converso, regnum sic universum divinis legibus mancipaverunt, ut Prov., Mi, 4.—» W.,xrin, 22.—s Eccles., xxvi, 1.—* Ibul, 3.—* Corintfa . i, 7, t4. par des faits la parole de l’Apôtre que nous avons rappelée plus haut : « les femmes obtinrent la résurrection de leurs morts. » C’est à une veuve, en effet, que le Seigneur, touché de compassion, ren- dit son fils, aux portes de Naïm. Lazare aussi, Lazare qu’il aimait, c’est à la prière de ses sœurs Marthe et Marie qu’il le ressuscita. Quand il accorda la même grâce à la fille du chef de la synagogue, cette fois encore, ce sont « des femmes qui obtinrent la résurrection de leurs morls ; » car, par sa résurrection, la fille du chef de la synagogue avait recouvré sur la mort son propre corps, de même que les autres avaient recouvré les corps de ceux qui leur étaient chers. Bien peu de personnes avaient réuni leurs prières, et cependant elles obtinrent cette résurrection ! Les nombreuses et communes prières de votre piété obtiendront donc aisément la conservation de notre vie. Mus Dieu a pour agréable le vœu de pénitence et de chasteté fait par les femmes vouées à son service, plus elles le trouvent propice à leurs prières. Ajoutez que la plupart de ceux qui furent ressuscites n’étaient peut-être pas des fidèles. Ainsi on ne dit pas que la veuve de Naïm, à laquelle le Sei- gneur rendit son fils, ait vécu dans la foi ; tandis que nous, outre le lien de la foi qui nous unit, nous sommes associés par la communauté des vœux. III. Mais laissons de côté votre sainte congrégation, dans laquelle tant de vierges et de veuves portent pieusement le joug du Seigneur : c’est à vous seule que je m’adresse, à vous dont la sainteté est certainement très-puissante auprès de Dieu, et qui me devez votre secours la première dans les épreuves d’une si grande adversité. Souvenez-vous donc, dans vos prières, de celui qui est proprement à vous, et ayez d’autant plus de confiance dans l’expres- sion de votre prière, qu’ainsi que vous le reconnaissez vous-même, elle n’a rien que de légitime et qui ne puisse être, par là même, agréab’e à celui qu’il faut implorer. Écoutez, je vousen prie, avec l’oreille du cœur, ce que vous avez souvent entendu avec l’oreille du corps. Il est écrit dans les Proverbes : « La femme vigilante est une couronne pour son mari. » Et ailleurs : « Celui qui a trouvé une femme bonne a trouvé un véritable bien, et il a reçu du Seigneur une source de joie. » Et ailleurs : « La maison, les richesses sont données par les parents ; mais c’est Dieu seul qui donne une femme sage. » El dans l’Ecclésiastique : • Ileureux le mari d’une femme bonne ! » Et quelques lignes plus bas : o Une femme bonne est un bon partage. » Et enfin, au témoignage de l’Apôtre, • l’époux infidèle est sanctifié par l’épouse fidèle. * La grâce divine nous a particulièrement fourni dans notre royaume de France une expérience mémorable de cette vérité, quand le roi Clovis, con- verti à la foi du Christ par la prier de son épouse plutôt que par les prédi- cations des saints, soumit tout le royaume à la loi divine, afin que l’exemple des grands invitât les petits à persévérer dans la prière. C’est à cette perse- exemplo maximc superiorum ad orationig instantiam inferiores provocaren- tur. Ad quam quidem instantiam Dominica nos vehementer invitans para- bola * :« Ille, inquit, si perseveraverit pulsans, dico vobis quia si non dabit eo ei quod amicus illiussil, propter improbitatem ejus surgensdabit ei quotquot habet necessarios. » Ex hac profecto, ut ita dicam, orationis im- probitate, sicut supra mcmiui, Moyses divinae justitiac severitatem enerva- vit, el sententiam immutavit. IY. Nosti, dilectissima, quantum charitatis affectum presentia) meae con» ventus olim vester in oratione solitus sit exhibere. Ad explelionem namque quotidie singularuni horarum spccialem pro mc Domino supplicationem hanc offerre consuevit, ut responso proprio cum versu ejus praemissis et de- cantatis, preces his et collcctam in hunc modum subjungeret. Responsum. « Non me derelinquas, nec discedas a me, Domine.» Yersus.«In adjutorium meum semper intende, Domine. » Preces. « Salvum fac servum tuum, Deus meus, sperantem in te, Domine, exaudi orationem meam, et clamor meus ad tc vcniat. » Oratio. « Deus, qui per servulum tuum ancillulas tuas in nomine tno dignatus esaggregaiv, te qusesumus, ut lam ipsi quam nobis in tua tribuas pcrscverare voluntate. Per Dominum, etc. » Nunc outem absenti mihi tanto amplius orationem vestrarum opus est siiflragio, quanto majoris anxietate periculi constringor. Supplicando itaque postulo, et postulando snpplico, quatcnus pnrcipue nunc absens experiar quam vera charitas vestra erga absentem cxtitcrit, singulis videlicet horis expletis hunc orationis proprise modum adnectcns. Responsum. « Ne dere- linquas me, Domine pater et dominator vitxc mea\ ut non corruam in con- spectu adversariorum meorum, ne gaudcat de me inimicus meus. » Yersus. « Apprehende arma et scutum, et exsurge in adjutorium mihi, ne gaudeat.» Preccs. « Salvum fac servum tuum, Deus mcus, sperantem in te. Mitte ei, Domine, auxilium de sancto, et de Sion tuere eum. Esto ei, Domine, turris fortitudinis a facie inimici. Domine, exaudi orationem meain, et clamor incus ad te veniat. » Oratio.« Deus, qui per servum tuum ancillulas tuas iu nomine tuo diguatus cs aggregare, tequaesumus,ut eumab oniniadversitatc protegas, ct ancillis tuis incolumem reddas. Per Dominum, etc. » Y. Quod si me Dominus in manibus inimicorum tradiderit, scilicet ut ipsi Luc, xi, 8, vérance que nous excite vivement la parabole du Seigneur, a Qu’il persévère, est-il écrit, à frapper à la porte ; je vous le dis, et son ami, qui ne lui donnerait rien à titre d’ami, se lèvera fatigué de son importunité et lui éton- nera tout ce dont il en aura besoin. » Oui, c’est par cette sorte d’importu- nité de prière que Moïse parvint à adoucir la rigueur de la justice divine et à faire changer ses arrêts. IV. Vous savez, ma très-chère sœur, quelle ardeur cle charité votre cou- vent tout entier témoignait jadis pour moi dans ses prières en ma présence. Tous les jours, pour clore les heures canoniales, une prière était oflerte à mon intention, et, après avoir chanté l’antienne et le répons, des prières et une collecte étaient récitées, dont voici les termes : « Répons : Ne m’abandonnez pas, ne vous éloignez pas de moi, Sei- gneur. Verset : Soyez toujours prêt à me secourir, Seigneur. a Prière : Préservez de tout danger, mon Dieu, votre serviteur qui es- père en vous. Seigneur, prêtez l’oreille à ma prière et que mon cri vienne jusqu’à vous. • Oraison : Dieu, qui par la main de votre humble serviteur avez daigne rassembler eh votre nom vos humbles servantes, nous vous prions de lui accorder ainsi qu’à nous de persévérer dans votre volonté. Par Noire-Sei- gneur, etc. » Aujourd’hui que je suis loin de vous, l’assistance de vos prières m’est d’autant plus nécessaire que je suis eu proie aux angoisses d’un plus grand péril. Je vous supplie donc et je vous demande, je vous demande et je vous supplie de me prouver que voire charité pour l’absent est sincère, en ajou- tant à la fin de chaque heure canoniale : « Répons : Ne m’abandonnez pas, Seigneur, père et maître absolu de ma vie, de peur que je ne tombe devant mes adversaires et que mou ennemi ne se réjouisse de ma perte. « Verset : Saisissez vos armes et votre bouclier, et levez-vous pour ma dé- fense, de peur que mon ennemi ne se réjouisse. « Prière : Préservez de tout danger, ô mon Dieu, votre serviteur qui es- père en vous. Envoyez-lui, Seigneur, votre secours du Saint des saints. Du haut de Sion, protégez-le. Soyez pour lui, Seigneur, une imprenable forte- resse devant ses ennemis. Seigneur, prêtez l’oreille à ma prière et que mon cri vienne jusqu’à vous. t Oraison1 :0 Dieu, qui par la main de votre serviteur avez daigné rassem- bler en votre nom vos humbles servantes, nous vous en supplions, protégez- le contre tous les coups de l’adversité, et rendez-le sain et sauf à vos humbles servantes. Par Notre-Seigneur, etc. » V. S’il arrive que le Seigneur me livre aux mains de mes ennemis et que praevalentes rae interficiant, aut quocunque casu viam universa carnis ab- sens a vobis ingrediar, cadaver obsccro Siostrum, ubicunque vel sepultum vel exposilum jacuerit, ad cimiterium vestrum deferri faciatis, ubi fili» nostrae, imo in Ghristo sorores, sepulcrum nostrum saepius videntes, ad pre- ces pro me Domino fundendas amplius invitentur. Nullum quippe locum animse dolenti de peccatorum suorum errore desolata tutiorem ac salubrio- l rcm arbitror, quam eum qui vcro Paracleto, id est consolatori proprie con- I secratus est, et de ejus nomine specialiter insiguitus. Nec christianae sepul- tura ? locum rectius apud aliquos fideles, quam apud ferainas Christo devotas \ consistere censeo, quae de Domini Jesu Christi sepultura sollicitae, eam un- guentis pretiosis et prsevenerunt et subsecutae sunl, et circa ejus sepulcrum plangentes, sicut scriptum estl :«Muliei-es sedentes ad monumentum lamen- tabantur,flentesDominum. » Primo ibidem de resurrectione ejusangelica apparitione et allocutione sunt consolatse, et statim ipsius resurrectionis gaudia, eo bis eis apparente, percipere meruerunt, et manibus contrectare. Illud autem demum super omnia postulo, ut quae nunc dc corporis mei . periculo nimia sollicitudine laboratis, tunc prsecipue de salute animac solli- ciUe, quantura dilexeritis vivum exhibeatis defuncto, orationem videlicct vestrarum speciali quodam et proprio sufifragio : Tire, vale, vivantque tu* raleantque sororei, Vivite, sed Ghristo. qn.xso, mci mcmores. 1 Mnltli., xxvii, Gl. ceux-ci, triomphants, me donnent la mort, ou si, loin de vous, quelque ac- cident méfait toucher le terme où s’achemine toute chair, que mon cadavre, que mon corps, qu’il ait été enterré ou abandonné, soit rapporté par vos soins, je vous en supplie, dans votre cimetière, afin que la vue habituelle de notrettombeau invite nos filles, que dis-je, nos épouses en Jésus-Christ, à répandre plus souvent pour moi leurs prières devant le Seigneur ; car pour une âme contrite et désolée de ses péchés, il n’est point, à mon avis, de plus sur et de plus salutaire asile que celui qui a été spécialement consacré au véritable Paraclet, c’est-à-dire au Consolateur, et qui est parti- culièrement orné de son nom. Je ne crois point d’ailleurs qu’il existe chez les fidèles un lieu plus convenable pour une sépulture chrétienne qu’un couvent de femmes vouées au Seigneur. Ce sont des femmes qui, prenant soin de la sépulture de Notre-Seigneur Jésus-Christ, embaumèrent son corps de par- fums précieux, qui précédèrent et suivirent sa dépouille, qui veillèrent à la garde de son tombeau et déplorèrent la mort de l’époux, ainsi qu’il est écrit : a Les femmes, assises auprès du tombeau, se lamentaient en pleu- rant le Seigneur. » Aussi furent-elles tout d’abord consolées, au pied même du tombeau, par l’apparition et par les paroles de l’ange qui leur annonça la résurrection ; et elles méritèrent ensuite de goûter les joies mêmes de la résurrection et de toucher de leurs mains le Christ qui, deux fois, leur apparut. Enfin ce que je vous demande alors par-dessus toute chose, c’est de re- porter sur le salut de mon âme la sollicitude trop vive où vous jettent au- jourd’hui les périls de mon corps, et de prouver au mort l’ardeur de l’atta- chement que vous éprouviez pour le vivant, par l’assistance spéciale et toute particulière de vos prières. Vivez en paix et en santé, vous et vos sœurs. Vivez, et souvenez-vous de moi, en Jésus-Christ. EPISTOLA QUARTA QU£ ES/T RESCRIPTUM HEL01SS£ AD PETRUM ARGUMEKTUX Plcna phnclibus ct doloribus cst epistola. Plangit cnini Heloissa ct suam, et monacharum suarum atque ipsius Abelardi miscram conditionem, acccpta planctus occasionc ex pos- trema pracedcnlis cpistolae parte, ubi de. sua cx liac vita migralionc meminit Abae- lardus. Mullis utitur affectibus. quibus Icctorcm ad compassioncm suarum et Abxlardi movet, ut forte cliam lacrymas excutiat. Plangit et ip.«ius Abvlardi plagjm. Multam eliain de ipsis in corpore carnaltbus dcsitieriis inardesccntibus, qura aliquando cum ipso experta fucrat Abwlardo, conqurritur. Proinde cxtcriorem ct apertam religionem suam non incongruc extenuat, ac illam aimulationi potius quam pietati ascribit ; sc Abselardisui orationibus juvari postulat, atque suas laudcs humiliter rejicil. Unico suo post Chrislum unica sua in Christo. I. Miror, unice meus, quod prseter consuetudinem epistolaruni, imo coti- tra ipsum ordinem naturalem rerum, in ipsa fronte salutationis epistolaris me tibi prseponere praesumpsisti : femiuam videlicet viro, uxorem marito, ancillam domino, monialem monacho et sacerdoti, diaconissam abbati. Rectus quippe ordo est et houestus, ut qui ad superiores vel ad pares scri- bunt eorum quibus scribunt nomina suis anteponant. Sin autem ad iuferio- res, pracedunt scriptionis ordine qui pfaecedunt rerum dignitate. lllud etiam hoh parta admiratione stlscepimus, quod quibus consolationis remedium aflerre debuisti, desolationem auxisti ; et quas mitigare debueras, excitasti laerymas. Quse cnim nostrum siccis oculis audire possit, quod circa finem epistolac posuisti dicens : V. Si enim vere miserrimi mei animi profitar infirmitatem, qua poenitentia Deum placare valeam non invenio, quem super hac semper injuria summae crudelitatis arguo ; et ejus dispensationi conlraria, magis eum ex indigna- I tione offcndo, quam ex pcenitentiae satisfactionc mitigo. Quomodo etiam pce- nitentia peccatorum dicitur, quantacunque sit corporis afflictio, si mens , adhuc ipsam peccandi retinet voluntatem, et pristinis aestuat desideriis ? Fa- f cile quidem est quemlibet conGtendo peccata seipsum accusare, aut etiam | in exteriori satisfactione corpus aflligere ; difficillimum vero est a desidcriis | maximarum voluptatum avellere animum. Unde et merito sanctus Job quum I praemisisset1 : « Dimittam adversum me eloquium meum, »id est laxabo linguam, et aperiam os per confessionem in peccatorum meorum accusatio- nem, statim adjunxit : « Loquar in amaritudine animae meae. » Quod bea- tus exponens Gregorius1 : c Sunt, inquit, nonnulli, qui apertis vocibus cul- pas fatentur, sed tamen in confessione gemere nesciunt et lugenda gaudentes dicunt…..Unde qui culpas suas detestans loquitur, restat, necesse est, ut bas in amaritudine animae loquatur, ut haec ipsa amaritudo puniat quid- quid lingua per mentis judicium accusat. » Sed h»c quidem amaritudo ver» pcenitentiae quam rara sit beatus dili- » Job.i, 1.-» Mortl., a,45. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOISE. 103 répandu les enseignements. Ce fut contre sa femme, qui l’excitait au blas- phème, que Job, ce saint homme, eut à soutenir le dernier et le plus rude des combats. Le malin tentateur savait bien, il avait mainte fois reconnu par l’expérience celte vérité, que les hommes ont toujours, dans leurs fem- mes, une cause de ruine toute prête. C’est lui enfin qui, étendant jusqu’à nous sa malice accoutumée, a perdu par le mariage celui qu’il n’avait pas perdu par la fornication ; il a fait le mal avec le bien, n’ayant pu faire le mal avec le mal. Grâce à Dieu, du moins, s’il a pu faire servir ma passion à son œuvre de malice, il n’a pu convertir mon cœur à la trahison, comme les femmes dont j’ai cité l’exemple. Et cependant, bien que la pureté de mes intentions me justifie, bien que mon cœur n’ait point à répondre de l’accomplissement du crime, j’avais auparavant commis trop de péchés pour me croire tout à fait innocente. Oui, dès longtemps asservie aux attraits des voluptés de la chair, j’ai mérité alors ce que je subis aujourd’hui ; c’est le juste châtiment de mes fautes passées. Toute mauvaise fin est la conséquence d’un mauvais commencement. Plaise au ciel que je fasse de ce péché une digne pénitence, une pénitence qui, par la longueur de l’expiation, balance, s’il est possible, le cruel châtiment qui vous a été infligé ; plaise au ciel que ce que vous avez souffert un moment daus votre chair, je le souffre, moi, comme il est juste, par la contrition de mon âme, pendant toute la vie, et qu’ainsi je vous of- fre à vous, sinon à Dieu, une espèce de satisfaction. V. S’il faut, en effet, mettre à nu la faiblesse de mon misérable cœur, je ne trouve pas en moi un repentir propre à apaiser Dieu ; je ne puis me retenir d’accuser son impitoyable cruauté au sujet de l’outrage qui vous a été infligé, et je ne fais que l’offenser par mes murmures rebelles à ses décrets, bien loin de chercher par la pénitence à apaiser sa colère. Peut-on dire même qu’on fait pénitence, quel que soit le traitement infligé au corps, alors que l’âme conserve l’idée du péché et brûle de ses passions d’au- trefois ? H est aisé de confesser ses fautes et de s’en accuser, il est aisé même de soumettre son corps à des macérations extérieures ; mais ce qui est difficile, c’est d’arracher son âme aux désirs des plus douces voluptés. Voilà pourquoi le saint homme Job, après avoir dit avec raison : t Je lancerai mes paroles contre moi-même, » — c’est-à-dire, je délierai ma langue et j’ouvrirai ma bouche par la confession pour m’accuser de mes péchés, — ajoutait aussitôt : « Je parlerai dans l’amertume de mon âme. » Et saint Grégoire, rapportant ce passage, dit : c II y en a qui confessent leurs pé- chés à haute voix, mais leur confession ne sort pas d’un cœur gémissant ; ils disent en riant ce qu’ils devraient dire avec des sanglots…..Il ne suffit donc pas d’avouer ses fautes en les détestant ; il faut les détester dans l’amertume de son âme, afin que cette, amertume elle-même soit la punition des fautes qu’accuse la langue conduite par l’esprit. » Mais cette amertume du vrai repentir est bien rare, et saint Ambroise en 101 ABALARM ET UELOISSA EPISTOLtf. genter attendens Ambrosiusl : a Faciiius, inquil, inveni qui innocentiam iservaverunt, quani qui poenitcntiam egerunt. » In tantura vero illae, quas jpariter exercuimus, amantium voluptates dulces mihi fuerunt, ut nec dis- pliceremihi, ncc vix a memoria labi possint. Quocunque loco me vertam, semper se oculis meis cum suis ingerunt desideriis. Nec etiam dormicnti suis illusionibus parcunt. Inter ipsa missarum solemnia, ubi purior esse debet oratio, obscena carum voluptatum phantasmata ita sibi penitus miser- rimam captivant animam, ut turpitudinibus illus magis quam orationi va- cem. Quae quum ingemiscere debeam de commissis, suspiro potius de amis- sis. Nec solum quse egimus, sed loca pariter et tempora in quibus hsec egi- mus, ita tecum nostro infixa sunt animo, ut in ipsis omnia tecum agam, nec dormiens etiam ab his quiescam. Nonnunquam et ipso motu corporis animi mei cogitationes deprehenduntur, nec a verbis temperant improvisis. 0 vere rae miseram, et illa conquestione ingemiscentis animae dignissi- mam* : « Infelix ego homo ! quis me liberabit de corpore mortis hujus ? • Utinam et quod sequitur veraciter addere quam ! «Gratia Dei per Jesum Christum Dominum nostrum. » Hax te gratia, charissime, praevenit, et ab his tibi stimulis una corporis plaga medendo multas in anima sanavii, et in quo tibi amplius adversari Deus creditur, propitior inventur : more qui- dem iidelissimi medici, qui non parcit dolori, utconsulat saluti. Hos autem in me stimulos carnis, hsec incentiva libidinis, ipse juvenilis fervor setatis, et jucundissimarum experientia voluptatum, plurimum accendunl, el tanto amplius sua me impugnatione opprimunt, quanto infirmior cst natura quam oppugnant. Castam me pradicant, qui non deprehenderunt hypocritam. Munditiam carnis conferunt in virtutem, quum non sit corporis, sed animi virtus. Ali- quid laudis apud homines habens, nihil apud Deum mereor, qui cordis et renum probator est, ct in abscondito videt. Rcligiosa hoc temporc judicor, in quo jam parva pars rcligionis non cst hypocrisis ; ubi illc maximis extol- litur laudibus. qui humanum non offendit judicium. Et hoc fortassis aliquo modo laudabile, el Deo acceptabile quoquo modo videtur, si quis videlicct exterioris operis exemplo quacunque intentione non sit Ecclesiae scandalo, nec jam per ipsum apud infideles nomen Domini blasphemetur, ncc apud carnaies professionis suze ordo infametur. Atque De pcenit, \i, 10. — > Rora., tii, 24. LETTRES D’ABÉLARD ET DHÉL01SE. 105 fart la remarque. « J’ai trouvé, dit-il, plus de cœurs qui ont conservé leur innocence que de cœurs qui ont fait pénitence. » Quant à moi, ces voluptés de l’amour que nous avons goûtées ensemble m’ont été si douces, que je ne puis m’empocher d’en aimer le souvenir, ni l’effacer de ma mémoire. De quelque côté que je me tourne, elles se présentent, elles s’imposent à mes regards avec les désirs qu’elles réveillent ; leurs illusions n’épargnent môme pas mon sommeil. Il n’est pas jusqu’à la solennité de la messe, là où la prière doit èlrc si pure, pendant laquelle les licencieuses images de ces vo- luptés ne s’emparent si bien de ce misérable cœur, que je suis plus occupée de leurs turpitudes que de l’oraison. Je devrais gémir des fautes que j’ai commises, et je soupire après celles que je ne puis plus commettre. Ce n’est pas seulement notre délire, ce sont les heures, ce sont les lieux témoins de notre délire, qui sont si profondément gravés dans mon cœur avec votre image, que je me retrouve avec vous dans les mômes lieux, aux .mêmes heures, dans le même délire : même en dormant, je ne trouve point le repos. Parfois les mouvements de mon corps trahissent les pensées de mon âme ; des mots m’échappent, que je n’ai pu retenir. Ali ! je suis vrai- ment malheureuse, et elle est bien faite pour moi cette plainte d’une âme gémissante ; n Infortuné que je suis, qui me délivrera de ce corps déjà mort ? Plut au ciel que je puisse ajouter avec vérité ce qui suit : « c’est la grâce de Dieu, par Jésus-Christ, notre {Seigneur ! i Cette grâce, 6 mon bien- aimé, vous est venue, à vous, sans que vous la demandiez : une seule plaie de votre corps, en apaisant en vous ces aiguillons du désir, a guéri toutes les plaies de votre âme ; et tandis que Dieu semblait vous traiter avec ri- gueur, il se montrait, en réalité, secourable : tel le médecin fidèle qui ne craint pas de faire souffrir son malade pour assurer sa guérison. Chez moi, an contraire, les feux d’une jeunesse ardente au plaisir et l’épreuve que j’ai faite des plus douces voluptés irritent ces aiguillons de la chair ; et les as- sauts sont d’autant plus pressants, que plus faible est la nature qui leur est en butte. On vante ma chasteté : c’est qu’on ne voit pas mon hypocrisie. On porte au compte de la vertu la pureté de la chair, comme si la vertu était l’affaire du corps, et non celle de l’âme. Je suis glorifiée parmi les hommes, mais je n’ai aucun mérite devant Dieu qui sonde les cœurs et les reins, et qui voit clair dans nos ténèbres. On loue ma religion dans un temps où la religion n’est plus qu’hypocrisie, où, pour être exaltée, il suffit de ne point heurter les préjugés du monde. Il se peut qu’il y ait quelque mérite, môme aux yeux de Dieu, à ne point scandaliser l’Église par de mauvais exemples, quelles que soient d’ailleurs les intentions, et à ne point donner aux infidèles le prétexte de blasphémer le nom du Seigneur, aux libertins l’occasion de diffamer Tordre auquel on a • (ait vœu d’appartenir. Cela môme peut être, je le veux bien, un don de la 9 race divine qui a pour effet d’apprendre non-seulement à faire le bien, mais 106 AB.45LARDI ET HELOISS* EPISTOL/E. hoc quoquc nonnullum cst divinae graliac donum, et cujus vidclicet raunere venit non solum bona facere, sed ctiam a malis abstincrc. Sed frustra istud praecedit, ubi illutl non succedit, sicut scriptum estl : « Declina a malo, et fac bonum. » Et frustra ulrumquc geritur quod amore Dei non agitur. Iu omni autcm (Deus scit) vitne mcae statu, te magis adhuc oflenderc fluam Deum vercor : tibi placere amplius quam ipsi appelo. Tua me ad re- ftigionis habitum jussio, non divina traxit dilectio. Vide quam infelicem, ct omnibus miserabiliorem ducam vitam, si tanla bic frustra sustineo et nihil habitura remunerationis in futuro. Diu te, sicut multos, simulatio mea fefellit, ut rcligioni dcftjtares hypocrisim : ct ideo nostris te maximc commendans orationibus, quod a te expecto, a mc postulas. VI. Noli, obsecro, de me tanta prssumere, nc mihi cesses orando subvc- nire. Noli aestimare sanam, ne mcdicaminis subtrahas gratiam. Noli non cgentem credere, ne differas in ncccssitate subvenire. Noli" valetudinem putarc, ne prius corruam, quam susteules labentem. Multis ficta sui laus nocuit, et prsesidium quo indigebant abstulit. Per Isaiam Dominus clamal* : « Popule meus, qui te bcalificant ipsi te dccipiunt. et viam gressuum tuo- rumdissipant. » Et per Ezechielem3 : « Vae quae consuitis, inquit, pulvillos sub omni cubitu manus, ct ccrvicalia sub capite aelatis universa ? ad deci- piendas animas !’» Et contra autem per Salomonem dicitur* : « Verba sa- picntum quasi stimuli, et quasi clavi in altum defixi, qui videlicet vulnera uesciunt parpare, sed pungcrc. » Quiescc, obsccro, a laudc mea, ne turpem adulationis notam et mendacii crimen incurras, aut si quod in me suspicaris bonum, ipsum laudatum va- nitatis aura ventilet. Ncmo medicinae peritus interiorem morbum ex exte- rioris habitus inspectione dijudicat. Nulla quidquid mcriti apud Deum obtinent, quae reprobis a^que ut electis coramunia sunt. Hacc auteni ea sunt, quae exterius aguntur, quae nulli sanctorura tam studiose peragunt, quan- tum hypocritae. « Pravum est cor hominis, et inscrutabile etiam : quis co- gnoscet illud5 ? » Ete : « Sunt viae hominis quaevidentur rectae : novissima autem illius dcducunt ad mortem. » — « Tcmerarium cst in co judicium hominis, quod divino tantum reservatur examini7. » Unde et scriptum est : « Ne laudaveris hominem in vita » Ne tunc videlicet hominem laudes, dum laudando facere non laudabilem potes. • Psahn., «xn, 27. — * Ist., m, H. — * Eiech., xm, 18. — « Ecclc»., xn, i !.— Jerem., xvii, 9. — • Prov., nv, %.«— T Exech., n, 30. LETTRES D’ABÈIARD ET D’HÉLOISE. 107 aussi de s’abstenir du mal. Mais en vain fait-on le premier pas, s’il n’est suivi du second, ainsi qu’il est écrit : « Éloigne-toi du mal et fais le bien ; » En vain même, pratiquerait-on ces deux préceptes, si ce n’est pas l’amour de Dieu qui vous conduit. Or, dans tous les états de ma vie, Dieu le sait, jusqu’ici c’est vous plutôt que lui que j’ai toujours redouté d’offenser. C’est à vous bien plus qu’à lui-même que j’ai le désir de plaire. C’est un mot de vous qui m’a fait prendre l’habit monastique, et non la vocation divine. Voyez quelle vie in- fortunée, quelle vie misérable entre toutes que la mienne, si tout cela est perdu pour moi, pour moi qui ne dois en recevoir ailleurs aucune récom- pense. Ma dissimulation, sans doute, vous a longtemps trompé comme tout le monde ; tous avez attribué à un sentiment de piété ce qui n’était qu’hy- pocrisie. Et voilà pourquoi vous vous recommandez à nos prières, pourquoi vous réclamez de moi ce que j’attends de vous. VI. Ah ! je vous en conjure, n’ayez pas de moi une opinion si haute : il • m’est -trop nécessaire que vous ne cessiez point de me prêter assistance. Gardez-vous de penser que je sois guérie : je ne puis me passer du secours de vos soins. Gardez-vous de me croire au-dessus de tout besoin ; il y aurait danger à me faire attendre un secours indispensable à ma misère. Gardez- vous de m’estimer si forte : je pourrais tomber, avant que votre main ne vint me soutenir. La flatterie a causé la perle de bien des âmes, en leur enlevant l’appui qui leur était indispensable* Le Seigneur nous crie par la bouche d’Isaïe : t 0 mon peuple, ceux qui t’exaltent te’ trompent et t’éga- rent ; » et par la bouche d’Ézéchiel : f Malheur à vous qui placez des cous- sins sous les coudes et des oreillers sous la tête du monde pour abuser les âmes ! » Tandis qu’il est dit par Salomon : « Les paroles des sages sont comme des aiguillons, comme des clous enfoncés profondément, qui ne savent pas effleurer une plaie, mais qui la déchirent. » Trêve donc, je vous en prie, à vos éloges, si vous ne voulez pas encourir le honteux reproche adressé aux artisans de flatterie et de mensonge. Ou si vous croyez qu’il y ait en moi quelque reste de vertu, prenez garde que vos éloges ne le fassent évanouir au souffle de la vanité. 11 n’est point de médecin habile en son art qui, aux symptômes extérieurs, ne reconnaisse le mal du dedans. Et tout ce qui est commun aux réprouvés et aux élus est sans mé- rite aux yeux de Dieu. Or telles sont les pratiques extérieures, que parfois les vrais justes négligent, tandis que nul ne s’y conforme avec autant de zèle que les hypocrites, « Le cœur de l’homme est mauvais et insondable ; qui le connaîtra ? » — « L’homme a des voies qui paraissent droites et qui abou- tissent à la mort. » — Le jugement de l’homme est téméraire dans les choses dont l’examen est réservé à Dieu seul. — C’est pourqui il est écrit : « Vous ne louerez pas un homme pendant sa vie. » Cela veut dire qu’il ne faut pas louer un homme, de peur que, tandis que vous le louez, il ne soit déjà plus louable. 108 AB/ELARDI ET HELOISS* EPISTOLyE. Tanto autem mihi tua laus in me periculosior est, quanto gratior : et tanto amplius ea capior et deleelor, quanto amplius tibi per orania placere studeo. Time, obsecro, sempcr dc me potius quam confidas, ut tua semper sollicitudine adjuver. Nunc vero praecipue tiraendum est, ubi nullum in- continentiae meaj superest in te remedium. Nolo me ad virtutem exhortans, et ad pugnam provocans, dicas1 : «Nam virtus in infirmitate perficitur,» et* : « Non coronabitur nisi qui legime cer- taverit. ^ion quacro coronam victoriae : satis cst mihi periculum evitare. Tutiiis eviLitur periculum, quam committitur bellum. Quocunque me an- giiloyXOMi l)eus collocet, satis mihi faciety^ullus ibi cuiquam invidebit, quum singulis quod habebunt sufiecerit. Gui quidem consilio nostro ut ex auctorita quoque roburadjungam, bea- tum audiamus Hieronymum : « Fateor imbecillitatem meam, nolo spe vic- toriae pugnare, ne perdam aliquando victoriam. » Quid necesse est certa dimittere, etincorta sectari ? 1 Corinth., n, 12,9. — « Timoth., n, 5. LETTRES D’ABELÀRD ET D’HÉLOISE. 109 L’éloge venant de vous est d’autant plus dangereux pour moi qu’il m’est plus doux. 11 me séduit, il m’enivre d’autant plus que j’ai un plus grand désir de vous plaire. Ayez toujours plus de crainte que de confiance en ce qui me touche, je vous en supplie, afin que votre sollicitude soit toujours prête à me venir en aide. Hélas ! c’est aujourd’hui surtout qu’il faut craindre, puisque mon incontinence ne peut plus trouver de remède en vous. Non, je ne veux pas que, pour m’exhorter à la vertu et pour m’exciter au combat, vous disiez : « C’est le malheur qui met le sceau à la vertu, » et : « Celui-là ne sera pas couronné, qui n’aura pas combattu jusqu’au bout. » Je ne cherche point la couronne de la victoire ; ce m’est assez d’éviter le péril. 11 est plus sûr de fuir le danger que d’engager la bataille. Dans quelque coin du ciel que Dieu me donne une place, il aura fait assez pour moi. Là, personne ne portera envie à personne, chacun se contentera de son sort. Pour donner, moi aussi, à mes conseils l’appui d’une autorité, écoutons saint Jérôme. « J’avoue ma faiblesse, dit-il, je ne veux pas combattre dans l’espérance de remporter la victoire, de peur de la perdre. » Faut-il aban- donner le certain pour suivre l’incertain ? EPISTOLA QUINTA ()\j£ EST RESGRIPTUH PETRI RURSUS AD HELOISSAM ARCUMENTUM Quatuor capitibus, quibus toUm novissimam Heloissse epistolani constare dicit, argutc res- pondct Abtelardus, singulorumque rationes proscquitur, non tam ut scipsum cxcuset, quam ut ipsam doccat, hortctur, ct consolelur Hcloissam. Primo quidem rationem ponit, qua in postrcmis litteris suis nomcn cjus suo pneposuerit. Sccundo, quod suorum pc- riculorum ct tnortis mentionem egcrit, sc ab ca adjuratum fecissc exponit. Tcrtium de laudum suarum rcjectione approbat : modo id sincerc et sinc laudis fiat cupidilate. Quarto dc sua ulriusquc convcrsionis occasione ad vitam monasticam fusius proscquitur. Plagam in corporis sui foeda parte, quam illa plangebat, sic cxtcnuat, ut eam utriquc salubcrrimam, et multorum bonorum causam esse profiteatur, comparationc turpium cjusdem pudcndx partis actorum : atquc eam ob rem divinam extollit sapientiam et cle- mentiam. Multa dcniquc passim ponunlur ad doctrinam et exhortalionem atque consola- tionem Ileloisste. Ponitur et brevis oratio, qua monacbxe Paracletcnaes Abelaido et Hc loissae Deum propiliarent. Sponsce Christi servus ejusdem. In quatuor, memini, circa quai tota epistolae tuae novissiniae summa con- sistit, offensae tuoe commotionem cxpressisti. Primo quidem super hoc con- quereris, qtiod prater consuetudinem epistolarum, imo etiam contra ipsum uaturalem ordinem rerum, epistola nostra tibi directa te milii in salutatione prseposuit. Secundo, quod quum vobis consolationis potius remedium afTerre debuissem desolationem auxi* et quas mitigare debueram lacrymas cxcitavi, illud videlicet ibidem adjungens : « Quod si me Dominus in manus inixni- corum tradiderit, ut me scilicet praevalentes interficianl, etc.» Tertio vero vcterem illam et assiduam querelam tuam in Deum adjecisti, de modo vi- delicet nostiie conversioius ad Dcum, et crudclitalc proditionis illius in me commissse. Deniquc accusationem tui contra nostram iu te laudem oppo- suisti, non cum supplicatione modica, ne id dcinceps pncsumcrem. LETTRE CINQUIÈME RÉPONSE D’ABÉLARD À HÉLOISE SOMMAIRE Abclard répond à la dernière lettre d’Héloïsc qu’il divise en quatre points : sur chaque point, il déduit ses raisons, moins préoccupé de se défendre lui-même que d’éclairer lléioîse, de l’encourager, de la consoler. En premier lieu, il indique le motif qui, dans « lettre, lui a fait mettre le nom d’Héloïse avant le sien*. En second Heu, il proteste que, s’il a parlé de ses divers malheurs et des dangers qui le menacent de mort, c’est qu’elle l’avait elle-même adjuré de le faire. Troisièmement, il l’approuve de dédaigner les louanges, pourvu que ce dédain soit sincère et qu’il ne s’y mêle aucun désir d’appeler l’éloge. Quatrièmement, il s’étend fort au long sur les circonstances qui leur ont fait à l’un et i l’autre embrasser la vie monastique. Quant à la blessure infligée à son corps, cl qu’elle déplore, il en atténue l’importance, il déclare qu’elle est pour tous deux tin mal salutaire, et peut devenir, eu égard aux actes hontejix de la chair, une source d’une foule de biens ; puis il prend occasion de cette épreuve pour exalter la sagesse et la clémence divine. La lettre est semée de paroles d’enseignement, d’encouragement et de consolation. Elle se termine par la formule d’une petite prière que les religieuses du Paradct devront réciter pour appeler la miséricorde de Dieu sur Abélard et liéloïse. A l’épouse de Jésus-Christ, le serviteur du même Jésus-Christ Votre dernière lettre se résume, si je ne me trompe» en quatre points qui contiennent l’expression émue de vos griefs. D’abord vous me reproche* d’avoir contrevenu à l’usage épistolaire et même à l’ordre naturel, en met- tant votre nom avant le mien dans la formule de salutation de ma lettre. En second lieu, dites-vous, bien loin de vous apporter des consolations, j’ai augmente votre douleur et fait jaillir la source des larmes que je devais essuyer, en vous écrivant : « S’il arrive que le Seigneur me fasse tomber entre les mains de mes ennemis et que ceux-ci, triomphants, me donnent la mort… » Puis sont revenus ces anciens et éternels murmures contre Dieu au sujet de notre conversion et de la trahison cruelle dont j’ai été l’objet. Enfui, à l’éloge que je faisais de vous, vous opposez un acte d’accu- sation contre vous-même, eu me suppliant avec instance de n’avoir pas de vous une idée si haute. 112 AB.€L\RDI ET HELOISS^E EPISTOLE. Quibus quideni shigulis rcscribcre decrevi, non tam pro excusatione mca, quaiu pro doctrina vel exhortatione tua ; ut eo scilicet libeulius peli- tionibus assentias nostris, quo eas rationabilius factas iutellexcris ; et taulo rac amplius exaudias in tuis, quanto reprebensibilem minus invenies iu meis ; tantoque amplius verearis contemnere, quanto minus videris dignum reprebensioue. I. De ipso autem nostnc salutationis, ut dicis, ordine prapostero, juxta tuam quoque, si diligenter attendas, actum est seulentiam. Id enim quod omnibus patct, tu ipsa indicasti, ut quum videlicet ad superiores scribitur, eorum nomina praeponantur. Te veeo cx tunc me superiorem factam iutel- ligas, quo domina mea essc coepisti, Doniini mei sponsa cflecta, juxta illud beati Hieronymy ad Eustachium ita scribcntisl :« Hoec idcirco : domina nica, Eustacbium, scribo. Dominam quippe debeo vocarc sponsam Domiui mei. « Felix talium comniercium nuptiarum, ut homunculi miscri prius uxor, iiunc in summi regis thalamis sublimeris, nec ex hujus bonoris privilegio priori tantummodo viro, sed quibuscunque servis ejusdem regis pralata. Ne mireris igilur si tam vivus quam mortuus me vestris precipuc conimen- dem orationibus, quum jurc publico constet apud dominos plus eorum sponsas intercedendo posse, quam ipsorum familias, dominas amplius quam servos. In quarum quidem typo regiua illa et summi regis sponsa diligeuter dcscribitur, quum in psalmo dicitur* : « Astitit regina a dextris tuis.»Ac si aperte dicatur : Ista juncto latere sponso familiarissime adhaerct, et pariter incedit, caHeris omnibus quasi a longe absistentibus vel subsequentibus. De hujus excellentia prarogatiya ; sponsa iu canlicis exultans, illa, ut ita dicam, quam Moyses duxit, Ethiopissa dicit5 : « Nigra sum, sed formosa, filiae Hie- rusalem. ldeo dilexit me rex, et introduxit me iu cubiculum suum. » Et rursuni * : « Nolite considerare quod fusca sum, quia decoloravil me sol. » In quibus quidem verbis quum geueraliter anima describatur contempla- tiva, quae specialiter sponsa Cliristi dicitur, expressius tamen ad vos boc jwrti- nere ipse etiam vester exterior habitus loquitur. Ipsc quippe cultus extcrior uigrorum aut vilium iudumcntorum, instar lugubris habitus bouarum vi- duarum mortuos quos dilexerant viros plangeutium, vos in hoc mundo, juxta Apostolum, vere viduas et desolatas ostendit, stipendiis Ecclesix sustentandas*. De quaruni etiam viduaruni luctu super occisum earum spousuni Scriptura commeinorat, dicens5 : « Mulieres sedentes, ad mouumeutum lamentabautur flentes Dominum. » 1 Episl., 18.— ■ Psalm., xuv, 10.—5 Cantic, i, 4.— • Cantic., t, 5.— » Mtltb., xxvu,61. LETTRES D’ABÉIARD ET D’HÈLOISE. 113 Je veux répondre à chacun de ces points, moins pour me défendre per- sonnellement, que pour vous éclairer vous-même et vous fortifier. Vous vous rendrez d’autant plus aisément, je pense, à mes demandes, que vous eu aurez mieux compris la sagesse ; vous écouterez d’autant plus volontiers mes avis, que vous me trouverez moins répréhensible ; vous serez d’autant moins disposée à rejeter mes conseils, que vous nie jugerez moins passible de blâme. 1. Relativement a la formule de salutation dont j’ai, dites-vous, renversé l’ordre, je n’ai fait, rendez-vous en bien compte, que me conformer à votre pensée. N’est-il pas de règle commune, en effet, et ne dites-vous pas vous- même que, lorsqu’on écrit à des supérieurs, leurs noms doivent être pla- cés les premiers ? Or, sachez-le bien, vous êtes ma supérieure, vous êtes devenue ma maîtresse eu devenant l’épouse de mon maître, selon ces pa- roles de saint Jérôme écrivant a Eustochic : « J’écris ma maîtresse ; car je dois appeler ma maîtresse celle qui a épousé mou maître. » Heureux chan- gement de lien conjugal : épouse naguère du plus misérable des hommes, vous avez été élevée à l’honneur de partager la couche du Roi des rois, et cet honneur insigne vous a mise au-dessus non-seulement de votre premier époux, mais de tous les autres serviteurs de ce Roi. Ne vous étonnez donc pas si je me recommande particulièrement, vivant ou mort, à vos prières. C’est un point de droit constant, que l’intervention d’une épouse auprès du maître est plus puissante que celle de la maison entière, et que la maîtresse a plus de crédit que l’esclave. Voyez le modèle qui en est tracé dans le por- trait de la reine, épouse du souverain Roi, au psaume où il est dit : « La reine est assise à votre droite. » C’est comme si l’on disait plus explicitement, qu’unie à son époux par le lien le plus étroit, elle se tient à ses côtés et marche de pair avec lui, tandis que tous les autres restent à dislance ou suivent de loin. C’est dans le fier sentiment de ce glorieux privilège que l’é- pouse du Cantique des cantiques, cette Éthiopienne, avec laquelle Moïse s’unit, s’écrie : « Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem : voilà pourquoi Dieu m’a aimée et m’a introduite dans sa chambre. » Et ailleurs : m Ne considérez pas que je suis brune et que le soleil a changé mou teint. » 11 est vrai que ces paroles sont appliquées généralement à la description de l’âme contemplative, qui est spécialement nommée l’épouse du Christ. Toutefois l’habit même que vous portez témoigne qu’elles se rapportent en- core plus expressément à vous-même. Eu effet, ces vêtements de couleur noire et d’étoile grossière, semblables au lugubre costume de ces saillies veuves gémissant sur la mort des époux qu’elles avaient chéris, montrent que vous êtes véritablement eu ce monde ces veuves désolées dont parle l’Apôtre, et que l’Église doit vous soutenir de ses deniers. Elle est même dépeinte dans l’Écriture, la douleur de ces épouses qui pleurent leur époux crucifié. « Les femmes assises auprès du sépulcre, est-il dit, se lamen- taient en pleurant le Seigneur. » 8 114 AB£LARDI ET HELOISSJE EPISTOL*. Habet autem JSthiopissa exteriorem in carne nigredinem, et quantum ad extcriora pcrtinel, caeteris apparet feminis deformior, quum non sit tameit iu interioribus dispar, sed iu plcrisque etiam formosior atque can- didior, sicut in ossibus seu dentibus. Quorum videlicet dentium can- dor iu ipso etiam commendatur sponsa, quum dicitur1 : « Et dentes ejus lacte candidiores. » Nigra itaque in exterioribus, sed formosa in interiori- bus cst ; quia iu hac vila crebris adversitatum tribulationibus corporaliter aiHicta, quasi in carne nigrescit exterius, juxta illud Apostoli* : « Omnes qui volunt pie vivere in Christo tribulationcm patientur. » Sicut enira can- dido prosperum, itanon incongrue nigro designatur adversura. Intus autem quasi iu ossibus candet, quia in virtutibus ejus anima pollet, sicut scriptum cst* : « Omnis gloria ejus filiaj regis ab intus. » Ossa quippe, quse intcriora sunt, exteriori carne circumdata, et ipsius camis, quam gerunt vel substen- tant, robur ac fortitudo sunt, benc animam exprimuut, quac carnem ipsam, cui incst, vivificat, sustentat, movel atque regil, atque ei onmem valetudi- nem ministrat. Cujus quidem esl candor sive decor, ipsaj quibus adornatur virlules. Nigra quoquc est in exterioribus, quia dum in hac peregrinatione adhuc exulat, vilem et abjectam se tenet in hac vita ; ut in illa sublimetur, quac est abscondita cum Christo in Dco, patriam jam adcpta. Sic vero eam sol vcrus decolorat, quia coelestis amor sponsi eam sic humiliat, vel Iribula- tionibus cruciat, ne eam scilicel prosperitas extollat. Decolorat eam sic, id est, dissimilem eam a caeteris facit, quac terrcnis inhiant, et seculi quserunt gloriam, ut sic ipsa vere lilium convallium pcr humililatem efliciatur : non lilium quidcm montium, sicul illac videlicet fatu® virgines, qus de mundi- tia carnis, vel abstinentia cxteriore apud sc inluniescentes, acstu tcntatio- num aruerunt. Beuc autem filia Hicrusaloin, id cst, imperfectiores, ullo- quens fideles, qui [iliaruin potius quam filiorum nomine digni sunt,dicit4 : Nolite me considerarc quod fusca sim, quia decoloravit mc sol. » Ac si apcr- tius dicat : quod sic me humilio, vel tam viriliter adversitates sustiueo, non est me» virtutis, sed ejus gratia ?, cui dcscrvio. Aliler solcnt hseretici vei hypocritse, quantum ad faciem hominum s]>cc- tat, spe terrenae glorias sese vehementer humiliarc, vel multa inutiliter to- lerare. De quorum quidem hujusmodi abjectioiie vel Iribulatione quam sustineut, vchementer minuidum cst ; quum sint omnibus miserabiliorcs hominibus, qui nec preescnlis vitac bonis, nec futursc fruuntur. IIoc itaque sponsa diligenter considerans dicit : « Nolite mirari cur id iaciam. » Sed 1 Geues, xux, 12. — * Timoth., n, 3, 12. — 3 Psalm., xuv, 14« — * Canl., i, 5 LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOISE. 115 Quant à l’Éthiopienne, si elle a le teint noir et parait, à juger par le de- dehors, moins belle que les autres femmes, elle ne leur cède en rien par les beautés intérieures ; elle est même plus blanche et plus belle en plus d’une partie, les os, par exemple, et les dents. La blancheur de ses dents est vantée par l’époux lui-même, qui dit : « et ses dents sont plus blanches que le lait. » Elle est donc noire au dehors, mais au dedans elle est belle. C’est la multitude des adversités et des tribulations dont son corps est affligé dans cette vie, qui noircissent la surface de sa peau, selon la parole de l’Apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ souf- friront des tribulatious. » En effet, comme le blanc est l’emblème du bon- heur, de même on peut dire que le noir représente l’adversité. Mais au de- dans, elle est blauche jusque dans la moelle des os, parce que son âme est riche de vertus, ainsi qu’il est écrit : « Toute la gloire de la fille du Roi vient du dedans. » En effet, ses os, qui sont au dedans, recouverts au de- hors par la chair dont ils sont le soutien et l’appui, la force et la vigueur, ne sont-ils pas la parfaite expression de l’âme qui vivifie le corps où elle ré- side, le soutient, le fait mouvoir, le gouverne et lui communique sa puis- sance ? Et sa blancheur et sa beauté, ne sont-ce pas les vertus dont elle est ornée ? Si elle est noire à l’extérieur, c’est, d’après la même raison, parce que, pendant la durée de son exil et de son pèlerinage sur cette terre, elle vit dans l’abjection et l’humilité, jusqu’au jour où, appelée à cette autre vie qui est cachée avec Jésus-Christ dans le sein de Dieu, elle entre en pos- session de sa patrie. Le soleil de la vérité change son teint, c’est-à-dire que l’amour du céleste époux l’humilie et l’accable de tribulations douloureuses, de peur que la’prospérité ne l’enorgueillisse. H change son teint, c’est-à-dire qu’il la rend différente des autres femmes qui aspirent aux biens de la terre et cherchent la gloire du monde, afin qu’elle devienne, par sou humilité, le véritable lis des vallées, non pas le lis des montagnes, comme ces vierges folles qui, toutes glorieuses de leur pureté chamelle et de leur continence extérieure, sont intérieurement brûlées par le feu des tentations. C’est à bon droit que s’adressant aux filles de Jérusalem, c’est-à-dire à ces fidèles imparfaits qui méritent plutôt le nom de filles.qiie celui de fils, elle leur dit : Ne considérez pas que je suis brune et que le soleil a changé mou teint. » C’est comme si clic eût dit clairement : si je m’humilie ainsi, si je supporte avec ce courage toutes les épreuves, ce n’est pas un effet de ma vertu, c’est par la grâce de celui que je sers. Tout autre est la conduite des hérétiques ou des hypocrites, qui, dans J’espérancc de jouir des gloires de ce monde, font montre, tant qu’ils sont sous les regards des hommes, de s’humilier profondément et de supporter de vaines épreuves. Humilité, épreuves qui ndus étonnent. Quelle vie, eu effet, plus misérable que celle de ces hommes qui n’ont part ni aux biens de la terre ni à ceux du ciel ! Aussi est-ce dans cette vue que l’épouse dit : • Ne vous étonnez pas que j’agisse ainsi. » Ce dont il faut s’étonner, c’est de 116 ABjELARDI ET HELOISS& EPISTOLG. de illis miranduni est, qui inutiliter terrenae laudis desiderio a>stuantes, terrenis se privant commodis, tam hic quam infuturo miseri.Qualisquidem fatuarnm virginum continentia est quae a janua sunt exclusa ?. ficne eliam, quia nigra est, ut diximus, ct formosa, dilectam et introduc- tam sedicit in cubiculum regis, id est iti secretum vel quietem contempla- tionis, et lectulum illum de quo eadem alibi dicit1 : « In lectulo meo per noctes quacsivi quem diligit anima mea. »Ipsa quippc nigredinis deformitas occultum potius quam manifestum, el secretum magis quam publicum amat. Etquse talis est uxor, secreta potius viri gaudia quam manifesta desiderat,et in lecto magis vult sentiri quam in mensa videri. £t frequenter accidit, ut nigrarumcaro fcminarum quanto est inaspectu deformior, tanlo sit in tactu suavior ; atque ideo earum voluptas secretis gaudiis quam publicis gratior sit et convenientior, et earum viri, ut illis oblectentur, magis eas in cubicu- lum inlroducunt, quam ad publicum educunt. Secundum quam quidem metapboram bene spiritualis sponsa quum pramisisset * :« Nigra sum, sed formosa, » statim adjunxit : « ldeo dilexit me rex, ct introduxit mc in cu- biculum suum, i singula videlicet singulis reddens. IIoc est, quia formosa, dilexit : quia nigra, introduxit ; formosa, ut dixi, intus virtuliuus, quas di- Hgit sponsus : nigra exlerius corporalium tribulationum advcrsitatibus. Quae quideni nigredo, corporalium scilicct tribulationcm, facilc fidelium mentesab amore terreuorum ayellit, ct ad aeternaovilae desideria suspeudit, et sjepe a tumultuosa seculi vita trahit ad secretum coutemplationis ; sicul in Paulo, illo videlicet nostrse, id est, monachalis vits, primordio actura cssc beatus scribit Iiiironymus. Haec quoque abjectio indumentorum vilium sccretum magis quam publi- cum appetit, et maxima vilitatis ac secretioris loci, qui nostras praecipue convenit professioni, custodienda est. Maxime namque ad publicum proce- dere pretiosus provocat cultus, quem a nullo appeti nisi ad inanem gloriam et seculi pompam beatus Gregorius inde convincil5 : t Quod nemo his in occulto se omat, sed ubi conspici queat. » Hoc autem predictum sponsa ; cubiculum illud est,ad quod ipse sponsus in Evangelio iuvitat orantem, dicens* :« Tu auleni, quum oraveris,intra in eu- biculum et, clauso ostio, ora Patrcm tuum ; » ac si diccret : « non in pla- teis vel publicis locis, sicut hypocritae. » Cubiculuni itaque dicit secretum a tumultibus et aspectu seculi locum, ubi quietius et purius orari possit : qualia sunt scilicet monasticharum soiitudinum secreta, ubi claudere os- Cantic, m, 4. — * Ctiitic, i, 4. — 3 Uomel., il. — * llattb., vi, G. LETTRES D’ABÉLARD ET D’IIÈLOISE. U7 la conduite de ceux qui» brûlant du vain désir des gloires de ce monde, se privent des biens de ce monde : malheureux ici-bas, comme dans l’éternité. Telle la continence des vierges folles qui sont repoussées du seuil de l’époux. C’est encore à bon droit qu’elle dit, qu’aimée parce qu’elle est noire et belle, comme il est écrit, le roi l’a introduite dans sa chambre, c’est-à-dire dans ce lieu de retraite et de contemplation, dans cette couche dont elle dit ail- leurs : « Durant les nuits, j’ai cherché dans ma couche celui que mon âme chérit. » Car la couleur noire de son teint se plaît dans l’ombre plutôt qu’à la lumière, et dans la solitude plutôt que dans la foule. Une telle épouse re- cherche les secrètes jouissances plutôt que les joies publiques du mariage ; elle aime mieux se faire sentir au lit que se faire voir à table. Souvent d’ail- leurs il arrive que la peau des femmes noires, moins agréable à la vue, est plus douce au toucher, et que les plaisirs cachés qu’on goûte dans leur amour sont plus délicieux et plus charmants que ceux que procure l’admi- ration de la foule ; aussi leurs maris, pour jouir de leurs attraits, aiment- ils mieux les introduire dans leur chambre que les produire dans le monde. C’est conformément à cette image, que l’épouse céleste, après avoir dit : « Je suis noire, mais belle, » ajoute aussitôt : « Voilà pourquoi le roi m’a aimée et m’a introduite dans sa chambre ; » rapprochant ainsi la cause de l’effet : « parce que je suis belle, il m’a aimée ; parce que je suis noire, il m’a introduite. » Belle au dedans, ainsi que je l’ai dit, par les vertus que chérit l’époux ; noire au dehors des traces de ses adversités et de ses tribu- lations corporelles. Cette noirceur même des tribulations corporelles arrache aisément le cœur des fidèles à l’amour des choses terrestres, pour les sus- pendre aux désirs de l’éternelle vie ; souvent elle les enlève à la tumul- tueuse agitation de la vie du siècle et les pousse vers les mystères de la vie contemplative. C’est ainsi que, selon saint Jérôme, saint Paul embrassa le premier notre genre de vie, je veux dire la vie monacale. Ces voiles grossiers aussi sont faits pour la retraite plutôt que pour le monde ; ils sont proprement en harmonie avec la pauvreté et la solitude qui conviennent au caractère de nos vœux. Car rien n’excite plus vivement à se produire en public que le luxe de la toilette, luxe qu’on ne recherche qu’en vue des pompes de ce monde et d’une vaine gloire, ainsi que le dé- montre saint Grégoire par ces paroles : « Ou ne se pare point dans la soli- tude ; on ne se pare que là où on peut être vu. » Quant à cette chambre dont parle l’épouse, c’est celle que l’époux désigne lui-même pour la prière, dans le passage où il dit : « Mais toi, quand tu voudras prier, entre dans ta chambre et ferme la porte pour prier ton Père ; » en d’autres termes : « tu ne prieras pas sur les places et dans les lieux publics, comme les hypocrites. » Il entend donc par cette chambre un endroit retiré, loin de l’agitation et de la présence du siècle, où il soit pos- sible de prier avec une effusion plus calme et plus pure. Telles les retraites des maisons monastiques, où la règle prescrit de clore sa porte, c’est-à-dire 118 AB£LARDI ET HELOlSSfl EPISTOL*. tiwn juberaur, id est aditus omnes obstruere, ne puritas orationis casu ali- quo praepediatur, et oculus nosten infelicem auimam depraedetur. Cujus quidem consilii, imo pracepti divini multos hujus habitus nostri conlemp- tores adhuc graviter sustinemus, qui quum divina celebrant officia, claustris vel choris eorum reseratis, publicis tam feminarum quam virorum aspecti- bus impudenter se ingerunt, et tunc praecipue, quum in solemnitatibus pretiosis polluerint ornamentis, sicut et ipsi quibus ostentant, seculares homines. Quorum quidem judicio tanto festivitas habetur celebrior, quanto in exteriori ornatu est ditior, et in epulis copiosior. De quorum quidem cae- citate miserrima, et pauperum Christi religioni penitus contraria, tanto est silere honestius quanto Ioqui turpius. Qui, penitus judaizantes, consuetu- dinem suam sequuntur pro regula, et irritum fecerunt mandatum Dei per traditiones suas ; non quod debeat, sed quod soleat atlendentes, quum, ut beatus etiam meminit Augustinus, Dominus dixerit1 : o Ego sum veritas,» non : Ego sum consuetudo. Horum orationibus, quse aperto scilicet fiunt ostio, qui voluerit se com- mendet. Vos autem quae in cubiculum ccelestis regis ab ipso introductae, atque in ejus amplexibus quiescentes, clauso semper oslio ei totae vacatis, quanto familiarisei adhaeretis, juxtax illud Apostoli * :« Qui adhaeret Domino unus spiritus est, » tanto puriorcm et efficaciorem habere confidimus ora- tionem, et ob hoc vehementius earum efflagitamus opem. Quas etiam tanto devotius pro me faciendas esse credimus, quanto majore nos invicem chari- tate colligati sumus. II. Quod vero mentione pericuti in quo Iabjfro, vel mortisquam timeo, vos commovi, juxta ipsam quoque tuam factum est exhortatiouem, imo etiam adjurationem. Sic enim prima, quam ad me direxisti, quodam loco conti- nct epistola : « Per ipsum itaque qui te sibi adhuc quoquo modo prolegit Christum obsecramus, quatenus ancillulas ipsius et tuas crebris litteris de his, in quibus adhuc fluctuas, naufragiis certificare digneris : ut nos saltem quae tibi solae remansimus, doloris vel gaudii participes habeas. Solent enim dolenti nonnullam afferre consolationem qui condolenl, ct quodlibet enus pluribus impositum levius sustinetur sive defertur. » Quid igitur ar- gu i*, quod vqs anxietatis raeae participes feci, ad quod me adjurando com- pulisti ? Numquid in tantavitae, qua crucior, desperatione gaudere vos convcnil ? Necdoloris socia ?, scd gaudii tantum vultis esse, necflere cum 1 Join, xnr, 16. — • Corinth., I, vi, 17. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOISE. 119 de fermer tous les accès, de peur que la pureté de la prière ne soit troublée et que notre œil ne cause la perte de notre malheureuse âme. Aussi gémis- sons-nous de voir encore, parmi ceux qui ont revêtu notre habit, tant de contempteurs de ce conseil ou plutôt de ce divin précepte. Lorsqu’ils célè- brent les saints offices, ils ouvrent chœur et sanctuaire ; ils affrontent im- pudemment, à la face du ciel, les regards des femmes et des hommes, —et cela surtout dans les solennités où ils resplendissent de l’éclat de leurs plus précieux ornements, — rivalisant de pompe profane avec les profanes aux- quels ils se donnent en spectacle. A leur avis, la fête est d’autant plus belle qu’on déploie plus de magnificence dans les ornements extérieurs, plus de somptuosité dans les offrandes. Déplorable aveuglement, profondément con- traire à la religion chrétienne, c’est-à-dire à la religion des pauvres, et dont il vaut mieux ne rien dire pour éviter le scandale d’en parler. Ce sont des gens qui, judaïsant de cœur, ne suivent d’autre règle que leur habitude. Avec leurs traditions au nom desquelles ils se conforment non au devoir, mais à la coutume, ils ont fait des commandements de Dieu une lettre morte. Cependant, ainsi que le rappelle saint Augustin, le Seigneur a dit : « Je suis la vérité, » et non pas : je suis la coutume. Se recommande qui voudra à ces prières faites à portes ouvertes. Mais vous, que le Roi du ciel a introduites lui-même dans sa chambre, vous qui reposez sur son sein et qui vous donnez à lui tout entières, la porte tou- jours close, plus vous vous unissez intimement à lui, —• selon le mot de l’Apôtre : « Celui qui s’unit au Seigneur ne fait plus avec lui qu’un es- prit, » — plus nous avons confiance dans la pureté et dans l’efficacité de vos prières. C’est pour cela que nous en sollicitons si vivement l’assistance. Car nous pensons que vous les adresserez avec d’autant plus de ferveur, que nous sommes plus étroitement unis ensemble par les liens d’une mu- tuelle affection. H. Que si, en parlant du péril que je cours et de la mort que je crains, je vous ai émues, en cela aussi, je n’ai fait que répondre à votre demande, que dis-je ? à votre sollicitation pressante. En effet, la première lettre que vous m’avez adressée contient un passage ainsi conçu : c Au nom de celui qui semble encore vous protéger pour son service, au nom du Christ dont nous sommes, ainsi que de vous-même, les humbles servantes, nous vous en conjurons, daignez nous dire, par des lettres fréquentes, au sein de quels orages vous êtes encore ballotté : nous sommes les seules qui vous restions au monde ; que nous puissions avoir part à vos peines comme à vos joies ! La sympathie est un allégement dans la douleur ; tout fardeau qui pèse sur plusieurs est plus léger à soutenir, plus facile à porter. » Pour- quoi donc me reprocher de vous avoir fait participer à mes angoisses, quand c’est vous qui, par vos sollicitations pressantes, m’y avez forcé ! Tandis que ma vie est en proie à toutes les tortures du désespoir, conviendrait-il que vous fussiez, vous, dans la joie ? Ou bien ne voudriez-vous avoir part qu’à 130 AB.-ELARDI ET HELOISS£ EPISTOLE. flentibus, sed gaudere cum gaudenlibus ? Nulla major verorum et falsorum differentia est amicorum, quam quod illi adversitati, isti prosperitati se sociant. Quiesce, obsecro, ab his dictis, et hujusmodi querimonias compesce, quae a visceribus charitatis absistunt longissime. Aut si adhuc in his oflen- deris, me tamen in tanto periculi posilum articulo, et quotidiana despcra- tione vitaB, de salute animae sollicitum esse convenit, et de ipsa, dum licet, providere. Nec tu, si me vere ditigis, hanc exosam providentiam habebis. Quiu etiam, si quam de divina erga me miscricordia spem haberes, tanto amplius ab hujus vita> a ?runmis liberari me cu{>eres, quanlo eas conspicis intolerabiliores. Certum quippe tibi esl, quod quisquis ab hac vita me liberct a maximis pcenis eruet. Quas postea incurram incertum est, sed a quantis absolvar dubium non est. Omnis vita misera jucundum exitum habet, el qui- cunquc aliorum anxietatibus vcre compatiuntur ct condolent eas finiri desiderant, et cum damnis etiam suis, si quos anxios vidcnt vcrc diligunt, nec tam commoda propria quam illorum in ipsis attcndunt. Sic diu lan- guenlem filium matcr etiam morte languorem finirc desiderat, qucm tole- rare ipsa non potest, et eo potius orbari sustinet quam in miseria consorlem liabere. Et quicunquc amici praesentia plurimum oblectatur, magis tamen bcatam esse vult ejus absentiam quam praescntiam miseram ; quia quibus subvenire non valet aerumnas tolerare non potest. Tibi vero nec nostra, vel etiam misera, concessum est frui praesentia. Ncc ubi tuis in me commodis aliquid provideas, cur mc miserrime vivcre malis quam felicius mori non video. Quod si nostras protendi miserias in commoda luadesideras, hostis potius quam amica convinceris. Quod si videri refugis, ab his, obsecro, sicut dixi, quiesce querimoniis. III. Approboautem, quod reprobas laudem ; quia in hocipso te laudabilio- rem ostendis. Scriptum est enim1 :« Justus in primordio accusator est sui, » et* :« Qui se linmilial se exaltat. » Atqne utinam slc sit in animotuo, sicut in scripto ! Quod si fuerit, vera est humilitas tua, ne pro nostris evanuerit ver- bis. Sed vide, obsecro, ne hoc ipso laudcm quseras, quo laudem fugere videris, et reprobes illud ore, quod appctas corde. De quo ad Euslochium virginem sic inter cactera bealus scribit Hieronymus s : « Naturali ducimur tnalo. Adulatoribus noslris libenter favemus, et quanquam nos respondea- ProT., xTin, 47. — * Luc, xvm, 44. — s Epist., 86. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOISE. 121 mes joies et non à mes peines, rire avec ceux qui rient, non pleurer avec ceux qui pleurent ? Entre les vrais et les faux amis, la différence, c’est que les uns s’associent au malheur, les autres à la prospérité. Trêve donc, de grâce, à ces reproches ; trêve à ces plaintes qui sont si loin de sortir des en- trailles de la charité. Ou s’il vous parait encore que je n’ai point assez mé- nagé votre cœur, songez que dans l’imminence du péril où je me trouve, dans le désespoir auquel toutes les heures de ma vie sont en proie, il con- vient que je m’inquiète du salut de mon âme, et que j’y pourvoie, tandis qu’il en est temps. Si vous m’aimez véritablement, vous ne trouverez point cette préoccupation mauvaise. Bien plus, si vous avez quelque espérance dans la miséricorde divine envers moi, vous souhaiterez de me voir affran- chi des épreuves de cette vie, avec d’autant plus d’ardeur que vous les voyez plus intolérables. Vous le sayez,en effet, mieux que qui que ce soit, quiconque me délivrera de cette vie m’arrachera aux plus affreux tourments. Quelles peines m’at- tendent hors de ce monde, je ne sais ; mais je sais bien celles dont je serai af- franchi. La fin d’une vie malheureuse ne peut être que douce. Tons ceux qui compatissent véritablement aux maux d’autrui doivent désirer que ces maux finissent, dussent-ils en souffrir eux-mêmes. S’ils aiment réellement ceux qu’ils voient tourmentés, ils considèrent moins leur propre bien que le bien de ceux qui leur sont chers. C’est ainsi qu’une ni ère, voyant languir son fils, souhaite que la mort vienne mettre un terme à ce long supplice qu’elle-même ne peut plus supporter : elle se résigne à le perdre plutôt que de le conserver pour le voir souffrir. Si douce que soit la présence d’un ami, il n’est personne qui n’aime mieux le savoir heureux loin de soi, que de le voir malheureux près de soi : ne pouvant soulager sa misère, on ne peut supporter d’en être le témoin. Il ne vous est pas donné de jouir de ma pré- sence, si misérable qu’elle soit. Dès le moment que vous ne sauriez plus trouver place pour moi dans votre bonheur, je ne vois pas pourquoi vous me souhaiteriez la prolongation d’une vie si misérable, plutôt que la mort, qui serait une félicité. Que si c’est pour vous que vous désirez voir prolonger mes misères, c’est qu’évidemment vous êtes mon ennemie, non mon amie. Si vous craignez de paraître telle, trêve, je vous eu conjure, trêve à ces plaintes. III. Quant au refus que vous opposez à la louange, je l’approuve ; vous montrez, par là, que vous en êtes d’autant plus digne. Car il est écrit : « le juste est le premier accusateur de lui-même, » et : « quiconque s’humilie s’élève. » Fasse le ciel que votre cœur soit d’accord avec votre plume ! Et s’il en est ainsi, votre modestie est trop sincère pour qu’elle ait pu s’éva- nouir au souffle de mes paroles. Mais prenez garde, je vous en conjure, de chercher la louange en paraissant la fuir, et de repousser du bout des lèvres ce que vous appelez du fond du cœur. A ce sujet, saint Jérôme écrivait, en- tre autres choses, à Eustochie : « nous suivons naturellement la pente du mal, nous tendons l’oreille à la flatterie, nous protestons que-nous ne mé- m ABjCLARDI ET HELOISSjE EPISTOLE. mus indignos, ei callidior rubor ora suffundat, attamen ad laudem suam inlrinsecus anima laetatur. » Talem ct lascivae calliditatem Galateac Yirgilius describit, quae quod volebat fugiendo appetebat, et simulatione repulsae am- plius iu se amantem incitabat’ : Et fugit ad saliccs (inquit), el sc cupit anle videri. Antequam lateat cupit se fugientem videri, ut ipsa fuga, qua reprobare consortium juvenis videtur, amplius acquirat. Sic el laudes hominum, dum fugere videmur, amplius erga nos cxcitamus, et quum latere nos velle si- mulamus, ne quis scilicet in nobis quid laudet agnoscat, amplius attendi- mus in laudem nostram imprudentcs, quia eo laudc videmur digniores. Et hcec quidem, quia saepe accidunt, dicimus, non quia de te talia suspicc- mur, qui de tua non hacsitamus humiiitate. Sed ab his etiam verbis te tempe- rare voIumus,ne his qui te minus novcrint videaris, ut ait Hieronymus, o fu- giendo gloriam quaerere. » Nunquam tc mea laus inflabit,- sed ad meliora provoeabit, et tanto studiosius quae taudavero amplecteris, quanto mihi amplius placere satagis. Non est laus nostra testimonium tibi religionis, ut hinc aliquid extollentiae sumas. Nec de commendatione cujusquam amicis credcndum est, sicut ncc inimicis de viluperatione. IV. Superest tandem ut ad antiquam illam, ui diximus, et assiduam queri- moniam tuam veniamus, quia videlicet de nostrae conversionis modo Deum potius accusare praesumis, quam glorificare, ut justum est, velis. Hancjam dudum amariludinem animi tui tnm manifesto divinae misericordiae consilio cvanuisse credideram ; quae quanto libi periculosior esl, corpus tuum pari- ter et animam conterens, tanto miserabilior est, ct mihi molestior. Quae quum mihi per omnia placere, sicut proGtcris, sludeas, hoc saltem uno ut me non crucies, imo ut mihi summopere placcas, hanc depone, cum qua mihi non poles placere, neque mecum ad beatitudinem pervenire. Sustinebis illuc me sine tc pergerc, quem etiam ad Vulcania profitcris le scqui velle ? Hoc sallem uno rcligioiiem appete, nc a me ad Deum, ut credis, properante dividaris ; et tanto libentius quauto quo veniendum nobis est beatius est ; i< I lanto scilicct societas nostra sit gratior, quanto fclicior. Memento quae dj.MTis, rccordare quae scripseris, inhocvidelicet nostrac conversionis modo, quo mihi Deus amplius adversari crcditur, propitiorcm mihi, sicut mani- Irstum est, extitisse. Hoc uno saltem haec ejus dispositio tibi placeat, quod tuihi sit salubcrrima, imo mihi paritcr et tibi, si rationem vis doloris admil- 1 Yirgil, Eglo ?., iii, 21.— » Epist., 86. LETTRES D’ABÉLARD ET d’Héloïse. 423 ritons pas de tels éloges, notre front bien appris se couvre de rougeur ; et cependant, au bruit de la louange, notre âme tressaille de joie. » Telle est l’habile coquetterie de l’aimable Galathée, dans la description de Virgile. Elle témoignait, en fuyant, son ardeur pour ce qu’elle désirait, et, par un refus simulé, excitait la passion de son amant : t elle fuit der- rière les saules, dit-il, et souhaite d’être vue auparavant. » Avant de se cacher, elle veut qu’on la voie tandis qu’elle fuit, et cette fuite, par laquelle elle parait se soustraire aux caresses, n’est qu’un moyen de se les assurer. C’est ainsi qu’en ayant l’air de fuir les louanges, nous en provoquons le redoublement. Nous feignons de vouloir nous cacher, pour dérober ce que nous avons de louable, et ce n’est qu’une manière d’exciter à la louange les dupes de ce manège, en doublant notre mérite à leurs yeux. Ce que nous disons, n’est que pour signaler ce qui a lieu d’ordinaire ; mais nous ne vous soupçonnons pas de tels artifices ; nous n’avons point de doute sur la sincérité de votre modestie. Nous désirons seulement que vous vous teniez en garde contre les formes de langage qui pourraient faire croire à ceux qui ne vous connaîtraient pas, que « vous cherchez la gloire, comme dit saint Jérôme, eu la fuyant. » Jamais un] éloge de ma part ne tendra à vous enfler le cœur. 11 n’aura d’autre but que de vous provoquer à vous rendre meilleure et à vous faire embrasser les vertus avec une ardeur égale à votre désir de me plaire. Mes éloges ne sont pas un certificat de piété qui puisse vous inspirer un sentiment d’orgueil. Il ne faut pas attacher plus de créance à la louange d’un ami qu’au blâme d’un ennemi. IV. Il me reste enfin à parler de celte ancienne et éternelle plainte au sujet des circonstances de notre conversion. Vous la reprochez à Dieu, quand vous devriez l’en remercier. J’avais pensé que la considération des desseins si manifestes de la miséricorde divine avait depuis longtemps effacé de votre âme ces sentiments d’amertume, sentiments dangereux pour vous, dont ils usent le corps et l’âme, et, par là même, d’autant plus pénibles et plus douloureux pour moi. Vous songez par-dessus tout à me plaire, dites-vous. Si vous voulez cesser de me mettre à la torture, je ne dis pas si vous vou- lez me plaire, rejetez ces sentiments de votre âme. En les entretenant, vous ne sauriez ni me plaire, ni parvenir avec moi à la béatitude étemelle. M’y laisserez-vous aller sans vous, vous qui vous déclarez prête à me suivre jus- que dans les gouffres brûlants des enfers ? Appelez de tous vos vœux la piété dans votre âme, ne fût-ce que pour n’être pas séparée de moi, tandis que, comme vous le dites, je vais à Dieu. Songez, en entrant dans cette voie, que la béatitude est le but du voyage, et que les fruits de ce bonheur seront d’au- tant plus doux que nous les goûterons ensemble. Souvenez-vous de ce que vous avez dit ; rappelez-vous ce que vous avez écrit, au sujet des circon- stances de notre conversion : que Dieu, bien loin de manifester des senti- ments ennemis, s’était bien plutôt manifestement montré miséricordieux envers moi. Sachez du moins vous soumettre à un arrêt si heureux pour 124 ABALARDI ET HELOISSjE EPISTOL*. tat. Nec te tanti boni causam esse doleas, ad quod te a Deo maxime creatam esse non dubites. Ncc quia id tulerim plangas, nisi quum martyrum passio- nura, ipiusque Dominica ? mortis commoda te contristabunt. Nunquid si id mibi juste accidissct, tolerabilius ferres, et minus te oflfenderet ? Profecto si sic fieret, eo modo contingcret quo mihi esset ignominiosius, et inimicis laudabilius, quum illis laudcm juslilia, et mihi contemptmn acqui reret culpa, npc jam quisquam quod actum est aocusaret, aul compassionc mei moveretur. Ut tamen ct hoc modo hujus amaritudincm doloris leniamus, tam justc quam utiliter id monstrabimus nobis accidisse, et rectius in conjugatos quam in fornicantes ultum Deum fuisse. Nosti post nostri confedcrationem conjugii, quum Argenteoli cum sanc- timonialibus in claustro convcrsabaris, mc dic quadam privatim ad te visitandam venisse, et quid ibi tecum meae libidinis egerit intemperantia in quadam etiam parte ipsius refectorii, quum quo alias diverteremus non haberemus. Nosti, inquani, id impudentissime lunc actum esse in tam reverendo loco et sumniae Yirgini consecrato. Quod, et si alia cessent fla- gitia, multo graviore dignum sit ultione. Quid pristinas fornicationem ct impudentissimas referam pollutiones, quae conjugium praccesserunt ? Quid summam denique proditioncm meam, qua de tc ipsa tuum, cum quo assidue in ejus domo convivebam, avunculum tam turpiter seduxi ? Quis me ab eo juste prodi non censeat, quem tam impudenter ante ipse prodideram ? Putas ad tantorum criminum ultionem momentaneum illius plags dolorem sufficere ? Imo tantis malis tantum debitum esse com- modum ? Quam plagam divinae sufficere justitiae credis ad tantam contami* nationem, ut diximus, sacerrimi loci suae Hatris ? Certe, nisi vehementer erro, non tam illa saluberrima plaga in ultionem horum conversa est, quam quae quotidie indesinenter sustinco. Nosti ctiam quando te gravidam in meam transmisi palriam, sacro habitu indutam monialem te finxisse, et tali simulalione tuae, quam nunc habes, religioni irreverenter illusisse. Unde ctiam pensa quam convenienter ad hanc te religionem divina justitia, imo gratia traxerit nolentem, cui verita non es illudcrc, volens ut in ipso luas habitu quod iu ipsum deliquisti, et simulatiouis mendacio ipsa lei vcritas remedium prastet et falsitatem emendet. LETTRES D’ABÉLABD ET D’IlÉLOlSE. 125 moi, et qui ne le sera pas moins pour vous que pour moi, du jour où votre douleur s’apaisant laissera un accès à la voix de la raison. Ne vous plaignez pas d’élre la cause d’un si grand bien, d’un bien en vue duquel il est évident que Dieu vous a particulièrement créée. Ne gémissez pas sur ce que j’ai pu supporter, ou bien pleurez alors, pleurez aussi sur les souffrances des mar- tyrs et sur la mort de Notre-Seigneur lui-même, salut du monde. Si j’avais mérité ce qui m’est arrivé, vous en auriez donc moins souffert, vous en se- riez donc moins affligée ? Ali ! certes, s’il en était ainsi, vous seriez d’autant plus touchée de ce malheur qu’il serait pour moi uue honte, pour mes en- nemis un honneur. Pour eux en effet, dès lors, la satisfaction de la justice et l’éloge ; pour moi, la faute et le mépris ; pour eux plus de reproches, pour moi plus de pitié. Cependant, pour adoucir l’amertume de votre douleur, je voudrais en- core démontrer que ce qui nous est arrivé est aussi juste qu’utile, et que Dieu a eu plus de raisons de nous punir après notre union, que pendant que nous vivions dans le désordre. Après notre mariage, vous le savez, et pendant votre retraite à Argen- teuil au couvent des religieuses, je vins secrètement vous rendre visite, et vous vous rappelez à quels excès la passion me porta sur vous dans un coin même du réfectoire, faute d’un autre endroit où nous pussions nous retirer. Vous savez, dis-je, que notre impudicité ne fut pas arrêtée par le respect d’un lieu consacré à la Vierge. Fussions-nous innocents de tout autre crime, celui-là ne méritait-il pas le plus terrible des châtiments ? Rappellerai-je maintenant nos anciennes souillures et les honteux dés- ordres qui ont précédé notre mariage, l’indigne trahison enfin dont je me suis rendu coupable envers votre oncle, moi son hôte et son com- mensal, en vous séduisant si impudemment ? La trahison n’était-clle pas juste ? Qui pourrait en juger autrement, de la part de celui que j’avais le premier si outrageusement trahi ? Pensez-vous qu’une blessure, une souf- france d’un moment ail suffi à la punition de si grands crimes ? Que dis-je ? de tels péchés méritaient-ils une telle grâce ? Quelle blessure pouvait expier aux yeux de la justice divine la profanation d’un lieu consacre à sa sainte Mère ? Certes, à moins que je me trompe bien, une blessure si salutaire compte moins pour l’expiation de ces fautes que les épreuves sans relâche auxquelles je suis soumis aujourd’hui. Vous savez aussi qu’au moment de votre grossesse, quand je vous ai fait passer dans mon pays, vous avez revêtu l’habit sacré, et que, par cet irré- vérencieux déguisement, vous avez outragé la profession à laquelle vous appartenez aujourd’hui ? Voyez, après cela, si la justice, que dis-je ? si la grâce divine a eu raison de vous pousser malgré vous dans l’état monas- tique dont vous n’avez pas craint de vous jouer. Elle a voulu que l’habit que vous avez profané servit à expier la profanation, que la vérité fût le remède du travestissement et en réparât la fraude sacrilège. 126 ABjELARDI ET HELOISS£ EPISTOLiE. Quod si divinac in nobis justitis nostram velis utilitatem adjungere, non tam justitiam quam gratiam Dei quod tunc egit in nobis poteris appellare, Attende ilaque, atteude, charissima, quibus misericordiae suse retibus a pro- fundo hujus tam periculosi maris nos Dominus piscaverit, ct a quantae Cha- ribdis voragine naufragos licet invitos extraxerit, ut merito uterque nostrum in illam perrumpere posse videatur vocem * : a Dominus sollicitus est mci. » Gogita et recogita, in quantis ipsi nos periculis constitueramus, et a quantis nos eruerit Dominus ; et narra semper cum summa gratiarum aclione, « quanta fecit Dominus animae nostrae, » et quoslibct iniquos de bonitatc Domini desperantes nostro consolare eiemplo, ut advertant omnes quid sup- plicantibus atque petcnlibus fiat, quum lam peccatoribus et invitis tanta praestentur beneficia. Perpende altissimum in nobis divinae consilium pieta- tis, ct quam misericorditer judicium suum Dominus in corrcptioncni verte- rit, ct quam prudenter malis quoque ipsis usus sit, ct impietatem pic dcpo- suerit, ut unius partis corporis mei justissima plaga duabus mederetur animabus. Confer periculum et liberationis modum. Gonfer languorem et medicinam. Meritorum causas inspice, et miserationis afiectus admirare. Nosti quantis turpitudinibus immoderata mea libido corpora nostra addi- xerat, ut nulla honcstatis vel Dei rcverentia in ipsis etiam diebus Dominicse passionis, vcl quantarumcunque solemnitatum ab hujus luti volutabro mc revocaret. Sed et tc nolcntem, et prout poteras reluctantem et dissuadentcm, quae natura infirmior eras, saepius minis ac flagellis ad cousensum trahebam. Tanto enim tibi concupiscentiae ardorc copulatus eram, ut miseras illas ct obscenissimas voluptates, quas etiam nominare confundimur, tam Deo quam mihi ipsi prseponerem ; nec jam aliter consulere posse divina videretur clc- mentia, nisi has mihi voluptates sine spe ulla omnino interdiceret. Unde justissime et clementissime, licet cum summa tui avunculi pro- ditione, ut in multis crescerem, parte illa corporis sum minutus, in qua libidinis regnum erat, et tota hujus concupiscentiae causa cousistebat : ut juste illud plecterctur membrura, quod in nobis cominiserat totum, ct cxpiaret patiendo quod deliqucrat oblectando ; et ab liis me spurci- tiis, quibus me totum quasi luto immerscram, tam nieute quani corporc circumcideret ; et tanto sacris etiam altaribus idouiorcm efficcret, quanto me nulla hinc amplius carnalium contagia pollutioiium revocareut. Quam clementer etiam in eo tantum me pati voluit membro, cujus privatio et animae saluti consuleret, et corpus non dcturparct, nec ullam offi- ciorum ministrationem praepediret, imo ad omnia, quac honestc geruntur, tanto me prompliorcm efliceret, quanto ab hoc hujus concupisceutiae jugo 1 Psalm., xxxix, 48. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÈLOlSE. 427 A la considération de la justice divine, ajoutez celle de notre intérêt, et vous verrez qu’à donner aux choses leur vrai nom, c’est moins la justice de Dieu que sa grâce qui s’est étendue sur nous. Remarquez donc, remarquez, ô ma chère sœur, de quels périlleux abîmes Dieu nous a tirés avec les filets de sa miséricorde, de quelle dévorante Charybde il nous a sauvés malgré nous ; en sorte que l’un et l’autre nous pouvons nous écrier : « Le Seigneur s’inquiète de moi. » Pensez et pensez encore dans quels périls nous nous trouvions, de quels périls le Seigneur nous a fait sortir, et racontez sans cesse, avec mille actions de grâce, tout ce qu’il a fait pour le salut de notre âme ; soutenez, par notre exemple, les pécheurs qui désespèrent de sa bonté, afin qu’ils sachent ce qui est réservé à ceux qui demandent et qui prient, eu voyant tant de grâces accordées à des pécheurs endurcis. Réfléchissez aux mystérieux desseins de la divine Providence : sa miséricorde a fait tourner en régénération les arrêts de sa justice ; sa sagesse s’est servie des méchants eux-mêmes pour changer l’impiété en piété ; la blessure si justement infli- gée à une seule partie de mon corps a guéri deux âmes a la fois. Comparez le danger et la délivrance. Comparez la maladie et le remède. Examinez ce que méritaient nos fautes et admirez les indulgents effets de la bonté di- vine. Yous savez à quelles turpitudes les emportements de ma passion avaient voué nos corps. Ni le respect de la décence, ni le respect de Dieu, même dans les jours de la Passion de Notre-Seigneuret des plus grandes solennités, ne pouvaient m’arracher du bourbier où je roulais. Yous ne vouliez pas, vous résistiez de toutes vos forces, vous me faisiez des remontrances ; et quand la faiblesse de votre sexe eut dû vous protéger, j’usais de menaces et de violences pour forcer votre consentement ! Je brûlais pour vous d’une telle ardeur, que, pour ces voluptés infâmes dont le nom seul me fait rou- gir, j’oubliais tout, Dieu, moi-même : la clémence divine pouvait-elle me sauver autrement qu’en m’interdisant à jamais ces voluptés ? Dieu s’est donc montré plein de justice et de clémence en permettant Tin- digne trahison de votre oncle. C’est afin que je pusse gagner en accroisse- ments de toute sorte que j’ai été diminué de cette partie de mon corps, siège du libertinage, cause première de ma concupiscence. Conformément à la justice, l’organe qui avait péché est celui qui a été frappé et qui a expié par la douleur le crime de ses plaisirs. Ainsi j’ai été tiré de ces ordures dans lesquelles j’étais plongé comme dans la fange ; ainsi Dieu a circoncis tout à la fois mon âme et mon corps ; ainsi il m’a rendu d’autant plus propre au service de ses saints autels, que les souillures des voluptés de lu chair ne sauraient plus réveiller en moi les passions. Quelle clémence en- core n’a-t-il pas montrée, en ne frappant en moi que l’organe dont la priva- tion ne pouvait que tourner au salut de mon âme, sans défigurer mon corps, ni l’empêcher de vaquer à aucun devoir. Que dis-jc ? cette privation no m’a- ttelle pas rendu d’autant plus dispos pour tous les actes honnêtes qu’elle 128 ABAXARDI ET HELOISSJE EPlSTOLiE. maxinio amplius liberaret. Quum itaquc membris his vilissimis, qurc pro summae turpitudinis e\ercitio pudenda vocantur, nec proprium sustineut nomen, me divina gratia mundavit potius quam privavit, quid aliud cgit quam ad puritatem muuditiae conservandam sordida removit et vitia ? J llauc quidcm munditiae puritatem nonnullos sapientium vehcmcntissimc appeteulcs iuferre etiam sibi manum audivimus, ut hoc a se penitus reniove- rentconcupiscentiaeflagitium. Pro quo etiam stimulo caruis aufereudo ct Apo~ stolus perhifcetur Dominum rogasse, nec exauditum essc. In exemplo est ille magnus christianorum pliilosophus Origenes, qui, ut hoc in se penitus in- ccndium extingueret, manus sibi inferre verilus non est ; ac si illos ad litte- ram vere bealos intelligcret, qui seipsos propter rcguum coeloruni castrave- runt, et tales illud veraciler implere crederet, quod de membris scandali- zantibus nobis pnccipit Domiuus, ut ca scilicet a nobis abscindamus et projiciamus, et quasi illam Isaise prophetiam ad historiam magis quam ad mysterium duceret, per quam cseteris iidelibus cunuchos Dominus praefert, dicens1 : « Eunuchi si custodicrint sabbata mea, et elcgerint quse volui, dabo eis in domo mea et in niuris mcis locum, ct nomen melius afiliis ct filiabus. Nomen scmpertinum dabo cis, quod non peribit. » Culpam tamen non mo- dicam Origencs incurrit, dum per pcenatn corporis remedium culpae qurcril. Zelum quippe Dei habens, sed non secundum scientiam, homicidii incurrit reatum, itifercudo sibi mauum. Suggestione diabolica vel errore maximo, id ab ipso conslal essc factum, quod miseratione Dei in mc est ab alio per- petralum. Culpam evito, non incurro. Mortem mereor, ct vitam assequor. Vocor, et rcluctor. Insto eriniiuibus, et ad veniam trahor invitus. Orat Apo- stolus, nec exauditur ; precibus instat, nec impetrat. Vere « Dominus solli- citus cst mei*. » Vadam igitur et narrabo erditiou. Quelle déplorable perte, quel lamentable malheur, si, livrée aux impuretés des plaisirs charnels, vous enfantiez dans la douleur un petit nombre d’eu- fants pour le monde, au lieu de cette innombrable famille que vous enfantez dans la joie pour le ciel ; si vous n’étiez qu’une femme, vous qui aujourd’hui surpassez les hommes, vous qui avez transformé la malédiction d’Eve en bénédiction de Marie. Quelle profanation, si ces mains sacrées, habituées aujourd’hui à feuilleter les livres sacrés, étaient vouées aux soins vulgaires du commun des femmes ! Dieu a daigné nous arracher lui-même a« contact de ce cloaque, aux voluptés de cette fange, et nous attirer à lui par un coup de cette puissance dout il frappa saint Paul pour le convertir. Peut- être aussi, par notre exemple, a-t-il voulu intimider l’orgueil des savants. Que ce coup ne vous afflige donc pas, ma sœur, je vous en supplie ; cessez d’accuser un père qui nous corrige si paternellement, et songez à ce qui est écrit : « Le Seigneur châtie ceux qu’il aime ; il corrige Jous ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants, d Et ailleurs : « Celui qui épargne la verge, hait sou fils. » Cette peine est passagère, non éternelle ; c’est une peine de purification, non de damnation. Écoutez le Prophète et prenez courage : « Le Seigneur ne jugera pas deux fois pour uue môme faute ; le châtiment ne se lèvera pas deux fois sur la tète du même coupable. » Com- prenez cette parole souveraine et si grave de la vérité : « Par la patience, vous posséderez vos âmes. » D’où cette maxime de Saloraoïi : « L’homme patient est supérieur à l’homme fort ; celui qui maîtrise son cœur à celui qui force les villes. » Ne vous sentez-vous pas émne jusqu’aux larmes cl pénétrée de douleur en pensant que pour vous sauver, vous et le monde, le Fils unique de Dieu, agneau sans tache, a été saisi par des impies, traîné, flagellé, insulté, la lace voilée, souffleté, conspué, couronné d’épines, enfin, supplice des al- lâmes, suspendu à une croix entre des voleurs, et soumis» au genre de mort le plus affreux, le plus exécrable que l’on connût aloi* ? C’est lui, o ma 132 MIJSLARDI ET HELOISSiE EMSTOLA. utque illo tunc horrendo et execrabili genere mortis interfectus ? Hunc semper, soror, Tcrum tuum et totius Ecclesia ? sponsum prae oculis habe, mente gere. Intuere hunc exeuntem ad crttcifigendum pro te et bajulatitem sihi cruccm. Esto de populo et mulieribus quse plangebant ct lamentabantur eum, sicut Lucas his verbis narrat1 : « Sequebatur autem multa turba populi et niulie- rum, quse plangebant et lamentabaulur eum. » Adquas quidem benigne cou- veisus, clementer eis predixit futurum in ultionem suae morlis exitium, a quo quidem,si saperent, cavere sibi per hoc possent. « Filiec, » inquit’,« Hicru- salem, nolite flere super me, sed supcr vos ipsas flete, et super filios vestros. Quoniam ecce venient dies, iu quibus diccnt : Bcatac steriles, et veutres qui non genuerunt, et ubera quae non lactaverunt. Tunc incipient diccre mon- tibus : Cadite super nos, et collibus : Operite nos. Quia si in viridi liguo haec faciunt, in arido quid fict ? » Patienti sponte pro redemptione tua compatcre, et super crucifixo pro te compungerc. Sepulcro ejus mente semper assiste, et cum fidelibtis femiuis lamentare et luge. De quibus eliam, ut jam supra mcmini, scri- ptum est3 : « Mulieres sedcntes ad monumentum lamentabantur fleutcs Dominum. » Para cum illis sepulturae ejus unguenta, sed meliora spiri- tualia quidem, non corporalia : haec enim requirit aromata qui non susce- pit illa. Super his tolo devotionis affectu compungere. Ad quam quideni compassiouis compunctionem ipse etiam per Jercmiam fideles adliortatur dicens : « 0 vos omues qui transitis per viam, attenditc et videte si est dolor sicut dolor meus ! »Id est si super aliquo patiente ita est per compas- sionem dolendum, quum ego scilicet solus sine culpa quod alii deliquerint luam. Ipse autem est via per quam fideles de exilio transeunt ad patriam. Qui etiam crucem, de qua sic clamat, ad hoc nobis erexit scalam. Hic pro te occisus est Unigenitus Dei, oblatus est, quia voluit. Super hoc uno cont- patiendo dolc, dolendo compatere. Et quod per Zacliariam prophetam de auimabus devotis pnedictum est comple : « Plangent, » inquit *, « planctum quasi super unigenitum, el dolebunt super cum ut doleri solet in morte primogeniti. >» [ Vide, soror, quantus sit planclus his qui regem diligunt super mortc primogeniti ejus et unigeniti. Intuere quo planctu familia, quo mcerore tola consummatur curia ; et, quuni ad sponsam unigeniti mortui per- veneris, intolerabilcs ululalus ejus non sustincbis. Hic tuus, soror, planctus, Luc, «m, 27. — * luc, xxii :, 28. — * Lamcnt., i, 12. — * Zaclnr , xji, 10. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 133 sœur, qui est votre véritable époux et l’époux de toute l’Église ; .nyez-le tou- jours devant les yeux, portez-le dans votre cœur. Voyez-le marchant au sup- plice pour vous et portant lui-même sa croix. Mêlez-vous à la foule, à ces femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur son sort, comme le raconte saint Luc : « 11 était suivi par une grande foule de peuple et de femmes qui se frappaient la poitrine et qui se lamentaient sur son sort. » Et lui, se retournant vers elles avec bonté, il leur prédit le châtiment qui suivrait de près sa mort, et leur enseigna comment elles pourraient s’en garantir : « Filles de Jérusalem, disait-il, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants ; car voici que le jour approche où l’on dira : heureuses les femmes stériles et les entrailles qui n’ont pas conçu et les mamelles qui n’ont pas allaité. Alors on dira aux montagnes : tombez sur nous, et aux collines : couvrez-nous ; car si le bois vert est traité de la sorte, que fera-t-on du bois sec ? » Compatissez à Celui qui a souffert volontairement pour vous racheter, et, en songeant qu’il a été crucifié pour vous, que votre cœur se pénètre de douleur. Soyez toujours en fsprit au pied de son tombeau ; pleurez et la- mentez-vous a\ec les saintes femmes, dont il est écrit, comme je l’ai dit plus haut : « Les femmes assises au pied du tombeau se lamentaient, pleu- rant le Seigneur. » Préparez aveaelles des parfums pour sa sépulture, mais des parfums plus exquis, des parfums spirituels et non matériels. Ce sont ceux-là qu’il réclame ; les autres lui sont inutiles. Pénétrez-vous de ces de- voirs de toute la force de votre dévotion. C’est à ces sentiments de compas- sion profonde pour ses souffrances que le Seigneur lui-même exhorte les fidèles par la bouche de Jérémie. a 0 vous tous qui passez par ce chemin, dit il, coiu-idérez et voyez s’il est une douleur semblable à ma douleur ! » c’est-à-dire s’il est des souffrances dignes qu’on y compatisse et qu’on les pleure, quand moi j’expie, seul innocent des péchés du monde, les péchés que le monde a commis ? Or le Seigneur est le chemin par lequel les fidèles rentrent de l’exil dans la patrie. Cette croix même, du haut de laquelle il s’écrie, c’est lui qui l’a élevée pour nous comme une échelle de salut. Sur ce bois, le Fils unique de Dieu est mort pour nous, holocauste volontaire. C’est sur lui seul qu’il faut gémir et compatir, compatir et gémir. Accom- plisses ce que le prophète Zacharie a prédit des âmes dévotes : « Elles se frapperont la poitrine en poussant des gémissements comme à la mort d’un fils unique, elles pleureront sur lui comme on pleure la mort d’un pre- mier né. » Voyez, ô ma sœur, quels gémissements éclatent parmi ceux qui aiment un roi à la mort de son fils unique, de son premier né. Considérez le déses- poir de sa famille, l’affliction dans laquelle est abîmée la cour entière. Qu’est-ce donc, lorsqu’on arrive à l’épouse de ce fils unique ? Ses sanglots fendent le cœur, et l’on ne saurait les supporter. Tels doivent être vos gé- missements, tels vos sanglots, ô ma sœur, vous qu’un- bienheureux hymen 154 ABjELARDI ET HELOISSAS EPISTOLjE. hic tuus sit ululatus, que te huic sponso felici copulasti matrimonio. Emit tc iste non suis, sed scipso. Proprio sanguine emit te, et redemit. Quantum Jus in te habeat vide, et quam pretiosa sis intuere. Hoc quidem pretium suum Apostolus atteudens, ct in hoc prclio quanti sit ipse, pro quo ipsum datur, perpendcns, etquam tantae gratise viccm refcrat adnectens’ : « Absit mihi, »inquit,« gloriari, nisi iu cmce Domini nostri Jesu Ghristi, per quem mihi mundus crucifixus est, et ego mundo. » Major es ccelo, major es mundo ; cujus pretium ipse Gonditor mundi factus cst. Quid in te, rogo, viderit, qui nullius eget, ut pro te acquircnda usque ad agonias tam horrendae atque ignominiosse mortis certaverit ? Quid in te, inquam, quaerit nisi teipsam ? Verus est amicus, qui te ipsam, non tua, desiderat. Veras est amicus, qui pro te moriturus dicebat* : a Majorem hac dilectionem nemo habet, ut ani- mam suam ponat quis pro amicis suis. v> Amabat te ille veraciler, non ego. Amor meus, qui utrumque nostrum peccatis involvebat, concupiscenlia, non amor dicendus est. Miseras in tc meas voluptates implcbam, ct hoc erat tolum quod amabam. Pro te, inquis, passus sum, et forlassis verum est : sed magis per te, et hoc ipsum invitus ; non amore tui, sed coactione mei ; nec ad tuam salutem, sed ad dolorem. Ule#vero salubriter, ille pro te sponte passus est, qui passione sua omnem curat languorem, omnem removet pas- sionem. In hoc, obsecro, non in me^tua tota sit devotio, tota compassio, tota compunctio. Dole in tam innocentem tantae crudelitatis perpetratam iniquitatem : non justam in me sequitatis vindictam, imo gratiam, ut dio- tum esl, in utrosque summam. fniqua enim es, si sequilatem non amas, et iniquissima, si voluntati, imo tantas gratiae Dei scienter es adversa. Plange tuum reparatorem, non cor- ruptorem ; redemptorem, non scortatorem ; pro te mortuum Dominum, non viventem servum, imo nunc primum de morte vere Hberatum. Cave, obsecro, ne, quod dixit Pompeius moerenti Corncliae, tibi improperetur turpissime5 : Yirit post prelia Magnus, Sed fortuna perit : quod defles, iliud amasti. Attende, precor, id, et erubcsce, nisi admissas tnrpitudines impudentis- simas commendes. Accipc itaque, soror, accipe, queeso, patienter qu» nobis acciderunt misericorditer. Yirga hsec est patris, non gladius persecutoris. « Galat., ti, 44. — » Joan, xv, 13. — » Luean., PkanaL, vni, 84-85. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOISE. 135 a unie à ce divin époux. Il vous a payée, achetée, non au prix de ses biens, mais au prix de lui-même ; c’est de son propre sang qu’il vous a achetée el rachetée. Voyez quel droit il a sur vous, et combien vous lui êtes précieuse. Aussi l’Apôtre, considérant la grandeur de ce prix et comparant à ce prix la valeur de celui pour lequel il est offert, s’écrie-t-il, mesurant la recon- naissance au bienfait : « Loin de moi l’idée de me gloriûer, si ce n’est en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ par lequel le monde a été crucifié pour nous et moi pour le monde. » Vous êtes plus que le ciel, plus que la terre, vous dont le Créateur du ciel s’est fait lui-même la rançon. Qu’a-t-il trouvé en vous, je vous le demande, lui à qui rien ne manque, pour n’avoir pas, afin de vous posséder, reculé devant les angoisses de la plus horrible, de la plus ignominieuse des mort ?. Qu’a-t-il, je le répète, cherché en vous, si ce n’est vous-même ? Celui-là est l’amant véritable qui ne désire que vous et non ce qui est à vous ; celui-là est l’amant véritable qui disait en mourant pour vous : « Il n’est point de plus grand témoignage d’amour que de mourir pour ceux qu’on aime. » C’est lui qui vous aimait véritablement et non pas moi. Mon amour à moi, qui nous enveloppait tous deux dans les liens du péché, n’était que concupiscence : il ne mérite pas ce nom d’amour. J’assouvissais sur vous ma misérable passion ; voilà tout ce que j’aimais ! J’ai, dites-vous, souffert pour vous ; cela peut être vrai, mais il serait plus juste de dire que j’ai souffert par vous ; encore était-ce malgré moi ; j’ai souffert, non pour l’amour de vous, mais par la violence exercée contre moi ; non pour votre salut, mais pour votre désespoir. C’est pour votre salut au contraire, c’est de son plein consentement que Jésus-Christ a souffert pour vous, Jésus dont les souffrances guérissent toute maladie, écartent toute souffrance. Portez donc vers lui, je vous en conjure, et non vers moi toute votre dévotion, toute votre compassion, toute votre componction. L’iniquité de la cruauté abominable consommée sur un innocent, voilà ce qu’il faut déplorer, et non le châtiment qui m’a été charitablement infligé par la jus- tice divine, ou plutôt, je l’ai déjà dit, par la grâce infinie dont nous avons été l’un et l’autre l’objet. C’est être injuste que de n’aimer pas la justice, el très-injuste que de se montrer contraire à la volonté de Dieu, que dis-je ? aux bienfaits d’une telle grâce. Pleurez votre Sauveur et non votre corrupteur,-celui qui vous a ra- chetée, non celui qui vous a perdue, le Seigneur qui est mort pour vous et non l’esclave .qui vit encore, ou qui vient seulement d’être délivré véritable- ment de la mort éternelle. Prenez garde, je vous en supplie, qu’on ne puisse pas. à votre honte, vous appliquer ce que Pompée dit à Cornélie abîmée dans la douleur : « Pom- pée vit encore après la bataille, mais sa fortune est morte : ce que vous pleurez, c’est ce que vous aimiez. » Songez-y, je vous en prie : quelle igno- minie ne serait-ce pas d’exalter nos anciens et déplorables égarements ! Ac- 136 ABiELARDI ET HELOISS^ EPISTOL£. Percutit pater ut corrigat, nc feriat hostis ut occidat. Vulnere mortem pra> venit, non ingcrit : immittit ferrum, utamputet morbum. Corpus vulnerat, |et animam snnat. Occidere debuerat, et vivificat. Immunditiam resecat, ut mundum relinquat. Punit semel ne puniat seraper. Patilur unus ex vulnere ut duobus parcatur a mortc. Duo in culpa, unus in pama. Id quoque tuas infinnitati natune divina indulgetur miseratione, et quodam modo juste. Quo enim naturalitcr sexu infirmior cras, ct fortior continentia, pnenac mi- nus eras obnoxia. Refero Domino et in hoc grates, qui tc lunc et a poena liberavit, et ad coronam reservavit ; et quum me una corporis mei passione semel ab omni aestu hujus concupiscentitc, in qua una totus per iramodera- lam incontinentiam occupatus eram, refrigeravit ne corruam ; multas ado- lescentiac tua» majores animi passiones ex assidua carnis suggestione reser- vavit nd martyrii coronam. Quod licet te audirc taedeat, et dici prohibeas, vcritas tamen id loquitur manifesta. Cui enim semper est pugna superest et cnrona ; quia non coronabitur « nisi qui legitime ccrtaverit1. » Mihi vero nulla supercst corona, quia iiulla subest certaminis causa. Deest materia pugna ?, cui ablatus cst stimulus concupiscentise. Aliquid ta- men esse aestimo si quum hinc nullam percipiam coronam, nonnullam tamen evitem poenam, ct dolorc unius momciitaneac poen» multis fortassis indul- geatur aeternis. Scriptum cst quippe de hujus miserrima ? vitae hominibus, imojumentis : « Compulruerunt jumenta in stcrcoribus suis". » Minus quoque mcritum meum minui conqueror, dum tuum crescere non diffido. Unum quippc sumus in Christo, una pcr legem matrimonii caro. Quic- quid est tuura, mihi non arbitror alienum. Tuus autem est Christus, quia facta essponsa ejus. Et nunc, ut supra memini, me habes servum, quem olim agnoscebas dominum : magis tibi tamen amore nunc spirituali conjunctum, quam timoresubjectum. Unde et dc tuo nobis apud ipsum patrocinio amplius confidimus, ut id obtineam ex tua quod non possum ex oratione propria, et nuncmaxime quum quotidiana periculorum aut perturbationum instantia hec vivere me, necorationi sinat vacare. Nec illum bcatissimum imitari eunuchum potentem in domo Candacis regina ; jEthioptim, qui erat snper omnes gazas ejus, et de tam longinquo venerat adorare in Hienrsalcm. Ad quem rcvertentem • Timoth., ii, 11, 5. — * Jo6, i, 47. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÊLOISE. 137 ceptez donc, ma sœur, acceptez, je vous en conjure, avec patience, ce coup de la miséricorde divine. C’est la verge d’un père qui nous a touchés, non le glaive d’un juge. Le père fustige pour corriger, de peur que l’ennemi ne frappe pour tuer. Il blesse pour prévenir la mort, non pour la donner ; il emploie le fer pour trancher le mal ; il blesse le corps et guérit l’âme. Il aurait dû donner la mort, il donne la vie. Il retranche les membres atteints par la gangrène, afin de ne rien laisser que de sain. 11 punit une fois, pour ne pas punir éternellement. Un seul a souffert de la blessure, et deux ont été sauvés de la mort ; il y avait deux coupables, un seul a été puni. Cela encore est un effet de la miséricorde divine pour la faiblesse de votre sexe, mais jusqu’à un certain point, cette miséricorde n’est que justice. La plus faible, et la moins coupable, vous vous êtes montrée la plus forte. Je rends grâces au Seigneur qui vous a alors affranchie de la peine et ré- servée pour la couronne. Oui, par le seul effet du châtiment infligé à mon corps, il a d’un seul coup refroidi en moi toutes les ardeurs de la concu- piscence qui me dévorait ; il m’a à jamais préservé de la chute. Pour vous,’ en abandonnant à elle-même votre jeunesse, en laissant votre âme en proie aux tentations des perpétuelles passions de la chair, il vous a réservée pour la couronne du martyr. Quoique vous vous refusiez à l’entendre, et que vous me défendiez de le dire, c’est cependant une vérité manifeste : à celui qui combat sans relâche appartient la couronne, et il n’y aura de couronné que « celui qui aura combattu jusqu’au bout. • Pour moi, je n’ai pas de couronne à attendre, puisque je n’ai plus de combat â soutenir. L’élément du combat manque à qui n’a plus l’aiguillon de la concupiscence. Cependant, si je n’ai pas de couronne à prétendre, c’est quelque chose de n’avoir pas de châtiment à craindre, et d’avoir été préservé peut-être par une peine d’un moment des peines éternelles ; car il en est des hommes qui se livrent à cette vie misérable comme de vils animaux, et il est écrit des animaux : « Us ont pourri sur leur fu- mier. » Je ne me plains pas de voir diminuer mes mérites, tandis que je m’as- sure que les vôtres augmentent ; car nous ne faisons qu’un en Jésus-Christ ; par la loi du mariage, nous ne sommes qu’un corps. Tout ce qui est â vous ne saurait donc m’étre étranger. Or Jésus-Christ est h vous, puisque vous êtes devenue son épouse. Et moi, je l’ai dit, moi que vous saluiez jadis comme votre maître, je suis aujourd’hui votre serviteur, serviteur attaché par amour spirituel plutôt que soumis par crainte. C’est votre patronage au- près de Jésus-Christ qui me donne la confiance d’obtenir par vos prières ce que je ne pourrais gagner par les miennes à cette heure surtout que l’im- minence des dangers qui m’assiègent et me jettent dans un trouble de tous les jours ne me laisse ni vivre, ni prier, ni suivre l’exemple de ce bienheu- reux intendant des trésors de la reine Candace, de ce vertueux Éthiopien qui vint de si loin adorer Dieu à Jérusalem. Un ange envoya, à son retour, l’apô- 138 AB£LARDI ET HELOISSJE EPISTOL*. missus est ab angelo Philippus apostolus, ut eum converteret ad fidem : quod jam ille mcruerat per orationem vel sacrse lectionis assiduilatem *. A qua quidem ut nec in via tunc vacaret licet ditissimus et gentilis, magno divinae dispensationis actum est beneficio, ut locus ei Scripturse occurreret, qui op- portunissimam conversionis ejus occasioncm apostolo praberet. Ne quid vero hanc petitionem nostram impedht, vel impleri differat, ora- tionem quoque ipsara, quam pro nobis domino supplicos dicatis, componere et mittere tibi maturavi : c Deus, qui ab ipso humanoe creationis exordio, femina de costa viri for- mata, nuptialis copulae sacramentum maximum sanxisti, quique immensis honoribus vel de desponsata nascendo, vel miracula inchoando nuptias subli- masli, meaeque etiam fragilitatis incontinentiae utcunque tibi placuit olim hoc remedium indulsisti, ne despicias ancillulre tuae preces, quas pro meis ipsis chariquc mei excessibus in conspectu majestatis tuae $upplex effundo. Ignosce, o benignissime, imo benignitas ipsa ; ignoscc tot ct tantis crimini- bus nostris, et ineflabilis misericordise tuae multitudinem, culparum nostra- rum immensitas experiatur. Puni, obsecro, in prasenti reos, ut parcns in I futuro. Puni ad horam, ne puniasin asternum. Accipe in servos virgam cor- rectionis, non gladium furoris. AfQige carnem ut conserves animas. Adsis Ipurgator, non ultor ; benignus magis quam justus ; pater misericors, ndn austerus Dominus. Proba nos, Domine, ct tenta, sicut de semetipso rogat prophcta, ac si aperte diceret : prius vires in pice, ac secundum eas tentationum onera moderare. Quod et beatus Paulus fidelibus tuis promittens aita : « Potens est enim Deus, qui non patietur vos tentari supra id quod po- testis, sed faciet cum tentatione etiam proventum ut possitis sustincre. » Gonjunxisti nos, Domine, el divisisli, quando placuit tibi, et quo modo pla- cuit. Nunc quod, Domine, misericorditer coepisti, misericordissime comple ; et quos a se semel divisisti in mundo, perenniter (ibi conjungas iu coclo, spes nostra, pars nostra, expectatio nostra, consolatio nostra, Domine, qui esbenedictus in secula. Amen. » Vale in Christo, sponsa Christi, in Christo valc, et Christo vive. Amen. • Act. Apost, viii, 49. — » Corinth., I, x, 15. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOISE. 130 tre Philippe pour le convertir à la foi dont il s’était rendu digne par ses prières et par la lecture assidue des livres saints. Bien plus, comme, pendant son voyage, il était toujours occupé de cet objet, la grâce divine, malgré l’ana- thème porté contre les riches et les gentils, permit qu’il tombât sur un pas- sage qui fournit à l’Apôtre le moyen le plus favorable d’opérer sa conversion. Afin donc que rien ne vous empêche d’accueillir ma demande et n’en re- larde l’exécution, je m’empresse de formuler et de vous envoyer le texte même de la prière que jo vous conjure d’adresser humblement au Seigneur pour nous. c Dieu, qui, dès le commencement de la création, avez, en tirant la femme d’une côte de l’homme, établi le grand sacrement du mariage, vous qui l’avez honoré et élevé si haut, soit en vous incarnant dans le sein d’une femme, soit en commençant vos miracles par celui des noces de Cana, vous qui avez jadis accordé ce remède, suivant vos vues, à mon incontinente fai- blesse, ne repoussez point les prières de votre servante ; je les verse humble- ment aux pieds de votre divine majesté pour mes péchés et pour ceux de mon bien-aimé. Pardonnez, ô Dieu de bonté, que dis-je ? ô Dieu qui êtes la bonté même, pardonnez à nos crimes si grands, et que l’immensité de votre ineffable miséricorde se mesure à la multitude de nos fautes. Je vous en conjure, punissez les coupables en ce monde, épargnez-les dans l’autre. Pu- nissez-les dans cette vie d’un jour, afin de ne les pas punir dans l’éternité. Armez-vous contre vos serviteurs de la verge de la correction, non du glaivo de la colère. Frappez la chair pour conserver les âmes. Venez en pacificateur, non en vengeur, avec bonté plutôt qu’avec justice, en père miséricordieux, non en maître sévère. * « Éprouvez-nous, Seigneur, et tentez-nous, ainsi que le Prophète le de- mande pour lui-même, comme s’il disait en termes ouverts : Examinez d’a- boi d mes forces, et mesurez à ce qu’elles peuvent supporter le fardeau d(v tentations. C’est ce que saint Paul promet à vos fidèles, lorsqu’il dit : « Dieu, « qui est la puissance même, ne souffrira pas que vous soyez éprouvé au delà « de ce que vous pouvez ; mais il accroîtra vos forces avec la tentation, afin « que vous puissiez la soutenir. m Vous nous avez unis, Seigneur, et vous nous avez séparés quand et comme il vous a plu. Achevez aujourd’hui miséricordicusement ce que vous avez miséricordieusement commencé. Ceux que vous avez séparés l’un de l’autre, pour un jour, dans ce monde, unissez-les à vous pour l’éternité dans le ciel, ô notre espérance, notre partage, notre attente, notre consolation, Seigneur, qui êtes béni dans tous les siècles ! Ainsi soit-il. » Salut en Jésus-Christ, épouse de Jésus-Christ ; en Jésus-Christ salut, et vie en Jésus-Christ. Ainsi soit-il. EPISTOLA SEXTA QUjE EST RURSDH IIELOISS/E AD PETRUM ARGUMENTUM Duo potissimum, in Iiae cpistola, sibi et suis monachabus Hcloissa rcscribi ab Abrclardo exorat : quorum alterum. est, ut eas doceat undc monacharum orit donc l’objet de votre glorification ? 11 est exclu. Par quelle loi ? Est-ce par la loi des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi. Nous concluons donc que l’homme est justifié par la foi dans les œuvres de la loi. » Et ail- leurs : « Si Abraham a été justifié par ses œuvres, il a sujet de se glorifier, mais non pas devant Dieu. Car, que dit l’Écriture ? Abraham a cru en Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice. » Et ailleurs : i A celui, dit-il, qui ne fait pas les œuvres, mais qui croit en Dieu qui justifie l’impie, sa foi lui est imputée à justice, selon le décret de la grâce de Dieu. » 11 dit encore, permettant aux chrétiens l’usage de toute espèce d’aliments, et distinguant de ces pratiques celles qui nous justifient devant Dieu ; « Le royaume de Dieu n’est point viande ni breuvage, mais justice et paix et joie dans le Saint-Esprit. Toutes choses sont pures en soi ; le mal est le fait de l’homme qui mange en scandalisant autrui. Il est bon de ne point manger de viande, de ne pas boire de vin, de rien faire qui puisse blesser son frère, le scandaliser ou affaiblir sa foi. » Ce qui est interdit dans ce passage, ce n’est point l’usage d’aucun aliment, mais le scandale qui peut en résulter et qui en résultait, par le fait, pour les juifs convertis, alors qu’ils voyaient manger des aliments interdits par la loi. C’est pour avoir voulu éviter ce scandale que l’apôtre Pierre fut sévèrement réprimandé et salutaircment averti, comme saint Paul le rapporte lui-même dans son épître aux Galates. Et il y revient eu écrivant aux Corinthiens : « Ce n’est pas notre nourriture qui nous recommande à Dieu, h dit-il. Et ailleurs : c Mangez de tout ce qui se vend au marché… La terre est au Seigneur, ainsi que tout ce qui est dans son sein, t Et aux Colossieus : « Que personne ne vous condamne pour le manger ou pour le boire. » Et plus bas : t Si vous êtes mort avec le Christ aux éléments de ce monde, pourquoi ces mesures, comme si vous 100 AB£LARDI ET HEL0ISS£ EPISTOL.C. mortui estis cuiu Ghristo ab elementis hujus mundi, quid adhuc tanquam vivenles in mundo deceniitis ? Ne tetigeritis neque gustaverilis, neque con- trcctaveritis quae sunt omnia in inleritum ipso usu, secundum preceptum et doctrinas hominum. » Elcmenta hujus mundi vocat prima legis rudimenta secundum car- nales observantias, in quarum videlicet doctrina, quasi in addisccndis liltc- ralibus elementis, primo se mundus, id est camalis adhuc populus exercc- bat. Ab his quidem elementis, id est carnalibus observautiis tam Christi quam sui mortui sunt ; quum nihil his debeant, jam non in hoc mundo viventes, hoc est inter caruales figuris intendentes, et dccernentes, id . cst distinguenles quosdam cibos vel quaslibet res ab aliis, atque ita di- centes : ne teligeritis haec vel illa. Quse scilicet tacta, vel gustala, vel con- trectata, inquit Apostolus, suut iii interitum animae ipso suo usu, quo vide- licet ipsis ad aliquam etiam utimur humilitatem : secundum, inquam, praeceptum et doctrinas hominum, id est carnalium et legem carnaliter in- telligentium, potius quam Christi vel suorum. Hic enim quum ad praedicandum ipsos destinaret Apostolos, ubi magis ipsi ab omnibus scandalis providendum erat, omnium tamen ciborum esum eis itaindulsit, ut apud quoscunque suscipiantur hospitio, ita sicut illi vic- titent, edentes scilicet et bibentes quse apud illos sunt. Ab hac profecto do- minica suaque disciplina illos recessuros ipsc j am Paulus pcr Spiritum pro- hibebat, de quibus ad Timotheum scribil dicensl :« Spiritus autem manifesle dicit, quia in novissimis lemporibus discedeut quidam a fide, attendentcs spiritibus erroris, et doctrinis daemoniorum in hypocrisi loqucntium men- dacium, prohibentium nubere, abstinere a cibis quos Deus creavit ad perci- piendum cum gratiarum actione fidelibus, et his qui cognoverunt veritatem ; quia omnis creatura Dei bona, et uihil rejiciendum quod cum gratiarum actionepercipitur. Sanctificatur enim [per] vcrbum lei et orationem. Hsec proponens fratribus, bonus cris minister Christi Jesu, et enutritus verbis fidei, et bonae doctrinae, quam assecutus es. • Quis denique Joannem ejusque discipulos abstinentia nimia se macerantes ipsi Christo ejusque discipulis in religione non pneferat, si corporalem ocu- lum ad exterioris abstinentise inteudat exhibilionem ? De quo etiam ipsi discipuli Joannis adversus Christum et suos murmurautes, tanquam adhuc iu exterioribus judaizantes, ipsum inlerrogaverunt Dominum, dicentes : « Quarc nos et Pharisaei jejunamus frequenter, discipuli autem tui non jejunant ? » Timoth,, I, nr, 4. LETTRES D’ABÉIARD ET D’HELOlSE. 101 viviez encore au monde, savoir : vous ne toucherez pas, vous ne goûterez pas, vous ne mettrez pas la main à tous ces aliments dont l’usage donne la mort, suivant les préceptes et les règles des nommes ? » 11 appelle éléments de ce monde les premiers rudiments de la loi qui touchent aux observances charnelles ; espèce d’alphabet élémentaire sur le- quel s’exerçait le monde, c’est-à-dire un peuple encore charnel. A ces élé- ments, je veux dire aux observances de la chair, sont morts ceux qui sont à Jésus-Christ et à ceux de Jésus-Christ ; ils ne leur doivent plus rien, ne vivant plus en ce inonde, c’est-à-dire parmi ces hommes attachés à la chair, posant des règles, et établissant des distinctions entre tels et tels aliments, entre une chose et une autre, et disant : c vous ne toucherez point à ceci ou à cela ; :> toutes choses auxquelles il suffit de toucher, de goûter, de porter la main, selon l’Apôtre, pour donner la mort à l’âme, alors même que nous en faisons usage pour quelque raison d’humilité. Ce langage, je le répète, est conforme aux préceptes et aux règles des hommes, — c’est-à-dire de ceux qui vivent dans la chair et qui comprennent la loi dans le sens de la chair, — et non à la loi de Jésus-Christ et de ceux de Jésus-Christ. En effet, lorsque le Seigneur préparait les apôtres à prêcher son Évangile, c’était, sans doute, plus que jamais le moment de prévenir tout sujet de scandale. Or, il leur permit si bien l’usage de toute espèce de nourriture qu’il leur prescrivit de vivre comme leurs hôtes, partout où ils recevraient l’hospitalité, c’est-à-dire de boire et de manger ce qu’ils trouveraient à leur table. Et saint Paul assurément prévoyait, par les. lumières du Saint-Esprit, que bientôt ils s’écarteraient de la, doctrine du Seigneur, qui est aussi la sieune, lorsqu’il écrivait à Timothée : c L’esprit-Sainl dit expressément que, dans les temps à venir, quelques-uns déserteront la foi, s’adounant à des esprits d’erreur et aux doctrines des démons enseignées par des hypocrites qui prêcheront le mensonge, proscriront le mariage, et commanderont de s’abstenir des aliments que Dieu a créés, pour que les fidèles et ceux qui ont été initiés à la vérité en usent avec reconnaissance ; car tout ce qui a été créé par la main de Dieu est bon, et il n’y a rien à rejeter de ce qu’on reçoit avec reconnaissance, la parole de Dieu et la prière le sanctifiant. En enseignant cela à vos frères, vous vous montrerez bon ministre de Jésus-Christ, nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine dont vous vous êtes fait le dis- ciple. » Enfin, à considérer les actes extérieurs de l’abstinence avec les yeux du corps, qui n’aurait pas mis au-dessus de Jésus-Christ et de ses disciples saint Jean et ses disciples poussant jusqu’à l’excès l’abstinence et les macérations ? Ceux-ci même qui, à l’exemple des juifs, s’attachaient aux actes extérieurs, murmuraient contre Jésus-Christ et disaient, l’interrogeant lui-même : t Pourquoi vos disciples ne jeûnent-ils point, tandis que nous jeûnons si souvent, nous et les pharisiens ? » 11 102 ABALARDI ET IIELOISSA) EPISTOL^. X. Quod diligcnter attendeus beatus Augustinus, et quid inter virtu- tem et \irtutis exhibitionem referat distinguens, ita quae tiunt exterius pensat, ut nihil meritis superaddant opera. Ait quippe sic in libro de Bono conjugali : « Continentia, non corporis, sed animae virtus est. Yirlutes autem animi aliquando in corpore manifeslantur, aliquando in habitu : sicut martyrum virlus apparuit in tolerando passiones. » Item : « Jam enim erat in Job patientia, quam noverat Dominus et cui testimonium perhibebat, sed hominibus innotuit tentationis examine. »Item :« Yerum ut aperlius intel- ligatur quomodo sit virtus in habitu, etiam si non sit in opere, loquor de exemplo de quo nullus dubitatcatholicorum.Dominus Jesus quod in veritatc carnis esurierit, et sitierit, ctmanducaverit,etbiberit,nullusambigit eorum qui ex ejus Evangelio fideles sunt. Num igitur non erat in illo continentiae virtus a cibo et potu, quanta eratin Joanne Baptista ? « Yenit euim Joannes « non mauducans et bibens, et dixerunt . Dcemonium habet. Yenit filius « hominis manducans et bibens, et dixcrunt : ecce homo vorax et potator « vini,amicus publicanorum ct peccatorum. »Item deinde ibi subjecit quum de Joannc ac de se illa dixissct : « Justificata est sapicntia a filiis suis, qui virtutem continentisc videnl in habitu animi sempcr esse debere : iu opcrc autem pro rerum ac lemporum opportunitate manifestari, sicut virtus pa- tieutisc sanctorum martyrum. » Quocirca sicut non est impar meritum pa- ticntiae in Pctro, qui passus est, et in Joannc qui passus non est : sic non est impar mcritum continentiae iu Joanne, qui nullas expertus est nuptias, et in Abraham, qui filios generavit ; et illius enim ccelibatus, ctillius counubium pro distributione tcmporum Chrislo militavcrunt. Sed continentiam Joauues ct in opere, Abraliam vero in solo habitu habebat. IHo itaque temyore, quum et lcx dies patriarcharum subsequens male- dictum dixit qui nou cxcitarel semeu in Isracl, et qui non poteral non pro- mebat, sed tamen habebat. Ex quo autem venil pleniludo temporis ut dice- relur1 : « qui potesl capere capiat ; qui habet, ojHjretur ; qui operari noluerit, uon se habere mentiatur. » Ex his liquide verbis colligitur solas apud Deum merita virtutes obtincre, et quicunque virtutibus pares sunt, quantumcun- que distent opcribus, acqualiter a Christo promereri. Unde quicunque sunt vere christiani, sic toti circa interiorem honiinem sunt occupati, ut cum scilicet virtutibus oruent, ac vitiis mundenl : ut de exteriori nulJani vcl minimam assumanl curam. Unde et ipsos legimus Aposlolos ita rusticaue ct vclut inhoneslc ipso Matih., xn, 12. LETTRES D’ABÉLARD ET DHÉLOlSK. 103 X. Saint Augustin, attentif à cette considération, met entre les apparences de la vertu et la vertu une telle différence, que, dans sa pensée, les œuvres n’ajoutent rien aux mérites. Voici en effet ce qu’il dit dans sou Traité sur le bien conjugal : c La charité est une vertu de l’âme, non du corps. Sou- vent les vertus de l’âme consistent dans le simple état de l’âme ; souvent aussi elles se manifestent dans les actes extérieurs : telle la vertu des mar- tyrs apparut dans leur courage à supporter les supplices. » Et ailleurs : « La patience était dans l’âme de Job, le Seigneur la connaissait et en rendait té- moignage ; mais elle ne fut connue des hommes que par l’épreuve de la tentation. » Et encore : « En vérité, pour faire comprendre plus clairement comment la vertu consiste dans l’état de l’âme, indépendamment des œu- vres, je vais citer un exemple qui ne peut laisser de doute chez aucun chré- tien. Que Nôtre-Seigneur Jésns-Christ ait été, dans la réalité de sa chair, sujet à la faim et à la soif, qu’il ait mangé et bu, nul ne le conteste parmi ceux qui croient a son Évaugile- : est-ce donc que sa vertu d’abstinence dans te boire et le manger n’était pas aussi grande que celle de saint Jean-Bap- tiste ? Or Jean est venu, ne mangeant ni ne buvant, et ils ont dit : c H est possédé du démon. » Le Fils de l’Homme est venu mangeant et buvant, et ils ont dît : a Voilà un mangeur et un buveur, un ami des publicains et des pécheurs. » Puis, après avoir parlé de Jean et de lui-même, l’Évangé- liste ajoute : « La sagesse a été justifiée par ses enfants, qui voient que la vertu de continence doit toujours consister dans l’état de l’âme, taudis que sa manifestation par les œuvres est subordonnée aux choses et aux temps, comme la vertu de la patience chez les martyrs. » De même donc que le mérite de la patience est égal chez Pierre qui a été martyrisé et chez Jean qui ne l’a pas été, de même il y a égal mérite de continence chez Jean qiû ne connut pas le mariage et chez Abraham qui a engendré des enfants. En effet, le célibat de l’un et le mariage de l’autre ont également milité en leur temps pour Jésus-Christ ; mais la continence de Jean se montrait dans ses œuvres, celle d’Abraham résidait seulement dans l’état de son âme. Ainsi à l’époque où la loi, eu égard à la longue vie des patriarches, décla- rait maudit celui qui ne produirait point de postérité en Israël, celui qui ne le pouvait pas n’en produisait pas ; en esprit, il n’en accomplissait pas moins la loi. Depuis, les temps se sont accomplis, et il a été dit : « Que celui qui peut comprendre comprenne ; que celui qui est en état fasse les œuvres ; que celui qui ne veut pas faire les œuvres, ne dise pas qu’il est en état, » Paroles claires et dont il résulte que les vertus seules sont méritoires devant Dieu, et que tous ceux qui sont égaux en vertus seront traités également par lui, quelque distance qu’il y ait entre les œuvres. Aussi ceux qui sont vraiment chrétiens, tout occupas de parer l’homme in- térieur de vertus nouvelles et de le purifier des vices, ne prennent point ou ne prennent que fort peu de souci de l’extérieur. C’est pourquoi nous lisons que les Apôlres eux-mêmes se comportaient 164 ABjELARDI ET HELOISS^ EPISTOL^. eliam Domini comitatu se habuisse, ut velut omnis reverentiae atque honestatis obliti,quum per sata traiisirent, spieas vellere, fabricare et comedere, more puerorum, non erubescerent, nec de ipsa etiam manuum ablutione, quum cibos essent accepturi, sollicitos esse. Qui quum a nounullis quasi de immunditia arguerentur, eos Dominus excusans : t non lotis, » inquit’, « manibus manducare non coinquinat homi- nem. » Ubi et slatim generaliter adjecit, ex nullis exterioribus auimam in- quinari, sed ex his tanlum quae de corde prodeunt, c quae sunt, » inquit, « cogitationes, adulteria, homicidia, etc. » Nisi enim prius prava voluntate Ianimus corrumpatur, peccatum esse non poterit quidquid exterius agatur in corpore. Unde et bene ipsa quoque adulleria sive homicidia ex corde pro- cedere dicit, quae et sine tactu corporum perpetrautur, juxta illud* : « qui viderit mulierem ad concupiscendam eam, jam maechatus est in corde suo. » Et5 : « omnis qui odit fratrem suum homicida est. » Et tactis vel laesis corporibus minime peraguntur, quando videlicet per violentiam opprimitur aliqua, vel per justitiam coactus judex interficere reum. « Om- nis » quippe « homicida, » sicut scriptum est*, « non habet partem in regno Dei. » Non itaque magnopere quae fiunt, sed quo animo fiant pensandum est, si illi placere studemus, qui cordis et renum probator est, et in abscondito vi- det, « qui judicabil occuita hominum, » Paulus inquit5,« secundum Evau- gelium meum, » hoc est secuudum meae pnedicationis doctrinam. Unde et modica viduae oblatio, quae fuit duo minuta, id est quadrans, omnium divi- tum oblationibus copiosis praelata est ab illo cui dicitur : « bonorum meo- rum non eges ; » cui magis oblatio ex oflerente quam ofierens placet ex oblatione, sicul scriptum est* : « respexit Dominus ad Abel, et ad munera ejus ; » ut videlicet prius devotionem ofierentis inspiceret, et sic cx ipso donum oblatum gratum haberet. Quae quidem animi devotio tanto major in Deo habetur, quanto in eite- rioribus quae fiant minus confidimus. Unde et Apostolus, post communem ciborum indulgentiam, de qua, ut supra memiuimus, Timotheo scribit, de exercitio quoque corporalis laboris adjunxit, dicens7 : « exerce autem tc ipsum ad pietatem ; nam corporalis exercitatio ad modum utilis est : pielas autem ad omnia utilis est, promissionem habens vitae quae nunc est, et futurae. » Quoniam pia mentis iu Deum devotio, et hic ab ipso meretur necessaria, et in fuluro perpetua. Mttih , xxv, 20. - * Mallh., t, 28. — * Joan, m, 3. — « Id., ibid. — * Hom., n, 16. — « Timoth., !’, iv, 7, 8. — 7 Timoth., I, iv, 7, 8. LETTRES DABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 165 grossièrement et presque sans pudeur, tandis qu’ils marchaient à la suite du Seigneur. On eût dit qu’ils avaient oublié tout respect, toute convenance. Lorsqu’ils passaient dans un champ, ils ne rougissaient pas d’arracher des épis, de les égrener et de les manger comme des enfants ; ils ne s’inquié- taient même pas de laver leurs mains avant de prendre leur nourriture, ce qui les faisait accuser par quelques-uns de malpropreté. Mais le Seigneur les excuse. « De manger sans avoir lavé ses mains, dit-il, ce n’est pas là ce qui souille l’homme. » Et il ajoute aussitôt, d’une manière générale, que l’âme ne peut être souillée par les choses extérieures, mais seulement par celles qui sortent du cœur, e’est-à-dire, par « les mauvaises pensées, les adultères, les homicides, etc. » Si le cœur, en effet, n’est pas corrompu avant l’acte par une intention mauvaise, l’acte extérieur ne saurait être un péché. Aussi dit-il que les adultères mêmes et les homicides viennent du cœur, puisqu’ils peuvent être accomplis sans l’intervention du corps, selon cette parole : c Quiconque voit une femme et la convoite est, par cela seul, adultère dans son cœur. » Et encore : « Quiconque hait son frère est homicide. » Tandis qu’il n’y a ni adultère ni violence, les actes fussent-ils accomplis, quand une femme succombe à la violence, ou quand un juge, au nom de la justice, est contraint de mettre un coupable à mort ; « car tout homicide, est-il écrit, n’a point de part au royaume de Dieu. » C’est donc moins nos actes en eux-mêmes, que l’intention avec laquelle nous les accomplissons, qu’il faut peser, si nous voulons être agréables à celui qui sonde les cœurs et les reins, qui voit clair dans les ténèbres, et « qui jugera les secrètes pensées des hommes, selon mon Évangile, » dit saint Paul, c’est-à-dire selon la doctrine de ma prédication. Voilà pourquoi la modique offrande de la veuve, qui ne donne que deux deniers, c’est-à-dire un quatrain, fut préférée aux offrandes abondantes par celui à qui nous disons : « vous n’avez pas besoin de mes biens ; » par celui qui apprécie l’offrande d’après celui qui fait l’offrande, et non celui qui fait l’offrande d’après l’offrande, ainsi qu’il est écrit : « Le Seigneur regarda favorable- ment Abel et ses présents ; » ce qui signifie qu’il examina avant tout la piété de celui qni lui faisait l’offrande, et eut le don pour agréable à cause de celui qui le faisait. La dévotion du cœur a d’autant plus de prix aux yeux de Dieu, que nous mettons moins de confiance dans les manifestations extérieures. C’est pour- quoi l’Apôtre, après avoir, dans sa lettre à Timothée dont nous avons parlé plus haut, autorisé l’usage de tous les alimenls, ajoute, au sujet des travaux du corps : < c’est à la piété qu’il faut vous exercer ; les exercices du corps ne sont utiles qu’à certaines choses, mais la piété est utile à tout ; c’est à elle qu’ont été promises et la vie présente et la vie future. » En effet, la dévotion et la piété du cœur envers Dieu obtiennent de lui les biens de ce monde et ceux de lYternilé. 166 AB&LARD1 ET HELOISS£ EPlSTOLiE. Quibus quidem documentis quid aliud docemur quam christiane sapere, et cum Jacob de domeslicis animalibus refectionem patri providere, non cum Esau de silvestribus curam sumere, et in eiterioribus judaizare. Hinc et illud est Psalmistae1 :«In me sunt, Deus, vota tua, quao reddam lauda- tiones tibi. n Ad hoc quoque illud adjunge poeticumf : Ne te qiMesiveris extra. Multa sunt et innumerabilia tam secularium quam ecclesiasticorum doc- torum teslimonia, quibus ea qu® sunt exterius et indifferentia vocantur, non magnopere curanda esse docemur. Alioquin legis opera, et servitutis ejus, sicul ait Pelrus, iniportabile jugum Evaugelica ? libertati esset praefe- rendum, et suavi jugo Christi, et ejus oneri levi. Ad quod quidem suave ju- gum et onus leve per semetipsum Christus nos invitans : « venite, » inquit5, « qui laboratis et onerati estis. » Unde et praedictus Apostolus quosdam jam ad Christum conversos, sed adhuc opera legis retineri censentes vehementer objurgans, sicut in Actibus Apostolorum scriptum est, ait * : « viri fratres, quid tentatis Deum imponerejugum super cervicem discipulorum, quodne- que patres nostri neque nos portare potuimus ? sed per gratiam Domini Jesu credimus salvari, quemadmodum et illi. » XI. Et tu ipse, obsecro, non solum Cliristi, verum etiam hujus imitator IApostoli discretione sicut in nomine, sic operum precepta moderare, ut in- firnuc convenit naturae, etut divinae laudis plurimum vacare possimus officiis. Quam quidem hostiam, exterioribus omnibus sacrificiis reprobatis, Dominus commendans ait • :«si esurivero, non dicam tibi ; meus est enim orbis lcrne, et plenitudo ejus. Nunquid manducabo carnes taurorum, aut sanguinem hir- corum potabo ?Immcla Dco sacrificium laudis, et redde oltissimo vota tua, et invoca me in die tribulationis, et eruam te, et honorificabis me. »I . Nec id quidem ita loquimur, ut laborem operum corporalium respuamus, quum necessitas postulavcrit, sed ne ista magna putemus quas corpori serviunt, ct officii divini celebrationem prapediunt ; praesertim quum ex auctoritate Apostolica id praecipue devotis indultum sit feminis, ut aliense procura- tionis suslententur ofliciis magis, quam de opere proprii laboris. Unde ad Timotheum Paulus6 : « si quis fidelis habel viduas, subministret illis, el non gravelur Ecclesia, ut his quac vera ? viduae sunt sufficiat. » Yeras quippe viduas dicit quascunque Giristo devotas, quibus non solum maritus mor- • Psalm., lt, 12. — ■ Pere., sat., i, 7. — * n^u,^ Xl> 28. _ * Acl. Apost ,xv. 10. — « Act. Apost., XL, ix, 12v14. - « Tirooth., I, v, 16. LETTRES D’ÀBÉLARD ET D’HÈLOlSE. 167 Que nous enseignent tous ces préceptes, sinon de vivre suivant la sagesse chrétienne et de faire servir, comme Jacob, les animaux domestiques à la nourriture de notre père, au lieu d’aller, comme Ésaù, chercher ceux des forêts et de judaïser dans les pratiques extérieures. De là ce précepte dn Psalmiste : c Le souvenir des vœux que je vous ai faits, Seigneur, est en moi, et je les réaliserai en actions de grâce. » A cette parole, ajoutez celle du poète : « Ne vous cherchez pas hors de vous-même. » Les témoignages abondent dans les auteurs profaues comme dans les au- teurs sacrés, qui nous apprennent qu’il ne faut pas attacher une importance souveraine aux actes qu’on appelle extérieurs et indifférents. Autrement les œuvres de la loi et l’insupportable servitude de son joug,comme dit Pierre, seraient préférables à la liberté de l’Évangile, au joug aimable de Jésus- Christ et à son poids léger. Pour nous inviter à recevoir ce joug aimable et ce léger fardeau, Jésus-Christ lui-même nous dit : « venez, vous qui tra- vaillez et qui êtes chargés. » C’est pourquoi l’apôtre saint Paul réprimandait v vivement certains juifs, convertis à Jésus-Christ, mais qui pensaient encore accomplir les œuvres de l’ancienne loi, dans ce passage des Actes des Apôtres où il dit ; « hommes, mes frères, pourquoi tenter Dieu, pourquoi vouloir imposer aux disciples un joug que ni nos pères ni nous n’avons pu porter ? Nous n’en croyons pas moins être sauvés, comme eux, par la grâce de Notre Seigneur Jésus. » XI. Vous donc, qui êtes non-seulement un disciple de Jésus-Christ, mais un fidèle imitateur de l’Apôtre, qui en avez la sagesse aussi bien que le nom, mesurez-nous, je vous en prie, la règle des œuvres, en sorte qu’elle con- vienne à la faiblesse de notre sexe et que nous puissions être occupées sur- tout à rendre gloire au Seigneur. C’est ce sacrifice que le Seigneur recom- mande après avoir rejeté tous les sacrifices extérieurs, quand il dit : « si j’ai faim, je ne vous le dirai pas ; car la terre entière est à moi et tout ce qu’elle contient. Croyez-vous que je mange la chair des taureaux ? que je boive le sang des boucs ? Offrez à Dieu un holocauste de louanges, accomplissez envers le Très-Haut les vœux que vous avez faits, invoquez-moi au jour de la dé- tresse, et je vous en tirerai, et vous nf honorerez. » Nous ne disons pas cela dans l’intention de repousser tout travail corpo- rel, lorsque la nécessité l’exigera, mais afin de n’avoir pas à attacher trop d’importance aux œuvres qui n’intéressent que le corps et qui nuisent à la célébration de l’office divin ; puisque, au témoignage de l’Apôtre, les femmes vouées à Dieu jouissent du privilège de vivre des dons de la charité plutôt que du produit de leur travail. Ce qui fait dire à saint Paul, dans sa lettre à Timothée : • si quelque fidèle a des veuves, qu’il subvienne à leurs besoins, et que l’Église n’en soit point chargée, afin qu’elle ait assez pour celles qui sont les véritables veuves. » Or, il appelle véritables veuves les femmes vouées à Jésus-Christ, dont le mari est mort, pour lesquelles mort est le monde et qui sont elles-mêmes mortes à lui. Voilà celles qu’il convient 168 ABjELARDI ET HELOISS>E EPISTOL/E. tuus est, verum etiam mundus crucifixus esl, et ipsae mundo. Quas recte de dispendiis Ecclesiae, tanquam de propriis sponei sui redditibus, sus- tentari convenit. Unde et Dominus ipse Matri suae procuratorem apostolum potius quam vinim ejus praevidit, et apostoli septem diacones, id est Ecclesiae ministros, qui devotis ministrarent feminis, instituerunt. Scinius quidem et Apostolum, Thessalonicensibus scribentem, quosdam otiose vel curiose viventesadeo constrinxisse, ut praeciperet, quoniam, si quis non vult operari, non manducet ; et beatum Benedictum maxime, pro otiosi- tate vitanda, opera manuum injunxisse. Sed numquid Maria otiose sedebat, ut verba Christi audiret, Martha tam ei quam Domino laborante, et de quiete sororis tanquam invida murmurante, quasi quae sola pondus diei et aestus portaverit ? Unde et liodie frequenter murmurare eos cernimus, qui in exterioribus laborant, quum his qui divinis occupati sunt ofliciis terrena ministrant. Et ssepe de his, quae tyranni rapiunt, minus conquemntur quam quae desidiosis, ut aiunt, istis et otiosis exsolvere coguntur. Quos tamen non so- lum verba Ghristi audire, verum etiam inliis assidue legendis et decantandis occupalos considerant esse. Nec attendunt non esse magnum, ut ait Aposto- lus, si eis communicent corporalia, a quibus expectant spiritualia ; nec indi- gnum esse, ut qui terrenis intendunt, liis qui spiritualibus occupantur de- serviant. Hinc etenim ex ipsa quoque legis sanctione ministris Ecclesiae haec salubris otii libertas concessa, ut tribus Levi nihil haereditatis terrenac perci- peret, quo expeditius Domino deserviret ; sed de labore aliorum decimas et oblationes susciperef. De abstinentia quoque jejuniorum, quam magis vitiorum quam ciborum Ghrisliaui appetunt, si quid Ecclesiae institutioni supcraddi decreveris, deli- berandum est, et quod nobis expedit* instituendum. Maxime vero de officiis Ecclesiasticis, et de ordinatione psalmorum pro- videndum est ; ut in hoc saltein, si placet, nostram exoneres infirmitatem. Ne quum Psallerium per hebdomadem expleamus, eosdem necesse sit psal- mos repeti. Quam etiam beatus Benedictus, quum eam pro visu suo distri- buisset, in aliorum quoque actione sua id reliquit admonito, ut, si cui melius videretur, aliter ipsos ordinaret. Attendens videlicet, quod per tem- porum successionem Ecclesise decor crevcrit, et quae prius rude susceperat fundamentum, postniodum xdificii nacta est ornamentum. lllud autem pra ? omnibus diffinire te volumus, quid de Evangelira lec LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 160 de nourrir aux dépens de l’Église, comme du revenu propre de leur époux. Cest pourquoi le Seigneur confia le soin de sa mère à un apôtre plutôt qu’à son mari ; et les Apôtres eux-mêmes ont institué sept diacres, c’est-à- dire sept ministres de l’Église, pour veiller aux besoins des femmes vouées à Dieu. Nous savons, sans doute, que l’Apôtre écrivant aux habitants de Thessa- lonique, condamne ceux qui mènent une vie d’oisiveté et de méditation, à ce point qu’il veut que quiconque refuse de travailler ne mange pas. Nous savons aussi que saint Benoit a par-dessus tout prescrit le travail des mains comme remède à l’oisiveté. Mais quoi ? Marie n’était-elle pas oisive, lors- qu’elle était assise aux pieds du Christ écoutant ses paroles, tandis que Marthe, qui travaillait pour elle en même temps que pour le Seigneur, murmurait avec jalousie contre la paresse de sa sœur, et se plaignait de porter seule le poids du jour et de la chaleur ? De même, aujourd’hui, nous voyons fréquemment murmurer ceux qui s’occupent des soins extérieurs, lorsqu’ils fournissent à ceux qui sont oc- cupés du service de Dieu les biens de la terre. Et souvent ils se plaignent moins des rapines d’un tyran que des dîmes qu’ils sont obligés de payer à ces fainéants, comme ils disent, à ces oisifs dont le repos n’est bon à rien. Ce- pendant, ils voient ces fainéants incessamment occupés non-seulement à écouter les paroles du Christ, mais à les lire et à les répandre. Us ne pren- nent pas garde que c’est peu de chose, comme dit l’Apôtre, de donner les biens du corps à ceux dont on attend les biens de l’âme, et qu’il n’est point contraire à l’ordre que ceux qui se livrent aux soins de la terre servent ceux qui sont occupés des soins du ciel. Aussi la loi elle-même a-t-elle assuré aux ministres de l’Église ce salutaire loisir. La tribu de Lévi ne possédait aucun héritage temporel : afin de pouvoir plus librement se consacrer au ser- vice du Seigneur, elle avait le droit de prélever sur le travail des autres en- fants d’Israël des dîmes et des oblations. Quant aux jeûnes, que les chrétiens observent en les considérant plutôt comme une abstinence de vices que comme une abstinence d’aliments, il y aura lieu de voir s’il convient d’ajouter quelque chose aux canons de l’Église, et de nous donner sur ce point un règlement approprié. Mais c’est particulièrement les offices de l’Église et la distribution des psaumes qu’il sera utile de régler. Eu cela, du moins, de grâce, soulagez notre faiblesse d’un trop lourd fardeau. Que la semaine nous soit donnée pour réciter le Psautier, de façon que nous n’ayons pas â répéter les mêmes psaumes. Saint Benoit, après avoir distribué la semaine selon ses vues, laissa ses successeurs libres d’agir suivant leur convenance, o Si quelqu’un trouve mieux à faire, il fera, dit-il, un autre règlement. » Il prévoyait qu’avec In succession des temps, la beauté de l’Église s’accroîtrait ; il songeait au magnifique édifice qui s’est depuis élevé sur ses grossiers fondements. Nais il est un point sur lequel nous-désirons par-dessus tout être fixées. 170 ABjELAHDI ET HELOISS.C EPISTOL£. tione, in vigiliis nocturnis, nobis agendum sit. Periculosum quippe videtnr eo tempore ad nos sacerdotes aut diaconos admitti, per quos haec lectio rccitetur, quas praecipue ab omni bominum accessu atque aspectu segregalas esse convenit : lum ut sincerius Dco vacare possimus, tum etiam ut a tenta- tione tutiores simus. Tibi nunc, domine, dum vivis, incumbit instituere de nobis quid in perpetuum tenendum sit nobis. Tu quippe post Deum htijus loc.’. fundator, tu per Deum nostrae congregationis es plantator, tu cum Deo nostrae sis reli- gionis institutor. Praceptorem alium post te fortassis habitura ? sumus, et qui supcr alienum aliquid aedificet fundamentum. Ideoque veremur de nobis minus futurus sollicitus, vel a nobis minus audiendus, ct qui denique, si zeque vclit, non aoquc possit. Loquerc tu nobis, et audiemus. Vale. LETTRES DABÈLARD ET D’HÉLOlSE. 171 Que devons-nous faire à l’égard de la lecture de l’Évangile pendant les vigiles nocturnes ? Il me semblerait dangereux d’admettre auprès de nous, à une telle heure, des prêtres ou des diacres pour faire cette lecture ; car ce que nous devons particulièrement éviter, c’est l’approche et la vue des hommes, afin de pouvoir nous donner plus sincèrement à Dieu, et aussi pour être moins exposées à la tentation. A vous, ô maître, tandis que vous vivez, à vous d’instituer la règle que nous devons suivre à toujours. Car c’est vous, après Dieu, qui êtes le fondateur de cet asile ; c’est vous qui, par la main de Dieu, avez été le plan- teur de notre communauté ; à vous donc d’être, avec Dieu, le législateur de notre ordre. Peut-être aurons-nous, après vous, un chef qui bâtirait sur des fondements qu’il n’aurait pas jetés. Il aurait par là même, nous en avons la crainte, moins de sollicitude pour nous. Peut-être aussi trouverait-il en nous moins de soumission. Eût-il mêmes intentions enfin, il n’aurait pas même pouvoir. Parlez-nous, vous, et nous écouterons. Adieu. EPISTOLA SEPTIMA QUE EST RURSDN PETRI AD UELOISSAM ARGUMENTUM Abcclardus ab Heloissa superiore epistola rogatus, ut ei et sodalibus ejus, de origine ordinis monialium scriberet, huic cpistolae ejus et illarum voluntati amplissime respondet : ipsumque ordinem a primiliva Ecelesia, imo et ab ipso Domini Servatoris sacro deducit collegio, et quid Philo Judaeus, quid Tripariita Historia de primis ascetis narret recen- set. Sexura autem femineum, in singulis ejus gradibus, miris effert laudibus, nec solum in christianis vel judseis, sed etiam in gentilibus sive paganis, feminis laudes virginitatis latissimc percurrit. Nihil dcnique tota fere continct cpistola, quam femini scxus elegan- tissimum encomium : latius tamen virginitalis laudem prosequitur, cujus etiam apud paganos miri actus leguntur. Charitati tuae, charissima soror, dc ordine tu» professionis tam tibi quam spiritualibus iiliabus tuis sciscitanti, unde scilicet monialium coeperit religio, paucis, si potero, succincteque rescribam. I. Monachorum siquidem, sive monialium, ordo a Domino nostro Jesu Christo religionis suae formam plenissime sumpsit. Quamvis et ante ipsius incarnationem nonnulla hujus propositi tam in viris quam in femiuis prae- cesserit inchoatio. Unde et Hieronymus ad EusLochiam scribens’ : « Filios, inquit, prophetarum, quos monachos legimus in Veteri Testamento, etc. • Annam quoque viduam templo et divino cultui assiduam evangelista com- memorat, quae pariter cum Simeone Dominum in templo suscipere et pro- phfctia repleri meruerit*. Finis itaque Christus Justitiae,et omninm bonorum corjsummatio, in plenitudine temporis veniens, ut inchoata perficeret bona, vul exhiberet incognita ; sicut utrumque sexum vocare venerat atquc i*edi- mere, ita utrumque sexum in vero monachatu suse congregationis dignalu^ Epist., 95. — t Luc, n, 25 et 27. LETTRE SEPTIÈME RÉPONSE D’ABÉLARD À HÉLOISE SOMMAIRE Abélard, à qui Héloïse, dans sa lettre précédente, avait demandé, tant en son nom qu’an nom de ses compagnes, de leur écrire touchant l’origine de l’ordre des religieuses, ré- pond arec de larges développements i cette lettre et à ce désir. Faisant remonter l’ori- gine de l’ordre i la primitive Église et jusqu’à la sainte association instituée par le Sau- Teur du monde, il passe en revue ce que Philon le Juif et ce que l’Histoire Tripartite rapportent des premiers ascètes. Partout, dans cette lettre, il exalte le sexe féminin, et il honore de ses louanges la virginité, non-seulement chez les chrétiennes et chez les juives, mais encore chez les femmes du paganisme. Enlin, ce morceau, dans son en- semble, n’est presque qu’un délicat panégyrique du sexe féminin. Abélard s’attache sur- tout i l’éloge de la virginité, dont il cite de remarquables exemples chez les païens. Votre pieux zèle, très-chère sœur, m’a interrogé en votre nom et au nom de vos fille» spirituelles sur l’ordre auquel vous appartenez ; vous désirez connaître l’origine des congrégations de religieuses : je vais vous répondre en peu de mots et aussi succinctement qu’il sera possible. ]. C’est de Jésus-Christ même que les ordres monastiques d’hommes et de femmes ont reçu la forme parfaite de leur constitution. Avant l’incarnation du Sauveur, il y avait bien eu, tant pour les hommes que pour les femmes, quelques essais de ces sortes d’établissements. Saint Jérôme, en effet, écrit à Eustochie : « Les fils des prophètes que l’Ancien Testament nous repré- sente comme des moines, etc. » Saint Luc aussi rapporte qu’Anne, étant veuve, se consacra au service du temple, qu’elle mérita d’y recevoir le Sei- gneur, conjointement avec Siméon, et d’être remplie de l’esprit prophé- tique. Nais ce n’étaient que des ébauches. C’est Jésus-Christ, la fin de la justice et l’accomplissement de tous les biens, venu dans la plénitude des temps pour achever ce qui n’était qu’ébauche et faire connaître ce qui était inconnu, c’est lui qui, de même qu’il était venu pour racheter les deux sexes, a daigné les rassembler l’un et l’autre dans le véritable couvent de ses fidèles ; sanctionnant ainsi, pour les hommes et pour les femmes, le prin- 174 ABjELARDI ET HEL01SS£ EPISTOL*. cst adunare : ut inde tam viris quam feminis hujus professionis daretur auctoritas, et omnibus perfectio vita ? proponeretur quam imitarentur. Ibi quippe cum Apostolis caeterisque discipulis, cum matre ipsius sancta- rum legimus conventum mulierum ; quae scilicet seculo abrenunciautes, omnemque proprietatem abdicanles, ut solum possiderent Ghristum, sicut scriptum est1 : « Dominus pars haeredilatis meae, » devoteillud compleve- runt, quo omnes secundum regulam a Domino traditam conversi a seculo ad hujus vitae communitatem initiantur. « Nisi quis renuntiaverit omnibus quae possidet, non potest meus esse discipulus1. » Quam devote autem Chri$tum has beatissimae mulieresac veremoniales secutse fuerint, quantam- que gratiam et honorem devotioni earum tam ipse Cbristus quam post- modum Apostoli exhibuerint, sacra diligenter historise continent. Legimus in Evangelio murmurantem Pharisaeum, qui liospitio Dominum susceperat, ab ipso esse correctum, et peccatricis mulieris obsequium hospitio ejus longe esse pralatum. Legimus et Lazaro jam resuscitato cum csteris discumbente, Martbam sororem ejus solam mensis ministrare, et Mariam copiosi libram unguenti pedibus dominicis infundere, propriisque capillis ipsos extergere, hujusque copiosi unguenti odorc domum ipsam impletam fuisse, ac de pretio ipsius, quia tam inaniter consumi videretur, Judam in concupiscentiam ductum, et discipulos indignalos essc. Satagente itaque Martha de cibis. Maria disponit de unguentis, et qucm illa reficit interius, haec lassatum refovet exterius. Nec nisi feminas Domino ministrasse scriptura commcmorat Evaugelica. Qiisq proprias ctiam facultates in quotidianam ejus alimoniam dicabant, ct ei pracipue hujus vitae necessaria procurabant. Ipse discipulis in men«a, ipse in ablutione pedum humillimnm se ministrum exhibebat. A nullo vero discipulornm, vel ctiam virorum, hoc eum suscepisse novimus obsequium : sed solas, ut diximus, feminas, in his vcl cseteris humanitatis obsequiis, ministerium impendisse. Et sicut in illo Marthae, ita in isto novimus obso quium Mariae. Quae quidcm in hoc exhibendo tanto fuit devotior, quanto ante fuerat criminosior. Dominus, aqua in pelvim missa, illius ablutionis pcregit oflicium ; hoc vero ipsa ei lacrymis intimae compunctionis, non exteriori aqua exhibuit. Ablutos discipulorum pedes linteo Dominus extersil ; haec pro linteo cnpillis usa e^t. Fomenta unguentorum insupcr addidit, que nequaquam Domiuum adhibuissc legimus. Quis etiam ignoret mulierem in tantum dc ipsius gratia prasum- psisse, ut caput quoquc cjus superfuso delibucrit unguento ? Quod quidem 1 Psalm., it, 5. — * Luc ;, avi S5. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 175 cipe de la profession religieuse, et leur proposant à tous en exemple la perfection de sa vie. Nous voyons, en effet, qu’avec les Apôtres et les autres disciples, avec sa Mère, de saintes femmes raccompagnaient. En renonçant au monde, en fai- sant le sacrifice de tout bien pour ne posséder que Jésus, ainsi qu’il est écrit : i le Seigneur est un héritage, » elles n’avaient fait, sans doute, qu’accomplir pieusement ce que doivent faire, selon la règle prescrite par le Seigneur, tous ceux qui sortent du siècle pour participer à la communauté de la vie religieuse, « Nul ne peut être mon disciple, est-il dit, à moins de renoncera tout ce qu’il possède. » Mais avec quel pieux amour ces saintes femmes, ces vraies religieuses ont suivi Jésus-Christ, de quelle grâce il a ensuite comblé leur piété, quels hommages il leur a rendus, ainsi que ses Apôtres, les saintes Écritures le racontent fidèlement. Nous lisons dans l’Évangile que le Seigneur réprima les murmures du pharisien qui lui avait donné l’hospitalité, et mit au-dessus de son hospita- lité l’humble hommage de la femme pécheresse. Nous lisons encore que Lazare, après su résurrection, mangeant avec les autres convives, Marthe, sa sœur, était seule occupée à servir, et que Marie répandit alors une huile précieuse sur les pieds du Seigneur et les essuya ensuite avec ses cheveux, en sorte que toute la maison fut remplie de l’odeur du parfum ; et qne Judas, dans un sentiment de convoitise, s’indigna, ainsi que les autres dis- ciples, en voyant consommer en pure perte une chose d’un si grand prix. Ainsi, tandis que Marthe s’occupait des aliments, Marie préparait des parfums ; l’une pourvoit aux besoins du Seigneur, l’autre, par cette ablution, soulage sa lassitude. L’Évangile ne nous montre que des femmes servant le Seigneur. Elles avaient consacré tous leurs biens à assurer sa nourriture de chaque jour et pris la charge de lui fournir les choses nécessaires. Lui-même se montrait le plus humble des serviteurs envers ses disciples ; il les servait à table, il leur lavait les pieds, et nous ne voyons pas qu’il ait jamais reçu d’aucun d’eux, ni d’aucun homme, de semblables services. Ce sont des femmes seules, je le répète, qui lui prêtaient leur ministère pour tous les besoins de l’hu- manité. Marthe a rempli l’un de ces devoirs, Marie l’autre, et Marie, en cela, montrait un dévouement d’autant plus pieux qu’elle avait été aupara- vant plus coupable. C’est avec de l’eau mise dans un bassin que le ^Seigneur remplit envers ses disciples ce devoir d’ablution ; c’est avec les larmes de son cœur, avec les larmes de la componction, non avec une eau extérieure, que Marie l’accomplit envers lui. Le Seigneur essuya avec un linge les pieds des Apôtres, Marie, pour linge, se servit de ses cheveux, et elle y ajouta des onctions d’huiles précieuses, ce que nous ne voyous pas que Jésus-Christ ait jamais fait. Tout le monde sait que, dans sa confiance en la miséricorde du Seigneur, elle ne craignit pas de répandre aussi le parfum sur sa tête ; et ce 170 ABjELARDI ET BELOISSiE EPISTOL/E. ungueutum non de alabastro extractum, sed fracto alabastro memoratur effu- sum, ut nimiae devotionis vehemensexprimeretur desiderium,quae ad nullum ulterius usum illud resemndum censebat, quo in anto usa sit obsequio. In quo etiam ipsum jam unctionis defectum factis ipsis exhibet, quem antea Da- niel futurum pradixerat : postquam videlicet ungeretur Sanctus sanctorum. Ecce enim Sanctum sanctorum mulier inungit, et eum pariter hunc esse quem credit, et quem verbis propheta prsesignaverat, factis ipsa proclamat. Quae esl ista, quaeso, Domini benignitas ; aut quae mulierum dignitas, ut tam caput quam pedes suos ipse non nisi feminis praeberet inungendos ? Quab est ista, obsecro, infirmioris sexus praerogativa, ut summum Christum omnibus Spiritus sancti unguentis ab ipsa ejus conceptione delibutum mulier quoque inungeret, et quasi corporalibus sacramenlis eum in regem et sacerdotem consecrans, Christum, id est unctum, corporaliter ipsum efliceret ? Scimus primum a patriarcha Jacob, in typum Domini, lapidem unctum fuisse. Et postmodum regumsive sacerdolum unctiones, seu quselibet uuctio- num sacramenta non nisi viris celebrare permissum est, licet baptizare non- nunquam mulieres praesumant. Lapidem olim patriarcha lemplum, nunc et altare pontifex oleo sanctiGcat. Viri itaque sacramenla figuris imprimunt ; mulier vero in ipsa operata est veritate, sicut et ipsa protestatur Verilas diccns1 :« Bonum opusopcrala est in me. » Christus ipse a mutiere, Chris- tiani a viris iuunguntur : caput ipsum scilicet a femina, membra a viris. Bene autem efludisse unguentum, non stillasse super caput ejus mulier meuioratur, secundum quod de ipso sponsa in Canticis praecinit dicens * : < unguentum effusum nomen luum. » Hujus quoque unguenti copiatn per illud, quod a capite usque ad oram vestimenti defluxit, Psalmista mystice praefigurat, dicens* : « sicut unguentum in capite, quod descendit iu bar- bam, barbam Aaron, quod descendit in oram vestimenti ejus. » Trinam David unctionem, sicut et Hieronymus in psalmo xxvi meminit, accepisse legimus ; trinam et Christum sive Christianos : pedes quippe Do- mini, sive caput, muliebre susceperuut unguentum ; mortuum vero ip»um Joseph ab Arimathia et Nicodemus, sicut refert Joannes, cum aromatibus sepelierunt. Cbristiani quoque trina sanctificantur unctione ; quarum una fit in baptismo, altera in confirmatione, tertia vero infirmorum est. Per- pende Uaque mulieris dignitatem, a qua vivens Christus bis inunctus, tam in pedibus scilicet quam in capite, regis et saccrdutis suscepit sacramenta. 1 yarc., xiv, 0. — • Canl., t, 2. — s Pulm.( xmii, 2. LETTRES DABÉLARD ET DÏIELOJSE. 177 parfum, elle ne le fit pas couler du vase, mais elle brisa le vase pour le verser, afin de mieux exprimer l’ardeur de son zèle, pensant, sans doute, qu’elle ne pouvait plus conserver pour un autre usage un vase qui avait servi à un tel hommage. Et par cet hommage elle accomplit la prophétie de Daniel, qui avait prédit ce qui devait arriver après l’onction du Saint des saints. Voici, en effet, qu’une femme est venue oindre le Saint des saints, et proclame, par ce fait, qu’il est à la fois et celui en qui elle croit et celui que le prophète avait désigné. Quelle est donc, je le demande, la bonté du Seigneur, ou plutôt quel est le mérite privilégié des femmes, pour que ce soit à des femmes seules qu’il laisse oindre et sa tête et ses pieds ? Oui, quel est le mérite pri- vilégié du sexe le plus faible, pour qu’une femme vienne oindre Celui qui, dès sa conception, était l’oint du Saint-Esprit, consacrer, par ce sacre maté- riel, dans le Christ souverain, le roi et le pontife, le faire Christ, en un mot, c’est-à-dire oindre son corps matériellement ? C’est, nous le savons, le patriarche Jacob qui, le premier, oignit une pierre comme image du Seigneur, et, dans la suite, il ne fut permis qu’aux hommes de faire les onctions des rois ou des prêtres et de conférer les autres sacrements, bien que les femmes puissent quelquefois baptiser. Le patriarche avait jadis sanctifié avec l’huile bénite la pierre qui était l’image du temple ; de même, aujourd’hui, c’est l’autel que bénit le prêtre. Les hommes ne consacrent donc que des emblèmes, tandis que la femme, c’est sur la Vérité même qu’elle a opéré, ainsi que la Vérité l’atteste en disant : c Elle a opéré sur moi une bonne œuvre. » C’est d’une femme que le Christ a reçu l’onction, tandis que les chrétiens la reçoivent des hommes. : c’est une femme qui a sacré la tête ; les hommes ne sacrent que les membres. * C’est par effusion et non goutte à goutte qu’où rapporte avec raison quYIle a répandu le parfum, ainsi que l’Épouse l’avait auparavant chanté dans le Cantique des cantiques : « votre nom est une huile répandue. » Et David a mystérieusement prophétisé cette abondance de parfum qui coula de la tête du Sauveur jusqu’à son vêtement, lorsqu’il dit : « ainsi que le parfum ré- pandu sur la tête d’Aaron, qui couvrit sa barbe et qui descendit jusqu’à sou vêtement. » ’ Saint Jérôme nous rappelle, au sujet du xxvje psaume, que David reçut une triple onction ; tel Jè>us-Christ, tels les chrétiens. En effet, les pieds du Seigneur, puis sa tète, ont reçu des parfums de la main d’une femme ; et, après sa mort, Joseph d’Arimathie et Nicodème, selon le récit de saint Jean, ont embaumé son corps avant de l’ensevelir. Les chrétiens aussi re- çoivent trois onctions saintes : le baptême, la confirmation et l’extréme-ouc- tion. Qu’on juge par là de la dignité de la femme : par elle le Christ vivant a été oint deux fois, aux pieds et à la tête ; d’elle il a reçu l’onction du roi et du prêtre. La myrrhe et l’aloès, qui servent à embaumer les morts, ne font que figurer l’incorruptibilité future du corps de Jésus-Christ, incorrup- 12 178 ABAXARDI ET HEL01SS£ EPISTOL£. Myrrhae vero ct aloes unguentum, quod ad conservanda corpora moriuonim adhibetur, ipsius Dominici corporis incorruptionem futurani presignabat, quam etiam quilibet electi in resui rectione sunt adepti. Priora autem mu- lieris unguenta singularem ejus tam regni quam sacerdotii demonstrant di- gnitatem : unctio quideni capitis superiorem, pedum vero inferiorem. Ecce regis etiam sacramentum a muliere suscipit, qui tamen oblatum a viris sibi regnum suscipere respuit, et ipsis eum in regem rapere volentibus aufugit. Ccelestis, non terreni regis mulier sacramentum peragit ; ejus, inquam, qui de semetipso postmodum ait * : « regnum meum non est de hoc mundo. b Gloriantur episcopi quum, applaudentibus populis, terrenos inuugunt reges, quum mortales consecrant sacerdotes, splendidisct inauratis vestibus adornati, et sacpc his benedicunt, quibus Dominus maledicit. Humilis niu- Jier non mutato habilu, non pra>parato cultu, ipsis quoque indignantibus Apostolis, haec in Christo sacramenta peragit, non praelationis officio, sed devotionis merito. 0 magnam fidei constantiam ! o inestimabilem charitatis ardorem, quae « omniacredit, omnia sperat, omnia sustinct. » Murmurat Pharisacus dum a peccatrice pedes Dominici inunguntur : indignantur paten- tcr Apostoli, quod de capite quoque mulierpraesumpserit. Perseverat ubique mulieris fides immota, de benignitate Domini confisa, ncc ei in utroque Do- miuicac commendationis desuut sufTragia. Cujus quidcm ungueuta quain accepta, quam grata Dominus habuerit, ipscmet profitetur quum sibi utc reservari postulans indignanti Judac dixit* : « sine illain ut in die sepultune meac servet illud. j» Ac si diceret : ne repellas hoc ejus obsequium a vivo, ue devotionis ejiis exliibitioneiu in hac quoque re aufera* defuuctoT^ ICertum quippe est sepultunc quoque Doniinica ; sanctas mulieres aron)ata parasse. Quod tuuc ista utique miuus satageret, si nunc repulsac verecun- diam sustinuisset. Qui etiam, quasi dc lanta mulieris pncsumplione disci- pulis indignantibus, et ut Marcus mcminit, in eani fremenlibus, quiun eos mitissimis fregisset responsis, in tantum hoc extulit bencficium, ut ipsum Evangelio iuserendum esse censerct, ct cum ipso pariter ubique praBdican- dum esse prscdiceret, in memoriam scilicct et laudcm mulieris, quae id fece* rit iu quo non mcdiocris arguebalur praesurnptionis. Quod nequaquam dc aliis quarumcuuque persouaruin obscquiis auctorilate Domiuica sic coni* mcndatum esse legimus atque sancitum. - Qui etiam viduse pauperis elecmosynaiu omnibus tcmpli praeferens obla- lionibus, quam accepta sit ei femiuarum devotio diligenter ostendil. Ausus 1 Joan., xvit !, 30. — * Joan., in, 7. tibilité dont tous 1rs élus jouiront à la résurrection. Mais les premiers parfums employés par la femme marquent la grandeur sans exemple du règne et du sacerdoce de Jésus-Christ ; l’onction de la tête s’applique au premier, celle des pieds au second. Voilà donc qu’il a reçu l’onction royale des mains d’une femme, lui qui s’est refusé à accepter la royauté que lui avaient offerte des hommes, lui qui s’enfuit parce qu’ils voulaient le contraindre à l’accepter ; et c’est comme roi du ciel, non comme roi de la terre, qu’une femme l'a sacré, suivant ce qu’il a dit lui-même : « mon royaume n’est pas de ce monde. » Les évéques se glorifient, alors qu’aux applaudissements des peuples, ils oignent les rois de la terre, ou que, revêtus d’habits magnifiques et ruisselants d’or, ils consacrent des prêtres mortels, bénissant trop souvent ceux qui sont maudits de Dieu. C’est une humble femme qui, sans changer de vêtement, sans aucun appareil, et au milieu de l’indignation des Apôtres, confère au Christ ces deux sacrements, non par devoir d’état, mais par zèle de dévotion. 0 merveilleuse fermeté de la foi ! ô inappréciable ferveur d’amour € qui croit tout, espère tout et souffre tout ! » Le pharisien murmure de ce qu’une pécheresse oint les pieds du Seigneur ; les Apôtres s’indignent hautement de ce qu’une femme ne craint pas de toucher à sa tête. La foi de la femme demeure inébranlable ; elle a confiance dans la bonté du Seigneur, et l’approbation du Seigneur ne lui fait défaut ni pour l’une ni pour l’autre onction ; il témoigne lui-même combien ces parfums lui ont été agréables, avec quelle reconnaissance il les a reçus, en demandant qu’on lui en réserve et en disant à Judas indigné : « laissez-la m’en conserver pour le jour de ma sépulture. » C’est comme s’il eût dit : ne détournez pas de moi cet hommage tandis que je vis, de peur de m’enlever du même coup les témoignages de sa piété après ma mort. Il n’est pas douteux, en effet, que ce soient les saintes femmes qui ont préparé les parfums pour embaumer son corps, et Marie se serait moins empressée d’être du nombre, si elle eût alors éprouvé la honte d’un refus. Au contraire, tandis que les disciples s’indignaient de la hardiesse de cette femme et murmuraient contre elle, comme dit saint Marc, après les avoir apaisés par des réponses pleines de douceur, il fit l’éloge de son offrande et voulut que mention en fût insérée dans son Évangile, afin que ce fait fût, avec l’Évangile, répandu par toute la terre, en mémoire et à l’honneur de cette femme qu’ils accusaient de présomption. Et nous ne voyons pas que Dieu ait jamais honoré et sanctionné d’une telle recommandation aucun des hommages qui lui furent rendus. Il a encore témoigné combien il avait pour agréable la piété des femmes, en préférant à toutes les offrandes du temple l’aumône de la pauvre veuve. Autre exemple : Pierre se fait honneur d’avoir, lui et ses compagnons, tout abandonne pour le Christ. Zachée, ayant reçu le Seigneur, suivant son dé- 180 ABvELARDI ET HELOISS* EPISTOL/K. quidem est Petrus seipsum et coapostolos suos pro Christo omnia rcliquisse profitcri. Et Zachajus desideratum Domini adventum suscipiens, dimidium bonorum suorum paupeiibus largitur, el in quadruplum, si quid defrauda- vit, restituit. Et tnulti alii majores in Christo seu pro Gbristo Tecerunt ex- pensas, el longe pretiosiora iu obsequium obtulerunt divinum, vcl pro I Cliristo reliqueruut. Necitatamen Dominicajcommendationislaudemadepti ’ sunt, sicut feminae. Quarum quidem devolio quanta semper erga euni extiterit, ipse quoque Dominics vitae exitus patenter insinuat. Uae quippe, ipso Apostolorum principe n gante, et dilecto Domini fugiente, vel caHeris dispersis Apos- tolis, intrepidai perstitei unl ; nec cas a Christo vel in passione, vel in morte formido aliqua, vel desperatio separarc potuit. Ut eis specialitrr illud Apostoli congrucre videatur1 : « quis nos scparabit a cbaritate Dei ? tribulatio an atigustia ? » Unde Malthseus, quum de se pariter et cseteris retulisset * : « tmic discipuli omues relicto eo fugcrunt, » perseverautiam postmodum supposuit mulierum, quie ipsi etiani crucifixo, quantum permittebutur, assistebant : « crant, » inquit ,« ibi inulieres multas a longe, quac sccuttc fueraut Jesum a Galilaea, ministrantes ei. » Quas denique ipsius quoque sepulcro immobiliter adhaerentcs idem diligenter Evangelista describit, dicens* : « Erant autem Maria Magdalene, et altera Maria sedentcs coulra sepulcrum. » De quibus etiam mulieribus Marcus commemoruns nit * : < erant autem et mulieres de longe aspicientes, inter quas erat Magdalcne, et Maria Jacobi minoris, et Josepli mater, et Salome. Et quum esset in Galilea, sequebantur eum, et ministrabant ei, et aliae niultae qua3 simul cum eo usccndcrant Hierosolyman. » Stetissc autem juxta crucem, et crucifixo sc etiam astitisse Joannes, qui prius aufugerat, narrat ; sed perseverantiam praemittit muliei um, quasi earum cxemplo unimatus esset ac revocatus. « Stabant, » inquit5,«juxta crucem Jesu niaterejus, et soror matris ejus Maria Cleophse, et Maria Magdalene. Quum vidissct ergo Jesus matrem, et discipulum stantem, etc. » Hanc autem sanctarum constanliam mulicrum, et discipulorum defcclum longe ante beatus Job in persona Domini prophetavit, dicens * : « pclli mea* consumptis carnibus adhaesit os meum, et derelicta sunt tantummodo Jabia circa dentea meos. » Iu osse quippc, quod carnem et pellem sustentat et gestat, fortitudo est corporis. In corpore igitur Christi, quod est Ecclesia, os ipsius dixit Christiana ? fidei stabile fundamentum, Mve fervor ille chari- tatis, de quocanitur7 : « aquae niulta ? uon poteruut extiuguerc charitatcm. » 1 Rom., viii, 55. — • Matth., xxvi, 50. — » Jrf., xxvn, 55, 61. — * Marc, xv, 40 et 41. — ■ Joan., xix, 2j. — • Job, xu, S0. — 7 Cant., vrn, 7. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 481 sir, donna la moitié de son bien aux pauvres et restitua le quadruple à ceux à qui il avait pu faire quelque tort. Beaucoup d’autres ont fait de plus gran- des dépenses encore, soit pour le Christ, soit pour l’amour du Christ ; pour lui rendre hommage, ils ont sacrifié, ils ont laissé des choses infiniment plus précieuses. Cependant, ils n’ont pas obtenu du Seigneur les mêmes louanges les mêmes recommandations que les femmes. Leur conduite à sa mort prouve clairement quelle avait toujours été la grandeur de leur pieux dévouement. Le chef des Apôtres le reniait ; son bien- aimé s’était enfui, les autres s’étaient dispersés : seules elles demeurèrent in- trépides : crainte, douleur, rien ne put les séparer du Christ, pendant sa pas- sion ni au moment de sa mort. Eu sorte que c’est à elles particulièrement que parait s’appliquer cette parole de l’Apôtre : « qui nous séparera de l’amour du Seigneur ? sera-ce la persécution ou la douleur ? » C’est pourquoi saint Ma- thieu, après avoir rappelé sa fuite et celle des autres, en disant : « alors tous les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent, » ajoute, au sujet de la fidélité des femmes qui l’assistaient jusque sur la croix, autant qu’on les laissait faire : « il y avait là plusieurs femmes venues de loin, qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée, et qui le servaient. » Le même Évangéliste nous les peint inébranlablement attachées à la pierre du tombeau :’ « Marie-Madeleine et l’autre Marie étaient là, dit-il, assises auprès du tombeau. » Saiut Marc dit également en parlant de ces femmes : « il y avait aussi des femmes qui regardaient de loin ; parmi elles étaient Madeleine et Marie, mère de Jacques le Mineur et de Joseph, et Salomé ; elles l’avaient suivi en Galilée, et elles le servaient, ainsi que beaucoup d’autres qui étaient montées avec lui à Jé- rusalem. » Jean, qui d’abord s’était enfui, raconte qu’il se tint au pied de la croix et assista le crucifié ; mais avant la sienne il fait passer la ferait té des femmes,’ comme si c’était leur exemple qui eût rappelé et ranimé son courage. « Au pied de la croix se tenaient, dit-il, la mère de Jésus, la sœur de sa mère Marie, femme de Cléoplias, et Marie-Madeleine. Quand donc Jé- sus vit sa mère et sou disciple au pied de la croix… » Cette fermeté des saintes femmes et cette défection des disciples, long- temps auparavant le saint homme Job les avait prophétisées dans la per- sonne de Jésus-Christ, lorsqu’il disait : « mes os se sont attachés à ma peau, mes chairs se sont consumées, et il ne me reste que les lèvres autour des dents. > Dans les os, en effet, qui soutiennent et portent la chair et la peau, réside la force du corps. Or dans le corps de Jésus-Christ, qui est l’É- glise, il entend par l’os le fondement de la foi chrétienne ou cette ardeur d’amour dont il est dit dans le Cantique : « des torrents d’eau n’ont pu, éteindre son amour, » et dont l’Apôtre dit aussi : « elle suppoite tout, elle croit tout, elle espère tout, elle souffre tout. » La chair est, dans le corps, la partie intérieure ; la peau, la partie extérieure. Les Apôtres sont 182 ABALARDI ET HELOISS.E EPISTOLC. De quo et Apostolus : « omuia, » inquit1, « sufiert, omuia credit, omuia sperat, omnia sustinet. » Caro autem in corpore pars interior est, et pellis exterior. Apostoli ergo interiori aniraae cibo pradicando intendentes, et mu- lieres corporis necessaria procurantes, carni comparantes, carni comparan- tur et pelli. Quum itaque carnes consumerentur, os Ghristi adhaesit pelti ; quia scandalizatis in passione Domini Apostolis, et de morte ipsius despera- tis, sanctarum devotio feminarum perstitit immobilis et ab osse Christi minime recessit ; quia fidei, vel spei, vel charitatis constantiam in tantum retinuit, ut ncc a mortuo mente disjungerentur aut corpore. Sunt et viri naturaliter tam mente quam corpore feminis fortiores. Unde et merito per carnem, quae vicinior est ossi, virilis natura, per pellem muliebris infirmi- tas designatur. Ipsi quoque Apostoli, quorum est reprehendendo lapsus aliorum moi- dere, dentes Domini dicuntur. Quibus tantummodo labia, id est verba, potius quam facta remanserant, quum jam desperati de Christo magis loquerentur, quam pro Christo quid operarentur. Tales profecto illi erant discipuli, quibus in castellum Emaus euntibus, et loquentibus adin- vicem de his omnibus quae acciderant ipsi, apparuit, et corum desperatio- nem correxit. Quid denique Petrus vel caeteri discipulorum praeter verba tunc habuerunt, quum ad Dominicam venlum esset passionem, ct ipse Do- minus futurum cis de passionc sua scandalum praedixisset ? « £t si omnes, • inquit Petrus *, « scandalizati fuerint in te, cgo nunquam scandalizabor. » Et iterum : « etiam si oportuerit nie mori tecuin, non te negabo. Similiter et omnes discipuli dixerunt. » Dixerunt, inquam, potius quam feccrunt. Dle enim primus et maximus Aposlolorum, qui tantam in verbis habuerat constantiam, ut Domino diceret : « tecum paratus sum et in carcerem, et in mortem ire ; » cui tunc et Dominus Ecclesiam suam spccialiter commit- tens, dixerat : « et tu aliquando conversus confirma fratres tuos, * ad unnm ancillae vocem ipsum negare non veretur. Necsemel id agit, sed tertio ipsum adhuc viventem denegat, et a vivo pariter omnes discipuli uno temporis punclo fugiendo devolant : a quo, nec in morte, vcl mente vel corpore fc- minae sunt disjunctae. Quarnm beata illa peccatrix mortuum etiam quaerens, et Dominum suum confiteiis, ait5 : « Tulerunt Dominum de momimeiito.» Et iterum : « Si tu sustulisti eum, dicito mihi ubi posuisti, et ego eum lollam. »Fugiunt arietes, imo et pastores Dominici gregis : remanent oves intrepidae. Arguit hos Dominus tanquam infirmam carnem, quod, in articulo etiam passionis su3 ? 4 Corinth., I, xm, 7. — » Matlh., xxvi, 33, 35, 32. —5 Joan., xx, 2, \b. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÊLOÏSE. 183 occupés à répandre la foi, c’est-à-dire la nourriture de l’âme, et les femmes qui veillent aux besoins du corps sont comparées à la chair et à la peau. Lors doue que les chiirs du Seigneur ont été consumées, l’os du Christ s’est attaché à la peau, parce que les Apôtres, scandalisés dans sa passion et désespérés de sa mort, le dévouement des saintes femmes demeura iné- branlable et ne quitta point Fos de Jésus-Christ ; parce qu’elles ont pe^é- véré dans la foi, l’espérance et la charité, au point de ne l’abandonner, ni de corps ni d’âme, après sa mort. Naturellement les hommes sont, de corps et d’âme, plus forts que les femmes : d’où, avec raison, la chair qui est plus voisine des os figure la nature de l’homme, tandis que la peau représente la faiblesse de la femme. D’un autre côté, les Apôtres, dont le devoir est, pour ainsi dire, de mor- dre les hommes en les reprenant de leurs fautes, sont appelés les dents du Seigneur. Hais il ne leur restait plus que les lèvres, c’est-à-dire des paroles plutôt que des actions ; car, tandis qu’ils désespéraient, ils parlaient de la mort de Jésus-Christ beaucoup plus qu’ils n’agissaient pour Jésus-Christ. Tels étaient assurément ces disciples qui allaient à Emmaûs, s’entretenant de tout ce qui était arrivé, et auxquels il apparut pour les blâmer de ce qu’ils désespéraient. Enfin, Pierre et les autres disciples eurent-ils autre chose que des paroles, quand vint le moment de la passion ? Bien que le Seigneur leur eût prédit lui-même que ce moment serait pour eux un sujet de scan- dale : « et quand tous seraient scandalisés à cause de vous, dit Pierre, moi je ne le serai jamais ; » et ailleurs : « quand je devrais mourir avec vous, je ne vous renierai pas. Et tous les disciples dirent de même. » Oui, ils le dirent, nuis ils ne le firent point. Lui, le premier, le plus grand des Apô- tres, qui, en paroles, avait téftioigné une telle fermeté qu’il avait dit au Seigneur : * je suis prêt à marcher avec vous en prison, à la mort ; » lui à qui le Seigneur avait alors particulièrement confié son Église, en lui di- sant : f à vous, enfin converti, d’affermir vos frères dans la foi, » sur un mot d’une servante, il ne craint pas de le renier. Et cela non pas une fois, mais trois, tandis qu’il vivait encore ; et tandis qu’il vivait encore, les au- tres disciples aussi s’enfuirent en un instant et se dispersèrent, au lieu que, même après sa mort, les femmes ne se séparèrent de lui ni de corps ni d’âme. Parmi elles, cette bienheureuse pécheresse le cherchant après sa mort et le confessant pour son Dieu, dit : a Ils ont enlevé le Seigneur de son tom- beau ; • et ailleurs : « Si vous l’avez enlevé, dites-moi où vons l’avez mis et je l’emporterai. » Les béliers, que dis-je ? les bergers mêmes du troupeau du Seigneur s’enfuient, les brebis demeurent, intrépides. Jésus-Christ re- proche à ses Apôtres la faiblesse de la chair, parce que, à l’article de sa passion, ils n’ont pu veiller une heure avec lui ; les femmes, au contraire 184 ABJELARDI ET HELOISS£ EriSTOLG. nec una hora cum eo potuerunt vigilarc. Insomnem ad sepulcrum illius noctem in lacrymis femiuai ducentes, resurgentis gloriaro primae vidcre meruerunt. Cui fidelitcr in mortem quantum dilexerint vivum non tam verbis quam rebus exhibuerunt. Et de ipsa etiam, quam circa ejus passionem et mortem habuerunt sollicitudinem, resurgentis vita primae suut laetificatae. Quum enim, secundum Joannem, Joseph ab Arimathia, et Nicodemus corpus Domini Iigautes linteis cum arnmatibus sepelirent, refert Harcus dc earum studio, quod Maria Magdalene ct Maria Joseph aspiciebant ubi pone- retur. Dc hisquoque Lucas commemorat dicens1 : « Secutae autem mulicres, qua3 cum Jesu venerant de Galiiaea, viderunt monumentum, et quemadmo* dum positum erat corpus ejus, et revertcntes paraverunt aromata. » Nec satis videlicet habentes aromata Nicodemi, nisi et adderent sua. Et sabbato quidem siluerant secundum mandatum ; juxta Marcum vero, quum transisset sabbatum, summo mane, in ipso die rcsurrectionis, vencrunt ad monumen- tum Maria Magdalene, et Maria Jacobi, et Salome. Nunc quoniam devotionem earum oslendimus, honorem quem meruerint prosequamur. Primo angelica visione sunt consolatae de resurrectione Domini jam completa : demum ipsum Domiuum primae viderunt et tenue- runt. Prior quidem Maria Magdalene, quae caeteris ferventior erat ; postea ipsa simul, et aliaD, de quibus scriptum cst, quod post angelicam visio- nem" « exierunt de monumento, currentes nunliare discipulis resurrec- tionem Domini. Et ecce Jesus occurrit illis, dicens : avete. llhe autem accesserunt, et tenuerunt pedes ejus, tt adoraverunt eum. Tunc ait Jesiis : ite, nuntiate fratribus meis, ut eapt in Galilaeam. Jbi me vidc- bunt) i» De quo et Lucas prosecutus ait* : « erat Magdalene, et Joanna, et Maria Jacobi, et caeterae, quse cum eis erant, quae dicebant ad Apostolos haec. » Quas ctiam ab angelo primum fuisse missas ad Apostolos nun- tiare haec non reticet Marcus, ubi, angelo mulieribus loquente, scriptum est* : « surrexit : non est hic. Sed ite, dicite discipulis ejus, et Pelro, quia praecedet vos in Galilaeam. » Ipse ctiam Dominus, primo Mariae Mag- dalenae apparens, ait illi5 : « Vade ad fratres meo«, et dic eis : ascendo ad [\itrem meum. » Ex quibus colligimus has sanctas mulieres quasi Apostolas super Apostolos esse constitutas, quum ipsae ad eos vel a Domino vel ab angelis missae summum illud resurrectionis gaudium nuutiaverunt, quod oxpectabatur ab omnibus, ut per eas Apostoli primum addisccrcnt quod toti mundo postmodum prscdicarent. Quas etiam post resnrrectionem Domino Luc, xx, 10. —« Acl. Apost., i, 14. — 3 Luc, x, 4. — * Marc, xti, 6 ct 7. — * Jotn., wr 17. LETTRES DABÉLARD ET DHÊLOÏSE. 185 passèrent la nuit entière au pied du tombeau et méritèrent de voiries pre- mières la gloire de sa résurrection. Dans cette fidélité après sa mort, elles ont prouvé, par des actes et non par des paroles, combien elles l’avaient aimé pendant sa vie. Aussi est-ce à leur sollicitude pour lui pendant sa passion et après sa mort, qu’elles durent de goûter les premières la joie de sa résurrection. En efïet, tandis que, selon saint Jean, Joseph d’Arimathie et Nicodème enveloppaient dans des linges le corps du Seigneur et l’ensevelissaient avec des parfums, Marie-Madeleine et Marie-Joseph, au rapport de saint Marc, remarquaient avec soin l’endroit où il était déposé. Saint Luc fait aussi mention de ce point. « Les femmes qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée, dit-il, virent ion tombeau et la manière dont le corps avait été déposé ; et, s’en retournant, elles préparèrent des parfums. » Elles ne crurent pas ceux de Nicodème suffisants ; elles voulurent y ajouter les leurs. Le jour du sabltat, elles se tinrent tranquilles et n’exécutèrent pas leur dessein. Mais, selon saint Marc, le jour du sabbat passé, dès le matin, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques et Salomé, vinrent au tombeau le jour même de la résurrection. Maintenant que nous avons montré leur pieux zèle, montrons quelle en fut la récompense. D’abord un ange leur apparut pour les consoler, en leur annonçant l’accomplissement de la résurrection ; ensuite elles virent avant tout le monde le Seigneur lui-même et le touchèrent, Marie-Madeleine la première, dont la ferveur était plus ardente ; puis les autres avec elle : je veux dire celles dont il est écrit qu’après l’apparition de l’ange : « Elles sor- tirent du tombeau et coururent annoncer aux apôtres la résurrection du Seigneur. Et voici que Jésus vint au-devant d’elles, disant : « Je vous salue. » Et elles s’.ipprochèrent de lui, et elles touchèrent ses pieds et elles l’adorè- rent. Alors Jésus dit : « Allez et annoncez à mes frères qu’ils aillent en Galilée ; là ils me verront. » Saint Luc, poursuivant ce récit, ajoute : « C’étaient Madeleine et Jeanne, et Marie, mère de Joseph, et les autres femmes qui étaient avec elles, qui disaient cela aux Apôtres. » Saint Marc ne laisse pas ignorer non plus que ce furent elles que l’ange envoya d’abord porter cette nouvelle aux Apôtres, dans le passage où l’ange, parlant aux femmes, il est écrit : « Il est ressuscité, il n’est plus ici ; mais allez, et dites à ses dUciplei et à Pierre qu’il les pré- cédera en Galilée. » Le Seigneur lui-même, lorsqu’il apparut pour la pre- mière fois à Marie-Madeleine, lui dit : « Allez à mes frères, et dites-leur que je monte vers mon Père, i D’où nous concluons que ces saintes femmes furent, pour ainsi dire, les apôtres des Apôtres, puisque ce sont elles qui furent envoyées par le Seigneur ou par les anges pour porter aux disciples celte grande joie de la résurrection attendue de tous : c’est par elles que les Apôtres apprirent ce qu’ils durent ensuite prêcher dans le monde entier. L’évangéliste a rapporté, eu outre, que le Seigneur, après sa résurrection, 18tt ABjELARDI ET HELOISS* EPISTOLf ;. occurrente salutari ab ipso evangelisla supra memoravit : ut, tam occursu suo quam salutalione, quantam erga eas sollicitudinem et gratiam haberet ostenderet. Non enim aliis proprium salutationis verbum, quod est : « avele, » eum legimus protulisse : imo et salutatione antea discipulos inhibuisse, quum eis dicerel : « et neminem per viam salutaveritis. » Quasi hoc privilegium nunc usque devotis feminis reservaret, quod per semetipsum eis exhibcret, immortalitatis gloria jam politus. Actus quoque Apostolorum quum leferant statim post ascensionem Do- mini Apostolos a monte Oliveti Hierusalem rediisse, et illius sacrosancti con- ventusreligionemdiligenterdescribant, non est devotionis sanctarum mu- lierum perseverantia prater missa, quum dicitur1 : « Hi erant omues perse- veranles unanimiter in orationibus cum mulieribus, et Maria matre Jesu. » II. Ut autem de Hebraeis prsetermittamus feminis , qua ? primo convcrss ad fidem, vivcnte adhuc Domino in carne, et predicante, formam hujus reli- gionis inchoaverunt, de viduis quoque Graecorum, quae ab Apostolis postea susceptae sunt consideremus ; quanta scilicet diligentia, quanta cura ab Apostolis et i ;isa ? tractalae sint, quum ad ministrandum eis gloriosissimus signifer christianae militiae, Stephanus, piotomartyr, cum quibusdam aliis spiritalibus viris ab ipsis Apostolis fuerit constitutus. Unde in eisdem Actibus Apostolorum scriptum est* : « crescente numero discipuloruin, factum est murmur Graecorum adversus Hebraeos, quod despicerentur in ministerio quotidiano viduae eorum. Convocantes autem duodecim Apostoli multitudinem discipulorum, dixerunt : non cst aequum derelinqnere nos Verbum Dei, et ministrare mensis. Considerate ergo, fratres, viros ex omni- bus vobis boni testamonii septem, plenos Spiritu sancto et sapientia, quos constituamus super hoc opus. Nos vero orationi et ministerio verbi instantes erimus. Et placuit sermo coram niultitudine. Et elegerunt Stephanum plenum fide et Spiritu sancto, et Philippum, et Procliorum, et Nicanorem, el Timotheum, et Parmaenam, et Nicolaum Antiochenum. Hos statuerunt ante conspectum Aspostolorura, et orantes imposuerunt eis manus. » Unde et continenlia Stephani admodum commendatur, quod ministerio atque obsequio sanctarum ferainarum fueiit deputatus. Cujus quidem obsequii ministralio, quam excellens sit, et tam Deo quam ipsis Apostolis accepta, ipsi tam propria oratione quam manuura impositione protestati sunt : quasi hos, quos in hoc constituebant, adjurantes ut fideliter agerent, et tam bene- dictioue sua quam oratione eos adjuvantes ut possent. Quam etiam Paulus administrationemad apostolatus sui plenitudinem ipse « Act. Apost.,i, 14. — * Act. Apost., VI, 1 et sqq. LETTRES DABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 187 venant à leur rencontre, les salua ; il voulut, par cette apparition et ce salut, leur montrer combien il avait pour elles de sollicitude et d’amour. Nous ne voyons pas, en effet, qu’il ait jamais employé vis-à-vis de qui que ce soit cette formule : « Je vous salue. » Bien plus, il l’avait interdite à ses dis- ciples, en leur disant : a Yous ne saluerez personne dans le chemin. » Il semble qu’il eût voulu réserver pour les saintes femmes ce privilège, et en faire lui-même l’application lorsqu’il jouirait de la gloire de l’immorta- lité. Les Actes des Apôtres, lorsqu’ils rapportent qu’aussitôt après l’ascension de Notre-Seigneur ses disciples revinrent du mont des Oliviers à Jérusalem, et qu’ils décrivent fidèlement le pieux zèle de leur sainte communion, ne passent pas non plus sous silence la fermeté du dévouement des saintes femmes. « Ils étaient tous, est-il dit, persévérant unanimement en prières avec les femmes et Marie, mère de Jésus. » II. Mais ne parlons plus des femmes juives, qui, converties à lu foi, du vi- vant du Seigneur et par sa parole, ont jeté les bases du genre de vie que vous avez embrassé ; voyons les femmes grecques que, dans la suite, les Apôtres convertirent. Avec quelle attention, avec quelle sollicitude ne les traitèrent- ils pas ! Pour les servir, c’est le glorieux enseigne de la milice chrétienne, c’est Etienne, le premier martyr, qu’ils constituèrent avec quelques autres personnages inspirés de Dieu. D’où il est écrit dans les mêmes Actes : « Le nombre des disciples se multipliant, un murmure s’éleva des Grecs contre les Hébreux, parce que leurs veuves étaient mal traitées dans la répartition des secours de chaque jour. Et les douze Apôtres, ayant convoqué tous leurs disciples, dirent : il n’est pas juste que nous quittions la parole de Dieu pour nous occuper du service des tables. Choisissez donc parmi vous, mes frères, sept hommes d’une réputation sans tache, remplis de sagesse et de l’Esprit- Saint, pour que nous les préposions à ce soin ; quant à nous, nous nous livrerons exclusivement à la prière et au ministère de la parole. Et ce dis- cours plut à toute l’assemblée, et ils choisirent Etienne, qui était plein de foi et de l’Esprit-Saint, avec Philippe, et Prochore, et Nicanor, et Timothée, et Parménas et Nicolas d’Antioche ; ils les amenèrent aux pieds des Apôtres, qui leur imposèrent les mains en priant. » Grande preuve de la continence d’Etienne, que d’avoir été choisi pour veiller aux besoins et aux désirs des saintes femmes ; grande preuve aussi de l’excellence de ce ministère et de ses mérites aux yeux de Dieu comme aux yeux des Apôtres, que cette prière spéciale, cette imposition des mains, par lesquelles les Apôtres semblaient adjurer ceux qu’ils y commettaient de s’en acquitter avec zèle, en leur ap- portant l’appui de leurs prières et de leurs bénédictions. Saint Paul ne réclamait-il pas lui-même celte fonction comme la pléni* tude de son apostolat ? « N’avous-nous pas, dit-il, comme les autres Apôtres, le pouvoir de mener avec nous une femme qui soit notre sœur ? i C’est 168 ABJELARDI ET HELOISS£ EPISTOL^. sibi vindicans1 : « Nunquid non habemus, inquit, polestatein sororem mulie- rem circumducendi, sicut et caeteri apostoli ? » Ac si aperte diceret : numquid et sanctarum mulierum conventus nos liabere ac nobiscum in praedicatione ducere permissum est, sicut cscteris Apostolis, ut ipsae videlicet eis iu praedi- catione de sua substantia necessaria miuistrarent. Unde Augustinus in libro De Opere Monachorum : « Ad hoc, inquil, etfideles mulieres, habentes terre- nam substantiam, ibant cum eis, et minbtrabant eis de sua substantia, ut uullius indigerent horum quae ad substanliam hujus vilae pertineut. » Item : « quod quisqiiis non pulat ab Apostolis fieri, ut cum eis sanct» conversatio- nis mulieres circumirent quocunque Evangelium praedicabant, Evangclium audiant, et cognoscant qucmadmodum hoc ipsius Domini exemplo facie- baut…. In Evangelio enim scriptum est : « Deinceps et ipse iter faciebat « per civitates et castella evangelizans regnum Dei, et duodecim cum illo, « ct mulieres aliquae, quae erant curatse a spiritibus immundis, et infirmi- « tatibus, Maria quae vocatur Magdalene, et Joanna uxor Cuzae procuratoris « Herodis, et Susanna, et aliae multae, quae ministrabant ei de facultatibus « suis. » Ut binc quoque pateat Dominum etiam in prsedicalione sua profi- ciscentem ministratione mulierum corporaliter sustentari, et eas ipsi pariter cum Apostolis quasi inseparabiles comites adhaerere. » Demum vero hujus professionis religione in feminis pariter ul in viris multiplicata, in ipso statim Ecclesiae nascenlis exordio aeque sicut viri, itact feminae propriorum per se monasteriorum habitacula possederunt. Unde et Ecclesiastica Historia laudem Philonis disertissimi Judaei, quam non solum dixit, verum etiam magnifice scripsit de Alexandrina sub Marco Ecclesia, ita inter caetera libro II, capitulo xvi commemorat : « In multis est, inquit, orbis terrae partibus hoc genus hominum. » Et post aliqua : « E^t autem in singulh locis consecrata orationi domus, quse appellatur scnivor, vel monasterium. » Item infra : • Itaque non solum subtilium intellignnt hymnos veterum, sed ipsi faciunt novos in Deum, omnibus eos et metris et sonis honesta satis». t suavi compage modulantes. » Item, plerisque de abs- tinencia eorum prsemissis, et divini cultus officiis, adjecit : « Gum viris autem, quos dicimus, sunt et feminae, in quibus plures jam grandssvae sunt virgines, integritatem ac castita !em corporis, non necessitate aiiqua, scd devotione, servantes ; dum sapientiae studiis semet gestiunt non aolum anima, sedetiam corpore eonsecrare, indignum ducentes libidini mancipare vas ad capiendam sapientam praeparatum, et edere mortalem partuni eas, a quibus divini Verbi concubitus sacrosanctus et immortalis expetiiur : ex quo posteritas relinquatur nequaquam corruptelae mortalitatis obnoxia. » Ilcm 1 Corintli., I, u, 5’ LETTRES D’ÀBÈLAAD ET D’HÉLOlSE. iK9 comme s’il eût dit clairement : Est-ce qu’il ne nous est pas permis d’avoir et de mener avec nous, dans notre prédication, un cortège de saintes femmes comme les Apôtres, aux besoins desquels elles pourvoyaient de leurs biens ? Ce qui a fait dire à saint Augustin, dans son livre du Travail des moines : « Pour cela, ils avaient de saintes femmes, riches des choses de ce monde, qui allaient avec eux, les nourrissaient de leurs biens et ne les laissaient manquer d’aucune des choses nécessaires à la vie ; » et encore : « Que quiconque se refuse à croire que les Apôtres permissent à de saintes femmes de les accompagner partout où ils prêchaient l’Évangile, lise l’Évangile, et il reconnaîtra qu’ils agissaient ainsi à l’exemple du Svigneur ; car il est écrit dans l’Évangile : « Jésus, dès lors, allait dans les villes et les bourgades, « annonçant le règne de Dieu, et douze hommes étaient avec lui et aussi quel- « ques femmes, qui avaient été guéries d’esprits immondes et d’infirmités, « Marie, surnommée Madeleine, et Jeanne, femme de Cuza, intendant d’Hé- « rode, et Suzanne et beaucoup d’autres, qui l’aidaient de leurs biens. » Ce qui prouve que le Seigneur lui-même, dans sa mission temporelle, a été assiste par des femmes, et qu’elles étaient attachées à lui et aux Apôtres comme des compagnes inséparables. » Enfin le goût de la vie religieuse s’étant, dès la naissance de l’Église, ré- pandu chez les femmes comme chez les hommes, elles eurent, comme eux, des couvents particuliers, h’Histoire ecclésiastique rapportant l’éloge que Philon, ce juif si éloquent, ne s’est pas borné à faire, mais qu’il a écrit en termes magnifiques, de la grandeur de l’Église d’Alexandrie sous saint Marc, ajoute, au chapitre xvi du IIe livre : « Il y a dans le monde beaucoup d’hommes de cette sorte ; » et quelques lignes après : « dans chacun de ces lieux-là se trouvent des maisons consacrées à la prière, qu’on appelle monastères ; » puis plus bas : « et non seulement ils comprennent les anciens hymnes les plus subtils, mais ils en composent de nouveaux en l’honneur de Dieu, qu’ils chantent eu toutes sorles de modes et de mesures, avec une mélodie grave et qui n’est pas sans charme. » Dans le même endroit, après avoir parlé de leur abstinence et des saints offices de leur culte, il ajoute : « Avec les hommes dont je parle il y a aussi des femmes, parmi lesquelles se trouvent nombre de vierges déjà fort Agées qui ont conservé leur pureté sans tache et leur chasteté, non par force, mais par pieux zèle, et qui, dans leur ardeur pour l’étude de la sagesse, se consacrent corps et âme à Dieu, regardant comme indigne de livrer au plaisir un vase préparé pour recevoir la sagesse, et d’enfanter pour la mort quand on aspire au sacré et immortel commerce du Verbe divin et à une postérité qui ne doit point être soumise à lu corrup- tion de la nature mortelle. » Le même Philon dit encore, au sujet des con- grégations : « Les hommes et les femmes vivent séparément dans les raonas- 190 AB^LARDI ET HELOISS^ EPISTOL*. ibidem de Philone : « Etiam de conventibus eorum scribit, ut seorsum quidem viri, seorsum etiam in eisdem locis feminae oongregendur, et ut vigilias, sicut apud nos fieri mos est, peragant. » Uinc illud est in luude Christiauae philosophiae, hoc est monasticx prcero- gativae, quod Tripartita commemorat Historia, non minus a feminis quain a viris arrepLae. Ait quippe sic libro I, cap. xi : « hujus elegantissimse phi- losophiae princeps fuit quidem, sicuti quidam dicunt, Elias propheta, et Bap- tista Joannes. » Philo autem Pythagoricus suis temporibus refert utidique egregios Hebraeorum in quodam praedio circa staguum Maria in colle posi- tum philosophatos. Habitaculum vero eorum, et cibos, et conversalionem la- lem introducit, qualem et nos nunc apud /Egyptorium monachos esse con- spicimus. Scribiteos ante solis occasumnon gustare cibum, vino semper et sanguinem h-ibentibus abstinere, cibum eis esse panis, et salis, et hysopi, et potum aquae : mulieres eis cohabitare seniores virgines, propter amoretn philosophise spontanea voluntatc nuptiis abstiuentes. Hinc et illud est Hieronymi in libro de Illustribm Viris, capitulo vm de laude Marci et Ecclesire, sic scribentis : « primus Alexandriae Christum annuntians constituit Ecclesiam tantas doclriuae, et vitae continentiae, ut omnes seclatores Christi ad exemplum sui cogeret. Denique Philo, diserlis- simus Judaeorum, vidcns Alexandriae primam Eccle>iam adhuc judaizantem, in laudem gentis suae librum super eorum conversione scripsit, et quomodo , Lucas narrat Hierosolymae credentes omnia habuisse communia, sic et ille quod Alexandrias sub Marco doclore fieri cei-nebat memorias tradidit. » Ilem cap. xi : « Philo Judseus, natione Alexandrinus, de genere sacerdotum, idcirco a nobis intcr scriptores ecclesiasticos ponitur, quia librum de prima Marci evangelistse apud Alexandriam scribens Ecclesia, in nostrorum laude versatus est, non solum eos ibi, sed in multis quoque provinciis esse coni- memorans, et habitacula eorum dicens monasteria. » Ex quo apparet tamem primum Christo credcntium fuis6c ecclesiam, quales nunc monaclii esse imitantur et cupiunt, ut nihil cujusquam pro- prium sit, nullus inter eos dives, nullus pauper, patrimonia egentibus divi- dantur, orationi vacetnr et psalrais, docirinse quoque continentia ?, quales et Lucas refert primum Hiefosolvmee fuisse credentes. 111. Quod si veteres revolvamus historias, rcperiemus in ipsis feminas in his quec ad Deum pertinent, vel ad quamcunque religionis singularitatem, a viris nonfnissc disjunCas. Quas eliam pariter, ut viros, divina cantica non LETTRES D’ABÉLARD ET d’Héloïse. 191 tères, et ils célèbrent des offices de nuit, comme nous avons coutume de le faire. » C’est aussi à l’éloge de la philosophie chrétienne, c’est-à-dire de la vie monastique, ce que dit VHistoire Tripartite au sujet de ce genre de vie embrassé par les femmes comme par les hommes. On y lit, en effet, au cha : pitre xi du livre Ier : \ les chefs de cette éminente philosophie furent, au témoignage de quelques-uns, le prophète Élie et Jean-Baptiste. » Philon le Pythagoricien rapporte de son coté que, de son temps, des Hébreux d’un rare mérite se réunissaient dans une maison de campagne bâtie aux environs de l’étang Maria, sur une colline, et qu’ils philosophaient. Ce qu’il fait connaître de leur demeure, et de leur nourriture et de leurs entretiens est tout a fait conforme à ce que nous voyons aujourd’hui chez les moines d’Egypte. D’après lui, ces hommes ne mangeaient jamais avant le coucher du soleil, s’abste- naient de vin et de viande, vivaient de pain, de sel, d’hysope et d’eau ; et des femmes vierges et déjà parvenues à la vieillesse, qui avaient renoncé d’elles- mêmes au mariage, par amour pour la philosophie, habitaient avec eux. Tel est encore le témoignage que saint Jérôme, dans son livre des Hommes illustres, au chapitre vin, rend au sujet de saint Marc et de son Église. « Saint Marc, qui, le premier, annonça le Christ à Alexandrie, y fonda, dit-il, une éjjlLe telle par la pureté de sa doctrine et la chasteté de ses mœurs, qu’elle força tous les sectateurs du Christ à imiter son exemple. Knfin, Philon, le plus éloquent des Juifs, voyaut que la première Église d’Alexandrie judaisait encore, écrivit un ouvrage à la louange de sa nation sur la conversion des juifs ; et de même que saint Luc rapporte que les chrétiens de Jérusalem avaient tout en commun, de même il raconte ce qui se passa sous ses yeux dans l’Église d’Alexandrie dirigée par saint Mare. » Saint Jérôme dit encore, chapitre xi : « Philon le Juif, né à Alexandrie d’une famille de prêtres, est mis par nous au rang des écrivains ecclésiastiques, parce que, dans le livre qu’il a composé sur la première Église d’Alexandrie, fondée par l’évangélisle Marc, il s’étend sur l’éloge de nos frères, et fait connaître qu’il y en avait beaucoup d’autres dans un grand nombre de provinces, et que les maisons qu’ils habitaient s’appelaient monastères. » 11 est donc évident que c’est ce genre de société des premiers chrétiens que les moines d’aujourd’hui se proposent pour modèle et cherchent à reproduire, lorsqu’ils se donnent pour règle de ne rien posséder, de n’avoir parmi eu\ ni riches ni pauvres, de distribuer leur patrimoine aux malheureux, de se livrer à la prière, au chant des psaumes, à la prédication et à la continence ; et tels furent, en effet, au rapport de saint Luc, les premiers croyants de Jé- rusalem. III. Feuilletons l’Ancien Testament, et nous y trouverons qu’en tout ce qui concerne Dieu et les actes particuliers de la religion, les femmes n’ont ja- mais été séparées des hommes. Non-seulement elles chaulaient, mais elles 192 ABiELARDl ET HELOISSjE EPISTOLE. solum cecinisse, verum etiam composuisse sacrae tradunt historia ?. Primum quippe canticum deliberatione Isiaelitici populi uon solum viri, sed etiam mulieres Domino decantaverunt : hinc slatim divinorum ofliciorum in ecclc- sia celebrandorum auctoritatem ipsae adcptae. Sic quippe scriptuni est1 : « sumpsit ergo Maria prophetes, soror Anron, tympanum in manu sua, egressaeque sunt omnes mulieres post eam cum tympanis et choris, quibus praecinebat dicens : « cantemus Domino, gloriose enim magnificalus est. • Nec ibi quidem Moyses commemoratur propheta, nec praecinisse dicitur, ?i- cut Maria, nec tympanum aut choram viri habuisse referuntur sicut mu- lieres. Quum itaque Maria praecinens prophetes commemoratur, videtur ipsanou tam dictando vel recitando, quam prophetando canticum istud pro- tulisse. Quae etiam quum caeteris praecinere describitur, qunm ordinatc sive concorditer psallerent demonstratur. Quod autem non solum voce, verum etiam tympanis et choris cecinerunt, non solum earum maximam devotio- nem insinuat, verum etiam mystice spiritalis cantici in congregationibus monasticis formam diligenter exprimit. Ad quod et Psalmista nos exhorta- tur dicens1 : « laudate eum in tympano et choro, » hocest in mortificatione carnis, et concordia illa charitatis, de qua scriptum est : « quia multitudi- nis credentium erat cor uuum ct anima una. » Nec vacat etiam a ir.ysterio, quod egisse ad cantandum rcferuntiir, in quo animae contemplativae jubili fi- gurantur, quae dum ad coelestia se suspendit, quasi tern nae habitationis cas- trum deserit, et deipsa contemplationis sujc intima dulcedine hymnum spi- ritalem summa cxultatioi :e Domino persolvit. Habemus ibi quoque Deborae, et Annae, nec non Judith viduse cantica, sicut et in Evangelio Mariae matris Domini. Quae videlicet Anna Samuelem parvu- lum suum oflerens tabernaculoDomini, auctoritatem suscipiendorum infau- fantium monasteriis dedit. Unde Isidorus fratribus in ccenobio Honorianensi constitutis cap. v : « quicunque, inquit, parentibus propriis in niona ;- terio fuerit delegatus, noverit se ibi perpetuo mansurum. Nam Anna Sa- muelem puerum Deo obtulit. Qui ct in ministerio tcmpli quo a matre fue- rat functus, permansit, et ubi constitutus est deservivit. » Constat etiam filias Aaron paritcrcum fratribus suis ad sanctuarium etluereditariam sortem Lcvi adeo pertinere, ut hinc quoque eis Dominus alimoniam instituerit, sicut scriptum est in libro Numeri, ipso ad Aaron sic dicente5 : « omnes primitias sauctuarii, quas oflerunt filii lsrael Domino, tibi dedi, ct filiis ac filiabus liiisjureperpetuo. * Unde nec a clericorum ordinemulierumreligiodisjuiicla • Esod.. iv, 20 et 21. — * Psalm., cl, 4. — 5 Num., xvm, 19. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HELOlSE. 193 composaient même comme eux de divins cantiques ; les saintes Écritures en font foi. En effet, elles ont commencé par chanter en commun avec les hommes le cantique sur la délivrance d’Israël, et, dès ce moment, elles eu- rent le droit de célébrer les offices divins dans l’église, ainsi qu’il est écrit : • Marie la prophétesse, sœur d’Aaron, prit un tambour dans sa main, et toutes les femmes sortirent derrière elle avec deS tambours et en formant des chœurs, après qu’elle eût entonné ce cantique : i Chantons en l’honneur du Seigneur, car sa grandeur a éclaté glorieusement. » Et il n’est pas ques- tion, en cet endroit, que Moïse ait fait acte de prophète ; il n’est point dit qu’il ait entonné le cantique avec Marie, ni que des hommes aient pris le tambour et formé des chœurs comme les femmes. Quand donc Marie, en- tonnant le cantique, est appelée prophétesse, cela veut dire qu’elle a moins entonné ou chanté ce cantique qu’elle ne l’a produit en prophétisant. Si elle est représentée l’entonnant avec les autres, c’est pour montrer l’ordre et * l’harmonie qui régnaient dans leurs chants. Quant aux tambours qui accom- pagnaient les voix et aux chœurs qu’elles formaient, ce n’est pas seulement le signe de la grande piété des femmes, c’est aussi le symbole mystique de la cé- lébration du divin office dans nos communautés monacales. Aussi le Psal- mistenous exhorte-t-il à les imiter : « Louez-le Seigneur, dit-il, avec des tam- bours et des chœurs, » c’est-à-dire par la mortification de votre corps et par cet accord de charité dont il est écrit : « La multitude des fidèles n’avait qu’un cœur et qu’une âme. » Il n’est pas jusqu’à ce qu’elles ont fait pour chanter le Seigneur qui ne renferme un sens mystique : leur allégresse est une figure de la vie contemplative. En effet, l’âme, en s’attachaut aux cho- ses du ciel, abandonne, pour ainsi dire, la tente du terrestre séjour ; et, du fond de sa douce contemplation, elle entonne triomphalement l’hymne spi- rituel en l’honneur de Dieu. Nous trouvons encore dans l’Ancien Testament les cantiques de Débora, d’Anne et de Judith la veuve, comme dans l’Évangile celui de Marie, mère du Seigneur. En effet, Anne offrant au tabernacle Samuel, son jeune en- fant, donna aux monastères, par cet exemple, le droit de recevoir des en- fants. C’est pourquoi Isidore, écrivant à ses frères établis dans le couvent d’Honorat, leur dit, au chapitre cinq de ses instructions : « Que quiconque sera présenté par ses parents dans un monastère sache qu’il doit y rester toujours ; car Anne a présenté son fils Samuel au Seigneur, et il est demeuré fidèle dans le temple aux fonctions auxquelles il avait été attaché, fidèle au service auquel il avait été consacré. » Et il est notoire que les filles d’Aaron participaient, comme leur frère, au service du sanctuaire et au privilège hé- réditaire de la tribu de Lévi, si bien que le Seigneur assura leur entretien, ainsi qu’il est écrit au livre des Nombres, dans le passage où il dit lui-même à Aaron : i Toutes les prémices du sanctuaire offertes par les enfants d’Is- raël, je vous les ai données, à vous, à vos fils et à vos frères, pour toujours. » 11 ne parait donc pas qu’il ait jamais été fait aucune distinction entre la 13 m ABjELARM ET HELOISS£ EPISTOLB. videtur. Quas etiam ipsis nomine conjunctas esse constat, quum videlicet taru diaconissas quam diaconos appellemus, ac si in utrisque tribum Levi, et quasi Levitas agnoscamus. Habemus etiam in eodem libro votum illud maiimum, et consecrationem Nazaraorum Domini aeqne feminis sicut el viris esse institutum, ipso ad Moyscm Domino sic dicenle * : « Loquere ad lilios Israel, et dices ad eos : « vir sive mulicr quum fccerint votuni ut sanctiuccntur, et se voluerint Do- « mino consecrure, vino et omni quod inebriare potest abstinebunt. Acetum « cx vino et ex qualibet alia potioue, et quicquid de uva exprimitur non « bibeut. Uvas recentes siccasque non comedent cunclis diebus, quibus ex « voto Domino consecrantur. Quidquid ex vinea est ab uva passa usque ad i acinum non comedent omni tempore separationis suae. • Hujus quidem religionis illas fuisse arbitror excubantes ad ostium tabernaculi, de quarum speculis Moyses vas composuit, in quo lavarentur Aaron et filii ejus, sicut scriptum est1 : a Apposuit Moyses labrum aeneum in quo lavarentur Aaron et filii ejus ; quod fecit de speculis muliemm qua* excubabant ad ostium ta- bernaculi. » Diligenter magnae devotionis earum fervor describitur quae, clauso etiam tabernaculo, foribus ejus adhaerentes sanctarum vigiliarum excubias cele- brabant, uoctem etiam in orationibus ducentes, et ab obsequio divino, viris quiesccntibus, non vacantes. Quod vero clausum eis tabernaculum memoratur vita poenitenliuin congrue designatur, qui ut se durius poeni- tentiae lamentis afficiant a caeteris segregantur. Quae profecto vita, specia- Iiter monasticae professionis esse perhibetur, cujus videlicet ordo nihil aliud esse dicitur quam quaedam parcioris poenitentia ? forma. Tabcrnaculum vcro ad cujusostium excubabant, illud est mystice intelligendum, de quo adlle- braeos Apostolus scribit5 : « Habemu ? altare, de quo non habent edere hi qni tabernaculo desei viunt, » id est quo participarc digni non sunt qui corpori suo, in quo hic quasi in castris ministrant, voluptuosum impeudunt obse- quium. Ostium vero tabernaculi iinis est vila ? praesentis, quando hinc anima exit de corpore, et futuram ingrcditur vitam. Ad hoc ostium cxcubant qui de exilu hujus vitm ct introitu futunr sollicili sunt, ct sic poeniteudo dispo- nunt hunc exitum, ut iilum mereantur inlroilum. De hoc quidcm quoti- diano introitu et exitu sanctae ecclesiae illa est oratio Psalmistse* : « Doininus custodiat introitum tuum, et exitum tuum. » Tunc euim simul inlroitum et cxitum nostrum custodit, quum nos hinc exeuntes et jam pcr pceniten- tiam purgatos illuc statim introducit. Benc autcm prius introitum quum exitum nominavit, non tam videlicet ordinemquam dignitatem attetideus ; Numer., n, 6. — « Exod., rrriu, 8. — > Hebr., xiu, 10. — * Psalm., cxzi, B. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 495 condition religieuse des hommes et celle des femmes. Loin de là, il est constant que les hommes et les femmes avaient entre eux le lien du nom, puisque nous avons des diaconesses comme des diacres, les deux noms ré- pondant, pour ainsi dire, à la tribu de Lévi et aux Lévites. Nous trouvons dans le même livre que le vœu si grave et la consécration des Nazaréens étaient également institués pour les deux sexes, selon les pa- roles que le Seigneur lui-même adresse à Moïse : « Tu parleras aux fils d’Israël et tu leur diras : hommes ou femmes, tous ceux qui auront fait vœu de sanctification et voudront se consacrer au Seigneur, s’abstiendront de vin et de tout ce qui peut enivrer. Ils ne boiront ni vinaigre fait avec le vin ni toute autre boisson faite avec le jus de la vigne. Ils ne mangeront ni rai- sins nouveaux ni raisins secs, pendant tout le temps de leur consécration. Tout ce qui sort de la vigne, depuis le grain jusqu’au pépin, tout le temps de leur séparation, ils n’en mangeront pas. » — Elles étaient, sans doute, astreintes à ce vœu, les femmes veillant à la porte du temple, et dont Marie transforma les miroirs en un vase où Aaron et ses fils se purifiaient, ainsi qu’il est écrit : « Marie fit placer un vase d’airain dans lequel Aaron et ses fils se purifiaient, et ce vase avait été fait avec les miroirs des femmes qui veil- laient à la porte du temple. » L’ardeur de leur pieux zèle est peinte exactement par ce fait que, le temple fermé, elles restaient au dehors, attachées à la porte, et célébraient les saintes vigiles, passant la nuit en prières, et n’interrompant même pas pendant la nuit le service du Seigneur, tandis que les hommes reposaient. La porte du temple qui est fermée figure heureusement la vie des péni- tents qui sont séparés du reste du monde, afin de pouvoir se soumettre aux mortifications d’une pénitence plus rigoureuse ; et telle est particuliè- rement l’image de la vie monastique, qui n’est qu’un régime de pénitence plus douce. Quant au temple à la porte duquel .veillaient les femmes, c’e^t l’emblème mystique de celui dont parle l’Apôtre en écrivant aux Hébreux : « Nous avons un autel qui ne nourrit point les desservants du tabernacle ; » c’est-à-dire auquel ne sont pas dignes de participer ceux qui s’adonnent vo- luptueusement aux plaisirs du corps, dans lequel ils servent ici-bas comme dans un camp. La porte du tabernacle est la fin de la vie présente, le moment où l’àme s’échappe de ce corps mortel pour entrer dans l’éternité. A cette porte veillent ceux qui sont inquiets de la sortie de ce monde et de l’entrée daus l’autre, et qui se préparent à cette sortie de la pénitence pour entrer dans l’éternité. C’est au sujet de cette entrée de tous les jours dans la sainte Église et de cette sortie, que David faisait cette prière : « Que le Seigneur veille à votre entrée et à votre sortie. » Et il veille à la fois à notre entrée et à notre sortie, lorsque, au sortir de cette vie, si nous sommes purifiés par la pénitence, il nous reçoit aussi daus l’autre. C’est avec raison qu’il nomme l’entrée avant la sortie, considérant moins l’ordre que l’importance des cho- ses ; en effet, on ne sort de celte vie qu’avec douleur, tandis qu’on entre 19« AftELARDI ET HELOIS&E EPISTOLE. quum hic exilus vitas mortalis in dolore sit, ille vero introitus aeternae summa sit exultatio. Specula vero earum opera sunt exteriora, ex quibus animae turpitudovel decor dijudicatur, sicut ex speculo corporali qualitas humanaefaciei. Ex istis earum speculis vas componitur in quo se abluant Aaron et filii ejus, quando sanctarum feminarum opera ettanta infimi sexus in Deo cbnstantia pontificum et presbyterorum negligentiam vehementer in- crepant, et ad compunctionis lacrymas pracipue novent, et si prout oportet, ipsiearum sollicHudinem gerant, haec ipsarum opera peccatis illorum ve- niam per quam abluantur praeparant. Ex his profecto speculis vas sibi com- punctionis beatus parabat Gregorius, quum sanctarum virtutem ieminarum, et infirmi sexus in martyrio victoriam admirans, et ingemiscens quserebat : ’ « Quid barbari dicturi sunt viri, quum tanta pro Christo delicatae puellse ) sustineant, et tanto agone sexus fragilis triumphet, ut frequentius ipsum I gemma virginitatis et martyrii corona pollere noverimus ? » Ad has (juidem, ut dictum est, ad ostium tabernaculi excubanles, et quae jam quasi Nazaraeae Domini suam ei viduilatem consecraverant, beatam illam Annam pertinere non ambigo, quse singularem Domini Nazaraeum Dominum Jesum Christum in templo cum sancto Simeone pariter meruit suscipere, et ut plus quam propheta fieret, ipsum eadem hora qua Simeon per spiritum agnoscere et praesentem demonstrare ac publice praedicare. Cujus quidem laudem Evangelista diligentius prosecutus ait( : « Et erat Anna prophetissa filia Phanuel de tribu Aser. Haec processerat in diebus multis et vixerat cum" viro suo annis septem, a virginitate sua. Et haec vidua erat usque ad annos octoginta quatuor, quae non discedebat de templo, jejuniis et obsecrationibus serviens nocte acdie. Et hac ipsa hora superveniens confitebatur Domino, et Ioquebatur omnibus qui expectabant redemptionem Hierusalem. i Nota singula quae dicuntur, et perpende quam studiosus in hujus viduae laude fuerit Evangelista, et quantis praeconiis excellentiam ejus extulerit. Cujus quidem prophetissae gratiam quam habere solita erat, et parentem ejus,et tribum, etpost septem annos, quos cum viro sustinuerat, longaevum sanctae viduilatis tempus quo se Domino maiicipaverat, et assiduitatem ejus in templo, et jejuniorum et orationuin instantiam, coiifessionem laudis, quas grates Domino referebat et jublicam ejus prsedicationem de promisso et nato Salvatore diligenter expressit ; et Simeonem quidem jam superius Evangelista de justitia, non de prophetia commendaverat, nec in eo tantae continentise vel abstinentiac virtutem, necdivini sollicitudinem obsequii fuisse memoravit, nec de ejus ad alios pnedicatione quidquam adjecit. Hujus quoque professionis atque propositi illae sunt vene vidua3, de qui- 1 Lnc, n, 80. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 107 dans l’autre avec allégresse. Quant aux miroirs des femmes, ils sont les œu- vres extérieures dans lesquelles on voit la laideur et la beauté de l’âme, comme on juge par un miroir matériel de la nature du visage. De ces mi- roirs on fait un vase dans lequel se purifient Aaron et ses fils, en ce sens que les œuvres des saintes femmes, l’inébranlable fermeté du sexe faible dans le service de Dieu, condamnent la mollesse des pontifes et des prêtres, et leur arrachent des larmes de componction ; en ce sens que, s’ils prennent soin de ces femmes, comme ils le doivent, les bonnes œuvres qu’elles accomplissent préparent aux fautes qu’ils ont commises le pardon qui les purifie. C’est de ces miroirs que saint Grégoire se faisait un vase de componction, alors qu’admirant la vertu des saintes femmes et les triomphes du sexe faible dans le martyre, il s’écriait en soupirant : « Que diront ces barbares, en voyant de tendres jeunes filles supporter de tels tourments pour le Christ, un sexe si délicat sortir victorieux d’une telle lutte ? Car les femmes ont remporté souvent la double couronne de la virginité et du martyre. » A ces femmes qui veillaient à la porte du temple, et qui, comme des Na- zaréennes, avaient consacré au Seigneur leur virginité, je ne doute nulle- ment qu’il faille joindre Anne, cette sainte qui mérita, conjointement avec Siméon, de recevoir dans le temple le véritable Nazaréen de Dieu, Jésus- Christ, d’être saisie d’un esprit plus que prophétique à la même heure que Siméon, de saluer le Sauveur, de faire connaître sa venue et de l’annoncer publiquement. C’est son éloge que développe l’Évangéliste, lorsqu’il dit : t Et il y avait une prophétesse nommée Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser ; elle était fort avancée en âge, et elle n’avait vécu que sept ans avec son mari, qui l’avait épousée vierge ; et elle avait gardé le veuvage jusqu’à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, ne quittant pas le temple, jeûnant, priant, et ne cessant nuit et jour de servir Dieu. Étant donc survenue en cet in- stant, elle annonçait la venue du Seigneur et en parlait à tous ceux qui at- tendaient la rédemption de Jérusalem. » Observez tout ce que dit l’Évangéliste ; voyez quel zèle il déploie dans l’éloge de cette veuve et combien il exalte sa sainteté. Il parle du don de prophétie dont elle jouissait depuis longtemps, de son père, de sa tribu, des sept années qu’elle avait vécu avec son mari, de son long veuvage consacré au Seigneur, de son assiduité au temple, de ses jeûnes, de ses prières inces- santes, des actions de grâce par lesquelles elle confessait la gloire de Dieu, de sa prophétie publique sur la promesse et la naissance du Sauveur. Et le même Évangéliste, en parlant plus haut de Siméon, avait célébré en lui le don de vertu, mais non le don de prophétie ; il ne dit poinl qu’il eût poussé si loin la continence, l’abstinence, la sollicitude du service divin ; il n’ajoute point qu’il eût annoncé le Seigneur à personne. Cette vie de pieux zèle et de dévouement me parait être aussi le partage de ces veuves dont parle l’ApAtre dans sa lettre à Timothéc : « Honorez les 198 ABJELARDI ET HELOISS£ EPISTOL*. bus ad Timotfaeum scribens Apostolus ait1 : « Viduas honora, quae ver» viduae sunt. » Item : « Quae autem vere vidua est, et desolata, speret in Deum, etinstet obsecrationibus nocte acdie. Et hoc praecipue ut irreprehen- sibiles sint. » Et iterum : « Si quis fideles habel viduas, subministret illis, et non gravetur Ecclesia, ut his quae verao viduae sunt sufficiat. » Yeras quippe viduas dicit quae viduitatem suam secundis nuptiis non dehonesta- verunt, vel quao devotionc magis quam necessilate sic perseverantes Doroino se dicarunt. Desolatas dicit quae sic omnibus abrcnuntiant, ut nullum terreni solatii subsidium retineant, vel qui earum curam agant non habent. Quas quidem et honorandas esse prsecipit, et de stipendiis Ecclesiae ccnset sustentari, tanquam de propriis redditibus sponsi earum Christi.J IV. Ex quibus etiam quales ad diaconatus ministerium sint eligendae diligen- ter describit, dicens : « Vidua eligatur non minus sexaginta annorum, quae fiierit unius viri uxor, in operibus bonis testimonium habens, si filios edu- cavit, si hospitio suscepit, si sanctorum pedes lavit, si tribulationem patien- tibus subministravit, si omnc bonum opus consecuta est. Adolescentiores autem viduas devita. » Quod quidem heatus exponens Hieronymus : « De- vita, » inquit,« in ministerio diaconatus praeponere, ne malum pro bono detur exemplum, si videlicet juniores ad hoc eligantur quae ad tentationem proniores et natura leviores : nec per experientiam longaevae aetatis providae malum exemplum his prebeanl, quibus maxime bonum dare debuerant. » Quod quidem malum exemplum in junioribus viduis, quia jam Apostolus certis didicerat experimentis, aperte protitetur, et consilium insuper adver- sum hoc praebet. Quum enim prsemisisset : « Adolescentiores autem viduas devita, » causam hujus rei ct consilii sui medicamentum statim apposuit, dicens : « Quum enim luxuriatae fuerint, in Christo nubere volunt, habentes damnationem, quia primam fidem irritam fecerunt. Simul autem et otiosae discunt circumire domos : non solum otiosae, sed et verbosae et curiosse, loquentes quae non oportet. Volo ergo juniores nubere, filios procreare, ma- tresfamilias esse, nullam occasionem dare adversario, malcdicti gratia. Jam enim quaedam conversae sunt retro Sathanam. » Hanc quoque Apostoli providentiam, de diaconissis scilicet eligeudis, beatus Gregorius secutus, Maximo Syracusano episcopo scribit, his verbis : « Juvenculas abbatissas vehementissime prohibemus. Nullum igitur episco- pum fraternitas tua nisi scxagenariam virginem, cujus vitam atque mores exegerint, velare permittat.» Abbalissas quippe quas nunc dicimus anti- quitus diaconissas vocabant, quasi ministeriales potius quam matres. Dia- Timoth., I, 3, 5. LETTRES D’ABÉLABD ET D’HÉLOÏSE. 199 veuves qui sont vraiment veuves, 0 dit-il ; et encore : « Que celle qui est vraiment veuve et abandonnée espère en Dieu, qu’elle persévère nuit et jour dans la prière, et cela surtout pour qu’elle demeure sans tache ; » et en- core : « Si quelque fidèle a des veuves, qu’il les secoure ; que l’Église n’en soit pas chargée, afin qu’elle puisse subvenir aux besoins des véritables veuves. 9 Or, il appelle véritables veuves celles qui n’ont pas déshonoré leur veuvage par un second mariage et qui, persévérant dans cet état par esprit de piété, non par nécessité, se sont consacrées au Seigneur. Il les appelle abandonnées, parce qu’elles ont renoncé à tout, ne se sont réservé aucune consolation sur la terre et n’ont personne pour prendre soin d’elles. Ce sont celles-là qu’il ordonne d’honorer et d’entretenir aux dépens de l’Église, comme sur le revenu propre du Christ leur époux. IV. 11 indique aussi expressément quelles sont celles d’entre les veuves qui peuvent être choisies pour le ministère du diaconat : « Choisissez pour dia- conesse, dit-il, une femme qui n’ait pas moins de soixante ans, qui n’ait eu qu’un mari* dont on puisse rendre le témoignage qu’elle a fait le bien, élevé des enfants, donné l’hospitalité, lavé les pieds des saints, secouru les affli- gés, accompli toutes sortes de bonnes œuvres. Évitez les veuves trop jeunes. » Et saint Jérôme développant ce dernier point : « Évitez, dit-il, pour le ser- vice du diaconat, les veuves qui sont trop jeunes, de peur qu’elles ne don- nent le mauvais exemple au lieu du bon : elles sont plus exposées à la ten- tation, plus faibles, et faute de cette expérience, qui est le fruit de l’âge, elles pourraient être un sujet de scandale pour celles dont elles devraient être l’édification. * Ces scandales des jeunes veuves, au sujet desquels l’Apôtre était si bien éclairé, il les fait expressément connaître, il en prévient le danger. Après avoir dit : « Évitez les jeunes veuves, » indiquant aussitôt le motif de cette prescription, et avec la prescription le remède, il ajoute : « Après avoir joui de leur union en Jésus-Christ, elles veulent se remarier et encourent la damnation en violant leur foi ; d’autre part, s’adonnant à l’oi- siveté, elles s’accoutument à courir de maison en maison ; et elles ne sont pas seulement désœuvrées, elles sont causeuses, curieuses, parlent de ce dont elles ne devraient pas parler. J’aime donc mieux que les jeunes veuves se remarient, qu’elles aient des enfants, qu’elles gouvernent un ménage et qu’elles ne donnent à nos ennemis aucune occasion de nous diffamer ; car il en est déjà qui ont quitté le Christ pour suivre Satan. » Saint Grégoire s’inspirait aussi de la sagesse de l’Apôtre au sujet du choix des diaconesses, quand il écrivait, en ces ternies, à Maxime, évoque de Syra- cuse : t Nous vous interdisons très-expressément de nommer de jeunes ab- besses ; que votre fraternité ne permette donc à aucun évêque de donner le voile à aucune vierge qui ne soit sexagénaire, et dont la vie et les mœurs n’aient été mises à l’épreuve. » On appelait autrefois diaconesses celles que nous nommons aujourd’hui abbesses ; on les considérait comme des servantes plutôt que comme des mères. Diacre, en effet, signifie serviteur, et l’on 300 ABjELARDI ET HELOISSA EPISTOUE. conus quippe minister interpretatur, et diaconissas ab adroinistratione potius quam a pralatione nuncupandas esse censeliant, secundum quod ipse Dominus tam exemplis quam verbis instiluit, dicens’ : « Qui major est ves- trum erit minister vester*. » Et iterum : « Nam quis major est, qui recumbit an qui ministrat ? Ego autem in medio vestrum sum, sicutqui ministrat. » El alibis : <« Sicut filius hominis non venit ministrari, sed ministrare. » Unde et Hieronymus hoc ipsum nomen abbatis, quojam gloriari multos noverat, ex ipsa Domini auctoritate non mediocriler ausus est arguere. Qui videhcct eum locum exponens quo scriptum esl in epistola ad Ga- latas : « Clamantem : Abba pater. » « Abba, inquit, « hebraicum est, hoc ipsum significans quod pater. Quum autem abba pater hebraeo syroque sermone dicatur, et Dominus in Evangelio prsecipiat nullum palrem vocan- dum esse nisi Deum, nescio qua liceutia in monasteriis vel vocemus hoc nomine alios, vel vocari nos acquicscamus. Et certe ipse pracepit hoc, qui dixerat non esse jurandum. Si non juramus, nec patrem quempiam nominemus. Si de patre interpretabimur aliter, et de jurando aliter sentire cogemur. » Ex his profecto diaconissis Phoeben illam fuisse constat, quam Apostolus Romanis diligenter commendans, et pro ea exorans, ait : « Commendo au- tem vobis Phceben sororem nostram, quae est in ministerio ecclesiae, quae est in Cenchris : ut eara suscipiatis in Domino digne sanctis, et assistatis ei in quocunque negotio vestro indiguerit. Etenim ipsa quoque astitit multis, et mihi ipsi. » Quem quidem locum tam Cassiodorus quam Claudius expo- nentes, ipsani illius ecclesisc diacouissam fuisse profitentur. Cassiodorus : « Significat, inquit, diaconissam fuisse matris ecclesia ?. Quod in pactibus Graccorum hodie usque quasi militiac causa peragitur. Quibus et baptizandi usus in ecclesia non negalur. » Clauditis : « Hic locus, inquit, apostolica auctoritatc docet etiam feminas in ministerio ecclesi» constitui, in quo officio positam Phoeben apud ecclesiam, qua ? est Cenchris, Apostolus ma- gua cum laude et commendatione prosequitur. » Quales etiam ipse ad Timotheum scribens inter ipsos colligens diaconos simili morum instructione vitam earum inslituit. Ibi quippe ecclesiasticorum niinisteriorum ordinans gradus, quum ab episcopo ad diaconos desceudisset : « Diaconos, inquit, similiter pudicos, non bilingues, non multo vino deditos, jion turpe lucrum seclantes, habcutes mysterium fidei in couscientia pura. » YX : « lli autem probentur primum et sic ministrent, nullum crimen haben- tes. Mulieres similiter pudicas esse, non detrahentes, sobrias, fideles in oni- itibus. Diacones sint unius uxoris viri, qui filiis suis bene praesint, et suis • Mattb , xttin, 11. — « Luc, xxin, 27. — * Matth., xt, 28. LETTRES D’ABÉLARD ET O’HÉLOlSE. SOI pensait que les diaconesses devaient recevoir leur nom de leur service plutôt que de leur rang, selon que le Seigneur Ta lui-même institué et par ses exemples et par ses paroles. « Celui qui est le plus grand parmi vous, dit-il, sera votre serviteur. » Et encore : « Quel est le plus grand, de celui qui est à table ou de celui qui sert ? Pour moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » Et ailleurs : « De même que le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir. » Aussi saint Jérôme osa-t il, fort de l’autorité du Seigneur, censurer éner- giqueraent ce nom d’abbé dont il avait appris que quelques-uns se faisaient gloire. 11 rappelle ce passage où il est écrit, dans l’épitre aux Galates : « Clamanlem : Abba pater. » — « Abbé, dit-il, est un mot hébreu qui si- gnifie père. Puis donc qu’il a cette signification en langue hébraïque et sy- riaque, et que le Seigneur ordonne dans l’Évangile que nul ne soit appelé père, si ce n’est Dieu, j’ignore de quelle autorité nous donnons ou nous laissons donner ce nom à d’autres dans les monastères. Assurément celui qui avait établi ce précepte est le même qui avait défendu de jurer. Si nous ne jurons pas, ne donnons donc pas non plus à personne le nom de père ; ou bien, si nous assignons un autre sens à ce titre de père, nous serons forcés de changer de sentiment aussi sur la défense de jurer. » D est certain que parmi ces diaconesses était Pbœbé, que l’Apôtre re- commande avec zèle aux Romains, et en faveur de laquelle il les supplie. « Je vous recommande Pbœbé, notre sœur, dit-il, qui est attachée au service de l’Église de Cenchrées, afin que vous la receviez au nom «lu Seigneur d’une manière digne des saints, et que vous l’assistiez dans toutes les choses où elle pourrait avoir besoin de vous ; car elle en a elle-même assisté plusieurs, et je suis du nombre. » Cassiodore et Claude, en expliquant ce passage, esti- ment qu’elle était diaconesse de cette Église. « L’Apôtre, dit Cassiodore, fait entendre qu’elle fut diaconesse de l’Église mère, selon l’espèce d’apprentis- sage militant qui est encore en usage aujourd’hui chez les Grecs ; et cette Église ne leur refuse pas non plus le pouvoir de baptiser. » — « Ce passage, dit Claude, prouve que les femmes ont été attachées par l’autorité apostolique au service de l’Église, et que ces fonctions ont été confiées dans l’Église de Cenchrées à Phœbé, que l’Apôtre loue et recommande si hautement. » Le même Apôtre, dans sa lettre à Timothéc, comprenant les femmes parmi les diacres, les soumet à la même règle de vie. Là, en effet, réglant la hiérarchie des services ecclésiastiques, après être descendu de l’évoque aux diacres, il dit : « Que les diacres également soient chastes, point doubles dans leurs paroles, point adonnés au vin, point avides d’un gain honteux ; qu’ils conservent le mystère de la foi dans une conscience pure ; » puis : i Qu’ils soient soumis préalablement à une épreuve, et qu’ils ne soient admis au saint ministère que s’ils sont sans reproche. Que les femmes aussi soient chastes, point médisantes, sobres, fidèles en toutes choses. Qu’on prenne pour diacres ceux qui n’ont épousé qu’une seule femme, qui ont 202 ABJELARDI ET HELOISSJE EPISTOL*. domibus. Qui enim bene ministraverint, gradum bonum sibi acquirent, et multam fiduciam in fide, quae est in Christo Jesu. » Quod itaque ibi de dia- conibus dixit, « nonbilingues : » hocde diaconissisdicit,« non detrahentes. » Quod ibi« non multo vino deditos, » hic dicit « sobrias. » Caetera vero, quae ibi sequuntur, hic breviter comprehendil dicens, a fideles in omnibus. » Qui etiam sicut episcopos sive diaconos esse prohibet bigamos, ita et diaco- nissas unius viri uxores instituit esse, ut jam supra meminimus. « Vidua, inquit, eligatur non minus sexaginta annorum, quae fuerit unius viri uxor, in operibus bonis tcstimonium habens, si filios educavit, si hospitio recepit, si sanctorum pedes lavit, si tribulationem patienlibus subministravit, si omne opus bonum subsecuta est. Adolescentiores autem viduas devita. » In qua quidem diaconissarum descriptione vel instructione, quam diligen- tior fuerit Apostolus quam in praemissis tam episcoporum quam diaconorum institutionibus facileest assignare. Quippe quod ait, «in operibus bonistesti- monium habens, » vel : « si hospitio recepit, » nequaquam in diaconibus me- moravit. Quod vero adjecit, « si sanctorum pedes lavit, si tribulationem, etc,» tam in episcopis quam in diaconis tacitum est. Et. episcopos quidem et dia- conos dicit « nullum crimen habentes. 1 Tstas vero non solum irreprehen- sibiles esse prsecipit, verum etiam « oronc opus bonum subsecutas » dicit. Gauteetiamde maturitate aetatis earum providit, ut in omnibus auctoritatem habeant, dicens : « Non minus sexaginta annorum, » et non solum vitae ea« rum, verum etiam aetati longaevae in multis probatae reverentia deferatur. Unde et Dominus licet Joannem plurimumdiligeret, Petrum tamen senic- rem tam ipsi quam cseteris pnefecit. Minus quippe omnes iudignantur se- niorem sibi quam juniorem pncponi, et libentius seniori paremus, quem non solum vita priorem, verum etiam el natura et ordo temporis fecit. Hinc et Hieronymus in primo Contra Jovinianum, quum de praelatione Petri meminerit. « Unus, inquit, eligitur, ut, capite constituto, schismatis tollatur occasio. Sed cur non Joannes electus est ? ^Etati delatum est, quia Petrus senior erat, ne adhuc adolescens et pene puer progressx aetatis ho- minibus praeferretur, et magister bonus, qui occasionem jurgii debuerat auferre discipulis, in adolescentem, quem dilexerat, causam praebere vide- retur invidiae. » Hoc abbas ille diligenter considerabat, qui sicut in Vilis Patrwn scriptum LETTRES D’ÀBÈLARD ET D’HÉLOÏSE. 203 bien élevé leurs enfants, bien dirigé leur maison. Car ceux qui serviront bien le Seigneur s’élèveront et acquerront une grande fermeté dans la foi, qui est en Jésus-Christ. » Or, ce qu’il dit des diacres : « Qu’ils ne soient point doubles dans leurs paroles, « il le dit aussi des diaconesses : a Qu’elles ne soient pas médisantes. » Ce qu’il dit des uns : « Qu’ils ne soient pas adon- nés au vin, il le dit des autres : c Qu’elles soient sobres. » Enfin, il renferme tous les autres préceptes en deux mots : « Qu’elles soient fidèles en toutes choses. » De même qu’il ne veut pas que les évoques et les diacres aient contracté deux fois mariage, de même il établit que les diaconesses ne doivent avoir été mariées qu’une fois, ainsi que nous l’avons rappelé plus haut. « Choisissez pour diaconesse une veuve qui n’ait pas moins de soixante ans, dit-il, qui n’ait eu qu’un mari, dont on puisse rendre le témoignage qu’elle a fait le bien, élevé ses enfants, ’donné l’hospitalité, lavé les pieds des saints, assisté les malheureux, accompli toutes sortes de bonnes œuvres : évitez les veuves trop jeunes. » Par cette peinture des diaconesses, ou plutôt par cette règle, il est aisé de voir combien il se montre plus sévère pour le choix des diaconesses que pour celui des évêques et des diacres. Car ce qu’il dit des diaconesses, c qu’on doit pouvoir rendre le témoignage qu’elles ont fait le bien, donné l’hospitalité, etc., » il n’en parle pas au sujet des diacres. Ce qu’il ajoute, « qu’elles aient lavé les pieds, etc., » il n’en dit pas un mot au sujet des évêques et des diacres. Il se contente de dire que les évéques et les dia- cres « soient sans reproche. » Mais, pour elles, il v«ut non-seulement qu’elles soient, sans tache, mais « qu’elles aient accompli toutes sortes de bonnes œuvres. 1» Il lixe même avec soin le degré de maturité de leur âge pour qu’elles aient plus d’autorité, en disant : « Qu’elles n’aient pas moins de soixante ans ; » en sorte que, non-seulement la pureté, mais encore la longueur de leur vie, éprouvée en maintes choses, inspire plus de res- pect. Voilà pourquoi le Seigneur lui-même, malgré sa tendresse pour Jean, lui préféra Pierre ainsi qu’aux autres, parce qu’il était plus âgé. En général, on souffre moins de voir à sa tête un vieillard qu’un jeune homme, et nous obéissons plus volontiers à celui que la nature et l’ordre du temps, non moins que l’excellence de sa vie, ont mis au-dessus de nous. C’est ainsi que saint Jérôme, dans son premier livre contre Jovinien, dit, au sujet de l’élection de saint Pierre : « Un seul est choisi, afin que réta- blissement d’un chef écarte toute occasion de schisme. Mais pourquoi Jean n’a-t-il pas été élu ? Parce que Jésus-Christ a déféré à l’âge, parce que Pierre était plus vieux, et pour ne pas donner à un jeune homme, presque à un enfant, la préférence sur des vieillards : en bon maître qui devait enlever à ses disciples toute occasion de querelle, et qui aurait craint de paraître fournir un motif de jalousie contre son bien-aimé. t C’ett aussi paroette considération que eet abbé, dont il est parlé dans les 304 ABAXARDI ET HELOISSiE EPISTOLiE. est, juniori fratri, qui primus ad conversionem venerat, priraatum abstulit, et majori eum tradidit ; hoc uno tantum, quia hic illum aetate praecedebat. Yerebatur quippe ne ipse etiam frater carnalis indigne ferret juniorem sibi pracponi. Meminerat ipsos quoque Aposlolos de duobus ipsorum indignalos esse, quum apud Christum, matre intervenientc, pnerogativam quamdam affectasse viderentur : maxime quum unus horum esset duorum, qui caeteris junior erat Apostolis, ipse videlicet Joannes, de quo modo diximus. V. Nec solum in diaconissis instituendis Apostolica plurimum invigilavit cura, verum generaliter erga sanctae professionis viduas quam studiosus ex- titerit liquet, ut omnem amputet tentationis occasionem. Quum enim prae- misisset : « Yiduas honora, quae verae viduae sunt, » statim adjecit : « Si qtia autem vidua filios aut nepotes habet, discat primum domum suam regere, et mutuam vicem reddere parentibus. » Et post aliqua : « Si quis, inquit, suorum, et maxime domesticorum curam non habet, fidem negavit, et est infideli deterior. »In quibus quidem verbis simul et debitae providet huma- nitati, et propositae religioni : ne videlicet sub obtentu religionis parvuli descrantur inopes, et carnalis compassio erga indigentes sanctum viduae perturbet propositum, et retro respicere cogat, et nonnunquam etiam usque ad sacrilegia trahat, et aliquid suis porrigat quod de communi defraudet. Unde necessarium patet consilium, ut quae domesticorum cura sunt impli- citae, antequam ad veram viduitatem transeuntes, divinis se penitus obse- quiis mancipent, hanc vicem suis parentibus reddant : ut sicut eorum cura fuerunt educatae, ipsi quoque posteris suis eadem lege provideant. Qui etiam viduarum religionem exaggerans, eas instare precipit obsecratiombus et orationibus nocte et die. De quarum etiam necessitudinibus admodum sollicitus : « Si quis fidelis, inquit, habet viduas, subministret illis, et non gravetur Ecclesia, ut his quae verae viduae sunt sufficiat. » Ac si aperte dicat : si qua est vidua, quae tales habeat domesticos, qui ei necessaria de facultatibus suis valeant mi- nistrare, ipsi super hoc ei provideant, ut caeteris sustentandis publici sump- tus ecclesiae possint sufficere. Quae quidem sententia patenter ostendit, si qui erga hujusmodi viduas suas obstinati sunt, eos ad hoc debitum ex Apostolica auctoritate constringendos esse. Qui non solum earum neces- situdini, verum etiam providens honori : « Yiduas, inquit, honora, quae verae viduae sunt. » Tales illas fuisse credimus, quarum alteram ipse matrem, alteram Joan- LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 205 Vies des Pères, ôta la prélature à un frère plus ancien dans l’ordre, mais plus jeune, pour la donner à un plus âgé ; sa seule raison était qu’il était son aîné. 11 craignait que ce frère, encore engagé dans les liens de la chair, ne souffrit de se voir préférer un plus jeune que lui ; il se souvenait du mécontentement que les Apôtres eux-mêmes avaient éprouvé contre deux d’entre eux, pour qui l’intervention de leur mère avait obtenu quelque pri- vilège auprès du Christ, l’un d’eux, surtout, étant beaucoup plus jeune que tous les autres, je veux dire Jean, dont nous venons de parler. V. Ce n’est pas seulement dans le choix des diaconesses que l’Apôtre a re- commandé le plus grand soin ; on voit à quel degré il pousse l’attention en tout ce qui touche les veuves animées du désir de se consacrer à Dieu ; il veut supprimer pour elles toute occasion de tentation. Après avoir dit : « Hono- rez les veuves, les véritables veuves, • il ajoute aussitôt : « Mais si quelque veuve a des enfants ou des petits-enfants, qu’elle apprenne d’abord à con- duire sa maison et à faire pour ses parents ce qu’ils ont fait pour elle. » Et quelques lignes plus bas : « Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et surtout de ceux de sa maison, il renie la foi ; il est plus coupable qu’un infidèle. » Par ces paroles, il satisfait en même temps aux devoirs de l’humanité et aux exigences de la profession religieuse. 11 veut empêcher que, sous prétexte de profession religieuse, de pauvres orphelins ne soient abandonnés, et que le sentiment de l’humaine compassion envers des malheureux ne trouble la résolution des saintes veuves, ne ramène leurs regards en arrière, ne les en- traîne même parfois dans le sacrilège, et ne les induise à détourner de la communauté pour donner à leurs proches. Il était donc bien nécessaire d’avertir celles qui sont dans les liens de la famille de commencer par rendre ce qu’elles ont reçu, avant de passer au vrai veuvage et de se consacrer sans réserve au service de Dieu, c’est-à-dire de pourvoir à l’éducation de leurs enfants, comme elles ont été élevées elles* mêmes par les soins de leurs parents. Pour porter plus haut encore la per- fection des veuves, l’Apôtre leur recommande de se livrer incessamment à la prière nuit et jour. Également préoccupé de leurs besoins, il dit : « Si quelque fidèle a des veuves, qu’il les assiste, que l’Église ne les ait pas à sa charge, afin qu’elle puisse secourir les véritables veuves. » C’est comme s’il disait : s’il est des veuves qui aient une famille capable avec ses ressources de subvenir à leurs besoins, qu’elle y pourvoie, afin que les revenus communs de l’Église puis- sent soutenir les autres. De ces préceptes, il ressort clairement que, s’il en est qui se refusent à secourir les veuves qui leur appartiennent, il faut les contraindre, de par l’autorité apostolique, à s’acquitter de cette dette. L’Apôtre ne s’est pas borné à pourvoir aux besoins des autres, il a voulu assurer les égards qui leur étaient dus : « Honorez, dit-il, les veuves qui sont véritablement veuves. » Telles furent, sans doute, celle que l’Apôtre appelle sa mère, et celle que 206 ABiELARDI ET HELOISSiE EPISTOLE. nes evangelista dominam, ex sanctae professionis reverentia vocat1. « Salu- tate, inquit Paulus ad Romauos scribens, Rufum electum in Domino, et matrem ejus, et meam. » Joannes vero in secunda quam scribit epistola’ : « Senior, inquit, electae dominae, et natis ejus, etc. » A qua etiam se diligi postulans inferius adjunxit : « Et iiunc rogo te, domina, ut diligamus alte- rutrum. » Cujus quoque fretus auctoritate Hieronymus, ad vestr» professionis vir- ginem Eustochium scribens, eam appellafe dominam non erubuit : imo cur etiam debuerit, statim opposuit dicens : tf Hoc idcirco, domina mea, Eustochium, dominam quippe debeo vocare sponsam Domini nostri, etc. » Qui etiam postmodum, in eadem epistola hujus, sancti propositi prseroga- tivara omni terrenae felicitatis glorisc superponens, ait :« Nolo habeas con- sortia matronarum, nolo ad nobilium accedas domos, nolo frequenter vr- deas, quod contemnens virgo esse voluisti. Si ad imperatoris uxorem concurrerit ambitio salutantium, cur tu facis injuriam viro luo ?Ad hominis conjugem sponsa Deiquid properas ? Disce inhac parte superbiam sanctam. Scito te esse illis meliorem*. » Qui etiam ad virginem Deo dicatam scribens de consecratis Deo virgini- bus, quantam in ccelo beatitudinem, et in terra possideant dignitatem, ita exorsus ait : « Quantam in ccelestibus beatitudinem virginitas sancta possi- deat, praeter Scripturarum testimonia, Ecclesia ? etiam consuetudine edoce- mur, qua addiscimus peculiare illis subsistere merilum, quarum spiritalis est consecratio. Nam quum unaquaeque turba credentium paria gratiae dona percipiant, et iisdem omnes sacramentorum beuedictionibus glorientur, istae proprium aliquid pras cseteris habent, dum de illo sancto et immacu- lato Ecclesiae gregc quasi sanctiores purioresque hostise, pro voluntatis sus meritis, a Spiritu sancto eliguntur, et per summum sacerdotem Dei offe- runlur altario. » ltem : « Possidet ergo virginitas et quod alii non habent, dum et peculiarem obtinetgratiam, et proprio, ut ita dixerim, consecra- tionis privilegio gaudet. Virginum quippe consecrationcm, nisi periculo mortis urgente, celebrari alio tempore non licet quam in Epiphania el Albis Paschalibus, et in apostolorum natalitiis ; ncc nisi a summo sacerdote, id cst episcopo, tam ipsas quam ipsarum sacris capitibus imponenda vela- mina sanctificari. » Monachis autem, quamvis ejusdem siut professionis, vel ordinis, et dignioris sexus, etiam si sint virgines, qualibet die benediclionein et ab abbate suscipere tam ipsis quam propriis eorum indumentis, id cst cucullis, permissum est. Presbyteros quoque el c&lcros inferioris gradus Rom., xvi, 13. — ■ Join., II, i, 14— * EpUt ;, 18* LETTRES D’ABÊLARD ET D’HÉLOÏSE. 207 l’Évangélisle nomme sa maîtresse, par respect pour la sainteté de leur état. « Saluez, dit saint Paul écrivant aux Romains, saluez Hufus, qui est élu dans le Seigneur, et sa mère, qui est aussi la mienne. » Et Jean, dans sa seconde épitre : « Le vieux Jean à sa maîtresse élue et à ses enfants… » etc. ; puis il ajoute plus bas, lui demandant son amitié : « Et maintenant, je vous demande, ô maltresse ! que nous nous aimions l’un l’autre. » C’est aussi avec l’appui de cette autorité que saint Jérôme, dans sa lettre à Eustochie, qui avait fait les mêmes vœux que vous, ne rougit pas de l’ap- peler maîtresse ; bien plus, il se croit obligé de le faire, et il en donne aus- sitôt la raison. « J’appelle Eustochie maîtresse, dit-il, parce que je dois ap- peler maîtresse l’épouse de notre Maître, etc. » Et plus bas, dans la même lettre, élevant l’excellence de ce saint état au-dessus de toutes les gloires de la terre : c Je ne veux pas de commerce avec les femmes du monde, dit-il ; je ne veux pas que vous fréquentiez les maisons des nobles, je ne veux pas que vous les voyiez, puisque, renonçant au monde, vous avez voulu être vierge. Si l’ambition des courtisans les pousse aux pieds de l’impératrice, pourquoi feriez-vous injure à votre époux ? Épouse de Dieu, pourquoi porte- riez-vous vos hommages à l’épouse d’un homme ? Pénétrez-vous en ceci d’un saint orgueil : sachez que vous êtes au-dessus d’elle. » Le même, écrivant à une vierge consacrée à Dieu, au sujet du bonheur réservé dans le ciel et sur la terre aux vierges consacrées à Dieu, dit : a Quel bonheur est réservé dans le ciel à la sainte virginité, indépendamment des témoignages de l’Écriture, l’Église, par ses usages, nous l’enseigne ; elle nous apprend qu’un mérite particulier est attaché aux consécrations spiri- tuelles. En effet, bien que la multitude des croyants ait également droit aux dons de la grâce, et que tous se glorifient de participer aux mêmes sa- crements, les vierges ont un privilège spécial, puisque, à cause des mérites de leur intention, elles sont choisies par le Saint-Esprit, dans le saint et pur troupeau de l’Église, comme des victimes et plus saintes et plus pures, pour être offertes par le grand-prêtre sur les autels de Dieu, i Et encore : « La virginité possède quelque chose que les autres n’ont pas, puisqu’elle obtient spécialement la grâce et jouit du privilège d’une consécration particulière, consécration telle, qu’à moins de danger de mort imminente, elle ne peut être célébrée à d’autres époques que l’Epiphanie, l’octave de Pâques et la fête des Apôtres, et qm’il n’appartient qu’au chef des prêtres, c’est-à-dire à l’évéque, de bénir les vierges ainsi que les voiles qui doivent couvrir leurs têtes sanctifiées. • Pour les moines, bien qu’ils appartiennent à la même profession, au même ordre, et qu’ils soient d’un sexe plus élevé, fussent-ils aussi purs, ils peuvent recevoir, chaque jour et des mains de leur abbé, la bénédiction pour eux-mêmes et pour leur habit, c’est-à-dire pour leur ca- puce ; les prêtres aussi et les clercs d’ordre secondaire peuvent être ordon- nés aux Quatre-Temps, et les évoques, tous les dimanches ; mais la cotisé- 208 ABjELARDI ET HELOISSJE EPISTOL^. clericos semper in jejuniis Quatuor Temporum, et episcopos omni die Domi- nico constat ordinari posse. Virginum autem consecratio quanto preliosior, tanto rarior, praecipuarum exultationem solemnitatum sibi vindicavit. De quarum virtute mirabili universa amplius congaudet Ecclesia, sicut et Psalmista pwedixerat his verbisl : « Adducentur regi virgines post eam. » Et rursum : « AiTerentur in laetitia et exultatione, adducentur in templum regis. » Quam etiam consecrationem Matthacus apostolus simul et evange- lista composuisse vel dictasse reiertur, sicut iu ejus passione legitur, ubi et ipse pro earum consecrationevel virginalis proposili defeiisione martyr occu- buisse memoratur. Nullam vero benedictionem vel clericorum vel mona- chorum Apostoli nobis scriptam reliquerunt. Quamm quoque religio sola ex nomine sanctitatis est insignita, quum ipss a sanctimonia, id est sanctitate, sanctimoniales sunt dictae. Quippe quo in- firmior est feminarum sexus, gratior est Deo atque perfectior earum virtus : juxta ipsius quoque Domini testimonium, quo infirmitatem Apostoli ad certaminis*coronam exhortans, ait9 : « Suflicit tibi gratia mea. Nam virtus in iufinnitate perficitur. » Qui etiam de corporis sui, quodest Ecclesia, membris per eumdem loquens Apostolum, ac si pracipue tara infirmorum membrorum honorem commen- daret, in eadem subjunxit epistola, hoc est ad Corinthios primas :« Sed multo magis quae videntur membra corporis infirmiora esse necessariora sunt ; et quaeputamus ignobiliora membra esse corporis, his abundantiorem honorem circumdamus : et quae inhonesta nostra sunt abundantiorem ho- nestatem habent. Honesta autem nostra nullius egent. Sed Deus temperavit corpus ei cui dederat abundantiorem tribuendo honorem,tit non sit schisma in corpore, sed in id ipsum pro invicem sollicita sint membra. » Quis autem adeo integre per diviuse gratisc dispensationem hacc in aliquo dixerit adim- pleri, sicut in ipsa muliebris sexus infirmitate, quem tam culpa quam na- tura contemptibilem fecerat ? Circumspice singulos in hoc sexu gradus, non solum virgines ac viduas, seu conjugatas, verum eliam ipsas scortorum abo- nimationes, et in eis Christi gratiam videbis ampliorem : ut juxta Donii- uicamet Apostolicam sententiam4 : « Sint novissimi nrinii, et primi novis- simi, » et : « ubi abundavit delictum, superabundet et gratia. > VI. Cujus quidem divinsegratiaebeneficia vel honorem feminis exhibita si ab ipso exordio mundi repetamus, reperiemus statim mulieris creationem qua- 1 Psalm., xliv. 15 et 16. — 9 Corinth., II, xu, 9. — > Corinth., I, nr, 22. — * Matlh., xi, 16. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 200 cration des vierges, d’autant plus précieuse qu’elle est plus rare, est réservée pour les allégresses des grandes solennités. L’Église entière tressaille de joie pour célébrer la vertu admirable des vierges, ainsi que le Psalmiste l’avait prédit en ces termes : « Des vierges seront amenées au Roi ; » et ensuite : « Elles lui seront présentées avec des transports de joie et d’allégresse ; elles seront amenées dans le temple du Roi. » On croit même que c’est l’apôtre et évangéliste saint Matthieu qui a composé on dicté le rituel de cette consécration, ainsi qu’on le lit dans les actes du martyre qu’il subit pour la défense de la virginité religieuse. Au contraire, sur la consécration des clercs et des moines, les Apôtres ne nous ont laissé aucune règle écrite. C’est aussi du nom de la sainteté que les religieuses ont reçu leur nom, puisque c’est du mot sanctimania, c’est-à-dire sainteté, qu’elles ont été appelées sanctimoniales^ ou saintes moinesses. En effet, le sexe des femmes étant plus faible, leur vertu est d’autant plus agréable à Dieu, d’autant plus parfaite, ainsi qu’en témoigne le Seigneur lui-même, en exhortant l’Apôtre à combattre pour la couronne. « Ma grâce vous suffit, dit-il ; car c’est dans la faiblesse que la vertu arrive à sa perfection. » C’est ainsi encore qu’en parlant, par la bouche du même Apôtre, des membres de son corps, c’est-à-dire de l’Église, il lui fait dire, dans cette même Épitre aux Corinthiens, comme s’il voulait recommander les égards pour les membres les plus faibles : a Les membres de notre corps qui nous paraissent les plus faibles sont les plus nécessaires, et ceux que nous regar- dons comme les moins nobles sont précisément ceux pour lesquels nous avons le plus de ménagements ; les parties les moins honnêtes sont les plus honnêtement traitées ; celles qui sont honnêtes n’ont besoin de rien. Dieu a disposé le corps de telle sorte, qu’on ait le plus d’égards pour les mem- bres les plus faibles, et qu’il n’y ait point de schisme dans le corps, mais que les membres conspirent mutuellement à s’aider les uns les autres. » Peut-on dire que la grâce divine ait dispensé ses trésors à qui que ce soit aussi largement qu’au sexe le plus faible, que le péché originel autant que sa nature avait rendu méprisable ? Examinez-en les divers états, considérez non-seulement les vierges, les veuves, les femmes mariées, mais encore celles qui vivent dans les abominations du libertinage, et vous trouverez en elles les plus larges dons de la grâce divine ; en sorte que, selon la parole de Jésus-Christ et de l’Apôtre ? « les derniers sont les premiers, et les premiers les derniers, et que là où il y a eu abondance de péché, il y a surabondance de grâce. » VI. Que si nous reprenons à l’origine du monde l’histoire des dons de la grâce divine chez les femmes et des égards dont elles ont été l’objet, nous verrons que sa création lui a constitué certains avantages de supériorité. Elle a été créée dans le Paradis, tandis que l’homme a été créé hors du Paradis ; 14 210 AB£LARDI ET HELOISS/B BPISTOLE. dam praecellere dignitate : quum ipsa scilicet in Paradiso vir extra creatus sit. Ut hinc praecipuae mulieres admoneaniur attendere, quam sit earum naturalis palria Paradisus, et quo amplius eas ccelibem Paradisi vitam sequi conveniat. Unde Ambrosius iu libro deParadiso : « Et apprehendit, inquit, Deus hominem quem fecit, et posuit eum in Paradiso. » Yides quoniam qui erat apprehenditur : in Paradiso eum collocavit. Adverte quia extra Para- disum vir factus est, et mulier intra Paradisum. In inferiori loco vir melior invenitur, et illa quae in meliore loco facta est inferior reperitur. Prius quoque Dominus Evam totius originem mali restauravit in Maria, quam Adam in Christo reparavit. Et sicut a muliere culpa, sic a mulierc coepit gratia, et virginitatis refloruit praerogativa. Ac prius in Anna et Maria viduis et virginibus sanctac professionis forma est exhibita, quam in Joanne vel Apostolis monasticse religionis exempla viris proposita. Quod si post Evam, Debborae, Judith, Esther virtutem intueamur, pro- fecto non mediocrem robori virilis sexus inferemus erubescentiam. Debbora quippe, Dominici judex populi, viris deficientibus , dimicavit, et devictis hostibus populoque Domini liberato, potenter triumphavit. Judith inermis cum Abra sua terribilem exercitum est aggressa, et unius Holoferni proprio ipsius giadio caput amputans, sola universos stravit hostes, et desperatum populum suum liberavit. Esther Spiritu latenter suggerente, contra ipsum etiani legis decretum gentili copulata regi, impiissimi Aman consilium, et crudele regis praevenit edictum, constitutamque negiee deliberationis sen- tentiam, quasi uno temporis momento, in contrarium convertit. Magnae ascribilur virtuti, quod David in funda et lapide Goliam aggressus est et devicit. Judith vidua ad hostilem procedit exercitum sine funda et lapide, sine omni adminiculo armaturae dimicatura. Esther solo verbo populum suum liberat, et conversa in hostes sententia, corrucrunt ipsi in laqueum quem tetenderant. Gujus quidem insignis facli memoria singulis annisapud Judaeos solemnem meruit habere ltctitiam ; quod ncquaquam aliqua viro- rum facta quantumcunque splendida obtinuerunt. Quis incomparabilem matris septem filiorum constantiam non miretur* quos una cum matre apprehensos, sicut Machaboeorum historia narrat» rex impiissimus Autiochus ad carnes porcinas contra legem edcndas nisus est frustra compellere ? Quae mater, suac immemor natorcr-, et humanae affectio* nis ignara, nec nisi Dominum prae oculis habens, quot sacris exhortationibus suis ad corbuam filios praemisit, tot ipsa martyriis triumphavit, proprio ad extremum martyrio consummata. Si totam Veteris Testamenti seriem revol* LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 311 ce qui doit rappeler aux femmes que le Paradis est leur patrie naturelle, et qu’elles doivent chercher dans le célibat une vie conforme à celle du Para- dis. C’est ce qui fait dire à saint Ambroise, dans son livre du Paradis : i Dieu prit l’homme qu’il avait fait et l’établit dans le Paradis. » Vous le voyez, il a pris celui qui était déjà, pour le placer dans le Paradis. Ainsi l’homme a été fait hors du Paradis, et la femme dans le Paradis. L’homme, qui a été créé dans un lieu moins noble, se trouve le meilleur, et la femme, qui a élé créée dans un Heu supérieur, se trouve la moins bonne. D’autre part, le Seigneur a racheté dans la personne de Marie la faute d’Eve, origine de tous les maux de ce monde, avant que celle d’Adam eût été réparée par Jésus-Christ. Et, de même que la faute, la grâce nous est venue par la femme, et les saints privilèges de la virginité ont refleuri. Déjà Anne et Marie avaient offert aux veuves et aux vierges le modèle de la pro- fession religieuse, quand Jean et les Apôtres donnèrent aux hommes des exemples de vie monastique. Que si, après Eve, nous considérons la vertu de Débora, de Judith et d’Esther, nous conviendrons qu’elle est pour le sexe fort un sujet de honte singulière. Débora, en effet, juge d’Israël au défaut des hommes, livra ba- taille, vainquit les ennemis, délivra le peuple de Dieu et remporta le plus complet des triomphes. Judith, sans armes, accompagnée d’une seule ser- vante, attaqua un ennemi terrible, trancha de son propre glaive la tète d’Holopherne, seule enfin, tailla en pièces une armée entière et délivra son peuple qui désespérait. Esther, par une inspiration secrète de l’Esprit-Saint, bien qu’unie contre la loi à un prince idolâtre, prévint le dessein de l’impie Aman et le cruel arrêt du roi, et, en moins d’un instant, pour ainsi dire, retourna contre son adversaire la sentence prononcée par la volonté royale. On regarde comme un prodige de valeur que David, avec une fronde et une pierre, ait attaqué et vaincu Goliath : Judith n’était qu’une veuve, et elle n’avait ni pierre, ni fronde, ni arme d’aucune sorte, quand elle marcha contre une armée ennemie pour la combattre. C’est par la parole seule qu’Esther délivra son peuple, et tournant contre ses ennemis le décret de proscription, les précipita dans le piège qu’ils avaient tendu : délivrance insigne, en sou- venir de laquelle les Juifs célèbrent tous les ans une fête solennelle, hon- neur que n’obtint aucun homme par ses actions, si éclatantes qu’elles aient été. Qui n’admirerait l’incomparable fermeté de la mère que, selon l’histoire des Machabées, l’impie Antiochus fil saisir avec ses sept enfants, et essaya vainement de contraindre à manger, contre la loi, de la chair de porc ? Cjtte mère, oubliant tous les sentiments de la nature et de l’humanité, pour ne plus voir que Dieu, après avoir glorieusement subi le martyre dans chacun de ses enfants que, par ses saintes exhortations, elle envoya devant elle à la couronne qui les attendait, consomma son propre martyre. Feuilletons tout 313 ABvELARDI ET HELOISSjE EPISTOLiE. vamus, quid hujus mulieris constantiae comparare poterimus ? Ille ad extre- mum vehemens tentator beati Job, imbecillitatem humanae nalurse contra mortem considerans1 : « Pellem, inquit, pro pelle, et universa dabit homo pro anima sua. » In tantum enim omues angustias mortis naturaliter hor- remus, ut saepe ad defensionem unius membri alterum opponamus, et prae vita hac cohservanda nulla vereamur incommoda. Haec vero non solum sua, sed propriam elfiliorum animas perdere sustinuit, ne unam legis incurreret offensam. Quae est ista, obsecro, ad quam compellebatur transgressio ? Nunquid abrenuntiare Deo, vel thurificare idolis cogebatur ? Nihil, inquam, ab eis exigebatur, nisi ut carnibus vescerentur, quas lex eis interdicebat. 0 fratres et commonachi, qui tam impudenter quotidie contra regulse insti- tutionem ac nostram professionem ad carnes inhiatis, quid ad hujus mu- lieris constantiam dicturi estis ? Nunquid tam inverecundi estis, ut quum haec auditis, erubescentia non coiifundamini ? Sciatis, fralres, quod de re- gina Austri Domiuus incredulis exprobrat, dicens * : « Regina Austri surget in judicio cum generatione ista, et condemnabit eam. » Multo amplius vo- bis de hujus mulieris constantia improperandum esse, quae et longe majora fecerit, et vos vestrae professionis voto religioni arctius adstricti estis. Cujus quidem tanto agone virtus examinata hoc in Ecclesia privilegium obtinere meruit, ut eju* martyrium solemnes lecliones atque missam habeat, quod nulli antiquorum sanctorum concessum est, quicunque scilicet adventnm Domini moriendo prsevenerunt : quamvis in ipsa Machabaeorum historia Eleazarus ille venerabilis senex unus de primoribus scribarum eadem causa martyrio jam coronatus fuisse referatur. Sed quia, ut diximus, quo natura- liter femineus sexus est infirmior, eo virtus est Deo acceptabilior, et honore dignior : nequaquam martyrium illud in festivitate memoriam meruit, cui femina non interfuit, quasi pro magno non habeatur, si fortior sexus for- tiora patiatur. Unde et in laude praedictae feminae amplius Scriptura pro- rumpens, ait*r« Supra modum autem mater mirabilis et bonorum memoria digna, quse pereuntes septem filios sub unius diei tempore conspiciens, bono animo fereoat propter spem, quara in Domino habebat, singulos illo- rum hortabatur fortiter, repleta sapientia, et femineae cogitationi masculi- num aniiniini mserens. » Quis in laudem virginum vineam illam Jephte filiam assumi non ceu- seat ? quae, ne voti licet improvidi reus pater haberetur, et divinae gratiae beneficium promissa fraudaretur hostia, victorem patrem in jugulum pro- prium animavii. Quid hax, qusso, in agone martyrum factura esset, si ’ Job, n, 4. — ■ Matth., xu, 45. — » Machab., II, ti, 18 et 21. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 913 l’Ancien Testament : que trouvons-nous qui puisse être rapproché de la fer- meté de cette femme ? Le démon, après avoir épuisé toutes ses violentes tentations contre le saint homme Job, connaissant la faiblesse de la nature humaine aux approches de la mort, dit : « L’homme donnera la peau d’au- trui pour conserver la sienne, et tout ce qu’il possède pouf sauver sa vie. » En effet, l’horreur naturelle que nous inspirent les suprêmes angoisses de la mort est si vive, que souvent nous sacrifions un membre pour sauver l’autre, et qu’au prix de la vie il n’est pas de mal que nous appréhendions. Et cette mère a eu le courage de livrer non-seulement tout ce qu’elle avait, mais sa vie et celle de ses enfants, pour ne pas violer un point de la loi. Et quel point, je vous prie ? Voulait-on la contraindre de renoncer à Dieu, ou de sacrifier aux idoles ? Non ; il s’agissait de manger des viandes dont la loi interdisait l’usage. 0 mes frères, ô vous qui avez embrassé la vie monasti- que, vous qui, tous les jours, transgressant sans pudeur les statuts de la règle et les vœux de notre profession, aspirez après ces viandes qu’ils vous défendent, que direz-vous de la fermeté de cette femme ? Avez-vous si bien perdu toute vergogne qu’un tel exemple ne vous pénètre pas de confusion ? Sachez, mes frères, le reproche que le Seigneur fait aux incrédules en par- lant de la reine du Midi : « La reine du Midi se lèvera, au jour du juge- ment , contre cette génération et la condamnera. » La fermeté de cette femme déposera contre vous d’autant plus haut, que ce qu’elle a fait est plus grand, et que les vœux qui vous enchaînent à la règle sont plus étroits. Aussi a-t-elle mérité que l’Église instituât une messe et des prières commé- moratives en l’honneur de la lutte que son courage a soutenu : privilège qui n’a été accordé à aucun des saints antérieurs à la venue du Seigneur, bien que, suivant la même histoire, Éléazar, ce vénérable vieillard, un des premiers scribes de la loi, eût déjà, pour la même cause, obtenu les palmes du martyre. Mais nous l’avons dit : plus le sexe de la femme est faible, plus sa vertu est agréable à Dieu, plus elle est digne de récompense ; et le martyre du pontife, auquel aucune femme ne participa, n’a point obtenu les honneurs d’une fête spéciale, parce que l’on ne s’étonne pas que le sexe le plus fort ait à subir les plus fortes épreuves. Aussi l’Écriture dit-elle, se répandant en louanges sur cette femme : c Cependant cette mère admira- ble au-dessus de toute mesure, et digne de l’éternel souvenir des fidèles, cette mère, qui vit périr ses sept fils en un même jour, supportait leur mort avec calme, à cause de l’espérance qu’elle avait en Dieu ; elle les en- courageait virilement les uns après les autres, remplie de l’esprit de la sa- gesse et alliant à la tendresse de la femme un mâle courage. » lia fille de Jephté ne suffirait-elle pas seule à l’honneur des vierges, elle qui, pour que son père ne fût pas coupable d’avoir manqué a un vœu même irréfléchi, pour que la victime promise acquittât le don de la grâce divine, l’excita elle-même, après la victoire, à lui percer le sein ? Qu’aurait-elle donc fait dans l’arène du martyre, si les infidèles avaient voulu la contrain- 214 ABjELARDI ET HELOISSJE EPISTOLB. forte ab infidelibus negando Deum apostatare cogeretur ? Nunquid interro- gaU de Christo cum illo jam Apostolorum principe diceret : « Non novi illum ? » Dimissa per duos menses a patre libera, his completis redit ad patrem occidenda. Sponte morti se ingerit, et eam magis provocat quam vcretur. Stultum patris plectitur votum, et paternum redimit mandatum, amatrix maxima veritatis. Quantum hunc in se lapsum abhorreret, quem in patre non sustinet ! Quantus hic est virginis fervor Um in carnalem quam in ccelestem patrem ! Quse simul morte sua et hunc a mendacio liberare, et illi promissum decrevit conservare. Unde merito UnU haec puellaris animi fortitudo praerogativa quadam id meruit obtinere, ut, per annos singulos, filiae Israel, in unum convenientes, quasi quibusdam solemnibus hymnis festivas virginis agant exequias, et de passione virginis compuncue piis planctibus compatiantur. Ut autem csetera omnia praetermitUmus, quid tam necessarium nostrae redemptioni, et totius mundi saluti fuerit, quam sexus femineus, qui nobis ipsum peperit Salvatorem ? Cujus quidem honoris singulariUtem mulier illa, quae prima irrumpere ausa est ad beatum Hilarionem, illi admiranti opponebat, dicens : « Quid avertis oculos ? Quid rogantem fugis ? Noli me mulierem aspicere, sed miseram. Hic sexus genuit Salvatorem. » Quae gloria huic poterit comparari, quam in Domini matre adeptus est sexus iste ? Posset utique si vellet Redcmptor noster de viro corpus assu- mere, sicut primam feminam de corpore viri voluit formare. Sed hanc suae humilitatis singularem gratiam ad infirmioris sexus traustulit liono- rem. Posset et alia parte muliebris corporis digniore nasci quam caeteri homines, eadem qua concipiunlur vilissima porlione nascentes. Sed ad incomparabilem infirmioris corporis honorem longe amplius ortu suo consecravit ejus geniUle quam viri fecerat ex circumcisione. Atque ut hunc singularem virginum nunc omittam honorem, libet ad cseteras quoque feminas, sicut proposuimus, stylum convertere. Attende iUque quantam sUtim gratiam adventus Christi Elisabeth con- jugatae, quantara exhibuit Annae viduae. Virum Elisabeth Zachariam mag- num Domini saccrdotem increduliUtis difiidentia mutum adhuc tenebat, dum in adventu et salutatione Mariae, ipsa mox Elisabelh, Spiritu sancto repleta, et exultantem in utero suo parvulum sensit, et prophetiam jam de ipso completo Mariae conceptu prima proferens, plus quam prophela extitit. Praescntem quippe illico virginis conceptum nunciavit, et ipsam Doinini Matrem ad magnificandum super hoc ipso Dominum concitavit. Excellen- tius autem prophetiae donum in Elisabeth videtur completum, conceptum LETTRES D’ÀBÉLÀRD ET DHÉLOlSE. 215 dre a renier Dieu et à abjurer sa foi ? Interrogée au sujet du Christ avec le chef des Apôtres, aurait-elle répondu comme lui : « Je ne connais pas cet homme ? » Laissée libre par son père pendant deux mois, elle revint vers son père, à l’expiration du délai, s’offrir au sacrifice. Elle va au-devant de la mort, elle vient la chercher, loin de la craindre. Elle paye de sa vie le vœu insensé de son père, elle le dégage de sa parole au prix de son sang, par respect pour la vérité. Quelle horreur n’eùt-elle pas eu elle- même pour le parjure, elle qui n’en peut supporter la pensée chez son père ? Quelle n’était pas l’ardeur virginale de son amour pour son père charnel et pour son père spirituel ! Par sa mort, en même temps qu’elle épargne à l’un le parjure, elle satisfait à la promesse faite à l’autre. Aussi cette grandeur de courage dans une jeune fille a-t-elle mérité, par excep- tion, que chaque année, les filles d’Israël, se rassemblant en un même lieu, célèbrent ses funérailles par des hymnes solennels, et versent de pieuses larmes de commisération sur le sacrifice de l’innocente victime. Sans nous arrêter à d’autres exemples, qu’y a-t-il eu de plus nécessaire à notre rédemption et au salut du monde entier que le sexe féminin, qui a donné le jour au Sauveur ? C’est cet insigne honneur que la femme, qui la première osa forcer la tente de saint Ililarion, opposait à sa surprise : f Pourquoi détourner les yeux ? dit-elle ; pourquoi éviter ma prière ? ne songez pas que je suis femme, mais que je suis malheureuse : c’est mou sexe qui a donné le jour au Sauveur. » c Est-il une gloire comparable à celle que /e sexe a acquis dans la per- sonne de la Mère du Seigneur ? Le Rédempteur aurait pu, s’il l’eût voulu, naître d’un homme, lui qui a formé la femme du corps de l’homme ; mais il a voulu faire tourner à l’honneur du sexe le plus faible la gloire insigne de sa propre humilité. 11 aurait pu, pour nattre, choisir dans la femme une partie plus noble que celle qui sert à la fois à la conception et à l’enfante- ment des autres hommes ; mais, pour la gloire incomparable du sexe le plus faible, il a ennobli l’organe générateur de la femme par sa naissance, bien plus qu’il n’avait fait celui de l’homme par la circoncision. Et maintenant, laissons la dignité particulière des vierges, et passons à d’autres femmes, suivant le plan que j’ai annoncé. Voyez la grandeur de la grâce que la venue du Christ a aussitôt répan- due sur Elisabeth, qui était mariée, et sur Anne, qui était veuve. Zacharie, mari d’Elisabeth et grand-prêtre du Seigneur, n’avait pas encore recouvré la parole que son incrédulité lui avait fait perdre, quand, a l’arrivée et à la salutation de Marie, Elisabeth, remplie de l’esprit de Dieu, et ayant senti son enfant tressaillir dans son sein, prophétisa la première que Marie avait conçu et devint ainsi plus que prophète. Elle l’annonça sur-le-champ et engagea la Mère du Seigneur à remercier Dieu des grâces dont il la com- blait. Le don de prophétie ne paralt-il pas plus accompli dans Elisabeth, qui a connu aussitôt la conception du Fils de Dieu, que dans saint Jean qui 216 AB£LARDI ET HELOISSvE EPISTOUE. statim Dei filium agnoscere, quam in Joanne ipsum jamdudum natum ostendere. Sicut igitur Mariam Magdalenam Apostolorum dicimus Aposto- lam, sic nec istam Prophetarum dicere dubitemus Prophetam, sive ipsam beatam viduam Annam, de qua supra latius actum est. VII. Quod si hanc prophetiae gratiam usque ad gentiles etiam extendamus, Sibylla vates in medium procedat, et quae ei de Christo revelata sunt pro- ferat. Cum qua si miiversos conferamus prophetas, ipsum etiam Esaiam, qui, ut Hieronymus asserit, non tam propheta quam evangelista dicendus est ; videbimus in hac quoque gratia feminam viris longe prastare. De qua Augustinus, contra haereses testimonium proferens, aitl : « Audiamus quid etiam Sibylla, vates eorum, de eodem dicat : « Alium, inquit, dedit Domi- « nus hominibus fidelibus colendum. » ltem : « Ipse tuum cognosce Do- « minum Dei filium esse. » Alio loco Filium Dei symbolum appellat, id est consiliarium. Et propheta dicil : « Yocabunt nomen ejus : mirabilis, consi- liarius. » De qua rursus idem pater Augustinus in XVIII de Civitate Dei : « Eo, » inquit, « tempore nonnulli sibyllam Erythraeam vaticinatam ferunt (quam quidam magis credunt esse Cumanam). Et sunt ejus viginti et sep- tem versus ; qui, sicut eos quidam Latinis versibus est interpretatus, hoc continent : ’ Judicii signum, tellus sudore madescet. E coelo rex adveniet per secla futurus, Scilicet in carne pnesens, ut judicet orbem. Quorum quidem versuum primaB littene in graeco conjunctae, id sonant : Jesus Christus, Filius Dei, Salvator. » Infert etiam Lactantius quaedam de Christo vaticinia Sibyllae. « In ma- nus, » inquit*, « infidelium postea veniet. Dabunt Deo alapas manibus incestis, et impurato ore expuent venenatos sputos. Dabit vero ad verbera suppliciter sauctum dorsum, et colaphos accipiens tacebit, ne quis agnos- cat quod Verbum vel unde venerit inferis loquatur, et spinea corona coro- nabitur. Ad cibum autem fel, et ad sitim acetum dederunt. In hospita- litatem hanc monstrabunt mensam. Ipsa enim insipiens gens, tuum Deum non intellexisti laudandum mortalium mentibus, sed spinis coronasti, fel miscuisti. Templi velum scindetur, et in mcdio die nox erit tribus horis, et morietur, tribus diebus somno suscepto, et tunc ab inferis regressus ad lucem veniet, primus resurrectionis principio ostensus. » Hoc profecto Sibyllae vaticinium, ni fallor, maximus ille pbetarum nostrorum, Virgilius audierat atque attenderat, quum, in IV ecloga, lu- Advers. hseretic, m. — * Institul. dir., rr, 18. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 217 ne l’annonça que longtemps après sa naissance ? J’ai appelé Marie-Made- leine l’apôtre des Apôtres ; je n’hésiterais pas à appeler de même Elisabeth le prophète des prophètes, elle ou cette bienheureuse veuve, Anne, dont j’ai déjà longuement parlé. VU. Que si nous examinons jusque chez les Gentils ce don de prophétie, que la Sibylle paraisse ici la première et qu’elle nous dise ce qui lui a été ré- vélé au sujet de Jésus-Christ. Si nous comparons avec elle tous les prophètes etlsaïe lui-même, lequel, selon saint Jérôme, est moins un prophète qu’un évangéliste, nous verrons encore dans cette grâce la prééminence des femmes sur les hommes. Saint Augustin, invoquant son témoignage contre les héréti- ques, dit : « Écoutons ce que dit la Sibylle, leur prophétesse, au sujet de Jésus-Christ : € Le Seigneur, dit-elle, a donné aux hommes fidèles un autre f Dieu à adorer ; » et ailleurs : a Reconnaissez-le pour votre Seigneur, pour t le Fils de Dieu. » Dans un autre endroit, elle appelle le Fils de Dieu sym- bolon, c’est-à-dire conseiller. Et le prophète dit : « Ils l’appelleront l’ad- mirable, le conseiller. » Dans le XVIIIe livre de la Cité de Dieu, saint Au- gustin écrit encore : « Quelques-uns rapportent que, dès ce temps-là, la Sibylle d’Erythrée, d’autres disent la Sibylle de Cumes, avait fait une pré- diction en vingt-sept vers, qui ont été traduits en latin et qui contiennent ce passage : — En signe de jugement, la terre se mouillera de sueur ; un Roi qui doit vivre dans tous les siècles descendra du ciel, revêtu de chair, pour juger l’univers. — Et en réunissant les premières lettres de chaque vers grçec, on trouve : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur. » Lactance cite aussi plusieurs prophéties de la Sibylle au sujet de Jésus- Christ, a II tombera ensuite, dit-elle, entre les mains des infidèles ; de leurs mains sacrilèges, ils donneront à Dieu des soufflets, de leur bouche impure, ils lui cracheront des crachats empoisonnés. Et lui, il tendra humblement ses épaules sacrées à leurs coups ; il recevra en silence leurs soufflets, de peur qu’on ne reconnaisse le Verbe et que l’enfer ne l’apprenne. Ils le couronneront d’épines. Pour nourriture, ils lui donneront du fiel ; pour boisson, du vinaigre : telle sera la table de leur hospitalité. Nation insensée ! tu n’as pas compris que ton Dieu méritait les hommages de toute la terre, et tu l’as couronné d’épines, tu as mêlé pour lui le fiel et le vi- naigre. Le voile du temple se déchirera, et, au milieu du jour, la nuit couvrira la terre pendant trois heures ; il mourra, et après trois jours de sommeil, sortant des enfers, il apparaîtra à la lumière pour montrer aux hommes le principe de la résurrection. » Virgile, le plus grand de nos poètes, connaissait, sans doute, et avait mé- dité cet oracle de la Sibylle, quand, dans sa IV* églogue, il prédit, sous le règne de César-Auguste et le consulat de Pollion, la naissance miraculeuse 218 ABjELARDI ET HELOISSjE EPISTOUE. turum in proximo sub Augusto Caesare tempore consulatus Pollionis mi- rabilem cujusdam pueri de ccelo ad terras mittendi, qui etiam peocata mundi tolleret, et quasi seculum novum in mundo mirabiliter ordinaret, praecineret ortum : admonitus, ut ipsemet ait, Cumaei carminis vaticinio, hoc est Sibyllae, quae Cumana dicilur. Ait quippe sic, quasi adhortans quos- libet ad congratulandum sibi, et concinendum seu scribendum de hoc tanto puero nascituro, in comparatione cujus omnes alias materias quasi infimas et viles reputat dicens * : Sicelides Muse, paulo majora canamus ; Non omncs arbusta juvant humilesque myricie. Uitima Gunue venit jam carminis «etas ; Magnus ab integro seclorum nascitur ordo : Jam redit ct Virgo, redeunt Saturnia regna, Jam nora progenies ccelo demittitur alto, etc. Inspice singula Sibyllae dicta, et quam integre et aperle Christianae fidei de Christo summam complcctatur. Quae nec divinitatem ejus, nec humanita- tem, nec utrumque ipsius.adventum, nec utrumque judicium prophetando vel scribendo praetermisit, primum quidem judicium, quo injuste judica- tus est in passione, et secundum quo juste judicaturus est mundum in ma- jestate. Quae nec descensum ejus ad inferos, nec resurrectionis gloriam pra> termittens, non solum prophetas, verum etiam ipsos supergressa videtur evangelistas, qui de hoc ejus descensu minime scripserunt. VIII. Quis non cliam illud tam familiare prolixumque colloquitim miretur, quo ipse solus solam illam gentilem et Samaritanam mulierem tam diligen- ter dignatus est instruere, de quo et ipsi vehementer obstupuerunt Apostoli * ? A quaetiam iufidcli et virorum suorum multitudine reprehensa, potum ipse voluit postulare, quem nihil ulterius alimenti ab aliquo novimus requisisse. Superveniunt Apostoli, etemptosei cibos oflerunt, dicentes : « Rabbi, man- duca ; » nec oblatos suscipi videmus, sed hoc quasi in excusationem ipsum prsetendisse : « Ego cibum habeo manducarc, quem vos riescitis. » Potum ipse a muliere postulat. A quo se illa excusans beneficio :« Quomodo, » in- quit, « tu Judaeus quum sis, bibere a me poscis, quae sum mulier Samari- tana ? Nonenim confunduntur Judaei Samaritanis.»Et iterum : « Neque in quo baurias babes, et puteus altus est. » Potum itaquc a muliere infideli, et id negante, desiderat, qui oblatos ab Apostolis cibos non curat. Quae est ista, quaeso, gratia, quam exhibet infirmo sexui, ut videlicet a muliere hac postulet aquam, qui omnibus tribuitvitam ?Quae, iuquam, nisi ut patenter insinuet tanta sibi mulierum virtutem esse gratiorem, quanto earum natu- ram esse constat infirmiorem ; et se tanto amplius earum salutem deside- 1 Eglog., tv, 1. — * Joan., it, 6 et fuiv. LETTRES D’ABÉURD ET D’HÉLOlSE. 249 d’un enfant envoyé du ciel sur la terre pour effacer les péchés du monde entier et ouvrir aux hommes une ère pleine de merveilles ; il le dit lui- même, il avait été éclairé à ce sujet par l’oracle de Cumes, c’est-à-dire par la Sibylle. Et il semble, par ces vers, convier les hommes à se réjouir, à chanter et à écrire sur la naissance future de ce sublime enfant ; auprès de ce fait, tous les autres sujets lui paraissent faibles et grossiers : « Muses de Sicile, dit-il, élevons un peu le sujet de nos chants ; les arbrisseaux et l’hum- ble bruyère ne plaisent pas à tout le monde. Voici que sont arrivés les temps prédits par l’oracle de Cumes ; les siècles vont se dérouler dans un ordre nouveau. Déjà reviennent et la Vierge et le règne de Saturne. Déjà une race nouvelle descend du haut des cieux. * Pesez toutes les paroles de la Si- bylle : quel résumé clair et complet de ce que la foi chrétienne doit croire de Jésus-Christ ! Elle n’a rien oublié, ni sa 4ivinité, ni son humilité, ni sa venue pour les deux jugements ; le premier- par lequel il a été injustement condamné aux tourments de la passion, le second par lequel il viendra dans sa majesté juger le monde suivant les lois de la justice. Elle fait men- tion et de sa descente aux enfers et de la gloire de sa résurrection ; et eu cela, elle s’élève au-dessus des prophètes, que dis-je ? au-dessus des évangé- listes eux-mêmes, qui, de la descente aux enfers ne disent presque rien. VIII. Peut-on ne pas admirer l’entretien aussi familier qu’étendu dftnt Jésus- Christ daigna seul à seule honorer la Samaritaine, une païenne, avec tant de bonne grâce que les Apôtres eux-mêmes n’en retenaient point leur étonne- ment ? Après l’avoir réprimandée sur son aveuglement et sur la multitude de ses amants, il voulut lui demander à boire, lui qui, nous le savons, ne demanda jamais d’aliments à personne. Les Apôtres se présentent aussitôt et lui offrent des vivres qu’ils viennent d’acheter. Maître, mangez, disent- ils. Mais, nous le voyons, il refuse, en leur disant, pour les remercier de leur service : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas. » Il demande à boire à cette femme, et celle-ci décline une telle faveur. « Comment, vous qui êtes Juif, dit-elle, me demandez-vous à boire, à moi qui suis Samaritaine ? les Juifs n’ont pas commerce avec les Samaritains ; vous n’avez rien, d’ailleurs, ajoute-elle, pour puiser de l’eau, et le puits est profond. » Ainsi il demande à boire à une femme infidèle qui lui eu refuse, et il ne se soucie pas des aliments que lui offrent ses apôtres. Quelle grâce témoignée au sexe faible, je vous prie, que de demander de l’eau à cette femme, lui qui donne la vie à tout le monde ! Quel est le but de cette leçon, si ce n’est de montrer que la vertu des femmes lui est d’autant plus agréable que leur nature est plus faible, et qu’il a d’autant plus soif de leur salut que leur vertu est plus admirable ? Aussi, quand il demande à boire à une femme, 230 ABjELARDI ET HBLOISSiE EPISTOUE. rando sitire, quanto mirabiliorem earum virtulem constat esse ? Unde et quum a femina potum postulat, huic praecipue siti suaeper salutem femina- rum satisfieri velle se insinuat. Quem potum etiam cibum vocans : « Ego, » inquit, « cibum habeo manducare quem vos nescitis. » Quem postmodum exponens cibum, adjungit :« Meus cibus est, ut faciam voluntatem Patris mei, » banc videlicet quasi singularem sui Patris voluntatem esse innuens, ubi de salute agitur infirmioris sexus. Legimus et familiare colloquium cum Nicodemo, illo Judseorum principc. Dominum habuisse, quo illum quoque ad se occulte venientem de salute sua ipse instruxerit, sed illius colloquii non tantum tunc fructum esse consecu- tum. Hanc quippe Samaritanam et spiritu propbetiae repletam esse tunc constat, quo videlicet Christum et ad Judsos jam venisse, et ad gentes ven- turum esse professa est, quum dixerit1 : « Scio quia Messias venit quidici- tur Christus. Quum ergo venerit, ille nobis annuntiabit omnia, » et mul- tos ex civitate illa propter verbum mulieris ad Christum cucurrisse, et in eum credidisse, et ipsum duobus diebus apud se retinuisse, qui tamen alibi discipulisait1 : « ln viam gentium ne abieritis, et in civitate Samaritanaeo- rum ne intraveritis. » Refert alibi idem Joannes quosdam ex gentilibus, qui ascenderant Hiero- solymam ut adorarent in die festo, per Pbilippum et Andream Christo nun- tiasse, quod eum vellent videre. Non tamen eos esse admissos commemorat, nec illis postulantibus tantam Christi copiam esse concessam, quantam huic Samaritans nequaquam id petenti. A qua ejus in gentibus praedicatio coe- pisse videtur, quam non solum convertit ; sed per eam, ut dictum est, multos acquisivit. llluminati statim per stellam Magi, et ad Christum conversi, multos exhortatione sua vel doctrina ad eum traxisse referuntur ; scd soli accessisse. Ex quo etiam liquet quantam a Christo gratiam in gentibus mulier sit adepta, quae prsecurrens, et civitati nuntians ejus adventum, et quae audierat pnedicans, tam propere ipsa multos de populo suo esl lucrata. Quod si Veteris Testamenti vel Evangelics scriplurae paginas revolvamus, summa illa de resuscitatis mortuis beneficia divinam gratiam feminis prse- cipue videbimus impendisse, nec nisi ipsis vel de ipsis haec miracula facta fuisse. Primo quippe per Eliam et Elisaeum ad intercessionem matrum filios ipsarum resuscitatos et eis redditos esse legimus. Et Dominus ipse viduae cujusdam filium suum, et archisynagogi filiam, et rogatu sororum Lazarum resuscitans, hoc immensi miraculi beneficium maxime feminis impendit. Unde illud est Apostoli ad Hebraeos scribentis’ : « Acceperunt mu- « j«n., nr, ». — » Mttth., x, 5. — * Hebr., n, 35. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 221 fait-il entendre que ce qu’il veut surtout, c’est qu’elle étanche sa soif pour le salut des femmes. Il appelle cette boisson nourriture. J’ai à manger, dit-il, une nourriture que vous ne connaissez pas, et il donne l’explication de cette nourriture, en disant : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de mon Père, i désignant par là que la volonté particulière de son Père, c’est de travailler au salut du sexe le plus faible. Nous lisons dans la sainte Écriture que le Seigneur eut aussi un entretien familier avec Nicodème, le chef des Juifs, qu’il le reçut même secrètement et qu’il l’éclaira sur son salut ; mais Nicodème n’en recueillit pas sur-le- champ un si grand fruit. La Samaritaine, au contraire, fut aussitôt remplie du don de prophétie, et elle annonça la venue du Christ non-seulement chez les Juifs, mais chez les Gentils, eu disant : « Je sais que le Messie qui s’appelle Christ, va venir, et lorsqu’il sera venu, il nous annoncera tout. » Et, sur ces paroles, nombre de personnes coururent vers le Christ, crurent en lui et le retinrent deux jours, lui qui, cependant, dit ailleurs à ses disciples : « Éloignez-vous de la voie des Gentils, n’entrez pas dans la ville des Samaritains. » Saint Jean rapporte bien que Philippe et André annoncèrent à Jésus-Christ que plusieurs Gentils, qui étaient montés à Jérusalem pour célébrer un jour de fête, désiraient le voir ; mais il ne dit pas qu’il les ait reçus ni qu’il leur ait accordé, sur leur prière, une grâce aussi considérable que celle qu’il a faite à la Samaritaine, qui ne demandait rien de pareil. C’est par elle qu’il commence sa prédication chez les Gentils ; non-seulement il la convertit elle-même, mais, par elle, il gagne une foule de prosélytes. Les Mages, à peine éclairés par l’étoile et convertis, attirèrent à Jésus-Christ, dit-on, un grand nombre d’hommes par leur enseignement et leurs exhor- tations ; mais seuls ils l’approchèrent. Quelle autorité Jésus-Christ ne donna- t-il donc pas à la Samaritaine parmi les Gentils, à la Samaritaine qui annonça sa venue, et, préchant ce qu’elle avait entendu, fit en si peu de temps, dans ceux de son peuple, une si riche moisson ! Feuilletons l’Ancien Testament et l’Évangile ; nous trouverons que les grâces de résurrection les plus éclatantes ont été accordées à des femmes, et que les miracles ont été accomplis sinon pour elles, au moins sur leur prière. Élie et Elisée ressuscitèrent des enfants à la sollicitation de leur mère ; et c’est à des femmes que le Seigneur lui-même, en ressuscitant le fils d’une veuve, la (ille du chef de la synagogue et Lazare, sur la demande de ses sœurs, a fait la faveur de ce grand miracle. Aussi l’Apôtre, dans sou Épilre aux Hébreux, dit-il : « Les femmes ont recouvré leurs morts par la résurrection. » En effet, celte jeune fille ressuscitée recouvra sou propre corps, et les autres femmes eurent la consolation de voir revivre 382 AMUUtDI ET HELOKSJE EPISTOLE. lieres de resurrectione mortuos suos. » Nam et puella suscitata mortuum recepit corpus, et csetera feminae in consolationem sui, quos plangebant mortuos, receperunt suscitatos. Ex quo etiam liquet, quantam semper fe- minis exbibuerit gratiam, quas tam sua quam suorum resuscitatione primo lajtificans, novissime quoque ipse propria resurrectione eas plurimum ex- tulit, quibus, ut dictum est, primum apparuit : quod eliam hic sexus in populo persequente, quodam erga Dominum naturali compassionis aflectu, visus est promereri. Ut enim Lucas meminit, quum eum viri ad crucifigen- dum ducerent, feminoe ipsorum sequebantur, plangentes ipsum atque lamen- tantes. Quibus ipse conversus, et quas pietatis hujus vices in ipso statim passionis ftrticulo misericorditer eis referens, futurum, ut cavere queant, pradicit exitum. a Filiae, » inquit1, « Hierusalem, nolite flere super me,sed super vos ipsas flete et super filios vestros ; quia ecce venient dies, in qui- bus dicent : beatae steriles, et ventres qui non genueruntl » Ad cujus etiam liberationem iniquissimi judicis uxorem antea fideliter laborasse Matthaeus commemorat, dicens1 : « Sedenteautem illo pro tribu- nali misit ad illum uxor ejus dicens : nihil tibi et justo illi. Multa enini passa sum bodie per visum propter eum. »Quo etiam praedicante, solam fe- minam de tota turba in tantam ejus laudem legimusextulisse vocem, ut bea- tum exclamaret uterum qui eum portaverit, et ubera quae suxerit ! A quo et statim piam confessionis suae, licet verissimae, correctionem merigit audire, ipso confestim ei respondente* : « Quin imo beati qui audiunt verbum Dei, et custodiunt illud ! » Solus Joannes inter apostolos Christi hoc privilegium amoris obtinuit, ut dilectus Domini vocaretur. De Martha autem et Maria ipsc scribit Joannes, « quia diligebat Jesus Martham, et sororem ejus Mariam et Laza- rum4. » Ipse idem Apostolus, qui ex privilegio, ut dictum est, amoris, se unum a Domino dilectum esse commemorat, hoc ipso privilegio, quod nulli aliorum ascripsit Apostolorum, feminas insignivit. In quo eliam houore, etsi fratrem earum ipsis aggregaret, eas tamen illi praeposuit, quas iu amore praecellere credidit. Libet denique. ut ad fideles seu Ghristianas redeamus feminas, diviuae respectum misericordiae in ipsa etiam publicorum abjectione scortorum et stupendo praedicare, et prsedicando stupere. Quid est abjectius quam Maria Magdalena vel Maria iilgyptiaca secundum vitae statum prislinae, quas vero postmodum vel honore vel merito divina amplius gratia sublimavit ? Illam quidem quasi in Apostolico permanentem coenobio, ut jam supra comme- Luc, xxiii, 28 et 29. — ■ llatth ;, xxvn, 19. — » Luc, u, 28. — * Joau., u, 5. LETTRES D’ABÉURD ET D’HÊLOÏSE. 223 ceux dont elles pleuraient la mort. Ce qui prouve encore quelle grâce le Seigneur a toujours accordée aux femmes : il les comble de joie d’abord, en les ressuscitant elles-mêmes, elles et ceux qui leur étaient chers, puis il les rend les premières, par un insigne privilège, témoins de sa propre résur- rection. Ce privilège, les femmes l’ont mérité peut-être par la tendresse de la compassion qu’elles témoignèrent au Seigneur, au milieu d’un peuple de persécuteurs. Car, ainsi que Luc le rappelle, tandis que les hommes le con- duisaient pour le crucifier, les femmes le suivaient, pleurant sur son sort et se lamentant. Et lui, se retournant vers elles, et comme si, à l’article de la mort, il eût voulu reconnaître leur pieux dévouement par sa miséri- corde, il leur prédit les malheurs de l’avenir, afin qu’elles pussent s’en ga- rantir. « Filles de Jérusalem, dit-il, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous et sur vos lils ; car voici que les jours viendront dans lesquels on dira : heureuses les femmes stériles, heureuses les entrailles qui n’ont point enfanté ! » Saint Mathieu rapporte que la femme du juge inique qui l’avait condamné s’était employée avec zèle à le délivrer. « Tandis qu’il siégeait sur son tri- bunal, sa femme envoya lui dire : ne vous mêlez en rien de l’affaire de ce juste, car j’ai été aujourd’hui étrangement tourmentée par une vision à cause de lui. » C’est encore une femme qui, tandis qu’il prêchait, seule, du milieu de la foule, éleva la voix pour entonner sa louange et s’écrier : « Bienheureux le sein qui l’a porté, bienheureuses les mamelles qui l’ont nourri ! » Par quoi elle mérita que, blâmant doucement ce pieux élan de foi, bien qu’il fût fondé sur une vérité, il répondit aussitôt : « Dites plutôt : bienheureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent fidèlement ! » Seul, entre tous ses Apôtres, saint Jean obtint le privilège d’être appelé le bien-aimé. Et ce même Jean dit de Marthe et de Marie : « Jésus chéris- sait Marthe, Marie, sa sœur, et Lazare. » Le même Apôtre, qui seul jouitdu privilège d’être le bien-aimé du Seigneur, ainsi qu’il le rappelle, accorde à des femmes l’honneur de ce même privilège qu’il ne reconnaît à aucun autre Apôtre. Et s’il y associe le frère de ces femmes, il les nomme avant lui, comme étant les premières dans l’amour du Seigneur. Je veux, revenant aux femmes chrétiennes, publier en admirant et admirer en publiant les effets que la miséricorde divine a accomplis jusque dans des filles publiquement vouées à la prostitution. Esl-il rien de plus abject que la conduite de Marie-Madeleine et de Marthe l’Égyptienne dans leur première vie ? et en est-il que la grâce divine ait élevées, après leur conversion, à un plus haut degré d’honneur et de mérite ? L’une, nous l’avons dit, ne quitte plus la communauté des Apôtres ; l’autre, ainsi qu’il est écrit, déploie une vertu surhumaine dans les épreuves des anachorètes ; en sorte que le courage 224 ABiELARDI ET HELOISSjE EPISTOUE. moravimus : hanc vero, ut scriptum est, supra humanam virtutem anacho- retarum agone dimicantera, ut in utrorumque monachorum proposito sanc- tarum virtus feminarum praeemineat, et illud quod incredulis Dominus ait1 : « Meretrices praecedent vos in regnum Dei, » ipsis etiam fidelibus viris im- properandum videatur, et secundum sexuum seu vitae diiferentiam fiant no- vissimi primi, et primi novissimi. Quis denique ignoret feminas exhortationem Christi et consilium Apos- toli tauto castimoniae zelo esse complexas, ut pro conservanda carnis pariter ac mentis integritate, Deo sc per martyrium offerrent holocaustum, et ge- mina triumphantes corona, agnum sponsum virginum quocunque ierit sequi studerent ? Quam quidem virtutis perfectionem raram in viris, cre- bram in feminis esse cognovimus. Quarum eliam nonnullas tantum in hac carnis pnerogativa zelum habuisse legimus, ut non sibi manum inferre dubi- tarent, ne quam Deo voverant incorruptionem amitlerent, et ad sponsum virginem virgiiies pcrvenirent. Qui etiam sanctarum devotionem virginum in tantum sibi gratam esse monstravit, ut gentilis populi multitudinem, ad beatae Agathae suflragium concurrentem, velo ejus coutra aestuantis jEtnae terribilem ignem opposito, tam acorporis quam aniraae liberaverit incendio.Nullam novimus monachi cu- cuilam beneficii tanti gratiam esse adeptam. Legimus quidem ad tactum pallii Eliae Jordanem essc divisum, et ipsi pariter et Elisaeo viam per terram prav buisse : velo autem virginis immensam adhuc infidelis populi multitudinem tam mente salvari quam corpore, et sic eis conversis ad coelestia viam patuisse. Illud quoque non modicum sanctarum dignitatem commendat femina- rum, quod in suis ipsae verbis cousecrantur, dicentes : « Annulo suo subar- rhavit me, ipsi sum desponsata. » Haec quippe verba sunt beatae Agnetis, in quibus virgincs suam professionem facientes Ghristo desponsantur. IX. Si quis etiam vestrae religionis formam ac dignitatem apud gentiles cognoscere curet atque nonnulla inde quoque exempla ad exhortationem ves- tram inducere, facile deprehendet in ipsis etiam nonnullam hujus propositi institutionem praecessisse, excepto quod ad fidei pertinet tenorem ; et multa in illissicutetJudaeis praecessisse, quaeex utrisquc congregata Ecclcsia re- tinuit, sed in melius commutavit. Quis nesciat universos clericorum ordines ab ostiario usque ad episcopum, ipsumque tonsurae usum ecclesiasticae, qua clerici fiunt, et jejunia Quatuor Temporum, et azymorum sacrificium, uec- 1 MaUh., xxi, 3. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. ’ 225 de ces saintes femmes l’emporte sur celui des solitaires des deux sexes, et que les paroles du Seigneur aux incrédules : « Les courtisanes vous précé- deront dans Je royaume de Dieu, i peuvent être appliquées même aux hommes fidèles, et que les derniers, suivant la diiïcrence de sexe et de vie, deviendront les premiers, les premiers les derniers. » Enfin, qui ne sait que ce sont des femmes que les exhortations de Jésus- Christ et le conseil de l’Apôtre ont enflammées d’un tel zèle de chasteté que, pour conserver à la fois la pureté de l’àme et du corps, elles s’offrirent elles-mêmes en holocauste au martyre et s’efforcèrent, en conquérant cette double couronne, de suivre dans toutes ses voies l’Agneau, époux des vierges ? Cette perfection de vertu, rare chez les hommes, nous la trouvons fréquem- ment chez les femmes. Quelques-unes ont poussé si loin ce zèle de chas- teté de la chair, qu’elles n’ont pas craint de se défigurer pour ne pas perdre la pureté immaculée dont elles avaient fait vœu, et arriver vierges à l’Époux des vierges. Et lui, il a montré cornbien ce pieux dévouement des saintes femmes lui était agréable : dans une éruption de l’Etna, un peuple entier d’infidèles recourant à la protection de la bienheureuse Agathe, il permit qu’en oppo- sant le voile de la sainte aux flots de la lave, le peuple fût sauvé corps et âme du terrible incendie. Nous ne voyons pas qu’aucun capuchon de moine ait jamais eu le don d’opérer un tel prodige. Nous savons bieii que, tou- chées par le manteau d’Élie, les eaux du Jourdain se divisèrent, et que le même manteau servit à ouvrir à Elisée un passage à travers la terre. Mais c’est une foule immense de Gentils que le voile de cette vierge a sauvés corps et âme, et c’est le chemin du ciel qu’il leur a ouvert par leur con- version. Une chose encore relève singulièrement la dignité de ces saintes femmes, c’est qu’elles se consacrent elles-mêmes par ces paroles : « Il m’a engagée par sou amour ; c’est à lui que je suis fiancée. » Telles sont, en effet, les paroles de sainte Agnès, et la formule par laquelle les vierges prononcent leurs vœux et s’unissent à Jésus-Christ. IX. Veut-on suivre chez les Gentils l’histoire des établissements de votre ordre et se rendre compte de la considération dont ils jouirent, pour en tirer des exemples propres â vous encourager ? On reconnaîtra sans peine qu’il s’est fait parmi eux certains essai* de cette nature, l’esprit de la foi excepté, et qu’il existait, chez eux comme chez les Juifs, maintes pratiques que l’É- . glisc a conservées en les améliorant. Qui ne sait, en effet, que l’Église a emprunté à la synagogue toute la hiérarchie ecclésiastique, depuis le porteur j usqu’à l’évéque, ainsi que l’usage de la tonsure, qui est le caractère du clerc, et les jeûnes des Quatre-Temps, et la fête des Azymes, et tous les or- nements sacerdotaux, et certaines cérémonies de dédicace, et d’autres for 15 226 ABjGLARDI ET HELOISSjE EPISTOLJE. non ipsa sacerdotalium indumentorum oraamenta, ct nonnulla dedicationis vel alia sacramenta, a synagoga Ecclesiam assumpsisse ? Quis etiam ignoret ipsam utilissima dispensatione non solum secularium dignitatum gradus in regibus, caeterisque principibus, et nonnulla legum decrota, vel philosophicae disciplinae documenta in conversis genlibus retinuisse : verumetiam quos- dam ecclesiasticarum dignitatum gradus, vel continentiae formam, et cor- poralis munditiae religionem ab eis accepisse ? Gonstat quippe nunc episco- pos vel archiepiscopos praecidere, ubi tunc flamines vel archiflamines habebantur ; et quae tunc templa dsemonibus sunt instituta, postea Domino fuisse consecrata, et Sanctorum memoriis insignita. Scimus et in gentibus praecipue praerogativam virginitatis enituisse, quum maledictum legis ad nuptias Judaeos coerceret : et in tantum gentibus hanc virtutein seu mun- ditiam carnis acceptam extitisse, ut in templis earum magni feminarum convenlus coelibi se vitae dicarent. Unde Hieronymus in Epistolam ad Gala- tas, lib. III : « Quid nos, » inquit, « oportet facere, in quorum condemna- tionem habet et Juao univiras, et Yesta virgines, et alia idola continentes ? Univiras autem et virgines dicit, qufei monachas quae viros noverant, e,t monachas virgines. Monos enim, unde monachus, id est solitarius dicilur, unum sonat. Qui etiam libro I Contra Jovinianum, multis de castitate vel continentia gentilium feminarum, inductis exemplis : « Scio, » inquit, « in catalogo feminarum me plura dixisse, ut quae Christianas pudicitiac despiciuut fidem, discant saltem ab ethnicis castitatem. » Qui, in eodeni supra, illani quoque continentiae virtutem adeo commendavit, ut hanc prae- cipue munditiam carnis in omni gente Dominus approbasse videatur, ct nonnuIUs eam in infidelibus quoque vel collatione meritorum, vel exhibi- tioue miraculorum extulisse. « Quid referam, » inquit, « Sibyllam Erith- ream atque Gumanam, ct octo reliquas ?Nam Yarro decera fuisse autumat, quarum insigne virginitas est, et virginitatis praemiura divinalio. » Item : « Claudia, virgo vestalis, quum iu suspicionem venisset stupri, fertur cin- gulo duxisse ratem, quam hominum millia trahere nequiverant. j» Et Sido- nius, Claremqntensis episcopus, in propemptico ad libellum suum ita loquitur1 : Qualis nec Tanaquil fuit, nec iila, Quam tu, Tricipitinc, procreasti, Qualis nec Phrygi» dicata VesUe, Qusc circa satis Albulam tumentem Duxit virginco ratem capillo. Augustinus, de Civitate Dei, lib. XXII : Jam si ad eoruni nuracula venia- mus, quae facta a diis suis martyi ibus opponuut nostris, uonne etiam ipsa 1 Carm., mv, j9- LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 227 mes de consécration ? Qui ne sait que, par la plus utile des mesures, elle a maintenu chez les peuples convertis la hiérarchie des dignités séculières, celle des rois et des autres princes, certaines dispositions de la loi des Juifs gentils, certains préceptes de leur morale ; bien plus, qu’elle leur a pris di- vers grades de dignités ecclésiastiques, la pratique de la continence et le vœu de la pureté corporelle ? Nos évoques, en effet, et nos archevêques ac- tuels tiennent le rang que tenaient chez eux les flamines et les archiflami- nes, et les temples qu’ils avaient élevés aux démons ont été consacrés au Seigneur et dédiés à la mémoire des Saints. Nous savons aussi que la virginité a été particulièrement en honneur chez les Gentils, tandis que l’anatbème de la loi forçait les Juifs à se marier, et que, chez les Gentils, cette vertu ou pureté de la chair était en telle consi- dération, que leurs temples étaient remplis d’assemblées de femmes qui se vouaient au célibat. C’est ce qui fait dire à saint Jérôme, dans son épltre aux Galates, livre III : « Que devons-nous faire, nous autres chrétiens, quand nous voyons, à notre honte, que Junon a ses femmes consacrées, Yesta, ses vierges, et d’autres idoles, leurs fidèles voués à la continence ? » 11 dis- tingue les femmes et les vierges, faisant entendre par là que les unes avaient connu des hommes, taudis que les autres étaient vierges, c’est-à-dire avaient vécu seules ; car phoç (seul ; et monachut (moine), c’est-à-dire soli- taire, ont le môme sens. Le même, dans son premier livre contre Jovinien, après avoir cité un grand nombre d’exemples de la continence des femmes païennes, ajoute : c Je sais que j’ai multiplié les exemples de ces femmes ; c’est afin que les femmes chrétiennes, qui font bon marché de la vie évan- gélique, apprennent du moins la chasteté à l’école des païens. » Plus haut, dans le même passage, il exalte la vertu de continence, à ce point qu’il semble que ce soit cette pureté de la chair que Dieu ait eu particulièrement pour agréable chez fous les peuples, et qu’il ait voulu signaler par des grâ- ces ou des récompenses, par des prodiges même, chez les infidèles : < Que dirai-je, continue-t-il, de la Sibylle d’Erythrée, de celle de Cumes et des huit autres, ou des dix autres, suivant Varron ? Leur vertu caractéristique était la virginité, et le don de prophétie était la récompense de cette virginité. • Et encore : « On rapporte que Claudia, vierge vestale, soupçonnée de liber- tinage, conduisit avec sa ceinture un vaisseau que des milliers d’hommes n’avaient pu traîner. » Prodige auquel l’évêque de Clermont, Sidoine, dans’ son épltre à son livre, fait allusion en ces termes : « Telle ne fut point Tanaquil, ni celle dont tu fus le père, ô Tricipitin, ni cette vierge consacrée à Yesta Phrygienne, qui, sur les eaux gonflées du Tibre, traîna un vaisseau avec les tresses de ses cheveux. » D’autre part, saint Augustin, au livre XXII de la Cité de Dieu, dit : « Si nous en venons aux miracles qui ont été faits par leurs dieux et qu’ils oppo- 228 ABJ5LARDI ET HELOISSiE EPISTOLE. pro nobis facere, et nobis reperientur omnino proficere ? Nam inter magna miracula deorum suorum profecto magnum illud est, quod Yarro comme- morat, vestplem virginem, quum periclitaretur falsa suspicione de stupro, cribrum implesse aqua de Tiberi, et ad suos judices, nulla ejus parte slil- lante, portasse. Quis aquae pondus tenuit tot cavernis pateutibus ? Itane Deus omnipotens terreno corpori grave pondus auferre non poterit, ut in eodem elemento habitet vivificantum corpus, in quo voluerit vivificans spirilus ? » Nec mirum si iis vel aliis Deus miraculis infidelium quoque castitatem extulerit, vel officio dseraonum extolli penniserit : ut lanto amplius uunc fideles ad ipsam animarenlur, quanto bauc in infidelibus quoque amplius exaltari cognoverint. Seimus et Caiphae praelationi non personae gratiam esse collatam, et pseudo quoque Apostolos miraculis nonnusquam conts- casse, et haec non personis eorum, sed officio esse concessa. Quid igitur mi- rum, si Dominus non personis infidelium femiuarum, sed virtuti continen- tiae tpsarum hoc concesscrit, ad innocentiam virginis saltem liberandam, et falsae accusationis iroprobitatem couterendam ?Constat quippe amorem con- tinentias bonum esse et in infidelibus, sicut et conjugalis pactionis obser- vanliam donura Dei apud omnes esse ; ideoque mirabile non videri, si sua dona, non errorem infidelitatis per signa quae infidelibus fiunt, non fideli- bus, Deus honoret : maxime quando perhaec, ut dictum est, innocentia libe- ratur, et perversorum hominum malitia reprimitur, el ad boc quod ita ma- gnificatur bonum homines amplius cohortantur, per quod tanto mintis ab infidelibus quoque peccatur, quanto amplius a voluptatibus carnis receditur. Quod nunc etiam cum plerisque aliis adversus praedictum incontinentem hsereticum beatus non inconvenienter induxit Hieronymus, ut quae non mi- ratur in christianis, erubescat in elhnicis. Quis etiam dona Dei esse deneget, potestatem etiam infidelium principum, etsi perverse ipsa utantur, vel amorem justitiae, vel mansuetudinem quam habent, lege instructi naturali, vel caetera quae decent principes ? Quis bona esse contradicat quia malis sunt permixta ? pnesertim quum, ut beatus astruit Augustinus, et manifesta la- {io tcstatur, mala esse nequeant nisi in natura bona ? Quis non illud appro- bet quod poetica perhibet sententia1 ? Oderuot peccare boni virtutis amore ? Quis Vespasiani nondum imperatoris miraculum, quod Suetouius refert, de <«co videlicet et claudo per eum curatis, non magis approbet quam neget, 1 Horat., Epirt., I, xn, 52. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 229 sent à nos martyrs, ne trouverons-nous pas qu’ils militent pour nous et sont complètement au profit de notre cause ? Certes, parmi les grands mi- racles de leurs dieux, le plus grand est celui que cite Vairon au sujet de cette vestale qui, accusée injustement de s’être déshonorée, remplit un cri- ble de l’eau du Tibre et l’apporta devant ses juges sans qu’il s’en échappât une goutte ? Qui a soqlenu le poids de cette eau à travers tant d’ouvertures ? N’est-ce pas Dieu qui, dans sa toute-puissance, a ôtéla pesanteur à un corps terrestre et en a fait un corps vivifié, lui, l’esprit vivifiant ? • Ne soyons pas surpris si, par ces miracles et par d’autres, Dieu a exalté la chasteté des infidèles eux-mêmes, ou s’il a permis qu’elle fût exaltée par le démon : c’était pour exciter les fidèles à pratiquer cette vertu avec d’au- tant plus de zèle, qu’ils la verraient plus honorée chez les infidèles. Nous savons que c’est à la dignité et non à la personne de Caïphe que le don de prophétie a été accordé, et que si les faux apôtres ont joui de l’honneur éclatant de faire des miracles, ce n’est pas à leur personne, mais à leur minis- tère qu’ils le doivent. Qu’y a-t-il donc d’étonnant que le Seigneur ait accordé cette faveur, non à la personne des femmes infidèles, mais à la vertu de conti- nence qu’elles pratiquaient, pour sauver l’honneur d’une vierge et mettre à néant l’accusation d’impudeur dont elle était l’objet ? Il est certain que l’a- mour de la continence est une vertu même chez les infidèles, tout comme le respect de la foi conjugale est un don de Dieu chez tous les peuples. Et il ne faut pas s’étonner que Dieu honore, non Terreur des infidèles, mais ses dons, par les prodiges qu’il leur accorde, alors surtout que ses prodiges sont, comme je l’ai dit, un moyen de sauver l’innocence accusée et de con- fondre la malice des méchants ; saus compter que c’est pour les fidèles un motif d’autant plus pressant d’atteindre une vertu si hautement glorifiée, qu’ils ont moins de mérite que les infidèles à s’abstenir des plaisirs charnels. C’est de là que saint Jérôme, d’accord avec la plupart des docteurs, a con- clu, uon sans raison, contre l’hérétique Jovinien, cet ennemi de la chasteté dont j’ai parlé plus haut, qu’il devait rougir de trouver chez les païens ce qu’il ne trouvait pas chez les chrétiens. Peut-on méconnaître, en effet, les dons du Seigneur dans la puissance des rois infidèles, alors même qu’ils en mésusent, dans l’amour de la justice, dans la mansuétude qu’ils ne tiennent que des lumières de la loi naturelle, et dans les autres vertus royales ? Peut- on dire que ce ne soient pas des vertus, parce qu’elles sont mêlées de vi- ces ? Et cela, quand, suivant le raisonnement de saint Augustin et l’évident témoignage de la raison, il ne peut y avoir de vices que dans une bonne na- ture ? Comment, en effet, ne pas approuver la maxime du poète : t Les gens de bien fuient le mal par amour pour la vertu ? » Ne fût-ce que pour encourager les princes à imiter de telles vertus, combien ne vaut-il pas mieux accepter que contester le miracle accompli, selon Suétone, par Ves- pasien, quand il n’était pas encore parvenu à l’empire, au sujet de cet aveu- 230 ABALARM ET HELOISSiE EPISTOL*. ut ejus virtutem amplius aemulari velint principes, aut quod de anima Tra- jani beatusegisse Gregorius refertur ? Noverunt homines in coeno margari- tam legere, ct a paleis grana discernere, etdona sua infidelitati adjuncla Deus ignorare non potest, ncc quidquam horum quae fecerit odire. Qurant, dixit eas habere condcmnationem, quia primam fidem irritaro fecerunt : quanto magis virgincs, quac prioris propositionis fidem minime siTvaverunt ? Hinc ct Pclagius ille notabilis ad filiam Mauritii : « Crimino- « Sat., iv, 9. — «Cod., I.iii, 5, LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 251 gle et de ce boiteux qu’il guérit, ou ce que saint Grégoire raconte de l’âme de Trajan ! Les hommes savent trouver une perle dans un bourbier et séparer le grain de la paille. Dieu peut-il méconnaître les dons qu’il a faits aux infidèles et maudire en eux ses bienfaits ? Plus les signes de ces bienfaits sont éclatants, plus il prouve qu’il en est l’auteur et que la méchanceté des hommes ne saurait en altérer le caractère, mieux il montre quelles doivent être les espérances des fidèles, en voyant la façon dont sont traités les infidèles. De quel respect était entourée, chez les infidèles, la chasteté des vierges vouées au service des temples, la punition réservée à celles qui la violaient le fait connaître. Juvénal, parlant de cette punition dans sa IV* satire, dit de Crispinus, qui en est l’objet : « Hier encore auprès de lui était couchée, couronnée de bandelettes, une vestale qui va descendre toute vive sous la terre. > Ce qui a fait dire à saint Augustin, dans sa Cité de Dieu, livre m : c Les anciens Romains eux-mêmes enterraient toutes vives les prêtresses de Yesta coupables d’incontinence, tandis que les femmes adultères, ils se con- tentaient de les frapper de quelque peine, mais jamais de la peine capitale. » Tant il est vrai qu’ils vengeaient plus sévèrement ce qu’ils regardaient comme le sanctuaire des dieux, que la couche des hommes ! Chez nous, les princes chrétiens ont veillé avec d’autant plus de soin à la chasteté monastique, qu’on ne peut douter qu’elle soit encore plus sacrée. C’est ce que prouve la loi de l’empereur Justinien. « Si quelqu’un, dit-il, ose, je ne dis pas ravir, mais seulement essayer de séduire, en vue du ma- riage, les vierges consacrées à Dieu, qu’il soit puni de mort. » La discipline ecclésiastique cherche plutôt le repentir du pécheur que sa perte ; avec quelle sévérité, cependant, elle prévient les chutes ! Le pape Innocent, écri- vant à Viclricius, évéque de Rouen, lui disait (chapitre xm) : t Si celles qui épousent Jésus-Christ spirituellement et qui reçoivent le voile des mains du prêtre viennent à se marier publiquement, ou à se livrer secrètement à un commerce illicite, elles ne devront être admises à la pénitence qu’après la mort de l’homme avec lequel elles auront vécu. » Quant à celles qui, n’ayant pas encore reçu le voile, auraient feint de vouloir vivre dans l’état de virginité, bien qu’elles n’aient pas reçu le voile, elles devront être, pen- dant un certain temps, soumises à la pénitence, parce que le Seigneur avait reçu leur serment. En effet, si un contrat passé entre des hommes ne peut être rompu sous aucun prétexte, combien moins un pacte fait avec Dieu pourra-t-il être im- punément violé ? Saint Paul dit que les femmes qui ont rompu le veuvage qu’elles s’étaient promis de garde, ont mérite condamnation pour avoir violé leur engagement : que serarce uouc des vierges qui n’ont pas gardé la foi qu’elles avaient jurée ? C’est ce qui a fait dire au fameux Pelage, dans sa lettre à la fille de Maurice : « La femme adultère vis-à-vis de Jésus-Christ est plus coupable que celle qui s’est rendue adultère vis-à-vis d’un homme. 832 Ml£LARDI ET HELOISS£ EPISTOLiE. sior cst, » inquit, « Christi adultera quam mariti. Unde pulchre Romana Ecclesia tam severam nuper de hujusmodi statuit sententiam, ut vix vel poenitentia dignas judicaret, qus sanctificatum Deo corpus libidinosa coin- quinatione violassent. » < X. Quod si perscrutari velimus quantam curam, quantam diligentiam et charitatem sancti doctores ipsius Domini, et Apostolorum exemplis incitati, devotis semper exhibuerint feminis, reperiemus eos summo dilectionis zelo devotionem earum amplexos fuisse, et fovisse, et multiplici doctrins vel exhortationis studio earum religionem jugiter instruxisse atque auxisse. Atque ut cceteros omittam, pracipui doctores Ecclesiae producantur in me- dium : Origenes scilicet, Ambrosius, atque Hieronymus. Quorum quidem primus, ille videlicet maximus Cliristianorum philosophus, rcligionem femi- narum tanto amplexus est zelo, ut sibi manus ipse inferret, sicut Eccle- siaslica refert Historia, ne ulla eum suspicio a doctrina vel exhortatione mulierum abduceret. Quis etiam ignoret quantam Ecclesiae divinorum mes- sem librorum rogatu Paulse et Eustochii beatus reliquerit Hieronymus ? Qui- bus, inter caetera, sermonem etiam de assumptione Matris Domini juxta earum petitionem scribens, id ipsum profitetur, dicens : « Sed quia negare non queo quidquid injungitis, nimia vestra devinctus dilectione, experior quod hortamini. » Scimus autem nonnullos maximorum doctorum tam or- dinis quam vitae dignilate sublimium, nonnunquam ad eum de longinquo scribentes parva ab eo requisisse scripta, nec impclrasse. Unde et illud est beati Augustini in secundo Helraclationum libro : « Scripsi et duos libros ad presbyterum Hieronymum sedentem in Bethlehem, unum de Origine animce, alium de Senlentia apostoli Jacobi, ubi ait : « Quicunque totam legem servaverit, ofiendat autem : in uno, faclus est omnium reus : de utro- que consulens cum. » Sed in priore quaestionem, quam proposui, ipse non solvi. In posteriore autem quid mihi de illa solvenda videretur non tacui. Sed utrum hoc approbaret etiam ille consului. Respoudit autem laudans eamdem consultationem mcam, sibi tamen ad respondendum otium non esse respondit. Egq vero quousque esset in corpore, hos libros edere nolui, ne forte responderet aliquando, et cum ipsa responsione ejus polius ederen- tur, Ulo autem detunclo edidi. » Eoce virum tantum tanto tempore pauca K pnrva rescripta a praedicto viro cxpeclasse, nec accepisse. Quem quidem :nl petitionem praedictarum feminarum in tot et tanlis voluminibus vel tnmsferendis vel diclandis sudassc cognovimus, longe eis majorem quam episcopo reverentiam in hoc exhibens. Quai um fortassis tanto amplius vir- tulcm amplectitur studio, nec contristare sustinel, quanto earum naturam fragiliorem considerat. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 233 Aussi l’Église romaine a-t-elle eu raison de prononcer récemment sur un tel crime une sentence si sévère, qu’elle juge à peine digne de la péni- tence les femmes qui souillent, par un commerce impur, un corps consacré à Dieu. » X. Que si nous voulons examiner quels soins, quelles attentions, quelle ten- dresse les saints Pères, sollicités par l’exemple du Seigneur et des Apôtres, ont toujours eus pour les femmes consacrées à Dieu, nous verrons qu’ils les ont soutenues, encouragées avec un zèle plein d’amour dans leurs pieuses réso- lutions, et qu’ils ont incessamment éclairé, échauffé leur foi par des instruc- tions sans nombre et des encouragements multipliés. Sans parler des autres, il me suffira de citer les principaux docteurs de l’Église, Origène, Ambroise, Jérôme. Le premier, le plus grand philosophe des chrétiens, se voua avec tant de zèle à la direction des religieuses, qu’il alla jusqu’à se mutiler lui- même, au rapport de Y Histoire ecclésiastique, pour écarter tout soupçon qui aurait pu l’empêcher de les instruire ou de les exhorter. D’autre part, qui ne sait miellé moisson de divins ouvrages saint Jérôme a laissée en ré- ponse aux demandes de Paule et d’Eustochie ? Il déclare lui-même que son sermon sur l’Assomption de la Mère du Seigneur a été composé à leur prière. « Je ne puis, dit-il, rien refuser à vos sollicitations, enchaîné que je suis par ma tendresse ; j’essaierai donc ce que vous voulez. » Nous savons cependant que plusieurs grands docteurs, aussi élevés par leur rang que par la dignité de leur vie, lui ont souvent écrit pour lui demander quelques lignes, sans pouvoir lcs’obtenir. C’est ce qui fait dire à saint Augustin, dans son second livre des Rétractations : « J’ai adressé aussi au prêtre Jérôme, qui demeure à Bethléem, deux livres : l’un, sur l’origine de l’âme ; l’autre, sur cette pensée de l’apôtre Jacques : t Quiconque, observant d’ailleurs « toute la loi, la viole sur un seul point, est coupable comme s’il l’avait « violée tout entière. » Je voulais avoir son avis sur les deux ouvrages ; dans le premier, je me bornais à poser la question sans la résoudre ; dans le second, je ne cachais pas ma solution ; mais je drsirais savoir s’il la trouvait bonne, et je lui demandais ce qu’il en pensait. 11 a répondu qu’il approu- vait les questions, mais qu’il n’avait pas le loisir d’y répondre. Je n’ai pas voulu faire paraître ces ouvrages tant qu’il a vécu, dans la pensée qu’un jour, peut-être, il me répondrait, et que je pourrais publier sa réponse en même lemps.Te n’est qu’après sa mort que je les ai publiés. » Voilà donc ce grand homme qui, pendant de longues années, attend de saint Jérôme quelques mots de réponse. Et nous avons vu que, sur la prière de ces pieuses femmes, saint Jérôme s’est épuisé soit à écrire de sa main, soit à dicter nombre d’ouvrages considérables, leur témoignant en cela plus de respect qu’à un évêque. S’il soutient leur vertu avec tant de zèle, s’il n’ose la con- trister, n’est-ce pas par égard pour la fragilité de leur nature ? 234 ABiELARDI ET HELOISS£ EPISTOLjE. Unde et nonnunquam zelus charitatis ejus erga hujusmodi feminas tantus esse deprehenditur, ut in earum laudibus aliquatenus veritatis tramitem excedere videatur, quasi iu se ipso illud expertus, quod alicubi com- memorans : « Charitas, » inquit, « mensuram non habet. » Qni in ipso statim exordio vitae sanctse Paulaj, quasi attentum sibi leclorem pneparare desidcrans,’ait : « Si cuncta corporis mei membra verterentur in linguas, et omnes artus humana voce resonarent, nihil dignum sanctae ac venera- bilis Paulae virtutibus dicerem. » Descripsit et nonnullas sanctorum Pa- trum venerabiles vitas, atque miraculis coruscas, iu quibus longe mira- biliora sunt quae referuntur. *NuIlum tamen eorum tanta laude verborum cxtulissc videtur, quanta hanc viduam commendavit. Qui etiam ad Deme- triadcm virginem scribens, tanta ejus laude frontem ipsius insignivit epis- tolse, ut non in modicam labi videatur adulationem. o Inter omnes, » in- quit, u materias, quas ab infantia usque ad hanc aetatem vel mea, vel nota- riorum scripsi manu, nihil praesenti opere difficilius. Scripturus enim ad Demetriadem virginem Christi, qua» et nobilitate et divitiis prima est in urbe Romana, si cuncta ejus virtutibus congrua dixero, adulari putabor. » Dulcissimum quippe viro sancto fucrat quacunque arte verborum fragilem naturam ad ardua virtulis studia promoverc. Ut autem opera nobis quam verbain hoc certiora pnebcant argumenta, tanta hujusmodi feminas excoluit charitate, ut immensa ejus sanctitas naevum sibi propriae imprimeret famae. Quod et ipse quidem ad Asellam, de fictis amicis atque sibi detrahentibus scribens, inter caetera commemorat, dicens : « Et licet me sceleratum qui- diim putent, et omnibus flagitiis obrutum ; tu tamen bene facis, quod ex tua mente etiam malos bonos putas. Periculosum quippe esl de servo alterius jtidicare, et non facilis venia prava dixisse de rectis. Osculabantur quidam uiihi manus, et ore vipereo detrahebant. Dolebant labiis, corde gaudebant. Dicant quid unquam in me aliter senserunt, quam quod Christianum dece- bat ? Nihil mihi objicitur, nisi sexus meus. Et hoc nunquam objicerelur, nisi quum Hierosolymam Paula proficiscitur. » Item : « Anlcquam domum sunctae Paulaa noscerem, totius in me urbis studia consonabant. Omnium pcne judicio dignus summo sacerdotio deceniebar. Sed postquam eam pro siio merito sanctitatis venerari, colere, suscipere ccepi, omnes me illico dcseruere virtutes. » Et post aliqua : « Saluta, » inquit, « Paulam et Eusto- chium, velint, nolint, in Chrislo meas. » Legimus ct Dominum ipsum tan- tam beatse meretrici familiaritatem exhibuisse, ut qui eum invitaverat pha- risaeus, ob hoc jam penitus de ipso diffideret, apud se dicens :« Hic, si esset propheta, sciret utique quae et qualis est quae tangit eum. » Quid crgo mi- rum, si pro lucro talium animarum ipsa Christi membra, ejus incitata LETTRES D’ABÉURD ET d’Héloïse. 235 Le zèle de sa charité pour elles est parfois si grand, qu’il semble franchir les bornes de la vérité dans ses éloges» comme s’il avait éprouvé lui-même ce qu’il dit ailleurs : t La charité n’a pas de mesure. » C’est ainsi qu’au début de la vie de sainte Paule, il s’écrie, comme pour captiver l’atten- tion du lecteur : « Alors même que tous mes membres se changeraient en langues et que toutes les parties de mon corps parleraient le langage des hommes, je ne saurais rien dire qui fût digne des vertus de la sainte et vénérable Paule. » Cependant il a écrit aussi les Vies de certains Pères vénérables, qui brillent de tout l’éclat des miracles, et dans lesquelles se trouvent des prodiges bien plus étonnants ; mais il n’est personne qu’il paraisse exalter aussi haut que cette veuve. D’autre part, dans une lettre à la vierge Démétriade, tel est l’éloge dont il marque son entrée en matière, qu’il semble tomber dans une flatterie excessive. « De tous les sujets que j’ai abordés, dit-il, depuis mon enfance jusqu’à ce jour, soit de ma main, soit en m’aidant de la main de mes secrétaires, celui que j’entreprends de traiter aujourd’hui est le plus difficile : il s’agit d’écrire à Démélriade, vierge du Christ, qui tient dans Rome le premier rang et par sa noblesse et par ses richesses ; si je veux rendre justice à toutes ses vertus, je risque de passer pour un flatteur. » C’était sans doute, pour le saint homme, une ^tâche bien douce d’en- courager par quelque artifice de parole le sexe faible dans l’exercice austère de la vertu. Mais les actes sont, en telle matière, des preuves plus sures encore que les paroles. Or, il a entouré ces pieuses femmes d’une pré- dilection si marquée, que cette prédilection, malgré sa sainteté incom- parable, n’a pas laissé d’imprimer une tache à sa réputation. Il nous le fait connaître lui-même dans sa lettre à A se lia, en parlant de ses faux amis et de ses détracteurs, « 11 en est qui me regardent comme un criminel couvert de toutes les ignominies, dit-il ; vous faites bien, néanmoins, de considérer comme bons ces méchants, en les jugeant d’après votre conscience. 11 est dangereux de juger le serviteur d’autrui ; qui calomnie le juste sera diffici- lement pardonné. J’en ai connu qui me baisaient les mains et qui, par der- rière, me déchiraient avec une langue de vipère. Ils me plaignaient du bout des lèvres ; au fond du cœur, ils se réjouissaient. Qu’ils disent s’ils ont trouvé en moi d’autres sentiments que ceux d’un chrétien. On ne me re- proche que mon sexe, et l’on ne songerait pas à me le reprocher, si Paule ne venait à Jérusalem. » Et encore : c Avant que je connusse la maison de sainte Paule, c’était sur mon compte, dans la ville entière, un concert de louanges. 11 n’y avait qu’une voix pour me reconnaître digne du pontificat. Mais du jour où, pénétré du mérite de cette pieuse fa.)me, j’ai commencé à lui rendre hommage, à la fréquenter, à la prendre sous ma tutelle, de ce jour-là toutes les vertus m’ont abandonné. » Et quelques lignes plus bas : « Sa- luez, dit-il, Paule et Eustochie ; quoi qu’on dise, elles sont à moi en Jésus- Christ. » Nous lisons que la familiarité que le Seigneur témoigna à la bien- 236 ABiELARDI ET HELOISSJE EPISTOLE. exemplo, propriae famae detrimentum non effugiunt ?Quod quidem Origenes, ut diclum est, quum cuperet evitare, gravius sibi corporis detrimentum in- ferre sustinuit. Nec solum in doctrina vel exhorlalione feminarum mira sanctorum Pa- trum cliaritas innotuit, verum etiam in earum consolatione tam vehemens nonnunquam exlitit, ut ad earum dolorem leniendum nonnulla fidei ad- versa promittere mira eorum compassio videatur. Qualis quidem illa est beati Ambrosii consolatio, quam super morte Valentiniani imperatoris soro- ribus ejus scribere ausus est, et ejus qui cathecumenus sit defunctus salutem astruere, quod longe a catholica fide atque evangelica veritate videtur dissi- dere. Non enim ignorabant quam accepta Deo semper extiterit virtus infir- mioris sexus. Unde et quum innumeras videamus virgines Matrem Domini in hujus cxcellentiae proposito sequi, paucos agnoscimus viros hujus virtutis gratiam adeptos ; ex qua, quocunque ierit, ipsum sequi Agnum valerent. Cujus quidem zelo virtutis quum nonnullae sibi manum inferrent, ut quam Deo voverant integrilatem etiam carnis conservarent ; non solum hoc in eis est reprehensum, sed apud plerosque haec ipsarum marlyria titulos ecclesia- rum meruerunt. Desponsatae quoque virgines, si antequam viris suis caraaliter misceantur monasterium decreverint eligere et, homine reprobalo, sponsum sibi Deum eflicere, liberam in hoc habent facultatem, quam nequaquam viris legimus indultam. Quarum etiam pleraeque tanto ad castimoniam zclo sunt accenss, ut non solunt, contra lcgis decretura, pro custodienda castitate virilem praesumcrent habitum, verum eliam intcr monachos tantis preminerent virtutibus, ut abbates fieri raererentur, sicut de bcata legimus Eugenia, quae, sancto etiam Heleno episcopo conscio, imo jubente, virilem habitum sumpsit, et ab eo baptizata monachomm collegio est sociata. Haee ad novissimarum petitionum tuarum primara, soror in Christo cha- ns*iina, me satis rescripsisse arbitror ; de auctorilate videlicet ordinis vestri, el insuper de commendatione propriae dignitatis, ut tanto studiosius vestre professionis propositum amplectamini, quanto ejus excellenliam amplius novontis. Nunc ut secundam quoque, Domino annuente, perficiam, vestris id meritis et orationibus obtineam. Vale. LETTRES D’ABÉLARD ET D’nÉLOlSE. 237 heureuse pécheresse inspira de la défiance au Pharisien qui l’avait invité à sa table, i Si cet homme était prophète, dit-il, il saurait bien ce qu’est cette femme qui le louche. » Est-il donc étonnautque, pour gagner de telles âmes, les saints, qui sont les membres de Jésus-Christ, sollicités par son exemple, ue reculent pas devant le sacrifice de leur réputation ? Ce fut pour éviter de tels soupçons qu’Origène, dit-on, eut le courage de faire le sacrifice d’une partie de son corps. Ce n’est pas seulement par leur enseignement et leurs exhortations qu’a éclaté l’admirable charité des saints pour les femmes. Parfois aussi cette charité s’est manifestée dans les consolations qu’ils leur ont adressées avec un tel zèle de compassion, que, pour calmer leur peine, ils ont été jusqu’à leur promettre des choses contraires à la foi. Tel est le caractère de la con- solation adressée par saint Àinbroise aux sœurs de Valentinien après la mort de cet empereur. N’osa-t-il pas garantir que leur frère était sauvé, lui qui n’était que cathécumène, quand il mourut ? ce qui est bien peu conforme à la foi chrétienne et à la vérité évangélique. Mais ces saints docteurs savaient combien la vertu du sexe le plus faible a toujours été agréable à Dieu. Aussi, tandis que nous voyons des vierges sans nombre se proposer pour modèle la chasteté de la Mère du Seigneur, nous connaissons peu d’hommes qui aient obtenu le don de cette vertu et qui aient pu suivre l’Agneau sans tache dans toutes ses voies. Quelques-unes, dans leur pieux xèle, se sont donné la mort afin de conserver cette pureté de la chair qu’elles avaient consacrée à Dieu ; et non-seulement ce sacrifice n’a pas été l’objet d’un blâme, mais ce martyre d’elles-mêmes leur a générale- ment mérité la canonisation de l’Église. Bien plus, si des vierges fiancées, avant de s’unir charnellement à leurs maris, prennent la résolution d’embrasser la vie monastique et de renoncer à leur époux terrestre pour prendre le céleste Époux, liberté leur en est laissée : ce qui n’a jamais été, que nous sachions, accordé aux hommes. Quelques-unes furent enflammées d’un tel zèle de chasteté, que non con- tentes de prendre, malgré la défense de la loi, un habit d’homme, elles se i étirèrent parmi des moines, où l’émmence de leurs vertus les a rendues dignes de devenir abbés. Telle sainte Eugénie, avec la complicité de l’évêque ilélénus, que dis-je ? sur son ordre, revêtit l’habit d’homme, et après avoir été baptisée par lui, fut admise dans un monastère de religieux. Je pense, très-chère sœur en Jésus-Christ, avoir suffisamment répondu à la première de vos récentes demandes, je veux dire à celle qui était relative à l’autorité de votre ordre et à la considération duc à sa dignité : vous em- brasserez maintenant les devoirs auxquels vos vœux vous obligent avec d’au- tant plus de zèle que vous en connaissez mieux l’excellence. Je répondrai à la seconde demande, s’il plaît à Dieu ; que vos mérites et vos prières m’en obtiennent la grâce. Adieu. EPISTOLA OCTAVA QUjE EST EJDSDEH PETRI AD HELOISSAM ARGUMENTUM Quum duo ab Hcloissa rogatus fuissct Abalardus, alteri quidem eorum superiore rcspondit epistola : alterum nunc exequitur. Siquidem pelitionis Heloisssc alterum caput fuerat, ut Paracletensibus monachabus regulam scriberet : quod ipse, hoc libro, potius quara epislola, luculenter perficit, plurimis sanctorum Patrum sentcntiis tanquam florihus adunatis. Tripartitum autem tractatum Yocat, quod in eo maxime de tribus procipuis virtutibus monasticis, contincntia scilicct, pauperlate voluntaria, et silenlio tractct. Cowtituil toti carnm collegio scptem ofGciales sorores, quae crcteris tum in his qute animaruin sunt, tum in his quae ad temporalia sive corporalia spectant, prudenter pncsint. Esum carnium ternis diebus singulis hebdomadibus, et usum vini moderatum eis indulget, ac aetera ad vitae monastic® ordinem pertinenlia diligenter et congrue disponit. ■• Petitionis tue partejam aliqua, prout potuimus, absoluta, supcrest, Do- mino annuente, de illa, quae restat, parte tam tuis quam spiritualium tua- rum filiarum desideriis complendis operam dare. Restat quippe juxta prsedictae vestne postulationis ordinem, aliquam vobis institutionem, quasi quamdam proposili vestri regulam a nobis scribi, et vobis tradi, ut certius ex scripto quam ex consuetudine habeatis quid vos sequi conveniat. Nos itaque, partim consuetudinibus bonis, partim Scriptu- rarum testimoniis vel rationum nitentes fulcimentis, haec omnia in unum confere decrevimus ; ut spiritualc Dei templum, quod estis vos, his deco- rare, quasi quibusdam egregiis exoruare picturis valeamus, et ex pluribus imperfectis quoad possumus unum opusculum consummare. In quo quidem opere Zeuxim pictorem imitantes, ita facere instituimus intempio spirituali, sicut ille disposuit faciendum incorporali. Hunc enim, ul iu Rhetorica sua Tullius merainil, Crotoniatae asciverunt ad quoddam templum, quod reli- giosissime colebant, excellentissimis picturis decorandum. Quod ut diligen- tius faceret, quinque sibi virgines pulcherrimas de populo illo elegit, quas sihi pingenti assistentes intueus, earum pulchritudinem piugendo imitare- LETTRE HUITIÈME ABÉLARD A HÉLOfSE SOMMAIRE Héloïse arait prié Abélard de l’éclairer sur deux points : il a répondu au premier dans la lettre précédente ; ii va entamer le second. L’objet de la seconde demande d’Héloïsc était une règle pour les religieuses du Paraclet : il trace cette règle dans celte lettre, ou plutôt dans ce livre, où les citations des saints Pères forment comme un bouquet de fleurs. Il appelle ce traité tripartit, parce qu’il y traite des trois vertus principales des moines : la continence» la pauvreté volontaire et le silence. Il met i la tête de la con- grégation sept sœurs officières chargées de veiller aux choses qui regardent les flmes et à celles qui concernent les besoins temporels ou corporels. Il permet aux religieuses l’usage de la viande trois fois par semaine, et l’usage modéré du vin. Il règle avec une sage précision tous les détails de la vie monastique. Déjà j’ai satisfait, dans la mesure de mes forces, à la première de vos de- mandes ; il me reste à m’occuper de la seconde, avec la grâce de Dieu, pour répondre à vos désirs et à ceux de vos filles spirituelles. Je dois, selon Tordre de vos vœux, vous tracer et vous envoyer un plan de vie qui soit comme la règle de votre profession. Yous pensez que des instruc- tions écrites vous seront un meilleur guide que la coutume. Pour moi, voici ce que je me propose de faire. Je prendrai comme bases, d’une part, les meilleures coutumes, d’autre part, les instructions des saintes Écritures, et j’en ferai" un corps de doctrine. Vous’êtes le temple spirituel du Seigneur, j’ai à le décorer ; je le revêtirai, pour ainsi dire, de peintures de choix ; de plusieurs œuvres imparfaites, je chercherai à composer une œuvre qui réa- lise la perfection. Je m’efforcerai de faire, pour un temple spirituel, ce que le peintre Zeuxis a fait pour un temple de pierre. Les habitants de Crotone l’avaient appelé, rapporte Cicéron dans sa Rhétorique, pour orner des plus belles peintures un temple qu’ils avaient en grande vénération. Afin de mieux remplir cette tâche, Zeuxis choisit les cinq plus nobles vierges de la ville, pour les faires poser devant lui et pour travailler à reproduire leur beauté avec son pinceau. Deux raisons vraisemblablement le firent agir 240 ABAELARDI ET HELOISSAE EPISTOLAE. tur. Quod duabus de causis factum esse credibile est : tum videlicet quia, ut praedictus meminit doctor, maximam peritiam in depingendis mulieribus pictor ille adeptus fuerat, tum etiam quia naturaliter puellaris forma ele- gantior et delicatior virili compositione cernetur. Plures autem virgines ab eo eligi supra memoratus philosophus, ait, quia nequaquam credidit in una se reperire posse puella membra omnia aequaliter formosa, nullique unquam a natura tantam pulchritudinis gratiam esse collatam, ut aequalem in omni- bus membris pulchritudinem haberet, ut nihil ex omni parte perfectum in compositione corporum ipsa expoliret, tanquam uni sic omnia commoda conferret, ut non habere quod caeteris largiretur. Sic et nos ad depingendam animae pulchritudinem, et sponsae Christi des- cribendam perfectionem, in qua vos tanquam speculo quodam unius spiritalis virginis scmper prae oculis habitae decorem vestrum vel turpitudinem depre- hendatis, proposuimus ex multis sanctorum Patrum documentis vel consue- tudinibus monasteriorum optimis vestram instruere conversationem, singula quaeque prout memoriae occurrerint delibando, et quasi in unum fasciculum congregando, quae vestri propositi sanctitati congruere videbo ; nec solum quae de monachabus, verumetiam quae de monachis instituta sunt : quippe sicut nomine et continentiae professione nobis estis conjunctae, ita et fere omnia nostra vobis competunt instituta. Ex his ergo’, ut diximus, plurima quasi quosdam flores decerpendo, quibus vestrae lilia castitatis adoremus, multo majore studio describere debemus virginem Christi, quam praedictus Zeuxis depingere simulacrum idoli. Et ille quidem quinque virgines, quarum spe- ciem imitaretur, sufficere credidit. Nos vero pluribus Patrum documentis exuberantem copiam habentes, auxilio freti divino, perfectius vobis opuscu- lum relinquere non desperamus, quo ad sortem vel descriptionem illarum quinque prudentium virginum pertingere valeatis, quas in depingenda vir- gine Christi Dominus nobis in Evangelio proponit. Quod ut possimus sicut volumus, vestris orationibus impetremus. Valete in Christo, sponsae Christi. Tripartitum instructionis vestrae tractatum fieri decrevimus, in descri- benda atque munienda religione vestra, et divini obsequii celebratione dis- ponenda, in quibus religionis monastica summam arbitror consistere : ut videlicet continenter et sine proprietate vivatur, ac silentio maxime studea- tur. Quod quidem, juxta dominicam Evangelicae regulae disciplinam, tumbos praecingere, omnibus renuntiare, otiosum verbum cavere. I. Continentia vero castitatis illa est, quam suadens Apostolus ait1 : « Quae innupta est et virgo, cogitat quae Domini sunt, ut sit sancta corpore et spi- ritu. » Corpore, inquit, toto, non uno membro, ut ad nullam scilicel lasci- 1 Luc, XII, 36 ; XIV, 33 ; Matth., XII, 36. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 241 ainsi : la première, c’est que ce grand artiste, ainsi que le rappelle le même maître, avait une habileté merveilleuse à peindre les femmes ; la seconde, c’est que les formes de la jeune fille sont naturellement plus élégantes et plus fines que celles de l’homme. S’il choisit plusieurs vierges, dit le phi- losophe cité, c’est qu’il ne crut point qu’une seule put lui offrir l’ensemble de toutes les perfections : il savait qu’aucune femme n’est assez favorisée de la nature pour posséder une égale beauté dans toutes les parties de son corps, la nature ne voulant elle-même produire rien d’absolument parfait en ce genre, comme si, en épuisant tous les dons sur un seul sujet, elle craignait de n’a\oir plus rien adonner aux autres. Ainsi, pour peindre la beauté de l’âme et tracer de la perfection de l’é- pouse du Ciirist une image qui soit comme un miroir que vous ayez sans cesse devant les yeux et oit vous puissiez juger de votre beauté ou de votre laideur, je tirerai la règle que vous me demandez des divers enseignements des saints Pères et des meilleures coutumes des monastères ; je prendrai la fleur de chaque chose au fur et à mesure qu’elle s’offrira à ma mémoire, et je réunirai comme en un faisceau tout ce qui me paraîtra le mieux convenir à la sainteté de votre ordre. Et ce n’est pas seulement aux usages des reli- gieuses, c’est aussi | ceux des religieux que j’emprunterai mes règles ; car, ayant et même nom et mêmes vœux de continence, la plupart de nos pra- tiques vous conviennent comme à nous. Àiusi que je l’ai dit., ce seront comme autant de fleurs que j’assortirai aux lis de votre chasteté, tombien, en effet, ne devons-nous pas mettre plus de zèle à peindre la vierge du Christ, que n’en mit Zeuxis à peindre le portrait d’une idole ! 11 a pensé, lui, que cinq vierges lui suffiraient comme modèles : pour nous, grâce à la mine si riche d’enseignements que nous offrent les écrits des saints Pères, grâce à l’appui de la grâce divine, nous ne désespérons pas de laisser une œuvre plus par- faite, et qui nous permette d’égaler l’excellence des cinq vierges sages que le Seigneur, dans son Évangile, nous propose comme l’idéal de la sainteté virginale. Fassent vqs prières que l’effet réponde à mon désir ! Salut en Jésus- Christ, épouses du Christ. J’ai résolu de diviser en trois parties la règle de votre ordre, pour arriver, d’une part, à éclairer et à fortifier votre zèle, d’autre part, à établir l’ordre de la célébration du service divin. La vie monastique, dans son ensemble, comprend, si je ne me trompe, trois points : la chasteté, la pauvreté, le si- lence ; c’est-à-dire qu’elle consiste, suivant la règle évangélique, à ceindre ses reins, a renoncer à tout, à éviter les paroles inutiles. I. La continence est la pratique de la chasteté, telle que l’Apôtre la pres- crit, lorsqu’il dit : i Une vierge qui n’est pas mariée ne pense qu’aux choses de Dieu, afin d’être sainte et de corps et d’esprit. » 11 dit de tout le corps et non d’une seule partie, de peur que quelque autre ne tombe dans l’impureté, soit par action, soit par paroles. D’autre part, elle est sainte 16 242 ABAELARDI ET HELOISSAE EPISTOLAE. viam in factis vel in dictis ejus aliquod membrum declinet. Spiritu vero tunc sancta est, quando ejus mentem nec consensus inquinat, nec superbia in- flat : sicut illarum quinque fatuarum virginum, quae dum ad vendentes oleum recurrerent, extra januam remanserunt. Quibus jam clausa janua frustra pulsantibus et clamantibus : « Domine, Domine, aperi nobis, » ter- ribiliter sponsus ipse respondet1: « amen dico vobis, nescio vos. » II. Tunc autem relictis omnibus nudum Cbristum nudi sequimur, si- cut sancti fecerunt Apostoli, quum, propter eum, non solum terrenas pos- sessiones aut carnalis propinquitatis affectiones, verumetiam proprias postponimus voluntates : ut non nostro vivamus arbitrio, sed pnelati nostri regamur imperio, et ei qui nobis loco Christi praesidet lanquam Christo pe- nitus pro Christo subjiciamur. Talibus enim ipsemet dicit * : « qui vos audit, me audit ; et qui vos spernit, ipse me spernit. » Qui si etiam, quod absit, male vivat, quum bene prxcipiat ; non est tamen ex vilio hominis sententia contemnenda Dei. De quolibet ipsemet praecipit dicens * : « quaj dixerint vo- bis servate, et facite ; secundum vero opera eorum nolite facere. » Hanc autem ad Deum spiritalem a seculo conversionem ipsemet diligenter des- cribit, dicens * : « nisi quis renuntiaverit omnibus quae possidet, non potest meus esse discipulus. » Et iterum * : « si quis venit ad me, et non odit pa- trem suum, aut matrem, et uxorem, et filios, et fratres, et sorores, adhuc autem et animam suam, non potest meus esse discipulus. » Hoc autem est odire patrem vel.matrem afiectiones carnalium propinquitatum nolle sequi ; sicut et odire ahimam suam est voluntatem propriam sequi nolle. Quod alibi quoque praecipit, dicens • : « si quis vult post me venire, abneget seraet- ipsum, et tollat crucem suam, et sequatur me. » Sic enim propinquantes post eum venimus, hoc est eum maxime imitando sequimur, qui ait7 : « non veni facere voluntatem meam, sed ejus qui misit me. » Ac si diceret : cuncta per obedientiam agere. Quid est enim, « abnegare semetipsum, » nisi carnales affectiones pro- priamque voluntatem postponere, et^alieno, non suo regendum arbitrio se committere ? Et sic profecto crucem suam non ab alio suscipit, sed ipsemet tollit ; per quam scilicet ei mundus crucifixus sit, et ipse mundo : quum spontaneo proprue professionis voto mundana sibi et terrena desideria inter- dicit, quod est voluntatem propriam non sequi. Quid enim carnales aliud appetunt, nisi implere quod volunt ? Et quae est terrena delectatio, nis ; propriae voluntatis impletio, etiam quando id quod volumus labore maximo sive periculo agimus ? Aut quid est aliud crucem ferre, id est cruciatum Matth., xiv, 11 et ;l9. — * Luc, x, 18. —«M«tth., xxm, 3. — * Luc, xiy, 53. — • Luc, ibid., 26.^- 8 Luc.. ix, «3. —» Joan., ti, 38. LETTRES D’ABÉLÂRD ET D’HÉLOlSE. 243 d’esprit, quand aucune faiblesse volontaire ne souille sa pensée, quand l’orgueil ne l’enfle pas, ainsi que ces cinq vierges folles qui, étant allées chercher de l’huile, trouvèrent à leur retour les portes fermées. La porte une fois fermée, en vain elles frappèrent et crièrent : « Seigneur, Seigneur, ouvrez-nous » ; leur époux lui-même leur répondit ces terribles paroles : c en vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas. » II. En second lieu, nous nous dépouillons de tout, à l’exemple des Apô- tres, pour suivre nus Jésus-Christ, qui est nu lui-même, quand nous renon- çons pour lui non-seulement à tous les biensjdu monde, à toutes les affections de la chair, mais à toute pensée personnelle, en sorte que nous ne vivions plus à notre guise, mais suivant la direction souveraine de notre chef et de celui qui est noire chef au nom du Christ, comme nous nous soumettrions au Christ lui-même. Car il l’a dit : « celui qui vous écoute m’écoute ; celui qui vous méprise me méprise, i Et quand même, ce dont Dieu le préserve, il se conduirait mal, si ses ordres sont bons, il ne faut pas que les défauts d’un homme fassent rejeter la voix de Dieu ; il nous en avertit en ces ter- mes : « observez et faites ce qu’ils vous diront, et ne vous réglez pas sur ce qu’ils feront. » Ailleurs encore il nous peint avec précision les sentiments qui doivent nous diriger en passant du monde à Dieu, quand il dit ! « ce- lui qui n’aura pas renoncé à tout ce qu’il possède ne peut être mon disci- ple ; 1 et encore : « celui qui vient à moi et qui ne hait point son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre vie, ne peut être mon disciple. » Or, haïr son père et sa mère, c’est renoncer à toutes les affections de la chair ; de même que haïr sa propre vie, c’est re- noucer à toute pensée propre. C’est ce qu’il recommande encore, quand il dit : « que celui qui veut venir après moi renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et me suive ! • Voilà comment nous approchons de lui, comment nous venons après lui, c’est-à-dire comment nous le suivons, en l’imitant autant qu’il est en nous. Lorsqu’il dit : « je suis venu pour faire non ma volonté, mais celle de mon Père qui m’a envoyé, » c’est comme s’il nous disait de faire tout par obéissance. En effet, t renoncer à soi-même •, est-ce autre chose que de sacrifier les affections de la chair et sa volonté propre pour se soumettre entièrement à la direction d’autrui ? C’est ainsi qu’on ne reçoit pas sa croix de la main d’un autre, mais qu’on la prend soi-même : je veux dire la croix par laquelle ce monde a été crucifié pour nous et nous pour le monde, et dont le sens est que, par les vœux d’un engagement volontaire, on s’interdit les pensées du monde et de la terre, ou, en d’autres termes, la direction de sa volonté. En elfet, que désirent les gens attachés à la chair, sinon accomplir tout ce qu’ils veulent ? Et en quoi consistent les plaisirs de la terre, si ce n’est dans l’ac- complissement de ce que l’on veut, alors même que ce que l’on veut ne saurait être acheté qu’au prix des plus grandes peines ou des plus grands dangers ? En d’autres termes, qu’est-ce que porter sa croix, c’est-à-dire souf* 244 ABAELARDI ET HELOISSAE EPISTOLAE. aliquem sustinere, nisi contra voluntatem nostram aliquid fieri, quantum- cunque illud videatur facile nobis esse vel utile? Hinc alius Jesus longe in- ferior in Ecclesiastico admonet, dicens1 : « post concupiscentias tuas non eas, et a voluntate tua avertere. Si praestes animae tuae concupiscentias ejus, faciet te in gaudium inimicis tuis. » Quum vero ita tam rebus nostris quam nobis ipsis penitus renuntiamus, tunc vere omni proprietate abjecta vitam illam apostolicam inimus, quae omnia in commune reducit, sicut scriptum est2 : « multitudinis credentium erat cor unum et anima una. Nec quisquam eorum, quae possidebat, aliquid suum esse dicebat, sed erant illis omnia communia ; dividebatur autem singulis prout cuique opus erat. » Non enim aequaliter omnes egebant ; et ideo non aequaliter omnibds distribuebatur, sed singulis prout opus erat. Cor unum fide, quia corde creditur ; anima una, quia eadem ex charitate voluntas adinvicem, quum hoc unusquisque alii quod sibi vellet, nec sua magis quam aliorum commoda qusereret, vel ad communem utilitatem ab omnibus omnia referrentur : nemine quae sua sunt, sed quae Jesu Christi, qucerenle seu affectaute. Alioquin nequaquam siue proprietate vivcretur, quac magis in ambitione quam in possessione consistit. III. Otiosum verbum seu superfluum idem est quod mulliloquium. Undc Augustinus Retractationum lib. I : « absit, inquit, ut multiloquium depu- tem, quando necessaria dicuntur, quantalibet sermonum multitudine ac prolixitate dicantur.» Hinc autem per Salomonem dicitur* : «in multiloquio non deerit peccatum. Qui autem moderatur labia sua prudentissimus est. » Multum ergo cavendum est in quo peccatum non deest, et tanto studiosius huic morbo providendum est, quanto periculosius est et difficilius evitatur. Quod beatus providens Benedictus : « omni tempore, inquit, silenlio debent studere monachi. » Plus quippe esse constat silentio studere quam silen- tium habere. Est enim studium vehemens applicatio animi ad aliquid geren- dum. Nulta vero negligenter agimus vel inviti, sed nulla studiose nisi vo- lentes vel intenti. Quantum vero difflcile sit vel utile linguam refrenare, apostolus Ja- cobus diligcnter attendens ait * : « in multis enim offendimus omnes. Si quis in verbo non offendit, hic perfectus est vir. » Idem ita : « omnis natura bestiarum, et volucrum , et serpentium, et cselerorum, doman- tur, et domita sunt a natura humana. » Qui simul considerans quanla sit in lingua malorum materia, et omnium bonorum consumptio, supra sic 1 Eeclcsiut., xnn, 30, 31. — * Act. Apost., iv, 32. — s Prov., x, 19. — * Jacob, m, 8 ; i, *d. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 245 frir quelque tourment, si ce n’est agir contre sa volonté, quoique ce que l’on veuille paraisse ou facile ou utile ? C’est pourquoi un autre Jésus, bien inférieur au véritable, dit dans l’Ecclésiaste : t ne suivez pas vos désirs, détournez-vous de votre volonté ; si vous cédez aux désirs de votre esprit, il deviendra un sujet de joie pour vos ennemis. » Mais lorsque nous renonçons absolument et à tout ce qui nous appartient et à nous-mêmes, c’est alors vraiment qu’ayant dépouillé toute propriété, nous entrons dans cette vie apostolique qui réduit tout en commun, ainsi qu’il est écrit : « la multitude des fidèles ne faisait qu’un cœur et qu’une âme ; personne n’appelait sien ce qu’il avait ; tout était commun entre eux : le partage était fait suivant les besoins de chacun. » Et tous n’ayant pas également les mêmes besoins, le partage n’était pas égal : chacun recevait suivant qu’il lui était nécessaire. Ils n’avaient qu’un cœur par la foi, parce que c’est par le cœur qu’on croit ; une âme, parce que, par la charité, leur volonté était réciproque, chacun d’eux désirant pour les autres ce qu’il dé- sirait pour lui-même, et ne cherchant pas plus son bien que celui d’autrui, parce que tout était rapporté par tous au salut commun, personne ne cher- chant, ne poursuivant quoi que ce soit qui fût à lui, mais ce qui était à Jésus-Christ : condition hors de laquelle il n’est pas possible de vivre sans propriété, car la propriété consiste plus encore dans le désir que dans la pos- session. III. Toute parole oiseuse ou superflue est comme un long discours. Saint Augustin dit, dans son troisième livre des Rétractations : « loin de moi de regarder comme un discours inutile ce qu’il est nécessaire de dire, quelle que soit la longueur et l’étendue du discours. » Hais Salo- mon dit de son côté : « le péché ne manquera pas dans les longs discours, et celui qui saura régler sa langue sera Irès-sage. » Il faut donc se tenir en garde contre une chose ou le péché ne manque pas, et veiller à cette mala- die avec d’autant plus de zèle qu’elle est plus dangereuse et plus difficile à éviter. C’est à quoi saint Benoit pourvoyait, quand iî disait : « en tout temps, les moines doivent s’étudier au silence. » S’étudier au silence est bien plus que garder le silence. L’étude est une énergique application de l’esprit à-faire quelque chose. Il est bien des choses que nous faisons avec négligence ou malgré nous ; nous ne faisons rien en nous étudiant à le faire, que par un acte de volonté et d’attention. Combien il est difficile et utile de mettre un frein à sa langue, l’Apôtre saint Jacques le fait heureusement observer, quand il dit : « nous péchons tous en maintes choses ; celui qui ne pèche pas eu paroles est un homme parfait. » Et encore : > il n’est pas d’espèce de betes, d’oiseaux, de ser- pents, d’animaux enfin que l’homme ne dompte ou n’ait domptée. » Et con- sidérant en même temps combien sont nombreux les maux auxquels prête la langue et tous les biens qu’elle corrompt, il dit plus haut et plus bas : t la langue, cette petite partie de notre corps, est un feu capable d’embra- 246 ARELARDI BT HELOISS* EPISTOLjE. et infra loquitur : « Lingua quidera modicum membrum, quanlus ignis, quam magnam silvam incendit ! universitas iniquitatis, inquietum raalum, plenum veneno mortifero. » Quid autem veneno periculosius vel cavendum amplius ? Sicutergo venenum vitam extinguit, sic loquacitas religionem pe- nitus evertit. Unde idem superiusl : « Si quis putat se, inquit, religiosum esse, non refrenans linguam suam, sed seducens corsuum, hujus vana est religio. 1 Hinc et in Proverbiis scriptum est : « sicut urbs pateus, et absque murorum ambitu : ita vir qui non potest in loquendo cohibere spirilum suum. » Hoc ille senex diligenter considerabat, qui de loquacibus fratribus ei in via sociatis Antonio dicente : « bonos fratres invenisti tecum, abba ; 1 respondit : « boni sunt siquidem, sed habitatio eorum non habct januam. Quicunque vultintrat in stabulum et solvit asinum. » Quasi enim ad praesepe Domini anima nostra ligatur, sacrae se medita- tionis in eo quadam ruminatione reficiens, a quo quidem presepi solvitur, atque huc et illuc toto mundo per cogitationes discurrit, nisi eam clausura taciturnitatis retineat. Verba quippe intellectum animae immittunt, ut ei quod intelligit intendat, et per cogitationem haereat. Cogitatione vero Doo loquimur, sicut verbis hominibus. Dumque huc verbis hominum intcndi- mus, necesse est ut inde ducamur ; nec Deo simul et hominibus intendere valemus. Nec solum otiosa, verum etiam quae utilitatis aliquid habere videntur vi- tanda sunt verba, eo quod facile a necessariis ad otiosa, ab otiosis ad noxia vcniatur. « Lingua » quippe, ut Jacobus ait’,» inquietum malum, » quo caete- ris minor est aut subtilior membris, tanto mobilior et caetcris motu laces- sentibus, ipsa quum non movetur fatigatur, et quies ipsa ei fit onerosa. Quae quanto in nobis subtilior, et ex mollitie corporis nostri flexibilior, tanto mobilior et in verba pronior existit, et omnis malitiae seminarium patet. Quod in vobis praecipue vitium Apostolus notans, omnino fcminis in ecclesia loqui interdicit, nec de iis etiam quae ad Deum pertinenl, nisi domi viros interrogare pennittit, ct iu iis etiam discendis, vel quibuscunquc fa- ciendis, silcntio eas praecipue subjicit, Timotheo super his ita scribens * : « Mulier in silentio discat cum omni subjectionc. Docerc autcm mulieri [ion permitto, neque dominari in virum, scd esse in silentio. » Quod si laicis et conjugatis feminis ita de silentio providerit, quid vobis est facieu- dum ? Qui rursus cidem cur hoc praeceperit innuens, verbosas eas et lo- quentes quum non oportet, arguit. Huic igitur tantae pesti remedium ali- quod providenles, his saltem penitus locis vel temporibus linguam continua tacituroitate domemus : in oratione scilicet, in claustro, dormitorio, refec- 1 ProT., xxv, 28. — • Jaeob, m, 8. — * Timoth., I, n, 11 et 12. LETTRES D’ÀBÉIARD ET D’HÊLOÏSB. 247 ser une grande forêt ; c’est la source de toutes les iniquités, un mal inquiet, un poison mortel. » Or quelle chose plus dangereuse et qu’il faille éviter davantage que le poison ? De même que le poison tue le corps, ainsi le bavardage ruine à fond l’âme de la piété. Aussi l’Apôtre dit-il plus haut : « si quelqu’un croit qu’il a l’esprit de piété et qu’il ne mette pas un frein à sa langue, il trompe son cœur ; sa piété est vaine. • De là ce qui est écrit dans les Proverbes : « tout homme qui ne peut réprimer son esprit, lors- qu’il parle, est semblable à une ville ouverte et qui n’a point de murailles, » C’était bien là le sentiment de ce vieillard qui, lorsque saint Antoine lui disait, au sujet des frères grands parleurs qui s’étaient associés à lui : « vous avez trouvé de bons frères, mon père ? » répondit : « Bons, oui ; mais leur demeure n’a point de porte : entre qui veut dans l’étable pour détacher l’âne. » Notre âme, effectivement, est attachée, pour ainsi dire, dans l’étable du Seigneur où elle se nourrit des méditations sacrées qu’elle recueille ; mais, si la barrière du silence ne la retient pas, elle rompt ses liens et elle erre çà et là dans le monde par ses pensées. Les paroles, en effet, lancent l’es- prit au dehors : il se tend vers ce qu’il conçoit, il s’y attache par la pen- sée. Or, c’est par la pensée que nous parlons à Dieu, comme nous parlons aux hommes par les paroles. Et en portant notre attention sur les paroles que nous tenons aux hommes, naturellement nous sommes entraînés loin de Dieu. On ne peut, à la fois, prêter attention aux hommes et à Dieu. Ce ne sont point seulement les paroles oiseuses qu’il faut éviter, ce sont celles même qui paraissent avoir quelque utilité ; car il n’y a qu’un pas du nécessaire à l’inutile, et de l’inutile au nuisible. « La langue, comme dit saint Jacques, est un mal inquiet. » Plus petite et plus déliée que tous les autres membres, et par là même plus mobile, elle est le seul membre que le mouvement ne fatigue pas ; bien plus, le repos lui est à charge. Et par là même qu’elle est plus déliée et plus souple que toutes les autres articulations du corps, plus mobile et plus prompte à la parole, elle est le principe de toute méchanceté. Aussi l’Apôtre, reconnaissant que c’est particulièrement votre faiblesse, interdit-il absolument aux femmes de par- ler dans l’église, même sur des choses qui touchent au service de Dieu ; il ne leur permet d’interroger que leurs maris et chez elles. Pour apprendre à faire quoi que ce soit, il les soumet à la loi du silence, ainsi qu’il l’écrit à Timothée : « Que la femme apprenne en silence, avec pleine et entière soumission ; je ne veux point qu’elle enseigne, ni qu’elle domine son mari, je veux qu’elle vive en silence. » S’il a ainsi déterminé les règles du silence chez les femmes laïques et mariées, que devez-vous faire, vous ? 11 avait fait, disait-il, pareille défense, parce que les femmes sont bavardes et par- lent quand il ne le faut pas. C’est pour apporter quelque remède à un si grand mal que nous les contraignons à un silence perpétuel dans l’église, dans le cloître, au dortoir, au réfectoire, dans tous les endroits où l’on 248 ABiELARDI ET HELOISS£ ENST0LJ5. torio, et in omni comestione et coquina ; et post completorium deinceps hoc maxime ab omnibus observetur. Signis vero liis locis vel temporibus, si necessarium est, pro verbis utamur. De quibus etiam signis docendis seu addiscendis diligens babeatur cura, per quae etiam si verbis quoque opus est, ad colloquium invitetur loco congruo, et ad hoc inslituto. Et expletis brevi- ter verbis illis necessariis, redeatur ad priora, vel quod opportunum est fiat. Nec tepide corrigatur verborum aut signorum excessus, sed verborum prxcipue, in quibus majus imminet periculum. Cui profeclo multo nia- gnoque periculo et beatus Gregorius succurrere vehementer cupiens, VIII Moralium lib. sic nos iustruit. « Dum otiosa, inquit, verba ravere negligi- mus, ad noxia pervenimus. Hinc seminantur stimuli, oriuntur rixae, ncce- duntur faces odiorum, pax tota extinguitur cordium.» Unde bene per Salo- monem dicilurl : « Qui dimitlit aquam, caput est jurgiorum. » Aquam quippe dimittere, est linguam in fluxum eloquii relaxare. Quo coutra ct in bonam partem asserit dicens* :«Aqua profunda exore viri. » Qui ergo dimit- tit aquam, caput est jurgiorum : quia qui linguam non refrenal concordiam dissipat. Uude scriptum est5 : «Qui imponit stulto silcntium iras mitigat. » Ex quo nos manifeste admonet, in hoc pracipue vitio corrigendo dis- trictissimam adliibere censuram : ne ejus vindicta ullatenus differatur, et per hoc maxime religio periclitetur. Hinc quippe delractiones, lites, con- vitia, et nonnunquam conspirationes et conjurationes germinantes, totum religionis aedificium non tam labefactant quam cvertunt. Quod quidem vi- lium quum amputatum fuerit, non omnino forlasse pravae cogitationes extinguuntur ; sed ab alienis cessabunt corruptelis. Hoc unum vitium fu- gere, quasi religioni sufficere arbitraretur, abbas Macarius admonebat, si- cul scriptum esl his verbis : « Abbas Macarius, major in Scyti, dicebal fra- tribtis : « Post missas, ecclesias fugite, fratres. » Et dixit ei unus fratrum : « Pater, ubi habemus fugere amplius a solitudinc ista ? » El ponebat digi- tum suum in ore suo, dicens : < Istud est quod fugiendum dico. » Et sic inlrabat in cellara suam, et claudens ostium, sedebat solus. » Haec vero silenlii virtus, quae, ut ait Jacobus, perfectum hominum reddit, ct de qua Isuias praedixit* : « Cultus justitiae.sileutium, » tanto a sanctis Patribus fer- vore est arrepta, quod, sicut scriplum est, abbas Agatho per triennium la- pidem in ore suo mittebat, donec tacitumitatem disceret. Quamvis locus non salvet, multas tamen praebet opportunitates ad reli- gionem facilius observandam, el tulius muniendam ; et multa religiouis Prov., xvii, \k, — " Prov., xviii, 4. —5 Prov., xxvi, 10. — * Isai, xvn, 32. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 31D mange, à la cuisine, et surtout à partir des compiles : on peut seulement communiquer par signes, dans ces lieux et pendant ce temps, s’il est néces- saire. — Et l’on doit prendre le plus grand soin à enseigner et à apprendre ces signes, destinés à inviter ceux à qui il est indispensable de parler à pas- ser dans un endroit convenable et disposé pour l’entretien. Après avoir brièvement usé du langage nécessaire, on doit revenir soit à l’occupation qu’on a quittée, soit à celle du moment. On doit punir sévèrement l’excès dans les paroles ou dans les signes, mais surtout dans les paroles, dont le danger est le plus grand. C’est contre ce péril si grand et si manifeste que saint Grégoire, désirant nous venir en aide, dit dans son huitième livre fies Morales : « Tandis que nous négli- geons de nous tenir en garde contre les paroles inutiles, nous arrivons à celles qui sont nuisibles : de là naissent les divisions, de là sortent les que- relles ; ainsi s’enflamment les brandons des haines, ainsi périt la paix du cœur. » Aussi Salomon disait-il sagement : « Celui qui fait aller l’eau est la source des querelles. » Faire aller l’eau, c’est abandonner sa langue à un flux de paroles. Au contraire, il dit en bonne part : « L’eau profonde vient de la bouche de l’homme. » Celui-là donc qui fait aller l’eau est la source des querelles, parce que celui qui ne met pas un frein à sa langue détruit la bonne harmonie. D’où il est écrit : « Celui qui impose silence à un in- sensé arrête la colère. » C’est nous avertir clairement d’employer la censure la plus rigoureuse pour corriger ce défaut, et de ne jamais différer la répression d’un mal qui, plus que tout autre, met la religion en péril. En effet, il est l’origine des médisances, des querelles, des injures, souvent même des complots qui n’é- branlent pas seulement, — ce n’est pas assez dire, — qui renversent l’édi- fice entier de la religion. Retranchez-le, toutes les mauvaises pensées, sans doute, ne seront pas détruites ; mais la gangrène ne passera plus, du moins, des uns aux autres. Comme s’il eût pensé qu’il suffisait à la piété de fuir ce vice, l’abbé Ma- caire donnait aux moines de son monastère de Scyti ce conseil : « Mes frères, évitez-vous les uns les autres après l’office divin. » Et un religieux lui ayant dit un jour : « Où voulez-vous, mon père, que nous puissions trouver une plus grande solitude ? i il posa son doigt sur ses lèvres et dit : « C’est là ce que je vous dis d’éviter. » Puis il rentra dans sa cellule et s’y enferma seul. — Cette vertu du silence qui, selon saint Jacques, rend l’homme parfait, et dont Isaïe a dit : « La pratique de la justice est le si- lence, » a été appliquée par les Pères avec tant de zèle, que l’abbé Agathon, ainsi qu’il est écrit, mit pendant trois ans une pierre dans sa bouche, jus- qu’à ce qu’il eût pris l’habitude de se taire. Bien que ce ne soit pas le lieu qui sauve, il est des lieux cependant qui offrent plus d’avantages pour observer aisément et garder fidèlement la piété ; des lieux où l’on trouve tous les secours et point d’obstacles. C’est 250 AftELARDI ET HELOIS&E EPISTOUE. auxilia vd impedimenU ex eo consistunt. Dnde et filii propheUrum, quos, ut ait flieronymus, monachos legimus in Veteri Testamento, ad solitudinis secretum se transtulerunt, praeter fluenta Jordanis casulas suas consti- tuentes. Joannes quoque et discipuli ejus, quos etiam propositi nostri prin- cipes habemus, et deinceps Paulus, Antonius, Macarius, et qui praecipue in nostro floruerunt proposito, tumultum seculi et plenum tenUtionibus mun- dum fugieutes, ad quietem solitudinis lectulum suse contemplationis con- tulerunt ; ut videlicet Deo possint sincerius vacare. Ipse quoque Dominus, ad quem nullus tentationis motus accessum habebat, suo nos erudiens exemplo, quum aliqua vellet agere praecipue secreta petebat, et populares declinabat tumultus. Hinc ipse Dominus nobis quadraginU dierum absli- ngntia heremum consecravit, turbas in beremo refecit, et ad orationis pu- riUtem non solum a turbis, verum etiam ab Apostolis secedebat. Ipsos quoque Apostolos et in monte seorsum instruxit atque constituit, et trans- figurationis suae gloria solitudinem insignivit, et exhibitione resurrectionis suae discipulos communiter in monte laetificavit, et de roonte in coelum as- cendit, et caetera quaecumque magnalia in solitudinibus vel secretis opera- tus est locis. Qui etiam Moysi vel antiquis Patribus in solitudinibus appa- rens, el per solitudinem ad terram promissionis populum transducens, ibique populo diu detento legem tradens, manna pluens, aquam de petra educens, crebris apparitionibus ipsum consolans, et mirabilia operans, pa- tenter docuit quanUm ejus singulariUs solitudinem pro nobis amet, cui purius in ea vacarc possumus. Qui etiam libertatem mystice onagri solitudinem amantis diligenter de- scribens, et vehementer approbans, ad beatum Job loquitur, diccns( : t Quis dimisit onagrum liberum, et vincula ejus quis solvit ? Quis dedit in solitu- dine domum, et Ubernacula ejus in terra salsuginis ? Contemnis multitudi- nem civiUtis, clamorem exactoris non audit, circumspicit montes pascuae suae, et virentia quaeque perquirit. » Ac si aperte dicat : quis hoc fecit nisi ego ? Onager quippe, quem silvestrem asinum vocamus, monachus est, qui secularium rerum vinculis absolutus ad tranquillam vitae solibriae liberta- tem se contulit, et seculum fugiens in seculo non remansit. Hinc in terra salsuginis habiUt, quum membra ejus per abstinentiam sicca sunt et arida. Glamorem exactoris non audit, sed vocem, quia ventri non superflua, sed necessaria impendit. Quis enim Um importunus exactor, et quotidianus exactor quam venter ? Hic clamorem, id est immoderaUm postulationem habct in superfluis et delicatis cibis, in quo minime est audiendus. Moutes 1 Job, xxxtx, 5. LETTRES D’ABÉLARD ET D’flÉLOlSE. 254 pour cela que les enfants des prophètes, qui sont, comme dit saint Jérôme, appelés moines dans l’Ancien Testament, se retirèrent dans la solitude des déserts et se bâtirent des cellules par delà les bords du Jourdain. Saint Jean aussi et ses disciples, que nous regardons comme les chefs de notre ordre, et dans la suite, saint Paul, saint Antoine, saint Macaire, qui ont particu- lièrement illustré notre ordre, fuyant le tumuke du siècle et les tentations dont le monde est rempli, se transportèrent dans la solitude pour y cher- cher le repos de la contemplation et converser plus librement avec Dieu. Le Seigneur lui-même, auprès de qui la tentation ne pouvait avoir d’accès, voulant nous instruire par son exemple, cherchait les lieux retirés et fuyait les bruits de la foule, toutes les fois qu’il avait quelque grand acte à faire. C’est ainsi qu’il a consacré pour nous le désert par un jeûne de quarante jours ; c’est dans le désert qu’il a nourri des milliers d’hommes, se sépa- rant, pour assurer la pureté de sa prière, non-seulement de la foule, mais de ses apôtres eux-mêmes. C’est sur une montagne écartée qu’il instruisit ses Apôtres et les consacra ; c’est le désert qu’il fit resplendir des gloires de sa transfiguration ; c’est sur une montagne qu’il réjouit ses disciples réu- nis par le spectacle de sa résurrection ; c’est d’une montagne qu’il s’est élevé dans le ciel ; en un mot, c’est dans le désert ou sur des lieux écartés qu’il a accompli tout ce qu’il y a de grand dans sa vie. Par ses apparitions dans le désert à Moïse et aux anciens Pères ; par le désert qu’il fit traverser à son peuple pour le mener à la terre de promission et où il le retint si longtemps, — lui dictant sa loi, le nourrissant de sa manne, faisant jaillir l’eau du rocher, le soutenant par ses nombreuses apparitions et par ses miracles, — il nous montre clairement combien il aime pour nous la solitude, qui nous permet de vaquer plus purement à la prière. C’est encore l’amour de la solitude qu’il dépeint et qu’il recommande sous la figure mystique de l’âne sauvage, quand, parlant au saint homme Job, il dit : c Qui a renvoyé en liberté l’âne sauvage ? qui a délié ses liens ? qui lui a donné une retraite dans le désert, une tente dans une terre propre à le nourrir ? Il méprise la foule des villes, il n’entend pas les cris du créancier, il ne voit que les montagnes de ses pâturages, il ne parcourt que des plaines verdoyantes. » Ce qui veut dire : qui a fait cela, si ce n’est moi ? L’âne sauvage, en effet, que nous appelons âne des bois, c’est le moine qui, affranchi des liens du siècle, s’est-transporté dans le calme et la liberté de la vie solitaire, fuyant le monde et n’y voulant pas rester. 11 habite une terre de pâturages, parce que l’abstinence a iriaigri et desséché ses mem- bres. Il n’entend pas les cris du ciéancier, mais seulement sa voix, parce qu’il n’accorde à son ventre rien de superflu et se règle strictement sur le nécessaire. Est-il, en effet, un créancier aussi importun, un créancier qui se présente tous les jours aussi régulièrement que le ventre ? Et il ne crie jamais, c’est-à-dire il ne fait jamais de demaudes immodérées que pour une nourriture superflue ou délicate, — demandes auxquelles il ne faut 352 ABALARDI ET HELOISSiE EPISTOLE. pasciue sunt illi vitae vel doctrinae sublimum Patrum, quas legendo el me- ditando reficimur. Vireqtia quaeque dicit universa vitae coelestis et immar- cessibilis scripta. Ad quod nos praecipue beatus Hieronymus exhortans, sic Heliodero scribit monacho1 : « Interpretare vocabulum monachi, hoc est nomen tuum. Quid facis in turba, qui solus es ? » Mem et nostram a clericomm vita distin- guens, ad Paulum presbyterum scribit his verbis* : « Si oflicium risexercere presbyteri, si episcopatus te vel opus vel onus forte delectat, vive in urbibus et casteilis, et aliorum salutem fac lucrum animae tuae. Si cupis esse quod diceris, monachus, id est solus, quid facis in urbibus, quae utique non sunt solorum habitacula, sed multorum ? Habet unumquodque propositum prin- cipes suos… Et ut ad nostra veniamus, episcopi et presbyteri habeant ad exemplum Apostolos, et Apostolicos viros, quorum honorem possidentes, habere nitantur et meritum. Nos autem habeamus propositi nostri prin- cipes Paulos, Antonios, Hilariones, Macarios. Et ut ad Scripturarum ma- teriam redeam, noster princeps Elias, noster Elisaeus, nostri duces et filii prophetarum, qui habitabant in agris et solitudine, et faciebant sibi tabernacula prseter fluenta Jordanis. De iis sunt et illi filii Rechab qui vinum et siceram non bibebant, qui morabantur in tentoriis, qui Dei voce per Jeremiam laudantur, quod non deficiat de stirpe eorum vir stans co- ram Domino. » Et nos ergo, ut coram Domino stare, et ejus obsequio parati magis valea- mus assistere, tabernacula nobis erigamus in solitudine, ne lectulum nostrae quietis frequcntia hominum concutiat, quietem turbet, ingerat tenlationes, metitem a sancto evellat proposito. Ad quam quidem liberam vitae tranquil- litatem beatutn Arseuium Domino dirigente omnibus in uno manifestum datum cst excmplum. Unde et scriplum est :« Abbas Arsenius quura adhuc esset in palatio, oravit ad Dominum, dicens : « Domine, dirige me ad salu- tcm. » Et venit ei vox dicens : « Arseni, fuge homines, et sanaberis. » Idem ipsc discedcns ad monachalem vitam rursum oravit eumdem sermonem, dicens : « Domine, dirige mc ad saluteiu. » Audivitque vocem dicenlem sibi : « Arscni, fuge, tace, •quiescc. Haec enimsunt radices non peccandi. » Ille igitur hac una divini pnecepti regula instructus, non solum homines fugil, sed eos etiam a se fugavit. Ad quem archiepiscopo suo cum quodam judicc quadam die venicntibus, ct anlificationis sermonem ab eo requirenti- bus, ait : « Etsi dixcro vobis, custodietis ? » llli autem promiserunt se cus- Epist,, 5. — » EpisL, 40. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 253 point entendre. Les montagnes couvertes de pâturages sont les vies ou les doctrirtes des saints Pères dont la lecture et la méditation réparent nos forces ; les prairies sont les écrits qui conduisent à la vie céleste, et dont la fraîcheur ne saurait se flétrir. C’est vers la solitude aussi que saint Jérôme nous pousse, quand il écrit au moine Héliodore : « Cherchez le sens du nom de moine, c’est-à-dire de votre nom. Que faites-vous dans la foule, vous qui êtes solitaire ? » Le môme Père, faisant la distinction de notre état et de celui des clercs, écrit en ces termes au prêtre Paul : « Si vous voulez exercer les fonctions de prêtre, si le ministère ou plutôt le fardeau de l’épiscopat a pour vous des charmes, vivez dans les villes et dans les châteaux, et faites votre salut en tâchant de sauver les autres. Si, ainsi que vous le dites, vous désir, z être moine, c’est-à-dire solitaire, que faites-vous dans les villes, qui ne sont pas la de- meure des solitaires, mais celle de la foule ?… Chaque établissement a ses chefs. Pour en venir au nôtre, il faut que les évoques et les prêtres prennent pour exemple les Apôtres et les hommes apostoliques, et qu’ayant leur rang, ils s’efforcent d’avoir aussi leur vertu. Quant à’ nous, prenons comme mo- dèles les Paul, les Antoine, les Hilarion, les Macaire, et, pour en revenir au texte de l’Écriture, que nos chefs soient Élie, Elisée, les enfants des pro- phètes, lesquels demeuraient dans les champs et dans la solitude, et s’éle- vaient des demeures au delà des rives du Jourdain : parmi eux sont les enfants de Rechab, qui ne buvaient ni vin, ni cidre, qui demeuraient soas des tentes, et dont Dieu lui-même fait l’éloge par la bouche de Jcrémie, en leur promettant qu’il y aura quelqu’un de leur lignée dans le ministère du Seigneur. » Donc nous aussi, si nous voulons demeurer dans le ministère du Seigneur et être toujours prêts à le servir, dressons-nous des tentes dans la solitude. Que la foule n’ébranle pas le lit de notre repos ; qu’elle ne porte pas dans notre tranquillité le trouble, qu’elle ne nous induise pas en tentation, qu’elle n’arrache pas notre esprit à notre profession sainte. Inspiré par le Seigneur, saint Arsène a donné, pour tous, un exemple frappant et propre à inviter à cette tranquillité de la vie libre et solitaire. En effet, il est écrit : « L’abbé Arsène étant encore dans le palais, adressa à Dieu celte prière : Seigneur, conduisez-moi dans le chemin du salut ; et une voix se fit enten- dre, qui lui dit : Arsène, fuis les hommes et tu seras sauvé. » Et plus loin : « Arsène, fuyant le siècle, embrassa la vie monastique, et adressa à Dieu la même prière : Seigneur, conduisez-moi dans la voie du salut. Et il entendit une voix qui lui dit : Arsène, fuis, tais-toi et livre-toi au repos de la con- templation : c’est le moyen de commencer à ne plus pécher. » Pourvu de cette seule règle par le précepte du Seigneur, Arsène se tint loin des hom- mes ; bien plus, il les tint loin de lui. Uu jour que son archevêque était venu pour le voir avec un magistrat, et qu’ils le priaient l’un et l’autre de les édifier par quelques discours, il leur répondit : « Et si je vous dis 254 AB£LARDI ET HELOISSjE EPISTOL£. todire. Et dixit cis : « Ubicumque audieritis Arsenium, approximare uo- lite. » Alia iterum vice archiepiscopus eum visitans, misit primo videre si aperiret. El mandavit ei, dicens : « Si veuis, aperio tibi, sed si tibi ape- « ruero, omnibus aperio, et tunc jam ultra hic non sedeo. » Haec audiens archiepiscopus dixit : « Si eum perseculurus vado, nunquam vadam ad « hominem sanctum. » Gujus etiam sanctitatem cuidam romanae matronae visitanti, dixit : « Quomodo praesumpsisti tantam navigationem assumere ? « Ncscis quia mulier es, et non debes exire quoquam ? Aut ut vadas Romam, « et dicas aliis mulieribus : quia vidi Arsenium ; et faciant mare viam mu- « lierum vcnientium ad me ? « Illa autem dixit : « Si voluerit me Domi- « nus reverti Romam, non permitto aliquem veuire huc. Sed ora pro me, « et memor esto mei semper. » lllc autem respondens dixit ei : « Oro Deum « ut dcleat memoriam tui de corde meo. » Quae audiens hsec, egressa est « turbata. » Hic quoque, sicut scriptum est, a Marco abbate requisitus cur fugeret homines, respondit : « Scit Deus quia diligo homines, sed cum Deo « pariter ct hominibus esse non possum. » In tantum vero sancti Patres conversationem hominum atque notitiam abhorrebant, ut nonnulli eorum, ut illos a se penitus removerent, insanos se fingerent, et, quod dictu mirabile est, haereticos etiam se profiterentur. Quod si quis voluerit, legat in Viiis Patrum de abbate Simone, qualiter se pracparavit judici provincise ad se venienti : qui se videiicet sacco cooperiens, et tollens in manu sua panem et caseum, sedit in ingressu cellae suae, et ccepit manducare. Legatet de illo anachoreta, qui quum quosdam sensisset obviam sibi cum lampadibus occurrere, « exspolians se vestimenta sua, misit in flumen ; et stans nudus ccepit ea lavarc. Ille autem qui ministrabat ei luec videns erubuit, ct rogavit homines, dicens : « Revertimini, quia senex noster sensum perdidit. » Et veniens ad eum dixit ei : « Quid hic fecisti, abba ? Omnes enim qui te viderunt dixerunt quia daemonium habct senex. » Ille autem respondit : « Et ego hoc volebam audire. » Lcgat insuper et dc abbatc Moyse, qni, ut a se penitus judicem provinciae removeret, surrexit ut fugerel in paludcm. Et occurrit ei ille judex cum suis, 11 interrogavit eum, dicens : « Dic nobis, senex, ubi est cella abbatis Moysis ? n El dixit eis : « Quid vultis eum inquirere ? Homo fatuus est et hserelicus.» Quid ctiam de abbatc Pastore, qui nec se a judice provinciae videri permisit, ut sororis suae supplicantis filium de carcere liberaret ? Eccc potenles seculi cum magua veneratione et devotione sanctorum prsesentiam postulant, et illi etiam cum summo sui dedecore eoa penitus a se rcpellere student. LETTRES D’ÀBÉLÀRD ET D’HÉLOÏSE. 255 quelque chose, l’observerez-vous ? » Ils lui promirent qu’ils l’observeraient fidèlement. Et il leur dit : « Partout où vous entendrez dire que se trouve Arsène, n’approchez pas. » L’archevêque, dans une autre visite qu’il lui fit, envoya d’abord savoir s’il lui ouvrirait, et il lui fit cette réponse : « Si vous venez, je vous ouvrirai ; mais si je vous ouvre, il faudra que j’ouvre à tout le monde, et dès lors je ne pourrai plus rester ici. » L’archevêque, à cette réponse, dit : « Si je fais un pas de plus et que j’aille le trouver, je ne pourrai plus revenir voir ce saint homme. » Arsène dit aussi à une dame romaine attirée par sa sainteté : « Gomment avez-vous osé risquer un si grand voyage ? Ignorez-vous que vous êtes femme et que vous ne devez pas sortir ? Vous avez voulu pouvoir dire aux autres femmes, de retour à Rome, que vous avez vu Arsène, et la mer sera couverte de femmes qui viendront le voir. » Celle-ci repartit : « si le Seigneur veut que je retourne à Rome, je ne laisserai venir qui que ce soit ; ce que je vous demande, c’est de prier pour moi et de vous souvenir toujours de moi. » Alors il lui dit : « je prie le Seigneur qu’il efface votre souvenir de mon cœur. » A ces mots, elle sortit toute troublée. L’abbé Marc lui ayant demandé pourquoi il fuyait les hom- mes : a le Seigneur sait, dit-il, que je les aime ; mais je ne saurais être à la fois avec Dieu et avec les hommes. »’ Les saints Pères avaient, pour le commerce et la fréquentation des hom- mes, une telle horreur, que quelques-uns d’entre eux, afin de pouvoir les tenir complètement à l’écart, feignaient la folie, et, chose inouïe, affichaient l’hérésie. Il n’y a qu’à lire, parmi les vies des Pères, celle de l’abbé Simon ; on verra comment il se prépara à la visite des magistrats de sa province ; il se couvrit d’un sac, et, prenant dans sa main du pain et du fromage, il s’assit à l’entrée de sa cellule et se mit à manger. On peut lire aussi le trait de cet anachorète qui, ayant appris qu’un certain nombre de personnes ve- naient vers lui avec des lampes, « se dépouilla de tous ses vêtements, les jeta dans le fleuve, et debout, tout nu, se mit à les laver. * Celui qui le servait, honteux à cette vue, dit aux visiteurs : « Allez-vous-en ; notre vieil- lard a perdu le sens. » Et revenant à lui, il lui dit : « Pourquoi avez-vous agi ainsi, mon père ? Tous ceux qui vous ont vu ont dit : il est possédé du démon, i — « C’est précisément ce que je désirais leur entendre dire, » répondit-il. On pourra lire encore que l’abbé Moïse, pour éviter la visite du magistrat de sa province, se leva et s’enfuit dans un marais, et que ce magistrat, ac- compagné de son escorte, l’ayant un jour rencontré et lui disant : « Vieil- lard, ou est la cellule de l’abbé Moïse, » il lui répondit : c Pourquoi vouloir le chercher ? c’est un fou et un hérétique. » Que dire de l’abbé Pasteur, qui ne se laissa pas voir par le juge de sa province, pour délivrer de prison le fils de sa sœur qui l’en suppliait ? Ainsi, tandis que les puissants du siècle cherchent avec un pieux respect à voir les saints, les saints s’étudient, sans respect, à les écarter loin d’eux. 256’ AB£LARDI ET HELOISSA EPISTOLE. Ut autem sexus etiam vestri in hac re virtutera cognoscatis, quis digne pradicare sufficiat virginem illam, quae beatissimi quoque Martini visitatio- nem respuit, ut vacaret contemplationi ? Unde ad Oceanum monachum Hie- ronymus scribens : « In beati, » inquit, « Martini Vita legjmus comme- morasse Sulpitium, quod transiens sanctus Martinus virginem quamdam moribus et eastitate pnecelsam cupiens salutare, illa noluit, sed exeujum misit, et per fenestram respiciens, ait sancto viro : « Ibi, pater, ora, quia nunquam a viro sum visitata.»Quo audito, gratias egit Deo sanctus Martinus, quod talibus imbula moribus castam custodierit voluntatem. Benedixit eam et abiit laetitia plenus. » Haec revera de contemplationis suae lectulo surgere dedignata vel verila, pulsanti ad ostium amico parata erat dicere : c Lavi pedes meos, quomodo inquinabo illos1 ? » 0 quantae sibi imputarent injuriae episcopi vel pnelati hujus temporis, si hanc ab Arsenio vel ab hac virgine repulsam pertulissent ! Erubescant ad ista, si qui nunc in solitudine morantur monachi, quum episcoporum fre- queutia gaudent, quum eis proprias, in quibus suscipiantur, fabricant do- mos : quum scculi potentes, quos lurba comitatur, vel ad quos confluit, uon solum non fugiunt, sed adsciscunt, et occasione hospitum domos raul- tiplicantes, quam qusesierunt solitudinem, redigunt in civitatem. Hac profecto nntiqui et callidi tcntatoris machinatione omnia fere hujus temporis monasteria, quum prius in solitudine constituta fuissent, ut ho- mines fugerentur, poslea fervore religiouis refrigescente, homines adscive- runt, et servos atque ancillas congregantes, villas maximas in locis inonas- ticis conslruxerunt ; et sic ad seculum redierunt, imo ad se traxerunt seculum. Qui se miseriis maximis implicantes, et niaximae servituti tam ecclesiasticarum quam terrenarum potestatum alligantes, dum otiose appe- terent vivere, et de alieno victitare labore, ipsum quoque monachi, boc est solitariinomen pariter amiserunt et vitam. Qui etiam saepe tantis urgentur incommodis, ut dum suos et res eorum lutari laborant, proprias amitlant, et frequenti incendio vicinarum domomm ipsa quoque monasteria creman- tur. Nec sic tamen ambilio refrenatur. Hi quoquc districtionem monaslerii qualemcumque non ferentes, ac per villas, castella, civitates sese dispergentes, biuique vel temi, aut etiam singuli sinc aliqua observatione regulac victitautes, tanto secularibus dete- » Ctnt, v, 3. LETTRES D’ABEURD ET D’HÉLOlSE. 257 Mais, pour vous faire connaître la vertu de votre sexe sur ce point, qui pourrait suffire à louer, comme elle le mérite, cette vierge qui se refusa à la visite de saint Martin lui-même, pour ne pas interrompre sa contempla- tion ? Saint Jérôme dit, à ce sujet, dans sa lettre au moine Oceanus : « Dans la vie de saint Martin, écrite par Sulpice, nous lisons que ce saint désirant saluer au passage une vierge renommée pour sa conduite et sa chasteté, elle ne le voulut pas ; mais qu’elle se borna à lui envoyer un petit présent, et que, regardant par la fenêtre, elle dit au saint homme : mon père, priez là où vous êtes, je n’ai jamais reçu la visite d’aucun homme. A ces mots, saint Martin rendit grâces au ciel de ce que, grâce à de telles mœurs, elle avait conservé sa chasteté. Puis il la bénit et se retira pl ?in de joie. » Cette femme, qui dédaignait ou qui craignait de quitter le lit de sa contemplation, était vraiment prête à répondre à un ami frappant à sa porte : « J’ai lavé mes pieds, puis-je les salir ? » Si les évéques ou les prélats de noire siècle eussent subi de la part d’Ar- sène ou de cette vierge un tel refus, de quelle injure ne se seraient-ils pas crus atteints ?Qu’ils rougissent de tels exemples les moines, s’il s’en trouve encore dans le dés >rt, qui se réjouissent de la visite des évéques, qui bâtissent des maisons pour les y recevoir, qui non seulement ne fuient pas la visite des puissants du siècle que suit la foule, ou autour desquels la foule afflue, mais qui les appellent ; qui, sous prétexte des devoirs de l’hospitalité, multiplient autour d’eux les demeures, et, dans la solitude qu’ils ont cherchée, créent une cité. C’est assurément par une machination du rusé tentateur, notre premier ennemi, que presque tous les anciens monastères, qui avaient d’abord été bâtis dans la solitude pour éviter le commerce des hommes, ont plus tard, par suite du refroidissement du zèle religieux, reçu des hommes, recueilli des troupeaux de serviteurs et de servantes, vu s’élever de grandes villes sur des emplacements choisis pour la retraite, et sont revenus au siècle, ou, pour mieux dire, ont attiré le siècle à eux. En se jetant dans les embarras de mille misères, eu se liant servilement à la domination des puissances spi- rituelles et temporelles, les moines, dans leur désir de mener une vie oisive et de vivre du produit du travail d’autrui, les moines, c’est-à-dire les soli- taires, ont perdu à la fois leur nom et leur caractère. Et tels sont souvent les ennuis qui les assiègent, que, tandis qu’ils cherchent à défendre les biens de ceux qui relèvent d’eux, ils perdent leurs propres biens. Plus d’une fois même leurs monastères ont péri dans le feu de l’incendie qui dévorait les maisons voisines, sans que ce châtiment du ciel ait même mis un fiein à leur ambition. Ceux qui, ne pouvant supporter à aucun degré l’assujettissement de la vie monastique, se répandent par groupes de deux ou de trois, ou seuls, dans les villages, les bourgs, les villes, pour vivre sans être soumis à aucune règle, sont inférieurs aux séculiers, par cela seul qu’ils sont infidèles à leur institut. 17 258 AB£LARDI ET HELOISSA EPISTOLE. riores sunt hominibus, quanto a professione sua amplius apostatantur. Qui habitationum quoque suarum sicut et sua abutentes, Obedientias loca sua nominant, ubi nulla regula tenetur, ubi nulli rei niBi veutri et carni obeditur, ubi cum propinquis vel familiaribus suis manentes, tanto liberius agunt quod volunt, quanto minus a conscientiis suis verentur. In quibus profecto impudentissimisapostatis excessus illos criminales esse dubium non est, qui iu cseteris veniales sunt hominibus. Qualium omnino vitam non so- ium attingere, sed nec audire sustineatis. Yestre vero infirmitati tanto mngis est solitudo necessaria, quanto cania- lium tentationum bellis minus hic infestamur et rainus ad corporalia per sensus evagamur. Unde et beatus Antonius : « Qui sedet, inquit l, in solitu- dine, et quiescit, a tribus bellis eripitur, id est auditus, locutionis, et visus, etcontra unum tantummodo habebit pugnam, id est cordis. » Has quidem vel ceteras heremi commoditates insiguis Ecclesi» doctor Hieronymus dili- genter altendens, et ad eas Heliodorum monaclium vebementer adhortans, exclamat dicens : « 0 heremus familiari Deo gaudens ! Quid agis, frater, in seculo, qui major es mundo ? » V. Nunc vtro quia ubi constmi monasteria convenit disseruimus, qualis et ipsa loci positio esse debeat ostendamus. Ipsi autem monasterii loco con- slituendo, sicut quoque beatus consuluit Benedictus, ita si fieri potcst pro- videndum est, ut intra monasterii septa contineantur illa maxime quse monasteriis sunt necessaria, id est hortus, aqua, molendinum, pistrinum t cum furno, et loca quibus quotidiana sorores exerceant opera, ne foras va- gandi detur occasio. VI. Sicut in caslris seculi, ita et in castris Domini, id est congregationi- bus monaslicis constituendi sunt, qui prcesint cxleris. Ibi quippe imperator unus, ad cujus nutum omnia gerantur, preest omnibus. Qui etiam, pro multitudine exercitus vel diversitate officiorum, sua nonnullis impertiens onera, quosdam sub se adhibet magistratus, qui diversis hominum catervis out officiis provideant» Sic ct in monasteriis fieri necesse est, ut ibi una om* nibus prsesit matrona, ad cUjus considerationem atque arbitriiim omnes reliquae omnia operentur, nec ulla ei in aliquo pnesumat obsisiere, vej eliam ad aliquod ejus prteeeptum murmurare. Nulla quippe hominum con- gregatio vel quantulacunque domus unius familia consisterc potest incolu* mis, nisi unitas in ea conservetur : ut videlicet totum ejus regnum in unius personsB magisterio consistat. Unde et arca, typum Ecclcsiae gerens, quuin multos tam in longo quam in latocubitos haberct, in uno consummata cst. Et in Provcrbiis scriptum estf : « propler peccata teme mulli principes 1 De VUa Patrumt lib. V. — » Ptot., wvhi, 2. LETTRES D’ABÉLÀRD ET D’HÉLOlSE. 250 Par un abus des mots et des choses, ils appellent obédiences les maisons qu’ils habitent et où Ton n’est astreint à aucune règle, où Ton n’obéit qu’aux appétits de la chair, où, demeurant avec ses proches et ses amis, ou fait ce que l’on veut d’autant plus librement qu’on a moins à craindre de sa conscience. El, certes, il n’est pas douteux que ce qui, chez les au- tres, serait faute vénielle, devient chez ces apostats éhontés un excès crimi- nel. Évitez, je ne dis pas seulement de suivre de tels modèles, mais même de les connaître. La solitude est d’autant plus utile à la faiblesse de votre sexe, qu’on y est moins exposé aux assauts des tentations de la chair, et que les sens y ont moins de chances de s’égarer vers les choses de la matière. « Celui qui vit dans le repos et la solitude, dit saint Antoine, est soustrait à trois sortes de combats : celui de l’ouïe, celui de la parole et celui de la vue ; il n’en a plus qu’un à soutenir, celui du cœur. » Le grand docteur de l’Église, saint Jé- rôme, considérant ces avaulages et tous ceux qu’offre encore le désert, exhortait vivement le moine Iléliodore à se les assurer. « 0 solitude qui jouis du commerce de Dieu, disait-il ! Que faites-vous dans le monde, mon frère, vous qui êtes au-dessus du monde ? » V. Maintenant que nous avons traité des lieux où doivent être construits les monastères, montrons quelle doit être leur position. En bâtissant un monastère, il faut, comme saint Benoit l’a prévu, que dans l’intérieur se trouve, autant qu’il est possible, tout ce qui est nécessaire à la vie des mo- nastères, c’est-à-dire un jardin, de l’eau, un moulin, une bluteiïe et un four, et des endroits où les sœurs puissent accomplir leur ménage quotidieu afin d’éviter toute occasion de sortie. VI. Ainsi que dans les camps des armées du siècle, dans les camps des armées du Seigneur, c’est-à-dire dans les communautés monastiques, il faut qu’il y ait des chefs qui commandent aux autres. Dans les armées du siècle, un seul général commande & tous ; tout se fait sur un signe de sa volonté. Il distribue à chacun sa tâohe, en raison de la quantité des troupes et de la diversité des services ; il en prépose quelques-uns à des commande- ments soumis à sa souveraineté, avec charge de diriger les différents corps et de surveiller les services. Il faut qu’il en soit de même dans les monastères ; c’est-à- dire qu’une seule supérieure ait l’autorité suprême ; que toutes les autres fas- sent tout par sentiment d’obéissanceet sur un ordre de sa volonté ; que nulle ne se mette en tête de lui résister en quoi que ce soit, ni même de murmurer con- tre ses commandements ; car il n’est pas de communauté humaine, pas de fa- mille, si peu nombreuse qu’elle soit, qui puisse se soutenir et durer, si l’u- nité n’y règne, si la direction suprême ne repose entre les mains d’un seul. Aussi l’Arche, qui représente la figure de l’Église, finissait-elle par une lar- geur d’une seule coudée, bien qu’elle en eût plusieurs tant en long qu’en large. Et il est écrit dans les Proverbes : « les princes se sont multipliés à 200 t ABiELARDI ET HELOISS^ EPISTOL£. ejus. » Unde etiam Alexandro morluo, multiplicatis regibus mala quoque multiplicata sunt, et Roma pluribus communicata rectoribus concordiam tenere non potuit. Unde Lucanus in primo sic mcminit1 : ……..Tu causa uialorum Facta tribus dominis communis Roraa, nec uoquam In turbam uiissi feralia foedera regni. Et post pauca : …..Dum lerra fretum, terramque levabit Aer, et longi volvent Titana labores, Noxque diem co&lo totidem per signa sequetur ; Nutla Gdes regni sociU, omnisque potestas Impatiens consortis erit……. Tales protecto et illi erant discipuli sancti Frontonii abbatis, quos ipse in ci- vitate, in qua natus est, quum usque ad septuaginta congrcgasset, et ma- gnam ibidem gratiam tam apud Deum quam apud homines adeptus esset, relicto monasterio civitatis cum mobilibus rebus nudos secum ad heremum traiit. Qui postmodum, more Israelilici populi adversus Moysem conque- rentis, quod eos etiam de i£gyplo, relictis ollis carniumet abundanlia ternr, in solitudinem eduxisset, murmurautes incassum dicebant : « Nunquid sola in heremo castitas, quae in urbibus non est ? Cur itaque non in civitatem revertimur, de qua ad tempus exivimus ? An in heremum solum Deus exau- diet orantes ? Quis cibo Angelorum vivat ? Quem pecorum et ferarum delec- tat fieri socium ? Quanta nos habet necessitas hic morari ? Gur itaque non regressi in locum, in quo nati sumus, benedicimus Dominum ? » Hinc et Jacobus admonet apostolus.« Nolite, inquit’, plures magistri fieri, es mei, sctentes quoniam majus judicium sumitis. » Hinc quoque Hierony- musad Rusticum mouachumde institutione vitse scribens : « nulla, inquit, ars absque magistro discitur. Etiam muta aniuialia et ferarum greges ductores sequuntur suos. lnapibus unam pnecedentem reliquse subsequuntur. Grues unum sequuntur ordine litterato. Imperator unus, judex unus pnovinciae. Roma ut condita est, duos fratres simul habere reges non potuit, et parrici- dio dedicatur. In Rebecc® utero, Esau et Jacob bella gesserunt. Singuli ec- clesiarum episcopi, singuli archipresbyteri, singuli archidiaconi, et omnis ordo ccclesiasticus suis rectoribus nititur. In nave unus guhernator, in domo unus dominus. In quamvis grandi exercitu unius signum spectatur P er hsc omnia ad illud tendit oratio, ut doceam te non tuo arbitrio dimitten- dum, sed viveredebere in monasterio sub unius disciplina patris consortio- que multorum. » 1 Phanal., 84 et sqq. — « Jacob., m, i. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÊLOlSE. 361 cause des péchés de la terre. » C’est ainsi qu’après la mort d’Alexandre, les rois se multiplièrent avec les vices ; ainsi encore que Rome, livrée à plu- sieurs maîtres, ne put conserver la concorde ; ce qui a fait dire au poète Lu- cain, dans son premier livre : « c’est toi, Rome, qui as été cause de tes maux, en te donnant à trois maîtres : toujours les pactes de la puissance partagée ont eu une issue funeste ; » et quelques vers plus bas : « tant que la terre soutiendra les mers et l’air la terre, que les soleils éternels accom- pliront leurs révolutions, que la nuit succédera au jour dans le ciel en traversant les mêmes constellations, jamais la bonne foi n’existera entre ceux qui se sont partagé l’empire, et tout pouvoir sera jaloux de son rival. » Tels étaient, assurément, ces disciples que le saint abbé Fronton était parvenu à réunir jusqu’au nombre de soixante-dix dans la ville où il était né, non sans s’acquérir pour lui-même de grandes grâces tant aux yeux de Pieu qu’aux yeux des hommes, et qui, ayant abandonné le monastère de la ville ainsi que tout ce qu’il possédait dans la ville, les entraîna dépouillés de tout dans le désert. Bientôt, de même que jadis le peuple d’Israël se plaignait que Moïse les eût tirés d’Egypte et leur eût fait laisser toutes les ressources qu’ils trouvaient dans l’abondance des animaux et dans la ri- chesse de la terre, pour les emmener dans le désert, ceux-ci disaient, en murmurant : « la chasteté ne règne-t-elle que dans les déserts, et ne sau- rait-elle exister dans les villes ? Pourquoi ne pas revenir dans la ville dont nous ne sommes sortis que pour un temps ? Dieu n’exaucera-t-il nos prières que dans le désert ? Qui pourrait vivre de la nourriture des anges ? Qui pourrait se féliciter d’avoir pour société les animaux sauvages et les bêtes féroces ? Y a-t-il rien qui nous enchaîne ici de force ? Pourquoi ne pas re- tourner bénir le Seigneur dans le lieu où nous sommes nés ? » C’est pour cette raison que l’Apôtre Jacques nous donne ce conseil : « mes frères, gardez-vous de vous donner plusieurs maîtres ; sachez que c’est vous exposera trop déjuges. • C’est ce qui fait dire aussi à saint Jérôme, dans l’in- struction qu’il adresse au moine Ruslicus sur la conduite de la vie : i aucun art ne s’apprend sans maître ; les animaux mêmes et les bêtes féroces suivent le chef du troupeau ; chez les abeilles, il en est une qui marche devant, et toutes les autres suivent ; les grues volent en bon ordre, suivant l’une d’elles qui les conduit. 11 n’y a qu’un seul empereur, un seul magistrat pour chaque province. Rome, au moment même de sa fondation, ne put avoir pour rois les deux frères, à la fois, et elle fut consacrée par un parricide. Ésaù et Jacob se firent la guerre dans le sein de Rébecca. Chaque évéque, chaque archiprètre, chaque archidiacre, tous les ordres ecclésiastiques ont leur supérieur. Dans un navire, il n’y a qu’un pilote ; dans une maison, qu’un maître. Une ar- mée, quelque nombreuse qu’elle soit, se règle sur les ordres d’un seul. Tous ces exemples démontrent qu’il ne faut pas vous conduire d’après votre volonté, mais que vous devez, d’accord avec un certain nombre de frères, vi- vre dans un couvent sous la direction d’un seul père. » 262 ABALARDI ET HELOISSJE EPISTOLJE. Ut igitur in omnibus concordia servari possit, unam omnibus praeesse convenit, cui per omnia omnes obediant. Sub hac etiam quasi magistratus quosdam nonnullas alias personas, prout ipsa decreverit, constitui oportet. Qusc quibus officiis ipsa preceperit, et, quantum voluerit, presint, ut sint videlicet istae quasi duces vel consules in exercitu Dominico : reiiquae au- tem omnes tanquam milites vel pedites, istarum cura eis previdenle, adver- sus raalignum ejusque satellites libere pugnent. Septem vero personas ex vobis ad omnem monasterii administrationem necessarias esse credimus atque sufticere : portariam scilicet, cellerariam, vestiariam, infirmariam, cantricem, sacristam, et ad extremum diaconis- sam, quam nunc abbatissam nominant. In his itaque castris, et divina qua- dammilitia, sicut scriptum est : « militia est vita hominis super terram, » et alibi : « terribilis ut castrorum acies ordinata, » vicem imperatoris, cui per omnia obeditur ab omnibus, obtinet diaconissa, Sex vero aliae sub ca, quas dicimus officiales, ducum sive consulum loca possident. Omnes vero reliquae moniales, quas vocamus claustrales, militum more, divinum pera- gunt expedire servitium. Conversse autem, quae ctiam seculo renuntiantes, obsequio monialium se dicarunt, habitu quodam religioso, non tamen mo- nastico, quasi pedites, inferiorem obtinent gradum. VII. Nunc vero superest, Domino inspirante, hujus militiae gradus singu- los ordinare, ut adversus impugnationcs daemonum vere sit quod dicitur « castrorum acies ordinata. » Ab ipso, inquam, ut dictum est, capite, quod diaconissam dicimus, hujus institutionis ducentes exordium, de ipsa primi- tus disponamus, per quam sunt omnia disponenda. Hujus vero sanctitatem, sicut in precedenti meminimus epislola, beatus Paulus apostolus, Timotheo scribens, quam eminentem et probatam oporteat esse diligenter describit, dicens : « vidua eligatur non minus sexaginta annorum, quae fuerit unius viri uxor, in operibus bonis testimonium habens, si filios educavit, si hos- pitio recepit, si sanctorum pedes lavit, si tribulationem patientibus submi- nistravit, si omne opus bonum subsecuta est. Adolescenles autem viduas devita. » Idem supra de diaconissis, quum etiam diaconorum institueret vi- tam : « mulieres, inquit, similiter pudicas, nondetrahentes, sobrias, fideles in omnibus. » Quae quidem omnia quid intelligentiae vel rationis habeant, quantum sestimamus, epistola precedente nostra satis disseruimus, maxime cur eam Apostolus unius viri et provect® velit esse setatis. Unde non mediocriter miramur quomodo perniciosa haec in Ecclesia cou- suetudo inolevit, ut quae virgines sunt, potius quam quae viros cognoverunt ad hoc eligantur, etfrequenter juniores senioribuspraeficiantur ; quum tamen LETTRES D’ADtLARD ET D’HÉLOlSE. 963 Afin donc de pouvoir conserver la concorde en toutes choses, il convient qu’il y ait une seule supérieure, à qui toutes les autres obéissent en tout. Au-dessous d’elle, et selon qu’elle l’aura elle-même décidé, quelques autres seront établies pour remplir certaines fonctions ; elles dirigeront les minis- tères dont elle les chargera, dans la mesure qu’elle déterminera ; ce seront comme autant de chefs et de conseils dans l’armée du Seigneur ; les autres formeront le corps de l’armée, les soldats qui, s’en remettant à leurs chefs de la direction, combattront librement contre le démon et ses satellites, Or, pour toute l’administration du monastère nous croyons qu’il faut sept maîtresses, autant et pas plus : la portière, la cellérière, la robière, l’infirmière, une chantre, une sacristine, enfin une diaconesse, qu’on nomme aujourd’hui abbesse. Dans ce camp donc, qui renferme, pour ainsi parler, une milice divine, ainsi qu’il est dit : « la vie de l’homme sur terre est une vie de combat ; » et ailleurs : a elle est terrible comme une armée rangée en bataille, » — la diaconesse lient la place du général en chef à laquelle tout le monde obéit en tout. Les six autres sœurs appelées officié- res,qui commandent sous elle, ont rang de chefs ou de consuls. Toutes les autres religieuses, que nous appelerons cloîtrières, sont les soldats qui ac- complissent le service divin. Quant aux sœurs converses qui, en renonçant an monde, ont fait vœu d’obéissance aux religieuses, semblables aux hom- mes de pied, elles tiennent, sous un habit de religion qui n’est pas l’habit monastique, le rang inférieur. VU. Il me reste maintenant, Dieu aidant, à déterminer le caractère de chacun des grades de cette milice, afin qu’elle soit véritablement une ar- mée rangée en bataille. Commençant, comme on dit, par la tète, qui est la diaconesse, examinons d’abord ce que doit être celle par qui tout doit être réglé. L’Apôtre saint Paul, dans la lettre à Timothée que nous avons précé- demment citée, indique expressément combien sa sainteté doit être supé- rieure et éprouvée, quand il dit : « qu’on choisisse une veuve qui ne compte pas moins de soixante ans, qui n’ait eu qu’un mari, dont on puisse rendre le témoignage qu’elle a fait de bonnes œuvres, élevé des enfants, donné l’hos- pitalité , lavé les pieds des saints, assisté les malheureux, accompli toute espèce de bien ; quant aux jeunes veuves, il faut les éviter. » Et plus haut, en réglant la vie des diacres, il avait dit, au sujet des diaconesses : « que les femmes soient également chastes, point médisantes, sobres, fidèles en toutes choses. » Quelle est la raison, quel est le motif de toutes ces exi- gences ? Nous l’avons, je pense, suffisamment démontré dans notre lettre précédente ; nous avons surtout assez expliqué pourquoi l’Apôtre veut qu’elles u’aient eu qu’un seul mari et qu’elles soient d’un âge avancé. Aussi ne sommes-nous pas peu surpris que l’Église ait laissé s’invété- rer la dangereuse coutume de choisir des filles plutôt que des veuves, si bien que ce sont les jeunes qui commandent aux vieilles. Et cependant 264 AByELARM ET HELOISS£ EPISTOLJE. Ecclesiastes dicat1 :« vaetibi, terra, cujus rex puer est. » Etquumillud beati Job omnes pariter approbemus* : a in antiquis est sapientia, et in multo tempore prudentia.»Hincet in Proverbiis scriptum ests : t corona dignitatis senectus, quae in viis justitiae reperietur. i» Et in Ecelesiastico * : f quam spe- ciosum canitiei judicium, et a presbyteris cognoscereconsilium ! Quam spe- ciosa veterani sapientia, et gloriosus inlellectus, et consilium, coronasenum ! Multa peritia et gloria illbrum timor Dei. i Item : « loquere, major natu, decetenimte… Adolescens, loquere in tua causa, vix quum necesse fuerit. Si bis interrogatus fueris, habeat caputresponsum tuum. In multis esioquasi inscius, et audi tacens simul et quaerens, et Joqui in medio magnatorum non praesunias, et ubi sunt senes non multum loquaris. » Unde et presbyteri qui in ecclesia populo pnesunt seniores interpretantur, ut ipso quoque no- mine quales esse debeant doceatur. Et qui sanctorum Yitas scripserunt, quos nunc abbates dicimtis, senes appellabant. Modis itaque omnibus providendum est ut in electione vel consecratione diaconissse consilium pnecedat Apostoli, ut videlicet talis eligatur, qute cseteris vita et doctrina pneesse debeat, et aetate quoque morum maturita- tem pollicealur, et quse obediendo meruerit imperare, et operando magis quam audiendo regulam didicerit, et firmius noverit. Quae si litterata non fuerit, sciat se non ad philosophicas scbolas’ vei disputationes dialecticas, sed ad doclrinam vitae et operum exhibitionem accommodari. Sicut de Do- mino scriptum ests : « Qui ccepit facere et docere, » prius videlicet facere, postmodum docere. Quia melior atque perfectior est doctrina operis quam sermonis, facti quam verbi. Quod diligenter attendamus, ut scriptum est : dixit abbas Ipitius : « Ille est vere sapiens, qui facto suo alios docet, non qui verbis. » Nec parum consolationis et confidentiao super hoc affert. Attendatur et illa quoque beati Antonii ratio, qua verbosos confutavit philosophos, ejus videlicet tanquam idiolae et illitterati hominis magiste- rium irridentes : « Et respondete, inquit, mihi quid prius est sensus, an lil- tene ? Et quid cujus exordium est ? sensus ex litleris, an littene oriuntur cx sensu ? « Illis assereulibus quia sensus esset auctor atque inventor littera- rum, ait : « Igitur cui sensus incolumis est, hic litteras non requirit. » Ecclewwt., x, 16. — • Job, xii, 12. — * Proferb., xvi, 31. — * Eccle«iast., xxv, 6, 7. 8. — • Act. Apoat.,I, 1. LETTRES D’ABÉLARD ET D*HÉLOlSE. 265 l’Ecclésiaste dit : a malheur à toi, terre dont le roi est un enfant ; » et nous sommes tous du sentiment du saint homme Job : « dans les an- ciens est la sagesse» la prudence est le fruit du temps. » D’où il est écrit dans les Proverbes : a la vieillesse est une couronne d’honneur qui se trouve dans les voies de la justice ; » et dans l’Ecclésiaste : « que la justice est belle, entre les mains de la vieillesse ! qu’il est beau pour la jeunesse de prendre conseil des vieillards ! que la sagesse sied bien aux personnes avan- cées en âge ; l’intelligence et le conseil, à celles qui sont élevées en gloire ! Une grande expérience est la couronne des vieillards, et leur gloire, c’est la crainte de Dieu. » Et encore : « parlez, vous qui êtes plus âgé ; quant à vous, jeune homme, c’est votre rôle, même dans votre propre cause, de ne vous décider à parler que lorsqu’il y a nécessité de le faire. Vous interroge-t-on deux fois ? que votre réponse soit brève ; paraissez ignorant en beaucoup de choses ; écoutez en silence et instruisez-vous. Au milieu des grands, n’ayez point de présomption, et là où sont des vieillards, ne parlez pas beaucoup. » De là vient que les prêtres qui, dans l’Église commandent au peuple, sont appelés vieillards, afin que leur nom même indique ce qu’ils doivent être. Et ceux qui ont écrit les Vies des Saints appelaient vieillards ceux que nous appelons aujourd’hui abbés. 11 faut donc, dans l’élection et la consécration d’une diaconesse, prendre toutes ses mesures pour suivre le conseil de l’Apôtre, et la choisir dans des conditions telles, que, par sa vie et ses lumières, elle puisse commander aux autres ; que son âge garantisse la maturité de ses mœurs ; qu’elle se soit rendue, par son obéissance, digne de commander ; qu’elle ait appris la règle par la pratique plutôt que dans les livres, et qu’elle la connaisse à fond. Si elle n’est pas lettrée, qu’elle sache bien qu’elle n’a point à prési- der des discussions philosophiques et des entretiens dialectiques, mais qu’elle doit simplement se conformer à la pratique de la règle et donner l’exemple des œuvres, ainsi qu’il est écrit au sujet du Seigneur, c qui commença à faire et à enseigner ; » à faire d’abord, et ensuite à enseigner, parce que la science de l’œuvre est meilleure et plus parfaite que celle du discours, celle des faits meilleure que celle des paroles. C’est un point qu’il faut bien observer ; l’abbé Ipitius le recommande. « Le vrai sage, dit-il, est celui qui enseigne par ses actes, non par ses paroles. » Et sur ce point, il donne force et confiance. Remarquons aussi le raisonnement par lequel saint Augustin confondit les philosophes qui se riaient, sans doute, des leçons d’un ignorant et d’un homme illettré. « Répondez-moi, leur disait-il : lequel vaut le mieux, du bon sens ou de l’instruction ? Est-ce le bon sens qui procède de l’instruc- tion, ou l’instruction qui procède du bon sens ? Kt ceux-ci reconnaissant que le bon sens est le père et le créateur de l’instruction : « celui dont le sens est sain, dit-il, n’a donc pas besoin de chercher l’instruction. » Écou- tons encore l’Apôtre, et que ses paroles nous fortifient dans le Seigneur : 206 ABALARDI ET HELOISS£ EPISTOUE. Audiat quoque illud Apostoli et confortetur in Domino* : « Nonne stultam fecit Deus sapientiam hujus mundi ? i Et itenun : « Quae stulta sunt mundi elegit Deus ut confundat sapientes, et infirma elcgit Deus ut confundat for- tia, et ignobilia muudi et contemptibilia elegit Deus, ut ea quae non sunt tanquam ea quae sunt destruat, ut non glorielur omuis caro in conspectu ejus. » Non enim, sicut ipse postmodum dicit, in sermone est regnum Dei, sed in virtute. Quod si de aliquibus melius cognoscendis ad Scripturam revertendum esse censueril, a litteratis hoc requirere et addicere non erubescat, nec in his litterarum documenta contemnat ; sed devote et diligenter suscipiat, quum ipse quoque Apostolorum princeps coapostoii sui Pauli publicam correctio- nem diligenter exceperit. Ut enim beatus quoque meminit Benedictus, saepe minori revelat Dominus quod melius est. Ut autem amplius Dominicam sequamur providentiam quam Apostolus quoque supra memoravit, nunquam de nobilibus aut potentibus seculi, nisi maxima incumbente necessitate, et certissima ratione fiat liaec electio. Tales namque de genere suo facilc confidentes, aut gloriantes, aut pnesump- tuosse, aut superbae fiunt ; et tunc, maxime quando indigenae sunt, earum praelatio perniciosa fit monasterio. Verendum quippe est ne vicinia suorum eam praesumptiorem reddat, et frequentia ipsorum gravet aut inquietet mo- nasterium, atque ipsa per suos religionis perferat detrimentum, aut aliis ve- niat in contemptum, juxta illud Yeritatis : « Non est propheta sine honore, nisi in patria sua. » Quod beatus quoque providens Hieronymus, ad Heliodorum scribeus, quum pleraque annumerasset quae monachis officiunt in sua morantibus patria : « Ex hac, inquit, supputatione illa summa nascitur, monachum in palria sua perfectum esse non posse. Perfectum esse autem nolle delin- quere est. » Quantum vero est animarum damnum, si minor in religione fuerit qusc religionis pneest magisterio ? Singulis quippe subjectis singulas virtutc exhibere sufficit. In hac autem omnium exempla debent eminere virtutum, ut omnia quae aliis praeceperit propriis preveniat exemplis ; ne ipsa quae praecipit moribus oppugnet, et quod verbis aedificat factis ipsa destruat, et de ore suo verbum correctionis auferatur ; quum ipsa in aliis erubescat corrigere quae constat eam committere. Quod quidem Psalmista ne ei eveniat Dominum precatur, dicens* : « Et ne auferas de ore meo veritatem usquequaque. » Attendebat quippe illam gravis- simam Domini increpationem, de qua et ipse alibi meminitdicens5 :« Pecca- 1 Corinth., I, i, 20, 24, 28 et *qq. — * Psalm., cxviu, 2. — 5 Psalm., cxix, 16 et 17. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÈLOlSE. 267 a Dieu n’a-t-il pas rendu insensée la sagesse du monde ? » et ailleurs : « Dieu a choisi ce qu’il y avait de moins sage dans le monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi les faibles pour confondre les forts ; Dieu a choisi les vils et les méprisables, pour que ce qui n’est rien ruine tout ce qui se croit quelque chose, en sorte qu’aucun homme ne puisse se glorifier devant lui. » En effet, le royaume de Dieu n’est pas, ainsi qu’il le dit ensuite, dans les paroles, mais dans la vertu. Que si, pour s’éclairer davantage sur certains points, la diaconesse croit devoir recourir à l’Écriture, qu’elle ne rougisse pas de s’adresser aux gens instruits et de s’instruire ; que, loin de dédaigner les leçons de la science, elle les reçoive, au contraire, avec un pieux empressement. Le prince des Apô- tres lui-même ne reçut-il pas avec humilité la réprimande publique de saint Paul, apôtre comme lui ? Ainsi que l’a remarqué saint Benoît, souvent c’est tu plus jeune que le Seigneur révèle ce qui vaut le mieux. Vais pour mieux entrer dans les vues du Seigneur, telles que l’Apôtre les a exposées plus haut, que ce ne soit jamais qu’à la dernière extrémité et par des raisons pressantes que l’on fasse choix des femmes de haute nais- sance ou de grande fortune. Confiantes dans leurs titres, elles sont d’ordi- naire glorieuses, présomptueuses, superbes. C’est surtout lorsqu’elles sont pauvres, que leur autorité est funeste au monastère. Alors, en effet, il faut craindre que le voisinage de leur famille ne les rende plus présomptueuses ; qu’il ne devienne par les visites une charge ou une importunité pour lo couvent ; qu’il ne fasse porter atteinte aux règles de l’institut et n’expose la communauté au mépris des autres communautés, suivant le proverbe : « Tout prophète est honoré, si ce n’est dans sou pays. » Saint Jérôme avait bien prévu ces inconvénients, quand, dans sa lettre à Héliodore, après avoir énuméré tout ce qui nuit aux hommes qui restent dans leur pays, il ajoute : « De ce calcul il résulte donc qu’un moine ne saurait être parfait dans son pays ; or, c’est un péché que de ne vouloir pas être parfait. » Quel scandale, que celle qui préside aux devoirs de la reli- gion soit la plus tiède à les remplir ? A celles qui sont en sous-ordre, il suf- fit de faire preuve des vertus de leur état : une supérieure doit être un exemplaire éminent de toutes les vertus. Il faut qu’elle enseigne par son exemple tout ce qu’elle recommande par ses paroles, de peur que ses dis- cours ne soient eu contradiction avec sa conduite ; qu’elle veille à ne point détruire par ses actions l’édifice bâti par ses paroles, et à ne pas se retirer des lèvres, pour ainsi dire, le droit de réprimander ; car, comment ne pas rougir de reprendre en autrui ce qu’elle aurait fait elle-même ? C’est dans la crainte d’une telle inconséquence, que le Psalmistc adres- sait au Seigneur cette prière « N’ôtez jamais, en quoi que ce soit, la vérité de ma bouche. » Il ne connaissait pas de punition plus grave de la part du Seigneur, ainsi qu’il le rapporte lui-même ailleurs. « Le Seigneur dit au 368 ABJELARDI ET HELOISSyE EPISTOLE. tori autem dixit Deus : « Quare tn enarras justitias raeas, et assumis testa- t mentum meum peros tuum ? Tu vero odisti disciplinam, et prqjecisti ser- « mones meos retro.» Quod studiose praecavens Apostoius :«Castigo, inquit’, corpus meum, et in servitutem redigo, ne forte, quum aliis predicaverim, ipse reprobus eificiar.» Cujus quippe vita despicitur, restat ut et prcdica- tio vel doctrina contemnatur. Et quum curare quis aiium debeat, si in ea- dem laboraverit infirmitate, recte ipsi ab xgroto improperatur* : « Medice, cura te ipsum. » Attendat sollicite quisquis Ecclesi» pneesse videtur, quantam niinam casus ejus praebeat, quum ipse ad pnecipitium secum pariter subjeclos trahat. « Qui solverit, inquit Verilas*, unum de mandatis istis minimis, et «locuerit sic bomines, minimus vocabitur in regno coelorum. » Solvit quippe mandatum qui contra agendo infringit ipsum, el exemplo suo corrumpens alios, in cathedra pestilenlue doctor residet. Quod si quislibet hoc agens minimus habendus est in regno coeloram, quanti habendus est pessimus praelalus a cujus negligentia non suae tantum, sed omnium sub- jectarum animarum sanguinem Dominus requirit ? Unde bene Sapientia tali- bus comminatur : « Data est a Domino potcstas vobis, et virtus ab Altissimo, qui interrogabit opera vestra, et cogitationes scrutabitur ; quoniam, quum essetis ministri regni iilius, non recte judiscastis, neque custodistis legem justitiae. Horrende eliam cito apparebit vobis, quoniam judicium durissi- mum in his qui pnesunt fiet. Exiguo enim conceditur misericordia ; potentes autem potenter tormenta patientur, et fortioribus fortior instat cruciatio. » SuflGcit quippc unicuique subjectarum animarum a proprio sibi providere delicto. Pnelatis autem et in peccatis alienis mors imminet. Quum enim augentur dona, rationes etiam crescunt donorum ; et qui plus committitur, plus ab eo exigitur. Cui quidem periruio tanto maxime providere in Pro- verbiis admonemur, quum dicitur* : « Fili, si spoponderis pro amico tuo, defixisti apud extraneum manum tunm. lllaqueatus es veibis oris tui, et captus propriis sermonibus. Fac ergo quod dico, fiii mi, et temetipsum li- bera, quia incidisti in manum proximi tui. Discurre, festina, suscita ani- mum tuum : ne dederis somnum oculis tuis, nec dormitent palpebrae tua ?. » Tunc enim pro amico sponsionem facimus, quum aliquem charitas noslra in nostrae congregalionis conversationem suscipit. Cui nostrae providenliae curam promittimus, sicut et ille nobis obedientiam suam. Et sic quoque manum nostram apud eum defigimus, quum soilicitudinem nostrae opera- • Corinth., I, w, 27. — • Luc, it, 23. — » Matth., t, 49. — « Sapieot., n, 4. LETTRES D’ABÉLARD ET D’UÉLOlSE, 369 «pécheur : pourquoi racontes-tu ma justice ? pourquoi t’arroges-tu le droit de publier mon alliance, toi qui hais ma discipline et qui as rejeté mes pa- roles loin de toi ? » L’Apôtre, craignant d’encourir le même reproche, di- sait : « Je châtie mon corps et je le réduis en servitude, de peur d’être ré- prouvé moi-même, après avoir réprouvé les autres. » En effet, quand on méprise la conduite de quelqu’un, on en vient vite à mépriser ses préceptes et ses leçons ; et si Ton est atteint soi-même du mal que l’on doit guérir, le malade ne manque pas de vous dire : « Médecin, guéris-toi toi-même. » Que celui-là donc qui doit commander dans l’Église songe à la ruine que cause sa chute, puisque du même coup il précipite dans l’abîme tous ceux qui se trouvent au-dessous de lui. « Celui, dit la Vérité, qui violera le moindre de mes commandements, et qui apprendra aux autres à le faire, sera appelé le denûer dans le royaume des cieux. » Or, on viole les com- mandements de Dieu, quand on agit contre ses préceptes, et quand, cor- rompant les autres par son exemple, on devient dans la chaire un, maître de pestilence. Si donc celui qui se conduit de la sorte doit être relégué au der- nier rang dans le royaume des cieux, quel sera le rang du supérieur à la négligence duquel le Seigneur demandera compte i :on-seulement de son âme, mais de toutes celles qu’il avait à diriger ? C’est à ce sujet que la Sa- gesse fait ces judicieuses remarques : « Le pouvoir vous a été donné par Dieu, la vertu par le Très-Haut, qui interrogera vos œuvres et sondera vos cœurs, parce qu’étant les ministres de son royaume, vous avez mal jugé et sans observer les lois de la justice. Il apparaîtra même soudain devant vous dans sa rigueur, son jugement étant très-sévère à l’égard de ceux qui sont les chefs. C’est au petit seul qu’est accordée sa miséricorde : aux grands sont réservés de grands supplices ; les forts sont menacés des peines les plus fortes. • A chacun il suffit de veiller aux péchés de son âme ; le supérieur encourt la mort pour le péché d’autrui. Les dettes augmentent en raison des dons, et plus on a reçu, plus on nous demande. Les proverbes nous avertissent de nous tenir en garde contre ce grave péril, dans ce passage : « Mon fils, si vous avez répondu pour votre ami, vous avez engagé votre main à un étran- ger ; vous vous êtes mis, par vos propres paroles, dans le filet, vous vous êtes enchaîné par vos propres discours. Faites donc ce que je vous dis, mon fils, et délivrez-vous vous-même, parce que vous êtes tombé dans les mains de votre prochain. Courez de tous côtés, hâtez-vous et réveillez-vous ; ne permettez pas à vos yeux de dormir ni à vos paupières de reposer. » Or nous nous rendons caution pour un ami, lorsque noire chanté reçoit quel- qu’un dans une communauté. Nous lui promettons vigilance, comme il nous promet obéissance ; nous lui engageons notre main, lorsque nous nous portons forts de consacrer notre sollicitude et nos soins à son salut ; et par là, nous tombons alors dans ses mains, en ce sens que, si nous ne nous te- 270 ABjELARDI ET HELOISS* EPISTOL*. iionis erga eum spondendo consiiiuimus. Tum ei in manum ejus incidi- mus, quia nisi nobis ab ipso providerimus, ipsum animse nostrse interfec- iorem seniiemus. Gonira quod periculum adhibetur consilium, quum sub- diiur1 : « Discurre, festina, » etc. Nunc igitur huc, nunc illuc deambulans, more providi et impigri ducis, castra sua sollicite gerat, vel scrutelur, uc per alicujus negligentiam ci, qui ianquam leo circuit quaerens quem devo- rel, adiius pateat. Omnia mala domus suse prior agnoscai, ui ab ipsa prius possini corrigi quam a caeteris agnosci, et in exemplum iralii. Caveai illud quod siuliis vel negligenlibus beatus improperat Hierouymus : « Solemus mala domus nostrae scire novissimi, ac liberarum ac conjugum vitia vicinis canentibus ignorare. i Attendat quae sic prccsidet, quia tam corporum quani animarum cusiodiam suscepit. Dc custodia vero corporum admonetur, quum dicitur in Ecclesiastico* : ct Filiac tibi sunt, serva corpus illarum, et non ostendas faciem tuam bila- reui ad illas. » Et iterum : « Filia patris abscondita cst, vigilia et sollici- tudo ejus aufert somnum, ne quando polluatur. » Polluimus vero corpora nostra non solum foroicando, sed quodlibet indecens in ipsis operando tam lingua, quiam alio membro, scu quolibei membro sensibus corporis ad va- nitatem aliquam abuiendo, sicui scriptum est3 : « Mors intrai per feuestras nostras » hoc est peccatum ad animam per quinque sensuum instrumenta. Quae vero mors gravior, aut cusiodia periculosior, quam animarum ? c No- lite, inquii Veritas*, timere eos qui occidunt corpus, animae vero non habeni quid faciant. » Si quis hoc audii consilium, quis non magis morteni oorpo- ris quam animse timet ? Quis non magis gladium quam mendacium cavet ? Et tamen scriptum est* : « Os quod mentilur occidit animam. » Quid tam facite interfici quam anima potest ? Quae sagitia ciiius fabricari quam peccatum valet ? Quis sibi a cogitatione saltem providere potest ? Quis propriis peccatis providere sufficit, nedum alienis ? Quis carnalis pastor spi- ritales oves.a lupis spiritalibus, invisibiles ab invisibilibus custodire suffi- ciat ? Quis raptorem non iimeat, qui infestare non cessat, quem nullo pos- sumus cxcludere vallo, nullo inlerficere vel l&dere gladio ? Quem incessanter insidiantem et maxime religiosos persequentem, juxta illud Ilabacuc* : « cscae illius eleciae, » Petrus apostolus cavendum adhortatur, dicens7 : « ad- versarius vester diabolus, tanquam leo riigiens, circuit quserens quem de- voret. » Gujus quanta sit prsesumptio in devoratione nostra, ipse Dominus beato Job dicit8 : « Absorbebit flu\ium, et non mirabitur,ot habet fiduciam 1 Trov., vi, 1. — * Ecclesiaat., vii, 26{ ix, 21. — 5 Jcrem., u, 21. — « Mattb., x, 28. — » Sapient., i, 11. — • Uabac ;, r, 16. — 7 Petr., v, 8 ; — • Job, xi, 18. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÈLOlSE. 271 doqs en garde contre lui, il deviendra le meurtrier de notre âme. C’est contre ce danger qu’est donné le conseil exprimé dans cette conclusion : « Gourez de tous côtés, hâtez-vous… » Il faut donc, à l’exemple d’un géné- ral prévoyant et infatigable, nous porter sans cesse çà et là, faire la ronde autour du camp, avoir l’œil partout, de peur que, par quelque négligence, l’accès du camp ne soit ouvert à celui qui, semblable au lion, rôde tout au- tour, cherchant qui il dévorera. Il faut qu’une prieure connaisse avant tout le monde les maux de sa maison, afin d’y porter remède avant que les autres en soient instruits et que les exemples les entraînent. Qu’elle prenne garde d’encourir le reproche que saint Jérôme fait aux imprévoyants et aux paresseux : « D’ordinaire nous sommes toujours instruits les derniers de ce qui se passe de mal dans notre maison, et nous ignorons les défauts de nos femmes et de nos enfants, quand déjà les autres les chantent. » Qu’une su- périeure ait donc toujours l’œil sur sa communauté ; qu’elle sache qu’elle a sous sa garde et des corps et des âmes. La garde des corps lui est recommandée par ces paroles de l’Ecclésia ste : i Vous avez des filles, conservez leur corps, et ne leur montrez pas un vi- sage trop gai ; » et ailleurs : servation de la règle. Certains abbés diocésains, sous prétexte de bien traiter leurs hôtes, ne songent qu’à se bien traiter eux-mêmes. De là les soupçons qu’excite leur absence et les murmures qu’elle soulève. Plus la vie d’un prélat est secrète, moins il a d’autorité. fit puis toute privation est supportable quand on voit tout le monde la partager, et surtout les supé- rieurs. Caton lui-même nous l’enseigne : comme lui, l’armée souffrait de la soif ; on lui offrit un peu d’eau, il la refusa, la versa à terre, et tout le monde fut satisfait. Puis donc que la sobriété est particulièrement nécessaire aux supérieurs, ils doivent vivre avec d’autant plus de simplicité que leur exemple sert de règle aux autres. Pour ne point tirer vanité du don que Dieu leur a fait, c’est-à-dire de la prélalure qui leur a été confiée, et ne s’en point faire un 276 ABjELARDI ET HELOISS£ EPISTOLJE. maxime subjectis per hoc iusultent, audiant quod scriptumest1 : « Noli esse sicut leo iu domo tua, evertens domesticos tuos, et opprimens subjeo- tos tibi. Odibilis coram Deo et hominibus est superbia. Sedes ducum supcr- borum destruxit Dominus, et sederc fecit mites pro eis. Rcctorem te posue- runt, noli extolli. Esto in illis quasi unus ex ipsis. b Et Apostolus Timotheum ergasubjectos instruens : « Seniorem, inquit*, ne increpaveris, sed obsecra ut patrem, juniores ut lVatres, auus ut matres, juvenculas ut sorores. » « Nou vos me, inquit Dominus’, elegistis, sed ego elegi vos. » Uuiversi alii praelati a subjectis eliguntur, et ab eis creantur et constituuutur ; quia nou ad dominium, sed ad minislerium assumuntur. Ilic autem solus vere est Dominus, et subjectos sibi ab serviendum habet eligere. Nec tameu sc dominum, sed ministrum exhibuit, et suos jam ad dignilatis arcem aspi- rantes proprio confutat exemplo, diccus * : « Reges gentium dominantur eorum, et qui potestalem habent super eos benefici vocantur. Vos auteni non sic. » Reges igilur gentiuin imitalur quisquis in subjeclis dominium appetit magis quam ministerium, et timeri magis quam amari satagit, et de prselationis suae magisterio intumesceus, amat primos recubitus in ceenis, et primas cathedras in synagogis, et salutationes in foro, et vocari ab homini- bus Rabbi. Gujus quidem vocationis honorem, ut nec nomiuibus glorie- mur, et in omnibus humilitati provideatur : i Yos aulem, inquit Dominus5, nolite vocari Rabbi, ct palrem nolite vocare super tcrram. » Et postremo universam prohibens gtoriationem : « Qui se, inquit6, exaltaverit, hiunilia- bitur. » Providendum quoque est, ne per absentiam pastorum grex periclitetur, et ne praelatis extravagantibus intus disciplina torpcat. Statuimus itaque, ut diaconissa magis spiritalibus quam corporalibus intendens, nuila exteriore cura monastcrium deserat, sed circa subjectas tauto sit magis sollicita, quanto inagis assidua ; el tanto sit hominibus quoque prscscntia ejus vene- rabilior, quanto rarior, sicut scriptum est7 : « Advocalus a potentiorediscede. Ex hoc enim magis te advocabit. » Si qua vero legatione monasterium egeat, monachi vel eorum conversi ea fungantur. Scmpcr cnim viros mulierum necessitudinibus oportet providere. Et quo carum major religio, amplius vacantDeo, et majori vironim egeut patrocinio. Unde et inatris Domini cu- ram agere Joseph ab angelo admonelur, quam tamen cognoscere non pcr- Ecclcs.,it, 55. — «Timoth., I, v, 1.— s j0Mm XVf ^(j# _ 4 uatUi., xx, 23. — • Mattli., xxxin, 8. — • MiUh., v, 12. — * Ecclcs., xm, 12. LETTRES D’ABÊLARD ET d’Héloïse. 277 moyen*d’insulter leurs inférieurs, qu’ils écoutent ce qui est écrit : « Ne soyez pas comme un lion dans votre maison, brusquant tous les serviteurs, écrasant ceux qui tous sont soumis : car l’orgueil est également haïssable à Dieu et aux hommes. Le Seigneur renversa les sièges des superbes, et mit à leur place les doux de cœur ; ils vous ont établi leur chef ; nu vous enor- gueillissez point ; soyez parmi eux comme l’un d’eux. » Qu’ils écoutent l’a- pôtre Timothée traçant la conduite à tenir vis-à-vis des inférieurs : « Ne maltraitez pas le vieillard, mais priez-le corn, me votre père ; traitez les jeunes gens en frères, les femmes âgées en mères, les plus jeunes en sœurs. » « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, dit le Seigneur, c’est moi qui vous ai choisi. » Tous les autres prélats sont élus par les inférieurs ; ce sont eux qui les nomment et qui les établissent, parcs qu’ils ne sont pas élevés au rang de maîtres, mais de ministres. Dieu est le seul Seigneur véritable ; seul il a le don de se choisir des serviteurs parmi ceux qui lui sont soumis. Cependant il s’est montré plus ministre que maître ; il a confondu par son exemple ses disciples qui déjà aspiraient à l’honneur du premier rang. « Les rois des peuples sont leurs maîtres, dit-il, et ceux qui ont le pouvoir sur eux sont appelés bienfaisants ; mais il n’en est pas ainsi de vous. » C’est donc imiter les rois de la terre que de prétendre à être maîtres plutôt que mi- nistres ; de vouloir se faire craindre plutôt qu’aimer, et, tout enorgueillis de l’autorité de la prélature, de rechercher lu première place à table, le premier rang dans la synagogue, les saints de la foule sur la place publi- que, d’aimer à s’entendre appeler Habbi. Pour nous empêcher de nous glo- rifier de ces hommages et de ces titres, pour nous inviter à rester en toute chose fidèle à l’humilité, voici ce que nous dit le Seigneur : « Ne vous laissez pas appeler Habbi, ne vous laissez pas appeler père sur terre. » En- fin pour nous détourner de toute pensée d’orgueil, il ajo’ilc : « Celui qui s’élèvera sera abaissé. » Il faut aussi prendre ses mesures pour que l’absence du pasteur ne com- promette pas le troupeau, et que l’observation de la règle n’en soit pas sus- pendue. Nous ordonnons donc que la diaconesse, plus occupée du soin des âmes que de celui des corps, ne sorte jamais du monastère pour vaquer aux affaires du dehors. Kl le veillera d’autant mieux aux besoins des religieuses qu’elle vivra plus assidûment au milieu d’elles, et elle sera d’autant plus respectée des hommes qu’elle se montrera à eux plus rarement, ainsi qu’il est écrit : « Éloignez-vous d’un puissant qui vous appelle ; il vous appel- lera d’autant plus. » Si les besoins du monastère exigent quelque mission, les moines ou les frères convers en seront chargés. C’es-t aux hommes de pourvoir aux nécessités des femmes. Plus la piété des femmes est grande, plus elles sont occupées de Dieu, plus elles ont besoin do recourir à l’assis- tance des hommes. C’est ainsi que l’ange avertit Joseph de prendre soin de la mère du Seigneur, qu’il ne lui fut pas cependant donné de connaître. \f> 278 ABALARDI ET HELOISS£ EPISTOL£. mitlitur. Et ipsc Dominus moriensquasi altcrum filium matri suaeprovidit, qiii ejus temporalem ageret curam. Apostoli quoque quantam dcvotis curam impenderenl feminis dubium non est, ut jam satis alibi meminimus ; qua- rum cliam obscquiis diaconos septem instituerunt. Quam quidem nos auc- toritalem sequentes, ipsa etiam rei necessitate hoc exigente, decrevimus, monachos et eorum conversos, more apostolorum et diaconorum, in iisquae ad exteriorem pertinent curam, monasteriis feminarum providere, quibus maximc propter missas necessarii sunt monachi, propter opera vero conversi. Oportet itaque, sicut Alexandriae, sub Marco evangelista, legimus esse fac- tum in ipso Ecclesiae nascentis exordio, ut monasteriis feminarum monas- teria non desint virorum, et per cjusdcm rcligionis viros omnia extrinsecus fcminis administrentur. Et tunc profecto monastcria feminarum uYinius propositi sui religionem obscrvare credimus, si spiritalium virorum provi- dcntia gubernentur, et idcm tam ovium quam arietum pastor constituatur ; ut qui videlicct viris ipse quoque prasil feminis, et semper, juxta aposto- licam inslitutionem : « Caput mulieris sit vir, sicut viri Christus, et Ghristi Deus. » Unde ct monasterium bcabe Scholaslicsc in posscssione fratrum mo- nasterii situm fratris quoque providentia regebatur, ct crebra ipsius vel fratrum visitationc inslruebatur et consolabatur. De cujus quoque regiminis providentia beati Basilii regula quodam loco nos instruens, ita continct : « Iuterrogatio : si oportet eum qui praest extra eam quaj sororibus praest loqui aliquid quod ad xdificationem pcr- tineat virginibus ? — Responsio : et quomodo servabilur illud preceptum Apostoli dicentis : « Omnia vestra honeste et secundum ordinem fianl. » ltem sequenti capitulo : « Interrogatio : si convenit cum qui pncest cum ea quse sororibus praest frequenter loqui, ct niaxime si aliqui de fratribusper hoc la>diiiitur ? — Responsio : Apostolo diccnte : « Ut quid enim libertas judicatur ab aliena conscientia ? » Ronum est imitari eum diccntcm :« Quia uon sum visus potestate mea uti, nc offendiculum aliquod ponercm Evan- gelio Christi.» Et quanlum fieri potest, et rarius videndae sunt, et breviu ; est scrmocinatio fiuieuda. » Hinc et illud est Ifispalensis concilii : « Gonsensu communi decrevimus, ut monasteria virginum in provincia Bctica monachorum ministrationc ac prasidio guberneutur. Tunc cnim salubria Ghrislo dicatis virginibus provi- demus, quando cis spiritales cligimus patres, quorum non solum gubenia- culis tucri, sed etiam doctrinis sdificari possint : hac tamen circa monachos cautela servata, ut remoti ab earum peculiaritate, nec usquc ad vestibulum habeant accedendi permissum familiare ; et neque abbatem vel eum qui pro- LETTRES D’ÀBÉLARD ET D’HÉLOlSE. 870 Seigueur lui-même, en mourant, assure, pour ainsi dire, à sa mère un autre 61s, charge de pourvoir à ses besoins temporels. Quel soin les apôtres aussi ont pris des saintes femmes, on le sait et nous l’avons dit ailleurs : c’est pour elles qu’ils ont institué sept diacres. Suivant ces autorités, et confor- mément d’ailleurs aux exigences* de la nécessité, nous ordonnons que, à l’exemple des diacres, les moines et les frères convers rendent aux monas- tères des femmes tous les services qui touchent à l’extérieur ; les moines étant particulièrement employés pour le service de l’autel, les convers pour les œuvres manuelles. Il faut donc, ainsi que nous lisons que cela avait lieu à Alexandrie sous la direction de l’évangéliste saint Marc, au temps de la primitive Église, il faut qu’il y ait des monastères de femmes et d’hommes vivant sous la même règle, et que les hommes rendent aux femmes de leur communion les ser- vices extérieurs. Alors assurément les femmes observeront bien plus fidèle- ment leur règle, si des religieux pourvoient à leurs besoins, si le même pas- teur conduit les béliers et les brebis, en sorte que le chef des hommes soit aussi le chef des femmes, suivant l’institution apostolique : « Que le chef de la femme soit l’homme, comme Jésus-Christ est le chef de l’homme, et Dieu de Jésus-Christ. » C’est ainsi que le monastère de sainte Scholastique, situé auprès de celui de son frère, était soumis à sa direction et à celle de ses religieux, qui, dans leurs fréquentes visites, apportaient des lumières et des consolations. Saint Basile nous parle aussi, dans un endroit de sa Règle, de la sagesse de ce gouvernement. « Demande : faut-il que celui qui dirige le couvent des frères ait, indépendamment de celle qui dirige les sœurs, des entreliens d’édification avec les vierges ? — Réponse : oui, à condition qu’on observera ce précepte de l’Apôtre : « Que tout se fasse avec ordre et saintement. » Et dans le chapitre suivant : « Demande : convient-il que celui qui dirige le couvent des frères s’entretienne fréquemment avec celle qui dirige les sœurs, quand certains frères en sont scandalisés ? — Réponse : l’Apôtre dit qu’il ne convient pas aux autres de juger ce qui est libre. 11 est bon cepen- dant d’imiter l’Apôtre dans sa conduite ; « Je ne me suis pas tervi de mon pouvoir, dit-il, de peur de porter la moindre atteinte à l’Évangile du Christ. • Autant que faire se peut, il faut donc voir rarement les sœurs, et 1rs entre- tenir brièvement. » Le concile de Se ville tient le même langage. < D’un commun accord, dit- il, nous avons décidé que les monastères de femmes de la Bétique seront placés sous l’administration et le gouvernement des moines. C’est rendre service aux vierges consacrées à Jésus-Christ que de leur choisir des pères spirituels, qui non-seulement tiennent le gouvernail de leurs affaires, mais dont les lumières puissent les édifier. Toutefois les précautions suivantes sont recommandées aux moines. Tenus loin de toute relation privée avec les religieuses, ils n’auront pas la liberté d’approcher même jusqu’au vestibule ; 280 ABJELARDI ET HBL01SS& EPISTOUE. ficitur, extra eam quae praecst, loqui virginibus Christi aliquid, quod ad in- stitutionem morum pertinet, licebit. Nec cum sola quae praeest frequenter ^eum colloqui oportet, sed sub testimonio duarum aut triuni sororum, ita ut rara sit accessio, breus locutio. Absit enim ut ne monacbos, quod etiam diclu ncfas est, Christi virginibus familiares essc vclimus, scd juxta quod jussa regularia vel cauonum admonent, longc discretos alque sejunctos. Eorum tantum gubernaculis casdcm deputamus, constituentes ut unus mo- nachorum probatissimus eligatur, cujus curae sit praxiia carum rusticana vcl urbana intendere, fabricas struere, vel si quid aliud, ad necessitatem monas- terii providere, ut Christi famulas pro animae suae tantum utilitate sol- licitae, solis divinis cultibus vivant, operibus suis inserviant. Sane is qui ab abbate suo praeponitur, judicio sui episcopi comprobetur. Vestes au- tem illae iisdem caenobiis faciant, a quibus tuitionem expectant, ab iis- dem denuo, ut praedictum est, laborum fructus, et procuralionis suffragium rcceptunc. » Hanc nos itaque providentiam sequentes, monasteria feminarum monas- teriis virorum ita scmpcr esse subjecta volumus, ut sororum curam fratrcs agant, ct unus utrisquc tanquam pater praesideat, ad cujus providentiam utraque spectent monasteria, ct utrorumque iu Domino quasi unum sit ovile et unuspastor. Qua». quidem spiritalis fratemitatis societas tanto gratior tam Deo quam hominibus fucrit, quanto ipsa perfeclior omni sexui ad con- version^m venienti sufliccrc possit ; ut videlicet monaclii viros, monialcs feminas suscipiant, ct omni animae dc salute sua cogitanli possit ipsa con- sulere ; etquicunque cum vel matrc, aut sorore, vel filia, seu aliqua, cujus curam gcrit, converti voluerit, plenum ibisolatiumreperirepossit ;eltaiilo majoris charitatis affectui sibi utraque monasteria sint connexa, et pro sc invicem sollicita, quanto qure ibi sunt personae propinquitate aliqua vel af- finitate amplius suut conjunctac. Praepositum autem monachorum, quem abbatem nominant, sic etiam monialibus praeessc volumus ; ut eas, quae Domini sponsa : sunt, cujus ipsc servus est, propiias recognoscat domiuas, ncc eis praeesse, scd prodessc gau- deat. Elsit tanquam dispeusator in d>mo rcgia, qui non impcrio dominam premit, sed providentiam erga cam gcrit ; ut ei dc necessariis stalim obe- diat, et in noxiis cam non audiat, ct sic cxterius cuncta ministrct, ut ihalami sccrela nunquam nisi jussusintroeat. Ad huncigilur modsim servum Christi sponsis Christi providero volumus, et earum pro Christo lideliter curam ge- rere, et de omnibus quae oportet cum diaconissa tractarc, uec ca inconsulta, quidqnam dc ancillis Christi, vcl dc iis quaa ad eas pertiuent cum statuerc, nec ipsum cuiquam earum nisi pcr eam quidquam pra ?cij)ere, vel loqui prae- LETTRES D’ABÉLARD ET DHÉLOlSE. 281 leur abbé ou celui qui le suppléera ne sera pas libre de pailer aux vierges du Seigneur en l’absence de leur supérieure ; il ne s’entretiendra jamais seul à seule avec celle-ci, mais toujours en présence de deux ou trois sœurs : visite rare, discours bref. A Dieu ne plaise, en effet, que nous tolérions la moindre familiarité entre les moines et les vierges ! Conformément aux rites de la Règle et des Canons, nous les séparons d’elles, nous les tenons à l’écart, et nous ne leur déléguons que les soins de l’administration ; nous voulons seulement qu’un moine éprouvé soit chargé de gérer leurs biens de la ville ou des champs, surveille les constructions et pourvoie à tous les autres besoins du monastère, en sorte que les servantes du Christ, n’ayant à songer qu’au salut de leur âme, appartiennent tout entières au culte divin, et se consacrent exclusivement à leurs œuvres. — 11 importe que le moine qui sera proposé par son abbé ait l’approbation de son évéque. En retour, les religieuses feront les habits des moines dont elles attendent protection, et à qui elles devront, comme je l’ai dit, les fruits de leurs travaux en même temps qu’une utile assistance. » Suivant donc cette sage disposition, nous voulons que les monastères de femmes soient toujours soumis à des monastères d’hommes, en sorte que les frères prennent soin des sœurs, qu’un seul abbé préside, comme un père, aux besoins des deux établissements, et qu’il n’y ait, dans le Seigneur, qu’une seule bergerie et un seul pasteur. Cette fraternité spirituelle sera d’autant plus agréable à Dieu et aux hommes qu’elle pourra, parfaite en elle- même, offrir un asile aux conversions des deux sexes, c’esl-à-dire que les religieux recevront les hommes les religieuses les femmes, et que la com- munauté pourvoira ainsi au sort de toute âme songeant à son salut. Qui- conque voudra se convertir avec sa mère, sîKsœur, sa fille ou quelque autre dont elle a le besoin, trouvera là pleine consolation ; car les deux monastères seront unis entre eux par une charité d’autant plus grande, et d’autant plus disposés à s’assister l’un l’autre, que les personnes qui les composeront auront déjà entre elles des liens de patenté. Mais si nous voulons que le supérieur des moines qu’on nomme abbé ait le gouvernement des religieuses, c’est eu telle sorte qu’il reconnaisse pour ses supérieures les épouses de Jésus-Christ dont il est le .’ervileur, et qu’il mette sa joie non à leur commander, mais à les servir. 11 doit être ce qu’est dans une maison roy.de l’intendant, qui ne fait pas sentir son pouvoir à sa maîtresse, et ne se pique que de jouer à son égard le rôle de providence. Il doit lui obéir sans tarder dans les choses justes ; n’entendre pas re qu’elle demande de nuisible ; régler les affaires du dehors, et ne pénétrer, que si on l’y invile, dans celles du gynécée. C’est de cette façon que nous voulons que le serviteur du Christ veille aux besoins des épouses du Christ : qu’il s’acquitte fidèlement du soin qu’il en doit prendre, traite de chaque chose avec la diaconesse, ne décide rien au sujet des servantes du Christ et de tout ce qui les concerne qu’après avoir pris son avis ; ne leur transmette ses ins- 282 AB£LARDI ET HELOISS& EPISTOLyE. sumerc. Quoties vero eum diaconissa vocjverit, ne tardet venire, et quae ipsa ei consuluerit de iis, quibus ipsa vel ei subjectae opus habent, non mo- retur exequi quantum valet. Yocatus autem a diaconissa nunquam nisi in manifesto, et sub testimonio probatarum personarum ci loquatur, nec ei proximus atijungatur, nec prolixo sermone eam detineat. Omnia vero quae ad victum aut vestitum pertinent, et si quae etiam pecu- nise fuerint, apud ancillas Ghristi congiegabuutur vel reservabuntur, et injje fratribus necessaria tradentur de iis quae sororibus supereruut. Omnia iraque fratres exteriora procurabunt, et sorores ea tantum quae intus a mulieribus agi convenit, componendo scilicet vestes ctiam fratrum, vel abluendo, pa- nem eliam < onficiendo, et ad coquendum tradenda, et coctum suscipiendo. Ad ipsas etiam cura lactis, et eorum quae inde fiunt, perlinebit, etgallinarum vel anserum nutrilura, et quaecunque convenienlius mulieres agere quam viri possunt. Ipse vero prapositus quando constitutus fuerit, in presentia episcopi et soronim jurabit, qiiod eis fidelis in Domino dispensator erit, et eamm cor- pora a canali contagio sollicite observabit. In quo si forte, quod absit, epis- copus eum negligentem deprehenderit, statim eum tanquam perjurii reum deponat. Omnes quoque fratres in professionibus suis hoc se sororibus sacra- mento astringent, quod nullatenus eas gravari consentient, et. earum car- nali munditiae pro posse suo providebuut. Niiilus igitur virorum, nisi Iicen- tia prxpositi, ad sorores accessum. habebit, nec aliquid eis missum, nisi a pneposito transmissum, suscipietur. Nulla unquam sororum septa monas- terii egredietur, sed omnia exteiius, sicut dictum est, fratres procurabunt, el in fortibus fortes sudabunt operibus. Nullus unquam fratrum septa hsec ingredietur, nisi obtenta prsepositi et diaconissae licentia, quum aliqua hoc necessaria vel honesta exegerit causa. Si quis forte contra hoc presumpserit, absque dilatione de monasterio projicialur. Ne tamcn viri fortiores feminis in aliquo eas gravnre prcesumant, statui- mus eos quoque nihil pracsumere oontra voluntatem diaconissae, sed omuia ipsos etiam ad uutum cjus peragere, et omnes pariter tam viros quam feini- nas ei professiouem facere, et obedicntiam promittere : ut tanto pax firmior habeatur, et melius scrvctur concordia, quanto fortioribus miuus licebit ; et tanto minus fortes debilibus obedire gravenlur, quanto earum violcntium minus vereantur, et quanlo amplius hic humiliuverit se apud Deum, am- plius exaltari certum sit. Haec in prxsenti de diaconissa dicta sufficiaut. Nunc ad officiales stylum inclinemus. LETTRES D’ABELARD ET D’HÉLOÏSE. 283 tructions que par son intermédi tire, ne se risque jamais à leur parler. Toutes le* fois que la diaconesse le mandes qu’il ne se fasse pas attendre, qu’il ne tarde pas à exécuter, autant que faire se peut, ce qu’elle lui aura demandé pour elle ou pour ses religieuses. Lorsqu’il sera appelé, qu’il ne parle jamais à la diaconesse qu’en public et en présence de personnes éprouvées ; qu’il ne s’approche pas trop d’elle, et qu’il ne la retienne pas trop longtemps. Tout ce qui concerne le costume, la nourriture, l’argent même, s’il y en a, sera réuni et conservé chez les religieuses : elles pourvoiront, de leur su- perflu, au nécessaire des frères. Les frères s’occuperont donc de tous les soins extérieurs, et les sœurs de tout ce qu’il convient à des femmes de faire a l’intérieur,c’est-à-dire découdre les habits des frères, de les laver, de pé- trir le pain, de le mettre au four et de l’en tirer cuit ; elles auront le soin du lai Lige et de tout ce qui en dépend ; elles donneront à manger aux poules et aux oies ; elles feront enfin tout ce que dos femmes peuvent faire mieux que des hommes. Le supérieur, dès qu’il aura été établi, jurera, en présence del’évêque et des sœurs, de leur être un* fidèle économe en Jésus-Christ, et de veiller ri- goureusement à ce que leur chasteté ne reçoive aucune atteinte. Si par ha- sard, ce dont Dieu le préserve, lévèque le trouve en défaut sur quelque point, il le déposera aussitôt comme parjure. Tous les frères, en faisant leurs vœux, prêteront aussi serment aux sœurs ; ils jureront de ne les laisser souffrir en rien, et de veiller également, dans la mesure de leur pou- voir, à leur pureté charnelle. Aucun moine n’aura donc accès auprès des sœurs sans la permission du supérieur, et ne reeewa que de In main du supérieur ce qui lui sera adressé par elles. Aucune sœur ne franchira l’en- ceinte du monastère ; tous les soins extérieurs, ainsi que nous l’avons dit, regarderont les frères : aux forts de s’occuper des travaux qui demandent de la force. D’un autre côté, aucun frère n’entrera dans l’enceinte du couvent des femmes, si ce n’est avec la permission du supérieur et de la diaconesse, et pour un motif de nécessité ou de bienséance. Celui qui enfreindra cet or- dre sera aussitôt expulsé. * De peur cependant que les hommes n abusent de leur force pour opprimer les femmes, nous voulons qu’ils n’entreprennent rien contre la volonté de la diaconesse, et ne fussent rien qu’avec son consentement. Hommes et femmes, tous jureront obéissance à la diaconesse, en sorte que la paix soit d’autant plus solide et la concorde d’autant plus ferme, que les plus forts auront moins de pouvoir, et que les faibles, moins gênés par l’obéissance, auront moins à craindre la violence : il est certain que plus on s’humilie de- vant Dieu, plus on s’élève. En voilà assez pour le moment sur les diaconesses ; venons maintenant aux ofiieières. 284 AB£LARDI ET IIELOISS* EPISTOL.t. VIII. Sacrifica quac et thesauraria, toti oratorio providebit, et omnes quse ad ipsum pertinent claves, ct qure ipsi necessaria sunt, ipsa servabit : et si quae fuerint oblationes, ipsa suscipiet, et de iis, quae in oratorio necessaria sunt, faciendis vel reficiendis, et de toto ejus ornatu curam aget. Ipsius quoque providerc est de tiostiis, de vasis et de libris altaris, et toto ejus or- natu, de reliquiis, de incenso, de luminaribus, de horologio, de signis pul- sandis. Hostias vero, si fieri potest, virgincs conficiant, et frumentum purgent unde fiant, et altaris pallas abluant. Reliquias autem, vel vasa altaris nunquam ei vel a’icui moniulium contingere licebit, ncc etiam pallas, hisi quum eis traditae ad lavandum fucrint. Sed ad hoc monachi vel eontm con- versi vocabuntur, et expectabunlur. Et si necesse fuerit, aliqni sub ea ad hoc ofAcium instituaulur, qui bacc contingere quum opus fuerit digni sint, et arcis ab ea reseratis, baec inde ipse sumaut, vel ibi reponant. Haec quidcm quae sanctuario praesidet, vitac munditia praeeminere debel : quae, si fieri potcst, mente cum corpore sit integra, et .ejus tam abstinentia quam con- tinentia sil probata. Hanc praccipue de compoto lunae instructam esse opor- tet, ut, secundum temporum rationcm, oratorio provideat. Cantrix toti choro providcbit, ct divina disponet ofiicia, et de doctrina cantandi vcl legendi magisterium habebit, et de eis quae nd scribendum pertincnt vel dictandum. Armarium quoquc librorum custodiet, etipsos indc tradctatquc suscipiet, et de ipsis scribendis vel aptandis curam susci- piet, vel sollicita erit. Ipsa ordinabit quomodo sedeatur iu choro, et sedes dabit, et a quibus legendum sit vel cantandum providcbit : et inscrip- tionem componet sabbatis recitandam in capitulo, ubi omnes bebrlomadarijD describentur. Propter quae maxime litteratam cam esse convenit, et prac- cipuc musicam non ignorare. Ipsa etiam post diaconissam toti disciplinae providebil ; et si fortc illa rebus alienis fuerit occupata, vices illius in hoc exequetur. Infirmaria ministrabit infirmis, el eas observabit tam a culpa quam ab indigcutia. Quidquid infirmilas postulaverit, tam de cibis quam de balneis, vel quibuscunque aliis, est cis indulgendum. Notum esl quippe proverbium in talibus : « Infirmis non e>t lex posita. » Carnes eis nullatcnus denegen- tur, nisi sexla feria, vel praceipuis vigiliis aut jejuniis Qualuor Tcmporum, seu Quadragesima ?. A peccato autem tauto umplius coerceantur, quanto ampliusde exitu suo cogitandum iucumbit. Maxime vefo tunc silentiostu- dcndum est, in quo exceditur plurimum, cl orationi instandum, sicut scriptum est1 : « Fili, in tua infirmitatene despitias le ipsum,sed oraDeum, 1 Kecles., xxxvut, 0 ct 10- LETTRES D’ABÉURD ET D’HÉLOlSE. 285 VIII. La sacristine, qui, en même temps, sera trésorière, aura soin de l’église ; elle aura la garde des clefs et de tous les objets du culte, elle recevra les offrandes, elle pourvoira aux ornements, se chargera de les faire réparer et d’en fournir de nouveaux. Ce sera à elle encore de préparer les hoslies, les Tascs sacrés, les livres et la décoration de l’autel, les reliques, l’eucens, le luminaire, l’horloge, les cloches. Ce sont les vierges, s’il est possible, qui feront les hosties, nettoieront le froment qui sert à les faire, et laveront les pales de l’autel. Quant aux reli- ques et aux pales des religieux, ni la sacristine, ni aucune religieuse n’aura le droit d’y toucher, à moins qu’on ne leur donne les pales à laver ; on ap- pellera et on attendra pour cela les moines ou leurs convers, et, s’il le faut, on en subordonnera pour cela à la sacristine quelques-uns qui soient dignes de les toucher : ils les prendront et les replaceront dans les armoires qu’elle aura ouvertes. 11 convient que celle qui a ainsi la garde du sanctuaire se dis- lingue far sa chasteté ; qu’elle soit, autant que possible, vierge de corps et d’âme, d’une abstinence et d’une continence éprouvées. Il est absolument in- dispensable qu’elle connaisse le comput de la lune, afin de parer l’église suivant l’ordre des temps. La chantre aura la direction du chœur et vei]lera à la disposition des divins offices ; elle apprendra aux autres a chanter, à lire, à écrire et à dicter la musique. Elle aura aussi la garde de la bibliothèque, donnera et reprendra les livres, prendra soin des copies et des enlumiuures. Elle réglera la tenue du chœur, assignera les places, désignera celles qui devront lire ou chanter, et dressera la liste des semainières qui sera lue tous les samedis au chapitre. En vue de ces divers services, il convient donc qu’elle soit instruite et qu’elle connaisse particulièrement la musique. Sous les ordres de la diaco- nesse, elle tiendra la main à l’observation de la règle, et, en cas d’empêche- ment, c’est elle qui la remplacera dans ses fonctions. L’infirmière aura le soin des malades et veillera aux tentations de leur âme, comme aux besoins de leur corps. Ce que leur état de santé exi- gera, aliments, bains ou toute autre chose, elle le leur donnera. On connaît le proverbe : a Ce n’est pas pour les malades que la loi a été faite. » On ne leur refusera donc jamais de la viande, si ce n’est les vendredis, les veilles des grandes fêtes, les Quatre-Temps et le Carême ; car il faut d’autant pins les préserver du péché qu’elles doivent davantage songera leur salut. C’est alors surtout qu’il faut s’étudier à garder le silence, où l’excès n’est jamais un défaut, et se livrer à la prière, ainsi qu’il est écrit : « Mon fils, ne vous abandonnez pas vous-même dans la maladie, mais priez le Seigneur, et il aura soin de vous. Détournez-vous du péché, élevez vos mains vers lui, et 286 AB£LARDI ET HKL01SSA EPISTOL.C. et ipse curabit te. Avertere a delicto, et dirige mauus, et ab omni delicto munda cor tuum. » Oporlet quoque infirmis providam semper assistere custodiam, quae, quum opus fuerit, statim subveniat : et domum omnibus instructam essc, quae inlirmitati illi suut necessaria. De medicameutis quoque si necesse est, pro facultate loci providendum erit. Quod facilius fieri po- test, si quse infirmis praest non fuerit expers medicina ?. Ad quam etiam de iis quae sauguinem minuunt cura pertinebit. Oportet aulem aliquam fle- botomiae peritam esse, nc virum propter hoc ad mulieres ingredi neccsse sit. Providendum est eliam de officiis horarum et communione, ne desint infirmis ; ut saltem Dominico die commimicetur, confessione semper et sa- tisfactione quam potuerint praeeuntibus. Dc unctione quoque infirmorum beati Jacobi apostoli sententia sollicile custodiatur, ad quam quidem facien- dam tunc maxime quum de vita segrotantis desperatur, inducantur ex mo- nachis duo scuiores sacerdotes cum diacono, qui sanctiGcalum oleum secum aiTenint, ct conventu sororum assistente, interposito tamen parietc, ipsi hoc celebrent sacramentum. Simililcr quum opus fuerit, de communione agalur. Oporlet itaque domum infirmarum sic aptari, ut ad haec facienda monachi facilem habeant accessum et recessum, nec conventmu videutes, nec ab eo visi. Singulis autem diebus semel ad minus diaconissa cum celleraria infir- mam tanquam Christum visilent, ut dc uecessitatibus ejus sollicitae provi- deaut tam in corporalibus quam spiritalibus, et illud a Domino audire me- reantur1 : « lnfirmus cram, et visitasli me. » Quod si aegrotans ad exitum propinquaverit, et in extasi agonise venerit, statim aliqua ci assistens ad con- vcntum propcret cum labula, et cam pulsans exitum sororis nuntiet, to- tusque conventus, quaecunquc hora sit diei vel noctis, ad morienlem festinet, nisi ecclesiasticis prcepediatur ofliciis. Quod si acciderit, quodniliil estopcri Dei praponendum, satis cst diaconissam cum aliquibus, quas elegerit, ac- celerare, et conventum postmodum sequi. Qurecunque vero ad hunc tabulae pulsum occurrcrint, statim litaniam inchoent, quousque sanctorum et satidarum invocatio compleatur ; et tunc psalmi vel caetera, quac ad exe- rjni.is pertinent. subsequantur. Quam salubre vero sit ad intirmos ire sive nmrluos, Ecclcsiastes diligenter altendens, ait1 : a Mclius cst ire ad domum liiclus, quam ad domum convivii. ln illa enim finis cunctorum admonetur hoinjnum, et vivens cogitat quid futurus sil. » Item3 : « Cor sapieutium ubi tristilia est. » Defuncts3 vero corpusculum a sororibus statim ablualur, cl iiliqua vili, sedmunda interula et caligis indutum feretro impouatut’, vclo apitc obvolulo. QuaB quidem indumenta firmiter corpori consuantur siv< : 1 Matlh., xxv, 36. — a Ecclc»., vn, 3.~ » Ecclc»., vii, 5. LETTRES D’ADÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 287 purifiez voire cœur de toute iniquité. » Il faut aussi que l’infirmière fasse une garde vigilante auprès des malades, qu’elle soit toujours prête à venir à leur aide, en cas de besoin ; il faut que la maison soit fournie de tout ce qui est nécessaire. Elle doit s’approvisionner de médicaments, sui- vant les ressources de l’endroit : ce qu’elle fera d’autant mieux qu’elle connaîtra la médecine. A elle encore appartiendra de veiller à tout ce qui touche aux pertes périodiques des sœurs. H faut qu’elle sache saigner, pour que cette opération ne nécessite l’accès d’aucun homme auprès des reli- gieuses. L’infirmière réglera encore les heures des offices et la communion pour les malades, afin qu’elles n’en soient pas privées ; le dimanche, au moins, elles doivent communier, après préparation par la confession et la contrition dans la mesure du possible. Au sujet de l’extrême-onction, on veillera avec soin à l’observation du précepte de l’apôtre saint Jacques. Pour administrer ce sacrement à une malade désespérée, on introduira dans le monastère les deux plus vieux prêtres d’entre les moines"et le diacre ; ils apporteront avec eux les saintes huiles et feront la cérémonie de l’onction, toule la communauté y prenant part, mais séparés de la chambre de la ma- lade par une cloison. On fera de même toutes les fois qu’il sera nécessaire pour la communion. 11 faut donc que l’infirmerie soit disposée pour l’admi- nistration des sacrements, de telle sorte que les moines puissent entrer et sortir, sans voir la communauté ni en être vus. Chaque jour, une fois au moins, la diaconesse, accompagnée de la cellé- rière, visitera les malades, comme elle ferait le Christ, afin de s’éclairer sur leurs besoins temporels ou spirituels et d’y pourvoir. Ainsi mériteront-elles d’entendre ces paroles du Seigneur : « J’étais malade et vous m’avez visité. > Que si une malade approche de sa fin et tombe dans les angoisses de l’agonie, aussitôt une de celles qui la veillent, parcourant le couvent avec la crécelle et la faisant tourner, annoncera la fin de la sœur ; alors la communauté en- tière, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, se réunira auprès de la mourante, à moins que la célébration des offices ne l’en empêche. Dans ce cas, comme le service de Dieu doit passer avant tout, il suffira que la dia- conesse, accompagnée de quelques sœurs qu’elle choisira, fasse diligence ; lacommuuauté viendra ensuite. Celles qui auront été ainsi réunies à l’appel de la crécelle, réciteront les litanies, parcourant la liste entière des saints et des saintes ; puis les psaumes et les prières des morts. Combien sont bon- ne» ces visites aux malades ou aux morts, l’Ecclésiastc le fait remarquer avec soin : « Mieux vaut aller, dit-il, dans une maison où l’on pleure que dans une maison oh règne la joie d’un festin ; dans la première, ou apprend quelle est la fin de tous les hommes, et vivant, on pense à ce que l’on doit être un jour ; » et encore : « Le cœur du sage se plaît là où est la tristesse. » Dès que la malade a expiré, son corps doit être lavé par les sœurs ; on lui mettra une robe grossière, mais une chemise propre, et des sandales ; puis on la placera sur un brancard, la tête couverte de sou voile. Il faut que ses 288 AB.ELARDI ET HELOISS^ EPISTOL^. ligcntur, nec ulterius moveantur. Ipsum corpus a sororibus iu ecclesiam delalum inonachi quum oportuerit sepulturae tradant, et sorores inlerim in oratorio psalmodias vel orationibus iutente vacabunt. Diaconissac vero sepul- tura id tantum pnc cxteris babeat honoris, ut cilicio solo tolum ejus corpus involvatur, et in eo quasi in sacco lota consuatur. Yestiaria totum quod ad euram hiduraenlorum spectat providebit, tam in calciamentis scilicet quam incxteris omnibus. Ipsa touderi ovcs faciet, coria calciamentorum suscipiet. Linum seu lanam excolet et colliget, et tolam curam telarum habebit. Filum et acum et forficas omuibus ministrabit. To- tam dormitorii curam habebit, et stratis oranibus providebit. De mantilibus quoque mensarum et manulergiis et univvrsis pannis curam aget, inciden- dis, suendis, nbluendis. Ad lianc maxime illud pcrtinet1 : a Quacsivit lanam el linum, ct opcrala est consilio mauuum suarum. Manum suam misit ad colum, et digiti sui apprebenderunt fusum. Xon timebit domui suae a frigo- ribus nivis. Omnes enim domestici ejus vestiti duplicibus, et ridebit in die novissimo. Consideravit semitas domus suce, ct panem oliosa non comedit. Surrexerunt filii ejus et beatissimam praedicaverunt eam. » Haec suorum operum habebit instrumcnta, et providebit de suis operibus, qusc quibus debeat injungeresororibus. Ipsaenim noviliarum curani agct, donecin con- gregationem suscipiantur. Celleraria curam habebit de iis onmibus quac perlinent ad victum, de cellario, refeclorio, coquiua, molcndino, pistrino cum furno, de hortis etiam et viridariis, ct agrorum tota cultura : dc apibus quoque, armentis et pecoribus cunctis, seu avibus neccssariis. Ab ipsa requiretur quidquid de cibis necessarium erit. Ilanc maxime non essc avaram convenit, sed promptam et voluntariam ad omnia necessaria tribueuda. « Hilarcm cuini datorem diligit Deus. » Quam omuino prohibemus, nc dc admiiiistralionis suai dispcusatioue sibi magis quam aliis sil propitia, uec privata sibit parel fcrcula, nec sibi reservet quae aliis defraudet. « Optimus, inquit Ilierony- mus*, est dispensalor, qui sibi nihil rcservat. ) ; Judas suac dispensationis ubuleiis otricio, quum loculos habcret, de ccetu periit Apostolico. Ananias quuque et Saphira uxor ejus retinendo sententiam mortis cxceperunt. Ad portariam, sivc ostiariam, quod idem cst, pertiiiet de suscipiendi ? hosjulibus, vel quibuslibet advcnientibus, ct de iis liuntiandis vel adducen- dis ubi oportcal, ct dc cura hospitalitatis. Hanc a-late et mentc discretam essc convenit, ut sciat accii^ere rcs])onsum et reddcrc, ct qui vcl qualiter suscipiendi sint, an non sint, dijudicare. Ex qua maxime tanquamex vesti- Prov., xxxvi, 13, 19. - » Epist., xxxiv. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HELOlSE. 289 vêtements soient solidement cousus ou attachés au corps, de manière qu’ils n’éprouvent aucun déraugement.’Le corps apporté dans l’église, les moines, lorsqu’il en sera temps, l’enterreront, et cependant les sœurs ne cesseront de psalmodier dans l’église ou de prier dans leurs cellules. Le seul honneur déplus accordé à la diaconesse, c’est que son corps doit être enveloppé dans un cilice, où elle sera cousue tout entière comme dans un sac. La robière aura le soin de tout ce qui concerne l’habillement, tant pour les chanoines que pour le reste. Elle fera tondre les brebis, et recevra le cuir ; elle recueillera et gardera le lin et la laine ; elle prendra soin de la fabrication des toiles ; elle distribuera le fil, les aiguilles, les ciseaux ; elle aura la surveillance du dortoir et des lits ; elle sera chargée de diriger la taille, la couture, le lavage des nappes de table, des serviettes et de tout le linge du monastère. C’est surtout à elle que s’applique ce passage : « Elle a recueilli le lin et la laine, et les a travaillés de ses mains. Sa main a pris la quenouille, et ses doigts ont fait tourner le fuseau. Elle ne craindra pas le froid ou la neige pour sa maison, car tous ses serviteurs ont double vête- ment ; et, le jour de sa mort, elle sourira, car elle a toujours gardé le seuil de sa maison, et elle n’a pas mangé son pain dans l’oisiveté. Ses enfants se sont levés et ont annoncé qu’elle était bien heureuse. » Elle aura tous les instruments nécessaires à son emploi. Elle réglera la tâche de chacune des sœurs. C’est elle qui prendra soin des novices, jusqu’à ce qu’elles soient ad- mises dans la communauté. La cellérière aura la charge de tout ce qui concerne la nourriture : cel- lier, réfectoire, cuisine, moulin, boulangerie, four, jardins, vergers et champs, ruches, troupeaux, animaux de toute sorte et oiseaux. C’est sur elle que l’on comptera pour tout ce qui touche à l’alimentation. Elle ne doit pas se montrer avare, mais toujours prête et empressée à donner ce qui est nécessaire. Dieu, est-il dit, aime celui qui donne gaiement. Défense lui est faite de songer à elle-même plus qu’aux autres dans les soins de sa charge, de se préparer des mets particuliers, de se réserver des douceurs. f Le meilleur économe, dit saint Jérôme, est celui qui ne se réserve rien. » Judas, ayant abusé de sa charge pour se faire un pécule, fut exclu du sénacle des Apôtres. Ananias aussi et Saphire, sa femme, ayant retenu ce qui ne leur appartenait pas, furent condamnés à mort. Quant à la portière ou à l’ostiaire, ce qui est la même chose, à elle ap- partient le soin de recevoir les étrangers et tous ceux qui se présentent, de les annoncer, de les mener où il faut, et de pourvoir à tous les besoins de l’hospitalité. Il convient qu’elle soit d’un âge et d’un esprit sûrs, qu’elle sache donner et recevoir une réponse, et distinguer ceux qu’il faut de ceux qu’il ne faut pas recevoir. Placée à l’entrée du monastère comme dans le vestibule du Seigneur, c’est elle qui donnera la première impression : il est • 1P 290 AB&LARDI ET HELOISSJE EPISTOLE. bulo Domini religionem monasierii decorari oportet, quum ab ipsa ejus nolilia incipiat. Sit igitur blanda verbis, mitis alloquio, ut in his quoque quos excluseril, convenienti reddila ratione charitatem sludeal sedificare. Hinc enim scriptum est* : « responsio mollis frangit iram, sermo durus sus- citat furorem. » Et alibi : « Verbum dulce multiplicat amicos, et niiligat inimicos. » Ipsa quoque saepius pauperes videns, meliusque cognoscens, si qua eis de cibis aut vestimentis distribuenda sunt, distribuet : tam ipsa vero quam csetercc officiales, si suffragio vel solatio aliquarum egerint, deulur eis a diaconissa vicariae. Quas praecipue de conversis assumi convenit, ne aliqua unquam monialium divinis desit officiis, sive capitulo vel refeclorio. Domunculam juxta portam habeal, in qua ipsa vel ejus vicaria pnesto sit semper advenientibus, ubi etiain oliosae non maneant, et tanto am- plius silentio studeant, quanto earum loquacitas liis quoque qui extra sunt facilius potest innotescere. Ipsius profecto est non solum homines, quos oportet, arcere ; verumetiara rumores penitus excludere, ne ad con- ventum temere deferantur, et ab ipsa est exigendum. quidquid in hoc quo- que fuerit excessum. Si quid vero audierit quod scitu opus sit, ad diaconis- sam secreto referet, ut ipsa super hoc, si placet, deliberet. Mox autem ut ad portam pulsatum vel inclamatum fuerit, quse pneslo est querat a superve- nientibus qui sinl, autquid velinl, portamque, si oportuerit, statim aperiat, ut advenientes suscipiat. Solas quippe feminas intus hospitari licebit. Viri autem ad monachos dirigentur. Nullus itaque aliqua dc causa intus adinit- telur, nisi cousulta prius et jubcnte diaconissa. Femiuis autcm statim pa- tebit introitus. Susceptas vero feminas, seu viros quacunque occasione in- troeuntcs portaria in cellula sua pausare faciet, donec a diaconissa vel soro- ribus, si necessarium est vel opportuuum, eis occurratur. Pauperibus vero quae ablutione pedum iudigent, hanc quoque hospitalitatis graliam ipsa dia- conissa seu sorores diligenter exhibeant. Nam et Apostolus ex hoc pracipue humanitalis obscquio dictus est diaconus. Sicut in Vilis quoque Patrum quidam ipsorum inemiuil, diccns : a Propter te homo salvator factus diaco- nus, pnEcingens se linteo, lavit pcdes discipulorum, praecipiens eisfratrum pedes lavare. » Hinc Aposlolus de diaconissa lueniinit dicens : « Si hospitio recepit, si saticloruin pedes lavit. n El ipsc Dominus :« Hospes, inquit1, eraui, et collegistis me. u Oflkiales omnes prseler cantricem de his insti- tuanlur, quac litteris non intenJuut, ut si ad Jioc tales reperiri po£sint ido- nese, lilteris vacare libcrius queant* IX. Oratorit ornamenta necessaria smt, non superflua ; munda magis 1 Ptov.,iT, i,— ■ Maitli., «v, 35. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 291 donc bon qu’elle fasse bonneur à la tenue de la maison, qu’elle ait la parole douce, l’abord agréable, afin, que ceux même qu’elle éconduira soient édi- fiés dans leur charité par la justesse des raisons qu’elle leur donnera. Car il est écrit : « Une réponse douce brise la colèrev et une parole dure fait mon- ter la fureur ; » et ailleurs : « Une parole douce multiplie les amis et apaise les ennemis. » Voyant plus souvent les pauvres et les connaissant mieux, c’est elle qui leur distribuera les aliments et les vêtements qu’on voudra leur donner. Dans le cas où elle aurait besoin, elle ou les autres offi- cieras, d’assistance et de soulagement, la diaconesse leur donnera des sup- pléantes qu’elle choisira particulièrement parmi les sœurs converses, pour qu’aucune sœur ne manque au service divin, au chapitre ou au réfectoire. La portière aura un petit logement auprès de la porte, afin qu’elle ou sa suppléante soit toujours prête à répondre aux arrivants. Elles n’y devront pas rester oisives, et elles s’attacheront d’autant plus à observer le silence, que leur bavardage pourrait plus facilement arriver aux oreilles des per- sonnes du dehors. À la portière incombe le soin, non-seulement d’écarter les hommes, mais de fermer la porte aux bruits qui pourraient pénétrer dans le couvent : elle sera responsable de tous les abus de cette sorte. Si elle entend quelque chose qui mérite d’être su, elle ira en faire part secrète- ment à la diaconesse, qui prendra telles mesures qu’elle jugera opportunes. Dès qu’on a frappé ou appelé à la porte, elle doit se présenter, demander aux survenants ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent, et leur ouvrir aussitôt, s’il y a lieu, pour les recevoir. Les femmes seules pourront être reçues dans l’intérieur du couvent ; les hommes seront dirigés chez les moines. Pour quelque motif que ce soit, aucun ne sera admis dans le couvent que sur l’avis et par l’ordre de la diaconesse. Quant aux femmes, elles auront im- médiatement porte ouverte. Les femmes accueillies, les hommes entrés pour un motif quelconque, la portière les fera demeurer dans sa cellule jus- qu’à ce que la diaconesse ou les sœurs, s’il y a nécessité ou convenance, viennent les recevoir. Si ce sont des pauvres à qui il faille laver les pieds* la diaconesse elle-même et les sœurs s’acquitteront avec empressement de ce devoir d’hospitalité. C’est en se livrant à cet humble service d’humanité que l’Apôtre a mérité le nom de Diacre, ainsi qu’il est dit dans la Vie des saints Pères : « L’Homme-Dieu s’est fait diacre pour vous : il s’est ceint d’un linge pour laver les pieds de ses disciples, et il leur a fait laver les pieds de leurs frères. » C’est ce qui a fait dire à l’Apôtre en parlant de la diaconesse : « … si elle a donné l’hospitalité, si elle a lavé les pieds des pauvres… » Et le Seigneur lui-même : « J’étais étranger et vous m’avez reçu. » Toutes les oflicières devront être instruites de ces devoirs qui n’ont pas de rapport avec les lettres, excepté la chantre, et celles, s’il s’en trouve, qui se livrent à l’étude des lettres, et qui n’en doivent pus être distraites. IX. Que les ornements de l’église soient suffisants ; qu’ils n’aient rien de superflu ; qu’ils soient propres plutôt que précieux. Point de matière d’or m AB£LARDI ET HELOISSJE EPISTOLJE. quam pretiosa. Nihil igitur in eo de auro vel de argento compositum sit prae- ter unum calicem argenteum, vel plures etiam, si necesse sit. Nulla de se- , rico sint ornamenta, pneter stolas aut pbanones. Nulla in eo sint imaginum sculptilia. Crux ibi lignea tantum erigatur ad altare, in qua si forte ima- ginem Salvatoris placeat depingi, non est prohibendum. Nullas vero alias imaginesaltaria cognoscaut. Campanis duabus monasterium sit contentum. Yas aquae benedictae ad introitum oratorii extra collocetur, ut ea sanctili- centur mane ingressune, vel post completorium egressae. X. Nullae monialium horis desint canonicis ; sed statim ut pulsatum fuerit signum, omnibus aliis postpositis ad divinum properetur officium, modesto tamen incessu. lntroeuntes autem secreto oratorium, dicanl quae poterunt : c Introibo in domum tuam, adorabo ad templum sanctum tuum, elc. » Nullus in choro liber teneatur, nisi officio pnrsenti necessarius. Psalmi aperte et distincle ad intelligendum dicantur, et tam moderata sit psalmo- dia vel cantus, ut quae vocem habent infirmam sustinere valeant. Nihil in ecclesia legatur aut cantetur, nisi de authentica sumptum scriptura, maxime autem de Novo vel Veteri Testamento, quae utraque sic per lectiones distri- buantur, ut ex integro per annum in ecclesia leganlur. Expositiones vero ipsorum vel sermones doctorum, seu quaelibet scripturae aliquid aedificatio- nis habentes ad mensam vel in capitulo recitantur : et ubicumque opus sit omnium lectio concedatur. Nulla autem legere vel cantarc praesumat, nisi quod prius praeviderit. Si qaa forte de iis aliquid in oratorio vitiose protulerit, ibidem supplicando coram omnibus satisfaciat, secreto dicens : « Ignosce, Domine, etiam hac vice negligentiae meae. » Hedia autem nocte, secundum institutionem proplieticam, ad vigilias nocturnas surgendum est, propter quod adco tempestive cubandum est, ut has vigilias ferre natura valeat infirma, et omnia quse ad diem pertinent cum luce fieri possint, sicut et bealus Benedictus instituit. Post vigilias au- tem ad dormitorium redeatur, antequam hora matutinarum laudum pulse- tur. Et si quid noctis adhuc superest, iufirmae somnus non negetur naturse. Maxime namque somnus lassatam recreat naturam, et patientem operis red- dit, et sobriam conservat, et alacrem. Si quae tamen Psalterii vel aliquarum lectionum meditatione indigent, ut beatus quoque meminit Benedictus, va- care ita debent, ut quiescentes non inquietent. Ideo namque meditationi hoc loco potius quam lectioni dixit, nc lectio aliquorum quietem impediret alio- rum. Qui etiam quum ait, « a fralribus qui indigent, d profeclo ncc ad hanc meditationem compulit. Nonnunquam tamen si doctrina etiam cantus opus est, de hoc similiter providendum est iis quibns necesse est. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 293 ou d’argent, sinon nn calice ou plusieurs, s’il le faut. Point d’autres orne- ments en soie que les étôles et les manipules. Point d’images taillées : une croix de bois sur l’autel ; une peinture de l’image du Sauveur n’est pas in- terdite, mais les autels ne doivent avoir aucune autre image. Deux cloches suffisent au monastère. Un vase d’eau bénite sera placé à l’entrée de l’é- glise, au dehors, afin qu’avant d’entrer le matin, ou au moment de sortir, à coroplies, les religieuses puissent se sanctifier. X. Nulle ne peut s’absenter aux heures canoniales ; au premier signal, toutes doivent tout quitter pour se rendre à l’office avec empressement, d’un pas modeste toutefois. En entrant dans l’église, que celles qui le pourront, disent : « Introibo in domum tuam, adorabo ad tcmplum sanctum tuum… » On n’aura point d’autres livres au chœur que celui qui sera utile pour l’of- fice du moment. Les psaumes seront récités à haute et intelligible voix, et la psalmodie ou le chant mis sur un ton qui permette aux voix les plus fai- bles de suivre. Il ne sera rien lu ni chanté dans l’église, qui ne soit tiré des écrits canoniques, du Nouveau ou de l’Ancieu Testament, et on aura soin de distribuer des lectures de façon que les Écritures soient lues en entier à l’Église dans le cours de l’année. Les sermons ou les exhortations des Pères de l’Église, tous les textes propres à l’édification seront lus particulière- ment au réfectoire ou au chapitre ; mais on en permettra la lecture partout où besoin sera. Aucune religieuse ne se hasardera à lire ou à chanter, sans s’y être pré- parée. Si par hasard, malgré cette précaution, elle laissait échapper quel- que faute de prononciation à l’Église, elle s’en excusera aussitôt devant toutes ses sœurs en répétant elle-même au fond de son cœur : « Seigneur, pardonnez encore cette fois à ma négligence. » Au milieu de la nuit, on se lèvera pour chanter les vigiles suivant l’in- struction du prophète, et, à cet effet, on se couchera de bonne heure, afin que les santés délicates puissent supporter cet exercice. D’ailleurs, tout ce qui appartient aux devoirs du jour doit finir avec le soleil, selon la règle de saint Benoît. Après matines, on entrera au dortoir pour n’en sortir qu’à laudes. Tout le reste de la nuit sera accordé aux exigences de la nature : le sommeil rafraîchit le corps, le rend propre au travail, le conserve sain et dispos. Celles qui ont besoin de méditer sur quelque psaume ou sur quel- ques lectures, suivant la règle de saint Benoît, doivent le faire, sans trou- bler le sommeil des autres. Voilà pourquoi saint Benoit dit méditation et non lecture, de peur que la lecture n’empêche les autres de dormir. Au reste, il n’oblige personne à cet exercice, puisqu’il dit : « Aux frères qui en ont besoin. » Si l’on a besoin d’apprendre à chanter, on devra s’imposer la même règle. v 294 ABjELARDI ET HELOISSJE EPISTOLJE. Hora vero matntina, die statim illucescente, peragatur, etexorto lucifero, si provideri potest, ipsa pulsetur. Qua completa revertatur ad dormitorium. Quod si aestas fuerit, qua tunc breve est tempus nocturnum, et longum matutinum, aliquantulum ante primam dormire non prohibemus, donec sonitu iacto cxcitentur. De qua etiam quiete post matutinales videlicet laudes beatus Gregorius h Dialogorum capitulo, quum de venerabili viro Libertino loqueretur, meminit, dicens : « Die vero altera erat pro utilitate monasterii causa constituta. Expletis igitur hymnis matutinalibus, Liberti- nus ad lectum abbatis venit, orationem sibi humiliter petiit. » Haec igitur quies matutinalis a Pascha usque ad aequinoctium autumnale, ex quo inci- pit diem excedere, non denegetur. Egressae autem de dormitorio abluant, et acceptis libris in claustro se- deant legentes vel cantantes, donec prima pulsetur. Post primam vero, in capitulum eatur, et omnibus ibi residentibus lectio Martyrologii legatur, luna ante pronuntiata. Ubi postmodum vel aliquo sermonis aedificio fiat, vel aliquid de regula legatur et exponatur. Deinde si qua> corrigenda sunt, vel disponenda, prosequi oportet. Sciendum vero est, nec monasterium nec domum aliquam inordina- tam dici debere, si qua ibi inordinate fiant, sed si quum facta fuerunt, non sollicite corrigantur. Quis enim locus a peccato penitus expers ? Quod dili- genter beatus attendens Augustinus, quum clerum suum instnieret, in quodam loco meminit, dicens : « Quantum libet enim vigilet disciplina do- mus meas ; homo sum, et intcr homines vivo. Nec mihi arrogare audeo ut domus mea melior sit quam arca Noe, ubi tamen inter octo homines unus inventus est reprobus ; autmelior sitquamdomus Abrahae, ubi dictum est : « Ejice ancillam et filium ejus ; » aut melior quam domus Isaac : « Jacob dilexi, Esau odio habui ; » aut melior quam domus Jacob, ubi lectum patris filius incestavit ; aut melior quam domus David, cujus filius unus cum so- rore concubuit, alter contra patris tam sanctam mansuetudinem rebellavit ; autmelior quamcohabitatio apostoli Pauli, qui si inter bonos habitaret non diceret : « Foris pugnae, inlus timores ; » nec loqueretur : Nemo est homo qui germane de vobis sollicitus sit : omnes quae sua sunt quacrunt ; » aut melior quam cohabitatio ipsius Ghristi, in qua undecim boni perfidum et furem Judam toleraverunt : aut melior postremo quam caelum, unde angeli ceciderunt. » Qui etiam, nos ad ’disciplinam monasterii plurimum exhor- tans, annexuit dicens : « Fatcor coram Deo, ex quo Deo servire coepi, quo- modo difficile sum expertus meliores quam qui in monastcriis profecerunt, ita non sum expertus pejores quam qui in monasteriis ceciderunt. » Ita ut LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 295 Les matines se chanteront à la pointe du jour, et on les sonnera, s’il est possible, dès le crépuscule. Cet office fini, on retournera au dortoir. En été, les nuits étant courtes et les matinées longues, nous n’interdisons pas de dormir jusqu’à l’heure de primes, pourvu qu’au premier coup de cloche on soit debout. Saint Grégoire fait mention de ce repos après matinestdans son chapitre des Dialogues, lorsqu’il dit, en parlant du vénérable abbé Li- bertinus : « On devait, ce jour-là, prendre mie mesure importante pour le monastère : après matines, Libertinus vint au lit de l’abbé pour lui de- mander humblement sa bénédiction. » Il n’est donc pas interdit de reposer après matines, depuis la Pâque jusqu’à l’équinoxe d’automne, époque à par- tir de laquelle les jours diminuent. Au sortir du dortoir, on se lavera les mains, on prendra les livres, et on restera dans le cloître à lire ou à chanter jusqu’au coup de primes. À l’is- sue de primes, on se rendra au chapitre, et là, toutes les sœurs étant réu- nies, on lira le martyrologe après avoir indiqué le jour de la lune ; ensuite il sera fait quelque entretien édifiant ou quelque lecture commentée de la règle ; enfin ce sera le moment de pourvoir aux réformes ou aux disposi- tions nouvelles, s’il y a lieu. On doit comprendre qu’un monastère, pas plus qu’une autre maison, ne passe pour mal ordonné, parce qu’il s’y produit quelque désordre, mais parce que, le désordre produit, il n’y est pas diligemment porté remède. Quel est, en effet, le Heu où le péché n’ait sa place ? Saint Augustin était bien convaincu de cette vérité, quand dans un certain passage de son instruction a son clergé, il disait : « Quelque vigilante que soit la règle de ma maison, je suis homme, et je vis parmi les hommes, et je ne me flatte pas que ma maison vaille mieux que l’arche de Noé, où cependant sur huit hommes il y eut un réprouvé ; mieux que la maison d’Abraham, à qui il a été dit : • Chassez votre servante ; » mieux que celle d’Isaac, où Dieu a dit : « J’ai aimé Jacob et haï Esaû ; » mieux que celle de Jacob, où le fils a souillé le lit de son père ; mieux que celle de David, dont un fils a couché avec sa sœur, tandis que l’autre s’est révolté contre son père ; mieux que la compagnie de saint Paul, qui n’aurait pas dit, s’il n’eût habité que parmi des justes : « Au dehors les combats, au dedans les alarmes ; » et encore : « 11 n’y a per- sonne qui s’occupe cordialement de vous, chacun ne cherche que son bien ; » mieux que la compagnie de Jésus lui-même, auquel onze justes ont fait sup- porter la perfidie et les larcins de son douzième disciple, de Judas ; mieux enfin que le ciel dont les anges ont été précipités. » Le même Père qui nous encouragea suivre la règle du monastère ajoute : « J’avoue devant Dieu que, du jour où je me suis consacré à son service, je n’ai pas trouvé de meilleurs chrétiens que ceux qui vivent dans les monastères, conformément à leurs vœux ; mais je n’en ai pas non plus connu de pires que ceux qui ont failli dans les monastères. » En sorte que, si je ne me trompe, c’est de là qu’il 206 AB&LARMET HELOISSjE EPISTOUE. binc, arbitror, in Apocalypsi scriptum : « Justus justior fiat, et sordidus sordescat adhuc. » Tanta igitur correctionis districtio sit, ut qusecunque in altera viderit quod corrigendum sit, et celaverit, graviori subjaceat disciplinae, quam illia quae hoc commisit. Nulla igitur vel suum vel alterius delictum accusare differat. Quaecunque vero se accusans alias praevenerit, sicut scriptum est * ; « Justus prior est accusator sui, » mitiorem meretur disciplinam, si ejus cessaverit negligentia. Nulla vero aliam excusare praesumat, nisi forte dia- . conissa ab aliis ignotam rei veritatem interroget. Nulla unquam aliam ca> dere pro quacunque culpa prsesumat, nisi cui injunctum fuerit a diaconissa. Scriptum est autem de disciplina correctionis * : « Disciplinam Domini, fili mi, ne abjicias. Ne deficias quum ab eo corriperis. Quem enim diligit Do- minus corripit, et quasi pater in filio complacet sibi. » Itcm : « Qui parcit virgse, odit filium : qui autem diligit illum, instanter erudit. Pestilente fla- gellato sultus sapientiorerit. Mulctato pestilente sapientior erit parvulus. Flagellum equo, et chamus asino, et virga dorso imprudentium. Qui corripit hominem postea inveniet apud eum, magis quam ille qui per linguae blan~ dimentadecipit. Omnis autem disciplina in prxsenti quid videtur non esse gaudii, sed mcRrpris. Postea autem fruclum pacatissimum exercitatis per eam reddet justiliae. Confusio patris est in filio indisciplinato, filia autem fatua in deininoratione erit. Qui diligit filium, assiduat illi flagella, ut lae- tetur in novissimo. Qui docet filium, laudabitur in illo, et in medio dornes- ticorum in illo gloriatur. Equus indomitus evadet durus, et filius remissus evadet praeceps. Lacta filium tuum, et paventem te faciet. Lude cum co, et contristabit te. » In discussione vero consilii, cuilibet suam proferre sententiam lice- bit, sed quidquid omnibus videatur, diaconissse decretum immobile tenea- tur, in cujus arbitrio cuncta consistunt ; etiam si, quodabsit, ipsa fallatur, et quod deterius est ipsa constituat. Unde et illud est beati Augustini libro Confessionum : « Mullum peccat qui inobediens est suis prselatis in aliquo, si vel meliora eligat quam ea quae sibi jubentur. » Multo quippe melius est nobis bene facere, quam bonum faccrc. Nec tam quod fiat, quam quod quo modo vel animo fiat, pensandum c>t. Bene vero fit quidquid per obedien- tiam fit, etiam si quod fit bonum esse miniine videatur. Per omuia itaque pnelatis est obediendum, quanlacunque sint damna rerum, sinullum appa- 1 ProT., ra, i ! ct 12. — ■ Prot., xiii, 44 ; xix, 25 ; xxi, U ; xxti, 83 ; xxrm, 23 ; Hebr., xu, 11 ; Ecde»., xxu, 3 ; xxx, 1 et 2 ; 8el 9. LETTRES D’ABÉURD ET D’HÉLOlSK. S97 est écrit dans l’Apocalypse : « Le juste devient plus juste, et celui qui s’est souillé s’enfonce davantage dans la souillure. » 11 faut donc que la règle de la correction soit tendue de telle sorte, que si quelque religieuse a reconnu la faute d’une autre et l’a dissimulée, elle soit punie plus rigoureusement que la coupable. Nulle ne doit différer d’ac- cuser son péché ou le péché d’à ut mi. Celle qui préviendra l’accusation des autres en s’accusant elle-même, ainsi qu’il est écrit : « Le juste est le pre- mier à s’accuser, » encourra une peine plus douce, pourvu qu’elle ne re- tombe pas dans la même faute. Nulle ne doit prendre sur soi d’en excuser une autre, à moins que la diaconesse ne lui demande de lui faire connaître une chose que les autres ne sauraient pas. Nulle ne doit s’arroger le droit de faire la leçon aux autres, si ce n’est de la part de la diaconesse, car il est écrit, au sujet du règlement de la correction : « Mon ûls, ne rejetez point la correction du Seigneur, et ne vous abattez point lorsqu’il vous châtiera. Dieu châtie celui qu’il aime, et il se complaît en celui qu’il châtie comme un père en son fils. » Et encore : « Celui qui ménage la verge liait son fils ; celui qui l’aime, le corrige sans cesse. » En voyant le corrompu châtié, l’insensé deviendra plus sage. Le fouet est fait pour le cheval, la corde pour l’âne, et la verge pour les hommes qui se conduisent mal. Celui qui en châtie un autre trouvera dans la suite auprès de lui plus de reconnaissance que celui qui le trompe par les caresses de ses éloges. Toute correction, sur le mo- ment, semble pleine, non de joie, mais d’amertume ; mais un jour elle rap- portera à ceux qui en auront subi l’épreuve les fruits les plus doux de la vertu. La confusion d’un père est dans un enfant qui n’a pas été corrigé, et sa honte dans la mauvaise conduite de sa fille. Celui qui aime son fils le cor- rige sans cesse, afin d’être heureux dans sa vieillesse. Celui qui instruit son fils sera loué dans son fils, et glorifié en lui au milieu de toute sa mai- son. Un cheval qu’on ne dompte pas devient intraitable ; un fils auquel on a lâché les rênes devient insolent. Flattez votre fils, et il vous fera trembler ; jouez avec lui, et il vous contristera. » Dans les délibérations du Conseil, chaque religieuse aura le droit de donner son avis ; mais tout ce que la diaconesse aura décidé sera tenu pour immuable ; c’est de sa volonté que tout dépend, dut-elle même, ce dont Dieu la préserve, se tromper et s’arrêter au mauvais parti. C’est ce qui a fait dire à saint Augustin dans son livre des Confessions : « Celui-là com- met un grand péché qui désobéit en quelque chose à ses supérieurs, alors même qu’il ferait mieux que ce qui lui est ordonné. » Mieux vaut, en effet, bien faire que faire le bien. Il faut moins se préoccuper de la chose en elle- même, que de la façon dont elle est faite et de l’esprit dans lequel on la fait. Tout ce qui est fait par obéissance est bien fait, encore que cela ne pa- raisse pas un bien. En tous points, il faut obéir aux supérieurs, quels que soient les inconvénients des choses, dès le moment qu’il n’y a point péril pour l’âme. C’est au supérieur de bien ordonner, puisqu’il suffit aux reli- 298 ABJELARDI ET HKLOIS&E K ?ISTOUE. ret animao periculum. Provideat pnelatus ut bene praecipiat, quia subjectis bene obedire suflQcit, nec suam, sicut professi suut, sed pralatorum sequi voluntatem. Omnino enim prohibemus ut unquam consuetudo rationi prae- ponatur, nec unquam aliquid defendatur, quia sit consuetudo, sed quia ra- tio ; nec quia sit usitatum, sed quia bonum : et tanto libentius excipiatur, quanto melius apparebit. Alioquin judaizantes legis antiquitatem Evangelio praeferamus. Ad quod beatus Augustinus, de consilio Gypriani pleraque asserens testi- monia, quodam loco ait : t Qui, contempta veritate, praesumit consuetu- dinem sequi, aut circa fratres invidus est et malignus, quibus veritas reve- latur, aut circaDeumingratusest, cujusinspirationeEcclesiaejus instruitur. • Item : « In Evangelio Dominus : « Ego sum, inquit, Veritas. » Non dixit : « Ego sum consuetudo. » Itaque veritate manifestata, cedat consuetudo ve- ritati. » ltem : « Revelatione facta veritatis, cedat error veritati, quia et Petrus qui prius circumcidebat cessit Paulo pradicanti vcritatem. i Idem lib. IV de Baptismo : « Frustra quidem qui ratione vincuntur, consuetudi- nem nobis objiciunt, quasi consuetudo major sit veritate, aut non sit in spi- ritualibus sequendum, quod in melius fuit a Spiritu sancto revelatum. » Hoc plane verum est, quia ratio et veritas consuetudini praeponenda est. Gregorius VII Vuimundo episcopo : « et certe, ut beati Gypriani utamursen- tentia, quselibet consuetudo quantumvis vetusta, quantumvis vulgata, veri- tati est omnino postponenda ; et usus qui veritati est contrarius, abolendus. » Quanto ctiam amore veritas quoque verborum amplectenda, admonemur cn Ecclesiastico quum dicitur1 : « Pro anima tua non confundaris dicere ve- rum. » Item* : « Non contradicas verbo veritatis ullo modo. » Et iterum : « Ante omnia opera verbum verax pracedat te, et ante omnem actum con- silium stabile. » Nihil etiam in auctoritatem ducatur, quia geritur a multis, sed quia probatur a sapientibus et bonis. « Stultorum, inquit Salomon, infmitus est numerus. » Et juxta Veritatis asscrtionero, « multi vocati, pauci vero electi. » Rara sunt quaeque pretiosa, et quae abundant numero minuuntur pretio. Nemo enim in consilio majorem hominum partem, sed melioremsequatur.Necaetas hominus, sed sapientia consideretur ; nec ami- citia, sed veritas attendatur. Unde et poetica est illa sententia* : ……Fas est et ab hoste doceri. Quotiens aulem opus est consilio, non difleratur. Et si de rebus praecipuis est deliberandum, convocetur conventus. In minoribus autem rebus discu- « Eccles., it, 24, 30 ; xxvn, 20. — * Eccles., i, 15. — * Orid., Metam., ir, 428. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 299 gieux de bien obéir, et de suivre, conformément à leurs vœux, non leur pro- pre volonté, mais celle de leurs supérieurs. Nous interdisons donc d’une manière absolue de jamais faire prévaloir la coutume sur la raison, et d’op- poser la coutume à la raison. C’est sur ce qui est bien, non sur ce qui est en usage, qu’il faut se régler, en sorte qu’un ordre soit accueilli d’autant plus volontiers qu’il paraît meilleur ; autrement, ce serait judaïser et préférer à l’Évangile l’ancienne loi. Saint Augustin, s’appuyant du témoignage de saint Cyprien, dit en quel- que endroit : « Celui qui, au mépris de la vérité, prend sur lui de suivre la coutume, est assurément ou jaloux et envieux de ses frères auxquels la vé- rité a été révélée, ou ingrat envers Dieu, dont l’inspiration est la lumière de l’Église. » Et encore : a Jésus-Christ dit dans son Évangile : je suis la vé- rité, et non : je suis la coutume. Lors donc que la vérité a été manifestée, il convient que la coutume s’efface devant elle. » Et encore : « Lorsque la vé- rité a été révélée, il faut que l’erreur s’efface devant la vérité. Saint Pierre cessa de circoncire et céda le pas à Paul, lorsque Paul commença à prêcher la vérité. » Et ailleurs, dans son livre quatrième sur le baptême : « C’est en vain que ceux qui sont vaincus par la raison nous opposent la coutume, comme si la coutume était supérieure à la vérité, comme si dans les choses spirituelles, il ne fallait pas suivre ce que l’Esprit-Saint a révélé de meilleur. » C’est donc un point incontestable, qu’il faut faire passer la raison et la vé- rité avant la coutume. — « Assurément, écrivait saint Grégoire à l’évéque Vimond, assurément il faut, suivant la maxime de saint Cyprien, faire passer la vérité avant la coutume, quelque ancienne et quelque répandue que soit la coutume ; tout usage contraire à la vérité doit être détruit. » Avec quel amour nous devons, même dans nos paroles, nous attacher à la vérité, l’Ecclésiaste nous l’apprend dans le passage où il dit : a Ne rougisses pas de dire la vérité pour le salut de votre âme. » Et encore : « Ne contrariez en rien la parole de vérité. » Et ailleurs : « Que la parole de vérité inspire toutes vos œuvres, et une ferme sagesse, vos actions. » Ne vous autorisez point de l’exemple de la foule, mais de l’approbation des sages. « Le norabro des insensés, dit Salomon, est infini, » et selon la parole de la Vérité même, i beaucoup sont appelés et peu élus. » Tout ce qui est précieux est rare ; l’abondance d’une chose en diminue le prix. Ne suivons donc pas le conseil du plus grand nombre, mais le meilleur. Ne considérons pas l’âge de l’homme, mais sa sagesse ; ne consultons pas l’amitié, mais la vérité. De là cette pensée du poète : « Il est permis de profiter des leçons même d’un ennemi. » Toutes les fois qu’il y a quelque résolution à prendre, il ne faut point perdre de temps ; et si la délibération est grave, il faut assembler la com- munauté. Dans la discussion des affaires moins importantes, il suffit que la diaconesse réunisse quelques-unes des principales sœurs, car il est écrit au 300 ABJELARDI ET HELOISSjE EPISTOLE. ticndis, sufficiet diaconissa, paucis ad se de majoribus personis convocatis. Scriptum quoque est de consiliol : i Ubi non est gubernator, populus cor- ruit. Salus autem ubi multa consilia. Via stulti recta in oculis ejus. Qui autem sapiens, audit consilia. Fili, sine consilio nihil facias, et post factum non pranitebis. » Si forte sine consilio aliquid prosperum habet eventum, non excusat hominis pnesumptianem fortunae beneficiura. Sin autem post consilium nonnunquam errat, potestas quae consilium quaesivit rea non te- neatur prasumptionis. Nec tam culpandus est qui credidit, quam quibus ipseerraudo acquievit. Egress» vero capitulum iis quibus oportet operibus intendant, le- gendo scilicet vel cantando, sive manibus operando usque ad tertiam. Post tertiam autem missa dicatur, ad quam quidem celebrandam uuus ex mona- chis sacerdos hebdomadarius instituatur. Quem profecto si copia tanta sit, cum diacono et subdiacono venire oportet, qui ei quod necessarium est ad- ministrent, vel quod suum est et ipsi operentur. Quorum accessusvel re- cessus ita iiant, ut sororum conventui nullatenus pateant. Si vero plures ne- cessarii fuerint, et de his providendum erit, et ita semper, si fieri potest, ut monachi propter missas monialium nunquam conventui suo in officiis de- eint divinis. Si vero communicandum a sororibus fuerit, senior eligatur sacerdos, qui post missam eas communicet ; egressis inde prius diacono et subdiacono, propter tollendam tentationis occasionera. Ter vero ad minus in anno totus communicet conventus, id est Pascha, Pentecoste, et natale Domini, sicut a patribusest institutum de secularibus etiam hominibus. Iiis autem com- munionibus ita se praeparent ut tertio die ante ad confessionem et congruam satisfactionem omnes accedant, et terno se panis et quae jejunio et oratione frequenti purificent cum omni humilitate et tremore ; illam Apostoli terri- bilem apud se retractantes sententiam* : « Itaque, inquit, quicumque man- ducaverit panem vel biberit calicem Domini indigne reus erit corporisct sanguinis Domini. Probet autem seipsum homo, et sic de pane illo edat, et decalice bibat. Qui enim mauducat etbibit indigne judicium sibi manducat et bibit, non dijudicans corpus Domini. Ideo inter vos multi infirmi el im- becilles, et dormiunt multi. Quod si nosmetipsos dijudicaremus, non utique dijudicaremus. • Post missam quoque ad opera redeant usque ad sextam, et nullo tempore otiose vivant, sed unaquaeque id quod potest et quod opor- tet operetur. Post sextam aulem prandendum est, nisi jejunium fuerit. Tunc enim nona expectanda est, ct in quadragesima etiam vespera. Nullo vero tempore conventus careat lectione. Quam quum diaconissa terminare vo- Prov., u, 14,15 ; Corioth., I, n, 27.— • Corinth., I, n, «7. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 301 sujet du conseil : i Où il n’y a personne pour gouverner, le peuple périt ; le salut est là où il y a beaucoup de conseil ; la route est toujours droite aux yeux de l’insensé, mais le sage écoute les conseils. Mon fils ne faites rien sans prendre conseil, et vous n’aurez pas de regret. » Si quelque affaire réussit d’aventure sans qu’on ait pris conseil, la faveur de la fortune n’ex- cuse pas la présomption de l’homme ; si, au contraire, l’échec arrive après le conseil, le pouvoir qui a pris conseil ne saurait être accusé de présomp- tion : car celui-là est moins coupable qui a eu confiance, que ceux sur le mauvais avis desquels il s’était reposé. Au sortir du chapitre, les religieuses se remettront chacune à leur ou- vrage, soit à la lecture, soit aux champs, soit à des travaux manuels, jus- qu’à l’heure de tierce. Après tierce, on dira la messe. Elle sera célébrée par un prêtre choisi à cet effet par les moines, pour la semaine, et assisté, si les moines sont en nombre, d’un diacre^et d’un sous-diacre qui le serviront et rempliront chacun leur office. Leur arrivée et leur départ auront lieu de telle sorte qu’ils ne soient point vus de la communauté. Dans le cas où un plus grand nombre de moines serait nécessaire, on y pourvoira, mais au- tant qu’il est possible, de telle façon que les messes des religieuses n’empê- chent pas les religieux d’assister aux offices divins dans leur couvent. Pour la communion des sœurs, on choisira le prêtre le plus âgé. Il la leur donnera après la messe, après avoir fait sortir auparavant le diacre et le sous-diacre, pour supprimer toute occasion de tentation. La communauté entière communiera au moins trois fois l’an : à Pâques, à la Pentecôte, à Noël, ainsi que les Pères l’ont établi même pour les personnes qui vivent dans le siècle. Elle se préparera à cette communion générale par une péni- tence de trois jours précédée de la confession ; pendant ces trois jours, les re- ligieuses vivront de pain et d’eau, se purifieront incessamment par la prière faite avec humilité et tremblement, en se remettant devant l’esprit la terri- ble sentence de l’Apôtre : « Quiconque aura mangé le pain ou bu le calice du Seigneur, sans en être digne, sera coupable du corps et du sang de Jésus- Christ. Que l’homme se mette donc à répreuve, avant de manger ce pain et de boire ce calice. Car celui qui mange et boit sans eu être digne, mange et boit sa propre condamnation, pour n’avoir pas jugé que c’était le corps du Seigneur. C’est pour cela que l’on voit parmi nous tant de malades et de faibles, tant de gens endormis. Si nous nous jugeons nous-mêmes, nous y gagnerons de n’être pas jugés. » Après la messe, les religieuses retourneront à leurs occupations jusqu’à sexte ; elles ne doivent point être oisives un seul moment ; chacune d’elles doit faire ce qu’elle peut et ce qu’il faut. Après sexte on dînera, si ce n’est pas jour de jeune, car, alors, il faudrait attendre après none, et, dans le ca- rême, après vêpres. En tout temps, on doit faire la lecture au réfectoire. Lorsque la diaconesse l’aura trouvée assez longue, elle dira : assez, et aus- 502 ABjELARDI ET HELOISS£ EPISTOLyE. luerit, dicat : Sufficit. Et statim ad grates Domino referendas ab omnibus surgatus. yEstivo tempore post praudium usque ad nonam quiescendum est in dormitorio, et post nonam ad opera redeundum usque ad vesperas. Post vesperas aulem vel statim coenandum est, vel potandum. Et inde etiam, sc- cundum temporis consuedinem, ad collationem eundum. Sabbato autem, ante collationem munditiae iiant, in ablutione videlicet pedum et manuuni. In quo quidem obsequio diaconissa famuletur cum hebdomadariis, quse co- quina) deservierunt. Post collationem vero, ad completorium statim est ve- niendum, inde dormitum est eundum. XI. De victu autem et vestitu Apostolica teneatur sententia, qua dicitur1 : « Habentes autem alimenta, et quibus tegamur, his contenti simus. » Ut videlicet necessaria sufGciant, non superflua qusrantur. Et quod vilius po- terit comparari, velfacilius haberi, et sine scandalo sumi, re concedatur. Solum quippe scandalum proprie conscientiae vel alterius in cibis Apostolus vitat, sciens quia non est cibus in vitio, sed appetitus. « Qui manducat, in- quit*, non manducantem non spernat. Qui non manducat manducantem non judicet. Tu qui es, qui judicas alienum servum ? Qui manducat Domino manducat : gratias enim agit Deo ; et qui non manducat Domino non man- ducat, et gratias agit Deo. Non ergo amplius invicemjudicemus, sed hoc ju- dicate magis ne ponatis offendiculum fratri vel scandalum. Scio et confido in Domino Jesu, quia nihil commune per ipsum, nisi [ei] qui sestimat quid commuue esse. Non est regnum Dei esca et potus, sed justitia, et pax, et gaudium in Spiritu sancto. Omnia quidem munda sunt, sed malum est ho- mini qui per offendiculum manducat. Bonum non manducare carnem, et non bibere vinum, neque in quo frater tuus offendatur, aut scandalizetur. Qui etiam, post scandalum fratris de proprio scandalo ipsius qui contra conscientiam suamcomedit, adjungit dicens :«Beatusqui nonjudicat semet- ipsum in eo quod probat. Qui autem discernit si manducaverit damnatus est quia non ex fido : omne autem quod non est ex fide peccatum esti » In omtii quippe quod agimus contra conscientiam nostram, et contra hoc quod credimus, peccamus. Et in eo quod probamus, hoc est pcr legem quam approbamus atque recipimus, judicamus nosmetipsos atque damnamus, si illos videlicet comedimus cibos quos discernimus ; hocest per legem excludi- mus, et separamus tamquam immundos. Tantum enim esttestimonium con ’ Tlmoth., 1, ti, 8. — » Rom., ut, 5, 83. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 303 sitôt tout le monde se lèvera pour les grâces. Dans l’été, après dîner, on se retirera jusqu’à none au dortoir, pour s’y reposer. ; après none, on reviendra à la besogne jusqu’à vêpres. Immédiatement après vêpres, on soupera, ou l’on fera collation, suivant l’ordre des temps. Les samedis, avant la collation, on se purifiera, c’est-à-dire qu’on se lavera les pieds et les mains. C’est la diaconesse qui s’acquittera humblement de ce service, avec les semainières de la cuisine. Après la collation, on se rendra aussitôt à compiles, puis on ira se coucher. XI. Quant à la nourriture et à l’habillement, on observera le précepte de l’Apôtre qui dit : « Contentons-nous de nos aliments et de nos vêtements, » c’est-à-dire contentons-nous du nécessaire, sans chercher le superflu. On emploiera’ effectivement ce qu’il y a de moins coûteux, ce qu’on pourra se procurer le plus aisément et porter sans scandale. C’est seulement le scan- dale de sa propre conscience et de celle des autres que l’Apôtre recommande d’éviter dans la nourriture : il savait que le mal n’est point à manger, mais à manger avec gourmandise, i Que celui qui mange, dit-il, ne méprise pas celui qui ne mauge pas ; que celui qui ne mange pas, ne juge pas celui qui mange ; Dieu s’en est chargé. Qui êtes-vous, vous qui jugez le serviteur d’au- trui ? Celui qui mange, mange pour plaire au Seigneur, car il lui rend grâce, et celui qui ne mange pas, ne mange pas pour plaire au Seigneur, car il lui rend grâce aussi. Ne nous jugeons donc pas les uns les autres ; mais pensez plutôt que vous ne devez offrir à votre frère ni pierre d’achoppement, ni scandale. Je sais et je crois en Jésus-Christ, qu’il n’y a rien d’impur par soi, mais seulement par l’impureté qu’où y met, car le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et le manger, mais dans la justice, dans la paix et dans la joie que donne l’Esprit-Saint. Tout est pur ; le mal est dans l’homme qui mange pour scandaliser les autres. Il vaut mieux ne point manger de chair et ne point boire de vin, ni rien faire qui puisse offenser ou scandaliser votre frère. » Le même Apôtre, après avoir parlé du scandale que l’on cause à sou frère, ajoute, au sujet du scandale que l’on se cause à soi-même en man- geant contre sa conscience : « Heureux celui qui ne se condamne pas lui-même, en ce qu’il veut faire ! Hais celui qui se demande s’il mangera, et qui mange, est condamné, parce qu’il n’agit pas par un acte de foi ; or, tout ce qui n’es^ pas acte de foi est péché, b Nous péchons en tout ce que nous faisons contre notre conscience et notre croyance. Nous nous jugeons et nous nous condamnons nous-mêmes, au nom de la loi que nous avons reçue et acceptée, par cela seul que nous ap- prouvons, c’est-à-dire que nous mangeons tels aliments que, suivant celte loi, nous devons rejeter et condamner comme impurs» Telle est l’importance du témoignage delà conscience, qu’il suffit à nous excuser ou à nous accuser devant Dieu. C’est ce que rappelle saiut Jean dans sa première épître : a Mes 304 ABJELARM ET HELOIS&E EPISTOLE. scientiae nostrae, uthaec nos apud Deum maxime accuset vel excuset. Unde et Joannes in prima sua meminitepistola* : « Carissimi, si cor nostrum non reprehenderit nos, fiduciam habemus ad Deum. Et quidquid petierimus ao cipiemus ab eo, quoniam mandata ejus custodimus, et ea quae sunt placita coram eo faciemus. » Bene itaqueetPaulus superius aitnihilessecommune per Christum, nisi ei qui commune quid esse putat, hoc est immundum et interdictum si sibi credit. Commune, quippe cibos dicimus, qui secundum legem mundi vocantur, quod eos scilicet lex a suis excludens, quas his qui extra legem sunt exponat et publicet. Unde et communes ferainae immundae sunt et communia quaeque vel publicata vilia sunt, vel minus chara. Nullum itaque cibum perCbristum asserit esse commuuem, idest immundum, quia lex Christi nullum interdicit, nisi, ut dictum est, propter scandalum remo- vendum, vel propriee scilicet conscientiae, vel aliens. De qua et alibi dicit* : c Quapropter si esca scandalizat fratrem meum, non manducabo in aeternum, ne fratrem meum scandalizem ? Non sum liber, non sum apostolus ? » Acsi diceret : nunquid non habeo illam libertatem quam Dominus apostolis de- dit, de quibuslibet scilicet edendis vel de stipendiis aliorum sumendis ? Sic quippe quum apostolos mitteret, quodam loco ait3 :« edentes etbibentes quae apud illos sunt, » nullum videlicet cibum a ceteris distinguens. Quod dili- genter Apostolus attendens, et omnia ciborum genera, etiamsi sint infide- liumcibiet idolothyta, christianis esse licita studiose prosequituir ; solura, utdiximus, incibis scandalum vitans : « Omnia, inquit*, licent ; sed non omnia expediunt. Omniamihi licent, sed non omnia sedificant. Nemo quod suum est quacrat, sed quod alterius. Omne quod in inacello vcnit man- ducate, nihil intcrrogantes propter conscientiam. Domini est terra, et ple- nitudo cjus. Si quis vocat vos infidelium ad coenam, et vultis ire, omne quod vohis apponitur manducate, nihil interrogantes propter conscientiam. Si quis autem dixerit : hocimmolatum est idolis, nolite manducare propter illum qui judicavit, et propter conscientiam. Conscientiam dico non tuam, sed alterius. Sine offensione estote Judaeis et gentibus, et Ecclesiae Dei. » Ex quibus videlicct Apostoli verbis manifeste colligitur, nullum nobis interdici, quo sine offensa proprise conscientiae vel alienae vesci possimus. Sine offensa vero propriae conscientiae tunc agimus, si propositum vitae, quo salvari possumus, nos servare confidimus. Sine oflensa autem alienae, si eo modo viverecredimurquo salvemur. Eo quidem modo vivemus, si omnibus necessariis naturae indultis peccata vitemus, nec de nostra virtute praesu- mentes illi vitae jugo professione nos obligemus, quo praegravati succumba- mus : et tanto sit-gravior casus, quanto fuerat professionis altior gradus. » Joon., I, n., 21 «128, — ■ Corinlh., I, vni, 13. — * Luc.x, 7. — * Corinth., I,x, 82. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 305 frères, dit-il, si notre cœur ne nous reproche rien, ayons confiance en Dieu, et tout ce que nous lui demanderons, nous le recevrons, si nous sommes fidèles à ses préceptes, et si nous ne faisons rien qui ne lui soit agréable. » C’est aussi avec raison que saint Paul avait dit auparavant, qu’il n’y a rien de commun, pour Jésus-Christ, si ce n’est ce qu’on croit devoir l’étrç, c’est- à-dire ce que l’on croit impur et interdit. En effet, nous appelons communs les aliments qui, selon la loi, sont appelés impurs, parce que la loi, les in- terdisant à ses fidèles, les expose, pour ainsi dire, et les met en vente pour ceux qui sont hors de la loi. De là vient que les femmes communes sont impures, et que tout ce qui est commun, tout ce qui est du domaine public, est vilou moins précieux. Saint Paul dit donc qu’il n’est point par Jésus* Christ de viande commune, c’est-à-dire impure, puisque la loi de Jésus- Christ n’en interdit aucune, si ce n’est, comme je l’ai dit, pour éviter le scan- dale de sa propre conscience et de celle d’autrui. Il dit ailleurs, à ce sujet : « C’est pourquoi, fi la viande que je mange scandalise mon frère, je n’en mangerai jamais, pour ne pas scandaliser mon frère. Ne suis-je pas libre ? Ne suis-je pas apôtre ? » Soit, en d’autres termes : n’ai-je pas cette liberté que le Seigneur a dounée aux apôtres, de manger de toutes sortes -de viandes et de recevoir toute espèce d’assistance ? En effet, il dit quelque part, en envoyant ses apôtres prêcher sa doctrine : « Mangez et buvez tout ce que vous trouverez chez eux. • Il ne faisait aucune distinction entre les aliments. L’Apôtre, fidèle à cette doctrine, la maintient en disant qu’il est permis aux chrétiens de manger toute espèce d’aliments, fussent-ce même des aliments des tinésaux infidèles ou offerts aux idoles, à la seule condition, je le répète, d’éviter le scandale, i Tout est permis, dit-Tl, mais tout n’est pas bon ; tout est permis, mais tout n’édifie pas. Que personne ne cherche son bien propre, mais le bien d’autrui. Mangez de tout ce qui se vend au marché, sans scrupule. La terre et tout ce qu’elle porte dans son sein est au Seigneur. Si quelque infidèle vous invite à sa table, et qu’il vous plaise d’y aller, mangez de tout ce qu’on vous servira, sans scrupule. Si l’on vous dit : t Ceci a été offert aux idoles, » n’en mangez pas, par respect pour le scrupule de celui qui fait la distinction, par respect pour la conscience d’autrui, dis-je, non pour la vôtre : ne blessez ni les juifs, ni les gentils, ni l’Église de Dieu. » De ces paroles de l’Apôtre il ressort clairement qu’aucun aliment ne nous est interdit, si nous en pouvons manger sans blesser notre propre conscience, ni celle des autres. Nous agissons sans blesser notre propre conscience, si nous croyons de bonne foi suivre le genre de vie qui doit nous conduire au salut ; sans blesser la conscience des autres, s’ils ont la confiance que notre genre de vie doit nous sauver. Et nous vivons de cette manière, si nous satisfaisons les besoins de la nature, en évitant le péché ; si, ne présumant pas trop de notre vertu, nous ne nous chargeons pas, par nos vœux, d’un joug sous lequel nous succomberions : chute d’autant plus grave que le degré auquel nous avaient élevés nos vœux serait plus haut. 80 906 ABJELARDI ET HBLOISSJE EPISTOLE. Quem quidem casum et stult&professionis votum Ecclesiastes preveniens, ait* : i Si quid vovisti Deo, ne moreris reddere. Displicet enim et infidelis et stulta promissio. Sed quodcunque voveris redde. Multoque melius est non vovere, quam post votum promissanon reddere. 1 Cui quoque periculooccur- rens Apostolicum consilium * : « Volo, inquit, juniores jubere, filios procreare, matresfamilias esse, nullam occasionem dare adversario maledicti gratia. Jam enim quaedam conversse sunt retro Satanam.» IStatis infirjnae naturam considerans, remedium vita ? laxioris opponit periculo melioris. Consulit re- sidere in imo, fle pnecipitium detur ex alto. Quem et beatus secutus Hieronymus, Eustochium virginem instiluens, ait5 : « Si autem et illae quae virgines sunt ob alias tamen culpas non salvan- tur, quid fiet illis quae prostituerunt membra Christi, et mutaverunt tem- plum Spiritus sancti in lupanar ? Rectius fuerat bomini subisse conjugiiun, ambulasse per plana, quam ad altiora tendentem in profundum inferni cadere. • Quod si etiam universa revolvamus Apostoli dicta, nunquam eum repe- riemus secunda matrimonia nisi feminis indulsisse. Sed viros maxime ad continentiam exhortans, ait * : t Circumcisus aliquis vocatus est ? non ad- ducat prseputium. » Et iterum : « Solutus es ab uxore ? noli qusrere uxo- rem. » Quum Moyses tamen viris magis quam feminis indulgens uni viro plures simul femjnas, non uni feminae plures viros concedat, et districtius adulteria feminarum quam virorum puniat. i Mulier, inquit Apostolus 8, si ’ mortuus fuerit vir ejus, liberata est a lege viri, ut non sit adultera, si fuerit cum alio viro. i Et alibi* : « Dico autem non nuptis et viduis : bonum est illis, si sic permaneant sicut et rgo. Quod si non se continent, nubant. Melius est enim nubere quam uri. » Et iterum : « Mulier, si dormierit vir ejus, liberata est. Cui vult nubat, tantum in Domino. Beatior autem erit si sic permanserit secundum consilium meum. » Non secunda tantum ma- trimonia infirmo sexui concedit, verum etiam ea nullo concludere audet numero, sed quum dormierint earum viri, nubere aliis permittit. Nullum matrimoniis earum praefugit numerum, dummodo fornicationis evadant reatum. Saepius magis nubant quam semel fornicentur : ne si uno prosti- tuantur, multis carnalis commercii solvant. Quce tamen debiti solutio non est penitus immunis a peccato, sed indulgentur minora, ut majora vitentur peccata. » Ecch»., v, 3 et 4. — * Timoth., I, v, 14 eH5. — » Epist. 18. — * Corinth., I, rn, 18, 57. — » Rom., tii, 5. — • Corintb., I, vn, 8,8W0. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 307 Prévenant cette chute et les vœux d’un engagement irréfléchi, l’Ecclésiaste dit : « Si vous avez fait un vœu à Dieu, ne différez pas de vous en acquitter : tout engagement irréfléchi, et que Ton ne tient pas, lui déplaît ; quels que soient les vœux que vous avez faits, accomplissez-les : mieux vaut de beau- coup ne point faire de vœux, que de ne point tenir ceux qu’on a faits. » C’est aussi à ce péril que l’Apôtre veut remédier, quand il dit : « Je veux que les jeunes veuves se marient, qu’elles aient des enfants, qu’elles tiennent une maison, et qu’ainsi elles ne donnent à l’ennemi aucune occasion de [lé- cher ; car il en est qui sont retournées à Satan. » Considérant la faiblesse de l’âge, au danger d’une vie meilleure il oppose le remède d’une vie plus libre. Il conseille de se tenir en bas, de peur d’être précipité d’en haut. C’est également le sentiment de saint Jérôme, dans les instructions qu’il donue à Eustochie. « Si celles, lui dit-il, qui sont restées vierges sont néanmoins condamnées pour d’autres péchés, qn’adviendra-t-il de celles qui auront prostitué les membres de Jésus-Christ, et qui auront changé en lieu de débauche le temple de 1 Esprit-Saint ? Mieux eût valu, pour l’homme, subir le mariage et suivre le chemin de la plaine, que de vouloir s’élever et d’être précipité dans les ublmes de l’enfer. » Repassons en esprit tous les préceptes de l’Apôtre, nous verrons que c’est aux femmes seulement qu’il permet un second mariage ; pour les hommes, il les engage à 2a continence. « Si un homme est appelé circoncis, dit-il, qu’il ne se fasse pas gloire de montrer son prépuce. » Et ailleurs : « Êtes- vous veuf ? ne cherchez pas femme. » Moïse, au contraire, plus doux aux hommes qu’aux femmes, accorde à l’homme plusieurs femmes, tandis qu’il refuse à la femme plusieurs maris, et punit plus sévèrement l’adultère chez les femmes que chez les hommes. « La femme, dit l’Apôtre, à la mort dft son mari, est affranchie du lien qui l’attachait à lui ; elle n’est point adul- tère, en s’unissant à un autre homme. » Et ailleurs : « Je dis aux veuves et aux vierges qu’il est bon, pour elles, de rester dans cet état, ainsi que j’y reste moi-même. Mais, si elles ne peuvent garder la continence, qu’elles se marient : mieux vaut se marier que d’être brûlé des ardeurs du désir. » Et ailleurs : « La femme dont le mari est endormi du sommeil éternel est af- franchie ; elle peut épouser qui elle voudra, pourvu que ce soit au nom du Seigneur : mais elle sera plus heureuse, si, suivant mon conseil, elle reste veuve, i Ce n’est pas seulement un second mariage qu’il accorde aux femmes ; il ne leur assigne pas de limites : dès que celui qu’elles ont épousé est endormi du sommeil éternel, il les autorise à en épouser un autre. 11 ne fixe pas le nombre de leurs mariages, pourvu qu’elles évitent la fornication. Qu’elles se maiient plusieurs fois, plutôt que de forniquer une seule fois, de peur qu’après s’être livrées à un, elles ne payent à beaucoup d’autres la dette. Le payement de cette dette, même dans le mariage, n’est jamais com- plètement pur de péché ; mais on tolère les moindres péchés, pour éviter les plus grands. 308 ABJELARM ET HELOISS£ EPISTOLE. Quid igitur mirum si id, in quo nullum est omnino, conceditur ne pec- catum incurrant, hoc est alimenta quaelibet necessaria, non superflua ? Non est enim, ut dictum est, cibus in vitio, sed appetitus : quum videlicet libet quod non licet, et concupiscitur quod interdiclum est, et nonnunquam im- pudenter sumitur, unde maximum scandalum generatur. XII. Quid vero inter uuiversa bominum alimenta tam periculosum est, vel damnosum, et religioni noslre vel sanclae quieti contrarium, quantum vinum ? Quod maximus illc sapientium diligenter altendens, ab hoc maxime nos dehorlatur diceus * : « Luxuriosa res vinum, et tumultuosa ebrielas. Quicunque his delectatur non erit sapiens. Cui vae, cujus patri vae, cui rixa ?, cui fovcse, cui sine causa vulnera, cui suflbsio oculorum ? noime his qui morantur in vino, et student calicibus epotandis ? Ne intuearis vinum quando flavescit, quum splenduerit iu vitro color ejus. Ingreditur blande, sed in novissimo mordebit ut coluber, et sicut regulus venena diffundet. Oculi tui videbunt extraneas, et cor tuum loquetur perversa, et eris sicul domiens in medio mari, et quasi sopitus gubernator amisso clavo, et dices : verberaverunt me et non dolui ; traxerunt me, et ego non sensi. Quando evigilabo, rursus, et vina reperiam ? • ltem* : « Noli regibus, o Lamuel, noli regibus dare vinum, quia nulluni secretum est ubi regnat ebrietas ; ne forte bibant et obliviscantur judiciorum, et mittant causam filiorum pau- peris. » Et in Ecclesiastico scriptum ests : « Operarius cbriosus noti locu- pletabitur, et qui speruil modica paulatim decidet. Yinum et mulieres apostatare faciunt sapientes, et arguunt sensatos. » Isaias quoque universos prateriens cibos, solum in causam captivitatis populi commemorat vinum. « Y&, inquit*, qui consurgitis mane ad ebrie- tatem sectandam et potandum usque ad vesperam, ut viuo aestuetis. Ci- thara et lyra et tympanum et tibia et vinum in conviviis vestris, et opus Domini non respicitis. Propterea captivus ductus est populus meus, quia non hiibuit sciciihum. Yrc qui potcntes eslis ad bibeudum viuum, et viri fortes ad miscendam ebriolatem. » Qui etiam de popuJo usquc ad sacerdotes et prophetas quc rimoiiiain cxtcmicus, ait : « Veruni ii quoijue prae vino nescierunt, et pra ebrictatc errnwrunl. Sacerdos et propheiaj nescierunt pnc ebrietale, absorpti sunt a vino, erravcrunt iu ebrielyte, iiescienint vi- denlem, iguoraverunl judicium. Oinnes enim mcnsa ? replcte sunt vomitus 1 Pror., nt 1 -t mhi, 20, — * Pro ?4J nxi, 4. — * £cd<*.( *\t, \, 2. — * IwJ, v, 14 ; xxvut, 7, LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 30J Qu’y a-t-il donc d’étonnant que, pour ne pas exposer au péché, on accorde une chose qui n’en renferme aucun , c’est-à-dire qu’on permette, en lait d’aliments, tout le nécessaire, à la seule exclusion du superflu ? Car, je le répète, il n’y a point du mal à manger. Le mal est dans la gourmandise, c’est-à-dire qu’il consiste à vouloir ce qui n’est pas permis, à désirer ce qui est interdit, à prendre sans pudeur, comme il arrive parfois, ce qui peut causer un très-grand scandale. XII. Parmi les aliments des hommes, en est-il un d’aussi dangereux, d’aussi contraire à nos vœux et au repos de la sainteté, que le vin ? Aussi le plus grand des sages nous détourne-t-il avec grand soin d’en user. « Le vin, dit-il, est une source d’intempérance ; l’ivrognerie est la mère du désordre. Quiconque se plaît à boire n’est pas sage. À qui malheur ? au père de qui malheur ? à qui les querelles ? pour qui les précipices ? pour qui les bles- sures sans sujet ? pour qui les yeux battus ? si ce n’est pour ceux qui s’at- tardent à boire et qui font étude de vider les coupes ? Ne regardez pas le vin et ses reflets d’or, quand son éclat resplendit dans le cristal. Il entre en ca- ressant, mais il finit par mordre comme la couleuvre ; semblable au basilic, il répand le poison. Vos yeux verront ce qui n’existe pas, votre cœur parlera à tort et à travers. Et vous serez comme un homme endormi en pleine mer, comme un pilote assoupi qui a lâché le gouvernail, et vous direz : c Us m’ont accablé de coups, et je ne m’en suis pas aperçu ; ils m’ont traîné, et je ne l’ai point senti. Et vous répéterez : quand me réveillerai-je et trouverai-je encore du vin ? 1 Et ailleurs : « Ne donnez pas, non, ne donnez pas du vin aux rois, Lamuel ; où règne l’ivresse, il n’y a plus de secret : le vin pourrait leur faire oublier la justice, et ils trahiraient la cause des enfants du pauvre. » Et dans l’Ecclésiaste : • L’ouvrier adonné au vin ne deviendra jamais riche ; celui qui néglige les petites choses, tom- bera peu à peu. Le vin et les femmes font apostasier les sages et condamner les gens sensés. > Le prophète Isaïe, passant sur tous les autres aliments, signale le vin comme une des causes de la captivité du peuple, t Malheur, dit-il, à vous qui vous levez dès le matin pour vous livrer à l’ivresse et pour boire jus- qu’au soir, jusqu’à ce que le vin vous ait fait perdre le sens ! Le luth et la harpe, le tambour, la flùle et le vin, voilà ce qui règne à vos tables, et vous ne songez pas à l’œuvre de Dieu ; c’est pour cela que mon peuple a été conduit en captivité, parce qu’il n’a pas eu l’intelligence. Malheur à vous qui êtes puissants à boire et vaillants à vous enivrer ! » Du peuple il étend ses reproches jusque sur les prêtres et les prophètes. « Eux aussi, dit-il, ils sont tellement aveuglés par le vin qu’ils ne se connaissent plus : l’ivresse les fait trébucher. Le prêtre et le prophète, dans leur ivresse, ne se connaissent plus ; ils sont pris de viu, ils trébuchent, ils n’ont pas connu la prophétie, ils ont ignoré le jugement ; toutes les tables sont souillées des traces, de leurs dégoûtantes orgies ; il n’y a pas une place propre. A qui le 310 ABjELARDI ET HELOISSiE EPISTOIJE. sordiumque, ita ut non esset ultra locus. Quem docebit scientiam, et quem intelligere faciet auditum ?» Dominus per Joel dicit : « Expergiscimini ehrii, et flete qui bibilis vinum in dulcedine. » Non enim uti prohibet vino in necessitate, sicut Apostolus inde Timolheo consulit1 : i Propter stomachi frequentes infirmitates ; » non tantum infirmitates, sed frequentes. •Noe primus vineam plantavit, nesciens adhuc fortassis ebrietatis malum, et inebriatus femora denudavit, quia vino conjuncta est luxurise turpitudo. Qui etiam superirrisus a filio maledictionem in eum intorsit, et servitutis sententia illum obligavit ; quae antea nequaquam facta esse cognovimus. Loth virum sanctum ad incestum nullatenus trahi nisi per ebrietatem filis ipsius providerunt. Et beata vidua superbum Holophernum non nisi hac arte illudi posse et prosterni credidit. Angelos antiquis patribus apparentes, et ab eis hospitio susceptos, carnibus, non vino, usos esse iegimus. Et maximo illi et primo principi nostro Eliae in solitudinem latenti corvi mane et vespere panis et carnium alimoniam, non vim ministrabant. Populus etiam Israeliticus delicatissimis in heremo cibis maxirae cotur- nicum educatus, nec vino usus fuisse, nec ipsum appetiisse legitur. Et refectiones illae panum et piscium, quibus in solitudine populus sustenta- batur, vinum nequaquam habuisse referuntur. Solummodo nuptise quac indulgentiam habent incontinentise vini, in quo est luxuria, miracuium habuerunt. Solitudo vero, quae propria est monacborum habilatio, carnium magis quam vini beneficium novit. * Summa etiam illa in lege, Nazareorum religio, qua se Domino consecrant, vinum et quod inebriare potest solummodo vitabat. Quae namque virtus, quod bonum in ebriis manet ? Unde non solum vinum, verumetiam omne quod inebriare potest antiquis quoque sacerdotibus legimus interdici. De quo Hieronymus ad Nepotianum, de vita clericorum scribens, et graviter indignans, quod sacerdotes legis ab omni quod inebriare potest abstinentes nostros inhacabstinentia superent. « Nequaquam, inquit», vinum redoleas, ne audias illud philosophi : a Hoc non est osculum porrigere, sed propi- «nare.» Vinolentos sacerdotes et Apostolus damnat, et lex vetus prohibet * : « Qui altario deserviunt, vinum et siceram non bibent. » — Sicera hebneo sermone omnis potio nuncupatur, quse inebriare potest, sive illa quae fer- mento conficitur, sive pomorum succo, aut favi decoquuntur in dulcem et berbarum potionem, aut palmarum fructus exprimuntur in liquorem, coctis- » Timoth., I, t, 87. — ■ Epitt. 54. — * Levit., x. LETTRES D’ABÉLARO ET D’HÊLOÏSE. 311 Seigneur enseignera-t-il sa loi ? à qui donnera-t-il l’intelligence de sa pa- role ? » Car il dit, par la bouche de Joël : « Réveillez-vous, ivrognes, et pleu- rez, vous qui buvez par plaisir. » Il ne défend pas, en effet, de boire par besoin, ainsi que l’Apôtre le conseille à Timothée, c à cause des faiblesses fréquentes de son estomac. » Remarquez toutefois qu’il ne dit pas seule- ment faiblesses, mais faiblesses fréquentes. Noé, qui le premier planta la vigne, ignorait encore, sans doute, le mal de l’ivrognerie, et, s’étant enivré, il découvrit son corps ’ : la honte de la luxure est attachée à l’ivresse. Un de ses fils s’étant raillé de lui s’attira sa malédiction, et il fut réduit en servitude ; ce qui n’avait jamais encore été fait auparavant, que nous sachions. Les filles de Loth avaient bien prévu que ce saint homme ne pourrait être entraîné à un inceste que par l’ivresse. La bienheureuse veuve Judith savait bien qu’elle ne pouvait tromper et abattre que par ce moyen le superbe Hofopherne. Nous lisons que, lorsque les anges apparurent aux anciens patriarches, qui leur donnèrent l’hospita- lité, ils firent usage de viande, mais non de vin. Les corbeaux qui, matin et soir, portaient au grand Élie, notre chef, caché dans la solitude, du pain et de la viande pour se nourrir, ne lui portaient pas de vin. Le peuple d’Israël, qui, dans le désert, se nourrissait de la chair si délicate des cailles, n’avait pas de vin, et nous ne lisons pas qu’il en ait même ja- mais désiré. C’est avec des pains et des poissons que Jésus-Chrit nourrit le peuple et répara ses forces dans le désert : il n’avait pas de vin. C’est seu- lement aux noces, pour lesquelles on se relâche de la règle, que fut accom- pli le miracle du vin, source de la luxure. Mais le déseit, qui est la demeure propre des moines, a connu le don de la chair plutôt que celui du vin. C’était un point essentiel de la loi des Nazaréens, que ceux qui se consa- craient au Seigneur évitaient le vin et tout ce qui peut enivrer. Est-il, en effet, une vertu, est-il une qualité que les ivrognes puissent conserver ? Aussi lisons-nous que le vin et tout ce qui peut enivrer était interdit aux prêtres de l’ancienne loi. Voilà pourquoi saint Jérôme, écrivant à Népotien sur la conduite des clercs, s’indigne si vivement de ce que les prêtres de l’ancienne loi, s’abstenant de tout ce qui peut enivrer, étaient par là supé- rieurs à ceux de la nouvelle. « Ne sentez jamais le vin, dit-il, de peur qu’on ne vous applique ce mot du philosophe : ce n’est pas tendre la joue, c’est présenter la coupe. • L’Apôtre condamne donc les prêtres adonnés au vin, et l’ancienne loi en interdit l’usage : c Ceux qui sont attachés au service de l’autel ne boiront jamais de vin ni de bière, dit-elle. » — Par bière, en langue hébraïque, on entend toute boisson qui peut enivrer, qu’elle soit le résultat de la fermen- tation de la levure, du jus de la pomme ou du miel cuit, qu’elle soit tirée du suc des herbes, des fruits du palmier et des fraises, qui, étendues dans l’eau ou passées au feu, donnent une liqueur douce et onctueuse. — 312 AB&LARDI ET HELOISSJE EPISTOUE. que frugibus aqua pinguior coloratur. — c Quidquid inebriat et.statum mentis evertit, fuge similiter ut vinum. » Ei regula sancti Pacomii, vinum et liquamen absque loco segrotantium nullus attingat. Quis etiam vestrum non audierit vinum monachorum penitus non esse, et in tantum olim a monachis abhorreri, ut ab ipso vehementer dehortantes ipsum Satanam appellardht ? Unde in Vitis Patrum scriptum legimus : « Narraverunt qui- dam abbati Pastori de quodam monacho quia non bibebat vinum, et dixi ; eis : « Quia vinum monachorum omnino non est. » Item post aliqua : « Facta aliquando celebratio missarum in monte abbatis Antonii, et inven- tum est ibi cenidium vini, et tollens unus de senibus parvum vas, calicen portavit ad abbatem Sysoi, et dedit ei, et bibit semel, ct secundo etaccepit et bibit. Obtulit ei etiam tertio, sed non accepit, dicens : « Quiesce, frater, « an nescis quia est Satanas ? » Et iterum de abbate Sysoi : « Dicit ergo Abraham discipulis ejus, si occumtur in sabbato et dominica ad ecclesiam, et biberil tres calices, ne multo est ? Et dixit senex : « Si non esset Satanas, non esset multum. » Hinc et beatus non immemor Benedictus, quum dispensatione quadam monachis vinum indulgeret, ait : « Licet legamns vinum monachorum omnino non esse, sed quia nostris temporibus id mo- nachis penitus persuaderi non potest. » Quid enim mirum si monachis penitus non sit indulgendum, quod femi- nis quoque, quarum in se est natura debilior, et tamen contra vinum for- tior, ipsum omnino beatus interdicit Hieronymus ? Hic enim Eustochium virginem Gbristi de conservanda instruens virginitate, vehementer adhorta- tur, dicens* : « Si quid itaque in me potest esse consilii, si experto creditur, hocprimum moneo et oblestor, ut sponsa Christi vinum fugiat pro veneno. Haec adversus adolescentiam prima sunt arma dsemonum. Non sic avaritia quatit, inflat superbia, delectat ambitio. Facile aliis caremus vitiis. Hic hostis iutus inclusus est. Quocunque pergamus, nobiscum portamus ini- micum. Yinum et adolescentia duplex incendium voluptatis. Quid oleum flammae adjicimus ? Quid ardenti corpusculo fomenta ignium niiuistra- mus ? » Gonstat tamen ex eorum documentis qui de physica scripserunt, tnulto minus feminis quam viris virtutem vini pnevalere posse. Gujus qui- drmrei rationem inducens Maorobius TheodosiuslY Saturnaliorum Iibro, sic ail : « Aristoteles : muliercs, inquit, raro inebriantur, crebro senes. Mulier humectissimo est corpore. Docet hoc ct levitas cutis et splendor, docent precipue assiduse purgationes, superfluo exonerantes corpus humore. Qtnim ergo epotum vinum in tam largum ceciderit humorera, vim suam pcidit, nec facile cerebri sedem ferit, fortitudine ejus extincta. » ltem’ : Epist. 18.— » Cap. 6. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 313 c Tout ce qui peut enivrer et ébranler la raison, fuyons-le à l’égal du vin. i D’après la règle de saint Pacôme, nul, à l’exception des malades, ne doit toucher au vin ou à une liqueur quelconque. Qui de vous ignore que le vin ne convient nullement aux moines, et que jadis les religieux l’avaient en telle horreur que, pour s’en détourner, ils l’appelaient Satan ? Aussi, lisons- nous dans les Vies des Pères : • Quelqu’un rapporta un jour à l’abbé Pas- teur qu’un certain moine ne buvait pas de vin, et il leur dit « Le vin ne c convient nullement aux moines. 1 Et quelques lignes plus bas : t Un jour qu’on célébrait des messes dans le monastère de l’abbé saint Antoine, on trouva un vase rempli de vin ; un des vieillards en versa dans une coupe qu’il porta à l’abbé Sisoï et qu’il lui offrit ; l’abbé Sisoï but ; on lui offrit une seconde coupe, il but encore. Mais lorsqu’on lui en offrit une troi- sième, il refusa, disant : t Assez, frère ; ne savez-vous pas que c’est Satan c qui est là dedans ?» Et ailleurs encore, au sujet de l’abbé Sisoï : « Le vieillard dit à ses disciples, qui lui demandaient si ce ne serait pas beau- coup boire, un jour de sabbat ou le dimanche, à l’église, que de boire trois coupes de vin : « Non, si ce n’était pas Satan, ce ne serait pas beaucoup. » Saint Benoît n’avait pas oubjié ce principe, lorsqu’il permettait le vin aux moines dans une certaine mesure, i Nous lisons bien, sans doute, dit-il, que le vin ne convient nullement aux moines ; mais c’est une chose qu’au- jourd’hui il serait difficile de leur persuader. » 11 n’est donc pas étonnant que saint Jérôme, qui n’autorisait l’usage du vin pour les hommes qu’avec restriction, le défende absolument aux fem- mes dont la nature est plus faible, bien qu’elle résiste mieux à l’ivresse. En effet, dans les règles de conduite qu’il donne à la vierge Eustochie pour conserver sa virginité, il lui tient ce chaleureux langage : a Si je suis ca- pable de donner quelque conseil, et si l’expérience mérite confiance, voici le premier avis, la première prière que j’adresse à une épouse du Christ : qu’elle fuie le vin comme un poison. Ce sont les premières armes des dé- mons contre la jeunesse. La cupidité ébranle moins profondément, l’orgueil rend moins superbe, l’ambition a moins d’attraits. Nous nous débarrassons aisément des autres vices : celui-ci est un ennemi enfermé au cœur de la place ; partout où nous allons, nous le portons avec nous. Vin et jeunesse, double foyer de volupté. Pourquoi jeter de l’huile sur le feu ? Pourquoi alimenter un brasier ardent ? > Cependant les expériences de la physique ont démontré que le vin a moins de prise sur les femmes que sur les hommes. Et Théodore Macrobe en donne la raison dans son livre des Saturnales, quand il dit : i Selon Aristote, les femmes s’enivrent rarement, les hom- mes souvent. La femme a le corps très-humide ; ce qui le prouve, c’est le poli et l’éclat de sa peau ; ce qui le prouve surtout, ce sont les purgations qui la débarrassent périodiquement d’un excès d’humeur. Lors donc que le vin qu’elle a bu tombe dans ce large courant d’humeur, il perd sa force, ses vapeurs s’éteignent et ne montent plus au cerveau. • Et encore : « Le corps 314 ABJiLARDI ET HELOIS&E EPISTOUE. « Muliebre corpus crebris purgationibus depuratum, pluribus consertum foraraiuibus, ut pateat iu meatus, et vias pnebeat humori ia egestiouis exitum confluenti. Per hsc foramina vapor vini celeriter evanescit. • Qua igitur ratione id monacbis indulgetur, quod infirmiori sexui dene- gatur ? Quanta et insania ed eis concedere, quibus amplius potest nocere, et aliis negare ? Quid denique stuitius, id quod religioni magis est contra- rium, eta Deo plurimum facit apostatare, religionem non abhorrere ? Quid impudentius, quam in quod regibus quoque et sacerdotibus legis interdici- tur, christiana ? perfectionis abstinentiam non vitare, imo in hoc maxime de- lectari ? Quis namque ignoret quantum in hoc tempore clericorum praecipue vel monachorum studium circa cellaria versetur, ut ca scilicet diversis ge- neribus vini repleant ; herbis illud, melle, et speciebus condiant, ut tanto facilius se inebriant, quanto delectabilius potent ; et tanto se magis ad libi- dinem incitent, quanto amplius vino aestuent ? Quis hic non tam error quam furor, ut qui se maxime per professionem continentiae obligant, minus ad conservandum votumsepraparent, imo ut minime custodiri possitefficiant ? Quorum profecto si claustrisretinentur corpora, corda libidine plena sunt,et in fornicationem inardescit animus. Scribens ad Timotheum Apostolusl : « Noli, inquid, adhuc aquam bibere, sed vino modico utere propter stoma- chum tuum et frequentes infirmitates tuas. » Cui propter infirmitatem con- ceditur vinum modicum, constat utique quia sanus sumeret nullum. Si vi- tam profitemur ApostoHcam, etpraecipue formam vovemus poenitentise, ~et fugere seculum proponimus, cur eo maxime delectamur, quod proposito nostro maxime adversari videmus, et universis est alimentis delectabilius ? Diligens poeniteutiae descriptor beatus Ambrosiusnihil in victu poenitentiura praeter vinum accusat, dicens* : « An quisquamputatillam poenitentiam ubi acquirendae ambitio dignitatis, ubi vini effusio, ubi ipsius copulse conjuga- lis usus ? Renuntiandum seculo est. Facilius inveni qui innocentiam serva- verint, quam qui congrue poenitentiam egerint. » Item in libro de Fuga Seculi : « Bene, inquit3, fugis, si oculus tuus fugiat calices, et phialas, ne fiat libidinosus, dum moratur in vino. » Solum de omnibus alimentis in Fuga Seculi vinum commemorat, et hoc vinum si fugiamus, bene nos secu- lum fugere asserit, quasi omnes seculi voluptates ex hoc uno pendeant. Nec etiam dicit, si gula fugiat ejus gustuin, verumetiam oculus visum ne libi- dine et voluptate ipsius capiatur, quod frequenter intuetur. Unde et illud est Salomonis quod supra meminimus* : « Ne intueamur vinum quando fla- vescit, quum splenduerit in vitro color ejus. » Scd quid et hic, quseso, dice- mus, qui ut tam gustu ejus quam visu obiectemur, quum illud melle her- 1 Timoth., I, t, 23. — » De Pcenitent., n, 10. — * Cap. 9. — * Prov., xuu, 31. LETTRES D’ABÉLARD ET d’Héloïse. 315 de la femme, purifié par de fréquentes purgations, est un tissu rempli de pores qui facilitent l’écoulement, et qui offrent un passage à l’humeur qui s’amasse et cherche à sortir. C’est par ces pores que la Tapeur du vin s’éva- pore en un instant. » Pourquoi donc tolérer chez les religieux ce qu’on refuse aux religieuses ? Quelle folie d’autoriser l’usage du vin chez ceux auxquels il peut faire le plus de mal, et de l’interdire aux autres ? Quoi de plus insensé que de ne pas inspirer à des religieux l’horreur d’une chose qui est, plus que toute autre, opposée à l’esprit de religion, et capable d’éloigner de Dieu ? Quoi de plus im- prudent de ne pas exiger de s’abstenir, pour la perfection chrétienne, de ce qui est interdit aux rois et aux prêtres de l’ancienne loi, que dis-je ? d’y lais- ser trouver les plus grandes délices ? Qui ne sait, en effet, quel soin les clercs et les moines d’aujourd’hui mettent à remplir leurs celliers de toute espèce de vins, à y mêler des plantes, du miel et d’autres ingrédients qui les eni- vrent d’autant plus aisément que le mélange est plus agréable, et qui les excitent d’autant plus à la luxure qu’ils les échauffent davantage ? Ah ! c’est plus qu’une erreur, c’est du délire, que ceux qui ont fait vœude con- tinence ne fassent rien pour observer ce vœu, que dis-je ! fassent tout pour le rompre. Leurs corps sont retenus dans les cloîtres, mais leur coeur est plein de libertinage ; leur âme brûle de toutes les ardeurs de la fornication. i Ne buvez pas encore d’eau, mais prenez un peu devin, à cause des faiblesses fréquentes de votre estomac, écrivait l’Apôtre à Timothée. » C’est à cause de sa délicatesse qu’un peu de vin lui est permis : il est clair qu’en état de santé il n’en prendrait point. Si nous faisons vœu de vivre suivant la règle apo- stolique, si nous nous engageons particulièrement à faire pénitence, si nous voulons fuir le siècle, pourquoi faire nos plus grandes délices de ce qui est essentiellement contraire à notre dessein et de ce qu’il y a de plus délec- table dans tous les aliments ? Saint Ambroise, ce grand peintre de la péni- tence, ne blâme que le vin dans la nourriture des pénitents. « Est-il croyable, dit-il, qu’on fasse pénitence, quand on a l’ambition des hon- neurs, quand on use et abuse du vin, quand on se donne les jouissances du mariage ? Il faut renoncer au siècle. Il m’a été plus facile de trouver des hommes ayant conservé leur innocence, que des hommes faisant pénitence comme il faut. » Et ailleurs, dans le livre sur la Fuite du siècle : « Vous le fuyez bien, dit-il, si vos yeux évitent les coupes et les bouteilles, de peur de prendre le goût de la luxure en s’arrétant sur le vin. » Parmi les aliments à éviter, il ne cite, dans son ouvrage, que le vin : Fuir le vin, c’est assez, il l’affirme, pour fuir le siècle. Il semble, à son sens, que toutes les voluptés du siècle soient renfermées dans le vin. Et il ne dit pas : si votre bouche évite de le goûter, mais si vos yeux évitent de le voir ; de peur qu’à force de le regar- der, les attraits de la débauche et delà volupté ne vous saisissent. C’est aussi ce que Salomon veut dire dans le passage que j’ai cité plus haut : « Ne regar- dez pas le vin et ses reflets d’or, quand son éclat resplendit dans le cristal. • 316 ABJELARDI ET HELOISSjE EPISTOLjE. bis, vel speciebus diversis condierimus, phialis etiam ipsum propinari vo- lumus ? Beatus Benedictus vini coactus indulgentiam faciens’ : « Saltem vel hoc, inquit consentiamus, non usque ad satietatem bibamus, sed parcius : quia vinum apostatare facit etiam sapientes. » 0 utinam usque ad satietatem bibere sufficerel, ne majoris rei transgressionis ad superfluitatem eiTerremur ! Bea- tus etiam Augustinus monasteria ordinans clericorum, et eis regulam scri- bens : « Sabbato tantum et Dominica, sicut consuetudo est, qui volunt, vi- num accipiant ; » tum videlicet pro reverentia Dominicae diei et ipsius vi- giliae quae est Sabbatum, tum etiam quia tunc dispersi per cellulas fratres congregabantur. Sicut et in Vitis Patrutn beatus commemorat Hieronyirius, scribens de loco qucm Cella nominavit, bis verbis : « Singuli per cellulas manent. Die tamen Sabbati et Dominica in unum ad ecclesiam coeunt, et ibi semetipsos invicem tanquam coelo redditos vident. » Unde profecto con- veniens erat bsec indulgentia, ut insimul convenientes aliqua recreatione congauderent, non tam dicentes quam sentientes : « Ecce quam bonum et quam jucundum habitare fratres iu unum. » Ecce si a carnibus abstineamus, magnum quid nobis imputatur, quanta- cunque superfluitate ceteris vescamur. Si multis expensis diversa piscium fercula comparemus, si piperis et specierum sapores misceamus, si quum inebriati mero fuerimus, calices herbatorum et phialas pigmentorum supe- raddamus, totum in excusat vilium abstineutia carnium, dummodo eas pu- blice non voremus, quasi ciborum qualitas magis quam superfluitas in culpa sit : quum solam Dominus crapulam et ebrietatem nobis interdicat, hoc est cibi pariter et vini superfluitatem potius quam qualitatem. Quod etdiligenterbeatus attendens Augustinus, nihilque in alimentis prae- ter vinum veritus, nec ullam ciborum qualitatem distinguens, hoc in absti- nentiasatis esse crededit quod breviter expressit : i Garnem, inquit, vestram domate jejuniis, et abstinentia escae vel potus, quautum valetudo permittit.» Legerat, nisi fallor, illud beati Athanasii in exhortatione ad monachos :«Jcju- niorum quoque non sit volentibus certa mensura, sed in quantum, possibi- litas valet, nisi laborantis extensa : quse praeter Dominicam diem semper sint solemnia, non votiva sint. » Ac si diceret : si ex voto suspiuntur, de- vote compleantur omni tempore, nisi in Dominicis diebus. Nulia hic jeju- nia praefiguntur, sed quantum permittit valetudo. Dicitur enim : « Solam natune facultatem inspicit et ipsam sibi modum prsefigere permittit : sciens quoniam in nullis delinquitur, si modus in omnibus teneatur, » utvidelicet Regul. 40. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HELOÏSE. 317 Que dirons-nous, je vous prie, nous qui, pour qu’il nous fasse plaisir à boire comme à voir, y mêlons du miel, des plantes, toute espèce d’ingrédients ? nous qui voulons boire encore par l’odorat ? Forcé de tolérer l’usage du vin, saint Benoît disait : « Nous n’y consen- tons qu’à la condition expresse qu’on ne boira pas jusqu’à l’ivresse, mais avec mesure ; car le vin fait apostasier même les sages. » Plût à Dieu que nous en fussions à nous contenter de boire jusqu’à satiété, et que nous ne nous laissions pas aller, par une transgression plus grave, jusqu’à l’excès ! Saint Augustin, dans sa règle pour les monastères qu’il avait établis, dit : « Le samedi seulement et le dimanche, selon la coutume, on donnera du vin à ceux qui en voudront. » C’était autant par respect pour le dimanche et pour les vigiles du dimanche, qui ont lieu le samedi, que parce que les frères, dis- persés d’ordinaire dans leurs cellules, se réunissent ce jour-là, ainsi que saint Jérôme le rappelle dans la Vie des Pères, où il est dit eu parlant d’un mo- nastère qu’on appelle la Celle : « Chacun reste dans sa cellule ; le samedi et le dimanche seulement, on se rassemble à l’église, et là, tous se rangent comme réunis dans le ciel. » Voilà pourquoi c’était une tolérance convenable que celle qui procurait quelque plaisir à la communauté réunie, alors que les frères sentaient plus qu’ils ne disaient, « combien c’est chose bonne et douce d’habiter sous le même toit ! » Actuellement, si nous nous abstenons de viande, est-ce un si grand mé- rite, quand nos tables sont chargées d’une quantité superflue d’autres ali- ments ? nous achetons à grands frais toute espèce de poissons ; nous mélan- geons les saveurs et des épices ; gorgés de vin, nous y ajoutons encore des liqueurs fortes : l’excuse de tout cclav c’est l’abstinence des viandes à vil prix, abstinence devant le monde, encore : comme si c’était la qualité et non la superfluité des aliments qui faisait la faute ! Ce que Dieu nous défend, c’est la gourmandise et l’ivrognerie, c’est-à-dire, la superfluité, et non la qualité de la nourriture et du vin. Aussi saint Augustin ne craint-il dans la nourriture que le vin, et ne fait-il aucune distinction d’aliments ; il lui suffit qu’on s’abstienne de vin, ainsi qu’il le recommande en peu de mots. « Domptez votre chair par le jeùjie et par l’abstinence dans le boire et le manger, dit-il, autant que votre santé vous le permettra. » 11 avait lu, si je ne me trompe, ce passage des Exhortations de saint Athanase aux moines : « Pour les jeûnes aussi, on ne doit pas les mesurer à sa volonté, mais à la possibilité, qui s’étend en raison de l’effort. Que les jeûnes aient lieu tous les jours, sauf le dimanche ; qu’ils ne soient pas l’objet d’un vœu. » C’est comme s’il eût dit : si l’on a fait le vœu de jeûner, il faut le tenir en tout temps, excepté le dimanche. 11 n’assigne d’ailleurs aucune règle aux jeûnes : la mesure, pour chacun, c’est sa santé. « Il ne regarde qu’à la force du tempérament, » est-il dit ; « il permet à chacun de se fixer une règle, sachant qu’on ne pèche en rien, quand on observe U mesure en tout. » 11 tient ce langage, sans doute, pour que nous 318 AB£LARDI ET I1EL0ISS£ EPISTOLiE. nec remissius quam oporlet voluptatibus resolvamur, sicut de populo me- dulla tritici et meracissimo vino educato scriptum est’ : «Incrassatus est, dilatatus, et recalcitravit. » Nec supra modum abstinenlia macerati vel om- nino victi succumbamus, vel murmurantes mercedem amittamus, vel de singularitategloricmur. Quod Ecclesiastes praeveniens ait* : « Justus perit in sua justitia. Noli esse justus multum, neque plus sapias quam necesse est, ne obstupescas, » de tua quasi admirans singularitate intumescas. Huic vero diligentiae sic omnium virtutum mater discretio prasit, ut quae quibus imponat onera sollicite videat, unicuique scilicet secundum pro- priam virtutem, et naturam sequens potius quam trahens, nequaquam usum satietatis, sed abusum auferat superfluitatis ; et sic exlirpentur vitia nec laedatur natura. Satis est infirmis, si peccata vitent, et si non ad perfec- tionis cumulum conscendant. Sufficit quoque paradfei angulo residere, si martyribus non possis considere. Tutum est vovere modica, ut majora de- bitis superaddat gralia. Hinc enim scriptum est5 : « Quum feceritis omnia quae praecepta sunt, dicite : servi inutiles sumus, qua ? debuimus fecere feci- mus. » —« Lex, inquit Apostolus*, iram operatur. Ubi enim nonest lex, nec prrcvaricatio. » Et iterum : « Sinc lege enim peccatum mortuum erat. Ego autem vivebam sine lege aliquando ; sed quum venissct mandatum, pecca- tum revixit. Ego autem mortuus sum, et inventum est mihi mandatum quod erat ad vitam, boc esse ad mortera. Nam peccatum occasione accepta per mandatum, seduxit me, et per iilud me occidit ; iit fiat supra modum peccans peccatum per mandatum. » Augustinus ad Simplicianum : « ex prohibitione aucto desiderio dulcius, factum est, et ideo fefellit. » Idem in libro Qucestionum, quest. lxvh : « Suasio delectationis ad peccatum vehe- mentior est quum adest prohibitio. » Nitimur in vctitum semper cupimusque ncgtta ’. Attendat cum tremore hsec quisquis se jugo alicujus reguls quasi novs legis professioni vult alligare. Eligat quod possit, timeat quod non possit. Ncmo lcgis efficitur reus, nisiqui eam fuerit ante professus. Antequampro- fitoaris delibera. Quum professus fueris, observa. Ante est voluntarium quod postea sit necessarium. «In domo Patris mei, dicit Veritas’, mansiones multae sunt. » Sic etiam plurimae sunt quibus iUuc perveniatur viae. Non damnatur conjuges, sed facilius salvantur continentes< Non ad hoc, ut sal» 1 Deuteron., txm, 15. — * Eccle»., vn, 17 ct 18» — * Luc, xni, 10. — * Rom., iv, 15 ; tii, 8. — « Ovid., De Amor., III, n, 17. ^- « iokn.i xiv, «. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 319 ne nous laissions par amollir par les voluptés, comme ce peuple nourri de la fleur du froment et du vin le plus pur, dont il est écrit : « Ce peuple chéri s’est engraissé et s’est révolté. » Il ne veut pas non plus que nous macérions notre corps par des abstinences, qui pourraient, sous le poids de l’épreuve, nous faire succomber et perdre, par nos murmures, le fruit du sacriGce, ou éveiller notre orgueil. C’est l’excès que l’Ecclésiaste veut préve- nir, quand il dit : « Le juste périt dans sa justice. Ne soyez donc pas juste au delà de la mesure, ni sage plus qu’il ne faut ; » c’est-à-dire prenez garde de vous gonfler d’admiration pour votre vertu. C’est à la sagesse, mère de toutes Jes vertus, de mesurer le poids des far- deaux ; de n’imposer à chacun que ce qu’il peut porter ; de suivre la nature, non de la traîner ; de ne jamais proscrire l’usage, mais seulement l’abus ; de ne supprimer que le superflu en respectant le nécessaire ; en un mot, de déraciner les vices sans blesser la nature. C’est assez, pour les faibles, d’é- viter le péché : ils n’ont pas besoin d’atteindre la perfection. Il suffit d’avoir un coin dans le paradis pour ceux qui ne peuvent prendre place auprès des martyrs. Il est plus sûr de faire des vœux mesurés, afin que la grâce, par ses effets, y puisse ajouter quelque chose. C’est pourquoi il est écrit : « Lorsque vous aurez fait tout ce qui est ordonné, dites : nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions. » — « La loi, dit l’Apôtre, produit la colère ; car où il n’y a point de loi, il n’y a point de prévarication. » Et ailleurs : « Sans la loi, le péché était mort, et moi je vi- vais autrefois sans loi ; mais, le commandement étant survenu, le péché est ressuscité, et moi je suis mort ; et il s’est trouvé que le commandement, qui était pour me donner la vie, m’a donné la mort ; car le péché, ayant pris occasion du commandement, m’a séduit et tué par ce commandement même ; en sorte que le péché est devenu, par le commandement, une cause de péché. » Saint Augustin disait de même à Simplicien : « La défense a augmenté le désir, qui est devenu plus doux et par cela même nous a trom- pés. » Et dans le livre des Questions, question soixante-septième : a Et le charme du péché est plus entraînant et plus vif, lorsqu’il y a défense. » Toujours nous tendons vers ce qui nous est interdit et nous désirons ce qu’on nous refuse. Que ces réflexions fassent donc trembler quiconque veut se soumettre au joug de quelque règle et s’engager dans les vœux d’une loi nouvelle. Qu’il choisisse selon ses forces ; qu’il évite ce qui les dépasse. On n’est coupable envers la loi, que lorsqu’on a fait serment de lui obéir. Réfléchissez avant de vous engager ; une fois engagé, observez votre engagement. Avant, l’acte est volontaire ; après, l’obéissance est nécessaire. « Dans la maison de mon Père, a dit la Vérité, il y a plusieurs demeures. • Ainsi y a-t-il aussi plu- sieurs voies qui y conduisent. On n’est pas condamné par le mariage ; seule- ment on est sauvé plus aisément par la virginité. Ce n’est pas pour nous sauver que les saints Pères ont institué des règles, mais pour que nous puis- 320 AB&LARDI ET HEL0ISS£ EPISTOL*. varemur, sanctorum Pairum sunt additse regulae, sed ut facilius salvemur, et purius Deo vacare possimus. « Et si, inquit Aposlolus1, nupserit virgo, non peccavit : tribulationem tamen carnis habebunt hujusmodi. Ego autem vobis parco. » Item : « Mulier quae innupta est et virgo cogitat quae Domini sunt, ut sit sancla corpore et spiritu. Quae aulem nupta est cogitat quae sunt mundi, quomodo placeat viro. Porro hoc ad ulilitatem vestram dico, non ut laqueiim vobis injiciam, sed ad quod honestum est, et quod facultatem prabeat sine impedimento Deum observandi. » Tunc vero facillime id agitur, quum a seculo corpore quoque recedentes, claustris nos monasteriorum recludimus, ne nos seculares inquietent tu- raultus. Nec solum qui legem suscipit, sed qui legem imponit, provideat ne, multiplicatis praceptis, transgressiones multiplicet. Verbum Dei veniens verbum abforeviatum fecit super terram. Multa Moyses locutus est, et tamen, ut ait Apostolus*, « nihil ad perfectum adduxit lex. » Multa profeclo et in tantum gravia, ut apostolus Petrus ejus pracepta neminem potuisse portare profiteatur, dicens5 : « Virifratres, quid tentatis Deum, imponere jugum super cervicem discipulorum, quod nec patres nostri ifeque nos portare potuimus ? sed per gratiam Domini Jesu credimus salvari quemadmodum et illi. » Paucis Christus de aedificatione-niorum et sanctitate vitae Apostolos in- struxit, et perfectionem docuit. Austera removens et gravia, suavia pracepit et levia, quibus omnem consummavit religionem : « Venite, inquit*, ad me omnes qui laboratis et onerati estis, et ego reficiam vos. Tollite jugum meum super vos, et discite a me, quia initis sum et humilis corde ; et invenietis re- quiem animabus vestris. Jugum enim meum suave est, et onus meura leve.» Sic enim saepe in operibus bonis, sicut in negotiis agituf seculi. Multi quippe in negotio plus laborant et minus lucrantur, et multi exterius amplius alfliguntur, et minus interius apud Deum proficiunt, qui cordis potius quam operis inspector est. Qui etiam quo in exterioribus amplius occupantur, minus ad interiora vacare possunt ; et quanto apud homines, qui de exterioribus judicant, amplius innotescunt, majorem gloriam apud eos assequuntur, et facilius per elationem seducuntur. Cui Apostolus occur- rens errori, opera vehementer extenuat, et fidei justificationem amplificans ait5 : « Si enim Abraham ex operibus justificatus est, habet gloriam, sed non apud Dominum. Quid enim dicit Scriptura ? « Credidit Abraham Deo et Corinth., I, vti,28. — ■ Hebr., vn, 19. — * Act. Apost., xv, 10. - * Matth., «, 2J». — » Rom., iv, 2. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 321 sions faire plus facilement notre salut et nous consacrer plus purement à Dieu, t Une fille, dit l’Apôtre, ne pècbe pas pour se marier ; mais, mariée, elle souffrira dans sa cbair des maux que je veux vous éviter. » Et encore : « Une femme qui n’est point mariée et qui est vierge, ne pense qu’aux choses du Seigneur, en sorte qu’elle est sainte de corps et d’âme ; mais celle qui est mariée pense aux choses de ce monde, elle cherche comment elle plaira à son mari. Je vous le dis donc dans votre intérêt, non pour vous tendre un piège ; je vous le dis pour vous engager à ce qui est bien, à ce qui vous donnera la facilité de prier Dieu sans obstacle. » Or, ou n’est jamais plus libre de le faire, que lorsque, s’éloignant maté- riellement du monde, on se renferme dans les cloîtres, de façon à ne plus être troublé par les bruits du siècle. Mais ce n’est pas seulement à celui qui se soumet à la loi, c’est à celui qui l’impose de prendre garde, en multi- pliant les commandements, de multiplier les péchés. En venant en ce monde, le Verbe de Dieu a abrégé la loi. Moïse l’avait développée, bien que, comme dit l’Apôtre, « ce ne soit pas la loi qui conduise à la perfection. » En effet, ses commandements étaient si nombreux et d’une observation si difficile, que l’apôtre Pierre déclare que personne n’a pu en soutenir le poids, f Mes frères, dit-il, pourquoi tenter Dieu, en imposant à vos disciples im joug que ni nos pères ni nous n’avons pu porter ? Nous croyons que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous sauvera et eux aussi. » C’est en peu de mots que Jésus-Christ a prescrit à ses Apôtres les règles de la pureté des mœurs et de la sainteté de la vie, en peu de mots qu’il leur a enseigné la perfection. Écartant les préceptes austères et difficiles, il n’en a donné que de doux et de faciles, et il y a renfermé toute la religion. «i Venez â moi, dit-il, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous réconforterai. Imposez-vous mon joug, apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes ; car mon joug est doux et mon fardeau léger. » En effet, il en est souvent des œuvres de sainteté comme des choses du siècle. Ce sont bien souvent ceux qui peinent le plus qui gagnent le moins ; de même, ce ne sont pas toujours ceux qui paraissent le plus éprouvés, qui ont le plus de mérite devant Dieu : Dieu regarde les cœurs plutôt que les œuvres. Plus on est occupé aux choses du dehors, moins on peut vaquer au soin des choses du dedans ; d’autant que, plus on est connu des hommes qui jugent sur les dehors, plus on acquiert de gloire parmi le monde, plus on se laisse égarer et enfler par l’orgueil. C’est pour prévenir cet égarement que l’Apôtre rabaisse grandement le mérite des œuvres et augmente celui de la foi. « Si Abraham, dit-il, a été justifié par ses œuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu. En effet, que dit l’Écriture ? Abraham crut en Dieu, et cela lui a été imputé à vertu. • Et encore : « Que disons-nous donc ? que les gentils, qui ne cherchaient point la justice, ont atteint la SI 322 AB£LARDI ET HELOISSjE EPISTOLE. reputatum est ei ad justitiam. » Et iterum : « Quid ergo dicimus, quod gentes quae non sectabantur justitiam apprehenderunt justitiam ; justitiam autem, qusu ex fide est : Israel vero sectando legem justitise, in legem jus- titiae non pervenit ? Quare ? Quia non ex fide, sed quasi ex operibus.»llli quod catini est vel paropsidis de foris raundantes, de interiori munditia minus provident, et carni magis quam auimac vigilantes, carnales potius sunt quam spirituales. Nos vero Ghristum in interiori homine per fidem habitare cupientes, pro modico ducimus exteriora, quae tam reprobis quam electis sunt commu- nia, attendentes quod scriptum est : « In me sunt, Deus, vota tua ; quas reddam laudationes tibi ! » Unde et exteriorem illam legis abstinentiam non sequimur, quam nihil justitia ? certum est conferre. Nec quidquam nobis in cibis Dominus interdicit, nisi crapulam et ebrietatem, id est su- perfluitatem. Qui etiam quod nobis indulsit, in seipso exhibere non eru- buit : licet hinc multi scandalizati nou mediocriter improperarent. Unde et per semetipsum loquens : « Venit Joannes, inquit1, non manducans et non bibens, et dixerunt : « Daemonium habet. » Yenit Filius hominis man- ducans et bibens, et dixerunt : « Ecce homo vorax et potator vini. » Qui etiam suos excusans, quod non sicut discipuli Joannis jejunarent, necetiam manducantes corporalem illam munditiam abluendarum manuum magno- pere curarent : « Non possunt, inquit*, lugere iilii sponsi, quandiu cum illis sponsus est. » Et alibi : « Non quod intrat in os coinquinat hominem, sed quod procedit ex ore. Quae autem proceduut de ore, de corde exeunt, et ea coinquinant hominem. Non lotis autem manibus manducare non coinquinat hominem. » Nullus itaque cibus inquinat animam, sed appetitus cibi vetiti. Sicut enim corpus non nisi corporalibus inquinatur sordibus, sic nec anima nisi spiritualibus. Nec timendum est quidquid agatur in corpore, si animus ad consensum non trahitur. Nec confidendum de munditia carnis, si mens voluntate corrumpitur. In corde igitur tota mors animse consistit et vita. Unde Salomon in Proverbiis* : « Omni custodia serva cor tuum, quoniam ex ipso vita procedit. » Et juxta praedictam Veritatis assertionem, ex corde procedunt quaB coinquinant hominem : quoniam bonis vel malis desidcriis aiuma damnatur vel salvatur. Sed quoniam animae et carnis in unam con- junctarum personam maxima est unio, summopere providendum est ne carnis delectatio ad consensum animam trahat, et dum nimis indulgetur carni, ipsa lasciviens reluctetur spiritui, et quam oportet subjici incipiat dominari. Hoc autem cavere poterimus, si necessariis omnibus conoessis, » Matth., xt, 18 et 40. — * Malth., xv, 2 et 5 ; ix, 1S. — > Prot.f t, 25. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÈLOÏSE. 323 justice, cette justice qui vient de la foi, tandis qu’Israël, en cherchant la loi de justice, n’est point parvenu i la loi de justice ? Pourquoi ? Parce que ce n’était pas par la foi, mais comme par les œuvres. » Ceux qui tiennent cette conduite ressemblent aux gens qui nettoient les dehors d’un plat ou d’un vase, mais qui ne s’occupent pas de la propreté de l’intérieur ; plus occupés de la chair que de l’âme, ils sont plus charnels que spirituels. Pour nous, qui désirons que Jésus-Christ habite dans l’homme intérieur par la foi, nous faisons peu de cas des choses extérieures qui sont communes aux réprouvés comme aux élus, suivant ce qui est écrit : o Je porte en moi, Seigneur, tous les vœux et tous les hommages que je vous rendrai. » Aussi ne suivons-nous pas les préceptes d’abstinence extérieure de la loi, laquelle évidemment ne contribue en rien à la vertu. Le Seigneur ne nous a rien in- terdit en fait de nourriture, mais seulement la gourmandise et l’ivresse, c’est-à-dire l’excès. Ce qu’il a toléré en nous, il n’a pas rougi de l’autoriser par son propre exemple, sans s’occuper de ceux qui se scandalisaient et s’emportaient en reproches. Ce qui lui a fait dire de lui-même : « Jean est venu ne mangeant ni ne buvant, et ils ont dit : il est possédé du démon. Le Fils de l’homme est venu mangeant et buvant, et ils ont dit : voilà un gour- mand, un ivrogne. » Et même pour excuser ses disciples, qui ne jeûnaient pas comme saint Jean, et qui, pour manger, ne se mettaient pas en peine de laver leurs mains, il dit : « Les fiancés du Fils de l’homme ne peuvent prendre le deuil, tandis qu’il est fiancé avec eux. » Et ailleurs : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche de l’homme qui le souille, c’est ce qui en sort. Or, ce qui sort de la bouche vient du cœur, et voilà ce qui souille l’homme ; mais de ne point se laver les mains pour manger, cela ne souille pas l’homme. » Ce n’est donc pas la nourriture qui souille l’àme, c’est la convoitise de la nourriture défendue. Car, ainsi que le corps ne peut être souillé que par des chores corporelles, l’àme ne peut être souillée que par des choses spirituelles. Ce qui se passe dans notre corps n’est point à craindre, si l’âme n’y a point de part, et il n’y a pas à se glorifier de la pureté du corps, lorsque l’àme est intentionnellement corrompue. C’est dans le cœur que réside tout entière la mort ou la vie de l’âme. Ce qui fait dire à Salomon, daiis ses Proverbes : a Gardez votre cœur avec toute la vigilance possible, car il est la source de la rie. » Suivant cette déclaration de la Vérité, c’est du cœur que sort ce qui souille l’homme, parce que l’àme se perd ou se sauve par ses bons ou ses mauvais désirs. Mais comme l’àme et le corps sont intime- ment unis dans la même personne, il faut bien prendre garde que le plaisir du corps n’entraine le consentement de l’àme, et que, par trop d’indulgence pour la chair, la chair, abandonnée à elle-même, n’entre en lutte avec l’es- prit, et ne domine là où elle doit obéir. Or, nous éviterons ce danger si, 324 ARELARDI ET HELOISSjE EPISTOLE. superfluitatem, ut saepius dictum est, penilus amputemus, ct infirmo sexui nullum ciborum usum, sed omnium denegemus abusum. Omnia concedan- tur sumi, sed nulla immoderate consumi. t Omnis, inquit Apostolus1, crea- tura Dei bona, et nihil rejiciendum quod cum gratiarum actione percipitur. Sanctilicatur enim pcr verbum Dei et orationem. Hoc proponens fratribus, bonus eris minister Christi Jesu, enutritus verbis fidei, ot bonse doctrinae quam assecutus es. » Et nos igitur cum Timotheo hanc Apostoli insecuti doctrinam, et juxta dominicam sententiam nihil in cibis nisi crapulam et ebrietatem vitantes, sic omnia temperemus, ut ex omnibus infirmani naturam sustentemus, non vitia nutriamus. Et quo quseque amplius sua superfluitate possunt nocere, temperamenti magis accipiant. Majus quippe est ac laudabilius temperate comedere, quam omnino abstinere. Uhde et beatus Augustinus in libro de Bonoconjugali, quumdecorporalibus ageretsustentamentis : «Nequaquam, inquit, eis bene utitur, nisi qui et uti non potest. Multi quidem facilius se abstinent ut non utantur, quam temperant ut bene utantur. Nemo tamen quidem potest eis sapienter uti, nisi potest et continenter non uti.» Ex hoc habitu et Paulus dicebat : « Scio et abundare et penuriam pati. » Penu- riam quippe pati, quorumcunque hominum est : sed sctre penuriam pati, magnorum est. Sic et abundare quisquam hominum incipere potest. Scire autem abundare non nisi eorum est, quos abundantia non corrompit. De vino itaque, quia, sicut dictum est, luxuriosa res est et tumultuosa, ideoque tam continentise quam silentio maxime contrarium, aut omnino fe- mime abstineant propter Deum, sicut uxores gentilium ab hoc inhibentur metu adulteriorum ; aut ita ipsum aqua temperent, ut et siti pariter et sa- nitati consulat, et vires nocendi non habeat. Hoc autem fieri credimus, si hujus mixtune quarta pars ad minus aquae fuerit. Difficillimum vero est ut adpositum nobis potum sic observemus, ut non usque ad satietatem inde bibamus, sicut de vino beatus praecipit Benedictus. Ideoque tutius arbitra- mur, ut nec satietatem interdicamus, ne inde periculum incurramus ; non enim satietas, ut saepe jam diximus, sed superfluitas in crimine est. Ut vero pro medicamento herbata vina conficiantur, aut etiam vinumpurumsumatur non prohibendum est ; quibus tamen conventus nunquam utatur, sed sepa- ratim ab intirmis haec degustentur. Triticeae quoque medullae similaginem omnino prohibemus, sed semper quum habuerint triticum, tertia pars ad minus grossioris annonse miscea- 1 Timoth.*, I, iy, 4. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HELOlSE. 335 comme je l’ai dit, donnant satisfaction à tous les besoins du corps, nous en retranchons le superflu, et si nous accordons au sexe le plus faible l’usage de toute nourriture, ne lui en interdisant que l’abus. Qu’il soit permis de manger de tout, mais qu’il ne soit permis de manger de rien avec excès. •« Tout ce que Dieu a créé, dit l’Apôtre, est bon, et il ne faut rien rejeter de ce qui est reçu avec des actions de grâce ; car la parole de Dieu et la prière le sanctifient. En donnant cette règle à vos frères, vous vous montrerez bon ministre de Jésus-Christ, nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine à laquelle vous vous êtes attaché. » Nous donc, suivant avec Timothée la doctrine de l’Apôtre, et, selon le précepte du Seigneur, n’évitant rien dans les aliments que la gourmandise et l’ivresse, usons de tous dans une mesure telle qu’ils servent à soutenir en nous la faiblesse de la nature, non à nourrir les vices. Portons surtout cette mesure dans l’usage de ceux qui, par leur superfluité, peuvent être les plus dangereux : il est plus grand et plus louable de manger sobrement que de jeûner tout à fait. Ce qui fait dire à saint Augustin, dans son livre du Bien du Mariage, là où il parle des aliments qui doivent soutenir le corps : « On n’use bien que des choses dont on peut se passer. Beaucoup, en effet, trou- vent plus aisé de n’en pas user du tout, que d’en régler sagement l’usage : il n’y a pas sagesse cependant là où il n’y a pas continence. » C’est de cette mesure que saint Paul disait : « Je sais supporter l’abondance et la priva- tion. » Souffrir la privation, c’est affaire à tous les hommes ; mais savoir souffrir la privation, est le trait des grands hommes. De même, il n’est per- sonne qui ne puisse commencer à vivre dans l’abondance ; mais savoir sup- porter l’abondance est le propre de ceux que l’abondance ne corrompt pas. Quant au vin, qui, je le répète, est une source de luxure et de désordre, et qui, par là même, est aussi contraire à la continence qu’au silence, ou bien les femmes s’en abstiendront absolument pour l’amour de Dieu, comme les femmes des gentils s’en abstenaient par la crainte des adultères ; ou bien elles le tempéreront avec de l’eau, afin de pourvoir en même temps et à leur soif et à leur santé, sans qu’il puisse faire mal ; et il en sera-ainsi, si le mé- lange contient au moins un quart d’eau. Il est très-difficile de se ménager de façon à ne pas boire jusqu’à la satiété, ainsi que le recommande saint Benoit. Aussi pensons-nous qu’il est plus sur de ne pas interdire la satiété, pour ne pas nous exposer à un autre danger ; car ce n’est pas dans la satiété, je le répète, c’est dans la superfluité qu’est le mal. Quanta composer du vin avec des plantes, comme médicament, ou à prendre du vin pur, nous ne l’in- terdisons point ; mais à la condition que les malades seuls en goûtent, et que la communauté n’en use point. Défense absolue de faire le pain avec du pur froment ; lorsqu’on aura du froment, on y devra mêler au moins un tiers de farine plus grossière. Poiot de pain tendre ; du pain qui soit cuit au moins delà veille. Quant aux autres aliments, la diaconesse y pourvoira ; c’est, comme je l’ai dit, en achetant les 526 ABjELARDI ET HELOISSJE EPISTOUE. tur. Nec calidis unquam oblectentur panibus, sed qui ad minus uno die ante cocti fuerint. Cseterorum vero alimentorumprovidentiamsichabeat dia- conissa, ut sicut jam praefati sumus, quod vilius poterit comparari, vel facilius haberi, infirmi sexus natune subveniat. Quid euim stultius quam, quum sufficiant nostra, emamus aliena ? et quum sint domi necessaria,’ quxramus extra superflua ? et quum sint ad manum qus sufDciant, labo- remus ad illa quae superfluunt ? De qua quidem necessaria discretionis moderatione non tam humano quam Angelico, sed etiam Dominico instructi documento, noverimus ad hujus vitae necessiludinem transigendam non tam qualitatem ciborum ex- quircre, quam his quae praesto sunt contenlos esse. Unde et Abrahara car- nibus apparatis Angeli vescuntur, et inventis in solitudine piscibus jejunam multitudinem Dominus Jesus refecit. Ex quo videlicet manifeste docemur indiflerenter tam carnium quam piscium esum non csse respuendum, et tum pracipue sumendum, qui et oflensa peccati careat, et sponte se offe- rens faciliorem babeat apparatum, et minorem exigat expensam. Unde et Seneca maiimus ille pauperlatis et continentias sectator, et sum- mus interunivercos philosophos morum sedificator : c Propositum, inquit1, notrum est secundum naturam vivere. Hoccontra naturamest torquere cor- pus suum, et faciles odisse mundilias, et squalorem appetere, et cibis non tantum vilibus uti, sed tetris et horridis. Quemadmodura desidcrare delica- tas res luxuris est, ita et usitatas et non magno parabiles fugere dementiae. Frugalitatem exigit philosophia, non pauiam. Potest tamen esse non incom- posita frugalitas. Hic mihi modus placet. » Unde et Gregorius Moralium libroXXX, quum ipsis hominum moribus non tam ciborum quam animo- rum qualitatem altendendam csse doceret, ac gulre tentationes distinguere : « Aliquando, inquit, cibos lautiores quarrit, aliquaudo quaelibet sumenda praparari accuratius appetit. Nonnunquam vero et abjectius est quod desi- derat, et tamen ipso aestu immensi desiderii peccat. » Ex jEgypto populus eductus in heremo occubuit, quia despecto manna cibos carnium petiit, quos lautiores putavit. Et primogenitorum gloriam Esau amisit, quia magno aestu desiderii vilem cibtira, id est lenliculam con- cupivit, quam dum vendendis etiam primogenitis proetulit, quo in illam ap- petitu anhelaret iudicavit. Neque enim cibus, sed appetitus in vitio est. Unde et lautiores cibos plerumquc sine culpa sumimus, ct abjectiores non sine reatu conscientix degustamus. Hic quippe quem diximus Esau primatum 1 Epist. t. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 327 choses les moins chères et les plus faciles à se procurer, qu’elle devra sub- venir aux besoins du sexe faible. Quelle folie, en effet, d’acheter aux autres, quand ce qu’on a soi-même suffit ? de chercher au dehors le superflu, quand on a chez soi le nécessaire ? de se donner de la peine pour avoir au delà du suffisant, quand on a le suffisant sous la main ? Ces sages habitudes de mesure, ce sont moins les hommes que les anges, que dis-je ? c’est Dieu lui-même qui nous les enseigne et qui nous montre que ce qu’il nous faut pour cette vie de passage, ce n’est pas de rechercher la qualité des aliments, c’est de se contenter de ceux qu’on a près de soi. Les anges mangèrent des viandes qu’Abraham leur servit ; c’est avec des poissons trouvés dans le désert que Jésus-Christ rassasia une multitude à jeun. Ce qui prouve clairement que l’usage de la chair ou du poisson n’a rien de ré- préhensible en soi, et qu’il faut prendre la nourriture qui est pure du péché, qui s’offre d’elle-même et qui est de l’apprêt le plus facile, du prix le moins coûteux. Sénèque, le plus grand des sectateurs de la pauvreté et de la continence, le plus éminent des prédicateurs de morale parmi les philosophes, disait : • Notre but est de vivre selon la nature. Or il est contre la nature de tour- menter son corps, de fuir la propreté, qui ne coûte rien, de se plaire dans la saleté, d’user d’une nourriture, non grossière, mais dégoûtante. Si chercher les choses délicates est le propre de la mollesse, c’est folie de se priver de celtes dont tout le monde use, et qui coûtent peu. La philosophie exige qu’on soit sobre, non qu’on se martyrise. Il peut y avoir une sage fru- galité ; c’est cette mesure qui me plaît. » C’est ce qui fait aussi que saint Gré- goire, dans son trentième livre des Morales, pour montrer que les hommes pèchent moins par la qualité des aliments que par celle des sentiments, dis- tingue ainsi les tentations de la gourmandise : c Tantôt elle cherche les ali- ments les plus délicats ; tantôt elle prendra la première chose venue, mais à la condition que la préparation en soit particulièrement soignée. C’est quelquefois ce qu’il y a de plus grossier qu’elle désire, et cependant, par la violence même de ce désir, elle pèche encore. • Le peuple tiré d’Egypte succomba dans le désert, parce que, au mépris de la manne, il demanda des viandes, comme une alimentation plus délicate. Ésaû perdit la gloire de son droit d’aînesse, pour avoir ardemment désiré une nourriture grossière, un plat de lentilles. En vendant à ce prix son droit d’aî- nesse, il a trahi la violence de sa convoitise. Ce n’est pas dans la nourriture, c’est dans la convoitise qu’est le péché. Aussi pouvons-nous bien souvent manger les mets le3 plus délicats sans péché, tandis qu’il en est de grossiers, auxquels nous ne pouvons toucher sans que notre conscience nous accuse. Ésaû donc, je le répète, a perdu son droit d’aînesse pour un plat de len- 328 ABjEIARDI ET HELOISS* EPISTOUE. per lenticnlam perdidit, et Elias in heremo virtutem oorporis carnes edendo servavit. Unde et antiquus hostis, quia noncibum, scd cibi concupiscentiam esse causam damnationis intelligit, et primum sibi hominem non carne, sed pomo subdidit ; et secundum non carne, sed pane tentavit. Hinc est quodplerumqueAdam culpa committitur, etiam quum abjecta et vilia su- muntur. Ea itaque sumendasunt, quae naturae necessitasquaeritet nonquae edendi libido suggerit. Minori vero desiderio concupiscimus quaeminus prae- tiosa esse videmus, et quae magis abundant, et vilius emuntur : sicut est communium cibus carnium, qui et infirmam naturam multo validius quam pisces confortat, et minores expensas, et faciliorem habet apparatum/ Usus autemcarnium ac vini, sicut et nuptiae, intermedia boni et mali, hoe est indifferentia computantur, licet copulae nuptialis usus omnino peccato non careat, et vinum omnibus alimentis periculosius existat. Quod profecto si temperate sumptum religioni non interdicitur, quid aliorum timemus alimentorum, dummodo in eis modusnon excedatur ? Si beatusipsum Bene- dictus quod monachorum non esse profitetur, quadam tamen dispensatione monachis hujus temporis, jam refrigescentepristinae charitatis fervore, con- cedere cogitur ; quid caetera non indulgerefeminisdebeamus, quaeadhuc eis nulla professio interdicit ? Si pontificibus ipsis et Ecclesiae sanctae rectoribus, si denique monasteriis clericorum sine offensa carnibus etiam vesci licet, quia nulla scilicet professione ab eis religantur, quis has culpet feminis in- dulgeri, maxime si in caeteris majorem tolerentdistrictionem ? Sufficitquippe discipulo ut sit sicut magister ejus, et magna videtur credulitas, si quod monasteriis clericorum indulgetur, monasteriisfeminarum prohibeatur. Nec parvum etiam aestimandum est, si feminae quum caetera monasterii distric- tione, in hac unacarnium indulgentia religione fidelium laicorum inferiores non sint ; prasertim quum, teste Chrysostomo, nihil licet secularibus, quod non liceat monachis, excepto concumbere tantum cum uxore. Beatus quoque Hieronymus, clericorum religionem non inferiorem quam monachorum ju- dicans, ait : « Quasi quidquid inmonachos diciturnonredundet in clericos, qui sunt patres monachorum. » Quis etiam ignoret omnino discretioni con- trarium esse, si tanta debilibus quanta fortibus imponantur onera ? si tantafe- minis quanta viris injungatur abstinentia ? De quo etiam si quis supra ipsum nalurae documentum auctoritatem efflagitet, beatum quoque super hoc Gre- gorium consulat. Hic quippe magnusEcclesiae tam rector quam doctor dehoc quoque cseteros Ecclesise doctores diligenter instruens, libri Pastoralis ca- pitulo xxiv, ita meminit : c Aliter igitur admonendi sunt viri, atquealiter fe- minae : quia illis gravia, istis vero suutinjungenda sunt leviora ; et illos magna LETTRES D’ABÉLARD ET D’RÉLOlSE. 339 tilles, et Élie, dans le désert, a conservé la pureté de son corps, en man- geant de la viande. Aussi l’antique ennemi du monde, sachant bien que ce n’est pas l’aliment, mais la convoitise de l’aliment ’ qui est la cause de la condamnation, s’est assujetti le premier homme, non avec des viandes, mais avec une pomme. Le second, c’est également avec du pain, non avec de la viande, qu’il l’a tenté. Ainsi commettons-nous bien souvent le péché d’Adam, alors même que nous prenons des aliments vils et grossiers. 11 faut donc prendre ce que réclame le besoin de la nature, non ce que la passion de manger suggère. On désire avec moins d’ardeur ce qui a moins de prix, ce qui est moins rare et moins cher. Telles sont les viandes communes, qui, valant mieux que le poisson pour soutenir des tempéraments faibles, sont moins coûteuses et d’un plus facile apprêt. Il en est de la viande et du vin comme du mariage : ce sont choses inter- médiaires entre les bonnes et les mauvaises, c’est-à-dire -indifférentes, bien que le commerce de la chair ne soit pas tout à fait sans péché, et que le vin soit le plus pernicieux de tous les aliments. Or, si, pris avec mesure, le vin n’est pas interdit au religieux, qu’avons-nous à craindre pour les autres aliments, dès le moment que nous ne dépassons pas la mesure ? Quand saint Benoit, tout en reconnaissant que le vin ne convient pas aux moines, se croit cependant obligé, en vue du refroidissement de la foi, d’en tolérer l’usage dans une certaine mesure, que ne devons-nous pas permettre aux femmes, auxquelles aucune règle n’interdit rien ? Quand les évêques eux-mêmes, quand les chefs de la sainte Église, quand, enfin, les commu- nautés religieuses peuvent, sans pécher, manger de la viande, parce qu’ils n’ont pas fait de vœux qui les en empêchent, qui pourra nous blâmer d’ê- tre aussi tolérants pour des femmes, alors surtout qu’elles sont soumises en tout le reste à une plus grande austérité ? 11 suffit, sans doute, au disciple de (aire comme le maître ; et ce serait une grande inconséquence que de re- fuser à des communautés de femmes ce qu’on accorde à des communautés d’hommes. Il n’est même que juste qu’avec la règle sévère de leur couvent, les femmes, jouissant de la permission de manger des viandes, n’aient pas dans leur zèle pieux, de moindres avantages que les pieux laïques, puisque, au témoignage de saint Jean Chrysostome, rien n’est permis aux séculiers qui ne soit permis aux réguliers, sauf le droit de se marier. Saint Jérôme aussi, jugeant que la conduite des clercs ne doit pas être inférieure à celle des moines, dit : « C’est comme si l’on prétendait que tout ce qui est en- joint aux moines ne s’étend pas aux clercs, qui sont les pères des moines. » Et qui peut méconnaître qu’il est contraire à toute règle de discernement d’imposer aux faibles la même charge qu’aux forts et d’obliger les femmes à la même abstinence que les hommes ? En veut-on une preuve, indépendam- ment des enseignements de la nature ? Que l’on consulte saint Grégoire. Ce chef, ce docteur éminent de l’Église, éclairant sur ce point les autres docteurs de l’Église, au chapitre vingt-quatrième de son Pastoral, s’ex- 330 ABjELARDI ET HBLOKS* EPISTOLE. exerceant, istas vero demulcenda conYertant. Quae enim parva sunt in forti- bus, magna reputantur in debilibus. » Quamvis haec quoque vilium licentia carnium minus habeat oblectamenti quam ipsae piscium vel avium carnes, quasminimetamennobis beatus interdicit Benedictns. De quibus etiam Apo- 6tolus, quum diversas species carnis distingueret :« Non omnis, inquit1, caro eadem caro, sed alia hominum, alia pecorum, alia volucrum, aliapiscium. • Et pecorum quidem et avium carnes in sacrificio Domini lex ponit : pisces vero nequaquam : ut nemo piscium esum mundiorem Deo quam carnium credat. Qui etiara tanto est onerosior paupertati vel carior, quanto piscium minor est copiam quam carnium, et minus infirmam corroborat naturam ; ut in altero magis gravet, in altero minus subveniat. Nos itaque fortunae pariter et naturae hominum consulentes, nihil in alimentis, ut diximus, nisi superfluitatem interdicimus. Ipsum itaque car- nium sive caeterorum esum temperamus, ut omnibus concessis, major sit abstinentia monialium, quam quibusdam interdictis, modo sit monacho- rum. Igitur ipsum quoque carnium esum ita temperari volumus, ut non amplius quam semel in die sumant, nec diversa inde fercula eidem per- sonse parentur ; nec seorsum aliqua superaddantur pulmenta, nec ullatenus ei vesci liceat plusquam ter in hebdomada, prima videlicet feria, tertia, et quinta feria, quantsecunque etiam festivitates intercurrant. Quo namque solemnitas major est, majoris abstinentiae devotione est celebranda. Ad quod nos egregius doctor Gregorius Nazianzenus vehementer exhortans, lib. III de Luminibus vel secundis Epiphaniis, ait : « Diem festum celebre- mus non ventri indulgentes, sed spiritu exultantes. » Idem lib. IV dc Pen- iecoste et Spiritu sancto : « Et hic est noster festus dies, ait ; in anims thesauros perenne aliquid et perpetuum recondamus, non ea quaj pertrans- eunt et dissolvuntur. Sufficit corpori malitia sua, nou indiget copiosiore materia, nec insolens bestia abundantioribus cibis ut insolentior fiat, et violentius urgeat. » Idcirco autem spiritualiter magis est agenda solem- nitas, quam et beatus Hieronymus, ejus discipulus, secutus, in epistola sua de acceptis Muneribus ita quodam loco meminit : « Unde nobis sollicitius providendum, ut solemnem diem non tam ciborum abundantia, quam spi- ritus exultatione celebremus : quia valde absurdum est nimia saturitate honorare velle martyrem, quem sciamus Deo placuisse jejuniis. » Augusti- 1 Corinth., I, xr, 39. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 3S1 prime ainsi : « Autres sont les instructions à donner aux hommes, autres celles qui conviennent aux femmes. Aux uns, on peut imposer un joug pe- sant, aux autres, il faut un joug plus doux ; à ceux-ci, les grandes épreuves, à celles-là, des épreuves plus légères, qui les convertissent doucement. Ce qui est peu de chose pour les forts est beaucoup pour les faibles. » Au sur- plus, l’usage des viandes communes flatte moins que celui de la chair des poissons ou des oiseaux. Cependant saint Benoit ne nous les interdit pas, et l’Apôtre, en faisant la distinction de toutes les espèces de viande, dit : c Toute chair n’est pas même chair ; celle des hommes n’est pas celle des animaux ; autre est celle des oiseaux, autre celle des poissons. » La loi du Seigneur a mis au nombre des chairs à lui offrir en sacrifice celle des ani- maux, celle des oiseaux, et point celle des poissons, afin qu’on ne croie pas que la chair du poisson est plus pure à ses yeux que celle des animaux. En effet, le poisson est une chair d’autant plus dispendieuse et plus onéreuse pour les pauvres, qu’elle est moins abondante et moins fortifiante ; elle coûte davantage et ne nourrit pas autant. Prenant donc en considération les ressources des hommes et leur nature, nous n’interdisons « je le répète, que le superflu. Nous recommandons l’u- sage modéré des viandes et de tous les autres aliments, en telle sorte que l’abstinence soit plus sévère chez les religieuses, tous les aliments leur étant permis, que chez les religieux, à qui certains aliments sont interdits. Nous voulons que l’usage de la viande soit réglé de telle façon qu’elles n’eu mangent qu’une fois par jour ; qu’on ne serve jamais deux portions de viandes différentes a la même personne ; qu’on n’y ajoute aucune garniture de légumes, et qu’on ne puisse user de chair plus de trois jours par se- maine, savoir : le dimanche, le mardi et le jeudi, quelles que soient les fêtes qui tombent dans les intervalles ; car plus grande est la solennité, plus il la faut célébrer par l’abstinence. C’est à quoi saint Grégoire de Na- zianze, ce remarquable docteur, nous engage vivement dans son troisième livre de la Chandeleur ou de la seconde Epiphanie. • Célébrons, dit-il, cette fête, non en nous livrant aux plaisirs de la table, mais en nous abandon- nant aux pures joies de l’esprit. » Et ailleurs, au quatrième livre de son traité sur la Pentecôte et F Esprit-Saint ; « Ce jour est le jour de notre fête, dit-il ; amassons dans le trésor de nos cœurs quelque chose de durable, d’éternel, non de ces choses qui passent et se dissolvent. Le corps a assez de ses mauvais penchants, il n’a que faire de plus de matière ; c’est une bête insolente, gardons-nous de la rendre plus insolente par une abondante nourriture : elle nous tourmenterait plus violemment. » Il faut donc célé- brer les fêtes tout spirituellement. C’est aussi ce que recommande, dans sa lettre sur la Manière de recevoir les présents, saint Jérôme, fidèle à la doc- trine de son maître, i Nous devons moins nous inquiéter, dit-il, de célébrer les fêtes par l’abondance de la chère que par les joyeux tressaillements de l’esprit : il serait absurde d’honorer par des excès de table un martyr qui 352 ABiELARDI BT HELOISSiE EPISTOLJE. nus de paenitentice Medicina : « Attende tot martynim millia. Gur enim natalitia eorum conviviis turpibus celebrare delectat, et eorum vitam sequi honestis moribus non delectat ? • ’ Quoties vero carnes deerunt, duo eis fercula qualiumcunque pulmento- rum concedimus, nec superaddi pisces probibemus. Nulli vero pretiosi sopares cibis apponantur in conventu, sed iis contento* sint, quae in terra, quam inhabitant, nascuntur ; fructibus vero non nisi in coena vescantur. ’ Pro medicamento autem quibus opus fuerit, vel herbas vel radices~seu fruclus aliquot, vel alia hujusmodi nunquam prohibemus mensis apponi. Si qua forte peregrina monialis hospitio recepta mensis intererit, ferculo ci aliquo superaddito, charitatis sentiat humanitatem. Dequoquidem si quid distribuere voluerit, licebit. Htec autem, vel si plures fuerint, in majore jnensa residebunt, et eis diaconissa ministrabit, postea cum aliis, quae men- sis ministrant, comestura. Si qua vero sororum parciori cibo carncm domare voluerit, nullatenus hoc .ipsa nisiper obedientiam prxsumat, et nullatenus hoc ei denegetur, si hoc non levitate, sed virtute videtur appetere, quod ejus firmitudo valeat tole- rare. Nulli tamen unquam permittatur, ut per hoc conventu… nec ut ali- quam diem sine cibo transigat. Sagiminis condimento sexta feria nunquam utantur, sed quadiagesimali cibo contenta ?, sponso suo ea die passo quadam compatiantur abstinentia. niud vero non solum prohibendum, sed vehementer est abhorrendum, quod in plerisque monasteriis agi solet, quod videlicet parte aUqua panis, quae superest esui et pauperibus est reservanda, manus et cultellos mun- dare et extergere solent, et ut mappis parcant mensarum, panem polluunt pauperum, imo ejus qui se attendens in pauperibus ait1 :« Quod uni ex mi- nimis meis fecistis, mihi fecistis. » De abslinentia jejuniorura generalis institutio Ecclesiae illis sufficiat, nec supra fidelium laicorum religionem in boc eas gravare pnesumimus, nec virtuti virorum earum infirmitatem in hoc praeferre audemus. Ab aequi- noctio vero autumnali usque ad Pascha, propter dierum brevitatem, unam in die comestionem sufiicerc credamus. Quod quia non pro abstinentia religionis, sed pro brevitate dicimus temporis, nulla hic ciborum genera distinguemus. < Mattb., xxt, 40. LETTRES D’ABÉLARO ET D’HÉLOlSE. 533 s’est rendu agréable à Dieu par ses jeûnes. » Et saint Augustin, sur le Re- mède de. la pénitence : « Considérez ces milliers de martyrs • : pourquoi célébrer leurs fêtes par des repas de débauche, et ne pas plutôt imiter leur vie par une honnête conduite ? » Les jours où on ne mangera pas de viande, il y aura deux portions de légumes quelconques : on pourra ajouter du poisson. Point d’assaisonne- ment recherché ; on se contentera de ceux qui sont produits par le pays. Point de fruits que le soir. Quant à celles qui ont besoin d’un régime, nous ne défendons point qu’on leur serve des herbes, des racines, des fruits, ou autre chose de ce genre. Si quelque religieuse étrangère à laquelle on aura donné l’hospitalité prend part au repas, on lui offrira quelque portion supplémentaire, pour lui donner une idée de la charité de la maison. Elle sera libre de partager cette portion avec qui elle voudra. On la fera asseoir à la grande table, elle et les autres, si elles sont plusieurs. La diaconesse les servira ; elle prendra ensuite son repas avec les servantes de table. Si quelque sœur veut dompter en elle les ardeurs de la chair en dimi- nuant la quantité de sa nourriture, qu’elle ne prenne point sur elle de rien faire sans permission ; cette permission ne devra jamais lui être refusée, si ce n’est point un caprice, mais un sentiment de vertu qui lui a inspiré ce désir de privation, et si son tempérament est de force à la supporter. Hais il ne sera jamais permis à qui que ce soit…, de demeurer un jour sans manger. Les vendredis, on ne mangera jamais rien d’accommodé au gras ; on se contentera de la nourriture des jours de Carême, sorte d’abstinence qui sera comme une marque de sympathique compassion pour les souffrances de l’époux mort ce jour-là. Il est encore une chose qu’il faut non-seulement défendre, mais avoir en horreur, bien qu’elle soit en usage dans la plupart des monastères : c’est que les religieuses essuient leurs mains ou leurs couteaux avec les mor- ceaux de paiu qui restent du diner et qui sont la part des pauvres : pour ménager le linge de table, on ne doit point salir le pain des pauvres, que diâ-je ? le pain de Celui qui a dit en parlant des pauvres : « Ce que vous faites au moindre des miens, c’est à moi que vous le faites, i Relativement aux jeûnes, il suffira de suivre la règle générale de l’Église, car nous ne prenons pas sur nous d’imposer aux religieuses des pratiques plus sévères que celles des pieux laïques ; nous ne voulons pas mettre la faiblesse des femmes au-dessus de la force des hommes. Depuis l’équinoxe d’automne jusqu’à Pâques, à cause de la brièveté des jours, nous pensons qu’un seul repas suffit ; nous disons à cause de la brièveté des jours, et non eu égard à l’abstinence monastique. Nous ne ferons point ici de distinction d’aliments. 334 ABJELARDI ET HELOISSjE EPISTOLJE. Pretiosae vestes, quas omnino Scriptura damnal, summopere fugiantur. De quibus nos praecipue Dominus dehortans et damnati divitis superbiam de iis accusat ; et Joannis humilitatem e contrario commendat. Quod beatus diligenter attendens Gregorius homilia Evangeliorum, iv. « Quid est, in- quit, dicere : « Qui mollibus vestiuntur, in domibus regum sunt ; » nisi aperla sententia demonstrare quod non coelesti, sed terreno regno militant, qui pro Deo perpeti aspera fugiunt, sed solis exterioribus dediti, pnesentis vitse mollitiem delectationemque quaerunt ? » Idem homilia xi : « Sunt nonnulli qui cultum subtilium pretiosarumque vestium non putant esse peccatum. Quod videlicet si culpa non esset, nequaquam sermo Dei tam vigilanter exprimeret, quod dives, qui torquebatur ad inferos, bysso et pur- pura indutus fuisset. Nemo quippe vestimenta praecipua nisi ad inanem gloriam quaerit, videlicet ut houorabilior caeteris esse videatur. Nam pro sola inani gloria vestimentum pretiosius quaeritur. Res ipsa testatur, quod nemo vult ibi pretiosis vestibus indui, ubi ab aliis non possit videri. » A quo et prima Petri epistola seculares et conjugatas feminas dehortans, ait1 : « Similiter et mulieres subditae sint viris suis, ut et si qui non credunt verbo, per mulierum conversationem sine verbo lucrifiant, consi- derantes in timore castam conversationem vestram. Quarum sit non extriu- secus capitlatura, aut circumdatio auri, aut indumenti vestimentorius cul- tus, sed qui abscouditus corde esthomo, incorruptibilitate quieti et modesti spiritus, quod est in conspectu Domiui locuples. » Bene autem fominas po- tius quam viros ab hac vanitate censuit dehortandas, quarum iniirmus ani- mus id amplius appetit, quo per eas et iu eis amplius imitari luxuria pos- sit. Si autem seculares hinc inhibendae sunt feminae, quid Christo devotes convenit providere ? quarum hoc ipsum illis est cultus, quod sunt incultse. Qu83cunque igitur hunc appetit cultum vel non renuit oblatum, castitatis perdit testimonium. Et quascunque talis est, non se religioni praeparare, sed formcationi crcdatur, nec tam monialis quam meretrix censeatur, cui et ipse cultus est tanquam lenonis praeconium, qui incestum prodit ani- mum, sicut scriptum est* : « Amictus corporis, et risus dentium, et ih- gressus hominis enuntiant de illo. n Legimus Dominum in Joanne, ut jam supra meminimus, vilitatem seu aspcritatem vestium potius quam escae conraiendasse atque laudasse. « Quid exiistis, inquit5, in deserlum videre ? hominem mollibus vcstitum ? » Habet enim nonnunquam usus pretiosorum ciborum utilem aliquam dispensatio- nem, sed vestium nullam. Quse videlicet vestes quanto sunt pretiosioreSj 4 C«p. iii, vers. i. — * Eccles., «x, 27. — » Matth., xi ; 0. LETTRES D’ABÊLARD ET D*HÉLOlSE. 535 Quant aux vêtements, on évitera par-dessus tout les vêtements de prix, qui sont absolument condamnés par l’Évangile. Le Seigneur lui-même nous en détourne, en condamnant l’orgueil du mauvais riche, et en exaltant l’humilité de Jean. C’est ce qu’explique saint Grégoire dans sa quatrième Homélie sur les Évangiles. « Pourquoi, dit-il, se sert-il de ces paroles : « Les gens qui sont délicatement vêtus dans les maisons des rois, » si ce n’est pour démontrer clairement que ceux-là combattent pour le royaume de la terre, non pour le royaume des cieux, qui refusent de souffrir pour Dieu, et qui, adonnés tout entiers aux biens extérieurs, ne cherchent que les douceurs et les délices de la vie présente ? Et le même, dans sa onzième Homélie : « Il en est qui pensent que le goût des vêtements délicats et de grand prix n’est pas un péché. Si ce n’était pas une faute, la parole du Sei- gneur n’indiquerait pas aussi expressément que le riche qui souffrait les tortures de l’enfer était couvert de lin et de pourpre. On ne recherche des vêtements de luxe que pour la satisfaction d’une vaine gloire, que dans l’idée de s’attirer plus d’hommages. Ce qui le prouve, c’est qu’on ne se revêt pas d’habits de prix, là où l’on ne peut être vu du monde. » Saint Pierre détourne également de cet abus les femmes séculières et ma* riées dans sa première Épitre : « Que les femmes soient soumises à leurs maris, en telle sorte que si les maris ne croient pas à la parole des femmes, ils soient gagnés par les exemples de leur commerce, et envisagent avec crainte ce que leur impose la pureté de ce commerce. Point de tresses de cheveux postiches, point de ceintures d’or, point de robes somptueuses ; qu’elles s’attachent à parer l’homme qui est au fond de leur cœur par l’in- corruptibilité d’un esprit calme et modeste, ce qui est le plus riche des vête- ments devant Dieu. » C’est avec raison qu’il a cru devoir détourner de cette vanité les femmes plutôt que les hommes, parce que leur esprit faible les y pousse d’autant plus que la luxure a plus de prise sur elles. Or si les femmes qui vivent dans le monde doivent être arrêtées sur cette pente, que convient-il de faire à l’égard des femmes vouées à Dieu, elles dont le véri- table ornement est de n’en avoir pas ? Pour elles, rechercher ces ajuste- ments ou ne pas les rejeter si on les leur offre, c’est perdre leur réputation de chasteté ; c’est se préparer moins à la religion qu’à la fornication ; c’est se mettre au rang, non des religieuses, mais des courtisanes. Pour elles la parure est comme l’insigne du libertinage, elle trahit la corruption de l’âme, ainsi qu’il est écrit : i L’habillement) le rire, la marche, révèlent l’homme. » Nous voyons que le Seigneur a loué et exalté dans Jean-Baptiste la gros- sièreté des vêtements plutôt que l’austérité des aliments. « Qu’éles-vous allé voir, dit-il, dans le désert ? un homme vêtu d’habits délicats ? » Par* fois, en effet, la recherche dans les aliments peut avoir quelque utilité, mais dans les vêtements, jamais. Plus les vêtements Sont précieux, plus on les conserve. Moins ils servent, plus Us coûtent à celui qui les a achetés. 336 ABvELARDI ET HELOISSiE EPISTOUE. tanto carius custodiuntur, et minus proficjnnt, et ementem amplius gravant, et prse subtilitate sui facilius possunt corrumpi, et minus corpori praebent fomenti. Nulli vero panni magis quam nigri lugubrem poenitentiae habitum decent, nec adeo sponsis Christi pelles aliquae conveniunt, sicut agninae : ut ipso quoque habitu agnum sponsum virginum indutae videantur, vel induere raoueantur. Vela vero etfrum non de serico, sed de tincto aliquo lineo panno fiant. Duo autem velorum genera esse volumus, ut alia sint scilicet virginum jam ab ipso consecratarum, alia vero minime. Quae vero pudicarum sunt virgi- num crucis sibi signum habeant impressum ; quo scilicet ipsae integritate quoque corporis ad Ghrislum maxima pertinere monstrentur, et sicut in consecratione distare a caeteris, ita et hoc babitus signo distinguantur, quo et quique fidelium territi, magis abhorreant in concupiscentiam earum eiardescere. Hoc autem signum virginalis raunditiae in summitate capitis candidis expressum filis virgo gestabit, et hoc nuUatenus, antequam ab episcopo consecretur, gestare prasumat. Nulla autem alia vela hoc signo insignita sint. Interulas mundas ad carnem habeant, in quibus etiam cinctae semper dormiant. Culcitrarum quoque mollitiem vel linteaminum usum infirmae ipsarum non negamus natura. Singulae vero dormiaut et comedant. Nulla penitus indignari prasumat, si vestes vel quaecunque alia sibi ab aliquibus transmissa, alii, quae amplius indiget, concedantur sorori ; sed tunc maxime gaudcat, quum in sororis necessitate fructum habuerit eleemosynae, vel se respexerit non solum sibi, sed aliis vivere. Alioquin ad sanctae societatis fraternitatem non pertinet, nec proprietatis sacrilegio caret. Suflicere autem ad corpus contegendum credimus interulam, pelliceam, togam, et quum multum exasperaverit frigus, insuper mantellum. Quo vide- licet mantello pro opertorio quoque uti jacentes poterunt. Oportebit autem pro infestatione vermium vel gravamine sordium abluendarum, haec omnia esse duplicia indumenta, sicut ad litteram in laude fortis el providae mulieris Salomon ait1 : « Non timebit domui suae a frigoribus nivis. Omnes enim domestici ejus vestiti duplicibus. i Quorum ita sit moderata longitudo, ut ultra oram sotularium non procedant, ne pulverem moveant. Manicae vero extensionem brachiorum et manuum non excedant. Crura vero et pedes caligae pedules et sotulares muniant. Nec unquam occasione religionis nudae pedes incedant. Inlectis culcitra una, pulvinar, auriculare, lodix et linteo- « rroT., xxii, 21. 338 ABjELARDI ET HELOISSA EPISTOLJE. lum sufficiant. Caput tero muniant vita candida, et velum desuper nigrum, el pro tonsura capillorum pileum agninum, quum opus fuerit, supponatur. XIII. Nec in victu tantum aut vestitu superfluitas evitetur, verum et in aedificiis aut quibuslibet possessionibus. In aedificiis quidem hoc manifeste dignoscitur, si ea majora vcl pulchriora quam necesse sit componantur, vel si nos ipsa sculpturis vel picturis ornantes, non habitacula pauperum «edifi- cemus, sed palatia regum erigamus. « Filius hominis, inquit Ilieronymus, non habct ubi caput reclinet, et tu amplas porticus et ingentia tectorum spatia metiris ? » Quum pretiosis vel pulchris delectamur equitaluris, non solum superfluitas, sed eiationis vanitas innolescit. Quum autem animalium gregcs vel terreuas multiplicamus possessiones, tunc sc ad exteriora dilatut ambitio : et quauto plura possidemus in terra, tanto amplius de ipsis cogi- tare cogimur, et a contemplatione ccelestium devocamur. Et licet corpore claustris recludamus, hsec taraen quae foris sunt, el diligit animus, scqui cogilur, et se pariter huc et illuc cum illis diffundit, et quo plura possi- dentur quae amitti possunt, majori nos metu cruciant ; et quo pretiosiora sunt, amplius diliguntur, et ambitione sui miserum magis illaqueant animum. (Jnde omnino providcndum est, ut domui nostrae sumptibusque nostris certum prscfigamus modum, nec supra necessaria vel appetamus aliqua, vel recipiamus oblata, vel retineamus suscepta. Quidquid enim necessitati superest, in rapiua possidemus ; et tot pauperum mortis rei sumus, quot inde sustentare poluimus. Singulis igitur annis quum collecta fuerint vic- tualia, providendum est quantum sufficiat per annum ; et si qua super- fuerint, pauperibus non tam danda sunt quam reddendu. Sunt qui providentiae modum igaorantes, quum reddilus paucos habeant, multam habere familiam gaudent. De cujus quidcm procuratione dum gra- vantur, impudenter hanc quaerentes mendicant, vel qute non habent violeuter ab aliis extorquent. Tales etiam jam nonnullos monasteriorum patres con- spicimus, qui de multitudine conventus gloriantes, non tam bonos fllios quam multos habere student, ct magni videntur in oculis suis, si inter multos majores habeantur. Quos quidem ut ad suum trahant domiuium, quum aspera deberent cis praedicare, lenia promittunt, et nulla cxaminatione antea probatos quos indiscrete suscipiunt, facile apostatantes perdunt. Tali- bus, ut video, improperabat Yeritas, dicens1 : « Yae vobis qui circuilis mare et aridam, ut faciatis unum proselytum ! Quem quum feceritis, facitis illum filium gehennae duplo quam vos. » Qui profecto minus de multitudine gloriarentur, si salutem animarum magis quam numcrum quaercrcnt, et de suis viribus in ratione sui regiminis reddenda minus pncsumerenl. Mtttb., xixni, 15. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HELOlSE. 359 dessus ; lorsqu’il sera nécessaire, à cause de la tonsure, on ajoutera un bonnet de peau d’agueau. XIII. Ce n’est pas seulement dans la nourriture et l’habillement qu’il faut éviter le superflu, c’est aussi dans les bâtiments et tous les autres biens. Quant aux bâtiments, s’ils sont plus spacieux ou plus beaux qu’il n’est né- cessaire, si nous les ornons de peintures ou de sculptures, ce ne sont plus des asiles de pauvres, ce sont des palais de rois, t Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête, dit saint Jérôme, et vous possédez de vastes portiques et des bâtiments immenses ? » Se plaire à avoir de beaux chevaux, des che- vaux de prix, ce n’est pas seulement de la superfluité, c’est évidemment une vanité pure. Multiplier ses troupeaux, étendre ses domaines, c’est donner carrière à l’ambition des biens extérieurs. Et plus nous possédons sur cette terre et plus nous sommes forcés de penser à ce que nous possédons, plus nous sommes détournés de la contemplation des choses du ciel. Notre corps a beau être enfermé dans un cloître : l’âme, attachée à ces possessions du dehors, est forcée de les suivre ; elle se répand çà et là avec elles. Nous sommes d’autant plus en proie à la crainte, que nous possédons plus de choses qui peuvent être perdues. Plus ces choses ont de valeur, et plus nous les aimons, plus elles tiennent notre misérable cœur enchaîné à leur poursuite. 11 faut donc songer à fixer une mesure aux dépenses de notre maison, de façon à ne rien chercher au delà du nécessaire, à ne recevoir aucune offrande, à ne garder aucuu dépôt. Tout ce qui dépasse le nécessaire, nous ne le pos- sédons qu’à titre de vol, et nous sommes coupables de la mort d’autant de pauvres que nous aurions pu en secourir avec ce superflu. Chaque année donc, après la récolte, il faudra assurer les besoins de l’année. Le reste, on le donnera, ou plutôt on le restituera aux pauvres. 11 en est qui, ignorant la mesure de la sagesse, se font honneur d’avoir une maison nombreuse, n’ayant que peu de revenus ; et pour subvenir à ces lourdes charges, ils vont impudemment mendier, quand ils n’arrachent pas violemment ce qu’on ne leur veut point donner. Tels nous voyous aujour- d’hui certains supérieurs, qui, fiers du nombre de leurs religieux, tiennent moins à en avoir de bons qu’à en avoir beaucoup, et s’estiment d’autant plus grands qu’ils sont grands au milieu d’un plus grand nombre. Pour attirer les novices dans leurs maisons, au lieu de leur annoncer des austé- rités, ils leur promettent toutes sortes de douceurs, et, les recevant sans examen ni épreuve, ils les perdent par l’apostasie. C’est contre eux, sans doute, que Jésus-Christ s’élevait par ces paroles : c Malheur à vous qui parcourez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et qui, l’ayant fait, le rendez deux fois plus que vous digne de l’enfer ! » Certes ils seraieut moins fiers de la multitude de leurs religieux, s’ils cherchaient le salut des âmes plutôt que le nombre des prosélytes, et s’ils présumaient moins de leurs forces dans la conduite de leur oominuuauté. 340 ABjELARDI ET HELOISSjE EPISTOL*. Paucos Dominus elegit aposlolos, et de ipsa eleclione sua unus in tantum apostatavit, ut pro ipso Dominus diceret1 : « Nunquid ego duodecim vos elegi’, et unus ex vobis diabolus est ? » Sicut autem de apostolis Judas, sic et de septem ydiaconibus Nicolaus periit. Et quum paucos adhuc Apo- stoli congregassent, Ananias et Saphira, uxor ejus, mortis excipere seiileu- tiam ’meruerunt. Quippe et ab ipso anteu Domino quum multi abiissent discipulorum retrorsum, pauci cum ipso remanserunt. Arcta quippevia est, quae ducit ad vitam, et pauci ingrediuntur per cam. Sicut e contrario lata est et spatiosa quae ducit ad mortem, et multi sunt qui se ultro ingerant. Quia sicut ipse Dominus testatur alibi* : « Multi vocati, pauci vero electi. » Et juxta Salomonem5 : « Stultorum infinitus est numerus. » Timeat itaque quisquis de multitudine gaudet subjectorum, ne in eis, juxta Dominicam assertionem, pauci reperiantur elecli, et ipse immoderate gregem suum multiplicans, minus ad cuslodiam ejus sufficiat, ut ei recte a spiritalibus illud propheticum dici possit * : « Multiplicasti gentem, non magnificasti laetitiam. » Tales utique scilicet de multitudine gloriantes, dum tam pro suis quam suorum necessitatibus saepius exire, atque ad seculum redire, et mendicando discurrere coguntur, curis se corporalibus magis quam spiritalibus implicant, et infamiam sibi magis quam gloriam acquirunt. Quod quidem in feminis tanto magis est erubescendum, quanto eas per mundum discnrrere minus videtur tutum. Quisquis igitur quiete vel honeste cupit vivere, et officiis vacare divinis, et tam Deo quam seculo charus haberi, timeat aggregare quos non possit procurare, nec in expensis suis de alienis confidat marsupiis ; nec eleemosynis petendis, sed dandis invigilet. Aposto- lus, ille magnus Evangelii praedicator, et habens potestatem de Evangelio sumptus accipere, laboral manibus, ne quos gravare videatur, ct gloriam suam evacuet. Nos ergo, quorum non est praedicare, sed peccata plaugere, qua temeritate vel impudentia mendicantes quaerimus ? Unde hos, quos inconsiderate congregamus, sustentare possumus ? Qui etiam saepe in tantam prorumpimus insaniam, ut quum praedicare nesciamus, praedicatores con- ducamus ; et pseudoapostolos nobiscum circumducendo, cruces et pbilacteria reliquiarum gestcmus, ut tam haec quam verbum Dei, seu etiam figmenta diaboli simplicibus et idiotis vendamus christianis, et eis promittaraus quae- cunque ad extorquendos nummos proficere credimus. Ex qua quidem im- pudenti cupiditate, quae sua sunt, non quae Jesu Christi quaerente, quantum jam ordo noster et ipsa divini praedicalio verbi viluerit, neminem jam latere arbitror. Jotn. vi, 71. — * Katth., vu, 13 ; », 16. — > Eccles., i, 15. — * IsaT, ix, 3. LETTRES D’ABELARD ET D’HÉLOÎSE. 541 Le Seigneur avait choisi un petit nombre d’apôtres, et parmi ceux qu’il avait choisis, il se trouva un apostat, ce qui lui fait dire : c Ne vous ai-je pas choisis tous les douze ? et cependant il se trouve parmi vous un démon. » Tel avait été Judas parmi les disciples, tel fut Nicolas parmi les sept diacres. Lorsque les apôtres n’avaient encore réuni qu’un petit nombre de fidèles, Ànanias et Saphira, sa femme, méritèrent d’être frappés d’une sentence de mort. De tous ceux qui s’étaient d’abord attachés à suivre le Seigneur, beaucoup l’abandonnèrent et il n’en resta qu’un bien petit nombre ; car étroite est la voie qui conduit à la vie, et il en est peu qui savent y marcher ; large et spacieuse, au contraire, est la voie qui conduit à la mort, et il en est beaucoup qui s’y engagent. C’est que, selon la parole du Seigneur, « il est beaucoup d’appelés et peu d’élus. » — « Le nombre des insensés, dit Salomon, est infini. » Qu’il tremble donc celui qui se réjouit de la multitude de ses religieux ! qu’il craigne que, selon la parole du Seigneur, il ne se trouve parmi eux peu d’élus, et que, multipliant sans mesure son troupeau, il ne puisse suf- fire à le garder, en sorte qu’il mérite cette parole du Prophète : « Vous avez multiplié ce peuple, mais vous n’avez pas augmenté sa joie ! » Tels sont, en effet, ceux qui sont fiers du nombre. Obligés pour leurs propres besoins et pour ceux de la communauté de sortir, de rentrer dans le siècle et d’aller çà et là mendier, ils s’embarrassent bien plus du soin des corps que du soin des âmes, et s’attirent plus de mépris que de gloire. Une telle conduite serait pour des femmes une honte d’autant plus grande qu’il leur est plus dangereux de courir par le monde. Quiconque veut vivre honnêtement, tranquillement, se donner au service du Seigneur, se rendre cher à Dieu et aux hommes, doit craindre de rassembler plus de frères qu’il n’en peut soigner ; ne point compter, pour ses dépenses, sur la bourse d’autrui, songer à faire, non à demander l’aumône. L’apôtre saint Paul, le grand prédicateur de l’Évangile, avait, au nom de l’Évangile, le droit de recevoir assistance : il travaillait de ses mains, pour n’être à charge à per- sonne et ne point porter atteinte à sa gloire. Pour nous, dont le devoir est non de prêcher, mais de pleurer les péchés, quel serait notre aveuglement, notre honte d’aller mendier notre subsistance ! Comment pourrions-nous soutenir ceux que nous aurions inconsidérément réunis ? N’est-ce pas déjà assez de folie d’aller soudoyer des prédicateurs, faute de savoir prêcher, et conduisant à la rondo ces faux apôtres, de porter partout nos croix et nos reliques pour vendre aux simples et aux imbéciles non la parole de Dieu, mais les mensonges dorés du diable, pour leur tout promettre afin de leur escroquer leur argent ? Ah ! c’est déjà celte cupidité impudente à chercher les biens de ce monde et non ceux de Jésus-Christ, qui fait, ainsi que per- sonne ne l’ignore, qu’on n’a plus do respect ni pour cet ordre, ni pour la prédication de la parole de Dieu. 342 ABJELARDI ET HELOISSiE EPISTOLiE. Hinc et ipsi abbates vel qui majores in monasteriis videntur, potentibus seculi et mundanis curiis sese importune ingerentes, jam magis carnales esse quam ccenobitae didicerunt ; et favorem hominum quacunque arte veuantes, crcbrius cum hominibns fabulari, quam cum Deo loqui consue- verunt : illud saepe frustra legentes, atque negligentes, vel audientcs, sed non exaudientes quod beatus Antonius admonet, dicens : « Sicut pisces, si tardaverint in sicco, moriuntur, ita et monachi tardantes extra cellulam, aut cum viris secularibus immorantes, a quietis proposito resolvuntur. » Oportet ergo sicut piscem in mari, ita et nos ad cellam recurrere, ne forte foris tardantes obliviscamur interioris custodiae. Quod ipse quoque monasticae scriptor regulae, scilicet beatus Bcnedictus, diligenter attendcns, quam in monasteriis assiduos velit esse abbates, et super custodiam sui gregis sollicite stare, tam eiemplo quam scripto patenter cdocuit. Hic enim quum a fratribus ad sacratissimam sororem suam visitan- dam profectus, quum ipsa eum pro aedificatione saKem nqcte una vellet retinere, aperte professus est manere extra cellam nullatenus se posse. Neo ait quidem, « non possumus, » sed, « non possum, » quia hoc per eum fratres, non ipse posset, nisi hoc et a Domino, sicut postmodum actum est, revelante. Unde et quum Regulam scriberet, nusquam de abbatis, sed solummodo fratrum egressu meminerit ; de cujus etiam assiduitate ita caute providit, ut in vigiliis dominicorum et festorum dierum evangelicam lectioncm, et quae illi adjuncta sunt, non nisi ab abbate praecipiat dici. Qui etiam’ instituens, ut mensa abbatis cum peregrinis et hospitibus sit semper, et quoties miuus sunt hospites cum eo, quos voiuerit de fratribus vocare, seniore uno tantum aut duobus diraissis cum fratribus, patenter insinuat nunquam in tempore mensae abbatem monasterio debere dccsse, et ut dcli- catis principum ferculis jam assuetus, cibarium panem monastcrii subjectis derelinquat. De qualibus quidem Yeritas : « Alligant, inquit1, onera gravia, et importabiliii, et imponunl in humcros hominum : digito autcm suo nolunt ea movere. » Et alibi de falsis praedicatoribus : « Attcndite a falsis prophetis qui veniunt ad vos. Veniunt, inquit, pcr se, non a Deo missi, vcl expectanles ut pro cis mandetur. » Joannes Baptista princeps noster, cui pontiGcatus haereditate cedebat, semel ab urbe recessitad heremum, ponti- ficatum scilicet pro monacbalu, civitates pro solitudine deserens. Et ad cum populus exibat, nec ipse ad populum introibat. Qui quum tantus essct ut Christus crederetur, et multa in civitatibus corrigere posset : in illo jam 1 Matth., xxiii, 4 ; tii, 15. LETTRES D’ABÊWRD ET D’HÉLOlSE. 343 Aussi les abbés, les supérieurs des monastères qui se glissent avec im- porlunité chez les puissants du siècle et dans les cours des rois passent-ils plutôt pour des gens charnels que pour des cénobites. Tandis qu’ils poursui- vent par tous les moyens la faveur des hommes, ils s’habituent à converser avec le monde plutôt qu’à parler avec Dieu. Ils ont lu plus d’une fois sans doute, mais ils ont mal lu ; ils ont entendu, mais ils n’ont pas compris cet avertissement de saint Antoine : c Les poissons qui demeurent longtemps sur le sable meurent ; de même les moines qui vivent trop longtemps hors de leurs cellules et qui, dans le commerce des séculiers, rompent leur vœu de retr.iite. » Nous devons donc retourner en toute hâte à la cellule comme le poisson à la mer, de peur que, restés trop longtemps dehors, nous n’ou- bliions l’habitude de vivre au dedans. Convaincu de cette vérité, l’auteur de la Règle monastique, saint Benoit, a catégoriquement enseigné par son exemple comme par ses écrits, qu’il faut que les abbés soient assidus au couvent et restent à veiller avec sollici- tude à la garde de leur troupeau. Il avait un jour quitté sa maison pour rendre visite à sa chère sœur sainte Scholastique, et celle-ci voulait le retenir auprès d’elle seulement une nuit pour profiter de ses instructions ; il déclara qu’il ne pouvait absolument rester hors de sa cellule ; il ne dit même pas : a Nous ne pouvons ; » mais : f Je ne puis ; » parce que les frères pouvaient le faire avec sa permission, tandis que lui ne le pouvait que sur l’ordre de Dieu, comme il l’a fait plus tard. Aussi, dans sa Règle, ne parle-t-il nulle part des sorties de l’abbé, mais seulement de celles des frères. Il a, au contraire, si bien pris ses mesures pour assurer sa présence assidue, qu’aux vigiles des dimanches et des jours de fête, il veut que la lecture de l’Évangile et des instructions qui y sont jointes ne soit faite que par l’abbé. Dans son règlement sur la table à laquelle l’abbé doit s’asseoir avec les pèlerins et les hôtes, il lui permet, à défaut d’hôtes, d’inviter les frères qu’il lui plaît, en ayant soin seulement de laisser un ou deux des anciens avec les frères ; par là il fait entendre claire- ment que l’abbé ne doit jamais être absent du monastère à l’heure des repas, de peur qu’une fois habitué à la chère délicate des grands, il ne laisse le pain grossier aux religieux. C’est de ces abbés que la Vérité a dit : f Ils lient des fardeaux pesants et au-dessus des forces humaines, et ils les met- tent sur le dos des autres ; tandis que, pour eux, ils n’y veulent pas toucher du bout du doigt. » Et ailleurs, parlant des faux prédicateurs : « Gardez- vous des faux prophètes qui viennent vers vous. Ils viennent d’eux-mêmes, dit-il, sans que Dieu les envoie et les ait chargés d’une mission. » Jean-Bap. tiste, notre chef, à qui le pontificat revenait par héritage, s’éloigna de la ville ponr se retirer dans le désert, c’est-à-dire qu’il abandonna le pontificat pour le monastère, la vie des cités pour la solitude. Le peuple venait à lui, ce n’était pas lui qui allait chercher le peuple. Il était si grand qu’il fut pris pour le Christ et eut le pouvoir de réformer certains abus dans les villes. 344 ABALARDI ET HELOISSJE EPISTOLE. erat lectulo, unde pulsanti dilecto respondere paratus erat1 :« expoliavi me tunica mea, quomodo induar illa ? Lavi pedes meos, quomodo inquinabo illos ? » Quisquis itaque quietis monasticae secretum desiderat, lectulum magis quam lectum se habere gaudeat. « De lecto quippe, ul Yeritas ait1, unus assumetur, et alter relinquetur. » Leclulum vero sponsae esse legimus, id est animae coiitemplativae Ghristo arctius copulatae, et summo ei desiderio adhaerenlis. Quem quicunque intraverit, neminem esse relictum legimus. De quo et ipsamet loquitur5 : i In lectulo meo pernoctans, quaesivi quem di- ligit anima mea. » A quo etiam iectulo ipsa surgere dcdignans, vel formi- dans, pulsanti dilecto quod supra meminimus respondet. Non enim sordes nisi extra lectum suum esse credit, quibus inquinari pedes metuit. Egressa est Dina, ut alienigenas videret, et corrupta est. Et sicut Malcho illi captivo monacho ab abbate suo praedictum est, et ipse postmodum est expertus ovis quac de ovili egreditur cito lupi morsibus patet. Ne igitur multitudinem congregemus, pro qua egrediendi occasionem quaeramus, imo et egredi compellamur, et cum detrimento nostri lucrum faciamus aliorum : ad modum videlicet prambi, quod ut argentum servetur in fornace, consumitur. Verendum potius est ne et plumbum pariter et argentum fornax vehemens consumat tentationum.Veritas, inquiunt, ait4 : « Et eum qui venit ad me non ejiciam fora«. » Nec nos ejici susceptos volu- mus, sed de suscipiendis providere : ne quum eos inlus susceperimus, nos ipsos extra pro eis cjiciamus. Nam et ipsum Dominum non susceptum ejecisse legimus, sed offerentem se respuisse. Gui quidem dicentiB : « Magister, sequar te quocunque ieris ; » respondit : < Vulpes foveas habent, » etc. Qui etiam de sumptibus nos ante providere, quum aliquidfacere meditamur, cui sint ipsi necessarii, diligenter admonet, dicens6 : i Quis vestrum volens turrim aedificare, nonne prius sedens computat sumptus qui necessarii sunt, si habet ad perficiendum ? Ne postea quam posuerit fundamentum, et non potuerit perficere, omnes qui viderint incipiant illudere ei, dicentes : « Quia hic homo ccepit sedificare, et non potuit consummare. » Magnum est si vel se unum quis salvare sufficiat, et periculosum est multis eum providere qui vix ad custodiam sui sufficit vigilare. Nemo vero studiosus est in custo- diendo, nisi qui pavidus fuerit in suscipiendo. Et nemo sic perseverat in Cantic, v, 3. — • Luc, xvn, 34. — » Cantic. m, 1. — * Joan, vn, 37. — « Matth., vin, 19 et 20. — « Luc, iiv, 28. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSB. 545 Il était déjà dans le petit lit d’oii il était prêt à répondre au bien-aimé frap- pant à sa porte : « Je me suis dépouillé de ma robe, comment la reprendrai- je ? J’ai lavé mes pieds, puis-je les salir ? » Quiconque désire vivre dans la solitude de la paix monastique doit donc se réjouir d’avoir un petit lit plutôt qu’un grand, car c’est de ce lit que la Vérité a dit : i Qu’on prenne l’un et qu’on laisse l’autre. » C’est que, ainsi que nous le lisons, le petit lit de l’épouse n’est autre chose que le lit d’une âme contemplative étroitement unie au Christ et s’atlachant à lui d’un sou- verain désir. Et ce lit, dès qu’on y est entré, on n’est jamais abandonne. t Eu veillant toute la nuit dans mon petit lit, dit-elle, j’ai cherché celui que chérit mon âme. » C’est de ce petit lit que, dédaignant ou craignant de se lever, elle fait au bien-aimé qui frappe la réponse que j’ai rappelée tout à l’heure. Uin de son lit, elle ne voit que des souillures dont elle craint de salir ses pieds. Dina n’est sortie qu’une fois pour aller voir des étrangers, et elle s’est perdue ; et, comme un moine cloîtré nommé Halchus l’entendit un jour dire à sou abbt’s comme il en fit lui-même l’expérience, la brebis qui sort de la bergerie tombe bientôt sous la dent du loup. Ne formons donc pas une communauté trop nombreuse dont les besoins nous invitent à sortir, que dis-je ? nous y obligent et nous fassent faire le bien des autres à notre détriment, semblables au plomb qu’on met dans le creuset pour conserver l’argent. Craignons, au contraire, qu’une fournaise trop ardente de tentations ne consume à la fois le plomb et l’argent. On objectera que Jésus-Christ a dit : « Je ne rejetterai pas celui qui sera venu à moi. » Mi nous non plus nous ne voulons pas rejeter ceux qui sont admis, mais nous voulons qu’on regarde à ceux qu’on recevra, en sorte qu’après les avoir admis, nous ne soyons pas exposés à être rejetés nous-mêmes à cause d’eux. Car si nous ne croyons pas que le Seigneur ait rejeté aucun de ceux qu’il avait admis, il en a repoussé qui se présentaient, puisqu’à celui qui , lui disait : « Maître, je vous suivrai partout où vous irez, » il a répondu :, « Les renards ont des tanières, etc. • H nous avertit encore de calculer les dépenses de toute entreprise, avant de l’exécuter. « Quel est, dit-il, celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne compte de sang-froid ce qu’elle lui coûtera et s’il aura de quoi la mener à bonne fin, de peur que, ne pouvant l’achever après en avoir jeté les fondemeuts, tous ceux qui la verraient ne se moquent de lui et ne disent : cet homme a commencé de bâtir et il n’a pu aller jusqu’au bout ? » C’est beaucoup pour chacun de faire son propre salut. 11 est dangereux de prendre à sa charge le salut de plusieurs, quand c’est à peine si l’on peut suflirc à la garde de soi-même. On ne garde, d’ailleurs, avec sollicitude, que lorsqu’on a pris l’engagement de le faire avec tremblement. Nul ne persévérera dans une entreprise, autant que celui qui a hésité et réfléchi avant de s’y lancer. Les femmes y doivent donc mettre d’autant plus de réflexion que leur fai- 348 ABJ5LARDI ET HELOISSjE EPISTOUE. ccepto, sicut qui tardus est et providus ad incipiendum. In quo quidem tanto feminarum sit providentia, quanto earom infirmitas magna minus tolerat onera, et quiete plurimum est fovenda. XIV. Speculum animae Scripturam sacram constat esse, in quamquilibet legcndo vivens, inlelligendo proficiens, morum suorum pulcbritudinem cognoscit, vel deformitatem. deprehendit : ut iilam videlicet augere, lianc studcat removerc. Hoc nobis speculum beatus commemorans Gregorius in II Moralium ait : « Scriptura sacra mentis oculis quasi quoddam speculum opponitur, ut interna nostra facies in ipsa videatur. Ibi etenim ftfida cogno- scimus, ibi pulchra nostra conspicimus. lbi sentimus quantum proficimus, ibi a profectu quam longe distamus. » Qui autem Scripluram conspicit quam non intelligit, quasi caecus ante oculos (speculum ?) tenet, in quo qualis sit cognoscere non valet, nec doctrinam quaerit in Scriptura, adquam ipsa est tantummodo facta, et tanquam asinus applicatur ad lyram, sic otiosus sedet ad Scripturam, et quasi panem appositum habet, quo jcjunus non reficitur, dum verbum Dei nec se per intelligcntiam penetrante, nec alio ei docendo frangente, inutiliter cibum habet qui ei nullatenus prodest, Unde et Apostolus generaliter ad Scripturarum studium nos adhortans : «Quaecunque, inquit1, scripta sunt, ad nostram doctrinam scripta sunt ; ut per paticntiam et consolationem Scripturarum spem habeamus. » Et alibi* : «Implemini Spiritu sancto, loqucntes vobismctipsis in psalmis, et hym- nis, et canticis spiritualibus. Sibi quippe vel secum loquitur, qui quod ’ profert intelligit, vet de intelligentia verborum suorum fructum facit. Idem ad Timotheum : « Dum vcnio, inquit5, attende lectioni, exhortationi doc- trinaj. » Et iterum* : « Tu vero permane in iis quae didicisti, et credita sunt vtibi ; sciens a quo didiccris, et quia ab infantia sacras litleras nosti, quae te possunt instruere ad salutcm, per fidem quae est in Ghristo Jesu. Omnis Scriptura divinitus inspirata, utilis est ad docendum., ad arguendum, ad corripiendum, ad erudiendum in justitia, ut perfectus est homo Dei ad omne opus bonum instructus. d Qui etiam ad intelligentiam Scriptura Co- rinthios admonens, ut quae videticet alii de Scriptura loquuntur cxponere valeant : c Sectamini, inquit, charitatem, aemulamini spiritualia : magis autem spiritus ut prophetetis. Qui enim loquitur lingtia, non homiuibus loquitur, sed Dco. Qui auteni prophetat, Ecclesiam acdificat. Et idco qui loquitur lingua, orel ut interpretetur. Orabo spiritu, orabo et mente. Psal- lam spiritu, psallam et mente. Cacterum si benedixeris spiritu, quis irople- bit locum idiotae ? Quomodo dicet amen super tuam benedictionem, quo- • Rom., xt, 4. —* Ephes., v, 18 etl9. — s Timoth., I, it, 13. —* Tirooth.,11, ra,14. LETTRES D’ABÉURD ET D’HÉLOÏSE. 347 blesse est moins à l’épreuve des lourds fardeaux, et que les douceurs de la vie tranquille leur sont plus nécessaires. XIV. L’Écriture sainte est, sans contredit, le miroir de l’âme ; quiconque se nourrit de sa lecture, et profile de ce qu’il y voit, connaît la beauté de ses mœurs ou en découvre la laideur, en sorte qu’il peut accroître l’une et di- minuer l’autre. C’est ce miroir que saint Grégoire, dans son Traité det Morales, livre second, nous rappelle dans le passage où il dit : « L’Écriture sainte est pour les yeux de l’âme un miroir qui nous est présenté, afin que nous voyions notre visage intérieur. C’est là, en effet, que nous connaissons nos actions honteuses, là que nous envisageons nos bonnes actions, là que nous jugeons ce que nous avons fait de progrès, et combien nous sommes éloignés d’en avoir fait. » Or celui qui regarde l’Écriture, sans la comprendre, est comme un aveugle qui aurait un miroir sous les yeux. II ne peut y voir ce qu’il est, ni y chercher les lumières qu’elle renferme. Il est devant l’Écii» ture, faute d’en savoir profiter, comme serait un âne devant une lyre. C’est un affamé auquel est servi un pain dont il ne sait pas manger. Incapable de pénétrer par lui-même le sens de la parole de Dieu, et n’ayant personne pour lui en préparer l’intelligence par ses instructions, il est pourvu d’une nourriture qui lui est absolument inutile. Aussi l’Apôtre dit-il, nous engageant tous en général à l’étude de l’Écri- ture sainte : « Tout ce qui est écrit a été écrit pour notre instruction ; en sorte que les Écritures nous donnent patience, consolation, espoir. » Et ail- leurs : « Remplissez-vous de l’Esprit-Saint, en vous entretenant vous-même dans les psaumes, les hymnes et les cantiques spirituels. » Or, c’est s’en- tretenir soi-même, que de comprendre ce que l’on dit et de savoir tirer le fruit de ses paroles. Le même apôtre dit à Timolhée : « En attendant que je vienne, appliquez-vous à la lecture, à l’exhortation, à l’instruction. • Et ailleurs : « Quant à vous, demeurez ferme dans les choses que vous avez ap- prises et qui vous ont été confiées ; sachant de qui vous les avez apprises, et que vous avez été nourri, dès votre enfance, dans les lettres saintes qui peu- vent vous instruire pour le salut, par la foi qui est en Jésus-Christ. Toute Écriture inspirée de l’Esprit-Saint est utile pour instruire, pour reprendre, pour corriger, pour s’élever dans la voie de la justice, eu sorte que l’homme de Dieu soit parfait, étant formé à toute espèce de bonnes œuvres. » Et dans sa lettre aux Corinthiens, il les invite à se pénétrer de l’intelligence de l’Écriture sainte, afin de pouvoir expliquer les passages qui seraient cités devant eux : « Attachez-vous, dit-il, à la charité ; cherchez à gagner les dons spirituels, surtout le don des prophéties ; car celui qui parle de la langue parle non pour les hommes, mais pour Dieu, tandis que celui qui prophé- tise édifie l’Église. C’est pourquoi celui qui parle de la langue demande qu’elle soit entendue. Je prierai en esprit, je prierai aussi de façon à être entendu. Je chanterai en esprit, je chanterai aussi de façon à être entendu. 348 ABjELARDI ET HELOISSjE EPISTOLE. niam quid dicas nescit ? Nam tu quidem bene gratias agis : sed alter non aedificatur. Gratias ago Deo, quoniam omnium vestrum lingua loquor. Sed in ecclesia volo quinque verba sensu meo loqui, ut et alios instruam, quam decem millia verborum. Fratres, nolite effici parvi sensibus, sed malitia parvuli estote, sensibus autem perfecti1. » Loqui lingua dicitur qui ore lantum verba format, non intelligentia expo- nendo ministrat. Prophetat vero sive interpretatur qui more prophetarum, qui videntes dicuntur, id est intelligentes, ea quae dicit intelligit, ut ipsa exponere possit. OvaV ille spiritu sive psallit, qui solo prolationis flatu verba format, non mentis intelligentiam accommodat. Gum vero spiritus uoster orat, id est nostrae prolationis flatus solummodo verba format, nec quod ore proferturcorde concipitur, mens nostra sine fructu est, quem in oratione videlicet habere debet, ut ipsa scilicet ex inteliigentia verborum in Deum compungatur atque accendatur. Unde hanc in verbis perfectionem nos ad- monet habere, ut non more plurimorum vcrba tantum sciamus proferre, verum etiam inlelligentiae sensum in iis habere ; atque aliter nos orare vcl psallere infructuose protestatur. Quem et beatus sequens Benedictus : « Sic stemus, inquit, ad psallendum, ut mens nostra concordet voci nostrae. » Hoc et Psalmista praecipiens, ait’ : « Psallite sapienter, » ut videlicet verborum prolationi sapor et condimentum intelligentiae non desit, et cum ipso vera- citer Domino dicere valeamus* : « Quam dulcia faucibusmeis eloquia tua ! » Et alibi : « Non in tibiis viri beneplacitum erit ei. » Tibia quippe sonitum emittit ad delectationem voluplatis, non ad intelligentiam mentis. Unde bene in tibiis cantare, ne : in hoc Dco placere dicuntur, qui melodia sui cantus sic oblectantur, ut nulla hinc sedificentur intelligentia. Qua etiam ratione, inquit Apostolus, quum benedictiones in ecclesia flunt, responde- bilur amen, si quod oratur in illa benedictione non intelligatur, utrum videlicet bonum sit quod oratio postulat, aut non. Sic enim sap.pe multos idiotas et lilterarum sensum ignorantes videmus in ecclesia per errorem nonnulla sibi nociva [magis ?] quam utilia precari, veluti quum dicitur : « Ut sic transeamus per bona temporalia,utnonamitlamusscterna ; » facile ipsa consimilis vocis affinitas nonnullos sic decepit, ut vel sic dicant : « Ut nos amittamus aDtema, » vel ita proferant : « Ut non admittamus rcterna.» Cui etiam periculo Apostolus providens ait : « Caeterum si benedixeris spi- ritu, » id est prolationis tantum flatu verba bcnediclionis formaveris, non sensu mentem audientis instruxeris. «Quis supplet locnm idiotae ? » Id est, < Corinth., I, xit, 1 et suiv. — * Psalm., xlvi, 8. — s Psalm., xcvin, 103. LETTRES D’ABÊLARD ET D’HÉLOtSE. 549 Au surplus, si vous bénissez en esprit, qui pourra prendre le rôle du peuple ? Comment répondra-t-il amen à votre bénédiction, s’il ne sait ce que vous dites ? Votre action de grâces est bonne, mais nul n’en est édifié. Je rends grâces à Dieu de ce que je parle une langue que vous entendez tous, mais j’aimerais mieux, quant à moi, dire dans l’église cinq paroles intelligibles qui instruiraient les autres, que dix mille dans une langue étrangère. Mes frères, ne soyez pas enfants par l’intelligence, 6oyez enfants par la méchanceté ; par l’intelligence soyez parfaits. » Parler une langue c’est former des sons, et non pas en donner l’intelli- gence aux autres. Prophétiser ou interpréter, c’est, à l’exemple des prophètes qu’on appelle voyants, c’est-à-dire intelligents, comprendre ce que l’on dit et en donner l’explication. Celui-là prie ou chante de cœur seulement, qui forme des mots, et en profère le bruit sans y appliquer son intelligence. Ainsi, lorsque c’est la bouche qui prie en nous, c’est-à-dire lorsque nous nous bornons à articuler des sons par le souffle de la prononciation, sans que le cœur conçoive ce qu’émettent les lèvres, notre âme n’en reçoit pas l’im- pression nécessaire pour que la prière nous élève, ’par l’intelligence des paroles émises, à l’amour de Dieu. C’est pour cette raison que l’Apôtre nous recommande de nous attacher à ce que nous disons, eu sorte que nous ne sachions pas seulement proférer des mots, comme beaucoup d’autres, mais que nous en ayons pleinement l’intelligence ; autrement, il le déclare, prière et chant seraient sans profit. Saint Benoit était aussi de cet avis : « Appli- quons-nous à chanter, dit-il, de façon que votre âme soit en harmonie avec votre voix. » C’est aussi le précepte du Psalmiste : c Chantez avec intelli- gence. » Il veut qu’à l’expression des mots l’assaisonnement de l’intelligence, qui donne le goût, ne manque pas, et que nous puissions en toute sincérité dire au Seigneur : « Que vos paroles sont douces à mon gosier ! » Et ail- leurs : « Ce n’est pas avec des flûtes que l’homme se rendra agréable à Dieu, » La flûte, en effet, émet des sons qui charment les sens, mais qui ne pénètrent pas dans l’intelligence ; aussi dit-on que ceux-là jouent bien de la flûte, mais ne sont pas agréables au Seigneur, qui se plaisent à produire des sons mélodieux, sans que l’intelligence en soit édifiée. Et comment, dit l’A- pôtre, commenta la bénédiction, dans les cérémonies de l’église, répondra- ton amen, si la formule de la bénédiction n’est pas comprise, si l’on ne sait si ce que demande la prière est bon ou non ? Ainsi voyons-nous souvent dans les églises des gens simples et ignorants faire, faute de savoir, des prières qui leur sont plus nuisibles qu’utiles. Quand* on dit par exemple : Ut sic transeamus per bona temporalia, ut non amittamus œterna, etc., il en est que l’affinité des mots presque semblables induit en erreur, et qui disent : Ut nos amittamus œterna, ou encore : Ut non admittamus œterna. C’est ce danger que l’Apôtre veut prévenir, quand il dit : i Au surplus) si vous bé- nissez en esprit, » c’est-à-dire si vous vous bornez à émettre des lèvres les mots de la bénédiction, sans prendre la peine d’en faire arriver le sens à 350 ABjELARDI ET HELOlSSiE EPISTOLJS. quis de assistentibus, quorum est respondere, id aget respondendo, quod idiota non valet, imo nec debet ? « Quomodo dicet amen ? d quura videlicet nesciat utrum in maledictionem potius quam benedictionem inducas. Deui- que qui Scripturaj non habent intelligentiam, quomodo sermonis axlifica- tionem sibi ministrabunt, aut etiam regulam exponere vel intelligere, aut vitiose prolata corrigere valebunt ? Unde non mediocriter miramur quae inimici suggestio in monasteriis hoc egit, ut nulla ibi de intelligendis Scripturis sint studia, sed de cantu tan- tum vel de verbis solummodo formandis, non intelligendis, habeatur disci- plina : quasi ovium balatus plus ufilitatis habeat, quam pastus. Cibus quippe est animae et spiritalis refectio ipsi diviua intelligentia Scripturae. Unde et Ezechiclem prophetam ad pnedicandum Dominus destinans, eum prius volumine cibat, quod slatim in ejus ore fuctum est mel dulce. De quo etiam cibo scriptum est in Jeremia1 : i Parvuli petierunt panem, et non erat qui frangeret eis. » Panem quippe parvulis frangit, qui littera sensum simplicioribus aperit. Hi vero parvuli pauem frangi postulant, quum de intelligentia Scripturae animam saginari desiderant, sicut alibi Dominus testalur* : « Emittam famem in terra, non famem panis neque sitim aquae, sed audiendi verbum Domini. » Hinc autem e contrario autiquus hostis famem et sitim audiendi verba hominum, ct rumores seculi, claustris monasteriorum immisit, ut vanilo- quio vacantes divina tanto amplius faslidiamus eloquia, quanto magis sine dulcedine vel condimento intelligentiae nobis fiunt insipida. Unde et Psal- misla, ut supra merainimus* : « Quam dulcia faucibus meis eloquia tua ! super mel ori mco. » Quse quidem dulcedo in quo consisteret statim an- nexuit dicens : c A mandatis tuis intellexi. » Id est, a mandatis tuis potius quam humanis intelligentiam accepi ; illis videlicet eruditus atque in- structus. Cujus quidem iutelligcntiae quae sit utilitas non prcetermisit, sub- jungens : o Propterea odivi omnem viam iniquitatis. » Multae quippe ini- quitalis viae ita per se sunt apertac, ut facile omnibus in odium vel contemptum veniant, sed omnem iniquitatis viam non nisi per eloquia divina cognoscamus, ut omnes evitare possimus. Ilinc et iliud est4 ; u/>a ;, improperandum est. Quasi enim asinus est ad lyram lector librum tenens, id ad quod liber est factus agere non vaJens. Multo etian salubrius tales lectores alias intenderent, ubi aliquid utililatis inesset, quam otiose vel scripturae litteras inspicerent, vel folia versarent. In quibus profecto lectoribus iliud Isaiae compleri manifeste videmus : « Ef, erit, inquit1, vobis visio omnium sicut verba libri signati. Quem quuni dede- rint scienti litteras, diccnt : « lege istura, » et respondebit :« nonpossum ; signatus est enim. » Kt dabilur Hber nescienti litteras, diceturque ei : t lege, » et respondcbit : « nescio lilteras. » Et dixit Domiuus : « Eo quod appropinquat populus iste ore suo, cl labiis suis glorificat me, cor aulem ejus longe est a me, et timuerunt me mandato hominum ct doctrinis : ideo ccce ego addam ut admirationem faciam populo huic miraculo grandi et stu- pendo. Peribit enim sapientia a sapientibus ejus, et intellectus prudeutium ejus abscondetur. » Scire quippe litteras in claustris dicuutur quicunque illas proferre didicerunt. Qui profecto, quantum ad intelligentiam spcctat, se nescire legem profitc.ites, librum qui traditur habent signatum aeque ut 1 ImI>xxix, li. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 355 notre esprit tendu vers Dieu, l’idée des choses du siècle a toujours prise sur nous et nous agite. Que si celui qui se livre avec zèle aux exercices reli- gieux est expose à ces tentations, comment celui qui ne fait rien y échap- pera-t-il ? Le pape saint Grégoire, dans son dix-neuvième livre des Morales, dit : « Nous gémissons de voir déjà arrivé le temps où nous trouvons dans l’Église tant de prélats qui ne veulent pas exécuter ce qu’ils comprennent, ou qui dédaignent même de connaître et de comprendre la parole divine. Car ils détournent leurs oreilles de la vérité pour écouter des fables ; ils cherchent tout ce qui est de ce monde, non ce qui est de Jésus-Christ. Par- tout on trouve les écrits qui renferment la parole de Dieu, partout on peut les lire. Mais les hommes dédaignent de les connaître, et nul, pour ainsi dire, ne cherche à savoir ce qu’il croit. » Cependant la règle de chaque monastère et les exemples des saints Pères nous y exhortent. Saint Benoît ne donne aucun précepte sur rensei- gnement ou l’étude du chant, et il en donne un grand nombre sur la lecture ; il fixe même exactement les moments de lire comme ceux de travailler ; il règle si bien l’enseignement de la pictée et de la composition, que, parmi les objets nécessaires que les moines ont le droit d’attendre de l’abbé, il n’ou- blie ni le papier ni les plumes. Bien plus il prescrit, entré autres choses, au commencement du Carême, que tous les moines reçoivent un certain nom- bre de livres de la bibliothèque pour les lire à la suite et d’un bout à l’autre. Or, quoi de plus ridicule que de donner du temps à la lecture et de ne pas prendre le soin de comprendre ce qu’on lit ? On connaît le proverbe du Sage : « Lire sans entendre, c’est perdre son temps. » C’est à un tel lecteur qu’on -peut appliquer avec justesse ce mot du philosophe : « Un âne devant une lyre. » C’est, en effet, un âne devant une lyre qu’un lecteur qui tient un livre et qui n’en compreud pas le sens. Mieux vaudrait, pour ceux qui lisent ainsi, porter leur effort sur quelque chose d’utile, que de perdre leur temps à regarder des lettres et à tourner des feuillets. Ces sortes de lecteurs accom- plissent bien la prophétie d’Isaïe : « Toutes les visions des prophètes vous seront comme les caractères d’un livre fermé qn’on donnerait à un homme qui sait lire en lui disant : « lisez ce livre, et il répondra : « je ne puis, ce livre est fermé ; » alors on donnera le livre à un homme qui ne sait pas lire, eu lui disant : « lisez, » et il répondra : « je ne sais pas lire. » C’est pourquoi le Seigneur a dit : « Ce peuple s’approche de moi, mais seulement de bouche ; il me glorifie, mais seulement des lèvres ; quant à son cœur, il est éloigné de moi * il ne me craint que parc ï que les hommes l’ordonnent cl renseignent ainsi. Voici donc que je frapperai ce peuple d’admiration et d’étonncnient en accomplissant un grand prodige : la sagesse de ses sages périra, et l’entendement de ses habiles sera obscurci. » On dit dans les cloîtres que ceux-là connaissent les lettres qui savent les prononcer. Pour ce qui est de l’intelligence, ils avouent qu’ils ignorent la loi ; et le livre qu’on leur doune est pour eux un livre fermé, comme pour 356 ABjELARDI ET HELOISSJE EPISTOLE. illi quos illitteratos ibidem dicunt. Quos quidem Dominus arguens dicit eos ore et labiis potius quam corde sibi appropinquare ; quia quae proferre utcunque valent, intelligere minime possunt. Qui, dum divinorum eloquio- rum scientia careant, magis consuetudinem hominum quam utilitatem Scrip- turae obediendo sequuntur. Propter hoc Dominus eos quoque qui sapientes inter eos videntur et doctores resident, excaecandos esse comminatur. Maximus Ecclesiae doctor et monasticse professionis honor, Hieronymus, qui nos ad amorem litterarum adhortans, ait : « Ama scientiam lilterarum, et carnis vitia non amabis, » quantum laborem et expensas in doctrina earum consumpserit ejus quoque testimonio didicimus. Qui inter caetera quae ipsemet de proprio scribit studio, ut nos etiam videlicet suo instruat eiem- plo, ad Pammachium et Oceanum quodam loco sic meminit : « dum essem juvenis, miro discendi fervebam amore. Nec, juxta quorumdam praesump- tionem, ipse me docui ; Appollinarem audivi frequenter Antiochiae, et colui, quum me in Scripturis sanctis erudiret. Jam canis spargebatur caput, et magistrum potius quam discipulum decebat. Perrexi tamen Alexandriam. Audivi Didymum ; in multis ei gratias ago, quod nescivi didici. Putabantme homines finem fecisse discendi. Rursus Hierosolymae et Bethlehem, quo labore, quo pretio Baranniam Hebraeum nocturnum habui praeceptorem ! Timebat enim Judeaeos, et mihi alterum sese exhibebat Nicodemum. » Memori profecto mente hic recondiderat quod in Ecclesiastico legerat1 : «fili, a juventute tua excipe doctrinam, et usque adcanos invenies sapientiam. » ln quo ipse non solum Scripturae verbis, verumetiam sanclorum Patrum ins- tructus exemplis, inter caeteras excellentis illius monasterii laudes hoc de singulari exercitio ejus in Scripturis divinis adjecit : Scripturarum vero divi- narum meditationem et intellectum, atque scientiae divinae, nunquam tanta vidimus exercitia, ut singulos pene eorum oratores.credas in divinam esse sapientiam. » Sanctus etiam Beda, sicut in Eistoria refert Anglorum, a puero in monas- tcrium susceptus : « cunctum, inquit, ex eo tempus vitae in ejusdem monas- torii habitatione peragens, omnem meditans Scripturis operam dedi ; atque inter observantiam disciplinie regularis et quotidianam cantandi in ecclesia curam, scmper autdiscere, aut scribere dulce habui. i Nunc vero qui in monasteriis erudiuntur adeo stulti perseverant ut litte- rarum sono contenti nullam de intelligentia curam assumant, nec cor Ecdes., vi, 18. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 357 ceux qu’ils appellent illettrés. Eh bieu, ce sont ceux-là que le Seigneur accuse de s’approcher de lui de la bouche seulement et des lèvres, puisqu’ils ne peuvent comprendre les mots qu’ils savent, tant bien que mal, pronon- cer. Étrangers à la science des révélations divines, ils suivent plutôt, dans leur obéissance, la coutume des hommes que l’utilité de l’Écriture. C’est pour cela que le Seigneur menace d’aveugler ceux qui parmi eux passent pour sages et siègent comme docteurs. Le grand docteur de l’Église, l’honneur de la vie monastique, saint Jérô- me, nous exhorte à l’amour des livres, quand il dit : « Aimez la science des lettres : c’est le moyen de ne pas aimer les péchés de la chair. » Combien il leur a consacré lui-même de temps et de peine, son témoignage nous l’ap- prend. Entre autres révélations qu’il nous fajt sur ses propres études, sans doute pour que son exemple nous serve de leçon, il dit, en certain pas- sage, à Pammachius et à Oceanus : « Quand j’étais jeune, j’étais dévoré d’une ardeur d’apprendre extraordinaire. Et je n’ai pas fait moi-même mon édu- cation, suivant les présomptueuses prétentions de quelques-uns : j’ai suivi les leçons d’Apollinaire à Antioche, je me suis attaché à lui, et il m’ins- truisait dans les saintes Écritures. Déjà des cheveux blancs parsemaient ma tête, et le rôle de maître me convenait mieux que celui de disciple : j’allai néanmoins à Alexandrie, je suivis les leçons de Didyme, et je lui rends grâ- ces de m’avoir appris bien des choses que j’ignorais encore. On croyait que j’en avais fini d’apprendre. Je retournai à Jérusalem et à Bethléem pour assister (au prix de quel travail et de quelles dépenses !) aux cours du doc- teur hébreu Barannias ; il les faisait la nuit, car il craignait les Juifs, et il se montrait pour moi comme un autre Nicodème. » 11 avait, sans doute, gravé dans la mémoire ce qu’il avait lu dans l’Ecclésiaste : c Mon fils, com- mencez à vous instruire dès votre jeunesse, et jusqu’en vos vieux ans vous trouverez la sagesse. » Et ce n’étaient pas seulement les paroles de l’Écriture, c’étaient aussi les exemples des saints Pères qui l’avaient instruit ; car par- mi les éloges qu’il donne à cet excellent monastère, il ajoute ceci au sujet de l’étude particulière qu’on y faisait des saintes Écritures : i Nous n’avons jamais vu tant d’application à la méditation, à l’intelligence, à l’étude des divines Écritures ; on aurait pris les moines pour autant d’orateurs appelés à l’enseignement de la sagesse divine. » Saint Bède aussi, reçu fort jeune dans un monastère, disait, ainsi qu’il le rapporte dans son histoire d’Angleterre : c Pendant tout le temps de ma vie que j’ai passé dans le même monastère, je me suis livré à la méditation de l’Écriture, et dans les intervalles de loisir que me laissaient l’observance de la règle et le soin quotidien de chanter à l’église, j’ai fait mes délices d’apprendre, d’enseigner ou d’écrire. » Aujourd’hui, ceux qui sont élevés dans les monastères se complaisent dans une telle ignorance, que, se bornant à émettre des sons, ils ne prennent aucun souci de comprendre ; ce n’est pas leur cœur, c’est leur 358 ABiELARDI ET HELOISSiE EPISTOLiE. instruere, sed linguam student. Quos patenter illud Salomonis arguit prover- bium * : « Cor sapient is quserit doctrinam, et os stultorum pascetur imperitia ;» quum videlicet verbis quae non intelligit oblectatur. « Qui profecto tanto minus Deum amare et in eum accendi possunt, quanto amplius ab ejus intel- ligentia et a sensu Scripturae de ipso nos erudientis absistunt. » Hoc autem duabus maxime de causis in monasteriis accidisse credimus, vel per laicorum, scilicet conversorum, seu etiam ipsorum prepositorum invidiam : vel propter vaniloquium otiositatis, cui bodie plurimum claustra mouastica vacare videmus. Tsti profecto nos terrenis magis quam spiritalibus secum intendere cupientes, Hli sunt qui tanquam Allophyli fodientem puteos Isaac persequuntur, et eos replendo congerie teVrao aquam ei satagunt pro- hibere. Quod beatus exponens Gregorius, lib. Moral. XVI, ait : « Saepe quum eloquiis sacris intcndimus, malignorum spirituum insidias gravius tolera- mus, quia menti nostrae terrenarum cogitationum pulverem aspergunt ut intentionis nostra oculos a luce intimse visionis obscurent. Quod nimium Psalmista pertulerat quum dicebat* : « declinate a me, maligni, etscrutabor mandata Dei mei. » Videlicet patenter insinuans, quia mandata Dei perscru- tari nori poterat, quum malignorum spirituum insidias in mente tolerabat. Quod etiam in Isaac opere Allophylorum pravitate cognoscimus designari, qui puteos quos Isaac foderat, terrae congerie replebant. Hos enim nimirum puteos fodimus, quum in Scriptune sacre abditis sensibus alta penetramus. Quos tamen occulte replent Allophyli, quando nobis ad alta tendentibus immundi spiritus terrenas cogitationes ingerunt, et quasi inventam divinao scienlise aquam tollunt. Sed quia nemo hostes sua virtute superat, per Eli- phazdicitur5 : « eritque omnipotens contrahortos tuos, et argentum coacer- vabitur tibi. » Ac si disceretur : dum malignos spiritus Dominus sua a te virtute repulerit, divini in te eloquii talentum lucidius crescet. Legerat isle, ni fallor, magni christianorum philosopbi Origenis homelias inGenesi, etde ejus hauserat puteis quod nunc de iis loquitur puteis. llle quippe spiritua- lium puteorum fossor studiosus, non solum ad eorum potum, sed etiam efiossionem nos vehementer adhortans,expositionis pnedictae homeliaui ita loquitur : « Tentemus facere etiam illud quod Sapientia commonet dicens : « Bibe aquam de tuis fontibus, ct de tuis puteis. Et sit tibi fons tuus pro- prius. » Tanta ergo et tu, o auditor, habere proprium puteum et proprium fontem, ut et tu quum apprehenderis librum Scripturarum, incipias etiam 1 ProT., xt, 44. — * Psalm., xcvm, 145. — * Job, xm, 25. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 350 langue qu’ils s’attachent à former. C’est à eux que s’adresse clairement Salomon dans ses Proverbes, lorsqu’il dit : « Le cœur ’du sage cherche la science, et la bouche de l’insensé se repaît d’ignorance ; i cela, sans doute, quand il se plaît ù répéter des paroles qu’il ne comprend pas : « Et certes, ils doivent d’autant moins aimer Dieu et s’enflammer pour lui, qu’ils sont plus éloignés de le comprendre et d’entendre l’Écriture qui nous le fait comprendre. » Deux causes particulièrement ont, selon nous, contribué à cette igno- rance : d’abord l’envie des frères laïques ou convers, et même des supé- rieurs ; ensuite le vain partage et l’oisiveté que nous voyons aujourd’hui régner dans la plupart des monastères. Dans leur désir de nous attacher avec eux aux choses de la terre plutôt qu’aux choses du ciel, ces moines ressemblent aux Philistins qui persécutaient Isaac, tandis qu’il creusait des puits, et qui comblaient ces puits avec de la terre pour l’empêcher d’avoir de l’eau. C’est ce que saint Grégoire définit dans son seizième livre des Morales, lorsqu’il dit : « Souvent, tandis que nous nous appliquons aux saintes Écritures, nous avons à lutter contre les embûches des esprits malins, qui jettent dans nos yeux la poussière des pensées de la terre et les fermeut à la lumière de la vue intérieure. » Ce que le Psalmiste n’avait que trop éprouvé, quand il disait : « Éloignez-vous de moi, esprits méchants, et je scruterai les commandements de mon Dieu : » faisant entendre par là clai- rement qu’il ne pouvait scruter les commandements de Dieu, tandis que son esprit était en lutte^avec les embûches des malins esprits. C’est ce que marque aussi dans l’œuvre d’Isaac la méchanceté des Philis- tins, qui remplissaient de terre les fossés qu’il avait creusés. En effet, nous creusons des puits, lorsque nous pénétrons dans les profondeurs du sens des divines Écritures, et les Philistins les comblent secrètement, quand, parmi nos méditations profondes, ils nous suggèrent les pensées terrestres de l’es- prit du mal, et nous ferment, pour ainsi dire, les sources de la science divine que nous avons découvertes. Et comme personne ne peut triompher de tels ennemis par sa propre vertu, il est dit par Éliphas : < Le Tout-Puissant sera contre vos ennemis, et vous amasserez des trésors, n C’est comme s’il était dit : tandis que le Seigneur, par sa puissance, éloignera de vous les malins esprits, le trésor de la divine parole s’augmentera en vous. Il avait lu, sans doute, les homélies sur la Genèse du grand philosophe des chrétiens, d’Ori- gène, et il y avait puisé ce qu’il nous dit de ces puits. Car non-seulement c’était un foreur ardent des puits spirituels, non-seulement il nous engageait à venir boire de leur eau ; mais il nous exhortait à forer des puits nous- mêmes, ainsi qu’il le dit dans le développement de sa douzième Homélie : « Essayons de faire ce que la sagesse nous enseigne en disant : buvez de l’eau de vos fontaines et de vos puits, et ayez une fontaine à vous. » Et vous aussi, mon cher auditeur, tâchez d’avoir un puits, une source à vous, afin que, lorsque vous aurez pris un livre des saintes Écritures, vous puissiez 360 ABjELARDI ET HELOISSJE EPISTOLJE. cx proprio sensu proferre aliquem intellectum, et, secundum ea quae in Ecclesia didicisti, tenta et tu bibere de fonte ingenii tui. Est intra te natura aquae vivae, sunt ven» perennes et irrigua iluenta ralionabilis sensus, si modo non sint terra et tudibus completa. Sed satage fodere terram tuam, et purgare sordes, id est ingeniura, amovere desidiam, et torporem cordis excutere. Audi enim quod dixit Scriptura’ : « Punge oculum, et profert lacrymam ; punge cor, et profert sensum. i Purga etiam et tu ingenium tuum, ut aliquando etiam de tuis fontibus bibas, et dc tuis puteis haurias aquam vivam. Si enim suscepisti in le verbum Dei, si accepisti ab Jesu aquam vivam, etfideliter accepisti, fiet in tefons aquae salientis in vitam aeternam. i ldem homelia sequente de puteis Isaac supra memoratis : « Quos, inquit, Philistini terra repleverant, iili sine dubio qui intelligentiam spiritalem claudent, ut neque ipsi bibant, neque alios bibere permittant. » Audi Domi- num dicentem : « Vae vobis, scribae et pharisaei, quoniam tulistis clavem scientiae, non ipsi introistis, neque volentes permisistis. Nos vero nnnquam cessemus puteos aquae vivae fodiendo, et nunc quidem vetera, nuncetiam nova discutiendo, efliciamur similes illi evangelico scribae de quo Dominus dixit1 : « Qui profert de thesauro suo nova et vetera.»Item’ : « Redeamus ad Isaac, et fodiamus cum ipso puteos aquae vivae, etiam si obsi- stuutPhilistini, etiam si rixantur, nos tamen pcrseveremus cum ipso puleos fodiendo, ut et nobis dicatur : t Bibe aquam de tuis vasis, et de tuis pu- teis. » Et in tantum fodiamus, ut superabundent aquae putei in plateis nos- tris, ut non solum nobis sufficiat scientia Scripturarum, sed et alios doceamus et inslruamus ut bibant. Homines bibant et pecora, quia et Pro- pheta dicit5 : « Homines et jumenta salvos facies, Domine. » Et post aliqua : « Qui Philistinus est, iuquit, et terrena sapit, nescit in omui terra invenire aquam, invenire rationabilem sensum. Quid tibi prodest habere eruditionenv, et nescire ea uti ? habere sermonem, et nescire loqui ? Istud proprie puerorum est Isaac, qui in omni terra fodiunt puteos aquae vivae. Vos autem non sic, sed vaniloquiopenitus supersedentes, quaecunque discendi gratiam assecutae sunt, de iis quse ad Deum pertinent erudiri studeant. Sicut de beato scriptum cst viro* : « Sed in lege Domini voluntas ejus, et in lege ejus mcditabitur die ac nocte. » Cujus quidem assi- duistudii in legc Domini quae sequatur utilitas statim adjungitur : « Et erit tamquam liguum quod plantatum est secus decursus aquarum. » Quasi enim lignum aridum est et infructuosum, quod fluentis divinorum cloquiorum non irrigatur. De qnibus scriptum est5 :«Flumina de ventre ejus fluenta quse vivae.» 1 Matth.,xm,52.-.tProv., v, 15.— »PsaIm.,iiiT,7.—«Psalm., t, 2.— «Joan., vn,38. LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 361 vous-même en interpréter le sens, conformément aux leçons que tous avez reçues dans l’Église. Tâchez, vous aussi, d’étancher votre soif à la source de votre esprit. Vous avez en vous un fonds d’eau vive, une source intarissable, un courant d’intelligence et de raison : ne les laissez pas combler par la terre et les pierres. Creusez votre terrain d’une main ferme, nettoycz-le, c’est-à- dire cultivez votre esprit, écartez-en la mollesse et l’engourdissement. Écoutez ce que dit l’Écriture : « Piquez votre œil et il en sortira des lar- mes ; piquez votre cœur, et il en sortira de l’intelligence. » Purifiez donc votre esprit, afin d’arriver à boire de l’eau vive de Jésus, et si vous la gardez fidèlement, elle deviendra pour vous une source jaillissante dans h vie éter- nelle, i Et encore, dans l’Homélie suivante sur les puits d’Isaac. « Ces puits, dit-il, qui avaient été comblés par les Philistins, ceux-là les comblent évi- demment qui ferment l’intelligence spirituelle, en sorte qu’ils n’y boivent pas eux-mêmes et qu’ils ne permettent pas aux autres d’y boire. Écoutez plutôt le Seigneur : t Malheur à vous, scribes et pharisiens qui avez perdu la clef de la science, qui n’êtes pas entrés vous-mêmes et qui n’avez pas laissé entrer ceux qui le voulaient I » Pour nous, ne nous lassons pas de creuser des puits d’eau vive, approfon- dissons les anciens, creusons-en de nouveaux, prenons pour modèle ce scribe de l’Évangile dont le Seigneur a dit «t qu’il tira de son trésor des pièces de monnaie anciennes et nouvelles. » Et encore : imitons Isaac, et creusons avec lui des puits d’eau vive : les Philistins, dussent-ils s’y opposer et nous cher- cher querelle, n’en persévérons pas moins à creuser des puits avec lui, afin qu’il nous soit dit, à nous aussi : « buvez de l’eau de vos vases et de vos puits. » Creusons jusqu’à ce que l’eau déborde dans nos places publiques. Que la science des divines Écritures ne donne pas seulement satisfaction à nos pro- pres besoins ; éclairons les autres, apprenons-leur à boire. Que les hommes boivent et les animaux aussi, suivant cette parole du Prophète : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les bêtes de somme. » Et quelques lignes plus bas : c Celui qui est Philistin et qui n’a que le goût de la scieuce terrestre ’ ne saurait pas plus trouver de l’eau dans le monde entier, que trouver le sens intelligent des choses ? » A quoi bon la science, pour n’en pas faire usage ? À quoi bon la parole, pour ne s’en point servir ? C’est ressembler aux enfants d’Isaac qui creusaient partout des puits d’eau vi\e. Qu’il n’en soit pas ainsi de vous. Fuyez tout vain partage, et que celles d’entre vous auxquelles est échue la grâce d’ap- prendre s’attachent à s’instruire des choses de Dieu, ainsi qu’il est écrit du saint homme : « Sa volonté repose sur la loi de Dieu, et il méditera sur la loi nuit et jour. » Pour prouver l’utilité de celte étude assidue de la loi du Seigneur, il est dit ensuite : « Et il sera comme un arbre planté au bord d’un ruisseau. » En effet, ce qui n’est point arrosé par les eaux de la divine parole est comme un arbre sec et stérile, tandis qu’il est écrit de la sainte Ecriture : « Il coulera de son sein des fleuves d’eau vive, » 362 AB£LARDI ET HELOISS£ EPISTOLE. Hasc illa sunt fluenta, de quibus in laude sponsi canit sponsa in canticis eum describens : « oculi ejus sicut columbae super rivulos aquarum, quae lacte sunt lotae, et resideut juxta fluenta plenissima. » Et vos igitur lacte lotae, id est candore castimonise nitentes juxta haec iluenta quasi columbas residere, ut hinc sapientiae haustus sumentes, non solum discere, sed et do- cere, et aliis tanquam oculi viam possitis ostendere, et sponsum ipsum non solum conspicere, sed et aliis valeatis describere. De cujus quidem singulari sponsa, quac ipsum aure cordis concipere meruit, scriptum esse novimus : « Maria autem conservabat omnia verba haec, conferens in corde suo. » Haec igitur summi Verbi Genitrix verba ejus in corde potius habens quam in ore ipso etiam diligenter conferebat ; quia studiose singula discutiebat, et invicem sibi ea conferebat quam congrue scilicet inter sc convenirent omnia. Noverat juxta mysterium legis omne animal immundum dici, nisi quod ruminat, et ungulam findit. ISulla quippe et anima munda, nisi quae meditando, quantum capere potest, divina ruminat praecepta, et in iis exequendis discretionem habeat ; ut non solum bona, sed et bene, hoc est recta faciat intentione. Divisio quippe ungulae pedis discretio est animi, de qua scriptum est : c si recte offeras, recte autem non dividas, peccasti. » « Si quis diligit me, inquit Veritas, sermonem meum servabit. » Quis autem verba vel praecepta Domini sui servare obediendo potcrit, nisi hasc prius intellexerit ? Nemo studiosus erit in exequendo, nisi qui attentus fuerit in audiendo. Sicut et de beata illa legitur muliere, quae, caeteris omnibus postpositis, sedens secus pedes Domini, audiebat verbum illius : illis videlicet auribus intelligentiac, quas ipsemet requirit dicens : « qui habet aures audiendi, audiat. » • Quod si in tantae fervorem devotionis accendi non valetis, imitamini saltem et amore et studio sanctarum litterarum beatas illas sancti Hieronymi disci- pulas Paulam et Eustochium, quorum praecipue rogatu tot voluminibus Ecclesiam pnedictus doctor illustravit. ABJ5LAEDI ET HELOIB8JB EPI8TOLABUM FIRI8 LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 565 Ce sont ces fleuves que l’Épouse, dans le Cantique des cantiques, célèbre à la louange de l’Époux, quand elle dit : « Ses yeux sont comme des colom- bes sur le bord des ruisseaux, des colombes qui se baignent dans le lait et qui séjournent près des fleuves au large cours. » Et vous aussi, vous baignant dans ce lait, c’est-à-dire resplendissant du pur éclat de la chasteté, demeures comme les colombes auprès des fleuves, afin qu’y buvant à longs traits la sagesse, vous puissiez non-seulement apprendre, mais enseigner, et indi- quer la route aux autres du regard, voir le divin Époux et le montrer. Nous savons qu’au sujet de l’Épouse qui mérita l’honneur singulier de concevoir l’Époux par l’oreille du cœur, il est écrit : « Marie conservait tou- tes ces paroles et les amassait dans son cœur. » Cette Mère du Verbe éternel avait donc, non sur les lèvres, mais dans le cœur, les paroles divines, et elle les gardait précieusement, méditant chacune d’elles avec zèle, les rappro- chant les unes des autres, étudiant leur harmonie. Suivant le’mystère de la loi, elle savait que tout animal est impur, sauf celui qui rumine et qui a la corne fendue. En effet, il n’y a d’âme pure que celle qui rumine autant qu’elle en est capable, par la méditation, les divins préceptes, et qui appli- que son discernement à les suivre, en sorte que non-seulement elle fasse le bien, mais qu’elle le fasse bien, c’est-à-dire avec une intention droite. Quant à la corne du pied fendue, c’est le discernement dont il est écrit : « Si vous offrez justement, mais que vous ne partagiez pas de même, vous péchez. • « Celui qui m’aime, dit la Vérité, conservera ma parole. » Or, qui pourra garder par l’obéissance les paroles ou les enseignements du Seigneur, s’il n’a commencé par les comprendre ? On n’a de zèle pour exécuter, que lorsqu’on a été attentif à écouter, ainsi qu’il est écrit de cette sainte femme qui, dédai- gnant tout le reste, s’assit aux pieds du Seigneur, pour entendre sa parole, fans doute avec les oreilles de cette intelligence qu’il demande lui-même, quand il dit : • Que celui-là écoute, qui a des oreilles pour écouter. » Que si vous ne pouvez être enflammées de la même ferveur de piété, imites du moins, dans l’amour et l’étude des saintes lettres, ces bienheureuses disciples de saint Jérôme, Paule et Jtastochie, à la demande desquelles ce grand docteur a, par tant d’ouvrages, éclairé l’Église. FIS DES LKTTBES D*A1’l t Deus in adjutorium » incipit,« Veni, sancte Spiritus », prosequens versum et orationem. Quod et facimus in principiis omnium horarum, in praeoipuis solemnitatibus cantando, caiteris diebus sine cantu. Hebdomadaria incipit : « Domine, labia mea, » et prosequimur divinum oflicium, juxta consuetudinem regularium ecclesiarum. Posl vigilias egre- dimur omnes, et firmatur oratorium, si dies non fuerit, et accenso lumine, in capitulo sedent quae lectionis vel operis indigent. Si dies fuerit, statim scqui- EXTRAITS DES RÈGLES DU MONASTÈRE DU PARAGLET. 307 réfectoire, les mets se composent de légumes sans viande et des fruits que produit le jardin. On sert plus rarement du lait, des œufs, du fromage ; parfois du poisson, quand on en reçoit. Le vin doit être mélangé d’eau. On donne deux plats au premier repas ; au souper, des herbes, des fruits ou d’autres aliments de même nature, si Ton peut en avoir. Nous en supportons la privation sans murmurer. De l’obéissance. — A l’abbesse seule et à la prieure est due l’obéissance. On ne peut, sans leur permission, ni franchir les portes du couvent, ni par- ler, ni donner, ni recevoir, ni garder. Pour le reste, nous nous prêtons mutuellement obéissance par sentiment de charité. Des moyens de pourvoir aux besoins. — Il eût été conforme à l’esprit de nos vœux de vivre des produits de la terre et de notre travail, si nous en avions la force ; mais notre faiblesse n’en étant pas capable, nous avons des convers et des converses qui font ce que la rigueur de nos vœux ne nous per- met pas d’accomplir. Nous recevons aussi les aumônes des fidèles, suivant l’usage de toutes les églises. Des sorties. —Nous avons pour règle qu’aucune sœur voilée ne sorte pour les affaires du dehors, ou n’entre dans aucune maison séculière, sous quel- que prétexte que ce soit. Pour les affaires de tous les jours et pour la surveillance de nos biens, nous envoyons dans nos maisons des religieuses et des converses dont l’âge et la vie offrent toute garantie. Des étrangères. —Nous ne laissons pas les étrangères demeurer longtemps avec nous. Si elles veulent rester et qu’elles soient dignes d’être reçues, au bout de sept jours, elles doivent faire des vœux ; sinon, il faut qu’elles par- tent. Des sœurs converses. — Si quelque sœur converse venant à nous a été reçue dans une société de laïques, elle ne peut devenir religieuse, mais elle doit rester fidèle à la vocation qu’elle a d’abord embrassée. Des offices de nuit depuis les calendes d’octobre jusqu’à Pâques. —Au premier tintement, nous nous levons en toute hâte pour vigiles, et, nous exhortant doucement les unes les autres, nous nous empressons pour l’œu- vre de Dieu. Le tintement fini, au signe de la prieure, nous faisons les prières d’usage, les jours de fête à genoux, les jours ordinaires, prosternées. Les prières faites, nous nous signons et nous entrons dans nos stalles. La semainière dont c’est le rôle commence le : Deus in adjutorium et le : Vient, sancte Spiritus, récitant le verset et l’oraison. Ainsi fait-on au commen- cement de toutes les heures, les jours de grandes fêtes en chantant, les autres jours sans chanter. La semainière commence : Domine, labia mea, et on poursuit l’office divin, suivant l’usage des règles canoniques. Après vigiles, tout le monde sort. On ferme l’oratoire. S’il ne fait pas jour, on allume et on reste tranquille dans le chapitre, si l’on n’a rien à lire ou à faire. S’il fait jour, prime suit aussitôt. Les jours de fête et les dimanches, qu’il fasse jour 368 EXCERPTA E REGULIS PARACLETENSIS MONASTERfl. tur prima. In festivitatibus et Dominicis diebus sive dies fuerit, sivc non, re- vertimur omnes in dormitorium, pausantes in lectulis, donec die clarius illu" cescente, ad sonitum dormilorii veniamus in claustrum. Pulsatur prima, et facientc signum priorissa, ingredimur omnes ecclesiam, pracedente schola et junioribus. Similiter, ante omnes horas, expectatur signum priorissae. Aute primam, fit oratio inter formas, sicut ante vigilias. Post primam, sequi- tur missa matutinalis. Inde itur in capitulum, et fiunt clamationes et emen- dationes, juxta modum culparum, consideratione tenentis capitulum. Quibusdam solemnitatibus veniunt sorores in capitulum, et emendantur culpae earum. Quotiescunque autem fratres graviter dclinquunt, vocantur in capitulum, et coram communi capitulo corriguntur, ut majori confundantur erubescentia. Prsecipuis solcmnitatibus, habctursermo in capitulo. Egressae de capitulo, vacamus lectioni usquc ad tertiam, si hora permiserit. Sequitur tertia, et major missa. Sequitur et seita sine intervallo. Post sextam, vaca- mus lectioni usque ad nonam. Ministrae et lectrix occipiunt mixtum. Post nonam, ingredimur refectorium, auditur lectio cum summo silentio, et in caeteris ordinem regularium sequimur. Dicto « Tu autem, » procedimus ordinate gratias cantantes, etingredimuroratorium. Finitis gratiis in eccle- sia, ingredimur capitulum, et couveniunt sorores laicae, et exponituraliquid acdificationis in communi audientia, referente illa cui injunctum fuerit. Si tempus superfuerit, sedemus in claustro usque ad vesperas. Cantantur vesperae. Sciendum est, quia nulla chorum egreditur sine licentia. Post vesperas, sedemus in claustro, meditationi servientes, et in cordibus orantes, absquc signis, penitus cum summo silentio. Ante collaliouem, bibimus in refectorio. Hebdomadariadonantebenedictionem, statim accedimusadcolla- tionem, nulla divertente alicubi. Post collationem, cantamus in ecclesia completorium. Dicto « Requiescant in pace, » facimus orationcm inter for- mas. Ad signum abbatissse vel priorissae elecUe, consignamus nos, el egre- dientes per ordinem, incipientcs a senioribus, aspergit nos aqua bcnedicta abbatissa vel priorissa. Ascendentes in dormitorium, divertimus ad lcctulos nostros, et collocamus nos vestitaeet cinctaejacentes. De Dominicis diebus. — Diebus Dominicis, eieuntes de capitulo acci- piunt aquam benedictam ab abbatissa vel priorissa, et facimus processio- iieui in claustro, una portante crucem, et duabus ccreos. Post sextam, reficimus. Post refeclionem, stalim nona. Post nonam, aliquid exponitur ad scdificationem, sicut superius dictum est. Post vesperas, fit coena ; eteo modo nos habemus deiuceps quo superius dictum est. Privatis diebus, suiinno mane cantatur prima ; postea sedemus in ctauslro usque ad ter- tiam, legentes, et cantantes, et operantes. Praecedit oratio inter formas, et EXTRAITS DES RÈGLES DU MONASTÈRE DU PARACLBT. 369 ou non, tout le inonde revient au dortoir, et on reste au lit jusqu’à ce que, le jour devenu clair, au tintiment du lever, on passe au chapitre. On sonne prime, et au signal de la prieure tout le monde se rend à l’église, précédé de l’école et des novices. De même, avant toutes les heures, on attend le signal de la prieure. Avant prime, on fait la prière dans les stalles, comme avant vigiles. Après prime, messe du matin. Puis on va ou chapitre, et là se font les confessions publiques et les réprimandes, suivant la mesure des fautes et eu égard à la personne qui tient le chapitre. A certaines fêtes, les sœurs vien- nent au chapitre et leurs fautes sont réprimandées. Quant aux frères, toutes les fois qu’ils ont commis quelque faute grave, ils sont appelés au chapitre et réprimandés en présence du chapitre tout entier, pour que leur confusion soit plus grande. Aux fêtes principales, un sermon a lieu dans le chapitre. Au sortir du chapitre, on se livre à ia lecture jusqu’à tierce, si le temps le permet. Suit tierce, puis la grand’messe, et après la grand’messe, sexte immédiatement. Après sexte, lecture jusqu’à no ne. Les servantes et les lectri- ces se rafraîchissent. Après noue, on va an réfectoire, on écoule la lecture en grand silence, et pour tout le reste on suit la règle de l’ordinaire. Au tu autan, on se met en marche en ordre, chantant les prières, et on entre à la chapelle. Les prières finies à l’église, on se rend au chapitre ; les sœurs laï- ques se rassemblent, et l’on met sous les yeux de la commune assistance quel- que sujet d’édification proposé par celle qui a été invitée à le faire. S’il reste du temps, on demeure dans le cloître jusqu’à vêpres. On chanle les vêpres. Personne, c’est Tordre connu de tout le monde, ne peut sortir du chœur sans permission. Après vêpres, on reste dans le cloître, livré à la méditation, priant de cœur, sans aucun signe extérieur, dans le plus profond silence. Avant la collation, on se rafraîchit au réfectoire. La semainièredit les grâces ; aussitôt on s’approche de la table de la collation, tout le monde ensemble. Après la collation, on chante, à l’église, compiles, Après le Requiescat in pace, on fait la prière dans les stalles. Au signal del’abbesse ou de la prieure élue, on se signe, on sort en ordre, les plus âgées les premières ; l’abbesse ou la prieure donne l’eau bénite. On monte au dortoir, chacune se rend à son lit et se couche vêtue et habillée. Des dimanche*. — Les dimanches, au sortir du chapitre, on reçoit l’eau bénite de la main de l’abbesse ou de la prieure, et on fait la procession dans le cloître, une sœur portant la croix et deux autres les cierges. Après sexte, collation. Après la collation, none immédiatement. Après none, sermon d’édification, comme on l’a dit plus haut. Après vêpres, souper ; le reste, comme nous l’avons indiqué plus haut. I es jours ordinaires, dès le matiu, on chante prime, puis on reste dans le cloître jusqu’à tierce, lisant, chan- tant, travaillant. La prière dans les stalles a précédé, tierce suit. Après tierce, messe du matin. Puis ou va au chapitre. Au sortir du chapitre, on U 370 EXCERPTA E REGULIS PARACLETENSIS MONASTERII. sequitur tertia. Post tertiam, missa matutinalis. Inde iter in capilulum. Egressae de capitulo, sedemus in claustro. Debiliores sumunt mixtum, se- cundum dispensationem abbatissx. Nulli licet sedere in clauslro siue opere vel lectione. Post sextam, sequitur major missa, et statim nona. Post no- nam, ingredimur refectorium. Csetcra prosequimur utr superius dictum cst. De tempore osstivo. — A Pascbavero usque ad supradictas kalendas octo- bris, post laudes, revertimur ad lectulos nostros, et aliquo intcrvalio, iit sonitus in dormitorio, et surgentes venimus in clauslrum, et legimus ct cantamus usque ad primam. Ante primam, tam feslivis diebus quam pri- vatis, aguntur orationes inter formas. Post primam, sequitar missa matu- tinalis. Inde itur in capitulum. Egress® capitulum, sedemus in clauslro, legentcs et operantes usque ad tertiam. Post tertiam, major missa agitur, sexta, et itur in refcctorium. Post gratiarum actionem, imus in dormito- rium, et licet dormire, legere, operari in leclulis sine alicujus inquieta- tione^ Audito primo signo nonai, «urgimus, et praparamus nos, ut dum secundum signum pulsaverit, ad signum abbatissse vel priorissae ordinatc ingrediamur ecclesiam. Post nonam, agimus pro detunctis. Inde egredimur refectorium, et bibimus aquam. Deinceps in claustro sedemus, legentes el operantes. Egredimur etiam ad laborem, qualibet bora diei necessario ad- vocatae fuerimus. Post vesperas, agitur coena. Deinccps nos habcmus sicut superius dictum est. In letania majore, tribus diebus Rogatiomun, sexta feria, et sabbato, vigilia sancti Joannis Baptistje, vigilia apostolorum Petri et Pauli, vigilia sancti Laurentii, vigilia Assuiuptionis, et ab idibus sep- tembris usque ad Pascha jejunamus. Ex concilio TriburiensU cap. x. — Virgines qu® aute duodecim annos insciis mundiburdis suis sacrum velamen capiti suo imposuerint, cl illi mundiburdi annum et diem hoc taccndo consenserint, in sancto proposilo permaneant. Et si in prsedicto anno et die pro illis proclamaverint, peti- tioni eorum assensus praebeatur : nisi forte Dei limore tactae, cum corum licenlia in religionis habitu perseverent. De consecratione sanctimonialium^ ex concilio Carthaginensi. —Sancti- monialis virgo, quum ad consecrationem suo episcopo olTerlur, in talibus vestibus applicetur, qualibet scmper usura est, professioni et sanclimouiaj ajitis. Ex decreto Gelasii, cap. xir. — Devotis quoque virginibus, nisi aut in Fpiphania, aul in Albis paschalibus, aut in Aposlolorum natalitiis, sacrum iniiiime velamen imponatur ; et non ante quinque ct viginti annos, nisi lurte, sicut de baplismate dictum cst, gravi langore correptis. Ne sine hoc liiuuere de seculo exeant, implorantibus non negetur. EXTRAITS DES RÈGLES DU MONASTÈRE DU PARACLET. 371 reste dans le cloître. Les santés délicates prennent quelque aliment liquide, conformément à la dispense de l’abbesse. Nulle ne peut rester assise dans le cloître sans travailler ou lire. Après sexte, grand’messe, et immédiate- ment none. Après none, on entre au réfectoire. Le reste comme plus haut. De l’élé. — De Pâques au 1er octobre, après Laudes, on revient au lit. Quelques moments après, au signal qui retentit dans le dortoir, on se lève, on va au cloître, on lit et on chante jusqu’à prime. Avant prime, les jours de fêles comme les jours ordinaires, on fait les prières dans les stalles. Après prime, messe du matin. Puis on se rend au chapitre. Au sortir du chapitre, on va s’asseoir dans le cloître, pour lire et travailler jusqu’à tierce. Après tierce, grand’m esse, sexte, puis réfectoire. Les grâces faites, on va au dortoir, où l’on peut dormir, lire, travailler, sans être inquiété par per- sonne. Au premier coup de none, on se lève, on se prépare, afin de pouvoir, dès le deuxième coup, sur le signal de l’abbesse ou de la prieure, entrer en ordre dans l’église. Après none, on prie pour les morts. Puis on rentre au réfectoire et on boit de l’eau* On va ensuite s’asseoir dans le cloître, lire et travailler. Ou doit aussi sortir pour les corvées, quelle que soit l’heure où il y ait nécessité de le faire*et où l’on soit appelé. Après vêpres, souper. Le reste comme plus haut. Aux grandes fêtes, les trois jours de Rogations, le vendredi, le samedi, la veille de la fête de saint Jean-Baptiste, la veille de la fête des apôtres Pierre et Paul, la veille de saint Laurent, la veille de l’Assomption, et depuis les ides de septembre jusqu’à Pâques, jeûne. Extrait du concile de Tribur, chap. x. — Les vierges qui avant douze ans ont pris le voile à l’insu de leurs tuteurs du siècle, doivent, si ces tuteurs ont laissé passer une année et un jour sans rien dire, demeurer fidèles à leurs vœux. Si, dans cet intervalle, les tuteurs ont protesté, il faut céder à leur protestation, à moins que, touchées de la crainte de Dieu, celles-ci n’obtiennent leur autorisation pour conserver l’habit. De la consécration des nonnes, d’après le concile de Carthage. — La nonne, lorsqu’elle se présente à son évoque pour la consécration, doit re- vêtir les habits qu’elle aura toujours à porter, c’est-à-dire des habits pro- pres à la sainteté de sa profession. Extrait de la bulle du pape Gélose, chap. xn. — Pour les jeunes pro- fesses, le voile blanc n’est pas de rigueur, sauf les jours de l’Epiphanie, de Pâques, de l’anniversaire des Apôtres ; il n’est pas de règle avant vingt-cinq " ans, sauf dans les cas de maladie grave, comme pour le baptême. On ne doit pas refuser aux malades qui le demandent de sortir du monde sans cet attribut. 372 EXCERPTA E REGULIS PARACLETENSIS MONASTERII .Ex decreto Piipapat. — Ut virgines non velentur ante quiuque et vi- ginti annos aelatis, nisi forte necessitate periclitantis virginalis pudicitiae, el non sunt consecraiidue in alio tempore nisi in Epipkania, et in Albis pas- chalibus, et in Apostolorum natalitiis, nisi causa mortis urgente. Ex concilio Milevitano, cap. xxv. — Item placuit, ut quicunque episco- porum necessitate periclitanlis pudicitiae virginalis, quum vel portitor po- tens, vel raptor aliquis formidatur, vel si etiam aliquando morlis periculoso scrupulo compuncta fuerit, ne non velata moriatur, aut exigenlibus paren- tibus aut iis ad quorum curam perlinet, velavit virginem, seu velavit intra quinque et viginti annos aetatis, nou ei obsit concilium quod de isto numero annonim constitutum est. Hieronymus contra Jovinianum. — Si nupserit virgo, non peccavit : uon illa virgo quae semet cullui Dei dcdicavit. Harum enim si qua nupsetit, habebit damnalionem, quod primam fidem irritam fecit. Si autem hoc de viduis dictum objecerint, quanto magis de virginibus praevalebit, quum etiam iis non liceat, quibus aliquando licuerit ? Virgines enim, quae post consecrationem nupserunt, non tam adullerae quam incestae sunt. Ex decreto Eutyciani papce, cap. xm. — Nihilominus etiam in quibus- dam locis inditum invenimus usum slullitiae plenum, et ecclesiastica ? au- ctoritati contrarium, eo videlicet quod nonnutlae abbatissae, et aliquae ex sanctimonialibus viduis et puellis virginibus contra fas velum imponere praesumant, et ideo nonuullae injuste velatae putant se liberius suis carna- libus desideriis posse inservire, et suas voluntates explere. Quapropter sta- tuimus, ut si abbatissa, aut quaelibet sanctimonialis post lianc diffinitio- nem in tantam audaciam proruperit, ut aut viduam aut pueliam virginem velare praesumat, judicio canonico usque ad satisfactionem subdatur. Bonifacius martyr Hilleribaldo regi Anglorum. — Apud Graecos et Ro- manos, quasi blasphemiam Deo irrogasset, qui in hoc reus sit, ut proprie de hoc peccato ante ordinationem interrogatus, si reus fuerit inventus, ut cum velata et consecrata uua concubuisset, ab omni gradu sacerdotum Dei prohiberetur. Propter boc, fili charissime, sollicite considerandum est quanti ponderis hoc peccatum esse videtur ante oculos aeterni Judicis, quod facientem inter idolatriae servos constiluet, et a divino ministerio altaris subjiciet. Licet autem, peracta poenitenlia, reconciliatus sit Deo. Ex concilio Rothomagensi, cap. ix. — Statutum est viduas non deberc velari, similiter et hoc statutum est, ut si quispiam presbyterorum dein- ceps hujus constitutionis normae contumaciter transgressor extilerit, scili- cet ut aliquas viduas velare praesumat, quia et hoc episcopis non licet, gradus sui periculum incurrat. Similiter el puellis virginibus a presbyteris EXTRAITS DES RÈGLES DU MONASTÈRE DU PARAGLET. 373 Extrait de la bulle du pape Pie. — Les vierges ne doivent pas prendre le voile avant vingt-cinq ans, sauf les cas fortuits de danger pour leur hon- neur ; elles ne peuvent être consacrées qu’à l’Epiphanie, à Pâques, à l’an- niversaire des Apôtres, à moins de péril de mort. Extrait du concile de Milève, chap. xxv. — Il est, de plus, arrêté que tout évéque qui aura conféré le voile, avant vingt-cinq ans, dans un cas de danger pour l’honneur d’une jeune vierge, soit qu’elle eût à craindre la vio- lence d’un passant, d’un ravisseur, soit que, atteinte de quelque cas dan- gereux de mort, elle appréhendât de mourir sans le voile, soit qu’il y eût exigence de la part de ses parents ou tuteurs, ne pourra tomber sous le coup de la décision du concile qui a fixé l’âge. Jérôme contre Jovinien. — Une vierge ne pèchent pas pour se marier, j’entends une vierge qui ne s’est pas consacrée au culte de Dieu. Quant à celle-là, elle méritera la damnation, pour avoir violé sa foi. Si l’on objecte que cet arrêt a été prononcé sur les veuves, combien, à plus forte raison, répondrai-je, ne doit-il pas s’appliquer aux vierges, auxquelles rien n’est permis de ce qui a été permis autrefois aux autres ? Les vierges qui se ma- rient après la consécration sont moins des adultères que des iucestes. Extrait de la bulle du pape Eutychès, chap. m. — Nous trouvons dans quelques endroits un usage déraisonnable et en opposition avec l’au- torité ecclésiastique : des abbesses, et, parmi les moinesses, des veuves ou des vierges prennent sur elles de conférer irrégulièrement le voile, et cela parce que celles qui ont été voih’es contre les règles pensent pouvoir, une fois sous le voile, s’abandonner à leurs désirs charnels et satisfaire leurs passions. Nous statuons donc que, s’il arrive â une abbesse ou une moine&e de prendre sur elle, après l’établissement de celte règle, de conférer le voile à une vierge ou à une veuve, elle sera soumise â un jugement canonique et condamnée â la pénitence. Boni face, martyr, au roi des Angles Hilteribalde. — Chez les Grecs et les Romains, c’était un cas de b’asphème envers Dieu, d’être reconnu cou- pable, dans l’interrogatoire avant l’ordination, d’avoir couché avec une vierge voilée et consacrée, et l’on était, en conséquence, interdit de toute fonction dans le service de Dieu. Il faut donc, très-cher fille, considérer avec grand soin de quel poids est ce péché aux yeux du Juge éternel. Il place le coupable parmi lei serviteurs de l’idolâtrie, et le rejette loin du divin mi- nistère de l’autel. Toutefois on peut, par la pénitence, rentrer en grâce auprès de Dieu. Extrait du concile de Rouen, chap. îx. — Il est arrêté que les veuves ne doivent pas prendre le voile. 11 est décidé aussi que, s’il arrive à quel- que prêtre de transgresser cette règle, c’est-à-dire d’oser conférer le voile i des veuves, ce qui n’est pas permis même aux évoques, il sera déchu de son rang. Pareillement pour les vierges. Quiconque aura essayé de faire 374 EICERPTA E REGDLIS PARACLETENSIS MONASTERII. non velandis statutum est, ut, si quis hoc facere tentaverit, tanquam trans- gressor canonum damnetur. Ex concilio Maguntinensi, cap. vi. — Viduas autem velare pontificum nullus tcntet, prout statutum est in Decretis Gelasii, cap. xiii, quod nec auctoritas divina, nec canonum forma praestitit. Quae si propria voluntate continentiam fuerit professa, ut in ejusdem Gelasii cap. xxi legitur, ejus intentio pro se rationem reddat Deo, quid, sicut, secundum Apostolum, si continere se non poterat nullatenus nubere vetabalur, sic, secum habita deliberatione, promissam fidem pudicitiae Deo debet custodire. Nos autcra auctoritate Patrum suffulti, in hoc sacro conventu sancimus ct labore judi- camus, si sponte velamen quamvis non consecratum sibi imposuerit, ct in ccciesia inter velatas oblationem Deo obtulerit, velit, nolit, sanctimonia} habitum ulterius habere debet, licet sacramento confirmarc vclit eo tenorc et ratione velamen sibi imposuisse, et iterum posset deponere. Ex concilio Aurelianensi, cap. in. — Viduae, quas ab altari sacro vela- men accipiunt, spontanea voluntate sacrae conversationis, decrevit sancla synodus in eodem proposito eas permanere. Non enim fas esse decernimus, ut postquam semet Deo sub velo consecraverint, et inter velatas oblationem fecerint, iterum eis concedi Spiritui sancto mentiri. Nicolaus papa archiepiscopo C. et ejus suffragantibus. — Vidua qui- dem, quaecapiti imposuerit sacrum velamen, si inter caeteras velatasfemi- nas in ccclesia oraverit, ct oblationem cum illis obtulent, si professa cst in codem habitu permanere, spondens nunquam religionis vclamen dcpo- nere a religionis observantia discedere non prxsumat. Augustinus de dono viduitatis. — Viduae, quae se non continent, nubant antequam professse continentiam devoveant, quod nisi reddant, jure dam- nentur. Ex concilio ArausicOt cap. vi. —Viduitatis servandae professionem coram episcopo in secretario habitam, imposita coram episcopo vcstc viduali, non essc violandam ; ipsam tamen profcssionis dcsertriccm mcrito cssc damnan- dum deccrnimus. £.i concilio Tolelano, cap. v. — Omnes feminao venicnles ad sacram religionem ct pallio capita contegant, et conscriptam roboratamque professio- nem faciant, postquam ulterius nonsinantur rclabi ad pracvaricationis auda- ciam. Quae vero ex iis omnibus fuerint rcperlae animum aut vestem in transgressionem dedisse, excommunicationis sentcntiam ferant, et nirsus mutato habitu, in monasteriis, donecdiem ultimum claudant, sub aerumnis arduae pcenitentiae permaneant religatae. EXTRAITS DES RÈGLES DU MONASTÈRE DU PARACLET. 375 pour elles même chose sera condamné comme transgresseur des ca- nons. Extrait du concile de Mayence, chap. vi. — Qu’aucun prêtre ne se risque à conférer le voile à une veuve, suivant qu’il a été réglé par la bulle du pape Gélase, chap. xm, à défaut de l’autorité divine et des canons. Si c’est de sa propre volonté qu’elle a fait vœu de continence, ainsi qu’il est lu dans les bulles du même Gélase, elle doit compte à Dieu de sa résolu- tion. Si, comme dit l’Apôtre, elle ne pouvait se soumettre à la règle de continence, elle ne devait pas prendre le voile. Mais, dès le moment qu’elle a pris une résolution, elle doit garder la parole de chasteté qu’elle a enga- gée à Dieu. Pour nous, appuyés sur l’autorité des Pères, nous décidons, dans cette sacrée réunion, que si c’est de son propre mouvement qu’une veuve ou qu’une vierge a pris le voile, — ne fût-il pas consacré, — et qu’elle s’est offerte à Dieu dans l’église, au milieu des sœurs voilées, qu’elle le veuille ou non, elle doit conserver l’habit de la sainteté, alors même qu’elle affir- mera par serment qu’elle n’a pris le voile qu’avec l’intention de le quitter. Extrait du concile d’Orléans, chap. m. — Toute veuve qui a reçu le voile sur les marches du saint autel, spontanément et par conversion vo- lontaire, doit, suivant la décision de l’assemblée, demeurer fidèle à son vœu. Nom déclarons qu’il est contraire à toute règle, qu’alors qu’on s’est consacrée et offerte à Dieu, sous le voile, parmi des sœurs voilées, on puisse avoir le droit de fausser le vœu fait à l’Esprit-Saint. Nicolas, pape, à rarchevêque C. et à tes suffragants. — Toute veuve qui a pris le voile, qui a prononcé des vœux parmi des sœurs voilées et s’est offerte avec elles, s’engageant à demeurer fidèle à sa promesse et à ne ja- mais déposer le voile de l’ordre, ne doit pas songer à rompre avec la règle de l’ordre. Augustin sur le don de veuvage. — Que les veuves qui ne peuvent s’as- treindre à la continence se marient avant de faire vœu de continence ; car ce vœu une fois fait, si elles ne l’observaient pas, elles seraient justement condamnées. Extrait du concile d’Orange, chap. vi. — Le vœu de veuvage fait en présence de l’évêque dans le sanctuaire, après revêtement de l’habit de veuve, doit être observé ; quiconque le viole, mérite d’être condamné ; telle est noire décision. Extrait du concile de Tolède, chap. v. — Toutes les femmes qui entrent en religion doivent prendre le voile, faire et renouveler leur vœu, afin de ne point retomber dans la prévarication. Quant à celles qui ont été trouvées coupables d’avoir laissé porter atteinte à leur serment, et à leur robe, elles doivent subir la sentence d’excommunication, et, prenant une robe nouvelle, être enfermées dans un cloître, et soumises à toutes les rigueurs de la pénitence jusqu’à la mort. 370 EXCERPTA E REGULIS PARACLETENSK HONASTERIT. Ex dccretis Gelasii papce ad Sicilienses episcopos missis9 cap. ix. — Neque viduas ad nuptias transire patimur, quae in religioso proposito diu- turaa observatione permanserunt. Similiter virgines nubere prohiberaus, quas annis plurimis in monasteriis aetatem egisse contigerit. Exepistola Gregorii papoe missa ad Bonifacium. —Yiduas a proposito discedentes viduitatis, super quibus nos consulere voluit dilectio tua, firater charissime, credo te uosse a sancto Paulo et multis sanctis Patribus, nisi convertantur, olim esse damnatas. Quas et nos Apostolica auctoritate esse damnandas, et a communione fidelium, atque a liminibus Ecclesiae arcendas fore censemus, usquequo obediant suis episcopis, et ad bonum quod ccepe- runt, invitae aut voluntariae revertantur. De virginibus autem non velatis, si dcviaverint, a sanctae memoriae praedecessore nostro papa taliter dccretum habemus. H-b vero qua», necdum sacro vclamine tectae, tameti in proposito virginali semper simulaverunt se permanere, licet velata ; non fuerint, si nupserint, aliquanto tempore his agenda poenitentia est, quia sponsio earum a Domino tenebatur. Si enim interhomines soletbonas fidci coutractus nuIU ratioue dissolvi, quanto magis ista pollicitatio, quam cum Deo pepigit, solvi sine vindicta nou poterit ? Nam si virgines nondura velatae taliter pcenitenlia publica puniuntur, et a co3tu fidelium, usquequo ad satisfadionem veuiant, excluduntur ; quanto potius vidua^, quae perfeclioris aetatis, et maturioris sapientiae atque consilii existunt, viroruinquc consortio multotiens usae sunt, et habitum religionis assumpserunt, et demum apostataverunt, atquc ad priorem vomitum sunt reversse, a nobis et ab omnibus fidelibus a limi- nibus Ecclesiae, et a coetu fidelium usque ad satisfactionem sunt eliminandae etcarceribustradendae ?QualiterjuxtabeatumPaulum, c liaderehujusmoui hominem Satanae, ut spiritus salvus sitin dieDomini. » Detalibuset Domi- nusperMoysem loquitur : <( auferte malum de medio vestri. » De quibus et per prophetam ait : « laetabitur justus quum vindictam viderit, manus suas lavabit in sanguine peccatoris. » Detalibus namque, et eorum similibus, atque eisdem consentientibus dicitur, quia « non solum qui faciunt, scd et qui consentiunt facientibus rei sunt. » Exepistola Nicolalpapce, cap. v. —Nicolaus servus servorum Dei reve- rentissimo, ac sanctissimo confralri nostro Adaberino sanctae Yivarensis Ecclesiae archiepiscopo. — Quod interrogasti de femina, quae post obitum viri sui velamen sacrum super caput suum imposuit, ct finxit se sub codem velamine sanctimonialem esse, postea vero ad nuptias rediit, bonum mihi vidctur, quia per hypocrisim ccclesiasticam regulam conturbare voluit, et non legitime in voto suo pcrmansit, ut pcenitentiam agat de illu- EXTRAITS DES REGLES DU MONASTÈRE DU PARACLET. 377 Extrait des bulles du pape Gélose adressées aux évêques de Sicile, chap. ix. — Nous ne permettons pas aux veuves qui ont fait vœu de reli- gion et qui sont longtemps demeurées fidèles, de retourner au mariage. Nous interdisons également le mariage aux vierges qui ont eu le bonheur de passer plusieurs années de leur vie dans les monastères. Extrait d’une lettre du pape Grégoire à Boni face. — Pour les veuves qui manquent à leur vœu de veuvage, et au sujet desquelles votre charité veut bien nous consulter, très-cher frère, vous savez assurément que saint Paul et beaucoup de saints Pères les ont jadis condamnées, à moins de retour. Nous aussi, nous pensons qu’elles doivent être condamnées par l’autorité apostolique, retranchées de la communion des fidèles, repoussées du seuil de l’église, jusqu’à ce qu’elles se rangent sous l’autorité de leurs évêques et reviennent, volontairement ou non, au bien qu’elles avaient commencé. Pour les vierges non voilées qui sortent de la droite voie, notre prédécesseur de sainte mémoire les avait frappées de la même sentence. Quant à celles qui, n’ayant pas encore pris le voile sacré, avaient cependant commencé à vivre suivant le vœu de virginité, elles doivent, si elles se marient, faire quelque temps pénitence, bien qu’elles n’eussent pas encore pris le voile, parce qu’elles avaient un engagement de fiançailles avec le Seigneur. En effet, si rien ne peut rompre un contrat passé de bonne foi entre les hommes, une promesse faite à Dieu peut-elle être violée sans mériter une peine ? Et si les vierges non voilées sont ainsi soumises à une pénitence publique et exclues de l’assemblée des lidèlcs jusqu’à ce qu’elles aient obtenu leur grâce, que doit-il en être à l’égard des veuves dont l’âge est plus avancé, la raison, plus mûre, qui ont pratiqué le commerce des hommes, — si après avoir pris l’habit de religion, elles le rejettent et reviennent à leur ancienne déprava- tion ? Ne doivent-elles pas, plus que qui que ce soit, êtres exclues du seuil de l’église et de l’assemblée des fidèles, et livrées aux fers jusqu’à ce qu’elles aient donné satisfaction, selon la parole de saint Paul qui recommande « de livrer un homme de celte sorte à Satan, afin que l’esprit soit sauvé au jour du Seigneur. » C’est aussi de ces scandales que le Seigneur parle, quand il dit par la bouche de Moïse : « Enlevez le mal d’au milieu de vous, » ou par la bouche du Prophète : « Le juste se réjouira, quand il verra la peine ; il lavera ses mains dans le sang du pécheur. » Oui, c’est de ces scandales et de ceux qui les laissent commettre qu’il est dit : t Non-seulement ceux qui font, mais ceux qui laissent faire sont coupables. » Extrait d’une épUre du pape Nicolas, chap. v. — Nicolas, serviteur des serviteurs de Dieu, à son très-vénérable et très-saint confrère Adaberin, archevêque de la sainte Église de Viviers. — Vous m’avez demande mon sentiment au sujet d’une femme qui, après la mort de son mari, a pris le voile, simulant des sentiments de professe, puis est retournée au mariage. A mon avis, et puisqu’elle a enfreint sciemment, par hypocrisie, la règle ecclésiastique et n’est pas restée fidèle à son vœu, elle doit expier sa fraude 378 EXGERPTA E REGULIS PARACLETEHSIS MONASTERII. sione ncfanda, et revertatur ad id quod spopondit, et in sacro ministerio inchoavit. Nam si consenscrimus, quod omuia ecclesiastica sacramenta quis- que prout vult fingat, et non vere faciat, omnis ordo ecclesiasticns turbabi- tur, nec catholicae fidci jura consistunt, nec canones sacri rite observantur. Quid enim profuit Simoui Mago baptisma sacrum ficte suscipere, et in chris- tianitatc se permansurum finxisse, quum per Apostolum fraude ejus detecta quod sibi futurum esset pronuntiatum fuit ? Ait enim : c pcenitentia tua tecum sit in perditione. Cor enim tuum non est rectum coram Deo. Poeni- tentiam itaque age de hac nequitia tua, et roga Deum ut forte remittatur tibi cogitatio cordis tui. In felle enim amaritudinis et obligatione iniquitatis video te esse. » Ideo tales, nisi resipiscant, spirituali gladio percutere censemus. Non enim fas est Spiritu sancto mentiri, sicuti Ananias et Saphira mentili sunt, et statim perierunt. Ex concilio Arelatensi, cap. vn. Sciendum est omnibus, quod Deo sacra- tarum feminarum corpora per votum propriae sponsionis et verba sacerdotis Deo consecrata templa esse Scripturarum testimoniis comprobantur ; et ideo violatores earum^acrilegi, ac juxta Apostolum filii perditionis esse nos- cuntur. Dictum Apostoli. — « Praecipe, inquit, ut viduae irreprehensibiles sint. Vidua eligatur non minus quadraginla annorum in operibus bonis testimo- nium babens, si filios cducavit. » Et : i adolcscentiores viduas devita. Quum enim luxuriatae luerinl, in Cbristo nubcre volunt, habentcs damnationem, quia primam fidem irritam fccerunt, simul et otiose loquentes quod non oportet. Volo ergo juniores nubere, filios procreare, matres familiss esse, nullam occasionem darc adversario maledicti gratia. Jam enim quoedam con- vcrsae sunt retro Satanam. » ExconcilioMaguntinensi, cap. mi. — Abbatissas autem cum sanctimo- nialibus omniuo rccle et jusle vivere censcmus. Quae vero professionen sccudum regulam sancti Denedicti fecerunt, singulariter vivant. Sin autem canonice vivant, pleniter et sub diligcnti cura custodiam habeant, et in claus- tris suis permaneant, nec foras exitnm habeant. Sed et ipsse ubbatissa ; in monasteriis sedeant, nec foras vadant sine licentia et concilio episcopi sui. Exconcitio Maguntino, cap. xxvi. —Abbatissa nequaquam de monaslerio egrediatur, nisi per licentiam sui episcopi. Et si quando foras pcrgit, de sanc- timonialibus quas secum ducit, curam hebeat maximam, ut nulla tis delur occasio peccandi. EXTRAITS DES RÈGLES DU MONASTÈRE DU PARACLET. 379 sacrilège, revenir à ses engagements, et poursuivre ce qu’elle a commencé dans le saint ministère. En elîct, si nous souffrons qu’on prête à sa guiso des vœux qu’on n’observe pas, toute la règle ecclésiastique sera troublée ; c’en est fait de la consistance des principes de la foi catholique, de l’observation des saints canons. A-t-il profité à Simon le Magicien de recevoir un faux bap- tême et de prêter un faux serment de fidélité au christianisme ? L’Apôtre a dé» couvert sa fraude et lui a prononcé son sort : « Que ta pénitence, lui a-t-il dit, soit dans la damnation ; car ton cœur n’est pas droit devant le Seigneur. Fais donepénitence sur ta perversité, et demande à Dieu de te pardonner les mauvaises pensées de ton cœur, car je te vois dans le fiel de l’amertume et dans les chaînes de l’iniquité. » Nous pensons donc que les veuves qui se sont ainsi rendues coupables doivent, sauf résipiscence, être frappées du glaive spirituel. Il n’est pas permis de mentir à l’Esprit-Saint. Ànanias et Séphira ont menti, et ils ont péri. Extrait du concile d’Arles, chap. vu. — H faut que tout le monde sache que les corps de femme consacrées à Dieu par des vœux spontanés et parles- paroles d’un prêtre sont des temples voués à Dieu, ainsi que l’établissent les témoignages des saintes Écritures ; que conséquemment ceux qui leur fout violence sont des sacrilèges et, suivant les paroles de l’Apôtre, des fils de perdition. Conseil de lApôtre. — « Recommandez, dit-il, que les veuves soient irréprochables. II faut choisir une veuve qui n’ait pas moins de quarante ans, qui ait fait ses preuves dans les bonnes œuvres, élevé des enfants… » Et ailleurs : « Évitez les veuves trop jeunes ; c’est après qu’elles se sont aban- données à tous les désordres de la passion qu’elles veulent épouser le Christ ; elles portent avec elles la damnation, parce qu’elles ont manqué à leur pre- mier serment ; et, dans leurs habitudes d’oisiveté, elles disent ce qu’il ne faut pas. Je veux donc que les jeunes veuves se marient, qu’elles mettent au monde des enfants, qu’elles soient de respectables mères de famille et ne donnent aucune part à la médisance. Car il en est plus d’une qui est retour- née à Satan. » Extrait du concile de Mayence, chap. xni. — Nous pensons que les abbesses doivent vivre en bonne harmonie et conformément aux règles de la justice avec les sœurs. Celles qui ont fait vœu suivant la règle de saint Benoit, doivent vivre isolément. Mais celles qui vivent canoniquement doi- vent se surveiller avec un soin scrupuleux et sans défaillance, rester dans leurs cloîtres, ne jamais se produire au dehors. 11 faut que les abbesses elles- mêmes demeurent dans les couvents et ne sortent pas sans la permission, sans l’avis de leur évèqiic. Extrait du concile de Mayence, chap. xxvi. — L’abbesse ne doit jamais sortir du monastère qu’avec la permission de son évoque. Se produit-elle au dehors, elle doit avoir grand soin des sœurs qu’elle mène avec elle, en sorte qu’il ne leur soit donné aucune occasion de pécher. 380 EXCERPTA ET REGDUS PARACLETENSIS MONASTERII. Ex concilio Gantiensi, cap. ix. — Abbatissa diligentem habeat curam de congregatione sibi commissa, et provideat ut in lectione et ofticio, in modu- latione psalmorum ipsae sanctimoniales strenuae sint, et in omnibus operibus bonis. Illa eis ducatum praebeat, utpote pro animabus earum rationem red- ditura in conspectu Domiui, et stipendia sanctimonialibus pnebeat necessaria, ne forte per indigentiam cibi aut potus peccare compellantur. Ex concilio Maguntinensi, cap. xiv. — Sanctimoniales, jiisi forte abba- tissa sua pro aliqua neccssitate incumbente, nequaquam de monasterio egrediantur. Ex concilio Granecensi, cap. xiii." — Si qua mulier propter continentiam quae putabatur habitum immutavit, et pro solito muliebri amictum virilem sumat, anathema sit. Ex eodem concilio, cap. xiv. — Si qua mulier propter divinum cultum, ul aeslimat, crines attoudet/quos eis Deus ad subjectionis memoriam tribuit, tanquam praeceptum dissolvens obedientiae, anathema sit. Ex concilio Rothomagensi, cap. nt. — Ut episcopus monasteria monacho- rum ct sanctimonialium frequenter introeat, et cum gravibus et religiosis personis in earum conventu rcsidens, eorum vel carum vitam et conversatio- nem diligenter excutiat. Si quid reprehensibile invencrit, corrigere satagat. Sanctimonialium etiam pudicitiam sublimiter investiget, et si aliqua inve- nitur, quae, neglecto proposito cnstitatis, clerico aut laico impudenter mis- ceatur, acriter verberibus coerceatur, et in privata custodia relriidalur, nisi quod niale commisit digne prnitcat. Interdicatur etiam ex auctoritatc sacro- rum canonum, ut nullus laicus aut clericus in carum claustris el secretis habitationibus accessum babeat, neque presbyteri, nisi tantum ad missam. Expleta missa, adecclesias suas redeant. Omnibus prseterca publice et priva- tim denunliet, quantum sitpiaculum qui sponsam Cbristi vitiare pnesuniit. Si enim ille reus tenetur qui sponsam Inminis violat, quanto magis rcus majestatis efficitur, qui sponsam omnipotentis Dei corrumpit ? De monialibus. — Episcopi ut monialcs viv.int sine proprio curam rdlii- beant diligentem, ne se possint excusare praetextu alicujus paupertatis. De sanctimoniaHbus. — Statuimus ut abbatissoc et priorissa ?, et alie oliedientiariaD, de singulis proventibus, redditibus, et expensis singulis minis computent in capitulo, quater in anno atl minus ; et ut status tam oliedientiarum quam prioratuum a claustralibus cognoscatur, compotus redigatur in scriptis : ita quod conventus peues se rctineat unum scriptum, cl abbatissa aliud. EITRAirS DES RÈGLES DD MONASTÈRE DU PARAGLET. 381 Extrait du concile de Gand, chap. ix. — L’abbesse doit veiller avec un soin scrupuleux sur la congrégation qui lui est confiée, et faire en sorte que les jeunes sœurs prennent une part active à la lecture, à l’office, au chant des psaumes, ainsi qu’à toutes les bonnes œuvres. Qu’elle leur donne un ducal comme emblème du compte qu’elles auront à rendre devant Dieu de leurs âmes ; qu’elle leur fournisse les ressources nécessaires pour que le besoin de boire et de manger ne les induise pas à pécher. Extrait du concile de Mayence, chap. xiv. — Les jeunes sœurs ne doivent jamais sortir du couvent que par ordre exprès de l’abbesse. Extrait du concile de Grançais, chap. xm. — Si quelque femme qui a été admise à prendre l’habit sur, sa réputation de continence revêt un man- teau d’homme au lieu d’une robe de femme, qu’elle soit anathème. Extrait du même concile, chap. xiv. — Si quelque femme, dans la pensée du service divin, coupe la chevelure que Dieu lui a donnée comme marque de sa su je lion, elle rompt la règle de l’obéissance : qu’elle soit anathème. Extrait du concile de Rouen, chap. m. —L’évêque doit visiter fréquem- ment les couvents d’hommes et de femmes, séjourner dans leur communauté avec des personnes d’un caractère grave et religieux, s’enquérir diligem- ment de leur vie et de leurs habitudes. S’il rencontre quelque chose de ré- préhensible, il doit y porter remède. Qu’il surveille de même la chas- teté des sœurs ; s’il en trouve une qui, rompant son vœu, entretienne avec un clerc ou un laïque un commerce honteux, qu’il la fasse sévèrement battre de verges et reléguer en chartre privée, à moins qu’elle ne fasse une péni- tence en rapport avec sa faute. Que défense soit faite au nom des statuts canons, à qui que ce soit, clerc ou laïque, d’avoir accès dans leurs cloîtres et leurs secrètes demeures ; à qui que ce soit, même aux prêtres, sauf à l’occa- sion de la messe. La messe dite, les prêtres doivent revenir à leurs églises. L’évêque doit faire connaître à tous individuellement et publiquement com- bien est grand le péché de celui qui ose toucher la fiancée du Christ. Si c’est un crime que de toucher à la fiancée d’an homme, combien celui-là est-il plus coupable de lèse-majesté, qui souille la fiancée du Dieu tout-puissant ! Des moinesses. — Les évêques doivent veiller avec grand soin à ce que les moinesses n’aient pas besoin pour vivre de bien personnel, en sorte qu’elles ne puissent jamais invoquer l’excuse de leur pauvreté. Des religieuses. — Nous voulons que les abbesses et les prieures, et toutes celles qui sont à la tête d’une obédience, rendent compte régulière- ment, en chapitre, de toutes les recettes et dépenses de chaque année, au moins quatre fois l’an ; que l’état tant des obédiences que des prieurés soit connu des sœurs, que la balance soit établie, et que le couvent en conserve une copie, l’abbesse une autre. 383 EXGERPTA E REGULIS PARACIETENSIS MOSASTERU. De sanctimonialibus. — Propter scandala, quse ex monialium conver- satione proveniunt, statuimus de monialibus nigris, ne aliquod depositum in doraibus suis recipiant ab aliquibus personis, maxime arcas clericorum vel laicorum, causa custodise, apud se minime deponi permittant. Pueri ct puellae, quae solent ibi nutriri et institui, penitus expellanlur. Omnes com- muniter comedant in refeclorio, et in dormitorio solitariae donniant. Ca- merae omnes monialium destruantur, nisi aliqua per inspectionem episcopi necessaria retineatur ad infirmariam facicndam, vel alia de causa, quae episcopo justa et nccessaria videatur. Item momalcs nullatenus exire pcr- mittantur, vel extra pernoctare, nisi forte cx magua causa, et raro : et ab- batissae injungatur, ne alitcr permitlat egredi momales. Et si aliquando abbatissa ex justa causa alicui permittat, eidem injungat quod sine mora revertatur, et det ei sociam non ad voluntatem suam, sed quam viderit expedire. Ostia suspecta et superflua obstruantur. Circa hoc autem episcopi diligentiam adhibeant et curam pcr se el per ministros suos, et vitas el conversationes ipsarum taliter restringant, quod per eorum diligenliam scandala, quae de earum vita in presenti proveniunt, sopiantur. De sororibus non emittendis. — Sorores nostrae non egrediantur, nisi forte mittantur de claustro ad claustrum, raoraturcc ad minus per annum. Verum, si evidens necessitas ingruerit, propter quam oporteat aliquam egredi, fiat de licentia pnemonstrensis abbatis, dum tamen sine gravi peri- culo ejus possit expectari assensus. Si quis abbas aliquam aliter emiserit, puniatur secundum quantitatem excessus, arbitrio capituli generabs, et maiime si scandalum emerserit de sorore cmissa. Tempore vero guerra- rum, liceat cuilibet abbati sorores sibi subditas ad loca tuta transferre. Quod si aliter fuerit, abbas, sub quo hoc contigerit, per annutn continuum in feria sexta jejunet in pane et aqua* De soribus non recipiendis. — Quoniam instant tempora periculosa, et ecclesiae supra modum gravantur, communi consilio capituli statuimus, ut amodo nullam sororem recipiamus. Si quis autem hujus statuti transgres- sor exliterit, abbatissa sua sine misericordia punietur. Uem de sororibus recipiendis. — Nulla soror de csetero recipiatur in 01 dine, nisi locis illis qui sunt ab antiquo recipiendis sororibus perpetuo diputata. De testimonio sororum non recipiendarum. — Si mulieres aliquae, ex uutiqua concessione facta, cis ante institutioncm cditam de sororibus non recipiendis, recipi voluerint in sorores, nullomodo recipianlur, nisi proba- Verint vel per litteras, vcl per sufficienlem numerum fratrura, utpote per EXTRAITS DES RÈGLES DU MONASTÈRE DU PARACLET. 383 Des religieuses. — En vue des scandales qui résultent du commerce avec les religieuses, nous décidons, au sujet des moinesses noires, qu’elles ne doivent recevoir chez elles aucun dépôt de personne, et ne point permettre surtout de laisser confier à leur garde les coffres des clercs ou des laïques. Les petits garçons et les petites filles qu’on a l’habitude de nourrir et d’é- lever dans ces coffres doivent être absolument écartés. Qu’elles mangent toutes à la même table au réfectoire, et couchent au dortoir chacune dans leur lit. Point de chambres séparées, à moins qu’après examen de l’évêquc, il n’ait été jugé nécessaire d’en conserver une pour en faire une infirmerie ou pour toute autre cause reconnue bonté et indispensable. Qu’aucune per- mission ne soit jamais donnée de sortir ou de coucher dehors, si ce n’est pour cause grave et rarement ; qu’injonction soit faite à l’abbesse de ne jamais laisser sortir autrement. Si elle accorde une permission pour uu motif plausible, qu’elle recommande en même temps de revenir sans délai, et qu’elle choisisse non la compagne qui plaît, mais celle qu’elle croit utile. Les portes dangereuses et inutiles doivent être bouchées. C’est aux évoques de veiller et de pourvoir sur ce point par leurs propres yeux et par ceux de leurs ministres, et d’observer d’assez près la vie et les habitudes des reli- gieuses, pour étouffer sur-le-champ les scandales auxquels ces habitudes peuvent donner lieu. Des congés des sœurs. — Les sœurs ne doivent sortir que pour être en- voyées d’un couvent à un autre, pour un séjour d’au moins un an. Môme en cas de nécessité évidente, aucune sortie ne doit avoir lieu qu’avec la per- mission de l’abbé en chef, à la condition toutefois qu’il n’y ait pas péril à attendre son assentiment. Si quelque abbé donne un congé dans d’autres circonstances, il doit être puni en raison de la longueur du congé par un jugement du chapitre général, surtout si la sortie de la sœur a donné lieu à quelque scandale. En temps de guerre, tout abbé a le droit de faire passer les sœurs qui lui sont soumises en lieu sûr. L’abbé qui aurait ainsi procédé sans ce motif sera condamné à jeûner au pain et à l’eau pendant une année entière le vendredi. De la défense de recevoir des sœurs. — Eu égard au péril des temps et aux charges excessives des églises, nous décidons en chapitre général qu’on ne doit recevoir aucune sœur. Là où cet ordre sera trangressé, l’abbesse devra être punie sans pitié. Des sœurs à recevoir. — Aucune sœur ne doit être reçue d’un couvent dans un autre, sauf dans les lieux désignés de tout temps pour leur donner asile. Du témoignage des sœurs qu’il ne convient pas de recevoir. — Si des femmes, faisant valoir une permission ancienne et antérieure à l’ordre de ne point recevoir des scéurs nouvelles, veulent être reçues parmi les sœurs, elles ne doivent pas être reçues à moins de prouver par des lettres ou par 984 EIUSWTA K KKUUUS PAKACLETENSIS lOHASTKRll. quatuor vel quinque, quod concessio fuerit facta eis aute inhibitianem or- dinis per abbatem vel conventum. De mulieribus non permutandis. — Mulieres, quae ab antiquo loca habent in domibus nostris, ut recipiantur in sorores, nullis aliis loca sua conferant, nec fiat circa mulieres aliqua mutatio personarura. De puellis non nutriendis in domibus nostris. — Quum propriis fra- tribus ac sororibus nostris etiam tenui viclu sufficere vix possimus, absur- dum videretur, si alienos iu deliciis nutriremus, et tales maxime, de quo- rum fratres aut sorores nostrse posscnt conversatione corrumpi. Eapropter censuimus sub districta inbibitione cavendum, ut, emissis omnino secula- ribus, quae ad nutriendum in claustris soronun nostrarum bactenus sunt recepta ?, nulia allia prorsus ad nutriendum de caetero admittatur. Quod si aliqua voluerit exire jam recepta, vel si (ut ?) ad nutriendum recipiatur, per se vel per alios intruserit violenter, cessetur in eodem loco, quousque exierit, penitus a divinis. Quod sorores nostrce non habeant nigras tunicas. — Praedictis namque duximus aunectendum statuentes sub pcena excommunicationis firmiter observari, ut sorores nostrae nonnisi in tunicis albis et nigris superpelliceis induantur. In quibus videlicet superpclliceis, nulla vel supertluitas vel cu- riositas videatur, et ne sit notabilis habitus earunidem, ne vestes potius videantur quam morum delicias affectare. De sororibus in lapsu carnis deprehensis.*— Si aliqua soror deprebensa fuerit in lapsu carnis, statim emittatur a domo, et nullomodo, etiamsi obti- nuerit misericordiam, de caetero revertatur, nisi sub tali lege quod velo careat in perpetuum, et sub vili veste et tenui victu, nullatenus egressura de claustro, serviat ut ancilla. Verum, si secundo coramiscrit, ejiciatur, et nullum de caetero receptionis suse debitum ab ordine praestoletur. Sane si aliqua extra septa sororum exierit, omni sexta feria per annum in pane et aqua abstiueat ; porro, si extra exteriorem portam domus eiierit, infra octo dies si reversa fuerit, poterit recipi, ut fugitiva ; ita tamen ut pcr quadra- ginta dies subjiciatur pcense gravioris culpse, et omni sexta feria per annum reficiatur in pane et aqua. Post dies octo revertenti adjiciatur a tam, de institutione filiae suaj Paulae, propter morum doctrinam, tradit hanc litterarum disciplinam. « Sic erudicnda est, inquit1, anima, quae fu- lura est templum Dei. Fiant ei litterae vel buiea ?, vel ebumeae, ctsuis nominibus appellentur. Ludat in eis, ut et lusus ipse eruditio sit. Et non 1 Epist. 95. LETTRE D’ABÉLARD AUX VIERGES DU PARACLET SUR L’ÉTUDE DES LETTRES Saint Jérôme, très-occupé de l’instruction des vierges du Christ, leur recommande particulièrement, dans les conseils qu’il trace | our leur édification, l’étude des lettres, et il les engage moins à les cultiver par des exhortations, qu’il ne les y invite par des exemples. Se souvenant, en effet, de la maxime qu’il adresse à Rusticus : « Aime la science des Écritures, et tu n’aimeras pas les vices de la chair, » il pensait que l’amour des let- tres était d’autant plus nécessaire pour les femmes, qu’il les savait moins bien aimées naturellement et plus faibles contre la tentation de la chair. Aussi pour exhorter les vierges, ne tire-t-ilpas seulement ses arguments des vierges, il. invoque, comme base de comparaison, l’exemple des veuves et des femmes mariées ; il veut pousser les fiancées du Christ à cette étude par les femmes du siècle, il veut, par l’exemple de la vertu des laïques, se- couer la torpeur des religieuses et piquer leur émulation. Mais comme, suivant le mot de Grégoire, il est d’usage de commencer par les plus petites choses pour arriver aux plus grandes, je veux indiquer tout d’abord avec quel zèle il s’est attaché à pénétrer, pour ainsi dire, les toutes jeunes vierges des saintes lettres. Je laisse de côté les autres exemples ; je citerai seulement ce qu’il écrit à LaHa pour la direction de l’éducation morale de sa fille Paule, comme règle littéraire. « Elle doit être formée, dit-il, comme une àme qui sera un jour le sanctuaire de la Divinité. Donnez-lui des lettres de buis ou d’ivoire, et qu’elle en appelle les noms. Qu’elle s’en amuse, et que cet amusement lui soit un moyen d’instruction. Et qu’elle ne reticune pas seulement l’ordre des lettres, en sorte que la mémoire des noms devienne comme machinale. 390 HAGISTRI PETRI EPISTOLA AD YIRGINES PARACLITENSBS. solum ordinem teneat litteramm, ut memoria nominum in cantieum trans- eal : sed et ipse inter se crebro ordo turbetur, et mcdiis ultima, primis media misceantur, ut eis non sono lantum, sed et visu noverit. Quum vero coeperit trementi manu stylum in cera ducere, vel alterius supcrposita manu teneri, regantur arliculi, vcl in tabula sculpantur clcmenta ; ut per eosdem sulcos inclusa marginibus trahantur vestigia, ct foras non queant evagari. Syllabas jungat ad praemium, et quibus illa aetas deliniri potest raunusculis invitetur. Habeat in discendo socias, quibus invideat, quarum laudibus mordeatur. Non objurganda est, si tardior sit : sed laudibus eici- tandum est ingenium, et ut vicisse gaudeat, et victa doleat. Gavendum im- primis, ne oderit studia, ne amaritudo eorum percepta in infantia ullra rudes annos transeat. Ipsa nomina, per quae consuescit paulatim verba contexere, non sint fortuita, sed certa, et coaccrvata de iudustria, propbe- tarum videlicet atque apostolorum, et omnis ab Adam patriarcharum series, dc Matlhfeo Lucaque descendat : ut, dum aliud agit, futurtc memoriae pnc- paretur. Hagister probac aetalis et vitae, atque eruditionis est eligeudus ; nec, puto, erubescet vir doctus id faccre in propinqua, vcl nobili virgine, quod Aristoteles fecit in Philippi filio, ut ipse librariorum vilitate, initia traderet litterarum. Non sunt contemnenda quasi parva, sine quibus magna con- sistere non possunt. Ipse elementorum sonus, et prima institutio prsecepuv rum aliter de erudito, aliter de rustiro ore profertur. Nec discat in tenero, quod ei postea dediscendum est. Difficultcr eraditur, quod mdes animi perbiberunt.» Gneca narrat historia, Alexnndrum potentissimum regem, orbisquedo- mitorem, et in moribus, ct in incessu, Leonidis paedagogi sui non potuisse carere vitiis, quibus adhuc parvulus fuerat infectus. Ut autem pronuntia- tioncm srripturae commendet memoriae, certam ct ipse lectionis mensuram singulis diebus vnlt praefigi ; quam quum memoriter pcrsolvat, nec solttm latinis, verum etiam graecis litteris operam dari pnecipit, quura titncquc linguae tunc Roraae frcquentarentur, et maximc propter Scripturas de gneco in latinum vetsas, ut eas exorigine sua melius cognosoeret, ac vc- rius dijudicare possct. Nondum enim Hebraicae veritatis translatione lati- nitas utebatur. Ait itaqtie : « fteddat tibi peusum quotidie de Scriptnrarum floribus carptum. Ediscat grscorum versuum numenim. Sequatur statim et lntina LETTRE DABÉLARD AUX VIERGES DU PARACLET. 591 Pour cela, il faut troubler fréquemment l’ordre, mêler les premières lettres aux dernières, les dernières aux premières, si bien qu’elle les con- naisse non pas seulement au son, mais aussi à la vue. Lorsque sa main tremblante commencera à conduire le stylet sur la cire, soit d’elle-même, soit sous la conduite d’une autre main, dirigez les mouvements de ses arti- culations ; ou bieu qu’elle ait pour guides des caractères gravés sur un tableau, en sorte que le trait qu’elle reproduit suive le même sillon et de- meure enfermé dans les bords, sans en pouvoir sortir. Qu’elle assemble les syllabes en vue d’une récompense, et soit encouragée par tous les petits présents qui peuvent charmer l’enfance. Qu’elle ait des compagnes d’étude dont l’exemple la touche d’émulation, dont l’éloge la pique. Ne la grondez pas, si elle est un peu lente ; mais excitez son intelligence par des compli- ments, en sorte que la victoire soit pour elle une joie, la défaite une dou- leur. 11 faut prendre garde surtout qu’elle ne prenne le travail en aversion, et qu’il lui reste des études de son enfance un fonds d’amertume. Que les lettres mêmes au moyen desquelles elle s’habitue peu à peu à assembler des mots ne soient pas le produit du hasard ; qu’elles présentent un ordre, un groupe raisonné, les noms des prophètes, par exemple, et des apôtres, toute la série des patriarches depuis Adam, la généalogie établie par Mathieu et par Luc ; si bien que, tout en faisant autre chose, elle se crée un fonds de souvenirs. Il faut choisir un maître d’un âge, d’une vie, d’un savoir sûrs. Un savant, j’imagine, ne rougira pas de faire pour une parente ou pour une noble fille ce que fit Aristote pour le fils de Philippe, qui, faute de maîtres capables, enseigna à Alexandre l’alphabet. 11 ne faut rien dédaigner comme petit : les petites choses sont la base des grandes. Le son même des lettres et les premiers principes de la prononciation sont tout autres sur les lèvres d’un homme instruit et sur celles d’un homme grossier. Que l’enfant n’ap- prenne pas ce qu’il lui faudra désapprendre plus lard. H est difficile d’ef- facer les impressions qui ont une l’ois pénétré l’intelligence dans l’âge tendre. » Et il cite un trait de l’histoire grecque : il raconte que le grand Alexan- dre, le conquérant du monde, n’avait pu lui-même échapper au défaut de caractère et de tenue dont, tout jeune encore, il avait été infecté par son maître Léonide. Pour fixer dans la mémoire la prononciation des lettres, il veut que chaque jour ait sa tâche de lecture déterminée. Il veut que l’exer- cice porte non-seulement sur les lettres latines, mais sur les lettres grec- ques, d’abord parce que les deux langues étaient alors en cours à Rome ; ensuite et surtout en vue de la traduction faite du grec en latin des saintes Écritures. Il veut que, les étudiant aux sources, l’enfant puisse mieux con- naître la Bible et en juger plus exactement. La traduction hébraïque n’était pas encore en usage chez les Latins. II dit donc : « Que chaque jour cite t’apporte, en guise de lâche, une sorte de bou- quet cueilli parmi les fleurs des saintes Écritures. Qu’elle s’exerce à pro- 393 HAGISTRI PETRI EPISTOLA AD VIRGINES PARACLITENSES. eruditio ; quae si non ab initio os tenerum composuerit, in peregnnum sonum lingua corrumpitur, et externis vitiis sermo patrius sordidatur. Pro gemmis et serico, divinos codices amet, in quibus non auri, et pellis ba- bylouicae vermiculata piclura, sed ad fidem placeat emendata et erudila dis- tinctio. Discat primo Psalterium* his se canticis avocet, ct in Proverbii* Salomonis erudiatur ad vitam. In Ecclesiaste consuescat, qusc mundi smit, calcare. In Job, virtutis ct patientise exempla sectetur. Ad evangelia trans- eat, nunquam ea depositura de manibus. Aposlelorum Acta et Epistotas tota cordis imbibat voluntate. Gumque pectoris sui cellaritim bis opibus locupletaverit, mandet memoriae Prophetas, Ueptateuckum, et Regum, et Paralipomenon libros, Esdras quoque et Estlter volumina. Ad ultimum. sinc periculo discat Canticum Canticorum ; ne, si in exordio legerii, sub carnalibus verbis spiritualium nuptiarum epithalamium non intelligens, vulneretur. « Caveat omnia apocrypha, ct, si quando ea non ad dogmatum veri- tatem, sed ad signorum reverentiam legere voluerit, sciat non eortim esse quorum titulis pranolantur, multaque his admixta vitiosa, et grandis esse prudentiae aurum in luto quacrere. Cypriani opuscula semper in manu teneat. Athanasii epistolas, et Hilarii libros inoflenso decurrat pede. Illo- _ rum tractatibus, illorum delectctur ingeniis, in quorum Hbris pietas non vacillet. C» Noli ergo subire onus, quod ferre non potes ; sed, postquam ablactaveris eam cum Isaac, et vestieris cum Sa- muele, milte aviaeetarait®. Redde pretiosissimam gemmam cubiculo Mariae, etcunisJesu vagientis impone. Nutriaturin monasterio ; sic inter virginum choros jurarc non discat ; mentiri sacrilegium putet ; nesciat seculum ; vivat angelice ; sit in carnc sine carne : omne hominum genus sui simile putet. Et, utcsetera taceam, certe te liberct servandi difficultate, et custodise periculo. Melius est tibi desiderare absentem, quam pavcrc ad singula. Trade Euslo- chio parvulam : illam primis miretur ab annis ; cujus et scrmo, et incessus, et habitus doctrina virtutum est. Sit in gremio aviae, quae longo usu didicit nutrire, servare, docere virgines. Anna lilium, quem Deo voverat, post- LETTRE D’ABÉLARD AUX VIERGES DU PARACLET. 303 noncer des vers grecs. Qu’elle se remette ensuite immédiatement à la langue latine. Si sa bouche ne se forme pas, tandis qu’elle est encore tendre, la pratique d’un idiome qui n’est pas le sien gâtera sa prononciation, et les défauts d’une langue étrangère vicieront chez elle la langue nationale. A li place des pierres précieuses et des étoffes de soie, qu’elle recher- che les livres divins, et qu’elle trouve son charme non dans les dorures et les bigarrures des étoffes orientales, mais dans l’éclat pur et solide d’une instruction qui fortifie sa foi. Qu’elle apprenne d’abord le Psautier, qu’elle se plaise à en répéter les chants. Qu’elle se forme à la vie dans les Pro- verbes de Salomon. Qu’elle prenne dans YEccleswste l’habitude de fouler aux pieds tout ce qui est du monde. Qu’elle cherche dans le Livre de Job des exemples de courage et de patience. Qu’elle passe ensuite a l’Évangile, pour ne jamais plus le quitter. Qu’elle se pénètre de toutes les forces de son âme des Actes des Apôtres et des Épîtres. Et lorsqu’elle aura rempli de ces richesses le trésor de son cœur, qu’elle confie à sa mémoire les Pro- pliètes, Yllejrtateuque, le Livre des Rois, les Paralipomènes, les livres d’Esdras et d’Esther. Alors elle pourra apprendre sans péril le Cantique des cantiques : si elle commençait par là, on pourrait craindre que, ne saisissant pas sous les mots charnels le sens du mariage spirituel, son âme ne fût blessée. « Qu’elle se garde de tous les apocryphes ; et si par hasard elle veut les lire, non au point de vue de la vérité des dogmes, mais en vue du respect des signes, qu’elle sache qu’ils ne sont pas de la main des auteurs dont ils portent les noms, que le mélange du mauvais y est considérable, et qu’il faut beaucoup d’expérience pour trouver l’or dans la boue. Qu’elle ait toujours entre les mains les œuvres de Cyprien. Qu’elle parcoure d’un pas léger les épîtres d’Àthanase et les livres d’Hilaire. Qu’elle se laisse séduire aux charmes de leurs traités, de leur génie : il n’y a pas à craindre que dans ces livres la piété reçoive la moindre atteinte. Qu’elle lise les autres, mais en les jugeant et non les yeux fermés, i « Vous allez dire : « Mais comment moi, femme du siècle, pourrais-je garder tous ces trésors, au milieu de la foule de Rome ? • Je répondrai : ne chargez point vos épaules d’un fardeau qu’elles ne sauraient porter ; mais quand vous l’aurez nourrie du lait d’Isaac, vêtue de la robe de Sa- muel, envoyez-la à son aïeule, à sa tante. Rendez au lit de Marie ce bijou précieux ; couchez-la dans le berceau de Jésus. Qu’elle soit élevée dans un couvent. Au milieu des chants des vierges, elle apprendra à ne pas jurer, à regarder le mensonge comme un sacrilège, à ignorer le siècle, à vivre de la vie des anges, à être dans la chair comme sans chair, à considérer les hom- mes comme semblables à elle. Et satis parler des autres avantages, vous serez ainsi affranchie des difficultés de la conserver, du péril de la garder. Mieux vaut pour vous avoir à pleurer son absence qu’à tout craindre. Con- tiez-la toute jeune à Eustochie. Que ce soit Eustochie qu’elle admire dès son 394 MAGISTRI PETRI ENSTOLA AD VIRGINES PARACLITENSES. quam obtulit in tabernaculo, nunquam rccepit. Jpse, si Paulam miscris, et magistrum me, et nutritium spondeo. Gestabo humeris, balbutientia senex verba formabo, multo gloriosior mundi philosopho, qui non regem Macedo- num, Bahylonio periturum veneno, sed ancillam et sponsam Christi eru- diam, regnis coelestibus oflerendam. » Perpendilc, sorores in Christo charissimae, pariter et conservae, quantam curam tantus Ecclesiae doctor in eruditione unius parvulac susceperit, in qua tam diligenter cuncta distinxcrit, quas nccessaria doctrinae decreverit, ab ipso alphabeto sumens exordium. Nec solum dc pronuntiandis syllabis, et littoris conjungendis, verum etiam de scribendis adhibet documentum : nec non et de sociis providet adjungendis, quorum livore, vel laude pluri- mum moveatur. Quod etiam (ut ?) spontanea magis quam coacta faciat, et majori studium amore complectalur, blanditiis et laudibus, nec non et mu- nusculis incitari admonet. Ipsa quoque nomina distinguil ex Scripturis sa- cris colligenda, in quibus proferendis se primum exercens, haec memoria ? suae plurimum comrnendet, juxta illum poeticum * : Quo semel est imbuta recens, servabit odorem Testa diu. Qualis etiam magister ad hoc sit eligendus, diligenter describit : nec pra> termittit prafixam esse debere meusuram lectionis, quam corde tenus firmatam quotidie persolvat. Et quia eo tempore, gnccarum quoque littera- rum usus Romae abnndabnt nec grscarum litterarum expertem eam esse permittit : maxime, ut arbitror, propter translationem divinorum libro- rum a graecis ad nos derivatam, unde discernere posset, quid apud nos minus, vel aliter esset : et fortasse propter liberalium disciplinam artium, quae his, qui ad perfectionem doclrina ? nituntur, nonnihil afferunt utili- talis. Qui etiam eruditionem latinae linguse prxmittit, quasi ab ipsa nostrum inchoaverit magisterium. Quum autem a souo vocum ad earum pervenerit seusum, ut quae proferre didicerit jam intelligere velit, codices ei distinguit diversos, tam de canone duorum Testamentorum, quam de opusculis doctorum, ex quorum eruditionc proficiat, ut oonsuinmetur. Inter cano- nicas autem Scripturas, ita ei Evangelica commendat, ut nunquam haec de manibus virginis recessura censeat ; qunsi plus aliquid diaconissn, quam t Horat., Epist. i, 09 LETTRE D’ABÉLARD AUX VIERGES DU PARACLET. 505 enfance. Entretien, démarche, tenue, tout chez Eustochie est leçon de vertu. Qu’elle, soit élevée dans le sein de son aïeule qui a appris, par une longue expérience, à élever, à garder, à instruire les vierges. Anne ne re- couvra plus l’enfant qu’elle avait voué au Seigneur dans le tabernacle. Moi- même, si vous m’envoyez Pau le, je m’engage à lui servir de maître et de père nourricier. Je la porterai sur mes épaules ; de ma voix tremblante je dirigerai ses premiers balbutiements, et ma gloire sera bien plus grande que celle du philosophe du siècle. Ce n’est point le roi de Macédoine, des- tiné à périr du poison de Babylone ; c’est la servante, la fiancée du Christ, que j’instruirai pour la préparer à la céleste couronne. » Considérez, mes très-chères sœurs en Jésus-Christ, mes compagnes, quel soin un si grand docteur de l’Église prend de l’éducation d’une enfant, quel scrupule dans le choix de ce qu’il considère comme nécessaire à son éduca- tion. Il commence à l’alphabet même. Non-seulement il indique une méthode pour l’épellation des syllabes, rassemblement des lettres, leur reproduc- tion par l’écriture, mais il s’occupe du choix des compagnes d’étude dont le succès doit piquer l’émulation de son élève. Voulant que le travail chez elle soit volontaire et non contraint, et que l’étude l’attache plus vivement à l’étude, il recommande de l’encourager par les caresses, les éloges et les petits présents. Il indique le choix des mots recueillis dans les saintes Écritures sur lesquels elle doit s’exercer à la prononciation, afin qu’ils se gravent dans sa mémoire, suivant le précepte du poète : « Le vase con- serve longtemps le parfum dont il a été une fois pénétré. » Quel maître il faut choisir, il l’indique avec soin, et il n’omet pas de dire que, chaque jour, elle doit avoir à remplir une certaine tâche de lecture qui lui grave les lettres dans la mémoire. Et comme, à cette époque, l’usage des lettres grecques était en vogue à Rome, il ne veut pas qu’elle soit étrangère aux lettres grecques, surtout, j’imagine, à cause de la traduction des livres saints arrivés à nous par les Grecs, et aussi peut-être en vue de la connais- sance des belles-lettres, qui ne sont pas sans utilité pour ceux qui pré- tendent à la perfection du savoir. Mais il place auparavant l’étude de la langue latine : c’est par là qu’il veut que notre éducation commence. Par- venu au moment où l’enfant passe de la prononciation du mot à l’intelli- gence du sens et arrive à se rendre compte des sons qu’il émet, il choisit les divers livres, tant dans l’Ancien et le Nouveau Testament que dans les ouvrages des docteurs, dont l’étude peut être le plus profitable. Entre les saintes Écritures, il recommande les Évangiles, qui ne doivent jamais, selon lui, quitter les mains de la vierge ; il insiste plus sur la lecture de l’Évangile pour les diaconesses que pour les diacres, les uns n’ayant à le lire qu’à l’Église, les autres ne devant jamais cesser de le lire. Enfin, comme il s’adresse à une mère pour sa fille, allant au-devant des excases de 306 MAGISTRl PETRI EPISTOLA AD VIRGINES PARACUTEKSES. diaconis de leclione injungat Evangelica : quum isti in ecclesia illam habeant recitare, illae nunquam ab eorum debeant lectione vacare. Deinde istamatri de filia scribens, ne quam mater excusationem pnctenderet, haec omnia Ronue secularem feminam in tanta hominum frequentia perficere non posse , dat consilium, ut ab isto se onere liberet, monasterio virginum tradat filiam, ubi educari sine periculo, et de his, quae dixit, perfectius instnii possit. Omnem denique occasionem amputans, ne demagislro tandem, qualem ipse descripserat, mater sollicitaretur, puellae Itoma. Hierosolymam, ad aviam scilicet sanctam Paulam et amitam Eustochium missa3, se magistrum pari- ter et nutrilium ofTert. El in tantum, quod dictu mirabile est, erumpit promissum, ut tanlus Ecclesiae doctor etiam senio debilis, dicat se virginem, quasi bajulum ejus, humeris gestare non dedignari. Quod quidem apud suspiciosos non sine suspicione fieri, nec apud religiosos sine scandalo vii contingeret. Ilaec tamen omnia vir Deo plenus, et de integritate vitae omnibus tandiu cognitus, confidenter spondebat : dummodo unam sic instruere virgi- nem posset, ul ipsam cseteris magistram relinqueret, et in ipsam Hierony- mum legeret, qui Hieronymum non vidisset. Ut autem de parvulis ad majores transeamus virgines, quas plurimum semper provocat ad studium litterarum, tam eis videlicet scribendo quae legant, quam eas laudando de assiduitatc legendi vel discendi, quid ad Principiam virginem de psaluio xliv scribens dicat, audiamus1. « Scio me, Principia inChristo filia, a plerisque reprehendi, quod iuterdum scribamad mulieres, et fragiliorem sexum maribus praefcram : ct idcirco debeo primum obtreclaloribus meis respondere, et sic venire ad disputatiunculam quam rogasti. Si viri de Scripturis quaererent, mulieribus non loquerer. Si Barach ire ad praelium voluisset, Debora de victis hostibus non triumphassct. » Et post aliqua : « Apollo, virum aposlolicum, etin legedoctissinuim, Aquilaet Prhcilla crudiunt, et instruunt cum de via Domini. Si doceri a femina non fuit turpe apostolo, mihi quare turpesit, post viros doceri el feminas ? Haec et istiusmodi, *euvoT«fo} filia, perstrinxi brevitcr, ut nec te pceniteret sexus tui, nec viros suum nomen erigeret, in quorum condemnationem femi- narum in Scripturis sanctis vita laudatur. » Juvat post virgines, intucri dc viduis, quantum et ipsae in studio sacra- rum litterarum ipsius testimonio ctlaude prbfcccrint. Scribcns igituridem doctor ad eamdem virgiucm Principiam de vita sanctae Marcellae, sicut illa postulabal, inter virtutum ejus insignia : « Divinarum, inquit, Scripturarum 1 Episit. 90. LETTRE D’ABÉLARD AUX VIERGES DU PARACLET. 307 la mère, incapable de mener une telle éducation au milieu des embarras du siècle et de la foule de Rome, il lui donne le conseil de se décharger de ce fardeau, de placer sa fille dans un couvent de vierges, où elle pourra être élevée sans péril et plus profondément instruite dans toutes les matières qu’il a indiquées. Prévenant enfin toutes les objections, toutes les inquié- tudes sur le choix du maître tel qu’il en a tracé le portrait, il l’engage à envoyer l’enfant de Rome à Jérusalem, auprès de son aïeule sainte Paule et de sa tante Eustochie, et il s’offre lui-même comme maître et comme père nourricier. Oui, chose étonnante, il se laisse emporter à toutes les promesses. Ce grand docteur de l’Église, affaissé par l’âge, est prêt à se faire le père nourricier de l’enfant, il ne rougira pas de la porter dans ses bras. Tendresse qui ne manquerait pas d’éveiller les soupçous de la malveillance et ne pour- rait se produire sans scandale même cbez les religieux. Tout cela cepen- dant, cet homme plein de l’esprit de Dieu et dont la vertu était depuis si longtemps connue de tous, s’y expose pour l’instruction d’une seule vierge, afin de la laisser elle-même comme maîtresse aux autres, et que celui qui n’aurait pas lu Jérôme lût Jérôme en elle. Pour passer des vierges plus jeunes aux plus âgées, qu’il excite sans cesse à l’étude des lettres, tant en leur adressant des conseils qu’en les louant de leur zèle à lire et à apprendre, écoutons ce qu’il écrit à la jeune Principia au sujet du psaume quarante-quatrième : « Je sais, dit-il, Principia, ma fille en Jésus-Christ, qu’on me blâme généralement d’écrire à des femmes, et de préférer aux hommes le sexe faible. Je dois donc commencer par répondre à cette critique ; j’arriverai ensuite â la question que vous me posez. Si les hommes s’occupaient des saintes Écritures, je ne m’adresserais pas aux femmes. Si Darach avait voulu marcher au combat, Del ora n’aurait pas eu à triompher de l’ennemi vaincu. » Et quelques lignes plus bas : c Apollon, un apôtre, très-instruit dans ia loi, reçut des leçons d’Aquila et de Priscilla, qui l’instruisaient dans la voie du Seigueur. S’il n’y a pas eu de honte pour un apôtre â recevoir des leçons d’une femme, quelle honte y aurait-il pour moi, après avoir instruit des hommes, â instruire aussi des femmes ? Voici les raisonnements que j’ai cru devoir résumer, ô ma vénérable fille, pour que vous sachiez bien que vous n’avez pas à regretter d’être de votre sexe, et pour que les hommes ne soient pas si fiers de leur titre, eux à la honte desquels les saintes Écritures exaltent la vie des femmes. » Après avoir parlé des vierges, je veux examiner aussi ce que les veuves ont à gagner à l’étude des saintes lettres, au glorieux témoignage du même maître. Écrivant à la même Principia touchant la vie de sainte Marcelle qu’elle lui avait demandée, voici ce qu’il signale entre ses mérites insignes. Son ardeur pour les Écritures était merveilleuse, et elle chantait incessant- 508 MAGISTRI PETRI EPISTOLA AD VIRGINES PARACLITENSES. . ardor erai incredibilis, scmperque cantabat : < in corde meo nbscondi elo- quia tua, ut non peccem tibi. » Et illud de perfecto vtro : • Et in legc Domini voluntas ejus, et in lege ejus meditabitur die ac nocle, etc. A maa- datis tuis intellexi. » Denique, quum et me Romam cum sanctis pontifici- bus Paulino et Epiphanio, ecclesiastica traxisset necessitas, et verecunde nobilium feminarum oculos declinarem, ita egit, secundum Apostoium, « importune opporlune, » ut pudorem meum sua superaret industria. Et quia alicujus tunc nominis esse existimabar super studio Scriptiirarum, nunquam convenit, quin de Scripturis aliquid interrogaret, nec statim ac- quiesceret, sed moveret e conlrario qiuestiones, non ut contenderet, sed ut quaerendo disceret earum solutioues, quas opponi posse intelligebat. Quid in illa virtutum, quid ingenii invenerim, vereor dicere, ne fidem creduli- tatis excedam, et tibi majorem dolorem incutiam, recordanti quanto bono carueris. Hoc solum dicam, quod quidquid in nobis longo fuit studio con- gregatum, et meditatione diutuma quasi in naturam versum, hoc illa li- bavit, didicit, atque posscdit : ita ut post perfectionem nostram, si in aliquo testimonio Scriplurarum esset oborla contentio, ad illara judicem perge- retur. Et quia valde prudens crat, sic ad intcrrogata respondebat, ut etiam sua non sua diceret, sed vel mea, vel cujuslibet alterius : ut in eo ipso, quod docebat, se discipulam fateretur. Sciebat enim diclum ab Apostolo : « Docere autem mulieri non pcrmilto ; » nc virili sexui, ct iuterdum sacer- dotibus, de obscuris, et ambiguis sciscitanlibus, facere videretur injuriam. Absentiam nostri mutuis solabatur alloquiis, et quod carne non poteramus, Bpiritu reddebamus : sempcr obviare epistolis, superare odQciis, salutatio- nibus pravenire. Non multum perdcbat absentia, quac jugibus sibi litteris jungebatur. In hac tranquillitate, et Domini servitute, haeretica in his prc- vinciis exorta tempestas cuncta turbavit ; el in tantam rabiem concitata est, ut nec *ibi, nec ulli bonorum parceret, et quasi parum esset, hic universa movisse, navem plenam blasphemiarum romano intulit portui, quum vene- nata spurcaque doctrina Romse invenerit, quos induceret. Tunc sancta Mar* cella, quae diu se oohibuerat, ne per semulationem quippiam facere vide- retur, postquam sensit ftdem apostolico ore laudatam in plerisque violari, ita ut sacerdotes quoque, et nonnullos monachorum, maximeque saeculi homines in assensum sui tralieret, ac simplicitati illuderct episcopi, qui de suo ingenio caeteros aestimabat, publicc restitit, malens Deo placere quam homintbust.. Damnationis haircticorum haec fuit principium, dum adducit testes, qui pfius ab eis eruditi, et postea ab hoeretico fuerant cirrore cor- repti, dum ostendit multitudinem deceptorum, dum iinpia moi Wpy^ iu- gerit volumina, qua) eniendata manu scorpii indnstrabantur^ dum acciti LETTRE D’ABÉLARD AUX VIERGES DU PARAGLET. 590 ment : « j’ai enfermé tes paroles au fond de mon cœur, afin de ne pas pécher 001111*6 toi. » Et touchant l’homme parfait : « Sa volonté est dans la loi du Seigneur, et il méditera sur la loi du Seigneur nuit et jour… J’ai compris tes ordres… i Enfin, les devoirs du pontificat m’ayant amené à Rome avec les saints pontifes Paulin et Épiphane, comme j’évitais modestement les re- gards des femmes de noble naissance, elle agit si bien, suivant l’Apôtre, i à contre temps et à temps » que son habileté triompha de ma pudeur. Comme je passais pour avoir alors quelque renom dans la connaissance des Écritures, jamais elle ne me rencontra sans me fairo quelques questions sur les Écri- tures ; et elle ne se tenait point pour satisfaite dès l’abord ; elle opposait .des objections aux réponses, non par esprit de contention, mais pour ap- prendre la solution des difficultés qu’elle comprenait qu’on pouvait opposer. Ce que j’ai trouvé en elle de vertu, d’intelligence, j’ose à peine le faire entendre, dans la crainte de paraître dépasser la mesure des vraisemblan- ces et de rendre votre douleur plus vive en vous rappelant tout ce que vous avez perdu. Je ne dirai qu’un mot : tout ce qu’une longue étude avait amassé en moi, tout ce qu’une méditation profonde avait fait passer comme dans mon âme, elle l’a’connu, appris, possédé ; si bien qu’après notre au- torité, c’était à elle qu’on s’adressait comme juge, dès qu’il s’élevait quel- que discussion sur un texte des Écritures. Et comme elle était très-habile, pour répondre aux questions elle ne se contentait pas de donner ses raisons personnelles, elle reproduisait mes paroles ou celles de quelque autre, en sorte que, méine dans ce qu’elle enseignait, elle se déclarait une simple disciple. Elle connaissait, en effet, les prescriptions faites par l’Apôtre : « Je ne permets pas à une femme d’enseigner, » L’Apôtre ne voulait pas que la femme parût faire injure à l’homme, et surtout aux prôtres, en discu- tant des points obscurs et douteux. Elle se consolait de notre éloignement par un échange de correspondance ; ce que nous ne pouvions nous donner en chair, nous nous le rendions en esprit ; elle ne songeait qu’à écrire la première, à vaincre en bons procédés, à prendre l’avance des salutations. Elle perdait peu par l’absence : un courant perpétuel de lettres supprimait les intervalles. Au milieu de cette tranquillité, tandis qu’elle était paisible- ment vouée au service de Dieu, une tempête d’hérésie s’éleva dans la pro- vince et y jeta le trouble avec un tel emportement de fureur, qu’elle n’y échappa ni elle, ni aucun des gens de bien. Et comme si c’était peu d’avoir tout confondu sur place, l’hérésie introduisit dans le port de Rome un vaisseau plein de renégats qui trouvèrent aisément prise au milieu des doc- trines impures et empoisonnées de la grande ville. Alors sainte Marcelle, qui s’était longtemps contenue, dans la crainte de paraître se lai audivi Didynium : in multis et in gratias ago : LETTRE D’ABÈLARD AUX VIERGES DU PARACLET. 403 et le même docteur n’omet pas de nous l’apprendre. Voici ce qu’il dit, dans la vie de Pau le, parlant de Paule elle-même : « Rien de plus souple que son intelligence. Elle était lente à parler, prompte à entendre. Fidèle ù ce précepte : « Écoute, Israël, et tais-toi, » elle tenait de mémoire les saintes Écritures. Enfin elle voulut que je lusse d’un bout à l’autre avec sa fille le Vieux et le Nouveau Testament, en les commentant. Je m’y refusais par un sentiment de réserve ; je finis par céder à ses instances ; sur ses demaudes réitérées, je consentis à enseigner ce que j’avais appris. Là où j’hésitais et déclarais ingénument que je ne savais pas elle ne me laissait pas tranquille ; et, par ses questions pressantes, elle m’obligeait à indiquer parmi les nombreux et différents sens du texte celui qui me paraissait le meilleur. Je relèverai un autre point qui peut-être pa- raîtra invraisemblable à ses émules. La langue hébraïque que j’ai apprise dès ma jeunesse, non sans beaucoup d’application et de peine, que je n’ai jamais cessé d’exercer, que je n’abandonné pas pour n’en pas être aban- donné, elle voulut l’apprendre et elle y arriva : elle chantait les psaumes en hébreu, et prononçait l’hébreu sans le moindre accent latin. C’est ce que nous trouvons encore aujourd’hui chez sa fille Eustochie. C’est qu’elles savaient l’une et l’autre que la science des livres latins est dérivée des livres hébreux et grecs, et qu’un idiome, quel qu’il soit, ne peut être pleinement rendu dans une langue étrangère par une traduction. Aussi les Hébreux et les Grecs, fiers de la perfection de leur langage, aiment-ils à se railler parfois des imperfections de nos traducteurs. Us disent, sous forme de comparaison, qu’une liqueur transvasée perd nécessairement de sa force, et qu’on n’en retrouve pas dans les derniers vases la même quantité que dans le premier. Ainsi arrive-t-il souvent que, lorsque nous cherchons à iuvoquer quelque témoignage contre les Juifs, ils nous réfutent sans peine. Nous ne connaissons pas l’hébreu, disent-ils ; nos traductions, qui sont inexactes, nous trompent, i Attentives à cette observation, ces femmes si éclairées ne se contentèrent jamais de la connaissance de leur propre langue : elles voulaient être en mesure d’instruire les uns, de réfuter les autres et d’étancher leur soif aux sources les plus pures. C’était Jérôme lui-même, si habile dans ces diverses langues, qui, si je ne me trompe, leur en avait donné l’exemple. Par combien de peines et de travaux il était arrivé à posséder cette perfection d’habileté, il nous l’apprend dans sa lettre à Pammachius et à Océanus. « Quand j’étais jeune, diUil, j’avais une merveilleuse ardeur d’apprendre, et je ne fis pas comme quelques présomptueux, je ne m’instruisis pas par moi-même ; je suivis avidement, à Antioche, les leçons d’Apollinaire de Laodicée ; je fréquentai son école, et tandis qu’il m’enseignait les saintes Écritures, jamais je n’entrai eu contestation avec lui sur le sens d’un texte. Déjà, cependant, ma tête était parsemée de cheveux blancs, et le rôle de maître convenait mieux à mon Age que. celui du disciple. D’Antioche, 404 HAGISTRI PETRI EPISTOLA AD VIRGDiES PARACUTENSES. quod nescivi, didici ; quod sciebam, illo docenle non perdidi. Putabant mc homines finera fecissc discendi : veni rursum Hierosolymam et Belbleheni : quo labore, quopretioBarrabanumnocturaumhabuipraBceptorum ! Timebat enim Judaeos, et mihi se alterum exhibebat Nicodemum. Uomm omnium frequenter in opusculis meis facio mentionem. » Hunc zelum tanti doctoris, et sanctarum feminarum in Scripluris divinis considerans, monui, el incessanter implere vos cupio, ut dum potestis, et matrem harum peritam trium linguarum habetis, ad hanc studii pcrfec- tiouem feramini, ut quscunque de diversis translatiouibus oborta dubitatio fuerit, per vos probalio terminari possit. Quod et ipsc Dominicscrucistitulus hebraice, graece, et laline scriptus non incongrue praefigurasse videtur, ut in ejus Ecclesia ubique terrarum dilatata, harum liuguarum, quse praeini- nent, abundaret doctrina ; quarum litteris utriusque Testamenti compre- hensa est scriptura. Non longa peregrinatione, nou expensis plurimis, pro his linguis addiscendis, opus vobis est, ut beato accidil liieronymo ; quum matrem, ut diclum est, habeatis ad hoc studium sufficientem. Post virgines quoque ac viduas, fideles conjugata ? incitamentum pra> beant vobis doctrinae, ut vel negligentiam vestram arguant, et ardorem augeant. Pnestat exemplum etiam vobis Cclantia venerabilis, quas iu con- regulariter vivere cupiens, legem sibi conjugii praescribi ab ipso eliam jugio quoque Hieronymo sollicite petiit. Unde etipse ad eamdem super hoc rescribens, ita meminit : « Provocatus ad scribendum littcris tuis, diu, fateor, de responsione dubitavi, silentium mihi imperante verecundia. Petis namquc, ct sol- licite ac violenter petis, ut tibi certam ex Scripturis sanctis praefiniamus regulam, ad quam tu ordines cursum vita ; tux : ut cognita Domini volun- tate, inter honores saeculi, et divitiarum illecebras, morum magis diligas supellectilem, atque ut possis in conjugio constituta, non solum conjugi placere, sed etiam ei, qui ipsum induisit conjugium. Gui tam sancta ? petitioni, tamque pio desiderio non satisfacerc, quid aliud cst, quam pro- fectum alterius nou amare ? Parebo igitur precibus tuis, teque paratam ad implendam Dei voluntatem, ipsius nitar incitare sententiis. » Audieral fortassis haec matrona quod in laudem sanctoe Susannae Scrip- • tura commemorat. Quam quum prssmisissel pulchram nimis, et timentem Deum, unde hic timor et veras animae decor prqcederet, statim aimexuit dicens : « Parentes enim illius, quum essent justi, eradierant filiam suam secundem legem Moysi. 0 Gujus eruditionis inter molestias nuptiarum et ss&ularium perturbationes occupationem Susauua non immemor, et morli LETTRE D’ABÉLARD AUX VIERGES DU PARAGLET. 405 néanmoins, j’allai à Alexandrie ; je suivis les cours de Didyme, et j’ai bien des grâces à lui rendre : ce que je ne savais pas, il me l’a appris ; ce que je savais, grâce â lui, je ne l’ai pas perdu. On croyait que j’étais arrivé au terme de mes études : d’Alexandrie, je passai à Jérusalem et à Bethléem ; et que ne m’en coùta-t-il pas, à tous égards, pour avoir, la nuit, les leçons de Barrabas I car il craignait les Juifs. C’était pour moi un autre Nicodème. Je rappelle plus d’une fois tous ces maîtres dans mes ouvrages. ». Considérant le zèle d’un si grand docteur et de ces saintes femmes pour les saintes Écritures, je vous ai engagées, — et je vous prie incessamment de suivre ce conseil, — à vous appliquer à ces hautes études, aujourd’hui que la chose est possible et que vous avez une mère habile dans les trois langues, en sorte que, si quelque discussion s’élève sur des diversités de traduction, vous puissiez vous-même trancher la difficulté. L’inscription de la sainte Croix, rédigée en hébreu, en grec et en latin, me semble une exacte figure de la chose. Elle signifie que la connaissance de ces langues maîtresses doit régner dans l’Église universelle, les .deux Testaments étant écrits dans ces trois langues. Et, pour les approfondir, vous n’avez pas besoin de longs voyages et de grands frais comme saint Jérôme : dans votre mère, je l’ai dit, vous trouvez une maîtresse. Après les vierges et les veuves, les femmes mariées elles-mêmes peu- vent vous être présentées à titre de modèles, soit comme reproche pour votre négligence, soit comme stimulant pour votre ardeur. En effet, elle vous donne aussi l’exemple, cette vénérable Célantia qui, voulant, en état de mariage, vivre suivant la loi, demanda avec instance à saint Jérôme de vouloir bien lui tracer une règle de mariage. Et voici ce que saint Jérôme lui répondit : « J’ai hésité longtemps à répondre à l’appel de vos lettres, je l’avoue : un sentiment de réserve m’imposait le ?ilence. Vous persistez néanmoins, et vous persistez avec les instances les plus pressantes, à me demander de vous tracer, d’après les saintes Écritures, une règle applicable à votre vie. Connaissant la loi de Dieu, vous préférez aux honneurs du monde, aux attraits de la richesse, le trésor de la vertu ; vous voulez pouvoir, en état de mariage, plaire à votre époux et à Celui qui a noué les liens qui vous unissent. STe point donner satisfaction aune demande si sainte, à un désir si pieux, serait-ce autre chose que ne pas aimer le progrès d’autrui ? Je me rendrai donc à vos prières, et puisque vous êtes prête à remplir la volonté de Dieu, je vous prêterai l’encouragement de mes conseils. » Elle connaissait sans doute, cette noble femme, ce que l’Écriture rappelle à l’honneur de sainte Suzanne. Elle était belle, dit l’Écriture ; elle craignait Dieu, ce qui est la source de la vmie beauté de l’âme, et elle ajoute aussitôt : c Ses parents, qui étaient des justes, firent instruire leur fille suivant la loi de Moïse. » Et Suzanne, n’oubliant pas ses études au milieu des soucis du mariage et des désordres du monde, mérita, condamnée â mort, de con- 406 MAGISTRI PETRI EPISTOLA AD VIRGINES PARACLITENSES. adjudicata, ipsos suos judices atque presbyteros damnare promeruit. Quem quidem in Daniele locum ipse Hieronymus exponens, illud quod dictum est : f Parentes illius, quura essent justi, erudierunt filiam suam, etc, i in exhortationis competenter assumens occasionera, ait : « Hoc utendum est testimonio ad cxhortationem parentum, ut doceant juxta legein Dei sermo- nemque divinum non solum filios, sed et filias suas. • Et quia diu me tam litterarum quam virtutum impedire studiaplurimum solent, omnem vobis negligentiae torporem excutiat illa ditissima regiua Saba, quae cum maguo labore infirmi seius, et longae viae fatigationepariter atque periculis, expensisque nimiis, veuit a finibus terrae sapientiam experiri Salomonis, et cum eo conferre quae noverat de his quae ignorabat. Cujus studium et laborcm in tantum Salomon approbavit, ut eipro remuneratione cuncta quae petiit daret, exceptis quae ipse illi ultro more obtulerat regio. Multi viri poteutes ad sapientiam ejus audiendam contluebant, et multi regum et ducum terrae doctrinam ejus magnis muneribus honorabant ; et quum ab eis multa susciperet donaria, neminem eorum super his remu- nerasse legitur, nisi supradictam. feminam. Ex quo patenter exhibuit quantumsanclasfeminaBstudiumetardoremdoctrinaBapprobavit, etquantum Domino ipsum gratum csse censuerit. Quam et postmodum ipse Dominus et Salomon verus, immo plusquam Salomon, ad condemnationem virorum eruditionem suam conlemnentium, non prsetermisit inducere : « Regina, inquit, Austri surget in judicio, et condemnabit generationem istam. » In qua generatione, carissimae, ne vos quoque vestra condemnet negli- gentia, providete. In quo etiam quo minus excusabiles sitis, non est vobis necessarium longi faligationem itineris accipere, nec de magnis expensis pro- videre. Magisterium habetis inmatre, quod ad omnia vobis suificere, tam ad cxemplum scilicet virtutum, quam ad doctrinanr. littcrarum potest : quae non solum latinae, verum etiam tam hebraicae qnam grascae non expers’ litteralurae, sola hoc tempore illam trium linguarum adepta peritiam videtur, quae in omnibus a beato Hieronymo, tanquam singubiris gratia, pncdicatur, et ab ipso in supradictis veuerabilibus feminis maxime cora- mendatur. Tribus quippe linguis principalibus istis duo Testamenta com* prehensa perveucrunt ad nostram notitiam. Quibus etiam linguis titulus dominicae crucis insignitus, hcbraice scilicet, gra ?ce et latine conscriplus, patenter innuit his praecipue linguis dominicam doctrinam et Christi laudes, ipsum Trinitatis mysterium in triperlitam mundi latitudinem, sicut etipsum crucis lignum, cui titulus est superpositus, tripcrlitum fuerattindioanda el eorroboraHda fore. Scriptum quippe est : « Inot^e duorum vel trium testinra LETTRE D’ABÉLARD AUX VIERGES DU PARACLET. 407 damner ses propres juges, les prêtres. Ce passage : « Ses pareuts, qui étaient des justes, instruisirent leur fille, etc., n saint Jérôme le cite dans son livre sur Daniel, et il en prend texte pour une habile exhortation, c Ce texte, dit-il, doit servir à l’exhortation des parents, pour qu’ils fassent instruire et leurs fils et leurs filles, suivant la loi du Seigneur et la parole divine. » Et puisque je me préoccupe tant du développement de vos études et de vos vertus, je veux, pour secouer en vous tout sommeil de négligence, vous citer l’exemple de l’opulente reine de Saba, qui, au prix des plus grandes fatigues pour la faiblesse de son sexe, au prix des peines, des périls d’un long voyage et de dépenses énormes, vint des extrémités de la terre consulter la sagesse de Salomon et s’entretenir avec lui des choses qu’elle ignorait ; zèle et ardeur que Salomon approuva si complètement qu’il lui donna, comme récompense, tout ce qu’elle demanda, sans compter ce qu’il lui avait offert de lui-même, suivant la coutume des rois. Bien des hommes puissants affluaient à sa cour pour entendre les leçons de sa sagesse ; bien des rois et des princes de la terre honoraient sa science des plus riches présents ; et tandis qu’il recevait d’eux de riches offrandes, jamais, lisons-nous, il n’en fit lui-même à personne, sauf à la femme que nous venons de dire. Preuve éclataate de son estime pour le zèle et l’ardeur de la sainte femme, ainsi que de sa propre reconnaissance pour Dieu : cette femme que, dans la suite, le Seigieur lui-même, le vrai Salomon, que dis-je ? celui qui est au-dessus de Salomon, ne craignit pas de mettre en avant pour la condamnation des hommes dédaignant le savoir qu’elle possédait : « La reine de l’Orient se lèvera, dit-il, au jour du jugement, et elle condamnera cette génération ! • Faites, mes très-chères sœurs, que votre négligence ne vous condamne pas avec cette génération. Vous seriez d’autant moins excusables que vous n’avez pas à vous imposer les fatigues d’une longue route ni de grandes dépenses Vous trouverez dans votre mère une direction qui peut suffire à tout, aussi bien poui l’exemple des vertus que pour la lecture des lettres. Elle est experte à la fois et dans la langue latine, et dans la langue hébraïque, et dans la langue grecque. Seule de ce temps, elle possède la connaissance de ces trois langues qui est vantée entre toutes choses par saint Jérôme, comme une grâce singulière, et qu’il recommande particulièrement, ainsi qu’on l’a vu, à des femmes vénérables. C’est en ces trois langues, en effet, que les deux Testaments nous sçnt parvenus. C’est en ces trois langues, latine, grecque, hébraïque, qu’est écrite l’inscription de la croix : ce qui signifie que c’est à elles qu’appartient le privilège de faire connaître et de fortifier dans lésâmes la doctrine du Seigneur, l’amour du Christ, le respect du mystère de la Trinité représentée en trois personnes, de même que le bois de la croix, sur laquelle est l’inscription, est partagé en trois morceaux. Il est écrit, en effet : • Toute parole reposera sut- deux ou trois témoignages. » Et c’est pour 408 MAGISTRI PETRI EPISTOLA AD YIRGINES PARACUTEKSES. stabit omne verbum. » Unde ut trium linguarum auctoritate Scriptura sanciretur sacra, et cujuscunque linguae doctrina duarum aliarum tesli- raonio roborarelur, tribus his linguis Yetus simul et Novum Testamentum divina providentia comprehendere decrevit. lpsum etiam Novum Testamentum, quod (am dignitate quam utilitate Yeteii supereminet, tribusistis linguis primo scriptum fuisse constat, tan- quam id titulus cruci superposilus futurum praesignaret. Quanlam naruque in co Hebneis scripta linguam eorum exigebant : quaedam similiter ex eis Graecis, quaedam Roraanis, propriis eorum linguis, ad quos dirigebantur, scribi necesse fuit. Primumquidem Evangelium secundum Matthaeum, sicit Hebreis, sic hebraice primo scriptum est. Epistolara quoquc Pauli ad \b- braos, et Jacobi ad duodecim tribus jam dispersas, et Petri similiter, et nonnullas fortassis alias eadem ratione constat esse scriplas hebraice. Ad Graicos vero tria Evangelia graece quis dubitet esse scripta, et quascuique epistolas tam Pauli quam caeterorum ad eos destinatas, nec non et Afocdyp- sim ad septem ccclesias a se missas ? Unam vcro ad Romanos scriptam Fauli novimus epistolam,ut parumanobishabere uosLatini gloriemuret quaitum nobis aliorum sunt doctrinae necessariae cogitemus ; quas ad plenum si co- gnoscere studeamus, in ipso fontemagis quam inrivulis translationun per- quircndae sunt :pracsertim quumearum diversas translationesambigtitatem magis quam certitudinem lectori generent. Non enim facile est idioma, id est proprietatem cujuscunque linguae,sicut et suprameminimus, translationem servare, et adsingula fidam interpreta- tionem accommodarc : utquaelibet ita exprimerc possimusin peregrina, sicut dicta sunt in propria lingua. Nam et iu una lingua quum aliquid «ponere per aliud volumus, saepe deficimus, quum verbum proprium quod apertius id exprimcre possit non habeamus. Novimus et beatum Hieronymum apud cos praecipue trium harum linguarum peritum, multum in transiationibus suis, et in commentariis earum a se ipso nonnunquam dissidere. Saepe nam- que in expositionibus suis dicit : « Sic habetur in hebraeo, » quod tamen in translationibus suis, et in commentariis earuma se ipsc nonnunquam dissi- dcre. Sa ?pe naraque in expositionibus suis dicit : «Sic habctur in hebraeo, » quod tamen in translationibus ejus secundumhebraictim, ut ipsemet asserit, factis non repcritur. Quid igitur mirum,sidiversiinterpretesab invicemdis- crepent, si unus eliam nonnunquam a sedissonare invcniatur ? Quisquisergo dc hisccrtus esse desiderat, non sitrontenlus aqua rivuli,scdpuritatemejus dcfonteinquirat ethauriat. Hacc enim ratione ct Iranslaiio beali Hieronymi, quae novissima fuit, et de ipso hebraico vel gncco, prout ipse potuit, tan- quam ab origine fontis diligentius requisivit, vetercs apud nos translationes LETTRE D’ABÉLARD AUX VIERGES DU PARACLET. 400 que la sainte Écriture s’appuyât sur l’autorité de trois langues, et que la doctrine de Tune quelconque des deux fût corroborée du témoignage des deux autres ; c’est dans cette vue, dis-je, que la divine Providence a résolu de mettre dans ces trois langues l’Ancien et le Nouveau Testament. Le Nouveau Testament lui-même, qui est supérieur à l’Ancien, tant en dignité qu’en utilité, fut d’abord certainement écrit dans les trois langues, ainsi que l’inscription de la croix l’avait annoncé. Certaines parties écrites pour les Hébreux exigeaient, en effet, l’usage de leur langue ; d’autres de- vaient nécessairement être rédigées, soit dans la langue des Grecs, soit dans celle des Latins, auxquels elles étaient destinées. Le premier Évangile selon saint Mathieu, étant fait pour les Hébreux, dut d’abord être écrit en hébreu. De même l’épitre de Paul aux Hébreux, celle de Jacques aux douze tribus déjà dispersées, celle de Pierre et quelques autres encore peut-être, furent assurément, pour la même raison, écrites en hébreu. Quant aux trois Évan- giles adressés aux Grecs, qui pourrait douter qu’ils aient été écrits en grec, ainsi que les épitres de Paul et des autres apôtres qui avaient même desti- nation, ainsi que l’Apocalypse envoyée aux sept Églises ? Pour les Romains, il n’y a, que nous sachions, qu’une seule épître qui leur ait été écrite par Paul, ce qui nous doit faire réfléchir sur le peu de vanité que nous devons tirer d’être Latins, et sur le besoin que nous avons des connaissances des autres peuples. Or si nous voulons les posséder, ces connaissances, il faut les chercher à la source plutôt que dans les dérivations des traductions, dont le caractère est de produire le doute plutôt que la certitude. Il n’est pas facile, en effet, ainsi que nous l’avons dit, de conserver dans une traduction le tour particulier, c’est-à-dire ce qui fait le caractère propre d’une langue, d’adapter à chaque mot une interprétation exacte, de trouver, en un mot, dans une langue étrangère des expressions parfaitement équivalentes à celles des autres langues. Même en travaillant sur une seule langue, on manque souvent de terme pour rendre ce que l’on veut dire, et l’on ne trouve pas de mot propre qui soit une traduction claire. Nous voyons que saint Jérôme, autorisé entre tous par son habileté dans les trois lan- gues, est loin d’être toujours d’accord avec lui-même dans ses traduc- tions et dans ses commentaires. Souvent, en effet, il dit dans ses explica- tions : « Tel est le texte hébreu ; » et sa traduction faite sur l’hébreu ne ré- pond pas à ce texte. S’étonnera-t-on après cela que les différents traducteurs ne soient pas d’accord entre eux, quand on voit le même traducteur en dés- accord avec lui-même ? Ainsi quiconque veut avoir quelque certitude sur ces textes ne doit pas se contenter d’une dérivation ; il faut qu’il remonte et puise à la source pure. C’est pour cette raison que la traduction de saint Jérôme, qui est la dernière et qu’il a, de son mieux, tirée exactement de l’hébreu et du grec, comme 410 MAGISTRI PETRI EPISTOLA AD YIRGINES PARACLITENSES. superavit : et supervenientibus novis, sicut inlegescriptumest, veterapro- jectasunt. Unde et Daniel : « Pertransibunt, inquit, plurimi, et multiplexerit scientia. » Fecit Hieronymus suo tempore quod potuit, et quasi solus in lin- gua peregrina, nec fidelem, sed Judaeuni liabens interpretem, cujus auxilio plurimum nitebatur, sicut et ipse te*tatur, multis displicuit, quod transla- tionesjam factas sufficere non credidit : et quia perstilit in proposito, vicit adjuvante Deo, tanquam illud Ecclesiastici attendens et compiens : • Ad fontem unde exeunt flumina revertuntur, ut iterum fluant. » Quasi fons origo translationum Scripturse sunt illae, a quibus ipse fuerit ; et citotrans- lationes, tanquam mendaces, repulsae deficiunt, si ab origine sua deviare, et ad ipsam per concordiam recurrere non probentur. At ne ad omnia unum hunc interpretem sufficere crcdamus, tauquam pe- riliae perfectionem de singulis adeptum, maxime in hebraico, ubi apud uos praeminere dicitur, ipsius super hoc testimonium audiamus, ne plusei quam habeat imputare praesumamus. Scribit super hoc ad Domniouem et Rogatia- num, et contra accusatorem, his verbis : « Nos, qui Hebraeae linguae saltem parvam habemus scicntiam, et latiuus nobis utcunque sermo non deest, et de aliis magis judicare, et ea, quse ipsi intelligimus, in npstra linguapro- mere. » Felix illa anima est, quae in lege Domini meditans die ac nocte, unam- quamque Scripturam in ipso ortu fontis quasi purissimam aquam haurire satagit, ne rivos per diversa discurrentes, turbulentos pro claris per igno- rantinra vel impossibilitatem sumat, et quod biberat evomere cogatur ! De- fecit jamdudum hoc peregrinarum lingnarum viris studium, etcum negli- gentia litterarum, scicntiaperiitearum.Quod inviris amisimus, infeminis recuperemus, el ad virorum condemnationem, et fortioris sexus judicium, rursum rcgina Austri sapientiam veri Salomonis in vobis cxquirat.Cuitauto magis operam darc potestis, quanto in opere manum minus moniales quam mouacbi desudare possunt, et ex otii quiete atque infirmitate naturae faci- liusin tentalioncm labi. Undeet praemissus doctor, iu vestram doctriuam ct cxhortationem praecipuus, tam scriptis quam exemplis laborem vestrum ad studium incitat litterarum : maxime ne occasione disceudi vires unquam ao- ciri necessariura sit, aut frustra corpore intents animus foras evagetur, et, relicto sponso, fornicetur cum mundo. LETTRE D’ABÊLARD AUX TIERCES DU PARACLET. 4H de la source, est supérieure à toutes nos anciennes versions. Des versions nouvelles s’étant produites, comme il est écrit dans la loi, les anciennes ont été rejetées. D’où ce mot de Daniel : a Les hommes passeront, et le trésor de la science grandira. » Saint Jérôme a fait, en son temps, ce qu’il a pu. Seul, pour ainsi dire, et n’ayant point de fidèle interprète pour exécuter ce travail sur une langue étrangère, mais seulement un Juif dont le secours lui a été très-utile, comme il l’atteste lui-même, il s’est attiré plus d’une critique, pour avoir pensé que les versions antérieures ne suffisaient pas. Néanmoins il a persisté dans son dessein, et il a triomphé avec l’aide de Dieu, réalisant et accomplissant ce mot de l’Ecclésiastc : « Les fleuves re- viennent vers leur source pour en découler de nouveau. » Les Écritures sont comme la source dont il est parti. Les traductions tiennent bientôt à être repoussées comme inexactes et à perdre tout crédit, dès qu’elles dévient du texte original, dès que l’on ne voit pas qu’elles y ont remonté pour rétablir l’accord avec lui. Et n’allons pas croire que cet interprète suffise lui-même à to ut.eomme supérieur dans chacune des trois lingues, surtout dans la langue hébraïque où il excellait : écoutons plutôt son propre témoignage qui nous interdit de lui accorder plus de confiance qu’il n’en croit mériter. Yoici ce qu’il écrit, à ce sujet, à Domnion et à Rogatianus, en réponse à un accusateur : « Nous qui avons quelque connaissance de la langue hébraïque, et à qui, dans une cer- taine mesure, la langue latine ne fait pas défaut, nous pouvons mieux juger des textes écrits dans les autres langues et rendre en la nôtre le sens tel que nous l’avons saisi. » Heureuse l’âme qui, méditant nuit et jour sur la loi du Seigneur, peut étancher sa soif des Écritures à la source même comme à une eau limpide, et qui n’est pas exposée, en suivant des dérivations qui se répandent en sens contraire, à prendre, par ignorance et par impossibilité de faire autrement, un breuvage troublé au lieu d’un breuvage pur, et à rendre ce qu’elle a bu I Depuis longtemps, l’élude des langues étrangères a faibli chez les hommes, et, à force de les négliger, on est arrivé à ne les plus comprendre. Ce que nous avons perdu chez les hommest que les femmes nous le rendent ; que, pour la condamnation des hommes et le jugement du sexe fort, la reine de l’Orient retrouve en vous la sagesse de Salomou. Vous pouvez donner à l’étude d’autant plus de soin que les religieuses ont, moins que les religieux, à s’a- donner aux travaux manuels, et que le repos de l’oisiveté, non moins que la faiblesse du sexe, vous expose à tomber plus facilement en tentation. Aussi le grand docteur que j’ai cité, ce maître si autorisé à vous guider de ses lumières et de ses exhortations, dirige-t-il votre application vers l’étude des lettres par ses conseils non moins que par ses exemples. Il veut qu’ayant un sujet d’apprendre, vos forces ne soient pas sollicitées d’un autre côté ; il craint que, au milieu des occupations du corps, l’âme ne s’échappe, et, in- fidèle à son céleste époux, ne s’abandonne au commerce impur du siècle. HELOISSjE PARACLITENSIS PROBLEMATA cnx MAGISTRI PETRI ABjELARDI SOLUTIONIBOS EPISTOLA HELOISS^ AD ABJ2LARD0M Beatus Hieronymus sanctae Marcclla ? studium quo tota fervebat circa quae- stiones sacrarum litterarum maxime commendans, ac vehcmenter appro- bans, quantis eam supcr hoc prseconiis lauduin cxtulerit, veslra melins prudentia, quam mea simplicitas novit. De qua, quum in epistolam Panli ad Galatas commentarios scriberet, ita in primo memiuit libro : « Scio qui- dem ardorem ejus, scio fidem, quam flammam habeat in pectore, superare sexum, oblivisci homines et divinorum voluminum Hympano concrepare, Rubrum hoc sseculi pelagus transfretare. Gerte quum Romae essem, nunquam tam festina me vidit, ut de Scripturis aliquid interrogaret. Nequo vero, more pythagorico, quidquid responderem rectum pntabat, nec sine ratione prajudicata apud eam valebat auctoritas ; sed examinabat omnia, et sagaci mente universa pensabat, ut me sentircm non tam discipulam habere quam judicem. » Ex quo utique studio in tantuni eam profecissc noverat, tit ipsam caeteris eodem studio discendi ferventibus magistram praeponeret. Unde et ad Principiam virginem scribens, inter caetera sic meminit documenta : « Ilabes ibi in studio Scripturarum et in sanctimonia mentis et corporis Marcellam et Assellam ; quarum altera te pcr prata virentia et varios divino- rum voluminum flores ducat ad cum, qui dicit in Cantico : « Ego flos campi, ct Hlium convallium ; i altera, ipsa flos, Domini tecum mcreatur audirc : « Ut iilium in medio spinarura, sic proxima mea in medio filiarum. » QUESTIONS D’HÉLOISE ET RÉPONSES D’ÀBÉLARD LETTRE D’UÉLOlSE A ABÉLARD Quels éloges le bienheureux Jérôme accorde à sainte Marcelle, combien il l’exalte, en approuvant, en recommandant avec une force particulière le zèle dont elle était enflammée pour l’élude des Écritures, votre sagesse le sait mieux que ma simplicité. Voici, en effet, comment il en parle dans ses commentaires sur l’épître de saint Paul aux Galates : « Je connais son ardeur, sa foi, le feu qui la dévore, son ambitiou de s’élever au-dessus de son sexe, d’effacer les hommes, de faire retentir le tambour des saintes Écritures, de franchir la nier Rouge du siècle. Oui, du temps que j’étais à Rome, jamais elle ne m’aperçut sans accourir pour me poser quelques questions sur les Écritures. Et elle ne prenait pas toute réponse comme bonne, à la manière des pythagoriciens ; l’autorité ne prévalait pas auprès d’elle sans raisons préalables ; elle examinait tout, se rendait compte de chaque chose avec beaucoup de finesse, si bien que je sentais en elle moins un disciple qu’un juge. » Et il avait reconnu qu’elle avait, par cette application, tant profité, qu’il la donnait comme maîtresse à tous ceux qui brûlaient de la même ardeur d’étude. C’est ainsi que, dans une lettre à la vierge Principia, entre autres conseils, il lui dit : i Vous avez, pour l’étude des saintes Écritures, pour la chasteté du corps et de l’âme, d’excellents modèles en Marcelle et Àsella : l’une vous conduira par des prairies verdoyantes et a travers les parterres de fleurs* des livres divins, à celui qui dit dans le Cantique : « Je suis la fleur des champs et le lis des vallées ; » l’autre, fleur du Seigneur elle-même, méritera d’entendre avec vous : « Comme le lis au milieu des épines, ainsi ma fille bien-aimée est au milieu de mes filles… * 414 PROBLEMATA GUM RESPONSIONIBUS. Quorsum autem ista, dilecte multis, sed dilectissime nobis ? Noo sunt haec documenta, sed monita : ut ex his quid debcas recorderis, et debitnm solvere non pigriteris. Ancillas Christi, ac spiritales filias luas in oratorio proprio congregasti, ac divino mancipasti obsequio ; divinis nos iulendere verbis, ac sacris leclionibus operam dare, plurimum sempcr exhortari con- suevisti. Quibus saepius in tantum Scripturse sacradoctrinamcommeudasti, ut cam animse speculum diceus, quo decor ejus vel deformitas coguoscatnr, nullam Christi sponsam hoc carere speculo permittehas, si ci, cui se devo- verit, placere studuerit. Addebas insuper, ad exhortationem nostram, ipsam Scripturae lectionem non intellectam, esse quasi speculum oculis non viden- tis appositum. Quibus quidem monitis tam ego quam sorores nostrae plurimum inci- tatae, tuam in hoc quoque quod possumus implentes obedientiam, dum huic operam sludio damus, eo videlicet amore lilterarum correptae, de quo predictus doctor quodam loco meminit : « Ama scientiam Scriptura- rum, etcarnis vitia non amabis,» multis quacstionibus perturbata3, pigriores eflicimur inlectionc ; et quoil in sacris verbis magis ignoramus, minusdili- gere cogimur, dum infructuosum laborem sentimus, cui operam damus. Proinde quaestiunculas quasdam discipulae doctori, filiae patri destinantes, supplicando rogamus, rogando supplicaraus, quatcnus hicsolvendis inten- dere non dedigneris, cujus hortatu, immo et jussu, hoc praxipue studium aggressie sumus. Inquibus profccto quaestionibus, nequaquam ordinem Scri- pturse tenentes, prout quotidie nobis occurrunt, eas ponimus et solvendas dirigimus. PROBLEMA HEL0ISS/B I. Quid est quod Dominus in Evangelio Joannis de Spirilu, quem missurus erat, promittit dicens : « Et quum venerit ille, arguet mundum de peccato, et de justitia, et de judicio : de peccato quidem, quia non crediderunt in me ; do justitia vero, qui ad Patrem vado, et jam non videbitis me ; de judicio autem, quia princeps mundi tiujus judicatus ? » Solutio Aboelardi. Arguet per apostolos, quos rcplcbit, non unam parlem mundi, scd totum ; dc peccato scilicet perseverante vel retento ab hominibus, propter hoc, quia non credideruut in me. Arguct dejustitia, scilicetper meipsum prassentem oblata, et non susccpta tuuc quuui prasens cssem, quem jam recupcrare non possunt eunteni ad Patrcm, ct jam ultra hic non videndum. De judicio QUESTIONS DHÊLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 415 Pourquoi tout cela, ô maître cher à tant de cœurs, mais à nul plus qu’au nôtre ? Ce n’est pas une leçon, c’est un avertissement. Je veux vous rappe- ler ce que vous avez promis, et vous inviter à payer votre dette. Vous avez réuni dans un temple à vous les servantes du Christ, vos tilles spirituelles, vous les avez soumises au joug du Seigneur ; vous avez pris l’habitude de nous exhorter à nous appliquer à l’intelligence de la parole divine, à nous livrer à la lecture des saints livres ; vous nous avez recommandé l’étude des Écritures, disant qu’elles étaient comme le miroir de l’âme, où chacun pouvait juger de sa laideur ou de sa beauté ; aucune épouse du Christ, à tous entendre, ne doit négliger ce miroir, pour plaire à celui auquel elle s’est donnée. A ces exhortations, vous ajoutiez que lire l’Écriture, sans en bien pénétrer le sens, c’était mettre un miroir sous les yeux d’un aveugle. Sensibles à ces avis pressants, et en cela comme en tout le reste faisant de notre mieux pour accomplir envers vous les devoirs de l’obéissance, nous avons été saisies, nos sœurs et moi, de cet ardent amour des lettres dont le docteur que je cite a dit : « Aime la science des Écritures, et tu n’aimeras pas les vices de la chair. » Mais, troublées dans cette étude par un grand nombre de difficultés, notre zèle s’est ralenti. Les obscurités que nous ren- controns dans l’intelligence des saintes Écritures nous en détachent, sentant que notre peine est stérile. Nous venons donc, comme des disciples à leur maître, comme des filles à leur père, vous adresser quelques petites ques- tions, et nous vo\is demandons en suppliant, nous vous supplions en deman- dant, de ne pas dédaigner de vous appliquer à les résoudre, vous sur les avis, sur l’ordre duquel nous les avons abordées. Nous ne suivrons pas dans l’énumération de ces questions Tordre des Écritures : nous en poserons les termes et nous en solliciterons la solution, au jour le jour, comme elles viendront. PREMIERS QUESTION li’HÉLOlSE. Pourquoi le Seigneur, dans l’Évangile de saint Jean, sur l’Esprit saint qu’il allait envoyer sur la terre, fait-il celle promesse : « Et, lorsqu’il sera venu, il accusera le inonde au sujet du péché, de la justice, du jugement ; au sujet du péché, parce qu’ils n’ont pas cru en moi ; au sujet de la justice, parce que je vais à mon Père et que vous ne me verrez plus ; au sujet du juge* ment, parce que j’ai été jugé comme roi de ce monde ? » Réponse d’Abélard. 11 accusera, par les apôtres qu’il remplira de son esprit, non pas une partie du monde, mais le monde entier, au sujet du péché demeurant chez les hommes, cl retenu par eux parce qu’ils n’ont pas cru en moi. H les accusera, au sujet de la justice, c’est-à-dire de la justice que je suis venu leur offrir, qu’ils n’ont pas su prendre pendant que j’étais sur terre, mais qu’ils ne peuveut plus rappeler, et qu’ils ne reverront plus, aujourd’hui que 416 PROBLEMATA GUM RESPONSIONLBDS. scilicet pracedentium, in quo erant, hoc est peocati sive justitiae : cum ea videlicet quae reos vel justos faciunt in operibus magis quam in intentione constituant, et raerita non tam secundum animum, quam secundum ope- rationem dijudicent, sicut maxime Judsei faciunt, ncminem arbitrantes damnari, quidquid velit, dummodo illud opere nui compleat. Unde ct Aposlolus ad Rom&os : « Israel, inquit, sectando legem justitiac uon perve- nit. » Quare ? Quia non ex fide, sed quasi cx operibus. Quamvis ergo lex con- nupiscenliam quoque interdicat, non tamcn hoc peccalum esse lantuui arbi- trantur, ut ad damnationem sufnciat. Quem quidem errorem arguendum csse Dominus nunc dicit, ex eo quod princeps hujus mundi judicatus est. Ipse quippe diabolus, qui carnalibus et amatoribus mundi dominatur, cl totius auctor est et origo peccati, non de hoc quod fecerit, sed quod prasu- mendo voluerit, statim damnatus tam graviter corruit. PROBLBMA HELOISS£ II. Quid est illud in epistola Jacobi : « Quicunquc autem totam legem serva- verit, oflendat autem in uno, factus est omnium reus. Qui enim dixit : noti moechaberis, dixit et : non occides. Quod si non moechaberis, occides autem, factus es trangressor legis ? » Solutio Abcelardi. Omnia simul legis pracepta, non singula sunt lex ipsa. Qui ergo totam legem practer unum mandatum custodierit, ftt rcus omnium : hoc est, ex co damnandus est, quod non omnia custodit prrecepta, quae simul, ut dic- tum est, accepta, sunt lex ipsa. Ac si aperte dicat : quamvis impletor legis ncmo esse possit, unum ejus observando mandatum ; transgressor tamen legis efficitur, si vel unum ejus transgrediatur praceptum. Unde et statim Apostolus exponeus quod dixerat : « Omnium reus, subjecit, factus est transgressor legis, » ex eo videlicet quod unum pratermisit praceptum, quod sque, ut caetera, fuerat injunctum. Alioquin ex eo quod subjungit : « Qui enini dixit : non moechaberis, etc, » nequaquam comprobaret illud pramissum, « factus est omnium reus. » Quum igitur ait : « Qui enim dixit, etc, » (ale cst, ac si diceret : ideo recte dixi, quia unum transgre- dicndo, factus est omnium reus : hoc est, ex hoc damnandus est, quia nou omuia scrvando, Deum contempsit. Quia ipse Dominus, qui Icgcm tradidit, tam hoc mandatum, quam illud observari jussit : hoc cst, omnia, non aliquod unum ex omnibus. Ac per hoc sicut transgressor fit legis, vel unum QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 417 je vais à mon Père. Il les accusera au sujet du jugement, c’est-à-dire du péché dans lequel ils étaient précédemment plongés, et de cette justice au nom de laquelle ils approuvent ou’ condamnent les actes plutôt que les intentions, et estiment les mérites moins d’après la pensée que d’après les œuvres, à l’exemple des Juifs qui ne condamnent aucune résolution, quelle qu’elle soit, qui n’a pas été exécutée. Ce qui fait dire à l’Apôtre, dans son épitre aux Romains : « Israël, en suivant la loi de la justice, n’est pas arrivé à la loi de justice. » Pourquoi ? Parce que ses jugements ont pour base non la pensée, mais les œuvres. Par exemple, bien que la Loi interdise la concupiscence, ils ne considèrent pas que ce soit un péché suffisant pour mériter la damnation. C’est cette erreur dont le Seigneur veut avertir qu’elle sera condamnée, quand il dit qu’il a été jugé comme ro du monde. Le diable lui-même, le roi des hommes voués à la chair et attachés au monde, l’auteur et la source du péché, a été condamné et précipité dans les enfers, non à cause de ce qu’il a fait, mais à cause de ce qu’il a eu l’intention de faire. DEUXIÈME QUESTION d’hÉLOÏSE. Que signifie ce passage de l’épUre de saint Jacques : « Quiconque observe l’ensemble de la loi et la viole sur un seul point, est aussi coupable que s’il la violait tout entière. Car celui qui a dit : tu ne seras point adultère, a dit aussi : tu ne tueras point. Si donc tu ne commets point d’adultère, mais que tu tues, tu seras transgresseur de la loi ? » Réponse d’Abélard. La loi est l’ensemble de tous les commandements, et non l’un quelconque d’entre eux. Celui donc qui observe toute la loi, sauf en un point, est cou- pable comme s’il la violait tout entière, c’est-à-dire qu’il doit être condamné pour n’avoir pas observé tous les commandements, qui, je le répète, for- ment l’ensemble de la loi. En d’autres termes : bien qu’on n’accomplisse pas la loi pour en accomplir un seul commandement, on en devient le transgresseur, pour en transgresser un seul commandement. De là le déve- loppement donné par l’Apôtre à sa pensée. Il viole la loi tout entière, celui qui la transgresse sur un point, pour avoir manqué à un commandement qui lui était imposé comme tous les autres. Et quand il ajoute : celui qui a dit : tu ne commettras point d’adultère, ce n’est pas une confirmation de la prémisse : il viole la loi tout entière. Ce qu’il veut dire, c’est qu’en transgressant la loi sur un seul point, il s’est rendu coupable de la violer tout entière, c’est-à-dire qu’il doit être condamné pour avoir manqué de respect envers Dieu, en n’observant pas tous ses commandements. Dieu, en effet, qui a donné la loi, a prescrit tel commandement autant que tel autre, c’est-à-dire qu’il les a tous prescrits, et non un quelconque d’entre eux. On devient donc transgresseur de la loi, eu la transgressant sur un seul «7 418 PROBLEHATA CUH RESPONSIOMBUS. transgrediendo praeceplum, ita fit reus omnium, sicut est exposituiD, ex hoc etiara damnandus, quod non omnia compleverit. riiOBLEVA HELOlSSf 111. Quid est quod saepc Dominus ab aliquibus interrogatus, respondens illis sigillatira dicat : « Tu dixisti, » vel : « Tu dicis, » noniiunquam etiam plu- ribus simul interrogantibus respondeat : « Yos dicilis, » tauquam hoc eos dixissc asscreret, quod quasi dubitantes quacrebant ? Sic quippe Judae inter- roganti : « Nunquid ego sum, Rabbi, qui te scilicet sum traditurus ? » res- pondit : « Tu dixisti. » Et intcrrogalus a poutificc, an sit filius Dei, similiter respondil. Populo etiam quaereuti : « Si tu es Christus, dic nobis palam ; » vel : « Tu ergo es filius Dei ? » respondit : « Yos dicitis, quia ego sum. » Denique et a preside, id est Pilato, inquisitus an sit rex Judrcorum, respon- dit : « Tu dicis quia rex sum ego. » Quaj profecto respousiones non imme- rito dubitationem excilare videntur. Qni enim quaerit utrum hoc sit, vel illud, nequaquam enuntiando dicit quod hoc sit vel illud ; sed quasi dubi- tando quaerit utrum ita sit. Solutio Abtelardi. Rcvera difficilem vel prorsus insolubilem h« responsiones Domini move- rent quaestionem, si quod Dominus ait : « Tu dixisti, » vel : « Yos dicitis, » \el : « Tu dicis, » ad pnccedentium interrogationum verba referrct, ut in cis scilicet hffic dicta fuisse asscrcret, quod nequaquam convenit. Quum ergo Judae interroganti, an ipse sit, qui eum tradat, respondit : « Tu dixisti, »po- tius quam :« Tu dicis, » ad pactum illud respexit, quod jam ille cum Judaeis inierat promittens se illis eum tradere cupiditate promirae pecunise. Quod vero principi sacerdotum iuterroganti an Christus sit filius Dei, respondit : « Tu dixisti, » sic est accipiendum, quod ille, qui eo tempore Christura, quem videbat, esse filium Dei negabat, saepius olim legem ac prophetas re- citando id confcssus fuerat. Quum autcm Judseis interrogantibus an sit Christus, vel an sit filius Dei, respondit : « Yos dicitis, » verbo scilicet pra> sentis temporis utens adcos sicul et adPilatum,praesenterajam adessediem significat, in quo id fateantur. Ubi cnim illudenles ei dicebaut : « Prophe- tiza, Christe, quiscst qui tepercussil ? » vel : « Ave, rex Judaeorum ! » eum profecto Cbristum esse, hocest unctum, quacunque intenlionc lestabantur, in hoc fortassis prophetiam Caiphx imitantes dicentis : « Expedit vobis ut unus morialur homo, et non tola gens pereat. » Scd ct turbae testimonio eum cum ramis palmarum suscipientis ipse et filius David esl, juxta Mat- thaeum : et in ipso regnum David vcnil, secundum Marcum : et bcnedictus QUESTIONS DHÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉURD. 419 point. On est coupable de la violer tout entière, et par là même condam- nable, pour ne l’avoir pas tout entière observée* TROISlèMB QUESTION Ii’hÉLOÏSB. Pourquoi le Seigneur répond-il souvent aux questions qui lui sont posées par quelqu’un de ses disciples : « Tu Tas dit, » ou « tu le dis. » et quelquefois même, lorsque plusieurs l’interrompent à la fois : « Vous l’avez dit », comme s’il voulait montrer qu » ceux qui l’interrompent affirment eux- mêmes ce qu’ils ont l’air de mettre en doute par leur question ? C’est ainsi qu’à 1« question de Judas : « Maître, est-ce moi qui dois te livrer ? » il répond : c Tu l’as dit. » C’est dans des termes semblables qu’il répond au prêtre qui lui demande s’il est le fils de Dieu. Au peuple même qui lui pose cette question : « Si tu es le Christ, dis-le ouvertement, » ou : « Es-tu le Christ ? » il répond : i Vous le dites, je le suis. » Enfin, quand le prési- dent Pila te, lui demande s’il est le roi des Juifs, il répond : c Tu le dis, je suis roi. » Ces réponses ne laissent pas de provoquer quelque doute. En effet, celui qui demande si telle chose est ceci ou cela, ne dit pas, en énon- çant la chose, que ce soit ceci ou cela ; il demande ce qu’elle est, comme un homme qui est en peine. Réponse d’Abélard. Ces réponses du Seigneur seraient effectivement de nature à soulever une question difficile et tout à fait insoluble, si, quand le Seigneur répond : f Tu l’as dit, » ou i vous le dites, » ou c tu le dis, » sa réponse se rapportait aux termes de la question, en sorte qu’il eût l’air de déclarer que la réponse est comprise dans la question. Il n’en peut être, et il n’en est point ainsi. Quand donc, à la question de Judas, si c’est lui qui doit le livrer, il répond : i Tu l’as dit, i et non t tu le dis, * il fait allusion au pacte par lequel Judas s’était engagé vis-à-vis des Juifs à le livrer pour une somme d’argent. Au prince des prêtres, lui demandant si le Christ est fils de Dieu, il répond : • Vous l’avei dit, » c’est-à-dire que lui, qui niait alors que le Christ qu’il voyait fût le fils de Dieu, il avait reconnu auparavant et plus d’une fois qu’il était tel, en récitant la loi et les prophètes. Aux Juifs qui lui demandent s’il est le Christ ou s’il est le fils de Dieu, quand il répond : c Vous le dites, • sous la forme d’un temps présent, il fait entendre, comme dans sa réponse à Pilate, que le jour est proche oh ils le reconnaîtront. Et lorsque, se mo- quant de lui, ils disaient : r Prophétise, Christ, qui est-ce qui t’a frappé ? » ou bien : t Salut, roi des Juifs ! » ne drôlataicut-ils pas qu’il était le Christ, c’est-à-dire l’oint du Seigneur, imitant en cela la prophétie de Caïphe : « D convient qu’un seul homme meure, et que le peuple tout entier soit sauvé ? • Au témoignage de la foule elle-même, qui le suivait avec des rameaux de palmier, il est le fils de David ; selon saint Mathieu, le royaume de David est venu avec lui ; selon saint Marc, béni est le roi qui est venu ; suivant saint 420 PROBLEHATA CUH RESPONSIOMBUS. est rexqui venit, secundumLucam ; et denique, secundum Joannetn, bene- diclus qui venit in nomine Domini rex Israel. Quod nequaquam isti, per illusionera, sicut supradicti, sed ex fide dice- bant. Tale est ergo quod Judaeis ait : «Vos dicitis, » ac si diceret : multi adhuc inter vos sunt, qui hoc non solum ore proferant, sed et corde teneant. Etsi enim illi qui hoc interrogabant, nequaquam id diccreut, vel crederent, quum tamen dixit : « Vos dicitis, » non ad personas illas, quaeaderanl, sed ad populum ipsum respexit. Sic et alibi quum ait Judseis de Zacharia : c Quem occjdistis intertemplum et altare, » nequaquam de illis, qui (unc erant, Judaeis, sed de populo ipso, de quo erant, accipiendum est. Sic et Josuc quum dicitur ftlios lsrael secundo circumcidisse, non hoc in eisdem perso- nis, sed in eodem populo constat eum fecisse. Legimus quoque in hoc die Passionis, quod centurio, et qui cum eo erant custodientes Dominum crucifixum, quum expirasset, et viderent velum templi scissum, et terrae motum, et monumenta aperta, dixerunt : t Vere filius Dei erat iste. » Et omnis turba eorum, qui simul aderaut ad specta- culuin istud,et videbantquaefiebant, percutienles pectora sua revertebautur. Tale est crgo, nt diximus, quod Judacis quaerentibus, an esset filius Dei, respondit : « Vos dicitis ; » hoc est, jam praesens dies vel tempus adest, iii quo idde me confiteamini. Similiter Pilato quaerenti, an sit rex Judaeorum, respondit : « Tu dicis, » potius quam : « Tu dixisti. » Homo quippe gentilisprophetiasiguorabat,nou ea legerat verba, ubi Ghristus fuerat promissus, et regnum ejus proplietatum juxta illud : c Et regni ejus non erit finis ; » vel illud : « Dicite, filiae Sion, ecce Rex tuus venit ; » quod lamenipso die Pilatus saepius verbis asscruit,et in ipso titulo crucis scripto confirmavit. Ut enim Mattbaeus meminit, Judaeis ait : « Vultis dimittam vobis regem Judaeorum ? » et iterum : « Regem ves- trumcrucitigam ? » Qui etiam quum superius quaesisset a Domino : « Tues rex Judaeorum ? » et ille respondisset : « A temetipso hoc dicis, an alii tibi dixerunt de me ? » Rursum ait Pilatus : « Nunquid ego Judaeus sum ? Gens tua et pontifices tradiderunt te mihi. » Ecce quoties et quam manifeste Pi- latus eum regem profiteatur Judaeorum, et ipsum populum Judaeorum gen- tem ejus appellet : cui quum Dominus dixerit : «*A temetipso hocdicis, » elc, tale est ac si diceret : quaeris hoc pro te ipso ut veritatem cognoscas, an dolo Judaeorum, lanquam unus ex ipsis, ut me interficiendi occasionem hinc sumas ? Denique et titulum Pilatus scribens, hoc quod dixerat verbis, scripto confirmavit trium linguarum, ut ab omnibus Hierosolymam convenientibus QUESTIONS D’HÉLOÏSE ET RÉPONSES D’ABÉURD. 421 Luc, et, enfin, selon saint Jean, béni est celui qui est venu au nom du Sei- gneur roi d’Israël. Quand donc les Juifs tenaient ce langage, ce n’était point par ironie ; ils croyaient à ce qu’ils disaient. Eu leur répondant : « Vous le dites, » c’était comme s’il eût dit : il en est plus d’un parmi vous qui tient ce langage, non du bout des lèvres, mais du fond du cœur. En effet, si ceux qui l’interro- geaient ne disaient pas la chose, ou ne croyaient pas à ce qu’ils disaient, en répondant : « Vous le dites, » ce n’est pas à eux personnellement, c’était au peuple tout entier qu’il s’adressait. Quand il dit ailleurs aux Juifs, au sujet de Zacharie : « Celui que vous avez tué entre le temple et l’autel, » cela se doit entendre comme applicable, non à ceux des Juifs qui étaient là, mais au peuple tout entier dont ils faisaient partie. C’est ainsi qu’évidemment, lorsqu’on parle de la deuxième circoncision des fils d’Israël par Josué, il ne s’agit plus des mêmes personnes, mais du même peuple. Nous lisons encore qu’au jour de la Passion, le centurion et ceux qui gardaient avec lui le Seigneur crucifié, voyant, au moment où il rendit l’âme, le voile du temple déchiré, la terre trembler, les tombeaux s’ouvrir, s’écriè- rent : « 11 était vraiment le fils .de Dieu. » El tous ceux qui assistaient au même spectacle et voyaient ce qui s’accomplissait s’en retournaient se frap- pant la poitrine. Lors donc qu’aux questions des Juifs : s’il est le fils, de Dieu, il répondait : « Vous le dites, » cela signifiait : le temps, le jour est proche où vous le reconnaîtrez pour tel. C’est dans le même sens qu’à la question de Pilate : êtes-vous le roi des Juifs ? il répond : c Vous le dites, f et non : « Vous l’avez dit. » Le gentil ignorait les prophéties, et n’avait pas lu les paroles où le Christ avait été promis et son règne annoncé, suivant le passage des prophètes : • Et son royaume n’aura pas de fin ; ou encore : « Chantez, filles de Sion, voici votre Roi qui est venu. » Mais il le reconnut ce jour-là même, en propres termes, ainsi que le confirme l’inscription de la croix. En effet, suivant le récit de saint Mathieu, il dit^aux Juifs : « Voulez-vous que je mette en liberté le roi des Juifs ? » et encore : « Crucificrai-je votre roi ? » Et plus haut, comme il demandait à Notro-Seigneur : c Es-tu le roi des Juifs ? » et qu’il eût répondu : « Vous le dites de vous-même ; d’autres vous l’ont-ils dit de moi ?» il reprit : « Ne suis-je pas Juif, moi aussi ? c’est ton peuple, ce sont les prêtres qui t’ont livré à moi. » Ne voit-on pas combien de fois et avec quelle clarté Pilate le nommait roi des Juifs et appelait le peuple tout entier le peuple des Juifs fQuand donc le Seigneur lui dit : « Vous le dites de vous-même, » c’est comme s’il disait : demandez-vous cela pour connaître la vérité ou par une ruse des Juifs, comme l’un d’eux, et pour en prendre prétexte de me mettre à mort ? Enfin Pilate, en rédigeant l’inscription, confirme par écrit, en trois lan- gues, ce qu’il avait dit. Tous ceux qui étaient réunis à Jérusalem pouvaient 422 PROBLEMATA CUM RESPONSIONIBUS. legi posset, et verus intelligi rei Jud&orum.Erat quippe scriptum : « Jesus Nazarenus, rex Judseorum. » Ubi quidem quum adjecit :« Nazarenus, » di- Hgenter hunc Jesum distinxit a caeteris, qui in antiquo populo, boc quoque nomine, non tam proprie quam nuncupative fuerant insigniti : utpotc Josue, Jesus sacerdos, vel Jesus filius Sirach. Dc hoc autem honoretituli.ponlifices Judaeoi um vehementer indignati lanquam in damnationem suam conscripti qui regem proprium crucifixi^sent, dixerunt Piiato : « Noli scribere regem Judseorum, sed quia ipse dixit, rex sum Judaeorum. » At vero quoniam pro- phetatum fuerat : « Ne corrumpas David in tituli inscriplione, » lauquam hoc ad se diclum Filatus intendcret, respondit : « Quod scripsi, scripsi. » Tanquam si diceret : quod scribendum providi ane ulla correptionis retrao- tatione firmavi ; tanquam in ejus mente hoc scriptum primitus esset, qnod secundo litteris exhiberet. Haec ergo geminatio veibi :« Quod scripsi, scripsi, » perseverantiam vel incommutabilitatero significal facti,sicut illud :« Euntes ibant. » PROBLEMA HBLOISSJS IV. Quomodo stare potest quod Domiuus Judaus signa quaereutibus respondit de tempore sepulturse suse : « Sicut fuit Jonas in ventre ceti tribns diebus et tribus noctibus, sic erit ct filius hominis iu corde terrae tribus diebus et tribus noctibus ? » Constat quippe Dominura sexta feria de cruce depositum esse sepultum,et sabbato quievisse in sepulcro, et sequenti nocts dominicae diei resurrexisse quarta vigilia. Unde certum est per unam tantum integram noctcm prsecedentcm sabbatum, et per integram ipsius sabbati diem eum in sepulcro fuisse, quem quarla vigilia noctis Hieronymus In Epistolam ad Galatas dicit resurrexissc. Solvtio Abcelardi. Quod ait Dominus : « Tribus diebus et tribus noctibus, » non est accipien- dum, quod per tres dies integros et noctes ibi fuerit : scd quod in tempore contincnte tres dies cum noctibus suis sepultus quieverit. Unde et bene quum dicitur : « Tribus diebus et tribus noctibus, » adjunctum cst, « sicut Jonas, » quem tcrtio die piscis evomuit in aridam ; ac per hoc, per unam tautum noctem intcgram, et unum tantum integrum diem in venlre ceti fuerit. Tempus itaque continens tres dies cum noctibus suis, accipe a prin- cipio noctis parasccvem sequeutis usquc ad finem dominicse diei : et invenies in illo temporis spalio, quamvis non per totum tempus, Dominum tribus diebus et tribus noctibus j.icuisse in sepulcro. Non enim quod in tempore aliquo fit per totum illud tempus fieri necesse est. Fortassis et quod dicitur : « In corde terne, » non tam de sepultura QUESTIONS DHÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 433 lire et voir qu’il était le vrai roi des Juifs ; car l’inscription portait : Jésus de Nazareth, roi des Juifs. En disant « de Nazareth, 1 il voulait distinguer ce Jésus de tous ceux qui, jadis, avaient pris ce titre, moins comme nom que comme surnom : tels Josué, le prêtre Jésus, et Jésus, fils de Sirach. Vive- ment indignés de l’hommage contenu ^kns cette inscription, qui semblait les accuser d’avoir crucifié leur propre roi, ils dirent à Pilate : «Veuillez ne pas mettre roi des Juifs, mais ainsi qu’il l’a dit ye suis roi des Juifs. » Mais il avait été prophétisé : « Ne gâtez pas David dans l’inscription, » et, comme si Pilate s’appliquait la prophétie, il répondit : « Ce que j’ai écrit est écrit. • C’était comme s’il eût dit : ce que j’ai pris soin de faire écrire, je le main- tiens sans admettre de correction, en homme qui avait depuis longtemps dans l’esprit ce qu’il n’avait fait ensuite que rendre et exprimer. La répéti- tion du mot : « Ce que j’ai écrit est écrit, 11 marque elle-même le caractère absolu et persévérant de la chose, comme dans cette locution : « Us allaient allant. » QUATRIÈME QUESTION d’hÉLOÏSE. Quel est le sens de ce que le Seigneur répond aux Juifs qui l’interrogeaient sur le moment de sa sépulture : « De même que Jonas a passé trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, de même le fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le cœur de la terre ? 1 On sait, en effet, que le Seigneur fut descendu de la croix le vendredi et déposé dans le tombeau, qu’il 7 resta le jour du sabbat, et que, la nuit suivante, il ressuscita à la quatrième veille. Il ne resta donc dans ce tombeau qu’une seule nuit entière, celle qui précède le sabbat, un seul jour entier, celui du sabbat, pour res- susciter à la quatrième veille de la nuit, aiusi que le dit saiut Jérôme dans son commentaire sur YÊpitre aux Galates. Réponse dAbélard. Quand le Seigneur dit : « Trois jours et trois nuits, » il ne faut pas en- tendre trois journées et trois nuits entières, mais seulement l’espace de trois jours et de trois nuils. On dit donc bien « trois jours et trois nuits, 1 en ajoutant « comme Jonas, 1 que la baleine vomit et rendit à la terre le troi- sième jour, ce qiû signifie qu’il passa dans le ventre de la baleine une seule nuit entière et un seul jour entier. Par la durée de trois jours et de trois nuits, il faut comprendre depuis 1«* commencement de la uuit suivant la veille du sabbat jusqu’à la fin du dimanche, et Ton trouve ainsi l’espace de temps indiqué, bien que le Seigneur ne soit pas resté dans le tombeau pen- dant tout ce temps, c’est-à-dire trois jours et trois nuits. Parce qu’une chose se fait pendant la durée d’un certain temps, cela ne veut pas dire nécessai- rement qu’elle en remplit la durée. Peut-être aussi ce qui est dit : « Du cœur de la terre, » doit-il être en- 424 PROBLEMATA CUM RESPONSIONIBUS. Domini accipi vidctur, quam de cordibus hominum eo tempore in tantum de Christo desperantium, ut discipuli quoque nec non et mater ipsius in fide graviter titubaverint. Unde Augustinus Qucestionum in veteris et novcc Legis capitulo : « Etiam Maria, per quam mysterium gestum est incarmv- tionis Salvatoris, iu morte Domiui dubitavit ; ita ut in resurreclione Domini firmaretur. Omnes enim in morte dubitaverunt, et quia omnis ambiguitas a resurrecliotto Domini recessura erat, pertransire dixit gladium. » Cor itaquc lerrse quasi cor terrenum, adliuc et carnale, nondum spiritale fuctum, ex firmitate fidei, vel ardore caritatis, dicit cor humanum : quandiu homines in illo temporis arliculo Christum carnem magis, hoc est hominem, quam Deum sestimarent, et terrenum potius quam coelestem. Quod ergo Judseis signum potentise requiren- tibus tanquam per hoc eum recognoscerent Dcum, respondit se potius eis daturum signum ionse, tale est, quod potius infirmitatem in eo cognoscere digni sint : sicut Jonas in mare missus plus injustitise quam religionis aesti- matus est habuisse, et hoc ei ex propria culpa contigisse, ut damnari etiam mereretur. PROBLEMA HELOISSJ5 V. Maximamdubitationem de apparilionibus Domini resurgentis, qusemulie- ribus factse sunt, nobis Evaugelistn reliquerunt. Marcus quippe et Joannes eum insinuant primo apparuisse Marise Magdalense, quao venit mane, quum adhuc tenebrae essent, ad monumenlum, et vidit lapidem sublatum a mo- numento : et poslquam hoc nuntiavit Pelroet Joanni, etilli cucurrerunt ad monumentum, et inde reversi sunt, vidit duos angelos, et deinde Jesum quem putavit hortulanum. Et liaec apparilio prima illi soli dicitur facta. Matthaws vero refert eam cum altera Maria venisse ad scpulcrum, et tunc terrae motufaeto angelum descendisse, et lapidem revolvisse, et nuntiasse Dominum resurrexisse, et illis duabus Jesum occurrissc, cujus pedes tenue- runt. Marcus vero refert quod Maria Magdaleue, et Maria Jacobi, et Salome valdc mane venerunt ad monumentum orto jam sole, cunquirentes ad in- vicem quis revolveret eis lapidem ab ostio monumenti ; quera quum respi- cientes viderunt revolutum, et per angelum eis loquentem, et per sepulcrum vacuum cognoussent Dominum rcsurrexis Sacramentum quippc Christi tunc quasi novum sumitur, quum ipsum sumentes plena fide, accedenles ipsos innovat, et a vcteri homine, quem per transgressionem imitantur, in novum transmujat, dum ipsum per obedientiam usque ad mortem sequi suut parati» Quales nequaquam tunc aderant discipuli in fide adhuc maxime, et eo temporis articulo potissimum iufirmi, nec adhuc in regno Dei traditi, ut in eis videlicet regnaret Deus, cui nondum soliditale fidei adhsrebant, ejus QUESTIONS D’HÉLOtSE ET RÉPONSES DABÉLARD. 431 reçut en naissant d’une vierge, ainsi qu’il est écrit : « Le Verbe s’est fait chair. » Le sang offert dans le corps, c’est la Passion, à laquelle nous devons tous prendre part, nous tous qui sommes ses membres. D’où il esl écrit : « I.e Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple* dont nous de- vons suivre la trace. » Lors donc que saint Grégoire dit : « Il ne nous eût servi de rien de naître, s’il ne nous eût servi de rien d’être rachetés, et si notre rachat n’eût été accompli dans la Passion de Jésus, ainsi qu’il le fait entendre lui-même en mourant : « Tout est accompli ; » ce n’est pas sans raison que le sang répandu passe avant la conception de la chair, c’est-à- dire la Passion avant la naissance. Et ce corps, il a pu être plus justement appelé le corps du nouveau Testament que le sien, c’est-à-dire la confirma- tion de la prédication évangélique, puisque, ainsi que le dit l’Apôtre : « L’alliance a été confirmée par la mort. » L’Évangile est-il autre chose, en effet, que le testament de l’amour, de même que la Loi avait été le tes- tament de la crainte ? L’Apôtre ne dit-il pns aux Juifs convertis : « Vous n’êtes plus soumis dans la crainte ? » et ailleurs : « La fin de la Loi est la charité d’un cœur pur ; » et la Vérité ne dit-elle pas elle-même : « Jo suis venu apporter le feu sur la terre, et dans quel but, sinon pour qu’il brûle ? » Cette loi d’amour, c’est donc la Passion du Seigneur qui Ta particu- lièrement confirmée, puisque, en mourant pour nous, il nous a donné la preuve d’une tendresse sans égale. Aussi dit-il lui-même : « Il n’est per- sonne qui ait une tendresse si grande qu’il donne sa vie pour ceux qu’il aime. » Il a confirmé le testament en ceci encore, qu’il a persévéré, au prix de la mort, dans l’enseignement de la prédication évangélique, et qu’il a niontreenmourant.ee qu’il ne pouvait faire eu naissant. C’est ainsi que celui qui prépare un testament pour ses héritiers le confirme en persévérant dans sa volonté première jusqu’à la mort : n’en rien effacer, n’en rien cor- riger, c’est en fortifier la teneur. Il y avait donc lieu de dire, je le répète, le sang plutôt que le corps du Seigneur, comme symbole du nouveau Tes- tament. Quant à ce qui suit : i Je ne boirai plus du jus de la vigne jusqu’au jour où j’en tairai de nouveau avec vous dans le royaume de mon Père, i je l’entends en ce sens : je ne célébrerai plus, dans le sacrifice, la Passion de mon corps, avant de faire un sacrifice nouveau avec vous dans le rojaume de mon Père. Sacrifice nouveau, parce qu’il renouvelle ceux qui le font dans la plénitude de laHbi, changent le vieil homme, le transforment, ches ceux qui sont prêts à suivie le Seigneur jusqu’à la mort par esprit d’obéissance. Et tels n’étaient pas les disciples de ce temps-là : ils étaient alors parti* culièrement faibles dans la foi, ils n’appartenaient pas à Dieu ; et Dieu ne régnant pas eu eux, ils n’étaient pas vraiment soumis à son empire. En effet ; 432 PROBLEMATA CUM RESPONSIOMBUS. dominio penitus subditi. Quasi ergo vetus et non novum tunc acceperunt ipsum sacramcntum, et ianquam adhuc extra regnum Dei manentes : quia nondum in Deo sic eos constantia fidei confirmaverat, ut hoc percipiendo novi jam facti mererentur in novitate illa ita sicut post resurrectionem confirmari. Bibet tunc Christus de hoc genimine vitis cum eis, id est, do sanguiuc suo, qui est vitis eorum tanquam palmitum, quum illis digue sacramcnla susc Passionis communicantibus, sic inde sitim suam in ipsis reficiet. Qui cnini salutein hominum sitit vel esurit, tunc de ipsa reficitur, quum eam impleri laetatur. Fortassis et ex hoc sacramentum Dominica ? passionis quasi velus ante resurrectionem extitit, ct postmodum novum fuit : quia quum adhucpassi- bile corpus et corruptibile vel mortale gestarct, veleri homini per hoc similis fuit, antequam resurgendo de hac vita poenali ad novitatem futuree perveuiret. Dum ergo mortalis fuit, et se talem, qualis tunc erat, in sacra- mento dedit, quodammodo vetus et non novum fuit illud sacrificium comparatione videlicet novi, quod nunc iii humanitate sumimus immortali jam et incorruptibili. Lucas vero ait : « Hic calix novum Testamentum est in sanguine meo,» id est pactum vel promissio vobis a Deo facta, de vestra scilicet redemptione in mea Passione. Ubi enim nos habemus testamentum, in hebraeo habetur pactum. Qui enim legem Domini susci- piunt, cum eo quoddam ineunt pactum, sive ille cum ipsis, quum ipsi videlicet legis obedientiam, ille promittat remunerationem. PROBLEMA HELOISS* VII. Quid est etiam quod in Luca legimus duos calices, vel eumdem bis Do- miuum dedisse discipulis ? Sic quippe scriptum habetur : « Et quum facta esset hora, discubuit, et duodecim apostoli cum eo. $t ait illis : « Desiderio desideravi hoc pascha manducare vobiscum antcquam patiar. Dico enim vobis, quia ex hoc non manducabo, donec illud impleatur in regno Dei. i Et accepto calice, gratias egit, et dixit : « accipite et dividile inter vos. Dico cnim vobis, quod non bibam de generatione vitis, donec regnum Dei veniat. » Et accepto pane, gratias egit, et fregit, et dedit eis, dicens : « Hoc est corpus meum quod pro vobis datur. Hoc facite in meam commemora- tionem. » Similiter et calicem postquam coenavit dicens : « Hic est calix novum Testamentum in sanguine meo. » Solutio Abaslardi. Pascha, quod secundum legem parare discipulos miserat, velus est pascha, in esu videlicet agni vel tuedi cum lactucis agrestibus. Quod etiam QUESTIONS D’HÉLOISE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 435 participant â l’ancienne, non à la nouvelle alliance, pour ainsi dire, ils restaient comme en dehors du royaume de Dieu : la solidité de la foi ne les avait pas encore assez bien confirmés dans l’esprit de Dieu, pour que, renouvelés par cette intelligence, ils méritassent d’être confirmés dans ces sentiments nouveaux comme après une résurrection. Le Christ boira alors avec eux du jus de la vigne, c’est-à-dire de son sang, qui est comme une vigne nouvelle ; et il apaisera ainsi sa soif en ceux qui prendront part au sacrifice de sa Passion dans des sentiments dignes de lui. En effet, celui qui a soif ou qui a faim du salut des hommes est satisfait dans sa soif et dans sa faim, lorsqu’il les voit heureusement remplies. Peut-être aussi faut-il entendre que le sacrement de la Passion de Notre- Seigneur, ancien avant la résurrection, fut, pour ainsi dire, nouveau après. Le corps du Seigneur étant alors passible, corruptible ou mortel, il était semblable au vieil homme, avant d’arriver, par la résurrection, à la nou- veauté de la vie future. Tant qu’il était mortel, il s’était donné dans le sacrifice tel qu’il était ; le sacrifice était ancien, et non nouveau par rapport au nouveau qui ne s’accomplit plus dans l’humanité, mais dans une immor- talité incorruptible. Ce que saint Luc dit : « Ce calice est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, » signifie le pacte de Dieu, la promesse de la Ré- demption faite à l’homme par la Passion. En effet, où nous disons testament, les Hébreux disent pacte ; et effectivement, ceux qui reçoivent la loi du Seigneur forment avec lui une sorte de pacte et Dieu avec eux : ils lui pro- mettent obéissance, il leur promet récompense. SEPTIÈME QUESTION d’hÉLÏOSE. Que signifie ce que nous lisons dans saint Luc, que le Seigneur donna à ses disciples deux calices ou deux fois le même calice ? En effet, il est écrit : « Et l’heure étant venue, il se mita table et ses douze apôtres avec lui ; et il leur dit : « J’ai vivement désiré faire la Pâque avec vous, avant de mourir. Je vous le dis en vérité : Je ne mangerai plus de ceci, jusqu’à ce que la volonté de Dieu soit accomplie. Et ayant pris le calice, il rendit grâce et dit : Prenez et partagez entre vous. Car je vous le dis en vérité : je ne boi- rai plus du jus de la vigne, avantque le règne de Dieu vienne. • Et ayant reçu le pain, il rendit grâces, le rompit, le donna, et dit : « ceci est mon corps que je donne pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Et de même pour le calice après le repas : « Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance. » Rêpome d’Abélard. ’ La Pâque, que, selon la loi, il avait envoyé ses disciples préparer, c’est- à-dire l’auciennc Pâque, consistait en un repas [de chair d’agneau ou de 28 434 PROBLEMATA CtJM RESPONSIONIIWIS. Pascha dicit se desiderasse, ut hoc cum discipulis manducaret, antequani pateretur : quia aute passionem, non postea voluit in figuris celebrari vetera, quae supervenientibusnovisessent projicienda. QuodetipseDomiuus patenter insinuat, quum de novo sacramento tanlum dixerit : « Hoc facite in meam commemorationem, » tanquam vetus jam finiens, et solummodo novum deinceps statuens. Quum enim dixisset : « Hoc est corpus meura, quod pro vobis tradetur, » statim adjunxit : « Hoc facite in meam commemoralionem. » Unde et Apostolus : « Quotiescunque enim manducabitis panem hunc et calicem bibetis, mortem Domini annuntiabitis donecveniat. » Est igitur missac celebratio Dominicae passionis commemoratio, ad quam unusquisque fide- lium tanta compassionis devotione debet accedere, quanta eum pro se crucifixum debet conspicere. Ut ergo haec Dominicse Passionis memoria nostris mentibus inhaereat, etin ejus amorem semper accendat, quotidie in ejus altari hoc ejus sacrificium debet immorari. « Hoc, inquit, facite, » hoc est ipsum corpus meum, non jam pro vobis traditum, sed tradendum in memoriam tantae mea ? dileo- tionis conficite, ut iude quoque tantae dilectionis flamma sitis accensi, ut communicare possitis Passioni. Bis eumdem calicem dare voluit ut per hoc cxprimeret nos calicem cjus non solum in sacramenti perceptione, verumetiam in Passionis imitatione accipere debere. Unde et Psalmista : « Galicem salutaris, » hoc est veri Jesu, « accipiam, » eum videlicet per Passionis quoque virtutem imitando. Et quia mortem tolerare non est humanaeinfirmitatis,sed collatae nobisaDeo virtutis, ipse rst invocandus, a quo ista speranda est virtus, in qua non tam noslram utilitatem, quam ejus gloriam quaerere debemiis, quae per nomen ejus significatur. Sicut enim ignominiosa dicuntur quae nomine digna non videntur : ita e con- trario quaeque gloriosa nomine digna sunt et fama. Nomen igitur Dei invocamus, quum ea qua ? facimus ad gloriam ejus intendimus, ut ille potius in nobis, quam nos ipsi, glorificetur atque laudetur, a quo iu his virtutem accipimus, ad quse infirmi ex nobis sumus. Hinc et Apostolus : « Qui glorificatur, inquit, in Domino gloiictur, » hoc est, qui in se aliquid virtutis vel pretii rccognoscit, non se inde, sed Dium quaerat honorari, nec id virluti susd, sed divinae ascribat graliae, non a sc, sed a Deo id recognoBcens esse. De hoc caltce, quem Glirisli Passionem imitando sumimus, illud est quod filiis Zcbedsei ait : « Potestis bibere calicem, quem ego bibiturus sum ? » Hoccst, me per Passionem imitari posse confiditis ? Bene autem de hoc calice prirao, et non de secundo, discipulis ait : « Accipite, et QUESTIONS D’HÉLOÎSE BT RÉPONSES D’ABÉLIRD. 435 chevreau avec des laitues sauvages. Ce qu’il dit qu’il désira faire la Pàque, afin de pouvoir manger avec ses disciples avant de mourir, signifie qu’avant de mourir, il voulut rompre avec les vieux sentiments qui devaient être remplacés par des nouveaux. Cette indication si claire sur le nouveau Testa- ment : « Faites ceci en mémoire de moi, » marque, pour ainsi dire, la fin de l’ancienne loi et le commencement du règne de la nouvelle. A ce mot, en effet : « Ceci est mon corps, qui est donné pour votre salut, » il ajoute aussitôt : « Faites ceci en mémoire de moi. 1 D’où ce commentaire de l’Apôtre : « Toutes les fois que vous mangerez de ce pain et que vous boirez de ce yin, vous annoncerez la mort du Seigneur. » Ainsi la célébration de la messe est la commémoration de la Passion du Seigneur, et tout fidèle doit y assister avec les sentiments de piété qui l’auraient ému en voyant le crucifiement. Afin donc que le souvenir de la Passion du Seigneur soit bien gravé dans nos esprits et nous embrase d’amour pour lui, le sacrifice de l’immo- lation doit être chaque jour accompli sur l’autel. « Faites cela, dit-il, c’est- à-dire accomplissez le sacrifice de mon corps, qui n’est plus à livrer, mais qui a été livré pour vous, accomplissez-le en mémoire de ce témoignage d’amour, de telle sorte qu’enflammés vous-mêmes du feu de cet amour, vous puissiez avoir part au bienfait de la Passion. » Il a vouludonner deuxfois le même calice, afin de faire entendre par là que nous devons recevoir son calice, non-seulement par la participation au sacrifice, mais par l’imitation de la Passion. D’où cette parole du Psalmiste : c Je recevrai le calice du salut, • c’est-à-dire du vrai Jésus, en l’imitant par la vertu de la Passion. Et comme souffrir la mort n’est pas le fait de la nature humaine, mais un don de la vertu de Dieu, il faut invoquer Dieu qui peut nous donner cette sorte de vertu, où nous devons chercher moins nos’ propres avantages que sa gloire, ainsi que le signifie son nom. En effet, de même que l’on appelle ignominieuses les choses qui ne sont pas dignes d’avoir un nom, de même ces choses-là sont glorieuses qui sont dignes d’avoir un nom. Nous devons donc invoquer le nom de Dieu, lorsque nous accomplissons ce qui doit tendre à sa gloire, afin que ce soit lui plutôt que nous qui soit glorifié et loué en nous, lui à qui nous devons le don de faire ce que, sans lui, nous ne serions pas capables de faire. « Que celui qui se glorifie, dit l’Apôtre, se glorifie dans le Seigneur ; i c’est-à-dire que celui qui se reconnaît quelque vertu, quelque valeur, cherche à en tirer honneur non pas pour lui, mais pour Dieu ; qu’il en rapporte l’hommage non à sa vertu personnelle, mais à la grâce de Dieu, reconnaissant que cela vient non de lui, mais de Dieu. Quant à ce calice que nous prenons pour reproduire le sacrifice de la Passion, il faut s’en rapporter à ce que le Seigneur dit aux fils de Zébédée : « Pouvez-vous boire ce calice que je vais boire ? » c’est-à-dire : penscz*vou» pouvoir m imiter dans le sacrifice de la Passion ? Et c’est bien de ce premier 436 PROBLEMATA CUH RESPONSIOMBUS. dividite inter vos. » GaHcem quippe Christi ab eo accipientes inter nos dividimus, quum eum divcrsis generibus Passionem imitamur. In percep- tione vero sacramenti non est divisio : quia ibi cst una ipsius capitis non membrorum oblatio, qus a malis acque ut a .bonis sacenlotibus virtute divinorum verborum conficitur : « Accipite, inquit, calicem, » hunc a me, quem postea inter vos dividalis, quia deinceps non bibam de gene- ratione vitis,’» hoc est, noncelebrabo hanc hosliam meae Passionis, « donec regnum Dei veniat», hoc esl, vita coelestis, in qua solus Dominus, non pec- catum regnat, per passionem meam fidelibus patefiat. Bene calicem imitationis calici pnemisit sacramenti : quia hi solt condigni sunt Dominicsemensa ? communicare, qui Passionem ejus imitari, el crucem ejus parati sunt tollere. Unde’et scriptum est : « Ad mensam magnam sedisti, scilo quoniam talia oportel te pneparare. » Novum, non Yetus Testamentum tradens, tam panem quam calicem accipiens, gratias agit : innuens per hoc id esse completum, quod ibi fuerat pnefiguratura, et de verilate potius quam de umbra Deum esse glorificandum. Superius tamen se desiderasse dixit vetus quoque Pjscha cum discipulis celebrare, ne sic ab ipso nova sacramenta susciperent, ut a Deo tradita vetcra non sstimarent. Qus eliim vetera eis adhuc veteribus tunc maxime con- gruebant, ut hoc pracipue Dominus deberet cum eis celebrare quod eis potissimum videbat convenire, tanquam in hoc suo dcsiderio id se innuere intenderet, quod hoc eorum arguendac vetustati videbat po- tissimum convcnire. De qua ut a cunda ; et melior pars Maria3 tanquam in otio vacantis, quam Harthse cibum ministrantis. Ultimusordo est conjugatorum, qui longe a continentibusdis- tant, et rectoribus a^quari nou merentur, quamvis utrique in activa sint oc- cupati. Nam, utpostmodum Yeritas ait : « Qui docuerit et fecerit legem, » quod est doctorum et Ecclesiae prelatorum, « magnus vocabitur in regno, ccelomm, » sicut continens maximus et conjugatus minimus. Ab his ergo, qui virtute sunt maximi, et priores apud Deum dignitate religionis inchoans, in tribu eorum sanctitatem comprehendit : quum eos videlicet pauperes spiritu, mites, ac lugentes describit. Beatus dicitur, quasi bene actus, hoc est in bouis moribus compositus. QUESTIONS D’HÉLOÏSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 455 dit que tels ont obtenu la béatitude pour tels mérites, comme si l’un quelconque de ces mérites suffisait pour obtenir la béatitude, à en juger par la récompense promise ? Il est dit, en effet : « Bienheureux les pauvres en esprit, le royaume des cieux leur appartient. 1 Et de même pour d’autres mérites : la récompense y est attachée, comme si un seul d’entre eux était suffisant pour le salut. Nous demandous quelques explications à ce sujet, afin de savoir clairement si ces mérites pris isolément suffisent, ou s’il est nécessaire qu’ils soient tous réunis dans le même homme. hépontefAbélard. Il est sept mérites, ou sept béatitudes, par lesquelles nous obtenons d’ar- river aux joies de la vie éternelle. Quant à la huitième, on doit la considérer comme la confirmation des autres, plutôt que comme une de plus ; — je veux parler de celle dont il est dit : « Bienheureux ceux qui souffrent h persécution pour la justice ; le royaume des cieux leur appartient. » En effet, comme il est évident que les fidèles bienheureux sont exposés aux persécutions, pour que Ton ne crût pas qu’ils fussent moins heureux pour cela, aux autres béatitudes on a ajouté celle-là ; c’était dire : ceux-là ne sont pas moins bienheureux qui souffrent les persécutions. C’est une con- firmation de leur béatitude que de ne point faiblir dans l’épreuve. Il y a trois catégories de fidèles : les moines, les supérieurs, ceux qui , sont dans les liens du mariage. Les trois premières béatitudes, dans ma pensée, sont celles qui conviennent aux moines ; les deux autres appartien- , nent aux supérieurs, les deux dernières à ceux qui sont dans les liens du mariage. Telle est aussi la hiérarchie, en jugeant d’après les mérites. En effet, la catégorie des moines est, par la perfection, plus élevée que toutes les autres ; la seconde catégorie est celle des supérieurs, plus élevée assu- rément par le pouvoir que celle des moines. Cependant la belle et stérile Rachel agréa mieux à Abraham que la laide et féconde Lia, et la part de Marie vivant dans le repos est meilleure que celle de Marthe préparant les mets. La dernière catégorie est celle des hommes engagés dans les liens du ma- riage, qui sont bien loin des moines, et qui ne peuvent mériter autant que les supérieurs, quoiqu’ils soient également adonnés à la vie active. Car, sui- vant la parole de la Vérité : t Quiconque aura enseigné et fait la loi, • ce qui est l’œuvre des docteurs et des prélats, « sera appelé grand dans le ciel, » de même que celui dont la continence est la plus grande et qui est le moins engagé dans les liens du mariage. Commençons donc par ceux qui sont les plus grands en vertu et les pre- miers aux yeux de Dieu par la dignité de la religion. La Vérité place leur sainteté dans ces trois mérites : la pauvreté, la douceur, la peine. Bienheureux, est-il dit en général, c’est-à-dire bien traité, c’est-à-dire ayant l’âme pure et réglée. 456 PROBLEMATA CUH RESPONSIOMBUS. Pauperes spiritu dicuntur, qui paupertatem non necessitate sustinent, boc est, Dei quo fervent edocti ratione, hanc appetunt, divitias contemnentes, ct eas tanquam nocivas fugientes, attendenles quod Dominus ait : t Faci- lius est camelum intrare per foramen acus, quam divitem in rcgnum ccelo- rum. i Spiritum itaque hoc loco rationem dicit, sicut et Apostolus id secutus ait : « Garo concupiscit adversus spiritum, et spiritus adversus carnem. • Quis cnim nesciat concupiscenliam animae potius quam corporis esse ? Sed tunc caro adversus spiritum concupiscit, quam in eadem anima sensualitas, iioc est delectatio ex infirmitate carnis veniens, rationi rcpugnat, ut, juxta eumdem apostolum.saepe, victi faciamus quae nolumus ; hoc est quae facienda esse non approbamus. Quum ergo spiritus, hoc est ratio, suggesserit nos facere quod debemus, et nos inde camalitas retrahitur in quo perficiendo non- nulladiflkultas incumbit, vincitur spiritus dominantecarne, et ei subjicitur, ut homo jam carnalis vel animalis sit dicendus, desiderns camis more pe- cudum deditus. « Quoniam ipsorum est regnum coelorum. » Inde pauperes spiritu probat esse beatos ; quia qui rationabililer terrena contemnunt, coelestia promerentur. Pauperes itaque spiritu sunt, qui tam possessionis quam honoris ambitionem propter Deum postponunt, et nihil ad voluptatem appetunt : sed contenti necessariis, a licitis quoque abstinent, ne voluptatibus terrenis capiantur, et Deo magis quam saeculo dare operam contendunt. Tales sunt, qui a tumultuosa saeculi vita transeunt ad quietem monaslicam, ut tanto purius Deo et sibi vacent, quanto magis remoti sunt a curis saeculi : et tanto facilius ad cœlos evolent, quanto magis terrenis sarcinis exonerati sunt. Quod et Hieronymus in illo principe monachorum prefiguratum attendens, quodam loco ait : « Elias ad cœlorum regna festinans, melotam reliquit in terris. » Hi tales quum pauperes spiritu facti fuerint, mitesac mansueti necesse est fiant. Qui enim in terrenis nihil ambiunt, nequaquam de amissione rerum, vel illatis injuriis in iram accenduntur. His bene se possidentibus, et impetus carnis regendo frangentibus, terra viventium, hoc est vera stabilitas beatorum in praemium supponitur, quum ait : « Quoniam ipsi possidebunt terram. » Istam in talibus mansuetudiuis et patientiae virlutem Jeremias describens ait : « Bonum est viro, quum portaverit jugum ab adolescentia sua. Sedebit solitarius et tacebit- quia levavit se super se. Ponet in pulvere os suum, si forte sit spes. Dabit percu- QUESTIONS DHÉLOlSE ET REPONSES D’ABÉLARD. 457 Par pauvres en esprit, il faut entendre ceux qui supportent la pauvreté, non par nécessité, mais qui, éclairés par la raison, aspirent à la pauvreté de ce Dieu dont leur cœur est embrasé, dédaignent les richesses, les fuient comme nuisibles, et se souviennent de la parole du Seigneur : « 11 est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. » Le Seigneur appelle ici raison l’es- prit, dans ce sens où l’Apôtre dit plus bas : t La chair lutte contre la chair. » Qui ne sait, en effet, que la concupiscence est le fait de l’âme plutôt que du corps ? Or la chair lutte sous l’aiguillon de la concupiscence contre l’esprit, lorsque dans la même âme la sensualité, c’est-à-dire la jouissance venant de . la faiblesse de la chair, résiste à la raison, et que, selon la parole de l’Apôtre, nous arrivons à faire ce que nous ne voulons pas, c’est-à-dire ce que nous ne regardons pas comme bon de faire. Lors donc que l’esprit, c’est-à-dire la raison, nous suggère ce que nous devons faire et que les passions charnelles nous détournent d’accomplir cette chose qu’il n’est pas sans difficulté d’ac- complir, l’esprit est vaincu par la chair et lui est asservi ; en sorte que l’homme livré aux désirs de la chair comme les bétes ne mérite plus que djètre appelé l’homme charnel ou bestial. « Le royaume des cieux lui appartient. » Le Seigneur veut dire par là, que les pauvres en esprit sont bienheureux, en ce sens que ceux qui dédaignent, suivant les conseils de la raison, les choses de la terre, méritent celles du ciel. Us sont pauvres en esprit ceux qui font passer Dieu avant l’ambition des richesses et des honneurs, et ne désirent rien en vue du plaisir ; qui, contents du nécessaire, s’abstiennent même de ce qui est permis, afin de ne pas être séduits par les plaisirs de la terre, et qui travaillent à donner tous leurs soins à Dieu plutôt qu’au siècle. Tels sont ceux qui de la vie tumul- tueuse du siècle passent à la vie paisible des monastères, afin de se consacrer à Dieu et au salut de leurs âmes d’autant plus purement qu’ils sont éloignés des pensées du siècle, afin de pouvoir s’élever dans le ciel d’autant plus aisément, qu’ils sont plus déchargés du fardeau de la terre. C’est ce que saint Jérôme regardait comme figuré dans la prière des moines, quand il disait : t Élie, se hâtant vers le royaume des cieux, a laissé son manteau sur la terre. » Ainsi, devenu pauvre en esprit, oh devient nécessairement doux et charitable. En effet, lorsqu’il n’est rien sur terre que l’on désire, il n’est point de pertes de biens, point d’outrages qui puissent enflammer de colère. A ceux qui se possèdent et qui, maîtres d’eux-mêmes, résistent aux con- seils de la chair, la terre des vivants, c’est-à-dire la vraie solidité de la béa- titude, est promise comme récompense par cette parole : « Ils posséderont la terre. • C’est cette vertu de douceur et de patience que Jérémie décrit, quand il dit : « Il est bon pour l’homme de porter le joug de la jeunesse ; il demeurera solitaire, il se taira, s’il s’est élevé au-dessus de lui-même ; il se prosternera la face dans la poussière, si quelque espérance point dans son tienti se maxillam, salurabitur opprobis quia non repellit in sempiterniiD Domintis. » Jugum monasticse disciplins ab adoJescentia sua portat, qunm quis hoc suspicere non differt, quosque in senio viribus exhaustus hoc prjs sumat tollere, quod non possit portare : et quielem corporis magis quan pacem auims quaerens voluptates ssculi, quas fugere se mentitur, in mo- nasterio querit. Et nihil jam valens operari tanquam inter apes burdio factus, quod illae congregant, devorat impudenter. Et jam consumptis viribm corporis, quas quoad potuit, in servitio diaboli expendit, occasione seniiis infirmitatis, luxurioso vacat otio, quando eum tantorestrictius viveredecuit. et contra vitiadiraicare, quantoseminusvicturum novit, etadpercipieodam bravii sui palmam citius perventurum, si hanc meruerit. Iste talis miser ab adolescentia sua jugum portare non assuetus, sub ipso quod non potest ferre, cogitur succumbere. Sedet solitarius el tacet professor monastica ? disciplinse, quum el nomen monachi et vitae perfcctionem sibi vindicat. Monachus quippe solitarius m- terpretatur, quem beatus increpans Hieronymus, ait : « Quid /acis in turba. qui solus es ? i Quem f omni tempore debere silentio studere » beatus &• seril Benedictus, cultumjustitirosilentium ex teslimonio comprobans Isais. Et Apostolus hanc prsecipue virtutem commendans ait : « Si quis in verbo non oflendit, hic perfectus est vir. • Levat se super se, quum se ipsum regcns, etopprimens, carnem spiritui subdit ? et voluntatem propriam ro- luntati subjiciens Dei, de seipso gloriose triumphat, attendens quod scriptum est : « Melior est patiens viro forti, et qui dominatur animo suo, expuguatore urbium. » Tunc autem maxime tacere debet, quum alii vir- tutcm ejus divulgant : ue ipse sui praeco factus, in levem evanescat auram, et quanto altior in virtutibus videtur, graviorem superbiendo casum perferat. Taceat ergo quia levavit se super se, ne videlicet, haec si lecerit, reco- gnoscat, et pavidus oret ne corruat ; quia in hac vita, nulli secura est victoria. Quod si forte de se loqui prasumat, non virtutem suam, sed infirroitatem pnedicet. Unde et subditur : « Ponet in pulvere os suum, si forto sit spes, n Quod est dicere : tnnquam pnlvcrr-m tpntationibus dmmonum iijKituliim, i*t in itpwibus uon coiisUinlem, sed ili«snhitum proJitoatur : el si qnoiitlo turutisclatio litillaverit, statim se ohjtirgaii* ilicnt : uiwl sujk>rbis, torra ct cinis ? quid prosuuiis, levissiuic pulvis, qiiem prujicil vrutu* a fjjcie terne ? > Heec dicens, el de sc pavens, cum terrore oogitai, n fortt* QUESTIONS D’ItÉLOlSE ET RÉPONSES DABÉLARD. 459 cœur ; il tendra k joue aux soufflets, il se laissera abreuver d’opprobres, parce que Dieu ne le repoussera pas dans l’éternité. 1 Celui-là suit cette loi, qui se soumet, dès sa jeunesse, au joug de la vie monastique, et ne diffère pas de le prendre à l’âge où, épuisé par la vieillesse, il cherche à soulever ce qu’il n’a plus de force à porter ; à l’âge où, soupirant après le repos du corps plutôt qu’après la paix de l’âme, il cherche dans le couvent les plai- sirs du siècle que mensongèrement il prétend fuir. Alors, en effet, ne pou- vant plus travailler, comme un frelon dans une ruche, il ne lait que con- sommer impudemment les richesses amassées par les abeilles ; après avoir épuisé ses forces au service du diable, il vient, cédant à l’affaiblissement de la vieillesse, se livres aux charmes d’un coupable repos, quand ce serait le moment de vivre d’autant plus sévèrement, et de lutter contre ses vices avec d’autant plus d’énergie, qu’il sait qu’il a peu de jours à vivre, et qu’il lui reste à peine le temps de s’assurer, s’il l’a méritée, la palme de la victoire. Le malheureux n’ayant pas eu, dès sa jeunesse, l’habitude de porter son joug succombe sous celui qu’il ne peut soutenir. 11 se tient solitaire, il se tait, voué à la vie monastique, quand, prenant le nom de moine, il cherche à réaliser la perfection de la vie. Moine, en effet, signiBe solitaire, ainsi que l’indique saint Jérôme, quand il dit sous forme de reproche : « Que fais-tu dans la foule, toi qui es solitaire ? » Le moine doit « en tout temps étudier en silence, » dit saint Benoit, établissant, d’après le témoignage d’Isaîe, que le silence est un moyen de cultiver la jus- tice. Et l’Apôtre, recommandant par-dessus toutes les autres cette vertu, dit : « Celui qui ne pèche pas en parole est parfait. » 11 s’élève au-dessus de lui-même, lorsque, maître de lui et se gouvernant, il soumet la chaire l’es- prit ; lorsque, subordonnant sa volonté à celle de Dieu, il triomphe glorieu- sement de lui-même, suivant cette parole : c L’homme patient est supé- rieur à l’homme fort, et celui qui est maître de son cœur à celui qui prend les villes d’assaut. » Il doit se taire, tandis que les autres prônent leur vertu, de peur que, devenu son propre héraut, tout son mérite ne «’évanoui se, et que son orgueil ne l’expose à une chute d’autant plus profonde qu’il ?. serait élevé plus haut. Qu’il ne dise donc pas qu’il s’est élevé au-dessus de lui-même, dans la crainte de reconnaître la vérité de cette pensée ; qu’il demande plutôt, en tremblant, dans ses prières que la chute lui soit épargnée : en cette vie, il n’y a de victoire sûre pour personne. S’il veut parler de lui, que ce soit pour mettre en lumière, non sa vertu, mais sa faiblesse. De là vient qu’il est dit : « Il se prosternera la face dans la poussière, si quelque espérance point dans son cœur ; » autrement dit : qu’il reconnaisse qu’il n’est qu’une poussière agitée par les tentations du démon, sans force ni cohésion ; et si son cœur est chatouillé par quelque sentiment d’orgueil, qu’il le réprime énergiquement par ces mots : « D’où te vient cette présomption, terre et cendre ? de quoi te flattes-tu, poussière légère, que le vent balaye de la face m PBOUEHTA CTl BESP05SI05UrS. sit illi spes, ne norissime superbta vincatar, qne non nisi de virtatibus triumphat. Et ne virtutibus extollatur, persecutionibus est bumiiiandus : ut per patientiam virtus ejus probata coronetur, qiue spirito pauperes facit veros roites. Dabit igitur percutienti semaiillam, et saturabitur opprobriis : quia sive factis, sive verbis injurietur, his tanqnam quadam dulcedine saporis oblectatus reficielur. Dat percutienti se maxillam, qui pro Deo gaudet inju- riari. Sublrabit e contrario maxillam, qui injurias refugit, vel invitus patitur. Cur autem justus libenter haec toleret, et in passionibus gaudeat, juxta illud quod de apostolis dictum est : c Ibant gaudentes a conspectu concilii, quoniam digni babiti suat pro nomine Jesu contumeliam pati ? > Et etiam supponitur, et propbeta ait : « Quia non repellet in sempiternom Dominus. > Repulsus a gratia Domini, et miseriis in vita hsc expositus videtur justus : unde et de ipso justorum capite scriptum est : « Desidera- vimus eum despectum et novissimum virorum, et putavimus eum quasi leprosum, et percussum a Deo, et humiliatum. * De hoc despectu vel repulsione Dei, quum nos inadversis non protegit, scriptum est : c Deus, rcpulisti nos. • Sed quia hic, ut dictum est, repellit nos, ut probemur, quos post victoriam assumit, ut coronemur ; spes afllictorum, qua triumphant, exponitur quum dicitur : « Quia non repellet in sempiternum Dominus ; • hoc est, pcenas finiel afllictorum, qui po3iias non finiet affligenlium. Et notandum quod Dominus apostolis Novum Testamentum tradens, quum mi exordio stalim ad paupertatem admonet, ut fecunditatem terre- uorum raleste commutemus felicitate, patenter remunerattonem Erangelii a remui eratione legis distinguit, quum ibi coelestium, hic terrenomm tantum promissionem in remunerationem obedientiee constituat. Carnalis quippe populus Israel terrena magis quam coelestia desiderans, hic in remuneratione accepit, quod magis concupivit, et per ea ad magis obedien- dum trahcndus magis fuerat, quae concupiscebat, ut hac saltem promissione a perverso retraheretur opere, si nondum animus mundari poterat ab ini- quitate. Ut enim Apostulus ait : « Nihil ad perfectum adduxit lex, » nec perfectionem habuit in promissis, nec in praeceptis. « Benti qui lugent ! » Luctus salubris proprie convenit monacliis, sive illc sit pcenitentiae de peccato, sive dilationis a regno. Qua ? duo Lacrymamm QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES DWBÉIARD. 461 de la terre ? i Et disant cela, saisi de terreur, il pensera avec tremblement, s’il sent en lui poindre quelque espérance, à ne point se laisser vaincre par l’orgueil qui ne triomphe que des vertus. Et pour ne point se laisser exalter par les vertus, il faut être humilié par les persécutions ; il faut que la vertu de l’homme soit consacrée par la patience, qui seule rend vraiment doux de cœur ceux qui sont pauvres en esprit. 11 tendra donc la joue aux soufflets et se laissera abreuver d’injures : qu’on l’outrage en fait ou en parole, il trouvera dans ces outrages le charme d’une satisfaction douce. Celui qui se réjouit d’être outragé pour Dieu tend la joue aux soufflets. Celui qui a peur des injures ou qui les souffre malgré lui retire sa joue. Quant à la raison qui fait que le juste supporte de bon cœur ces mauvais traitements et se réjouit de ses souf- frances, elle est indiquée dans ces paroles des apôtres : « Ils allaient se réjouissant loin des regards de l’assemblée, heureux d’avoir été reconnus dignes de souffrir l’injure pour le nom de Jésus. • Et il est ajouté, suivant les paroles du Prophète : « Parce que le Seigneur ne les réprouvera pas dans l’éternité. » Le juste, en cette vie, parait repoussé de la grâce de Dieu et livré à toutes les misères. C’est ainsi qu’il a été écrit : « Nous l’avons vu avec douleur méprisé et traité comme le dernier des hommes, car il sem- blait que ce fût un lépreux ; nous l’avons cm frappé, humilié par la main de Dieu. » De ce dédain, de ce rejet de Dieu, lorsqu’il ne nous protège pas dans l’adversité, on dit : « Mon Dieu, tu nous as rejeté. » Mais Dieu, je le répète, ne nous rejette que pour mettre noire vertu à l’épreuve, et pour nous donner la couronne après la victoire ; Dieu est l’espoir des affligés, leur triomphe, et c’est ce que veut dire ce mot : i Parce que le Seigneur ne les repoussera pas pour toujours, » c’est-à-dire parce qu’il mettra un terme aux épreuves de ceux qui auront été affligés et non aux épreuves de ceux qui l’auront affligé. Et il faut remarquer que le Seigneur, en donnant aux Apôtres le Nou- veau Testament, appelle, dès l’abord, leur attention sur la pauvreté, les engagea échanger contre les jouissances de la lierre la félicité du ciel, et distingue manifestement la récompense de l’Évangile de la récompense de la Loi, la récompense de l’Évangile qui promet le bonheur du ciel, de celle de la Loi qui promet seulement les jouissances de la terre comme prix de l’obéissance. En effet, le peuple charnel d’Israël, plus occupé des biens de la terre que de ceux du ciel, a reçu en récompense ce qu’il désirait. 11 devait être amené à l’obéissance par l’objet de ses désirs ; il fallait que celle promesse, du moins, le détournât du mal, si son esprit ne pouvait encore être guéri de l’iniquité. Car, ainsi que le dit l’Apôtre : « La Loi n’a rien amené à la perfection ; » elle n’a connu la perfection ni dans les promesses, m dans les commandements. «Heureux ceux qui pleurentl » L’affliction convieut particulièrement aux religienx, qu’elle ait pour cause le repentir des fautes, ou la tristesse m PROBLEMATA CUN RESPONSIOMBDS. geuera, iu Aia, filia Caleb, praeOgurata sunt ; cui conquerenli ad patrem, quod ei terram aridam dedisset, et irriguam postulanti, ei pater dedit tam superius irriguum quam inferius. Quantum autem de peccatis lam suis quani aliorum lugere conveniat monachum, Hieronymus hujus professioois maximus profitetur dicens : i Honachus non doctoris, sed plangentis habet ofticium, qui se et mundum lugeat, et Domini pavidus prestoletur adventunu Quid enim vita monastica, nisi qusdam est districtioris paenitentia forma ? « Lugeant ergo monachi sive hoc, ut dictum est, sive illo modo, ut risum mereautur consolationis de quo vere dicitur : « Quoniam ipsi consola- buntur, attendentes illud, quod apostolis Dominus promisit : c Amen, amen dico vobis, quia plorabitis et flebitis vos, mundus autem gaudebit, vos autem contristabimini : sed trislitia vestra vertetur in gaudium. usser l’idée du châtiment moins par faiblesse d’âme que par vertu, qu’il y ait justice ou injustice dans les épreuves qui affligent le malheureux. Ce mouvement de compassion, effet de la nature ou de la raison, est proprement appelé miséricorde, ainsi que l’atteste Sénèque. Quant à la clémence, appelée ici miséricorde, c’est un sentiment de compassion rai- sonné qui nous pousse à soulager ceux à qui nous devons ce soulagement. Quiconque n’a que la justice sans clémence et ne songe qu’à punir sans rien relâcher de la peine, est cruel : est-il dans la situation d’esprit contraire, il est bon. C’est pour cela que le Seigneur, formant ici le cœur des supérieurs, veut qu’on n’exerce point la justice sans la miséricorde, et associe ces deux vertus comme des compagnes inséparables. Même à l’égard de ceux qui sont punis de mort, il peut y avoir quelque relâchement de peine : on peut abréger le supplice ou chercher le genre de mort le plus doux. Se laisser conduire par d’autres sentiments, c’est s’exposer à cette sentence : « Juge- ment sans miséricorde pour celui qui ne fait pas miséricorde. » En effet, les contraires conviennent aux contraires. De même que les miséricordieux sont dignes de miséricorde, de même ceux qui sont sans miséricorde mé- ritent d’être privés de miséricorde. Enfin, après les religieux et les princes, arrivant à ceux qui sont dans les liens du mariage, il dit : c Heureux ceux dont le cœur est purl » En disant le cœur et non le corps, il veut indiquer ceux qui se dounent sans réserve au plaisir de la chair et qui s’abandonnent aux entralnemeuts de la concu- piscence. En effet, bien que le commerce conjugal ait ses indulgences alors qu’on y cherche le remède de son incontinence et qu’on ne le poursuit pas, à la manière des bêtes, pour la volupté de la chair, la chair toutefois n’est pas sans recevoir de la tache du plaisir quelque peu de corruption, d’impureté, de souillure. Hais ils sont purs de cœur, sinon de corps, je le répète, ceux qui se livrent à ce commerce non en vue de la volupté, mais pour satisfaire le besoin naturel et sans offenser Dieu par une pensée de débauche. Et eux aussi ils méritent le salut ; ils ne seront donc pas privés de la vue de Dieu, vue dans laquelle consiste la souveraine béatitude. On les appelle encore gens de paix, parce qu’évitant les combats de la chair par les indulgences du mariage, ils n’en usent qu’avec mesure et raison, de façon à mériter de goûter la paix dans le sein de Dieu, qu’ils n’offensent pas par 30 466 PROBLENATA CUH RESPONSIONIBUS. Apostolum dixisse intelligit : « Servus vocatus es ?non sil libi cune. (K enim positus in conjugio, conversus est ad fi et qui a ajouté : f en esprit, » a sous- entendu pour tout le reste la même addition, et c’est comme s’il eût dit : ceux qui sont doux en esprit, ceux qui pleurent en esprit : en sorte que l’Esprit de Dieu, ou, en d’autres termes, l’amour de Dieu fait que ceux qui suivent l’une de ces prescriptions, ou les autres, non-seulement sont fidèles, mais sont supérieurs et riches en tout le reste. Le monde est composé de quatre éléments ; cependant chaque élément tire son nom de la partie qui domine en lui ; ainsi les grâces des fidèles se distinguent les unes des autres par celles dont ils paraissent le plus riches. On dit que l’amour de Dieu a lait ceux-ci pauvres, parce qu’ils ont poussé plus haut et plus loin le mépris des richesses. Pareillement on appelle doux ceux que l’amour de Dieu élève particulièrement au-dessus des autres par la vertu de la patience. Et ainsi de tous les autres. Mais l’amour de Dieu, qui ue peut être mauvais à personne, les a tous faits bienheureux et dignes de la béatitude, encore qu’ils soient arrivés dans tel ou tel de ses dons à un degré plus élevé de perfection* Quant à la différence des mots ajoutés pour l’indication de la récompense 1 • Parce que le royaume des cieux est à eux ; » ou t parce qu’ils posséderont la terre, » elle n’entraîne nullement une différence de signification dans la récompense. Le Seigneur, évitant les ennuis de la répétition, a changé les termes en les appropriant au sens et à la nature de la chose ; oc qui est un détail sans importance. Rien de plus naturel que de promettre aux pauvres ce royaume des cieux. Ceux qui méprisent les richesses de la terre pour l’amour de Dieu doivent mériter les richesses du ciel. Aux doux qui, par un sage esprit de conduite, se possèdent « convient la possession de la terre des 468 PROBLEMATA GUM RESPONSIOMBUS. possessio terr» viventium, lugentibus consolatio convenit. EsurientiW • sitientibus justitiam, saturitas, hoc est impletio desiderii sui apud fte» obtinendi : cujus amore plurimum intendunt exercitio justitiac in vindkkr malorum. Sic et in caeteris remunerationis verbis quaedam concinnitas ad beaut> dines praemissas assignari potest. Non ergo Domiuus tam beatitudioes irtst- haberi pnecipit quam in eis illos abundare admonet, qui in singulis ordim- bus desiderant esse perfectiores. Nam ad perfectiouis abundantiam, ipse cae- sequenter Novum tradere Teslamentum hic Deus profitetur, dicen* : « Nisi abundaverit justitia vestra plus quam scribarum et pharisseoruoi, imb intrabitis in regnum coelorum. » PBOBLBM& HELOISS* XV. Quid est quod postmodum Dominus ait : « Nolile putare quoniam veni solvere legera, » quum Joannes dicat : « Propterea ergo magis quaerebont eum Judaei interficere, quia non solum solvebat sabbatum, sed ctiam patrvm suum dicebat Deum, aequalem se faciensDeo ? » Solutio Aboelardi. Quum dixit : « Non veni solvere, » et postmodum addidit : « sed adim- plcre, » in moralibus scilicet praeceplis potius quam figurativis, sicut sequenlia continent, ex adimplelione quam supposuit innuit quam solntio- nem mandatorum legis prius intellexerit, in moralibus scilicet praeceptis. Moralia quidem pnecepta sunt agendau vitac, sicut figuralia figurandae. El moralia quidem quae naturaliter ab oranibus semper complenda fuenint, ct antequam lex scripta daretur, mores hominum ita necessario componunt, ut nisi impleatur quod in eis praecipitur, nemo unquam salvari meruerit. Qualia sunt : diligere Deum et proximum, non occidere, non moechari, oon mentiri, et similia, sine impletione quorum nemo unquam jusuficari potest. Figuralia vero sunt legis praxepta, quae juxta litteram accepta, nihil justi- tiae conferunt ex operatione sua, sed ad tempus instituta fuerunt, ad aliquid figurandum justitiae ut observatio sabbati, circumcisio, quorumdam cibo- rum abstiuentia, et his similia. Ad moralia itaque tantum legis pnecepta referendum est quod Dominus ait se non venisse solvere legem, sed adimplere : hoc est nequaquam ces- sare facere quod in moralibus pneceptis lex continet, sed in eis per Erange- lium supplere quod legi deest. Ux quippe Moysi nequaquam inimicuin diligi pnocipit, sed amicum : nec peccatum in mente consummari docet, QUESTIONS DHÉLOlSE ET RÉPONSES DABÉLARD. 409 vivants, aux affligés la consolation ; à ceux qui ont soif et faim, l’assouvisse- ment, c’est-à-dire l’accomplissement de leur désir de posséder Dieu, puisque c’est par amour de Dieu qu’ils s’appliquent à la pratique de la justice et à la punition des méchants. C’est ainsi que, dans les autres termes de la récompense promise, il y a, pour la désignation des diverses béatitudes, une heureuse propriété d’expres- sion. Dieu ne recommande pas tant de considérer l’ensemble des béatitudes qu’il n’avertit ceux qui veulent y prétendre de se rendre supérieurs dans quelqu’une d’entre elles. Quant à la plénitude de la perfection, c’est pour cela que Dieu déclare lui-même qu’il donne le Nouveau Testament, quand il dit : « Si votre justice n’est pas plus grande que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » t QUINZIÈME QUESTION d’HEXOIsB. Que signifie ce que le Seigneur dit ensuite : t Ne croyez pas que je suis venu pour violer la Loi, » tandis que saint Jean dit : « les Juifs cherchaient à le tuer, parce que non-seulement il violait la loi du Sabbat, mais parce qu’il disait que Dieu était son Père, se faisant ainsi l’égal de Dieu ? Réponse (TAbélard. Quand il a dit : « Je ne suis pas venu violer, et qu’il a ajouté : c mais accomplir,, » il s’est servi de termes positifs de prescription morale, non de termes figurés, comme il y en a dans la suite du discours ; et par ce mot d’accomplissement, il indique ce qu’il entend, en termes de prescription morale, par violer les commandements de la loi. Les prescriptions morales sont des règles de conduite positives, les prescriptions figuratives ne sont que des emblèmes. Les prescriptions morales comprennent ce que la loi naturelle ordonne à tous les hommes de faire, ce qui, antérieurement à toute règle écrite, est la règle nécessaire de la vie, ce que nul ne peut pas ne pas accomplir pour mériter d’être sauvé. Tels sont : aimer Dieu et son pro- cliain, ne pas tuer, ne pas commettre d’adultère, ne pas mentir, et toutes les autres choses semblables dont l’accomplissement est indispensable au salut. Les prescriptions figuratives sont les prescriptions qui, prises à la lettre, u’ajoutent par leur accomplissement aucun mérite, mais qui ont clé établies pour un temps, comme un signe de quelque mérite : telles l’observation du sabbat, la circoncision, l’abstinence de certains aliments, et autres choses de même nature. Or, c’est aux prescriptions positives de la Loi qu’il faut rapporter ce que dit le Seigneur, qu’il n’est pas venu pour violer la Loi, mais pour l’accom- plir, c’est-à-dire non pas pour cesser de faire ce que la Loi contient de pres- criptions morales positives, mais pour suppléer par l’Évangile à ce qui manque dans les prescriptions morales de la Loi. En effet, la loi de Moïse 470 PROBLEMATA CUM RESPONSIOKIBUS. sed opera magis quam intentionem interdicit. Etsi enim ooDCuptscentio qnoque lex prohibeat, non tamen ex ea reum statuit esse putandiun : n* concupiscere prohibet, nisi res ejus, quem, juxta Htteram, proximum de&- nit, hoc est ejus, qui de populo suo nuuquam est alienigena. Non eniz- omnem hominem, juxta lilteram, lex proximum dicit, sed patenier aliesi- genam a proximo distinguit, quum dicit Judscum nequaquam Joenercr. proximo, sed alieno. PHOBLBVA. HELOISS* XVI. Quomodo etiam Evangelii abundantiam pnefert imperfectioni legis, d>- cens : « Nisi abundaverit justitia vestra plus quam scribarum aut phari- sseorum, non intrabitis in regnum coelorura ? Aut quomodo, ut Apostoli» ait, reprobatio sit prsBcedentis mandati propter infirmitatem ejus et inutili- tatem ? « Nibii enim ad perfectum adduxit lex. » Quum enim Dominus diviti quserenti quomodo vitam seteniam possideret respondit de duobus mandatis dilectionis, quae in lege simt : « Hoc fac, et vives, » et Apostolus dicat : « Qui diligit proximum, legem implevit : nam non adulterabis, non occides, etc. ; » et iterum : « Dilectio proximi malum non operatur : plenitudo ergo Iegis est dilectio ; > quomodo ad perfectionem mandatorum deest aliquid legi, quum illa etiam duo praecepla dilectionis Dei et proximi sufficere omnino videantur, nec aliquid per/eo ttonis deesse ? Solutio Abcelardi. Quum ait Dominus : « Nisi abundaverit justitia vestra plus quam scriha- rum et pharisaeorum, » subaudis juslitia : non ait,-justitia legts. Undeet (quum) in sequentibus ait : « Audistis quia dictum est anliquis : diliges amicum tuum, et odio habebis inimicum tuura, » nequaquam hoc in lege reperiri potest, sed magis in traditionibus scribarum et pharisseorum legi snperadditis, de quibus Dominus ait : « Et irritum fecislis mandatum Dei propler traditiones vestras. » Prasertim quum de dilectione inimici, vel etiam de beneficiis ei impendendis, lex ipsa praecipiat diccns : c Si oocurreris bovi inimici tui aut asino erranti, reduc eum. Si videris asinum odientis te jaoere sub onere, non pertransibis, sed levabis cum eo. » Et iu Psalmista : « Si reddidi retribuentibus mihi mala, decidam merito ab inimicis meis inanis. » Et Salomon in Proverbiis : « Ne dicas : reddam malum pro malo ; expccta Dominum, et liberabit te. Quum ceciderit inimicus tuus, negau- QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 471 ne prescrit pas d’aimer son ennemi, mais seulement son ami. Elle n’enseigne pas que l’intention suffît à la consommation du péché ; elle interdit les actes plutôt que les intentions. Elle défend la convoitise sans doute, mais elle n’établit pas qu’on est coupable pour s’y livrer ; ce qu’elle défeud surtout de convoiter, ce sont les biens de celui qu’elle appelle à la lettre le prochain, c’est-à-dire de celui qui est du peuple, non de l’étranger. La loi, en effet, prise à la lettre, ne considère pas tout homme comme prochain. Elle dis- tingue manifestement l’étranger du prochain, quand elle dit que le Juif ne doit jamais prêter à usure à son prochain, mais seulement à l’étranger. SEIZIÈME QUESTION D’hÉLOÏSB. Comment établit-il la supériorité de l’Évangile sur l’imperfection de la Loi, quand il dit : t Si votre justice ne vaut pas mieux que celle des scribes ou des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux ? » En d’autres termes, pourquoi, selon la parole de l’Apôtre : • la Loi n’a rien mené à la perfection, » rejette-t-il le commandement antérieur, à cause de son insuffisance et de son inefficacité ? Quant au riche qui lui demande comment il pourrait gagner la vie éternelle, le Seigneur répond, après avoir cité les deux commandements d’amour qui sont dans la Loi : « Fais cela et tu vivras ; » quand l’Apôtre dit : f Celui qui aime son prochain accomplit la Loi ; car tu ne forniqueras pas, tu ne tueras pas, etc.. » et ailleurs : c L’amour du prochain n’engen- dre pas le mal ; le plein accomplissement de la Loi, c’est donc l’amour, » comment peut-il manquer quelque chose à la perfection de la Loi, alors que ces deux commandements de l’amour de Dieu et du prochain paraissent suffire sans autre complément de perfection ? Réponte d’Abélard. Quand le Seigneur dit : « Si votre justice n’est pas supérieure à celle des scribes et des pharisiens, » il faut entendre la justice ; il ne dit pas : la jus- tice de la Loi. Ce passage qui suit : « Tu as entendu la parole des anciens ; tu chériras ton ami et tu auras ton ennemi en haine, » ne se trouve nulle part dans la Loi, mais dans les traditions des scribes et des pharisiens ajou- tées à la loi, traditions dont le Seigneur dit : t Vous ave* détruit les com- mandements de Dieu par vos traditions. » Remarquons, en eliet, que la Loi dit, au sujet de l’amour qu’on doit avoir pour ses ennemis et même des ser- vices qu’on doit leur rendre : « Si tu rencontres le bœuf de ton ennemi, ramène-le à l’étable ; si tu vois l’âne de celui que tu hais tomber sous le fardeau, tu ne passeras pas outre, mais tu l’aideras à le relever ; • et dans le Psalmiste : t Si je rends le mal pour le mal, je succomberai justement sou» les coups de mes ennemis, abandonné de tout appui ; » et Salomon, dans les Proverbes : i Ne dis pas, je rendrai le mal pour le mal ; attends le 472 PROBLEMATA CUM RESPONSIOMBUS. deas, et in ruina ejus ne exultet cor tuum : ne iorte videal Dominus, dis- pliceatei, etauferat ab eo iram suam. Ne dicas : quomodo fecit mihi, sic faciam ei, reddam unicuique secundum opus suum. » Item : « Si esurierit inimicus tuus, ciba illum : si sitierit, da ei aquam bibere. Prunas eniin congregabis super caput ejus, et Dominus reddet tibi. » Et beatus Job : « Si gavisus sura, inquit, ad ruinamejus, qui me oderat, et exultavi, qnod inre- ni*set eum malum. Non enim dedi ad peccandum guttur meum, ut expete- rem maledicens animam ejus. » Non ergo antiquis hoc jussum vel concessum fuit in lege, ut odio habe- rent inimicum, sed magis, ut dictum est, in traditionibus horaiuum, quam in praceplis Dei habebatur. Quum ergo dicit Dominus : « Plus quam scriba- rum et pharissorum, » non plus quam legis : nequaquam hinc cogimur fateri Dominum hanc abundantiam Evangelii prsferre imperfectioni legis. Non tamen ideo minus concedimus legem in preceptis suis ita imperfectam fuisse, ut ei necessarium esset Evangelium succedere : sicut et Apostolus, ut supra meminimus, patenter profitetur. Sed nec pneceptum de dilectione proximi, ante adventum Christi perfectum esse potuit, quod ipse veniens, et proximus noster factus, tam susceptione carnis, quam exhibitione dilectio- nis, perfectum fecil : ut jam quilibet eum tanquam proximum diligens, ex hac perfectus dilectione fiat. Unde et eidem diviti requirenti quis esset proxi- mus ejus, parabolice respondens, se illum proximum esse significavit, quem ille Samaritanus expressit, qui vulnerali misertus est : et quem ex aflectu compassionis ipse quoque dives vere proximum fuisse professus est. Sive ergo in lege habeatur : « Diliges amicum tuum, » sive « proxi- mum, » ut eum videlicet ibi proximum intelligamus, qui vel cognatione, vel amore est nobis conjunctus : nemo rectius proximus noster, quam Chrislus est dicendus, ut in eo nunc dilectio proximi perfecta sit facta, qu» antea fuerat imperfecta, quamdiu videlicet statum suum lex habuerit, qus usque ad Joannem vigorem suum custodivit. Prius ergo imperfecta, quamdiu lex proprie fuit dicenda, ut ei obediendum esset per omnia : pro hac ipsa imperfectione sui reprobata est, evangelicae doctrinse superveniente perfec- tione, ubi quidquid est nccessarium, liquide magis quam parabolicc est expressum. Nam etsi diligenter legis littene insistamus, quo >oli populo Judaeorum data est, nequaquam proximis nisi corum est intelligeudus. Unde nec per Christum illud praeceptum de dileclione proximi, ad alios pertinere videtur, quum ipsi soli sub lege continei enlur. Quapropter neces- sario succedere legi Evangelium debuit, omnibus generaliter injunctum, ut omnea debeant salvari per ipsum. QUESTIONS D’HÉLOÎSE ET RÉPONSES D’ABBLARD. 473 Seigneur, et il te délivrera. Lorsque ton ennemi aura succombé, ne te réjouis pas ; que ton cœur ne tressaille pas.de joie à la vue de sa ruine, dans la crainte que le Seigneur ne le voie, qu’il n’en soit affligé et qu’il n’écarte de lui sa colère. Ne dis pas : c Comme il m’a fait, je lui ferai ; je rendrai à chacun selon ses œuvres. » Et eucore : • Si ton ennemi a faim, nourris-le ; s’il a soif, donne-lui à boire, — autrement tu amasseras des charbons ardents sur sa tète, — et le Seigneur te le rendra. » Et le bienheureux Job : « C’est que je me suis réjoui de la ruine de celui qui me haïssait, et que j’ai triomphé de le voir dans le malheur. Je ne lui ai pas donné mon cœur pour pécher, je n’ai pas été chercher son àme pour la maudire. • Donc la Loi ne prescrivait ni n’accordait de haïr ses ennemis ; c’est là, je le répèle, le fait de la tradition humaine, non des préceptes divins. Quand donc le Seigneur dit : c Plus que celle des scribes et des pharisiens, » cela ne veut pas dire plus que la Loi ; nous ne sommes nullement obligés par là de reconnaître que le Seigneur établit la supériorité de l’Évangile sur l’imperfection de la Loi. Mais nous ne maintenons pas moins que la Loi était imparfaite dans ses préceptes et qu’il fallait que l’Évangile la rempla- çât ; l’Apôtre, je le répète, le déclare formellement. Le commandement de l’amour du prochain ne pouvait être parfait avant l’arrivée du Christ ; il fal- lait qu’il vint, et que se faisant notre prochain en prenant notre corps, non moins qu’en nous témoignant son amour, il lui donnât sa perfection ; en sorte que chacun, l’aimant dès lors comme son prochain, il devint parfait par cet amour. Ainsi, au même riche qui lui demande quel est son prochain, il ré- pond sous forme de parabole, en lui donnant à entendre que son prochain est représenté par le Samaritain qui eut compassion du blessé, et que le riche lui-même, en suivant sa compassion, reconnut comme son véritable prochain. Qu’il y ait doue dans la Loi : « Tu aimeras ton ami, » ou « ton prochain, » ce mot employé dans un sens lel que nous reconnaissions comme prochain celui qui nous est uni par un lien de parenté ou d’affection, personne ne peut plus justement que le Christ être appelé notre prochain. Car c’est en lui qu’a été rendu parfait l’amour du prochain, imparfait jusque-là et tout le temps que la Loi, qui dura jusqu’à Jean, conserva sa force et son empire. Bien qu’imparfaite, tant qu’elle dut être appelée la Loi, il fallait lui obéir en tout. Mais elle fut rejelée pour cette imperfection même, et remplacée par la perfection de la loi évangélique, où tout ce qui est nécessaire est indiqué en termes propres, non sous forme de parabole. Car, si rigoureusement qu’on presse la lettre de la Loi, d’après le texte donué au seul peuple des Juifs, on ne peut entendre par le prochain que le prochain des Juifs. Le commandement du Christ sur l’amour du prochain ne peut donc con- cerner un autre peuple que les Juifs, puisque les Juifs étaient les seuls qui fussent soumis à l’empire de la Loi. L’Évangile doit donc nécessairement remplacer la Loi, comme uue loi générale et par laquelle tous les hommes peuvent se sauver. 474 PROBLEMATA CUM RESPONSIONIBUS. Ad prodictum itaque proiinium, id est Christum Apostolas respeiit, quum eo pnemisso : « Qui diligil proximum, legem implevit ; « statim boc tanquam probatione adjunxit : « Nam non adulterabis, non occides, etc. ■ Si enim Judaeus hunci nter proximos suos comprehensum diligat, sicut ipse ait : c Si quis diligit me, mandata mea servabit, • in nullo adulterio, iu nullo peccabit homicidio : et omnia similia, quae in Iege sunt, evitabit, et justitias ejus complebit. i PROBLEMi. HELOI8S£ XVII. Quid est etiam, quod in sequentibus Dominus ait : t Neque percaput tunm jurabis, quia non potes unum capillum album facere aut nigrum ; » tan- quam si hoc facere posset, jurare per caput liceret ? Solutio Abcclardi. Replicanda sunt, quae in prozimo sunt pnemissa, ut ex iliis, et de hoc facUius judicemus. « Dico, inqnit, vobis, non jurare omnino : neque per coelum, quia thronus Dei est, neque per terram, quia scabellum est pedum ejus, neque per Hierosolymam, quia civitasmagni regisest, neque per caput luum, quia non potes unum capillum album facere aut nigrum. » Quatuor itaque sunt, coelum scilicet, terra, Hierosolyma, caput nostrum, per quae jurare prohibemur : quia Iubc maxime in juramento ponimus, qus venera- biliora aestimaraus, ut ex his amplius nobis credatur. Haec autem venera- tione digna majore videnlur, quae ad Deum maxime constat pertinere : ut coelum, quod dicitur thronus Dei, hoc est anima Christi, cui specialiter di- vinitas insidet, et in ea plenius per gratiam inliabitat. Terra, quae scabeHum Dei dicitur, humanitas est Ghristi, tanquam terrena et inferior in Christo creatura. Hierosolyma, civitas Dei, sancta est Ecclesia : cujus caput ipse est Ghristus. Gapilli adhsrentes capiti, et ipsum adornantes vel protegentes, eloquia sunt divina quibus Christus commendatur, et per fidem in nobis conservatur : horum quaedam alba, quaedam nigra dicuntur, quum aliorum intelligentia clara sit et manifesta ; aliorum obscura, sicut illorum maxime quae sunt allegoricedicta. Quorumquidemnullum sivealbum sit, utdictum est, sive nigrum, nostrum non est facere : quia eloquia Dei non sunt in- ventionis humaiue, nec nostra sunt documenta, sed divina. Quod ergo ait : « Non jurabis per caput tuum, quianon potes, » etc, tale est : uon debes Ghristum in juramento ponere, quod ejus solius summs Dei sapientix sit haec invenire, quorum alia, ut diximus, alba sunt, alia nigra. Similiter quum jubet ut nec juremus per ccelum, quod thronus Dei est, sic ac- QUESTIONS PHÉLOISE ET RÉPONSES D’ABELARD. 475 Ainsi, c’est au prochain dont je viens de parler» c’est-à-dire au Christ, que l’Apôtre fait allusion, quand, après avoir dit : • Celui qui aime son pro- chain accomplit la Loi, » il ajoute immédiatement comme confirmation : « Car tu ne forniqueras pas, tu ne tueras pas… » En effet, si le Juif le com- prend parmi ses prochains et l’aime, suivant le précepte : t Si quelqu’un m’aime, il accomplit ma Loi, » il ne commettra plus ni adultère, ni homi- cide, il évitera tous les autres péchés qui sont indiqués dans la Loi, et accom- plira tous ses préceptes. DII-SBPTtèMB QUESTION d’hÉLOÏSE. Que signifie ce que le Seigneur dit dans un passage suivant : « Tu ne ju- reras pas sur ta tète, car tu ne peux faire un seul cheveu blanc ou noir ; » comme si, dans le cas où il serait possible de le faire, il devait être permis de jurer ? Réponse d’Abélard. Il faut reprendre tout le passage afin de nous éclairer. « Je vous défends absolument, dit-il, de jurer ; par le ciel, parce que c’est le trône de Dieu ; par la terre, parce que c’est l’escabeau de ses pieds ; par Jérusalem, parce que c’est la cité du grand roi ; par ta tête, parce que tu ne peux faire un seul cheveu blanc ou noir. » 11 est donc quatre choses, le ciel, la terre, Jérusalem, notre tète, parlés- quelles il nous est interdit de jurer. Naturellement nous prenons à témoi- gnage les choses que nous considérons comme le plus dignes de respect, afin que notre parole obtienne plus de créance. Or, les choses qui paraissent le plus dignes de respect sont celles qui touchent à Dieu : tel le ciel, qu’on appelle le trône de Dieu, c’est-à-dire l’âme du Christ, le lieu où réside spé- cialement sa divinité, où il habite plus particulièrement par sa grâce. Telle la terre, qu’on appelle l’escabeau de Dieu, ou l’humanité du Christ, comme étant la patrie terrestre et inférieure du Christ. Telle Jérusalem, la cité de Dieu ou la sainte Église, dont le Christ est la tète. Tels [les cheveux attachés à la tète, comme ornement ou comme défense, qui figurent les divines pa- roles du Christ, notre honneur, notre salut. On dit les unes blanches, les autres noires, parce que l’intelligence des unes est claire et manifeste, celle des autres obscures, comme pour presque toutes les choses mises sous forme de parabole. Or, il ne nous est pas possible de rien faire de tel, ni blanc ni noir, comme il est dit. Les paroles de Dieu ne sont pas d’invention humaine, elles ne sont pas notre œuvre, mais l’œuvre de Dieu. Quand donc il est dit : < Tu ne jureras pas sur ta tête, parce que tu ne peux, » etc., c’est comme si l’on disait : tu ne dois pas invoquer à témoignage le Christ, parce qu’il n’appartient qu’à la sagesse divine de trouver les paroles dont les unes sont blanches, les autres noires. Pareillement, quand il est interdit 476 PROBLEMATA CU¥ RESPONSIONIBUS. cipe : ut non ideo per ipsum jurare eligamus, quia tantae dignitatis est, quod caeleris eminet creaturis. In his itaque verbis negativum adverbium pnepositum orationi causam ipsam cxcludit, uon interpositum ipsam re- linquit atque constituit. Aliam quippe vim negativa particula babet toti orationi pneposita, ut totam scilicet simu ! neget, aliam interposita, ut uni tantum illius orationis parti apposita. Aliud quippe est dicere : non quia hoc fecisti, peccasti ; aliud dicere : peccasli, quia bocnon fecisti. Ibi namque causa removetur peccandi, ut videlicet non propter hoc pecca- verit, ut hinc eum certum sit non peccasse, ubi causa ad hoc interoesserit : ibi vero non oslenditur quod non peccaverit, sed hoc tantum quod non propter hoc peccaverit, ut videlicet causa peccati potius quam peecauim ipsum removeatur. * Tale est ergo quod de juramento Dominus pracipit vel adhortatur, ut, quia periculosum est jurare, ne perjuremus, omnino, quantum possumus, hoc caveamus, ne aliqua dignitate, quam res habeat, per ipsam jurare ap- petamus, sive ipsa sit Deus, utpote Christus, seu quaecumque creatura ex Deo praecaeteris aliquid dignitatis adepta. Jurare autem per aliquid, est nos ei cui juramus, concedere, ut nihil utilitalis in ea re, per quam juramus, habeamusulterius, nisi hoc, quod juramento firmamus, verum sit. Quum autem in ecclesiasticis causis omnis controvcrsiae, ut Apostolus ait, finis sit juramentum, non hoc loco Dominus pracipit non jurare, sed magis adhortalur. Quaedam namque praecipiuntur, quaedam prohibentur, quaedam suadentur, quaedam permittuntur. Praecipiuntur illa, sivc prohibentur, sive quibus vel cum quibus nos salvari dif&dimus. Mala itaque prohibentur omnia, et bona preecipiuntur, non omnia, sed illa tantum, quae saiuti ne- cessaria videntur ut credere in Deum, et diligere non tam ipsum quam proximum, non adulterari, et similia. Hla vero bona, quae non ita neces- saria sunt, sive quia strictioris ,vel laxioris sunt viae, et tanquam nimis alta vel nimis infima, sub prsecepto non clauduntur, sed vel persua- sionem consilii habent, ut virginitas, vel indulgentiae permissionem, ut nuptiae. Quippe si pneceptum ad virginitatem cogeret, damnarentur uuptiae : vel si ad nuptias, damnaretur virginitas. Cousilium itaque sive persuasio est de potioribus bonis, permissio vero de minoribus, hoc est, quae minoris sunt meriti, quando consilium de melioribus aliqua diffi- dentia vel dispensatione non suscipitur. Quae ergo tam fieri, quam dimitti QUESTIONS DHÊLOlSB ET RÉPONSES D’ABÉJARD. 477 de jurer par le ciel, qui est le trône de Dieu, il faut l’entendre ainsi : il ne faut pas choisir, pour jurer, celui que sa dignité souveraine élève au-dessus de toutes les créatures. L’adverbe de négation est placé au commencement de la phrase dans le texte du précepte ; il s’applique donc a tout le dévelop- pement ; il n’est pas placé entre divers membres de phrase, laissant cer- tains termes en dehors de son action. L’adverbe de négation, en effet, a un sens tout différent, selon qu’il est placé au commencement de la phrase qu’il modifie tout entière, ou qu’il est placé avant quelque terme auquel il est seulement applicable. Autre chose est de dire : vous n’avez pas péché pour avoir fait cela ; ou de dire : vous avez péché pour n’avoir pas fait cela. Dans l’une des formes, la négation tombe sur la faute : il n’y a pas eu faute pour avoir fait cela, c’est-à-dire qu’il est clair qu’il n’y a pas eu faute, eu égard à la cause indiquée. Par l’autre forme, on ne dit pas qu’il n’y ait pas eu faute en général, mais qu’il y ait eu faute pour n’avoir pas fait telle chose, en sorte qne c’est sur la cause de la faute, non sur la faute que tombe la négation. Voici maintenant ce que le Seigneur nous recommande et nous ordonne au sujet du jurement. Tout jurement exposant au danger du parjure, il veut que nous nous gardions, autant qu’il est possible, de prendre à témoignage, dans le sentiment que la chose comporte, soit la dignité de Dieu, c’est- à-dire du Christ, soit celle de toute autre créature qui, par la grâce de Dieu, l’emporte sur les autres. Jurer par quelque chose, c’est accorder à celui auquel on jure que, dans la chose par laquelle on jure, on ne trouve pas d’autre utilité que celle de consacrer la vérité de ce qu’on affirme sous la foi du serment. Quand l’Apôtre dit que, dans les choses ecclésiastiques, le serment est la fin de toute discussion, Dieu ne nous prescrit pas de ne pas jurer, mais il nous engage à ne pas le faire. En effet, il est des choses qui sont prescrites, il en est qui sont défendues ; il en est qui sont conseillées, il en est qui sont permises. H y a défense ou prescription pour les choses par lesquelles ou avec lesquelles nous devons être sauvés. Ainsi y a-t-il défense pour tout ce qui est mal, prescription pour tout ce qui est bien ; non pour tout ce qui est bien, mais seulement pour ce qui est nécessaire au salut, comme croire en Dieu, se moins chérir soi-même que le prochain, ne point commettre d’a- dultère, etc. Quant aux biens qui ne sont pas tellement indispensables, soit qu’ils appartiennant à la voie étroite, soit qu’ils appartiennent a la voie large, ils échappent, par leur caractère d’élévation ou de bassesse, à la for- mule du précepte ; ils sont recommandés sous forme de conseil, comme la virginité, ou permis sous forme d’indulgence, comme le mariage. En effet, s’il y avait contrainte de prescription pour la virginité, il y aurait condamna- tion pour le mariage, et inversement. 11 y a seulement conseil ou invitation pour les biens qui sont préférables, permission pour ceux qui sont d’un ordre inférieur, c’est-à-dire d’un mérite moindre, parce que c’est non 478 PROBLEMATA CUM RESPONSIONIBUS. licet, prjeceptum non habent, sed admonitiouem, ut omnino non jurare, vel permissionem, ut hoc fiat pro necessitate : veluti quum ad inquisitionem veriutis, testibus opus est. Permissio autem est, quum dicitur : c Unusquisque habeat uxorem suam propterfornicationem ; » praeceptio vero, quum dicitur : c AUigatus est uxori : noli quxrere solutionem. » Persuasio vero consilti, quum statini supponitiur : « Solutus es ab uxore ? noli quserere uxorem. * PBOILBMA HBLOISS* XVUI. Quid est in eodem Evangelista : c Nolite solliciti esse dicentes : quid manducabimus ? » Et rursum : « Nolite solliciti esse in crastinum. Grastinus enim dies sollicitus erit sibi ipsi. Sufficit enim diei malilia sua. » Nunquid enim providentiam prohibet futurorum ? Nunquid et ipse Dominus eum qui turrem vult sedificare, de sumptibus cogitare admonet ? Et Apostolus : c Qui prseest, inquit, in sollicitudine : » sicut et ipse £t- ciebat, de seipso dicens : c Instantia mea quotidiana, sollicitudo omnium ecclesiarum. » Solutio Abalardi. Sollicitudinem proprie Dominus dicit superfluam curam de futuris, quando videlicet pro aliquibus praparandis, magis necessaria dimittuntur : ut si pro apparatu crastinorum ciborum, pratermittamus orando qusrere a Deo regnum suum, hocest tales nos facere, ut innobisipse, non peccatum reguet. Crastinus enim ul tanquam si diceret : ne affiigatis vos superfluis curis, pro tempore futuro, antequam veuiat : quia quum ipsum venerit,satis sollicitudinis afleret ex sc ipso, illis, qui de necessariis minus in Domino confiduut, non attendeules illud propheta ? : c Jacla super Dominum curam tuam, et ipse teenulriet. » c Sufficit cuim diei, etc. » hoc est, unicuique tempori vitae hujus xrumno&e suae sollicitudinis pocnasufficere debet, quam videlicet affert uobis ex superfluis curis pfo temporalibus, dum pro his nternarum obliviscimur. Sollicitudinem vero iu bono, vel in his* quae ad sternam pertinent vitam, dicit Apostolus providentiara, hoc est, rationabilem de futuris, vel pro futuris curam : si vidclicet temporalia provideamus propter stenia, iit his sustententur quodam viatico necessario qui ad illa festinant. QUESTIONS DHÊLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 410 •ans défiance et sans mesure qu’on reçoit un conseil. Ce qui peut éga- lement être fait et non fait n’est pas présenté sous forme de précepte, mais simplement sous forme d’avis. C’est ainsi que Ton recommande en général de ne pas jurer, et qu’on prescrit de le faire en cas de néces- sité, par exemple, lorsque, pour la recherche de la vérité, il y a appel de té- moignage. La forme de la permission est celle-ci : « Que chacun ait sa femme pour la satisfaction des besoins de la nature. » La forme de la prescription est celle-ci : « Vous êtes enchaîné i une femme, ne cherchez pas à rompre ces liens. » 11 y a simplement avis, quand on ajoute aussitôt : i Vous êtes hors des liens d’une femme ; ne cherchez pas femme. » DIX-HUlTliMS QUESTION d’hÉLOÎSR. Que signifient ces mots dans le même Êvangéliste : « Ne dites point avec inquiétude : que mangerons-nous ? » Et ailleurs : t Ne prenez pas inquiétude du lendemain ; demain s’inquiétera de lui-même ; à chaque jour suffit son tourment ?» Y a-t-il là quelque interdiction d’avoir la prévoyance de l’avenir ? Dieu ne prévient-il pas celui qui veut bâtir une tour de songer à la dépense ? Et l’Apôtre ne dit-il pas : c. Celui qui commande est dans le souci ; «comme il faisait lui-même quand il disait : « Mou inquiétude incessante, c’est l’avenir de toutes les églises ? » Réponte dAbélard. Le Seigneur dit que tout souci de l’avenir est superflu, en ce sens que pour préparer certaines choses, on en néglige quelquefois de plus néces- saires. Par exemple, omettre, pour préparer le repas du lendemain, de prier Dieu que son règne arrive, c’est faire que le péché, et non Dieu, règne en nous. Quand il parle des soucis du lendemain, c’est comme s’il disait : ne vous affligez pas de soins superflus pour l’avenir, avant que l’avenir vienne : quand il sera venu, il apportera par lui-même assez d’inquiétude à ceux qui n’ont pas confiance en Dieu pour le nécessaire et ne réfléchissent pas à ce mot du prophète : t Remettez-vous de vos inquiétudes au Sei- gneur, et il vous nourrira. » t À chaque jour suffit, etc. » Cela veut dire qu’à chaque moment de la vie suffit le tourment que nous apporte le soin superflu des choses de ce monde, lequel nous fait oublier le soin de l’éter- nité. Quant à l’inquiétude du bien ou de ce qui touche à la vie éternelle, l’Apôtre l’appelle prévopnce, c’est-à-dire souci raisonnable de l’avenir ou pour l’avenir : c’est le cas où nous pourvoyons au temporel en vue de l’éternel, en sorte que l’un soit comme le viatique qui nous soutienne et nous mène à l’autre. 480 PROBLEMATA CUV RESPONSIOKIBUS. PIOBI.EHA H1LOISS2 XIX. Quid illud est, quod sequitur : « Nolite judicare, ut non judicemini. Iu quo enim judicio judicaveritis, judicabimini ? • Quid enimsi injustum fece- rimus judicium ? nunquid simile recepimus ? Solutio Abcclardi Nolite judicare, boc est, ne praesumatis de incertis aliquem certa seit- tentia gravare. Quum enim iratus patet, de se ipsa res judicat, non tu. Hinc et Apostolus : « Nolite ante tempus judicare, quoadusque veniat Dominu*, qui et illuminabit abscondita cordium. • Yenit Dominus occulU revelando. quum ejus dispositione, quae latebant, apparent, vel quum secundum legem ejus aliquiddiscutienduminvestigamus, vel deprobatis p Quum dicit : « Qui vos diligunt, » simile est ei : « Ne repetas quae tua suut,» boc cst, quia vos diligunt sicut, quia tua sunt. Alioquin iniquum esset non nos diligere eos a quibus diligimur, quum omnes diligere praecipiamur, nec ipsum etiam, qui nos diligit, Deum, sicut ipsemet ait : « Ergo dili- gcntem me diligo, » quem potius proptcr ipsum, quia summe bonus e>t, quam quod nobis utilis est, summo amore debemus diligere. Haec est ordinata caritas, ut unumquemque, prout melior ac dignior est, ob boc amplius diligamus ; hoc est, ut ei melius sit desiderimus, sicut et jusuun est. PROBLEMA IIELOISSJI XXIV. Quomodo dicit Dominus : Non quod intrat in os coinquinat hominem, sed quod procedit ex ore ? « Nunquid qui comedit de rapina, vel quod illicilum crcdit, etsi licitum sit, vel qui sacrificium indigne accipit, ex his peccati maculam non incurrit ? Dicit Apostolus de quibusdam Juda-is ad fiuVm conversis, et adhuc propter legem quosdam cibos ab aliis discernentibus, tanquam immundos ; dich, inquam : « Qui autem discernit, si manduca- verit, damnatus est, quia non ex fide. Omnc autem quod non cx tide, peccatum est. » Dicit et de liis, qui pro reverentia idoli vescebantur ido- lothytis : « Quidam usque nunc conscienlia idoli, quasi idolotbytum QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 485 VINGT-TROISIÈME QUESTION d’hÉLOÏSB. Que signifie ce passage de saint Luc : « Rends au Tout-Puissant, et si l’on te prend ce qui esta toi, ne le réclame pas ? » Réponse (TAbélard. Quand il dit : « Rends, » il n’ajoute pas : ce qu’il demande ; mais il veut faire entendre par là que nous ne devons pas renvoyer celui qui nous demande sans lui donner quelque chose ; nous devons, du moins, nous excuser convenablement, de façon à ne point l’irriter, et l’édifier par des paroles de charité. Une réponse gracieuse ou convenable est une sorte de présent. Quant à ceci : « Ne réclame pas ce qui est à toi, » cela veut dire que le mobile de la réclamation doit être Dieu plutôt que soi-même. Uu religieux ne passe pas la mesure lorsqu’il réclame en vue de Dieu ce qui lui a été donné pour être offert à Dieu, l’applique à de louables usages, et le sauve des mains des méchants. En effet, lorsqu’un peu plus bas le Seigneur ajoute : « Si vous chérissez ceux qui vous chérissent, et que vous fassiez du bien à ceux qui vous font du bien, quel est le mérite ? » Quand il dit : t Ceux qui vous chérissent, » c’est la même chose que : « Ne réclamez pas ce qui est à vous. » « Vous » est là comme ce qui est à vous. Il serait injuste que nous ne chérissions pas ceux qui nous chérissent, quand il nous est prescrit de nous aimer tous les uns les autres, et surtout de ne pas aimer Dieu qui nous aime, comme il le dit lui-même en ces termes : « J’aime qui m’aime ;» lui que nous devons aimer d’un souverain amour, parce qu’il est souverai- nement bon, non parce qu’il nous fait du bien. Telle est la règle de la charité : nous devons chérir le prochain, en proportion de ce qu’il vaut et de ce qu’il mérite, c’est-à-dire que nous devons souhaiter son bien, suivant les voies de la Justice. VUIGT-QOATRJÈMB QUESTION D’HÉLOlSE. Quel est le sens de cette parole du Seigneur : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui en sort t » Est-ce que celui qui mange du produit d’un vol ou d’une chose qu’il croit défendue bien qu’elle soit permise, ou qui reçoit l’Eucharistie dans des conditions indignes, n’encourt pas la tache du péché ? L’Apôtre dit de certains Juifs convertis et qui, suivant la Loi, distinguent encore certains aliments comme immondes : « Celui qui distingue entre les aliments est condamné, parce qu’il ne mange pas selon la foi : or, tout ce qu’on ne fait pas selon la foi est un péché. » Il dit encore de ceux qui, par respect pour une idole, se nour- rissaient des viandes offertes aux idoles : « Quelques-uns, par respect pour QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 487 les idoles, mangent les chairs consacrées aux idoles, et leur conscience en est atteinte et souillée. » Gomment donc le Seigneur dit-il que ce qui souille l’homme ce n’est pas ce qui entre dans sa bouche, mais ce qui en sort ? Réponse d’Abélard. Ce passage est un de ceux où le Seigneur définit le mieux ce qu’il faut entendre par péché, et les reproches qu’il adresse aux Juifs sont pour nous une lumière. Les Juifs, en effet, plus attentifs aux œuvres qu’aux sen- timents, distinguent le bien du mal, plutôt par les actes que par les inten- tions. Or, le Seigneur, qui ramène tout aux intentions, déclare que l’homme doit être condamné plutôt d’après ce qui est dans son âme, que d’après ce qui se montre dans ses actes. L’âme, à ses yeux, ne peut être souillée que par ce qui est en elle, par ce qui la touche, en sorte qu’au regard de Dieu il y a des taches spirituel les pour les âmes, comme il y a des souillures corporelles pour les corps. Conséqueniment ce qu’il dit : «Ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme, » signifie : ce qui sort de la bouche sort de l’âme, et voilà ce qui souille l’homme. De l’âme, en effet, sortent les pen- sées mauvaises, les homicides, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes ; « et voilà ce qui souille l’homme ; mais de manger sans s’être lavé les mains, cela ne souille pas l’homme. » En d’autres termes clairs : les souillures corporelles des mains ne touchent pas l’âme, elles ne peuvent lui imprimer la tache du péché. Les pensées qui souillent sortent de l’âme puisque, pour mettre à exécution une pensée, il faut le consentement de l’âme. Or, où il n’y a pas intelligence, il ne peut y avoir consentement. Ainsi est il des enfants et des idiots : lorsqu’ils ne font pas ce qu’ils doivent, on ne peut leur imputer aucun péché. Le Seigneur n’appelle donc homicide, adultère ou péché quelconque que ce qui sort de l’âme, c’est-à-dire que ce que nous connaissons comme illicite, et ce à quoi nous nous portons d’un plein consentement. Les pensées sortent de l’âme, lorsque par le consentement elles vont à l’action. Ainsi nous apprend-il que l’homicide, l’adultère et les autres péchés sortent de l’âme, et qu’ils ne sont péchés qu’après avoir été dans l’âme par le consentement, avant de se témoigner dans l’acte. En effet, quand on consent à faire ce qu’on sait ne devoir pas faire, le consentement est proprement le péché, et par cela seul on est, aux yeux de Dieu, homicide et adultère. Aussi la Vérité dit-elle : « Celui qui voit une femme et la désire, » c’est-à-dire, celui qui, en voyant une femme, vient à la désirer et s’abandonne à ce désir, celui-là est, par cela seul, adultère dans son âme ; c’est-à-dire celui-là a accompli le péché dans son âme, bien qu’il ne l’ait pas effectivement consommé. Quand donc nous prenons à tort quelque chose pour le manger, sachant que c’est un aliment défendu, ce n’est pas cet aliment qui souille 488 PROBLEMATA CDM RESPONSIONIBBS. quam ad peccatum refert, quod nunc ore sumimus, sed quod ad sumenduii consenseramus. PR0BLBMA. HELOISSJt XXV. Quid est illud in Matthaeo, quod Dominus quibusdam civitatibus impro- perans, ait : « Vae tibi, Corozain, vae tibi, Bethsaida ! quia si in Tyro • t Sidone factae essent virtutes, quae factae sunt in vobis, olim poeaiientLiiii egissentin cilicio et cinere ? » Salvare quippe Dominus homines venerat. unde et Jesus, id est Salvator, proprio dictus est vocabulo. Gur ergo Tyro et Sidoui, civitatibus gentilium, illa bcneGciorum miracula subtraxit* per qua salvarentur, et ea illis exhibuit, quibus nocitura magis, quam profuliirj sciebat ?Sed inquies : quia, sicut ipsemet profitetur, nonerat missus nisi ad oves quse perierunt domus Israel. Sed dico : Cur ad eas, nisi ut salxi- rentur ? Si autem ut salvarentur, quid cis profuit ea sibi fieri, per qixae gra- vius damnarentur : nec sunt ad paenitentiaru conversi, sed in suaobsliui.- tione permanentes ? Unde et ipsemet Dominus suppouit : « Verumtameii dico vobis, Tyro, et Sidoni remissius erit in die judicii, quam vobis. • De- nique et Samaritanorum multos refert Joannes ad verbum ejus credidisse et eum nonnulia miraculorum beneficia gentiiibus etiam tam in viris quam in feminis exhibuisse, per quae illi crederent, vel in fide firmarentur : sicut est illud de puero centurionis, et de filia Syrophoenissx, de ipsius Tyri bnibus egressae. Solutio Abcelardi. Revera Dominus Jesus ad solos Judaeos in persona propria missus fuit. Quod ergo circa gentiles misericorditer egit, non ex officio missionis fecit, sed ex gratia, debito superaddidit, attendens quod et ipsemet ait : « Quum feceritis omnia quse prascepta sunt vobis, dicite : Servi inuliles sumus ; quod debuimus facere, fecimus. » Ac si aperte dicat : ne pro magno lia- beatis, si obedientiae debilum impleatis, nisi insupcr aliquid gralisc debitis adjungatis, sicut illi faciunt, qui virginitati vel conlinenliae sludent, vir- tuti nequaquam sub praecepta comprehensse. Denique nec illa beneficia gentilibus prastita tam’ missus facere venit, quam invitatus, et quasi pre- cibus adbaec agenda tractus. Quod vero illis praedicationem subtraxit, quos ad poenitentiam sic fuisse convertendos testatur, nequaquam cogimur per hoc fateri eos in hac poenitentia perseveraturos ut salvarentur. Multi quippe lcves suut QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 489 l’âme en entrant dans la bouche. Avant qu’il n’y entrât, la résolution avait commis la faute. Peu importe, pour le péché, ce que la bouche reçoit. Ce qui importe, c’est ce que nous avons résolu de prendre. VINGT-CINQUIÈME QUESTION d’hÉLOÏSE. Que signifie le passage de saint Mathieu où, Remportant contre certaines villes, le Seigneur dit : « Malheur à toi, Corozatn, malheur à toi, Bethsaïde ! si Tyr et Sidon avaient vu les miracles que vous voyez s’accomplir parmi vous, elles auraient fait pénitence sous le cilice et dans la cendre. » Le Seigneur était venu sauver les hommes : d’où son nom de Jésus et de Sau- veur. Pourquoi donc enleva-t-il à Tyr et à Sidon, villes %de Gentils, les miracles de la grâce qui pouvait les sauver, tandis qu’il les manifesta à ceux à qui il savait qu’elle devait être plutôt nuisible qu’utile ? Mais, direz-vous, c’est qu’ainsi qu’il le déclare lui-même, il n’était envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël. Je réponds : Pourquoi, si ce n’est pour les sauver ? et si c’était pour les sauver, à quoi servit-il qu’on les traitât de façon à les rendre plus coupables, en telle sorte qu’ils parussent non point des pé- cheurs repentants, mais des pécheurs endurcis ? Pourquoi le Seigneur ajoute-t-il : « Je vous le dis en vérité, il sera plus remis à Tyr et à Sidon qu’à vous, au jour du jugement ? » Knfin, saint Jean rapporte que plus d’un Samaritain crut à sa parole et qu’il manifesta même à des Gentils, tant hommes que femmes, les grâces de ses miracles qui leur iuspirèreut la foi ou qui les y affermirent ; tels le fils du centurion et la fille de la Tyrienne Syrophœnissa. Réponse (TAbélard. En réalité, c’est aux Juifs seuls que le Seigneur fut personnellement en- voyé. Ce que, dans sa bonté, il fit aux Gentils, il ne le fit pas par une né- cessité de sa mission, mais il l’ajouta à sa dette par un effet de sa grâce ; fidèle observateur de ce qu’il dit lui-même : « Lorsque vous aurez fait tout ce qui vous est ordonné, dites : nous sommes des serviteurs inutiles ; ce que nous devions faire, nous l’avons fait. » C’est comme s’il disait clairement : ne considérez pas comme une chose grande de satisfaire à la dette de l’obéis- sance, si vous n’ajoutez au payement de cette dette quelque surérogation volontaire, ainsi que font ceux qui observent la virginité et la conti- nence, bien que ce ne soient pas des vertus comprises dans les termes de la Loi. Enfin, il est venu manifester ces bienfaits aux Gentils, moins comme envoyé de Dieu que comme invité et pressé par leur prière à le faire. Quant à ce point, qu’il a privé des avantages de la prédication ceux qui, selon qu’il le déclare, auraient été amenés ainsi à la pénitence, il n’en res- sort nullement qu’ils auraient persévéré dans la pénitence au point d’être 490 PROBLENATA GUH RESPONSIOHIBDS. homines, qui ad poenitentias compunctionem facile commoventur, et eadem facililate, quasi ad vomitura revertentes, in mala, qus fleveranl, relabuntur : et quum auditum verbum praedicationis avide susceperint, firmitatem non habent radicis, ut in eo perseverent, quod cceperint. Quod si etiam ponamus illos ad praedicationem Domini fuisse convertendos atque salvandos, quibus tamen praedicationis gratiam subtraxit : penes ipsum est, cur hoc facere non decreverit, qui nihil sine ratione facit ; sicut de Esau.cui subtracta est gratia, quaestionem Apostolus movit, et eam indiscussam reli- quit. PBOBLEMA HELOISS* XXVI. Quserendum etiam videtur, quo myslerio, vel qua ratione Dorainus ia ficulnea quaerensfructum, et non inveniens, quando, ut Marcus ait, nonerat tempus ficorum, eam tamen sua maledictionc percussam continuo effecit aridam, ut deinceps arefacta permaneret, tanquam ex culpa quacunque ar- boris, hanc maledictionem in eam intorsisset. Solutio Abcelardi. Arbor, sine fructu reperta, Judaea cst pro sua nequitia tunc a Domino reprobata, utboni operisfructu privari mereretur, nequaquam recognosceDS suae visitationis tempus. Culpa autem ejus accidit, quod tunc tempus fruc- tuum ejus non fuerit : quando videlicet Dominicae praedicationis graliam sibioblatam repulit. PBOBLBMA HBLOISS^ XXVII. Quid est : c Oratio ejusfiat in peccatum ? • Solutio Abaslardi. Ita in reprobum sensum tradatur, ut magis eligat orare nociva, quam pro- futura, et obtinere precibus ea, quae ad peccatum magis pertrahant, quan ad salutem perducant. PBOBLBXA HBLOISSS XXVIII. Et epistola prima Pauli ad Thessalonicenses : c Ipse autem Deus pacis sanctificat vos per omnia, ut integer spiritus vester, et anima, et corpos sine querela in adventu Domini nostri Jesu Christi servetur. i Quid est spi- rilus et anima, tanquam anima non sit spiritus, aut duo spiritus sint in uoo homine ? QUESTIONS D’HELOlSE ET RÉPONSES DABÉLARD. 491 sauvés. 11 est bien des hommes légers qui se laissent aisément toucher par le sentiment de la pénitence, mais qui, revenant avec la même facilité à ce qu’ils ont abjuré, retombent dans le mal qu’ils avaient pleuré. Après avoir / écouté et recueilli avidement les paroles de la prédication, ils ne savent pas les retenir et les affermir en eux, de façon à persévérer dans la voie où ils sont entrés. Enfin supposons que ceux qu’il priva des bienfaits de la prédication eussent été convertis à prêcher Dieu et sauvés, il est seul juge de ce qui l’a décidé à ne pas le faire, lui qui ne fait rien sans raison. L’Apôtre souleva la question au sujet d’Ésaû, qui avait été privé de la grâce, et il la laissa sans solution. VINGT-SIIIÈMB QUESTION d’hÉI.OÏSS. Nous croyons aussi devoir demander par quel mystère ou par quelle raison le Seigneur cherchant sur un figuier un fruit et ne le trouvant pas, — quand, selon saint Marc, ce n’était pas la saison des figues, — pourquoi, dis-je, il le frappa aussitôt de sa malédiction et le rendit aride, si bien que dès lors il resta desséché, comme si c’était pour une faute quelconque de l’arbre qu’il eût lancé contre lui cette malédiction ? Réponse (TAbélard. L’arbre trouvé sans fruit, c’est la Judée réprouvée pour son impiété envers le Seigneur, et qui avait mérité d’être privée du fruit de sa grâce en ne reconnaissant pas le temps de sa mission. Ce fut sa faute, si ce n’était pas la saison des fruits : c’est qu’elle avait repoussé la grâce de la prédication divine qui lui était offerte. VINGT-SBPTIÈMB QUESTION DHÉLOÏSB. Que signifie ce mot : « Que sa prière ait en vue le péché ? » Réponse d’Abélard. Que lé mot soit livré à son sens réprouvé, à savoir qu’il faut de- mander dans ses prières plutôt ce qui peut nuire que ce qui peut servir, et obtenir ce qui peut conduire au péché plutôt que ce qui peut mener au salut. V1NGT-HUITIBMB QUESTION D’HÉLOlSE. Extrait de la première lettre de saint Paul aux habitants de Thessalonique : « Le Dieu de paix vous sanctifie en tout, en sorte que votre esprit et votre âme soient conservés purs, et votre corps sans souillure, à l’arrivée de Notre- Seigneur Jésus-Christ. » Qu’est-ce que l’esprit et l’âme ? L’âme n’esUelle pas l’esprit, ou y a-t-il deux esprits dans un homme ? 492 PROBLEMATA CUM RESPONSIOMBUS. Solutio Abalardi. Spiritum pro ratione, hoc est animi discretione hoc locoponit ApostolbN sicut et ibi :« Spiritus adversus carnem. » Tale est ergo, integer sit spi rit»,* vester, hoc cst, ratio ita perfecta vel incorrupta, ut in nullo per errarrci exorbitet a veritate. Animam vero dicit voluntatem, juxta illud : < Qui araat animam suam, perdet eam. » Hoc est, qui suam hic voluntatem se- quitur, postmodum sua voluntate privabitur : ut qui hic volunlalem suani impleverit, quod voluerit in futuro non habeat. Anima itaquc nostra, iil e*t voluntas, integra est, quando a divina non discrepat. Corpus quoque inte- grum servalur, quum exercitium corporalium sensuum non corruuipitur illecebris carnalibus, nec oculus noster animam nostram depraedatur. « neque mors intrat per fenestras nostras. » In his vero tribus per omnij sanctificatur, quum nec in discretione rationis, nec in exaesluatione nostne voluntatis, nec in obloctatione sensuum excedimus, ut caro spiritui domi- netur. Sic tunc profecto sine querela, hoc est, sine reprehensione servamur usqucin adventum Domini : quum tales perseveramus usque ad extremuni judicium, vel tales tunc inveniri meremur. PROBLEMA HELOISSJS XXIX. Quid est illud adEphesios : « …Ut possitiscomprehendcrecumomnibus sanclis, quae sit latitudo, longiludo, sublimitas, et profundum, scirc etiam supereminentem scientiae caritatem Ghristi, ut impleaminiin omnem pleui- tudinemDei ? * Solutio Abcelardi. « Possitis comprehendere, » hoc est, in vobis metipsis experiri, quanta sit latitudo ipsorum, scilicet sanctorum, in caritate, per quam se usque ad inimicos etiam diiatant. « Longitudo, » id cst longanimitas perseveranlia ?, caritatis, vel patientiae inadversis, peripsamscilicet caritatem, quaeomnia suffert, omnia sustinet. « Sublimitas eorumdem et profundum, » hoc est, quam magni sint ex his duobus apud Deum per meritorum quatttitatem, et quam parvi vel infirmi apud se per humilitatcm. Profundum quippe iinum dicit vel humile. Quam magni vero sint ac sublimes Deo, in remuneratione sua cxperientur, tibi tanto amplius merenturcxaltari,quanto hic humiliores extiterint ; et tanto plus a Deo recipere, quanto minus hic ex se recognos- cunt habere. QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 493 Réponse d’Abélard. L’Apôtre dit, dans ce passage, l’esprit pour la raison, c’est-à-dire pour la partie intelligente de l’âme, comme lorsqu’il dit ailleurs : « L’esprit contre la chair. » Ces mots : « Que votre esprit soit pur, » veulent donc dire : que votre raison soit si parfaite et si incorruptible qu’elle ne soit entraînée hors des voies de la vérité par aucune erreur. Par âme il entend la volonté, comme dans ce passage : « Celui qui aime son âme la perdra, » c’est-à-dire, celui qui suit sa volonté sera dans la suite privé de sa volonté, en ce sens que celui qui aura accompli sa volonté n’aura plus dans l’avenir à quoi ap- pliquer sa volonté. Notre âme, c’est-à-dire la volonté, est doue pure, quand elle ne se distingue pas de la volonté divine. Le corps aussi est conservé pur, quand l’exercice des sens n’est pas corrompu par les attraits de la chair, que notre œil ne vole pas notre âme, « et que la mort n’entre pas par nos fenêtres. » On est sanctifié en ces (rois choses, quand ni dans les appli- cations de l’intelligence, ni dans les entraînements de la volonté, ni dans les satisfactions des sens, on ne perd pas la mesure, en sorte que la chair reste maîtresse de l’esprit. C’est ainsi que l’on est conservé sans tache, c’est-à-dire sans défaut, jusqu’à la venue du Seigneur ; et quand on demeure tel jusqu’au jour du jugement, on mérite d’être trouvé tel au jour même du jugement. V1NGT-RBUVIÈME QUESTION d’uÉLOISB. Que signiûe ce passage de l’épitre aux Éphésiens : « En sorte que vous puissiez comprendre, avec tous les saints, ce que c’est que largeur, longueur, élévation, profondeur, et savoir que l’amour du Christ est supé- rieur à toute science, si bien que vous soyez remplis de toute la plénituda de Dieu ? » Réponse d’Abélard. « Que vous puissiez comprendre, » c’est-à-dire que vous puissiez éprouver sur vous-même combien est grande leur largeur dans l’amour du pro- chain, — par leur, je veux dire la largeur des saints, — largeur, qui est telle que leur cœur se dilate jusqu’à embrasser leur ennemis. « Leur lon- gueur, » c’est-à-dire la longanimité de leur persévérance, de leur charité et de leur patience par la charité qui supporte et souffre tout, c Leur élé- vation et leur profondeur, » j’entends par là combien ils sont grands par la quantité de leurs mérites aux yeux de Dieu et combien ils sont petits et faibles, à leurs propres yeux, par l’humilité. Profondeur, en effet, veut dire ce qui est au fond, ce qui est bas. Combien, au contraire, ils sont grands et élevés pour Dieu, ils le reconnaîtront dans la récompense qui leur sera décernée : car ils mériteront d’être exaltés d’autant plus haut qu’ils auront été plus humbles, et de recevoir d’autant plus qu’ils reconnaîtront que, par eux-mêmes, ils possèdent moins. 401 PROBLEMATA CUM RESPONSIONIBUS. Hax autem quatuor, latitudo scilicetsanctorum,velEcclesiae, quae corpj ? Christi est, in ipsa ejus cruce, cui ejus corpus affixum est, praefiguratum esse intelligunt. In latitudine quidem crucis, ad dexteram ct in sinistram, uhi manibus affixis extensus est, latitudo caritatis inimicos etjam amplectentis, qui nobis tanquam in sinistra sunt, boc est, in adversitate, sicut amici in dextera, designatur. Manus affixae in dextera ct sinistra crucis parte opera sunt caritatis, ad inimicos pariter et amicos in beneficiis dilatata. Quam profecto latitudinem caritatis de ipsa cruce Domiuus nobis exhibuit, quum et curam matris gerens, eam discipulo commendavit, etpro crucifigeDiibijs exoravit. Sicut autem latitudo dextrorsum et sinistrorsum tendit, ita lotigitudo sursum et deorsum respicit, in qua ipse Dominus acapite usque ad pedes io cruce stetit erectus. Ex qua quidem longitudine illa ejus perseverantia pa- tientiae figuratur, usque ad consummationem vitae ipsius, sive redemptionis nostrae. Dequa ipsemet ait : « Gonsummatum est.» Et Apostolus : « Factus, inquit, obediens usque ad mortem. » Sublimitas crucis, additio illa est, in qua titulus scriptus est super caput Domini. In quo certe titulo nomen ejus prascriptum, quod est Jesus, illud est excellentissimum, de quo idem Apostolus adjecit : « Propter quod est Deus exaltavit illum, etdonavit illi nomen quod est super omnenomen. »In electis quoqueilla superiorpars addita significat illudin remunerationesanc- torum, quod supra merita ipsis est collatum ex gralia, juxta illud ejusdem Apostoli : « Non sunt condignge passiones hujus temporis ad futuram glo- riam, quae revelabitur in vobis. » Profundum, hoc est, inferior pars crucis, perquam terneaffixa sUt.hu- mile est et abjectum crucis patibulum, sive genus hiortis ignominiosum, quo maxima Christi humilitas commendatur, et ipse amplius exaltari meruit sicut supra meminimus ibi, « propter quod at Deus exaltavit illum, etc. » Dehoc genere mortis prsedictum fuerat expersona impiorum : « Morte tur- pissima condemnemus eum. i» ln electis etiam illa pars inferior crucis qua terrae infixa tenetur, virtulem exprimit humilitatis, qua ipsi se pulveri et terrae comparantes quanto se amplius hic humiliant et minores reputant, tanto postmodum exaltari merentur. Et haec quidem humilitas eorum firmos et erectos eos tenet in culmine virtutum : sicut illa pars crucis terrs affixa firmam eam et erectam tenet* Post caritatem sanctorum, transit ad summam Ghristi caritatem, quam nobis exhibuit, et dos eum scire^ ac semper attendere admonet, ut ejus QUESTIONS D’IIÉIOÏSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD., 405 Maintenant, par les quatre dimensions, voici ce qu’il faut entendre. La ~ largeur des saints est figurée par l’Église, qui est le corps du Christ sur la croix à laquelle son corps a été attaché. Par la largeur de la croix, étendue à droite et à gauche, et sur laquelle il a été attaché les mains clouées, est figurée la largeur de la charité embrassant même ses ennemis, lesquels sont ceux qui sont à notre gauche, c’est-à-dire dans l’adversité, de même que les amis sont à droite. Les mains clouées à droite et à gauche de la croix sont les œuvres de la charité dont les bienfaits atteignent également les ennemis et les amis. Cette largeur de la charité, le Sei- gneur Ta témoignée lui-même du haut de sa croix, lorsque, prenant soin de sa mère, il l’a recommandée à son disciple et qu’il a prié pour ses bourreaux. De même que la largeur s’étend à droite et à gauche, de même la lon- gueur s’étend en haut et en bas, dans le sens où le Seigneur a été érigé sur la croix, c’est-à-dire des pieds à la tête. Cette longueur est l’emblème de la longanimité de sa patience poussée jusqu’au sacrifice de la vie, c’est-à-dire jusqu’à l’accomplissement de notre rachat ; ainsi qu’il le dit lui-même : « Le sacrifice est consommé ; » et, ainsi que le dit l’Apôtre : « Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort. » L’élévation de la croix est la partie ajoutée du sommet sur lequel a été gravée l’inscription au-dessus de la tête du Seigneur. Dans cette inscrip- tion est gravé son nom, qui est Jésus, c’est-à-dire le plus beau des noms, au sujet duquel le même Apôtre dit : « C’est ainsi que Dieu a exalté sa gloire et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom. » Relative- ment aux élus, ce sommet a aussi un sens applicable à leur récompense ; il signifie qu’il leur a été accordé par la grâce au delà de leurs mérites, suivant ce mot de l’Apôtre : « Les espérances de ce temps ne sont rien au prix de la gloire qui sera un jour révélée en vous. » La profondeur, c’est la partie inférieure par laquelle la croix tient à la terre dans laquelle elle est plantée ; elle figure l’humiliation et l’indigiuté du supplice de la croix-, c’est-à-dire le genre de mort ignomiuieux qui marque la souveraine humilité du Seigneur, et lui mérita particulièrement l’exaltation de gloire que nous rappelions tout à l’heure en citant ces mots : « C’est ainsi que Dieu a exalté sa gloire. • Ce genre de mort avait été l’objet d’une prophétie dans la personne des impies : « Condamnons-le à la mort la plus honteuse. » Relativement aux élus, cette partie inférieure de la croix qui tient à la terre représente la vertu d’humilité par laquelle ils se comparent à la poussière et à la terre et méritent d’être exaltés d’autant plus haut dans le ciel qu’ils se sont plus abaissés. Et cette humilité des élus les tient fermes et droits au sommet des vertus, de même que la partie de la croix attachée à la terre la tient ferme et droite. Après la charité des saiuts, l’Apôtre passe à la charité souveraine du Christ, à la charité que le Seigneur nous a témoignée. 11 nous recoin- 496 PROBLEMATA CUH RESPONSIONIBUS. comparatione humiliores ac ferventiores in ejus dilectione teneamur. Haoc utique Christi caritatem supereminentem scientisB nostrae dicit : quia longe major est, quam nos comprehendere intelligentia vel experientia pos-imu>. Quum autem hanc CUristi caritatem considerantes, eani nostrae conferenui* incomparabiliter superiorem, tunc, ut dictum est, humiliores ac ferren- tiores effecti, implebimur omni perfectione virtutum a Deo nobis collata. PROBLEXA HELOISSJi XXX. Quid est illud in primo libro Regum, quod de Helchana dicitur : « Et ascendebat vir ille statutis diebus, ut adoraret ?» Qui, vel a quo statuti sunt dies isti ? Solulio Abcelardi. Uabanus Maurus in libris Regum, ex sententia cujusdam Hebraei, qtiem in plerisque sequitur secundam litteram : « Quod autem dicit : stalutis diebus, » hoc est tribus festivitatibus, Pascha videlicet, Pentecosfe, et solem- nilate Tabernaculorum. Unde Dominus in Exodo pracepit, dicens : « Tribus vicibus per singulos annos mihi festa celebrabitis. » Et item : « Ter, inquit, in anno apparebit omne masculinum tuum coram Domino Deo tuo, )n loco, quem clegerit Dominus Deus tuus. » Ergo in Silo quum esset eo tempore arca Domini, ibi hic Helchana, quum esset ipse Levita, post oblatas rictt- mas, cum uxoribus et filiis atque filiabus pariter vescebatur. PROBLEMA IIEL0ISS£ XXXI. Quid est postmodum, quod Anua respondit Eli sacerdoti : « Nequaquani, inquit, dominemi : nam mulier infelix nimisego sum, vinumque, et omne quod ihebriare potest, non bibi ; sed effudi animam meam in conspectu Domini. Ne reputes ancillam tuam, sicut unam de filiabus Belial ? » Solutio Abcelardi. tnfelicem se dicit, quasi probrosam ; quia maledicta sterilis, et quae semen non reliquit in Israel. Unde et illud est Elizabeth : « Quia sic fecit niihi Dominus in diebus, qiubus respexit auferre opprobrium meum inter homi- nes. » Unde et illud est Deuteronomii quod Dominus inter cactera promittit populo, pro praeceptonim observantia : « Non erit apud (e sterilis utriusque sexus, tam in hominibus quam in gregibus tuis. » Quod vcro ait : « Vinum, QUESTIONS D’IIÉLOISE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 497 mande de le connaître et de toujours prendre garde de nous tenir, par comparaison avec lui, dans des dispositions d’humilité et de ferveur d’amour. Il dit que cette charité du Christ est supérieure à notre savoir, en ce sens qu’elle est beaucoup trop grande pour que notre intelligence puisse l’em- brasser, notre expérience nous en donner une idée. Et lorsque, considérant cette charité du Christ, nous la rapprocherons de la nôtre et que nous eu reconnaîtrons la supériorité incomparable, alors devenus plus humbles et plus fervents, ainsi qu’il a été dit, nous serons remplis de toute la perfection de vertu que Dieu nous a donnée. TRENTIÈME QUESTION d’hÉLOÏSB. Que signifie ce passage du premier livre des Rois, où il est dit d’Hel- chana : « Et cet homme montait aux jours fixés pour adorer ? » Quels sont ces jours, et par qui ont-ils été fixés ? Réponse cTAbélard. Rabanus-Maurus, dans les livres des Rois, dit, d’après l’avis d’un Hébreu, qu’il suit presque toujours à la lettre : a Ce qu’il appelle les «jours fixés, » ce £ont les trois fêles de la Pâque, de la Pentecôte et des Tabernacles. » C’est ainsi que le Seigneur a dit : « Vous célébrerez mes fêtes trois fois, chaque année ; » et ailleurs : « Trois fois par an, toute ta race masculine viendra se montrer au Seigneur, ton Dieu, dans le lieu que le Seigneur, ton Dieu, aura choisi. » Donc comme, à cette époque, l’arche du Seigneur était à Silo, c’est là que cet Ilelchana, qui était lui-même Lévite, prenait sou repas, après avoir offert les victimes, avec ses femmes, ses fils et ses frères. TRENTE-UNIÈME QUESTION d’hÉLOÏSE. Que signifie ce que répondit Anne au grand-prêtre Héli : « Point du tout, mon maître, dit-elle ; car je suis une femme très-malheureuse ; je n’ai pas bu de vin, ni rien de ce qui peut enivrer ; mais j’ai répandu mon âme de- vant le Seigneur ; ne considérez pas votre servante comme une des filles de Bélial ? » Réponse (TAbélard. Elle se dit malheureuse, en ce sens qu’elle est sujette au mépris, parce que, frappée de stérilité par la malédiction, elle n’a pas laissé de semence en Israël. C’est ce qui fait dire à Elisabeth : « Parce que le Seigneur m’a fait la grâce d’effacer, en ces jours, le souvenir de mon humiliation parmi les hommes. » C’est de là aussi que vient la promesse que, dans le Deutéro- nome, le Seigneur fait entre toutes à son peuple, comme récompense de 33 498 PROBLEMATA CUH RESP05SIOMBUS. et omne quod inebriare potest, nou bibi, » magnam laicae feniinae vel cob- jugats perfectionem exprimit. Quani profecto abstineutiain si tunc agebat, ut ejus orationem facilius eiaudiret Dominus, de partu, quem postulahai, quanto magis virgines Christi, quae spiritali, ac longe meliori fruetui sto- dent, ista decet abstiuentia ? Filias Belial specialiter appellat, quas sibi diabolus tanquam propriam prolem generat. Ebrietas quippe statum mentis evertit ; et quidquid ima- ginis Dei per rationem habemus, extinguit ; ut jumentis insipientibus com- parandi, efQciamur sicut equus et mulus, quibus non est intcllectus. Anti- quus hostis, et diabolus dicitur, hoc est, deorsum fluens ; el Zabulus, siu- Satanas, quodin latinum sonat adversarius, sive transgressor ; ct Beliak hoc est, absque jugo. Quod quidem nomen hoc loco propter ebrios recle positum est : quum ebrii, tanquam insani, nulli Dei vel discipliua ? jugo subjaceant. Tales ergo dicit filias Belial, quales furibuudse Bacchi sacerdo- tisss describuntur. PROBLBMA HBLOISS* XXXII. Quid est etiam illud de Anna : « Vultusque illius non sunt amplius in diversamutati ? » Solutio Abcelardi. Hilarem tantum faciem, et non moestam vel flebilem deinceps exliibuit. PROBLEMA RELOISSf XXXIII. Quid et illud est : « Oravit Anna, et ait : « Exultavit cor mcum in Domino, ctc ? » Hoc quippe canticum verba gratiamm, vel prophetix potius habet, quam orationis. Solutio Abaelardu Quantum sestimo, ante canticum orationem pncmisit, quo ejus canticum, vel actio gratiarum acceptabilius Deo fieret. De oratione itaque pracmissum est : « Oravit,» et decantico subjunctum ; « ctait : Exultavit cor meum,clc» Nam et mos Ecclesise est in singulis horis orationem pnemillere liis qua ? in laudibus Dei decautanda sunt. QUESTIONS D’HÉLOlSE ET I\ El’ON SES D’ABÉLARD. 400 l’observation de ses préceptes : c Aucun sexe ne sera stérile, ni dans ta famille, ni dans tes troupeaux. >• Quant à ce qu’elle dit ensuite : « Je n’ai point bu de vin ni rien de ce qui peut enivrer, » cela exprime la perfection souveraine d’une femme1 laïque ou mariée. Et si Anne obsen ait cette absti- nence, afin que le Seigneur prêtât une oreille plus bienveillante à la de- mande qu’elle lui adressait d’être mère, combien mieux cette abstinence convient-elle à des vierges du Christ, qui travaillent à un fruit spirituel et s supérieur ? Il appelle spécialement filles de Bélial celles que le diable engendre comme sa famille propre. L’ivresse, en effet, détruit l’équilibre de l’unie et efface, tout ce que nous portons en nous, par la raison, de l’image de Dieu. Elle nous rend semblables aux bêtes de somme privées de raison ; nous devenons comme le cheval, comme le mulet, auxquels manque l’intelli- gence. On appelle l’antique ennemi diable, parce qu’il vient d’en haut ; Zabulus ou Satanas, parce qu’en latin ce mol signifie adversaire ou traître ; et Bélial, parce qu’il est hors de tout joug : nom qui lui est justement attri- bué ici à l’égard de ceux qui se livrent à l’ivresse ; les gens ivres étant comme des fous qui ne sont soumis à aucun joug de Dieu ou de la disci- pline. Il appelle donc filles de Bélial celles qui sont telles que l’ont décrit les folles prétresses consacrées à Bacchus. TREKTE-DEUXIÈXE QUESTION d’uÉLOÏSB. Que signifie ce passage sur Anne : i Sou visage, dès lors, ne revêtit plus d’expressions diverses ? » Réponse iVAbélard. Cela signifie que, dès lors, elle ne montra jamais plus qu’un visage gai, et point triste ni désolé. TRENTE-TROISIÈME QtESTIOM d’hÉLOÏSE. Que signifie encore ce passage : « Anne fit une oraison* et dit : « Mou cœur s’est exalté dans le Seigneur ? » Celle hymne a plutôt la forme d’une action de grâces, ou même d’une prophétie, que d’une oraisou. Réponse d’Abèlard. Si je ne me trompe, Anne a placé l’oraison avant l’hymne, afin que son hymne ou action de grâces fût plus agréable à Dieu. Le mot : « Elle pria » précède donc l’oraison ; et elle dit de l’hymrc : « Mon cœur s’est exalté dans le Seigneur. » En effet, c’est la coutume de l’Église de placer une orai- son avant chacune des hymnes qui doit être chantée, tous les jours» en l’honneur de Dieu. 500 PROBLEMATA CUN RESPONSIONIBCS. Plura autem cantica sanctarum feminarum legimus, ut Deborac, Judith, et istud Annae malris Saniuelis, sicut et Mariae matris Domini, de partu siLi a Domino commisso, illi quidem sterili, ut niater Ceret tanti propheta ?, isli vero virgini, ut mater fieret Salvatoris. Et hoc profecto canticum Annr, sicut et illud Yirginis suramae, Ecclesia maxime frequentare consuevit, oon solum pro sanclitate matris, vel dignitale parlus ei concessi iu Samuek, scilicct a quo specialiter prophetae dicuntur incoepisse, et qui primus a matre Domino est oblatus, verumetiam quia nullus ante propbetarum tempus tam manifeste Chrislum, et ejus imperium in suis canlicis, sicut nuuc Anna, prophetasse videtur. Sic quippe ait de Patre Ghristi et ipso : c Douii- nus judicabit fines terrae, et dabit imperium regi suo, et sublimabit corou Christi sui. » Nondum quippe rex in Israel erat conslitutus, ad quem hax prophetissae gratulatio pertineret. Ipsa primo Christum, lioc est Messiam verum patenter exprimere meruit, ipsa manifeste praenuntiat futurum, quod Maria decantat completum, tanquam fidem Yirginis tam propbetu quam partus instrueret sterilis. PROBLEMA HELOISSJ : XXXIV. Illud etiam movet, quod hic dicitur : « Donec sterilis peperit plurimos.» Etsi enim Scriptura postmodum rcferat, quod post Samuelem adhuc tres iilios, et duas nlias Anna pcperit, nondum tamen, dum hoc dicerct canti- cum, nisi Samuelem habuisse refcrtur. Quomodo etiam de filiis suis dicit, « plurimos, * et de filiis aemulae suae Fenemiae, dicit « multos, • tanquam ipsa plures habuerit, quam illa ? Quamvis cnim Scriptura non dcfiniat quot filios habucrit Feuenna, nonnulli tan.en astruunt eam plures habuisse, quam Annam, hoc est, septem. Solutio Abalardi. Non est neccsse ut « plurimos » hoc loco, pro plurescomparative accipia- mus, respectu pauciorum : scd plurimos dicit absolute, sicut et niultos, verbis in eodem sensu variatis. Nec impedit, sijam multos fiiios habuis>et Anua, quando canticum istud Domino persolvit, quamvis Scriptura noudum retulerit eam habuisse nisi Samuclem. Saepe namquc serics Scriplurae non tenet ordinem historise, sed nonnulla narrat pra ?postcre. Potuit etiam istud pcr prophetia ; spiritum Anna dicero, quum solum adhuc habercl Samuciem. Denique nec incongrue dicere potuit QUESTIONS DHELOÏSE ET RÉPONSES D’ABELARD. 501 Nous avons plusieurs hymnes des saintes femmes, celles de Débora et de Judith, celle d’Anne, mère de Samuel, et colle de Marie, mère du Seigneur, sur le fruit qui leur a été confié par le Seigneur, et qui devait rendre Tune, alors stérile, mère d’un si grand prophète, l’autre, encore vierge, mère du Sauveur du monde. Cette hymne d’Anne, ainsi que celle de la Vierge souveraine, l’Église a coutume de les chanter, non-seulement à cause de la sainteté de la mère et de l’importance du fruit qui lui a été confié dans la personne de Samuel, cette souche particulière des prophètes, et comme la première de celles qui furent offertes à Dieu, mais parce qu’au- cun prophète ne parait avoir prophétisé, dans ses hymnes, le Christ et son règne aussi clairement qu’Anne. En effet, elle dit du père du Christ et du Christ lui-même : « Le Seigneur jugera l’univers, et il donnera l’empire à son roi, et il exaltera l’étendard de son Christ. > A cette époque, il n’y avait pas encore de roi, dans Israël, à qui les actions de grâces de cette prophétie pussent s’adresser. C’est donc elle qui la première mérita d’annoncer claire- ment le Christ, c’est-à-dire le vrai Messie, et de prédire manifestement sa venue, prédiction dont Marie chante l’accomplissement, comme si la pro- phétie, non moins que la maternité de la femme stérile, eût éclairé la foi de la Vierge. TRENTE-QUATRIÈME QUESTION d’hÉLOISE. Jfaici encore qui fait question pour nous : « Jusqu’à ce que, stérile, elle mît au monde beaucoup d’enfants. » Sans doute, l’Écriture dit bien ensuite qu’après Samuel, Anne mil au monde trois fils et deux filles. Mais au mo- ment où elle chantait cette hymne, elle n’avait encore eu que Samuel. Comment aussi, dit-elle de ses Gis « beaucoup » et des fils de Fénenna, sa rivale, « plusieurs, » comme si elle en avait eu plus que Fénenna ? L’Écri- ture ne détermine pas, il est vrai, le nombre des enfants qu’eut Fénenna. Quelques-uns pensent toutefois ^qu’elle en eut plus qu’Anne, c’est-à-dire sept. Réponse d’Abélard. Il n’y a pas lieu d’entendre dans ce passage « beaucoup > comme un terme de comparaison relativement à un nombre moindre. Les mots« beau- coup » et « plusieurs » sont employés ici dans un sens absolu. Ce sont deux mots différents pour exprimer une même chose. D’autre part, rien ne s’oppose à ce qu’Anne eût eu plusieurs fils, quand elle composa cette hymne en l’hon- neur du Seigneur, bien que l’Écriture rapporte qu’elle n’avait encore eu que Samuel. Les récits de l’Écriture, en effet, ne sont pas toujours conformes à l’ordre historique. Les choses parfois sont présentées hors de leur place. D’ailleurs Anne peut dire cela par esprit de prophétie, alors qu’elle n’avait encore que 502 PROBLEMATA CUH RESPONSIOMBUS. pro solo Samuele, ut ipse scilicet pluris esset m pretio, quum filii Feneiuue, licet unus in nuraero. Hoc enim modo nonnunquam contingit, ut illum dica- mus plus habere, qitam alium, qui pauciora numero, sed pretiosiora possidet. PROBLEMA HELOISSiE XXXV. Obsecramus et quid illud sit : i Samuel autem ministrabat ante fnciem Domini, puer accinctus ephod lineo, et tunicam parvam faciebat mater sua, quam afferebat statutis diebus, ascendens cura viro suo, ut immolaret lios- tiam solemnem. » Sive enim levita, ut probabilius est, sive sacerdos Samucl fuerit, nequaquam aetas pueritiae ministerio ejus convenire secundum legem poterat, ut videlicet ephod accintus tanquam levita, vel sacerdos, vitam teneraaetate ministraret. Quaerimus et quam tunicamvel quibus temporibus statutis mater puero aflerret. Solutio Abcelardi. Hinistrare puer in aliquibus officiis minoribus polerat, ephod quo jue linco accinctus. Unde et illud estKabani secunduju Augustinum : « Samtiel accinctus epliod bar, hoc est superhumerali lineo, quod distat ab illo e|thod, quo induebatur pontifex : quia istud tantummodo lineum ftiit, el coiicessura minoribus gradibus ad utendum. Illud enim, quod vestiebat ponlificem, ex quatuor coloribus, id est, hyacinlo, bisso, cocco, purpura, et ex auro habe- batur contextum. » Statutos dics patet esse supradictos trium festivitatum secundum lcgem, ut in singulis illis praecipuis solemnilatibus anni, mater sollicita tilio noVam tunicam afferret, in qua ipse Domino muudius vel houestitis ministraret, superhumerale lineum desuper habens, quo accinctus, et noti oneratus, expeditius ministrare posset. Quem, ni falior, habitum monachi nunc imitantur, quum opera manuum in tunica et scapulari desuper accincto soleant exerceiv. Quid enim aliud scapula ? quam bumeri ? Aut quid scapulare, nisi superliumerale ? Denique, quisimprobetSamuelem, licet puerum, in officio leviarum, pro necessitate ministrare, hoc etiam Eli jubente, quum nnllus luiic in domo Elircperireturhocofliciodigims ?Notum quippe proverbium est : « Necessitas non habet legem. » PROBLEMA HELOISS* XXXVI. Rogamus quippe et quterimus, quis fuerit i>le vir Dei a Domino missusad Eli ut eum corrigeret, ct mala donuii ejus venturas praediceret ? QUESTIONS D’HÉLOÏSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 503 Samuel. Enfin, il n’y aurait rien d’extraordinaire à ce qu’elle eût parlé seu- lement de Samuel, comme étant plus précieux à lui seul que tous les fils de Fénenna. Il n’est pas rare de dire que tel est plus riche, qu’un autre, qui possède moins de choses, mais des choses de plus de prix. TRENTE-CINQUIÈME QUESTION d’hÉLOÏSE. Nous demandons encore ce que veut dire ceci : « Samuel serrait devant la face du Seigneur, enfant vêtu du manteau de lin ; et sa mère lui faisait une petite tunique qu’elle lui apportait aux jours marqués, montant au temple avec son époux pour offrir solennellement une victime. » Que Samuel fût prêtre ou, comme il est plus probable, lévite, sa jeunesse, aux termes de la Loi, ne convenait pas à ce ministère. 11 ne pouvait, en un âge si tendre, y avoir consacré sa vie, et avoir revêtu le manteau de lin, soit comme lévite, soit comme prêtre. Nous demandons aussi quelle tunique sa mère lui apportait et à quels jours fixés. Réponse d’Abélard. Samuel pouvait, tout enfant, rendre quelques offices d’ordre secondaire, re\ètu du manteau de lin. Ainsi le fait entendre ce passage de Rabanus, conforme à saint Augustin : « Samuel revêtu de t’éphod, c’est-à-dire du manteau de lin, qui diffère du manteau du prêtre. L’éphodseul était de lin, et il était le costume des ordres inférieurs. La robe du prêtre était teinte de quatre couleurs : jacinthe, safran, écarlate, pourpre, et, déplus elle était tissued’or. » Quant aux jours marqués, il est évident que ce sont les jours des trois fêles de la Loi. Chaque année, à chacune de ces solennités, la mère pleine do sollicitude apportait à son fils une tunique neuve, pour qu’il pût servir Dieu dans une tenue plus propre ou plus belle, portant sur l’épaule le man- teau de lin qui le recouvrait sans le charger, et lui permettait d’accomplir son ministère avec diligence. Ce costume, si je ne me trompe, est le costume en usage chez les moines qui exécutent les travaux manuels, revêtus de la tunique et du scapulaire. Les scapules sont-elles autre chose, en effet, que les épaules, et le scapulaire autre chose que l’éphod ? Enfin, qui pourrait trouver mauvais que Samuel, bien que tout enfant, ait servi le Seigneur parmi les lévites, ainsi qu’Héli a donné l’ordre de le faire, nul ne se trouvant d ms la maison digne de remplir l’office de lévite ? On connaît le proverbe : « La nécessité ne connaît pas de loi. • TRENTE-SIXIÈME QUESTION d’hÉLOÏSE. Nous demandons, nous voudrions savoir quel était cet homme de Dieu envoyé par le Seigneur à Héli pour le corriger et lui prédire les malheurs de sa maison. 504 PROBLEHATA CUH RESPONSIOMBUS. Quid et illud sit, quod inter caetera dicitur, de sacerdote meliore succes- suro Eli : « Suscitabo, inquit, niihi sacerdotcm fidelem, qui juxta cor meum et animam meam faciat : el aedificabo ei domum lidelcm, et ambulabit coram Christo meo cunctis diebus. Futurum esl autem, ut quicunque remanserit in domo, veuiat, ut oretur pro ea, et offeral nummum argenteum, et tortam panis, dicitque : dimitte me, obsecro, ad unam partem sacerdotalem, ut comedam buxellam panis. r» Scimus quidem Samuelem, qui Eli supervixit, fidelissimum extitisse Domino. Sed quod levita potius quam saccrdos extiterit, communis opinio est, nec domum ejus fidelcm cxtitisse, cujus filii reprobati sunt. Quod etiam dicitnr : « Ambulabit coram Chri>to meo, » utrum de ipso sacerdote, an de domo ejus accipiendum sit, et qui ille Christus sit, quacrimus. Deuique quod supponitur de oblatione nummi argentei, et tortae panis, tanquam oblatione nova, quam lex non habuit, et caeteris, quae adduntur, expoui postulamus. Solutio Abcelardi. Vir ille Dei credilur angelus fuisse apparens in humana specie. Sacercos successurus Eli, non tam Samuel qui levita fuerit, knec fidelem, sed rero- bam domum habuit, quam quicunque alius vir sanctus, qui in ordine saier- dotii Eli successerit, intclligendus esse videtur, qualis fortassis Aminrdab fuit, in cujus domum arca Domini Cariathiarim reducta est a Philist&is. vel Eleazarus filius ejus sanctifii atus ibi ad custodiendam arcam, vel denique ipse Abimelec, quem cum aliis sacerdotibus Saul interfecit in Nobc civitate sacerdotum. Quod vero dictum est : c Ambulabit coram Cliristo mco, » uon dc sacerdote, sed de domo ejus accipe sub ipso ministrante. Denique quod addilur : « Futurum est enim, etc, d itallebraum quemdam audivi expouentem. Nummus argenteus, siclus argenleus est, quo unusquisque redimcbat se a sacerdote. Torta panis, quicar, id est quarta panis pars, qua ? pauperum oblatio erat. Pars sacerdoti armus dexter, et pecusculum, id cst superior pectoris pars, maxillae, vcntriculus, et cauda quae tamen non scmper eadem erat, quia secundum diversos sacrificiorum ritus, ut in Levi tico legitur, pars sacerdoti dabatur. Nuntiatur itaquc Eli, quod domus ejus ad tantam ventura sit paupertatem, ut qui modo redemptionum et oblalio- num susceptorcs erant, quibus etiam proptcr ipsum Elipars sacerdotalis da- batur, ab aliis se rcdimendos sacerdolibus, alimoniam petant, oranles, ut eis quantulacunque saccrdotii particula, cl buccella panis, quae torta supc- rius appellata est, dimittatur. QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 505 Que signifie également ce passage, où, entre autres choses, i ! e4 parlé du grand prêtre meilleur qu’Héli et destiné à lui succéder, dans les termes sui- vants : « Je me susciterai uu prêtre fidèle qui sera selon mon cœur et mon Ame, je lui élèverai une maison fidèle, et il marchera avec moi, tous les jours, devant le Seigneur. Et il arrivera que quiconque sera resté jusque-la dans la maison viendra pour qu’il soit prié |>our elle, offrira une monnaie d’argent, une tourte de pain, et dira : « Abandonne-moi, je’t’en supplie, une part de prêtre, afin que j» puisse manger une petite bouchée de pain ? » Nous savons bien que Samuel, qui Mirvécut à Héli, fut très-fidèle au Sei- gneur ; mais l’opinion commune est qu’il était lévite plutôt que prêtre, et que sa mison ne fut pas fidèle, puisque ses fils furent réprouvés. Quant à ce mot : « Il marchera devant mon Christ, » s’applique-t-il au prêtre lui- même, ou à sa famille, et quel est ce Christ ?nous voudrions aussi le savoir. Enfin, nous demandons des explications sur l’offrande de la monnaie d’argent et de la tourte de pain, — c’est une offrande de nouvelle espèce et non prévue par la Loi, —ainsi que sur les autres détails. s Réponse d’Abélard. On croit que cet homme est un ange qui apparut sous forme humaine. Par le grand prêtre, futur successeur d’Héli, il faut entendre non pas tant Samuel qui ne fut que lévite et dont la famille, bien loin d’être fidèle, fut réprouvée, que tous les saints personnages qui remplirent le miuislère d’IIéli après lui, tel- peut-être qu’Aminadab, dans la maison duquel l’arche du Seigneur fut rap|>ortée à Cariathiaris par les Philistins, ou bien Éléazar son fils, consacré à la garde de l’arche, ou enfin Abimelec lui-même que Saûl tua avec les autres prêtres dans Nobe, la ville des prêtres. Ces mots : « Il marchera de- vant mon Christ, » il faut les entendre non du grand prêtre, mais de la famille servant sous lui. Enfin, quant au passage : « Il arrivera, etc., » voici comment je l’ai entendu expliquer par un Hébreu. La pièce d’argent, c’est le sicel d’argent au prix duquel chacun se rachetait auprès du grand prêtre. La tourte de pain ou quicar, c’est le quart de pain qui étaitl’offrande du pauvre. La part de la prêtrise était l’épaule droite, le pectuscule, c’est- à-dire la partie supérieure de la poitrine, les joues, le ventricule et la queue qui était donnée, comme il est dit dans le Lévitique, au grand prêtre : cette part, toutefois, variait avec les rites divers des sacrifices. C’est d’Héli qu’il est question, parce que sa maison en devait arriver à un tel état de misère, que ceux qui étaient jadis les entrepreneurs des rachats et des offrandes, cl auxquels pour cela même la part sacerdotale d’Héli était donnée, allaient être obligés de passer marché avec les autres prêtres, demandant l’aumône et suppliant qu’on leur abandonnât une part, si petite qu’elle fut, de la prê- trise, une petite bouchée de pain appelée plus haut tourte. 506 PRODLEMATA CUH RESPONSIONIBCS. PHOBLENA HBLOISS£ XIXVII. Quid est illud in exordio Marci Evangelisla ?, quod ait : i Sicutscriptum est in Isaia : ecce mitto angelum metim aute faciemtuam, qui praeparabit viam tuam anlc te. Vox clamantis in deserto, etc. i Cur enim dicit : « Iu Isaia, i qiiuni primuin testimonium, quod statim addit, sit Malachiae, secundum Isaiae ? Sin aulem e converso fecisset, stare veritas posset ; ita scilicet, ut illud, quod praemiserat : « sicut scriptum est in Isaia,» ad primum tantum pertincret tcstimonium. Solutio Abazlardi. Sed qui eudem scutentia in verbis utriusque prophctac coutinetur, brevi- loquus Evangelista idipsum, quod Malacbias dixit, Isaiae, ascripsit, qui ma- joris erat auctoritatis, ct a quo fortassis ille hoc didicerat. Missio quippe angcli ad parandam viam Domini, vel ipsa ejus preparatio, etvoxclamantis in deserto, Joannis cst pradicatio. Quem etiam diiigentius Isaias describit, qiium eum non angelum appcllal, sed clamantem in deserto pnenunciat, unuV et bene evangelista post testimonium Isaiae, quod posterius posuit. stutim adjecit :«Fuit Joannes in dcserto baptizans,ct pracdicans.» Quod qui- dom quum ait : « ln descrto, et praedicans, » apertius verbis consonal Isaiae diccntiss cilicet : « Yox clamautis iii dcserto. » Provide quoque Marcus quum pracmiserit : « Scriptum est in Isaia, » addidit : « propbcta. > Tanquam Isaias testimonio quoquc Malachix prophcta potius esset,quam ilie, qui hoc, arbilror, lestiinonium ex propbetia Isaiae, quam legerat, non hoc sola inspi- rationc spirilus acoeperat. Ad hunc etiam modum illud posscsolvi arbilror tcslinioniiun, quod MatthaHisinducitde duobus prophelis colleclum, Za : « Il est écrit dans Isaïe, » a bien soin d’ajouter : « le prophète. » Il montre, parla, que, dans sa pensée, le témoignage d’Isaïe avait plus de poids que le témoignage de Malachie le prophète, lequel, j’imagine, devait ce témoi- gnage plutôt à une prophétie d’Isaïe qu’il avait lue, qu’à l’inspiration du Saint-Esprit. On peut encore expliquer ce témoignage, en ce sens que saint Mathieu le présente comme recueilli dans deux prophètes Zachai ie et Jérémie, tandis qu’il l’attribue lui-même a Jérémie seul, quand il dit : « Alors fut accompli ce qui avait été dit par Jérémie le prophète : « Et ils reçurent « trente pièces d’argent pour prix de l’estimation faite par les enfants d’Is- « raël, et ils les donnèrent pour le champ du figuier, ainsi que l’a réglé c le Seigneur. » Le premier témoignage qui appartenait à Zacharie, et le second qui appartenait à Jérémie étant donc relatifs à la même prophétie sur le Seigneur, Zacharie en a fait l’attribution complète à Jérémie, dont ^autorité était plus grande, et de qui Zacharie avait pu eu recevoir l’indication. TRENTE-HUITIÈME QUESTION D’HÉLOÏSE. Ce témoignage du prophète Zacharie que le Seigneur, dans saint Mathieu, rend de lui même : ■ Car il est écrit : et Je frapperai le pasteur et je disper- serai les brebis du troupeau, » est pour nous l’ohjet d’une difficulté. Zacha- 508 PROBLEMATA CVJI RESPOSSIOMBrS. enim Zacharias de psetidopropheta potius quam de Domino dicere videtur. Sic quippe in eo scriptum csl : « Et erit, quum proplietaverit quispiam ul- tra, dicent ei pater ejus et mater ejus, qui «zenueront eum : « Non vives, quia mendaciura locutus est in nominc Domini. » Et configcnt eum pater ejus et mater ejtis, {zenitorcs ejus, quum prophetavcrit. Et erit in dic illa, oonfundentur propheta ?, unusquisquc ex visionc sua, quum prophetaverit, ncc operientur pallio sacciuo, ut mentiantur ; sed dicet : « Non sum pro- pheta : homo agricola cgo sum ; qnoniam Adam cxcmplum meum ah ado- lescentia mca. » Et dicetur ei : « Quae sunt plagae istae in medio manuum tuarum ? » Et dicet : « His plagatus suni in domo eornm qui diligebant me. Framea suscitare super pastorem meum, et super virum cohxrentemmihi, dicit Dominus exerciluum. Pcrcute pastorem, cl dispergentur oves. » Solutio Abcelardi. Quamvis Zacharias illud pro pseudoproplieta dixerit, Dominus vero pro se ipso inditxeril, tamen tale est illud Domini testimonium ex Zacharia sumptum, quod tam bono pastori, quam malo conveniat. Sive enim bonus pastor, sive malus, aliqua adversitate pcrcussus, a cura illa pastorali, quim acceperat, praepediatur, abejus regimiue grex, quemadunaverat,dis- perjietur, et disgregatus in diversa vagatur, sine pastore et duce factus. Quia cr_o perseculio adversariorum, tam in bouo paslore, quam in malo. h uic dispersionem ^regis operatur, non incoramode Dominus, quod genc- raliter de pastoribus dicetur, ad suam etiam passionem applicuit ; tanquam si diceret : quod generaliter dc pastoribus veruni est, hoc etiam in se com- pleudum esse, et sic etiam in se futurum, sicut in spcudopastore fuerat pranlictum ; ut in hoc etiam cum iniquis sit reputatus, quod eis etiam in hoc assimilatus. PHOBLEMA HEMMSSJE XXXIX. Quxrimus etiam quomodo illud quod de galli cantu Dominus Pelro prae- dixit tam varie scriptmn sit ab evangelistis. Matthatus quippe ita scribit : « Ait illi Jcsus : ameu dico tibi, quia in hac nocte, antequam galtuscaniet, ter me negabis.» Marcus vero, qui Evangelium suum, ipso Petro dictante, dici- tur scripsisse, sic ait : « Amen dico tibi, quia hodie in nocte hac priusquam bis gallus vocem dederit, ter me csnegaturus. » Lucas vero ita : « Dicotibi, Petre, nou cantabit hodie gallus, donec ter abneges uossc me. » Joannes vero sic : « Amen, amen dico tibi, non cantabil gallus, doncc termeneges. » Quid ergo sibi vult tanta verborum diversitas, si semel unum ex his Domi- QUESTIONS D’HÈLOÏSE ET RÉPONSES D’ABÉLAHD. 500 rie, en parlant ainsi, semble parler d’un faux prophète plutôt que du Seigneur. En effet, il est écrit dans ce passage : « Et dans la suite, lorsque quelqu’un prophétisera, le père et la mère qui lui auront donné le jour lui diront : « tu ne vivras pas, car tu as menti au nom du Seigneur. » Et le père et la mère, qui lui ont donné le jour, lui perceront les mains, lorsqu’il pro- phétisera. Et il arrivera, en ce jour, que les prophètes seront confondus cha- cun par la prophétie qu’il aura rendue. Us ne seront pas enfermés dans le sac des imposteurs ; mais chacun d’eux dira : « Je ne suis pas un prophète ; je suis un simple laboureur ; Adam a été mon exemple, dès ma jeunesse. » Et on lui dira : « Qu’est-ce que ces blessures que tu portes au milieu des mains ? » Et il dira : • C’est moi qui me suis fait ces blessures, dans la mai- son de ceux qui me chérissaient. Touche de l’épce la tète de mon pasleur et la tète de celui qui s’attache à moi, a dit le Dieu des armées. Frappe le pas- teur, et les brebis seront dispersées. » Réponse d’Àbélard. Bien que Zacharie ait dit cela d’un faux prophète, tandis que le Sei- gneur s’exprime comme en son nom, ce témoignage du Seigneur tiré de Zacharie est tel qu’il convient aussi bien au bon qu’au mauvais pasteur. En effet, que le pasteur, bon ou mauvais, frappé par quelque coup de l’ad- versité, soit détourné de la garde dont il avait reçu le soin, le troupeau qu’il avait groupé se disperse, se désunit, s’égare dans tous les sens, sans chef, sans guide. La persécution des ennemis produisait donc cette dispersion du troupeau, taut chez le bon que chez le mauvais pasteur, ce n’est pas sans raison que le Seigneur a appliqué à la Passion qu’il a soufferte ce qu’il dit eu général des pasteurs. C’est comme s’il disait que ce qui e>t vrai gé- néralement des pasteurs doit être accompli même en lui, et qu’il arrivera de lui comme il a été prédit par ic faux prophète ; à savoir, qu’il sera compté, en cela, parmi les réprouvés, pour avoir, en cel.-i, été assimilé à eux. TJIEKTE-NEOVIÈMB QUESTION d’hÉLOÏSK. Nous demandons aussi pourquoi ce que le Seigneur a prédit à Pierre au sujet du chant du coq et si diversement présenté par les Évangélistes ? Saint Mathieu écrit : o Jésus lui dit : je vous le dis en vérité, avant que le coq chante, vous me renierez trois fois. » Saint Marc, de son côte, qui, dit-on, écri- vit son Évangile sous la dictée de Pierre, dit : « J • vous le dis en vérité, au- jourd’hui, pendant cette nuit, avant (pic le coq ait chanté deux fois, vous me renierez. • Saint Luc : • Je vous le dis, lierre, le coq aujourd’hui ne chantera pas trois fois, avant que vous m’ayez renié. » Suint Jean : • Je vous le dis : en vérité, eu vérité, le coq ne chantera pas trois fois, avant que vous m’ayez renié. » Que signifie celte si grande diversité de formes, s’il est vrai que le 510 PROBLEMATA CCM RESPONSIOSIBUS. nus Pelro dixcrit ? Quid cst ctiam quod dicit Marcus : « Hodie in noctc hac, • quum noquaquam nox in die sit, ct in cantu galli addidcrit « bis, » quod cjctcri tacent ? Solutio Abcelardi. Consuctudo est Scripturae, nomine diei pariter diem et noctem compre- heiidcre : veluti quum dicimus, quia illc vixit, vcl sedit tot amiis et tot diebus, vel quia ibi fuit per tot dics. Sic et quum Marcus d*xit « hodie, t> uoctcm etiam cum suo die comprchendit. Quod vcro adjuiixit, « in nocte hac, » uoctem non tcmpiis, scd imminentis uoctis advcrsitatem dix.it. Ul vcro utraque solvainus de galli canlu dicta, ponamus DomiiuiDi iU temperale Petro dixisse prius, ul Marcus rcferl, antequarn gallus scilicet bis vocem dederit, et postea, tauquam Pctrus constanliam suam promitterot, adjecisse, quod etiam illud faceret, antequain gallus cautarct. Nam et Mamis Pctrum quasi uimium conOdentem sacpius verbis Domini quasi procacitcr contradicere comincmorat, dicens : « Pctrus autem ait : « Etsi omncs scandalizati fucrint, scd non ego. i Et ait illi Jesus : « Ameu ilico tibi, quia hodie in nocte hac, priusquam gallus bis vocem dederit, ter mc es negaturus. » At illc amplius loqucbalur : « El st oportucrit me simu) commori tibi,tion tenegabo. » Qui prius dixerat se non csse scandalizandum, plus aliquid nunc addit, dicens se ctiam pnratum commori antequam neget. Ad quam mnjorem suac constantia : pra ?sumptioncm ct ipsc Domiuus plus aliquid adjecissc non incongruc creditur, dicendo scilicct, quod priusquam etiam gallus cantct, tcr sit negaturus, ut diximus. Scd illud plurimum quacstionis gencrat, quod negationcs Petri, ct cjntuni g.illi Marcns sicordiuat, ut post primam negatioucm, gallus primo cauta- ret ; ct postduas alias, sccundo ; cx quo vidctur ncquaquam posse stare, quod, sicut dicunt ca)tcri Evangclista ?, Pelrns ter negaret, anlequam gallus cantarct ; nisi forlc in vcrbis quoquc ipsorum subaudiatur « bis, » quod Marcus poncndo subaudicnduni innuit, et quod Domiuus tnutummodo dixcrit. Quum enim aliquid uno loco magis detcrminarc quam in aiio dii il n’est pas permis, dans un sacrifice, d’offrir des poissons à Dieu. C’est donc avec raison qu’on dit que les oiseaux et les animaux qui marchent furent seuls amenés dans le Paradis à Adam pour qu’il les nommât, et point les reptiles. Eu effet, de tout le peuple de l’Église actuelle dans laquelle la paille est encore mêlée au grain, les religieux et les gens hounéles qui sont mariés doivent seuls parvenir au vrai Paradis de la patrie céleste, et être dignes de l’appel de Dieu (leurs noms sont déjà écrits au livre de vie). Sur cet appel de Dieu, voici ce que dit l’Apôtre : « Ceux que Dieu prédestinait ; il les a par là même appelés ; et ceux qu’il a apjielés, il les a justifiés. » QUARAKTE-UMElfE QCESTIOR d’h£L0ÏSE. Nous demandons qui a ajouté à la fin du Deutéronome, c’est-à-dire à la fin des cinq livres de Moïse, ce qui est raconté de la mort de Moïse ? Est-ce Moïse qui Ka écrit lui-même dans un élan d’esprit prophétique, si bien que cet appendice doive être considéré comme une partie de son œuvre, ou bien est-ce une addition de quelque main étrangère ? Réponse d’Abclard. « C’est Fsdras, qui. ainsi que le rapporte Bède, a rédigé non-seulement la Loi, mais même, d’après la commune tradition, toute la suite des saintes Écritures, — laquelle avait été brûlée dans un incendie, — et qui l’a ré- digée suivant les besoins tels qu’il se les représentait, » c’est Esdras qui a ajouté cette partie, comme tant d’autres, au texte de l’Ancien Testament. Nous voyons certains passages ajoutés par les traducteurs au texte des Évan- giles. Tel ce passade de saint Mathieu : « Éli, Éli, lamma Sa ba et ha ni ? » c’est à-dire : t Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » De même, dans les autres Évaugélistes qui ont écrit eu hébreu, non en 516 PROBLEMATA CUM RESPONSIONIBUS. hebraicorum verborum addita reperitur. Libro eliam Hieronymi de Illustn- bus viris, ubi se ipsum iu fine operis posuit, ejus vitae quantitas et iiuis a quodam addita reperitur. PROBLEHA HELOISS* ILII. ’ Utrum aliquis in ea quod facit a Domino sibi concessum, vel etiam jus- sum, peccare possit, quaerimus. Solutio Abcslardi. Quod si, ut oportet, verum concedatur, quaestione gravi pulsamur, quo- modo conjuges, vel in autiquo populo, vel in novo, carnalem concupiscen- tiam exercentes, in eo peccare dicantur, unde in posteros peccatum originale transfundunt. Priorem quippe populnm ad procreationem filiorum Dominusei prxcepto, et legis maledicto in eos, qui semen iu Israel non relinquereut, constringe- bat. Unde non solum primis parentibus ante peccatum dixit : « Grescite et multiplicamini, et repletc terram, » verum etiam hoc ipsum Noc et filiis ejus post diluvium injunxit. Dc supradicto autem legis maledicto, quo ad propagationem filiorum homines cogebantur, illud est Hieronymi contra Helvidium deperpetua Virginitate sanclse Marioe : « Quandiu lex illa per- mansit : crescite, et multiplicamini, et replele teiram, » et : « Maledicta « sterilis, quae non facit semen in Israel, » nubebant omnes, et nubeban- lur. Ilinc et illud est beati Augustini in libro de Bono conjugali : « Con- tinentiam Joannes et in opere, Abraham vero in solo habitu habebat. Illo itaque tempore, qnum et lex dies patriarcharum subsequens, maledictum dixit, qui non excilarel semen in Isracl, et qui poterat non promebat, sed tamen habebat. » Idcm ad Julianum de Viduitate servanda : « Nec quia dixi Ruth beatam, Annam beatiorem, quum illa his nupseril, hsc uno viro cito viduata diu vixerit, continuo etiam te meliorem putes esse quam Ruth, alia quippe propheticis temporibus sanctarum feminarum dispensatio fuit, quas nubere obedienlia, non concupiscentia compellebat, ut propagarctur populus Dei, ex quo nascerclur etiain caro Christi. » Ut ergo ille populus propagaretur, maledictus habebatur per legis senten- tiam, qui non suscitaret semen in Israel. Unde et sanctae mulieres accen- debantur non cupiditatc concumbendi, sed pietate pariendi, ut rcclissime . credantur coitum non fuisse quaesiturje, si proles posset aliter provenire. Et QUESTIONS d’Héloïse ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 517 grec, le texte hébreu a subi quelques additions. De même encore,’ dans le livre des Hommes illustres à la fin duquel saint Jérôme s’est lui-môme fait une place, son âge et la date de sa mort ont été ajoutés par une main étrangère. QUARANTE-DEUXIÈME QUESTION d’hÉLOÏSE. Nous demandons si Ton peut être coupable, en faisant une chose permise ou même ordonnée par Dieu. Réponse d’Abélard. A vrai dire, la question est grave. 11 s’agit de savoir si, tant dans l’ancien peuple que dans le nouveau, le commerce de la chair dans le mariage, le- quel sert à la transmission du péché originel, est un péché. Dans l’ancien peuple, le Seigneur, par un de ses commandements, bien plus, par la malédiction prononcée par la Loi contre ceux qui ne lais- saient pas de postérité à Israël, le Seigneur obligeait a la génération des en- fants. Ce n’est pas seulement avant le péché qu’il dit aux premiers parents : « Croissez, multipliez et remplissez la terre ; » il répète cet ordre à Noé et à ses fils après le déluge. Sur cette malédiction de la Loi dont je parle et qui obligeait les hommes à propager la race, saint Jérôme dit dans un passage du Traité contre Helvidius touchant la virginité perpétuelle de sainte Marie : « Tant qu’a régné cette loi : croissez, multipliez et remplissez la terre, • et celle-ci : t Maudite soit la femme stérile qui n’a pas laissé de postérité dans Israël 1 » hommes et femmes, tous se mariaient. Tel est aussi le sens de ce passage de saint Augustin dans son livre sur le Bien du Mariage : a Jean observait la continence en action, et Abraham, en intention seule- ment. En ce temps-là, en effet, la Loi, se conformant à la vie des patriar- ches, frappait de malédiction celui qui ne laissait pas de postérité en Israël ; et pour ne se pas produire au dehors, la continence n’était pas moins dans le cœur. » Le même dit encore dans son Traité à Julianus sur la conserva’ lion du veuvage : « Si j’ai écrit que Ruth était heureuse et Anne plus heu- reuse, l’une pour avoir été unie à : es divers époux, l’autre pour être restée longtemps veuve après un premier mariage, ce n’est pas à dire que vous puissiez vous considérer comme meilleure que Ruth. Autre, en effet, était la loi imposée aux saintes femmes au temps des prophètes. C’était l’obéissance, non la concupiscence qui les poussait au mariage : elles devaient travailler à la propagation du peuple de Dieu, pour qu’il en sortît le corps du Christ. » Maudit était, effectivement, par l’arrêt de la Loi, en vue de celte propa- gation, celui qui ne laissait pas de postérité en Israël. Ce n’était donc pas le désir du commerce charnel, mais le zèle de l’obéissance qui enflammait le cœur des saintes femmes ; et l’on peut croire qu’elles n’auraient assurément 518 PROBLEMATA CCH RESP03SI05IBUS. viris usus plurimarum vivarum concedebatur uxorum. Proinde sancta Ruth quale quum semeu illo tempore necessarium fuil in Israel non haberet in mortuo viro, quaesivit alterum de quo haberet. Ab boc utique Iegis male- dicto, quod predictus commemorat doctor, et quasi summo fidelium oppro- brio, in tantum etiam ipsa lex illi providebat populo, ut posteriores fratres, etsi de uxoribus suis proprium semen haberent, ad semen quoquc priorum fratrum suscitandum, uxoreseorum ducere compelleret, et illisjam defunc- tis potius quam sibi filios generare, ut vel sic a maledicto legis illos absol- veret, qui prole privati non essent. Ipsc etiam Dominus observatoribus legis id quoque in remuneratione constituit, ut steriles apud eos nou permaneant, tam in hominibus, quam in jumentis. Sic quippe scriptum est in Deuterono- mio : c Si postquam audieris haec judicia, custodieris ea, custodiet te Domi- nus, diliget et multiplicabit, benedicetque fructui ventris tui, et terrae tus armentis, gregibus ovium. Benedictus eris inter omnes popidos. Non erit apud te sterilis utriusque sexus, tam in hominibus quam in gregibus tuis. » Unde et nullos sanctorum Patrum legimus semine privatos, quam- vis steriles baberent uxores, quas nonad voluptatem concupiscentise carnalis cxercendam, sed ad populum Dei propagandum ducebant : ul non tam sibi quam Deo filios procrearent. Quale et illud est Tobiae : c Et nunc, Domine, tu scis, quia non luxn- riae causa accipio sororem meam ; sed sola posteritatis causa, in qua bene- dicetur nomen tuum in s&cula saeculorum. » Hac intentione Abraham ma- trimonio copulatus, de uxore sterili prolem suscipere meruit. Sic quoque Isaac, Manue pater Samsonis, Elcaua de Anna, Zacharias de Eliiabeth opta- tam adepti sunt prolem, ne maledictum legis vel opprobrium incurrerent matrimonii. Quod inde matrimonium est dictum, quod ad matrem familias faciendam sit initum. Iloc maledictum legis Jepte filia considerans, virgi- nitatem suamdeflebat, quod virgo moritura, semen in Israel non esset relio- lura. Ab hoc opprobrio se liberari Elisabcth exultabat, dicens : c Quia sic fccit mihi Dominus, in diebus quibus respexit auferre opprobrium mcum inter homines. • Hsec omnia supra memoratus doctor diligentcr attendens, illtim conjuga- torum concubitum, qtii fit propter filios non tam generandos quam in Clirislo regenerandos, ita commendat, ut illum ma^is a peccato immunem dicat, qnam eum qui fit causa vitanda ? fornicationis : quam tamen solam Apostolus causam constituit, ad continentiam plurimum nos adhorlans. c De quibus, inquil, scrip^istis mihi, bontim csl homini mulierem non tan- QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES DABÉLARD. 510 pas cherché le mariage, si les enfants avaient pu venir d’une autre façon. Los hommes avaient même la faculté d’entretenir commerce avec plusieurs femmes. C’est ainsi que Ruth ne trouvant plus dans son époux mort le moyen de propager la race d’Israël, selon les obligations du temps, chercha un autre époux. Cette malédiction de la Loi rappelée par le saint docteur, cette tache d’infamie imprimée aux fidèles, avait pour principe la préoccu- pation de la conservation du peuple, préoccupation telle que les frères plus jeunes poussaient leurs femmes à donner des enfants à leurs frères aines, môme alors qu’ils en avaient eus par leurs propres femmes, et à concevoir, en quelque sorte, pour celles qui étaient mortes, non pour elles, afin d’af- franchir de la malédiction de la Loi ceux qui, en réalité, avaient déjà une postérité. Le Seigneur lui-même avait établi comme récompense pour les observateurs de la Loi, que rien chez eux ne demeurerait stérile, ni hom- mes, ni troupeaux. C’est ainsi qu’il est écrit dans le Deutéronome : « Si, après avoir entendu ces prescriptions, tu les observes fidèlement, le Sei- gneur te protégera et te chérira ; il multipliera ta race, il bénira le fruit de tes entrailles, les taureaux de tes pâturages, les brebis de tes troupeaux ; tu seras béni entre tous les peuples. » Aussi voyons-nous que, parmi les saints Pères, aucun ne fut privé de postérité, bien qu’ils eussent des épou- ses stériles. C’est qu’ils les avaient épousées pour propager la race du peu- ple de Dieu, non pour se livrer au plaisir du commerce de la chair ; c’était non pour eux, mais pour Dieu qu’ils avaient des enfants. Tel est le sens de ce passage de Tobie : « Et maintenant, Seigneur, tu le sais, ce n’est pas dans une intention de luxure que je reçois ma sœur, je n’ai en vue que la postérité par laquelle ton nom sera béni dans les siècles des siècles. » C’est dans celte intention qu’Abraham se maria et mérita d’a- voir des enfants d’une femme stérile. Ainsi encore Isaac, Manué père de Samson, Elcana, Zacharias, eurent, les derniers d’Anne et d’Elisabeth, la lignée qu’ils souhaitaient, pour ne point encourir la malédiction de la Loi et l’opprobre attaché à la stérilité. Matrimonium fut le nom donné, dans la suite, au mariage, parce que c’était le point de départ pour faire la mère de famille (mater famUias). C’est en considérant cette malédiction de la Loi que la fille de Jephté pleurait sa virginité : mourant vierge, elle ne devait pas laisser de postérité en Israël. Enfui Elisabeth triomphait d’être sauvée de cet opprobre, quand elle disait : « Voilà ce que Dieu a fait pour moi dans le temps où il a daigné me préserver de l’opprobre parmi les hommes. » Fidèle à tous ces souvenirs, le docteur que j’ai cité recommande le com- merce des époux qui a pour objet moins d’engendrer des enfants que de les régénérer dans le Christ, à ce point qu’il déclare exempt du péché le com- merce qui a lieu dans cetto vue plutôt que pour éviter la fornication, et ce- pendant la fornication est la seule cause pour laquelle il nous exhorte à la continence. « Vous m’avez écrit, dit-il, que le bien pour l’homme, c’est de ne point avoir commerce avec la femme ; mais qu’à cause de la fornica- S» PROBLEMATA CCl BJESP05SI05IBUS. gere ; propter fornicationem autem, unusquisque suam uxorem, el uiu- qusquesuum virumhabeat. • Tanquamergometiusfit concubitum quoq\ :- conjugalem Deo magfe quam nobis impendi ; ut ei scilicet filios generar* magis quam ulilitati nostne intendamus providere. Adeo praedictus dWt«>r illam intentionem isti prsponit, ut nequaquam illuni coacubilum ad in- dulgentiam referat, quem a culpa penitus alienat : ut non solum tanquam culpabilis non \itetur, sed tanquam lauoabilis expetatur. Qui etiam nuptiarum bonum commendat, ut si causa qna convenit iaeantur, procreandi videlicet filios, illosetiam concubitusexcuset, qui noa hac intentione, qua convenit, fiunt, atque in seipsis, magis quam ia opera- tionem vitanda ? fomicationis, nuptias esse bonas convincit. L~u«fe et in praedicto libro, dc Bono scilicet conjugali, sic ait : « Bonum ergo ooajugii, quod etiam Domiuus in Evaugelio confirmavit, non solum quia prohibuit dimittere uxorem nisi ex causa foruicationis, sed etiam quia venit imritatus ad nuptias, cur sit bonum merito quaeritur. Quod mihi nou videtur propter solam filiorum procreationem, sed propter ipsam etiam naturaJenz in diverso sexu societatem. » Item : « Tantum valet illud sociale vinciilam conjugum, ut quum causa procreandi colligctur, nec ipsa causa procreaadi sohatur. Possetetiam bomo dimittere sterilem niorem, et ducere aliam, de qua filios habeat, et tamen non licet habcre. » Item : « Sane videnduoi est alia bona Deum nobis dare, quae proptcr seipsa expetenda sunt, sicut est sapientia, salus, amicitia ; alia quae propter aliquid sunt necessaria, sicut doctrina, cibus et potus, somnus, conjugiura, concubitus. Horum enlm quaedam necessaria sunt propter sapientiam, sicut doctrina ; qua ?dam propter salutem, sicut cibus, et potus, et somnus ; qusedam propter amici- liam, sicut nuptiae vel concubitus. Ilinc enim subsistit propagatio generis humani, in quo societas amicabilis maguum bonum est. His itaque bonis, quae propter aliud necessaria sunt, qui non ad hoc utitur propter quod instituta sunt, peccat, alias venialiter, alias damnabiliter. Quisquis vero eis propter hoc utitur propter quod data sunt, benefacit. » Item : « Mihi vide- tur hoc tempore solos eos, qui se non continent, conjugari oportere, se- cundum illam ejusdem Apostoli sententiam : quod si se non conlinent, nubant. Melius est enim nubere, quam uri. » Nec ipsis tamen non pecca- tum suntuuptiae ; qu» si in operationem fornicationis eligerentur, minus peccatum esset, quam foniicatio, sed tamen peccatum cssent. QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES DABÉLARD. 521 lion, il faut que chaque homme ait sa femme, chaque femme son mari. » Le mieux dans sa pensée, c’est donc de se livrer au commerce du mariage, mais pour Dieu, non pour nous, et de songer à engendrer des enfants pour lui et non dans un intérêt personnel. Telle est si bien la pensée du docteur cité, qu’il ne classe pas le mariage dans la catégorie des choses ayant besoin d’indulgence. Il l’affranchit de toute faute, et non-seulement il ne demande pas de l’éviter comme coupable, mais il veut qu’on le recherche comme louable. A ses yeux, en effet, ceux qui recherchent les douceurs du commerce charnel dans l’intention convenable, c’est-à-dire en vue d’engendrer des enfants, ceux-là sont excusés, alors même qu’ils s’y livrent en dehors de cette intention. Ainsi démontre-t-il que le mariage est chose bonne en soi, et non comme moyen d’éviter la fornication. C’est en ce sens qu’il dit dans le livre déjà cité, du Bien du Mariage : « On demande si le bien du mariage, que le Seigneur a consacré dans l’Évangile, non-seulement en défendant de renvoyer celle qu’on a épousée, si ce n’e>t comme coupable de fornication, mais eu assistant de sa personne à dt-s noces auxquelles il avait été invité, on demande si ce bien est véritablement un bieu : je réponds oui, et cela, non-seulement à cause de la génération des enfants, mais à cause du lien naturel qui rapproche les deux sexes. n Et ailleurs : « Telle est la force du lien qui unit les époux que, formé en vue de la génération des enfants, il ne peut pas être rompu même en vue de la génération des enfants. Un homme pourrait croire qu’il a le droit de renvoyer une épouse stérile et d’en prendre une autre pour en avoir des enfants : non, il n’a pas ce droit. » Et ailleurs : « Il faut considérer que parmi les biens que Dieu nous donne, les uns sont dignes d’être recherchés pour eux-mêmes : telles la sagesse, la santé, l’affection ; d’autres sont nécessaires à quelque chose : tels l’instruction, le manger, le boire, le dormir, le mariage, le commerce de la chair. De ces derniers, les uns sont nécessaires en vue de la sagesse, comme l’instruction ; les autres en vue de la santé, comme le manger, le boire, le dormir ; d’autres en vue de l’affection, comme le mariage et le commerce de la chair. Telle est, en effet, la base de la propagation de l’espèce humaine, et les sentiments d’affection y sont un grand bien. Donc celui qui n’use pas de ces biens qui sont nécessaire s en vue d’autre chose, pour ce en vue de quoi ils ont été établis, se rend coupable soit de péché véniel, soit de péché mortel. Mais celui qui en use conformément au but pour lequel ils ont été institués fait bien. » Et ailleurs : « A mon avis, ceux-là seuls, en ces temps-ci, qui ne sont pas voués à la vie religieuse, doivent contracter mariage, suivant le conseil de l’Apôtre : s’ils ne se vouent pas à la vie religieuse, qu’ils se marient : mieux vaut, en effet, se marier que d’être brûlé des feux du désir. » Pour eux, le mariage n’est pas un péché ; si on le contractait en vue de la fornication, ce serait moins un péché que la fornication, ce serait toutefois un péché. m PROBLEMATA CUM RESPOSSIONIBUS. Nunc autem quid dicturi sumus adversus evidentissimam vocem ApostoJi diccntis : « Quod vull faciat, non peccat si nubat, ctc. Si acceperis uxorem, non peccasti, et si nupserit virgo, non peccat ? » Hinc ceite jam dnbttare fas non cst, nuptias non esse peccatum. Non itaque nuptias secundum veiuam concedit Apostolus ; nam quis ambigat absurdissime dici non eos peccasse, quibus venia datur ? Sed illum concubitum secundum veuiam concedit, qui fit per incontinentiam,nonsolacausa procreandi, et aliquando nulla causa procreandi : quem nuptise non cogunl fieri, sed ignosci impe- trant, si tamen non ita sit nimius, ut impedial quae seposita esse debent tempora orandi, ncc immutclur in eum usum, qui est contra naturam. De quo Apostolus tacere non poluit, quum de corruplelis nimiis immundorum et impiorum hominum loqueretur. Concubitus enim necossarius causa gcnerandi, iuculpabilis ct solus ipse nuptialis cst. Ille autem, qui ultra istam necessitatem progreditur, jam non rationi, sed liliidini obsequitur. Et hunc tamen non exigere, sed reddere coujiigi, ne fornicando damnalitcr peccet, ad personam pertinct conjugalem. Si autem amlio tali concupiscentiae subiguntur, rem faciunt non plane nuptia- rum. Verumtamen si magis in sua conjunctione diligunt quod honcstuni, quam quod inhonestum est, id est, quod est nuptiarura, quam id quod non cst nuptiarum,hoc eis, auctore Apostolo, « sccundum veniam conceditur. • Item : « Ille naturalis usus, quando prolabitur ultra pacta nuplialia, id est ultra propagandi ueccssitatem, venialis fit in uxore, in meretrice damua- bilis ; iste, qui est coutra naturam, exsecrabiliter fit in meretrice, sed exe- crabilius in uxorc. Tantum valet ordinatio creatoris et ordo creatura, ut in rcbus ad utendum concessrs, eliam quum modus exceditur, longe sil tolcrabilius, quam in eis, quae concessa non sunt, vcl unus vel rarus excessus. » Et ideo in re concessa, immoderatio conjugis, ne in rem non conces- sam Hbido prorumpat, toleranda est. Hinc est etiam quod longc minus poccat quamlibet assiduus ad uxorem, quam vel rarissimus ad foroica- tionem. Quum vero vir membro raulieris non ad hoc concesso uti volu- crit, turpior est uxor, si in se, quam si in alia fieri permiserit. Decus ergo conjugale est castitas procreandi, et reddcndi carnalis debiti fides ; hoc est opus nuptiarum, hoc ab omni crimine defcndit Apostolus, dicendo ; « Et si acceperis uxorcm, non pecctsli, et si virgo nupserit, non pcccat ;et quod vult faciat : non peccat, si nubat. j» Exigendi autem debiti ab alterutro QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 523 Mais que répondre à cette parole si claire de l’Apôtre : « Qu’il fas>e ce qu’il veut : ce n’est pas un péché que se marier. Si vous prenez femme, tous ne péchez point ; une vierge môme qui se marie ne pèche point ? » On ne peut donc mettre en doute que le mariage ne soit pas un péché. L’Apôtre n’accorde pas le mariage par indulgence ; car qui pourrait soutenir sans absurdité que ceux-là ne pèchent point, auxquels indulgence est accordée ? Ce qu’il accorde par indulgence, c’est le commerce do la chair auquel on se livre par incontinence et non-seulement sans le désir d’avoir des enfants, mais avec le désir de n’en point avoir : commerce dont le mariage ne fait pas une nécessité, mais dont on demande la tolérance ; encore ne faut-il pas toutefois qu’il passe la mesure, qu’il entreprenne sur les instants qui doivent être réservés à la prière, et tourne à un usage contre nature. L’Apôtre ne pouvait se taire sur ce point, dès le moment qu’il parlait de la corruption excessive des hommes impurs et impies. Quant au commerce de la chair, nécessaire pour la génération des enfants, il est en soi exempt de péché dans le mariage. Pour celui qui franchit les limites de cette nécessité, il n’obéit plus à la raison, il cède à la passion. L’époux cependant doit non exiger ce com- merce de l’épouse, mais s’y prêter, pour que celui des deux qui le recherche n’encoure pas la damnation éternelle par péché de fornication. Que si tous deux sont les esclaves de la même concupiscence, ce qu’ils font n’a plus le moindre rapport avec le mariage. Toutefois si, dans leur union, ils aiment ce qui est honnête plutôt que ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire ce qui tient au mariage plutôt que ce qui n’y tient pas, « indulgence leur est accordée, » suivant la parole de l’Apôtre. Et ailleurs : « Ce commerce naturel, quand il va au delà du but du mariage, c’est-à-dire de la nécessité de propager l’espèce, est faute vénielle chez une femme mariée, péché mortel chez la courtisane ; quant au commerce contre nature, exécrable chez la courti- sane, il est plus exécrable chez la femme mariée. Telle est l’harmonie des règles de la création et des rapports des créatures, qu’il est beaucoup plus pardonnable de passer la mesure dans les choses dont l’usage est concédé, que de la forcer, ne fût-ce qu’une fois, dans celles dont l’usage n’est pas permis. » Voici pourquoi l’intempérance de l’époux doit être tolérée : c’est de peur que sa passion l’entraîne dans des abus défendus. C’est pour cela qu’il est beaucoup moins coupable de rechercher le commerce de sa femme, que de se livrer à la fornication, fût-ce aussi rarement que possible. D’autre part, quand l’homme veut user de sa femme contre nature, la femme est plus criminelle de su laisser faire, que de le laisser faire sur une autre femme. L’honneur du mariage est d’engendrer chastement et de se payer mutuelle- ment le fidèle tribut du commerce de la ch :tir ; tel est le but du lien conjugal, et voilà ce que l’Apôtre ai franchit de toute faute, quand il dit : « Si vous avez pris femme, vous n’avez point péché ; une vierge même peut se marier, sans 524 PROBLEMATA CUM RE$PONSIOMBUS. sexu immoderalior progresso, propter illa, quaj supra diiiraus, conjugibus secundum veniam conccdilur. Quod ergo ait : i Quae innupta est cogitat ea, qux sunt Domini, ut sit sancta et corpore et spiritu, i non sic accipiendum est, ut putemus non esse sanctam corpore christianam conjugem castani. Omnibus quippe fidclibus dictum est : « Nescitis quoniam corpora vestra teoiplum in vobis est Spiritus sancti, quem habetis a Deo ? » Sancta suut etiam corpora conjugatorum, fidem sibi et Domino servantium. Cui sancti- tati cujuslibet eorum, nec infidelem conjugem obsistere, sed potius sancti- latem uxoris prodesse infideli viro, aut sanctitatem viri prodesse infideli uxori, idem Apostolus teslis est, dicens : « Sanctificatus est enim vir infi- delis in uxore fideli ; et sanctificata est mulier infidelis in fratre fideli. » Proinde illud dictum est secundum ampliorem sanclitatem inuuptamm quam nuptarum. Item : c Manet vinculum nuptiarum, etiam si proJes, cujus causa initum est, manifesta stcrilitate non subsequatur : ita ut jam scieutibus conjugibus non se filios habituros, separare se tamen, vel ipsa causa filiorum atque aliis copulare non liceat. Quod si fecerint, cum eis. quibus se copulaverint, adulterium coramittunt ; ipsi autem conjuges manent. Planc uxoris voluntate adhibere aliam, undc communes filii nascantur unius commixtione acsemine, alterius autemjure ac potestale, apud antiquos patres fas erat : utrum et nunc fas sit, non temere dixerim. Non est enim propagandi necessitas, quse lunc fuit : quando et parientibus conjugibus alias propter copiosiorem posteritatem, superducere liccbat, quod nunc certe non licet. • Ilem : « Quod est cibus ad salutem homiuis, hoc est concubitus ad salu- tem generis, et utrumque non est sine delectatione caniali : qus tamen modificata, et temperantia refrenante in usum naturalem redacta, libido esse non potesl. Quod est autem in sustcntanda vita illicilus cibus, hoc est in quserenda prole fornicarius vel adulterinus concubitus. Et quod est in luxuria vcnlris et gulturis illicitus cibus, hoc est in libidine nullam prolem qusereute illicitus concubitus. Et quod est in cibo licito nomiullus immodc- ratior iippetitus, hoc est in conjugibus venialis ille concubilus. Sicut ergo satius est mori fame, quam idolothytis vesci : ita satius cst defungi sine libe- ris, quam ex illicito coitu slirpem quaerere. Undecunque autem nascantur- homines, si parentiim vitia non secteutur, et Dcum recte colant, honesti et galvi erunt. Scmen enim hominis ex qualicunque homine, Deicreatura est, et eo male utentibus malc erit, non ipsum aliquatido malum erit. Sicut QUESTIONS D’Héloïse ET RÉPONSES D’ABÊ ! ARD. 5-5 pécher ; qu’elle fasse ce qu’elle veut ; elle ne pèche pas en se mariant. » L’in- tempérance dans les exigences des époux l’un vis-à-vis de l’antre est même concédée par iudulgence, par les raisons que j’ai énoncées plus haut. Quand donc l’Apôtre dit : « Que celle qui n’est pas mariée pense aux choses du Seigneur, afin d’être pure de corps et d’âme, » il ne faut pas l’entendre en ce sens que l’épouse chrétienne n’est pas pure de corps. C’est à tous les fidèles, en effet, que s’adresse cette parole : « Ne savez-vous pas que vos corps sont le temple de l’Esprit-Saint, que vous tenez de Dieu ? r> Oui les corps de ceux qui sont enchaînés par les liens du mariage sont purs aussi, lorsque ceux-ci sont fidèles à leurs devoirs et à Dieu. Celte pureté du corps, non-seulement l’infidélité de l’un d’eux ne la détruit pas ; tout au contraire, la pureté de l’épouse sauve l’infidélité de l’époux, ou la pureté de l’époux, l’infidélité de l’épouse, suivant ce témoignage du même Apôtre : « L’homme infidèle est sanctifié dans la personne de son épouse fidèle ; la femme infidèle est sanctifiée dans la personne de son fidèle époux. » Nul doute d’ailleurs que la grâce ne s’applique aux femmes qui ne sont pas mariées plus qu’à celles qui sont mariées. Et ailleurs : « Le lien conjugal subsiste, alors même que par stérilité manifeste, il n’est point suivi des fruits en vue desquels il a été contracte : lesîpoux fussent-ils sûrs de n’avoir pas d’enfants, ils ne doivent pas se séparer ni s’unir à d’autres pour avoir des enfants. Faire ainsi, c’est commettre un adultère, car les liens qui les unissent n’en subsistent pas moins. Jadis, chez nos pères, il était permis de prendre une autre femme, du consentement de l’épouse, afin d’avoir des enfants, produit de l’union et de la semence de l’une, des dons et de la puissance de l’autre ; est-ce chose encore permise aujourd’hui ou non ? je n’oserais le dire. Aujourd’hui, en elTet, il n’y a plus la ii ;ême nécessité de se marier qu’autrefois, alors que, même dans les familles où l’on avait eu des enfants, il était | ermis de prendre plus d’une femme pour accroître sa postérité, ce qui certes n’est pas permis maintenant. » Et ailleurs : « Ce qu’est la nourriture pour la sauté de l’homme, lu com- merce de la chair l’est pour la santé de la race ; on ne peut donner satisfac- tion ni à l’un ni à l’autre sans certaines jouissances physiques ; prises avec mesure et maintenues par la modération dans les limites du besoin naturel, ce sont des satisfactions sans péché. Mais il en est du commerce de la forni- cation ou de l’adultère pour la propagation de la race comme des aliments illicites pour le soutien des forces. De même qu’est illicite l’aliment pris en vue de plaire au ventre et à la bouche, de même est illicite le commerce recherche en vue d’un plaisir étranger à la propagation de l’es|xVe. Enfin le commerce entre époux qui dépasse uu peu la mesure est faute vénielle au même degré que le désir intempérant des aliments permis. De même donc qu’il vaut mieux mourir de faim que de se nourrir des offrandes faites à des idoles, de même il vaut mieux vivre sans enfants que de chercher à eu avoir par un commerce défendu. Mais quelle que soit la source dont on 520 1’ROBLEMATA CUM RESP0NSI0MBUS. aut ?m filii boni adullcroruni, nulla defensio est adulteriorum : sic mali lilii conjugatoruni, iiullum crimen est nupliarum. » ldem supra : « Sunt viri uscjue adco incoiitinenles, ut conjugibus, nec gravidis parcant. Quid<)uid ergo iutcrse conjugali immodestum, inverecun- duni, sordidumve gerunt, vitiuni hominum cst, nonculpa nuptiarum. Jam in ipsa quoque immoderaliorecxaclionedebiticarnalis,quam eis nou secun- dum imperium pra ?cipit,scd sccundum vcniamconcedit Apostolus, ut efiani prscler causam procrcatidi sibi misceantur ; et si eos pravi mores ad f alem concubitum impcllunt, nuptise tamen ab adultcrio scu fornicationc defen- dunt. Ncquc cnim illud propter nuptias admittitur, scd propler nuptias ignoscitur. Debent ergo sibi conjugati non solum ipsius sexus sui commis- cendi lidem, liberorum procrcandorum causa, quac prima esthumani generis in isla mortalitatc sociclas, verum etiam iiifirmitatis invicera excipiendas ad illicitos coucubitus cvitandos, mntuam quodani modo servitutem ; ut et si alleri eorum perpctiia conlinentia placcat, uisi ex alterius cousensu non possit. Et ad hoc enim uxor non habct potcstatem sui corporis, sed vir ; similiter ct vir non habct potestatem sui corporis, scd mulier : ut ct quod non filiorum procreandorum, sed infirmitatis et incoutinentia ! causa cxpetit, vel ille de matrimonio, vel illa de marito, nou sibi alterulnim negent, nc pcr hoc incidant in danmabilcs corruplelas, tentantc Satana proptcr incontincntiam vel amborum, vel cujusquam eorum. Conjugalis cuim concubilus generandi gratia noii habet culpam. » Itcm : « Rcddere dcbitum conjugalc, nullius c>t criminis exigcrc autein ultra generandi necessitatem culpa ? venialis. » Idem cul Valerianum Comitem, de Nuptiis et Concupiscentia, libro primo : « Quis autem audeat dicere donum Dei esse peccatum ? Anima ct corpus, ct quxcutiquc bona aninue cl corporis, naturaliter iusita etiam pcc- ca !oribus, dona Dei sunt ; quoniam Deus, nonipsi, islafecerunt. Dehisqiuc fiu itint dictum cst, omuc quod non csl cx fide, peccatum csse. Absit ergo fmdicum veraciter dici, qui uon propter vcrum Deum, fidem conhubii servat mori. Copulatio itaque maris ct femintc, gcncrandi causa, bolium est natu- r.ile nuptiaruni. Sed isto bono male utitur, ut sit ci intentio iu voluptatc lihidinis, nou in voluntate propaginis…. Hac intenlionc cordis, qui suum vas possidet, id csl coujngcm suam, procul dubio, non possidet in morbo d<’sidcrii, sicul gcus qujc ignorat Deum, sed in sanctificationc et honore, QUESTIONS d’Héloïse ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 527 naisse, si l’on ne suit pas les vices de ses parents et qu’on honore Dieu, ou sera digne d’être honoré et sauvé. La semence de l’homme, d’où qu’elle vienne, est la créature de Dieu. Mal peut arriver à ceux qui en usent mal ; mais en elle-même, elle ne peut être un mal. Les fruits de l’adultère peu- vent être bons, sans qu’il puisse y avoir excuse pour l’adultère, tout comme les fruits d’une union légitime peuvent être mauvais, sans qu’il y ait faute dans l’union légitime. » Et plus haut : « Il est des hommes si incontinents qu’ils ne ménagent pas leurs femmes, alors même qu’elles sont enceintes. Mais tout ce que des époux peuvent apporter dans le mariage d’immodeste, de peu chaste, de bas, est le vice des hommes, non la faute du mariage. Jusque dans les exigences immodérées que l’Apôtre ne prescrit point comme un comman- dement, mais qu’il accorde par indulgence, dans ces désirs auxquels l’idée de la génération est étrangère, même quand ce sont de mauvaises habi- tudes qui poussent à ce commerce, le mariage est encore une sauvegarde contre la fornication ou l’adultère. L’abus n’est pas admis comme but du mariage ; mais il est pardonné à cause du mariage. Ce n’est donc pas seulement en vue de la génération, qui est la base des sociétés humaines, que les époux se doivent l’un à l’autre le fidèle commerce de la chair, c’est aussi pour éviter les communes tentations des commerces illicites qu’ils sont tenus à une mutuelle condescendance ; l’un ne peut se vouer à la continence, sans le consentement et l’agrément de l’autre. Ce n’est pas la femme qui a pouvoir sur son propre corps, c’est sou mari. De même ce n’est pas l’homme qui doit disposer de son propre corps, c’est la femme. Qu’ils ne se refusent pas l’un à l’autre ce qu’exigent, je ne dis pas les besoins de l.i génération, mais la faiblesse de la nature, l’inconti- nence même, s’ils ne veulent tomber dans les pièges que le démon ne manquera pas de tendre, soit à l’incontinence des deux, soit à celle de l’un des deux. Le commerce de la chair dans le mariage est sans péché. » Et ailleurs : a Payer le tribut du mariage est chose exempte de toute faute : exiger au delà des devoirs de la génération est faute vénielle, » Le même, dans le premier livre de son traité du Mariage et de la Concupiscence, adressé au comte Valërien, écrit : « Qui oserait dire qu’un don de Dieu soit un péché ? L’âme et le corps et tous les biens de l’âme et du corps, qui existent naturellement pour les pécheurs comme pour tout le monde, sont des dons de Dieu, puisque c’est Dieu qui les a faits, et non eux. On a dit que parmi les choses qu’ils font, tout ce qui n’est pas suivant la foi est péché. Qu’on se garde de déclarer qu’il est honteux d’observer la fidé- lité du mariage non contracté en vue de Dieu. L’union des sexes en vue de la génération est le bien propre du mariage ; seulement, c’est mal user de ce bien de le chercher pour le plaisir de la chair, non pour le plaisir de la génération…. Celui qui possède son vase, c’est-à-dire sou épouse, dans cette pensée, ne le possède pas assurément avec le mal du désir comme les peu- 528 PROBLEMATA CUM RESPONSIONIBUS. sicut fideles qui sperant in Deum. Hlo quippe concupiscentiae malo utitur homo, non viucitur, quando eam inordinat aut indecoris motibus aestuan - tem fraenat et cohibet, neque nisi propagini consulens relaxat atque aiiiii- bet, et spiritualiter regenerandos carnaliter gignat, non ut spiritnm carui sordida servitute subjiciat. » Item de conjugio Joseph et Marise :«Omne nuptiarumbonum implctum esl in illis parentibus Christi, proles, fides, sacramentum. Prolem cognoscinius ipsum Dominum Jesum, fidem, qiiia nullum adulterium, sacramentum,- quia nullum divortium. Solus ibi nuptialis concubitus non fuit, quia in carne peccati fieri non poterat, sine illa carnis concupiscentia, quae accidit ex peccato sine qua concipi voluit, qui futurus erat sine peccato , non in carne peccati, sed in similitudine carnis peccati, ut hinc etiam doceret om- ncm, quae de coucubitu nascitur, carnem esse peccati, quandoquidem, sola quae non inde nata est, non fuit caro peccati. Quamvis conjugalis concubi- tus, qui fit intentione generandi, nou sit ipse peccatum, quia boua voluntas animi sequenlem ducit, nec ducentera sequitur corpus voluptatcm nec bu- manum arbitrium trahitur subjugante peccato, quum iuste redigitur in usum generandi plaga peccati. » item de eo quod dicit Apostolus : « Hoc autem dico secundum veniam, non secundum impcrium. Ubi ergo danda est venia, aliquid esse culpac nulla rationc negabilur. Quum igitur culpabilis non sit generandi intentione concubitus, qui proprie nuptiis imputandus est, quid secundum veuiam concedit Apostolus, uisi quod conjuges, dum se non continent, debitum ab alterutro camis exposcunt, uon voluntate propaginis, sed libidinis vo- luptate ? Quac tamen voluptas non propter nuptias cadil in culpam, sed propter nuptias accepit veniam. Quocirca etiam hic sunt laudabiles nuptiae ; quiaelillud, quod non pertinet ad se, ignosci faciunt propter se. Nequc ctenim iste concubitus, quo servitur concupiscentiae, sicagitur, ut impedia- tur foetus, quem postulant nuptix ; scd tamen aliud est non concumbere nisi sola voluntate gcnerandi, quod non habet culpam, aliud carnis volup- tatem appetere concumbendo, sed non propter conjugem, quod venialem habet culpam. » Item libro secundo : « Panem et vinum sic nou reprehendimus, propter luxuriosos et cbriosos, quo roodo nec aurum propter cupidos et avaros. Quocirca commixtionem quoque hotiestam conjugum non reprehendimus propter pudendam Hbidinem corporum. llla enim posset esse nulla praece- QUESTIONS D’BÉLOÏSB ET RÉPONSES D’ABÊLARD. 5» pies qui ignorent Dieu, mais en état de sanctification et d’adoration, comme les fidèles qui ignorent en Dieu. L’homme, en effet, use du mal de la concu- piscence, il n’y succombe pas quand il le règle, quand il contraint ses élans déshonnêtes et les enchaîne, ou quand il ne leur laisse leur liberté et leur essor qu’en vue de la propagation, en vue d’engendrer charnellement des êtres qui doivent Être régénérés spirituellement, et non de soumettre l’es- prit à la basse servitude de la chair. » Et ailleurs, au sujet de l’union de Joseph et de Marie : c Tout le bien du mariage a été accompli dans les père et mère du Christ : la génération, la fidélité, la consécration ; la génération, nous en voyons le produit dans le Seigneur Jésus-Christ lui-même ; la fidélité, puisqu’il n’y a pas eu d’a- dultère ; la consécration, puisqu’il n’y a pas eu séparation. La seule chose qui manque, c’est le commerce de la chair, parce qu’il ne pouvait avoir lieu que par le péché de la chair, parce qu’il ne pouvait s’accomplir en dehors de cette concupiscence de la chair, produit du péché sans lequel il voulut être conçu, lui qui devait être sans péché. Il voulut être engendré non dans le péché de la chair, mais dans l’apparence du péché de la chair, afin de" mon- trer que toute chair qui naît d’un commerce charnel participe au péché ; sa chair à lui seul n’étant pas née de ce commerce et n’étant pas une chair de péché. Toutefois le commerce du mariage qui a eu lieu dans la pensée de la génération n’est pas, par lui-même, un péché, parce qu’une bonne pensée dirige celui qui en subit l’a tirai l, parce que ce n’est pas le corps qiû suit l’amorce de la volupté, ni la volonté qui est traînée sous le joug du péché, le péché étant ramené à l’exercice légitime de la génération. » Et ailleurs, au sujet de ce que dit l’Apôtre : « Je dis indulgence, non com- mandement. Ou il y a lieu d’accorder indulgence, on ne peut nier qu’il y ait faute. Puis donc que le commerce de la chair en vue de la génération, qui est le but propre du mariage, n’est pas coupable, à quoi s’applique l’in- dulgence de l’Apôtre, si ce n’est au cas dans lequel les époux, ne contenant pas leurs désirs, exigent l’un de l’autre la dette de la chair, non dans la pensée de la génération, mais par l’entraînement du plaisir ? Plaisir non coupable à cause du mariage, et à cause du mariage pardonnable. Donc, même en cela, le mariage est louable, parce qu’il fait pardonner pour lui ce qui ne tient pas à lui. Kn effet, le commerce dont je parle, et qui n’est que l’clTet servile de la concupiscence, ne se propose |*s d’empêcher le fruit naturel du mariage. Autre chose est cependant de ne s’y livrer qu’en vue de la génération, laquelle est exempte de tout péché, autre chose d’y chercher l’attrait de la chair pour soi, ce qui est une faute vénielle. • Et ailleurs, livre second : « Nous ne condamnons pas le pain et le vin à cause de ceux qui s’abandonnent à la gourmandise et à l’ivresse, pas plus que l’or à cause des gens cupides et avares. Nous ne condamnons pas davan- tage le commerce honnête de la chair, à cause de ceux qui en abusent. 11 54 530 PROBLKMATA GUM RESPONSIONIBUS. dente perpetratione peccati, de qua non erubescerent conjugati. Haec autem exorta est post peccatum, quam coacti sunt velare confusi. Cnde remansit posterioribus conjugatis, quamvis hoc malo beneetlicite utentibus, iu ejusmodi opere humanum vitare conspectum, atque ita confiteri quod pu- dendum est, quum debeat neminem pudere quod bonum est. Sic insinuan- tur haec duo, et bonum laudandae conjunctionis, unde filii generentur, et malum pudendae libidinis, unde qui generantur, regenerandi sunt ne dam- nentur. Proinde pudenda libidine qui licite concumbit, malo bene utitur ; qui autem illicite, malo male utitur. Rectius enim accipit nomen mali quam boni, quoniam erubescunt boni et mali. Meliusque credimus ei qui dkit : • Scio quia non habitat in me, i hoc est in carne mea, « bonum, • quam huic, qui hoc dicit bonum, unde si confunditur, confitebiturmalum ; si au~ tem non confunditur, addit impudentiam pejus malum. Recte ergo dixi- mus, ita nuptiarum bonum malo originali, quod inde trahifur, non potest accusari, sicut adulteriorum malum bono naturali quod inde nascitur, noa potest excusari ; quoniam natura humana, quae nascitur vel de conjugio vel de adufterio, Dei opus est ; quae si malum esset, non esset generanda, si malum non haberet, non esset regeneranda. • >*OBLIMATDM COM BEBrOHSIOlUBUS HBW. QUESTIONS D’HÉLOÏSE €T RÉPONSES D’ABÉLARD. 531 aurait pu s’accomplir en effet, sans qu’il y eût une faute dont les époux eussent à rougir. La faute a commencé après le péché, et c’est ce que dans un sentiment de honte, les premiers époux ont dû cacher. D’où est demeu- rée dans la suite, même chez ceux qui usent bien et convenablement de ce mal, l’habitude d’éviter les regards dans l’accomplissement de l’œuvre charnelle et de marquer ainsi comme honteuse une chose dont nul ne devrait avoir honte, puisqu’elle est bonne. Ainsi s’expliquent à la fois, le bien d’une union louable, source de la génération, et le mal d’une passion hon- teuse, telle que ceux qui en sont engendrés ont besoin d’être régénérés pour n’être pas condamnés. Au surplus, celui qui se livre au commerce légitime de la chair avec pudeur, celui-là use bien d’un mal ; celui qui s’y livre contre les règles et les convenances use mal d’un bien. Et le nom de mal est plus juste que celui de bien, parce que c’est un sujet de honte pour ceux qui en usent bien, comme pour ceux qui en usent mal. Nous avons plus de confiance en celui qui dit : c Je sais que c’est un bien qui n’habite pas en moi, » c’est-à-dire en ma chair, qu’en celui qui dit que c’est un bien, et qui est forcé de convenir que c’est un mal, ou qui, s’il n’en convient pas, aggrave, par l’impudeur, le mal d’un mal plus fort. C’est donc avec raison que nous avons dit que le bien du mariage ne peut être condamné pour le mal ori- ginel qui en sort, pas plus que le mal de l’adultère ne peut être excusé pour le bien naturel qui eu soi t, puisque la créature humaine qui naît du mariage ou de l’adultère est l’œuvre de Dieu ; puisque, si c’était un mal, elle ne pourrait être engendrée, et que si elle ne contenait pas quelque mal, elle n’aurait pas besoin d’être régénérée. » m SES QUESTIONS ItT DES *E>OXSKS. MAGISTRI PETRI ABjELARDI CARMINA i Al tuarum precum instantiam, soror mihi Heloissa, in seculo quondam cara, nunc in Christo, carissima, hymnos gnece dictos, hebraice tillim nominatos coroposui : ad quos quidem me scribendos quum lam tu quam quae tecum morantur sanctae professionis feminse saepius urgeritis, vestram super hoc intentionem requisivi. Gensebam quippe superfluum me vohis novos condere, quum veterum copiam habeatis et quasi sacrilegium vidert antiquis sanctorumcarminibus nova peccatorum praeferre vel aequare. Quum autem a diversis diversamihiresponderentur,tu inter caeteratalem, memini, subjecisti rationem. c Scimus, inquies, Latinam et maxime Gallicanam Ecclesiam, sicut in psalmisitaet in hymius magis consuetudinem tenere quam auctoritatemse- qui. lncerlum etenim adhuc habemuscujus auctoris haec sit translatio Psal- terii quam nostra, id est, gallicana frequentat Ecclesia. Quam si ex eorum dictis dijudicare velimus qui translationum diversitates nobis aperuenml, longe ab universis interpretationibus dissidebit, et nullam, ut arbitror, aucforitatis dignitatem obtinebit. In qua quidem adeo Iongaevae consuetudi- nis usus jam praevaluit, ut, quum in cseteris correcta beati Hieronymi te- neamus eiemplaria, in Psallerio, quod maxime frequentamus, sequamur apocrypha. Hymnorum vero quibus nunc utimur tanta est confusio ut qui, quorum sint, nulla vel rara titulorum praecriptio distinguat ; et si aliqui certos habere auctores videantur ; quorum primi Hilarius alque Ambro- sius extitisse creduntur, deinde Prudentius et plerique alii, tanta est fre- HYMNES D’ÀBÉLÀRD i C’est pour répondre à vos instantes prières, Héloïse, ma sœur bien chère autrefois dans le siècle, et si chère aujourd’hui en Jésus-Christ, que j’ai composé ces chants, appelés en grec hymnes, en hébreu tiliim. Vous me priiez de les écrire, vous et les saintes femmes qui habitent avec vous ; j’ai voulu connaître les motifs de votre demande. En effet, il me semblait super- flu de vous composer des hymnes nouvelles, quand vous en aviez une telle quantité d’anciennes ; et c’était à mes yeux une sorte de sacrilège de paraître préférer ou même égaler aux chants des cantiques des Saints les chants nou- veaux d’un pécheur. Parmi les réponses diverses que j’ai reçues, voici, je m’en souviens, la raison que vous me donniez, vous, entre toutes. t Nous savons, disiez-vous, que dans le choix des psaumes et des hymnes, l’Église latine et surtout l’Église gallicane se conforment plutôt à la tradition qu’à l’autorité. Car nous ne connaissons pas encore au juste de quelles mains est la traduction du Psautier que suit notre Eglise, c’est-à-dire l’Église gallicane. Et à en juger par ceux qui nous ont lait connaître la diversité des traductions, celle-ci s’éloignerait de toutes les autres, et n’aurait, je crois, aucun titre à faire autorité. Cependant, telle est la force de la coutume que, tandis que, pour les autres livres, nous suivons l’édition corrigée de saint Jérôme, pour le Psautier, qui est le livre le plus en usage, nous nous contentons d’une traduction apocryphe. Quant aux hymnes dont nous nous servons aujourd’hui, il y règne un désordre tel, que bien sou- vent, pour ne pas dire toujours, il y manque même le titre qui les distingue et indique de qui elles sont. S’il en est dont on croie connaître les auteurs, —• Hilaire et Ambroise, par exemple, les premiers écrivains en ce genre, ou 53* HAGISTRI PETKI AB/ELARDI CARMIHA. quenter inaequalitas syllabarum, ut vii cantici melodiam recipiant, sine qua nullatenus liymnus consistere potest, cujus descriptio est laus Dei cum cantico. » Plerisque etiam solemnitatibus addebas deesse proprios hymnos utpote Innocentum et Evangelistarum, seu illarum sanctarum quse virgines vel mar- tyres minime extiterunt. Nonnullas denique asserebas esse in quibus doo- nunquam hos a quibus decantantur mentiri necesse sit, tum videlicet pro emporis necessitate, tum pro falsitatis insertinne. Casu quippe aliquo vel dispensalione, eo modo saepius praepediti fideles constituta horarum tem- pora vel praeveniunt, vel ab ipsis pneveniuntur, ut de ipso saltem tempore mentiri compellantur, dum videlicet aut nocturnos die, aut diurnos nocte hymnos decantant. Constat quippe secundum propheticam auctoritatem et ecclesiasticam inslitutionem, nec a laude Dei noctem ipsam vacare, sicut scriptum est : « Memor fui nocte n. t. D. ; » et iterum : « Media nocte, s. ad c. tibi, • hoc est ad laudandum te ; nec septem reliquas laudes de quibus idem me- minit propheta : « Seplies in die 1. d. tibi, » nisi in die persolvendas esse. Quarum quidem prima quae matutinae laudes appellantur, de qua in eo- dem scriptum est propheta : « In matutinis D. m. in te, » in ipso statim diei initio, illucescente aurora seu Lucifero, praemittenda est. Quod etiam in plerisqne dislinguitur hymnis. Quum enim dicit : « Nocte surgentes v. o. ; » et iterum : « Noctem canendo r. ; » vel : Ad confiteiidum surgimus morasquen. r., et alibi : « Nox atra rerum contegit terc. o. ; » vel : « Nam lectulo consurgimus n. q. t. ; » et rursum : « Ut quique horas noctium nunc c. r.,» et similia, ipsi sibi hymniquod nocturni sunt testimo- nium prsebent. Sic el matutini hymni proprii temporis, quo dicendi sunt, institutionem nonnunquam profitentur. Veibi gratia quum dicitur : « Ecce jam n. t.u. ; » et iierum : « Lux esse s. a. ; » vel : « Aurorajam s. polum, » seu : « Aurora lucis r. ; »et alibi : « Ales diei nuntius l. pro, praecinit ; » vel : « Ortum refulget 1., » et si qui sunt Iiujusmodi, ipsi nos instruunt bymni quo tempore sint cantandi, ut si eis videlicet sua tempora non observemus, in ipsa eorum prolatione mcndaces inveniamur. Hanc tamen observantiam non tam negligentia plerumque tollit, quam necessitas aliqua vel dispensatio praepedit ; quod maxime in paiochialibus seu minoribus ecclesiis propter HYMNES D’ABÉLARD. 535 bien Prudence et d’autres qui vinrent après eux, — la mesure y est souvent si incorrecte que les paroles peuvent à peine s’adapter au chant ; et sans le chant cependant, il n’y a point d’hymne possible, car la définition de l’hymne est la louange de Dieu chantée. • Vous ajoutiez jme pour le plus grand nombre des fêtes, il nous manquait des hymnes spéciales, par exemple pour la fête des Innocenta, pour celle des Évangélistes et pour celle de ces Saintes qui ne furent ni vierges, ni mar- tyrs. Il en est même, distez-vous, qui obligent à mentir ceux qui les chan- tent, soit parce qu’elles ne s’appliquent pas au temps, soit par ce qu’elles sont mêlées d’inexactitudes : ainsi n’est-il pas rare que, soit par empêche- ment formel, soit par dispense, les fidèles devancent ou laissent passer l’heure prescrite ; si bien qu’ils sont obligés de mentir, au moins en ce qui concerne le temps, chantant le jour les hymnes de la nuit ou la nuit les hymnes du jour. Il est certain, disiez-vous encore, que, suivant l’autorité des prophètes et la règle de l’Église, on ne doit pas cesser, même pendant la nuit, de chanter les louanges de Dieu, ainsi qu’il est écrit : « Je me suis souvenu, la nuit, de ton nom, Seigneur ; • et ailleurs : t Au milieu de la nuit, je me levais pour me confesser à toi, » c’est-à-dire pour te louer ; tandis que les sept autres louanges dont parle le prophète : « Sept fois dans le jour, j’ai chanté ta louange, » ne peuvent se chanter que le jour. La première hymne qu’on appelle louange du matin, et dont il est dit dans le même prophète : « Le matin, Seigneur, je méditerai sur toi, » doit se célébrer au point du jour, dès que l’aurore ou Lucifer commence à luire. La plupart des hymnes portent ces indications. Quand, par exemple, il est dit : c La nuit, levons-nous et veillons toutes ; • et ailleurs : c Nous cou- pons la nuit par un chant ; ou : c Nous nous levons pour confesser ta gloire, et nous coupons les longueurs de la nuit ; » et ailleurs : « La nuit couvre toutes les nuances des choses de la terre ; » ou : « Nous nous levons de notre lit pendant le calme de la nuit ; • et encore : « Nous rompons les longueurs de la nuit par un chant ; » et autres chants semblables, les hym- nes témoignent assez d’elles-mêmes qu’elles sont des hymnes de nuit. De même, les hymnes du matin portent souvent l’indication du moment spé- cial où elles doivent être chantées. Par exemple, quand il est dit : t Voici que l’ombre de la nuit commence à s’affaiblir ; * et ailleurs : « Voici que se lève le jour doré ; » ou bieu : « L’aurore commence à éclairer le ciel ; » ou : « L’éclat de l’aurore resplendit ; et ailleurs : « L’orient avant-coureur du jour chante la prochaine apparition de la lumière ; » ou : • Lucifer brille dans tout l’éclat de son lever ; i par ces mots et d’autres de même nature, les hymnes nous apprennent à quels moments elles doivent se chanter ; lors donc que nous n’observons pas ces moments, nous les faisons mentir en les chantant. Pourtant ce qui empêche cette exacte observation le plus souvent, c’est moins la négligence que la nécessité ou quelque dispense, comme il 530 MAGISTRI PETRI ABfLARDI CARMINA. ipsas plebium occupationes quotidie fieri necesse est, iu quibus omnia et fere continue peraguntur in die. Nec solum tempora non observata mendacium ingerunt, verum etiam quorumdam hymnorum compositores, vel ex propria animi cumpunctione alienos pensantes, vel improvids studio pietatis eitollere sanctos cupientes, in aliquibus ita modum eicesserunt, ut contra ipsam nostram cotiscientiara aliqua in ipsis saepius proferamus tanquam a veritate prorsus aliena. Pau- cissimi quippe sunt qui contemplationis ardore vel peccatorum suoram compunctione flentes ac gementes, illa digne valeant decantare : c Preces gementes f. d. q. p. ; » et iterum : « Nostros pius cum canticis f. b. s., • et similia qus sicut electis ita paucis conveniunt. Qua etiam prasumptione singulis annisdecantare non vereamur : < Marline, par apostolis, » vel singu- lis confessores immoderate de miraculis glorificantes dicamus : c Ad sacrum cujus tumulum frequenter membra languentum modo sanitati, etc, » dis- cretio vestra dijudicet. » His vel consimilibus vestrarum persuasionibus ralionum ad scribendos per totum anni circnlum hymnos animum nostrum vestne reverentia sanctitatis compulit. In hoc itaque mihi vobis supplicantibus, sponss Christi vel ancillae, et nos e converso vobis supplicamus, ut quod nostris onus imposuistis humeris, vestrarum orationum manibus sublevetis, ut qui seminat et qui metit, simul operautcs, congaudeant. (Sequwttnr hymni octo et viginti.) II Tripartitum est divini cultus officium. Doctor gentium in epistola ad Ephesios ordinavit dicens : c Et nolite inebriari vino in quo est luxuria, sed implemini Spiritu loquentes vobismetipsis in psalmis et hymnis et canticts spiritalibus, cantantes et psallentes in cordibus vestris Domino, • et rursus ad Colossenses inquit : c Ycrbum Chrisli habitet in vobis abundanter in omni sapientia, docentes et commonenles vosmetipsos psalmis, hymuis et canticis spiritalibus, in gratia cantantes in cordibus vestris Domino. » Psalmi vero et cantica quoniam ex canonicis antiquitus pneparala sunt Scripturis, nec nostro nec alicujus egent studio ut modo componantur. De hymnis vero quum nihil in superpositis distinctum habeatur Scriptu- HYMNES D’ABÉLàRD. 537 arrive journellement dans les églises paroissiales ou mineures, les occupa- tions du peuple forçant de faire tous les offices le jour et presque à la suite l’un de l’autre. Et ce n’est pas seulement l’observation des moments qui nous induit en mensonge ; ce sont aussi les auteurs de certaines hymnes, lesquels, soit qu’ils aient jugé du cœur des autres par leur propre componction, soit que, dans un zèle de piété imprévoyante, ils aient voulu exalter les Saints, ont tellement dépassé la mesure, qu’ils nous font chanter des choses contre notre propre conscience, tant ils sont éloignés de la vérité ! Il en est si peu, qui, pleurant et gémissant dans l’ardeur de la contemplation ou dans la componction de leurs péchés, puissent véritablement dire : « Venons prier en gémissant ; remets-nous les péchés que nous avons commis ; » et ailleurs : « Reçois avec bienveillance nos gémissements et nos chants ; i et tels autres passages qui ne conviennent qu’aux élus, c’est-à-dire au petit nombre. Ne devons-nous pas craindre qu’il y ait présomption à chanter chaque année : • Martin, toi qui égales les Apôtres ; » ou à exalter sans mesure les mi- racles de certains confesseurs, en disant : « Auprès du tombeau qui nous a guéris naguère de nos souffrances, etc. ? — Votre sagesse en jugera. » Ce sont ces raisons ou d’autres semblables, ainsi que le respect de votre sainteté, qui m’ont déterminé à écrire des hymnes pour le cours d’une année entière. Vous m’avez prié à ce sujet, épouses et servantes du Christ ; nous vous prions, en retour, d’alléger par vos prières, comme par un bras secou- rable, le fardeau dont vous chargez nos épaules, afin que semeur et mois- sonneur, travaillant ensemble, puissent ensemble aussi se réjouir. (Suivent vingtrhuit hymnes). II L’office divin se compose de trois parties. Le docteur des Gentils l’établit ainsi, dans son épître aux Éphésiens, quand il dit : « Ne vous noyés pas dans l’ivresse du vin qui renferme la luxure ; mais remplissez-vous de l’Es- prit, vous entretenant de psaumes, d’hymnes et de cantiques spirituels, chantant et psalmodiant le nom du Seigneur dans vos cœurs. » Et ailleurs, dans répitre aux Colotsiem : « Que la parole du Christ habite abondam- ment en vous eu toute sagesse ; instruisez-vous et exhortez-vous les uns les autres, par des psaumes, par des hymnes et par des cantiques spirituels, chantant de cœur les louanges du Seigneur. » Quant aux psaumes et aux cantiques, ils ont été préparés dès longtemps dans les livres canoniques : point n’est besoin de notre zèle, ni du zèle de personne pour le composer aujourd’hui. Biais les hymnes n’ayant pas de marque distinctive dans les saintes 538 MAGISTRI PETRI AB£LARDI CARHNA. ris, quamvis et nonuulli psalmi nomen hymnorum sive canticorum sanoto- rum inscriptum titulis habeant, passim a pluribus postea scriptum est, et pro temporum aut horarum seu festivitatum varietate quibusque propni hymni sunt constituti, et hos nunc proprie hymnos appellamus, quam«-i&- antiquilus indifierenter nonnulli tam hymnos quam psalmos dicerent qaae— libet divime laudis cantica rhythmo vel melro composita. Unde Eusebiiz* Caesariensis, Ecclesiasticoe historice libri capitulo xix, disertissimi Judaef Philonis laudes erga Alexandrinam sub Marco Ecclesiam commemorans in— ter caetera adjecit…..Post pauca rursum etiam de eo quod psaimos feeianfc novos, ita scripsit : < ltaque non solum subtilium intelligunt hymnos veterum, sed ipsi faciunt novos in Deum, omnibus eos et metris et sonis honesta satis et suavi compaga modulantes. • Haud fortassis incongnium est omnes psalmos hebraice metro vd rhythmo compositos et melica dulcedine conditos appellari etiam hymuos, juxta ipsam videlicet hymnorum definrtionem quam in praefatione prima posuimus. At quum jam psalmi ex hebraeo in aliam linguam translati a rhythmi vel metri lege soluti sint, bene ad Ephesios, qui Graeci sunt, Apostolus scribens separatim a psalmis hymnos distiniit, sicut et cantica. De his itaque quoniam nostrum s»pe ingeniolum, dilectissima ? Christi filiae, multis precibus pulsavistis, addentes insuper quibus de causis id ne- cessarium vobis videatur, vestrae jam petitioni, prout Dominus annuerit, ex parte paruimus. Superiori namque libello quotidianos feriarum hymnos qui toti sumcerepossint hebdomadae comprehendimus. Quos ita compositosesse cognoscatis ut bipartitus sit eorum cantus sicut et rhythmus, et sit una omnibus nocturnis melodia communis atque altera diurnis, sic et rhythmus. Hymnum etiam gratiarum post epulas exsolvendum non praetermisimus, secundum quod in Evangelio scriptum est : « Hymno dicto, exierunt. » C&teros vero suprapositos hymnos hac consideratione digessimus ut qui * nocturni sunt suarum opera feriarum contineant, diurni autem ipsorum operum allegoricam seu moralem expositionem tradant. Atque ita factum cst ut obscuritas historiae nocti, lux vero expositionis reservetur diei. Super est de cstero vestris me orationibus adjuvari ut optatum vobis munusculum transmittam. (Sequuntvr hymni semcl et triginta.) HYMNES D’ABÉLARD. 539 Écritures, bien que certains psaumes portent le nom d’hymnes ou de saints cantiques, divers auteurs s’en sont occupés en divers écrits, et l’on fit des chants spécialement appropriés aux temps, aux heures, aux fêtes ; ce sont ces chants qu’aujourd’hui nous appelons proprement des hymnes, bien que anciennement on appelait hymnes ou psaumes tous les chants à la louange de Dieu, composés suivant un rhylhme ou mètre régulier. C’est ainsi qu’au chapitre dix-sept du deuxième livre de son Histoire ecclésiastique, Eusèbe de Césarée rappelant l’éloge que le savant juif Philon faisait de l’Église d’Alexandrie, à l’époque de saint Marc, ajoutait entre autres choses….. Et un peu plus bas, au sujet de psaumes nouveaux qu’on composait, il écrivait : « Ainsi, non-seulement, ils comprennent les hymnes subtiles des anciens, mais ils en composent eux-mêmes de nouvelles à la louange de Dieu, les chantant dans toutes les mesures, sur tous les tons, avec une harmonie assez pure et suave, i Sans doute, il n’y a rien d’extraordinaire à donner le nom d’hymnes à tous les psaumes composés en hébreu suivant certain rhylhme et certaine mesure, avec une harmonie douce comme le miel, ce nom rentrant même dans la définition de l’hymne, telle que nous l’avons donnée dans notre première préface ; mais comme les psaumes, en passant de l’hébreu dans une autre langue, ont perdu leur rhythme et leur mesure, c’est avec rai- son que l’Apôtre, écrivant aux Éphésiens, qui sont des Grecs, a distingué les hymnes des cantiques. C’est au sujet de ces hymnes, chères filles en Jésus-Chrit, que vous avez plus d’une fois sollicité notre faible génie par vos prières, en ajoutant les causes qui vous paraissaient justifier votre demande ; et nous avons déjà, en partie, répondu à cette demande avec la grâce de Dieu. Le livre précédent comprend, en effet, des hymnes quotidiennes de fêtes, dont l’ensemble peut suffire aux exercices de toute une semaine. Elles sont composées, il importe que vous le sachiez, de telle sorte qu’il y a double chant et double rhythme, une mélodie commune pour tous les nocturnes, une autre pour les diurnes ; et de même du rhythme. Nous n’avons pas omis non plus l’hymne des grâces après le repas, hymne dont il est écrit dans l’Évangile : c Et ils sortirent, l’hymne récitée. • Quant aux hymnes qui précèdent, elles ont été toutes composées dans celte pensée que les nocturnes doivent contenir les œuvres des fêtes qu’elles rappellent, et les diurnes, l’exposition allégorique ou morale de ces œuvres : en sorte que l’obscurité de l’histoire soit réservée pour la nuit, et la lumière de l’exposition pour le jour. 11 me reste maintenant à vous demander de m’aider par vos prières, afin que je puisse vous envoyer le petit présent que vous souhaitez. (Suivent trente-une hymnes.) 540 liAGISTRI PETRI ABiELARDI CARMWA. III Superioribus duobus libellis quotidianos feriarum hymnos et solemnit»- tum divinarum proprios digessimus. Nunc vero superest ad coelestis glo- riam regis et communem fidelium exhortationem [ipsam quoque superai curiam paiatii debitis hyranorum, prout possuraus, eflerre pneconiis. In quo> quidem opere ipsi me prscipue adjuvent meritis quorum gloriosa ? memorue qualiumcunque Iaudum munuscula cupio persolvere, juxta quod scriptum est : « Memoria justi cum laude ; • et iterum : * Laudemus viros glo- riosos, etc. • Vosquoqueobsecro, sororescarissimae Christoque dicatae, quorum maxime precibus hoc opus aggressus sum, vestrarum adjungite devolionem oratio- num, illius memores beatissimi legislatoris qui plus orando quam populus potuit dimicando. Et ut caritatem vestram in orationum copia Iargam inve- niam, pensatediligenterquamprodigam vestra petitio nostram habeat facul- tatem. Dum enim divinae gratiae laudes pro nostri ingcnioli prosequi stude- remus, quod de ornatu deest eloquentiae, recompensavimus hymnorum multitudine, singulis videlicet singularum solemnitatum nocturnis proprios componentes hymnos, quum unus solummodo hucusque hymnus, in festis quoque sicut in feriis, ad nocturnos prsecineretur. Quatuor itaque hymnos singulis festivitatibus ea ratione decrevimus, ut in unoquoque trium nocturnorum proprius decantetur hymnus, et laudibus insuper matutinis non desit suus. Ex quibus rursus quatuor instituimus, ut duo in vigilia pro uno conjungantur hymno et duo reliqui similiter ad vesperas ipso die solemni recitentur, aut ita bini in singulis vesperis divi- dantur, ut cum duobus prioribus psalmis unus, et cum duobus reliquis alius decantetur. De cruce autem, memini, quinque conscripti suut bymtii, quorum primus singulis praponatur horis, invitans diaconum crucem de altari tollere et in medio chori afferre atqueibidemeam quasiadorandam ac salulandam staluere, ut in ejus quoque pnesentia tota per singulas horas peragatur solemnitas. (Sequunturhymniquatuor et triginta.) CABMIXOM ABALARDI FI5I8. HYMNES DABÊLARD. 541 III Dans les deux livres précédents, nous avons rassemblé les hymnes quoti- diennes des fêtes et celles qui sont particulières aux grandes solennités. Reste maintenant, pour la gloire du Roi des cieux, et pour le commun en- couragement des fidèles, à exalter de notre mieux, dans des hymnes spé- ciales, la cour même du palais céleste. Puisse m’appuyer dans cette tenta- tive le mérite de ceux à la glorieuse mémoire desquels je consacrerai le faible tribut de mes louanges, suivant ce qui est écrit : c La mémoire du juste sera louée ; • et encore : « Louons les hommes glorieux. • Vous aussi, je vous en supplie, très-chères sœurs, vouées à Notre-Sei- gneur, vous dont les prières m’ont fait entreprendre cette œuvre, prêtez- moi le pieux appui de vos prières, vous souvenant de ce bienheureux légis- lateur, qui a fait plus en priant que le peuple en combattant. Que je trouve votre charité libérale dans ses prières : songez quelle libéralité vos demandes ont trouvée en nous. En nous efforçant de louer la grâce divine suivant notre faible génie, nous avons essayé de compenser, par le nombre des mor- ceaux, l’éclat qui manquait à leur forme. N’avons-nous pas composé des hymnes spéciales pour chaque nocturne de chaque solennité, tandis que, jusqu’à présent, on ne chantait qu’une seule espèce d’hymne aux nocturnes des fêtes et des jours férié3 ? Ainsi avons-nous fait quatre hymnes pour chaque fête, dans la pensée qu’on puisse chanter une hymne à chacun des trois nocturnes, et qu’il y en ait encore une pour les laudes. Nous avons, de plus, établi, au sujet de ces quatre hymnes, qu’à vigiles, on joindrait deux hymnes en une, et que les deux autres seraient également chantées ensemble aux vêpres, le jour même de la solennité ; ou bien, en les réunissant ainsi deux à deux pour chaque vêpres, on chantera Tune de ces hymnes avec les deux premiers psaumes, et l’autre avec les deux derniers. J’ai composé également cinq hymnes pour la croix ; la première convient à toutes les heures ; elle invite le diacre à enlever la croix de l’autel, à l’ap- porter au milieu du chœur pour l’offrir à l’adoration et au salut, en sorte qu’à toutes les heures du jour, la solennité puisse s’accomplir en présence de la croix. (Suivent trente-quatre hymnes.) MAGISTRI PETRI ARiELARDI SERMONES EPISTOLA AD HELOISSAM Libello quodam hymnorum vel sequentiarum a me nuper precibus tuis consummato, veneranda in Christo et amanda sororHeloissa, nonnulla insu- peropuscula sermonum, juxta petitionem tuam, tam tibiquam spiritalibus filiabus tuis in oratorio nostro congregatis, scribere, praeter consuetudinem nostrara, utcunque maturavi. Plus quippe lectioni quam sermoni dedHus, expositionis insisto planitiem, non eloquentia ? compositionem : sensum lit- terae, non ornatum rhetoricae. Ac fortasse pura minus quam ornata locutio quanto planior fuerit, tanto simplicium intelligentis commodior eritj et pro qualitate auditorum ipsa inculti sermonis rusticitas qusdam erit orna- tus urbanitas, et quoddam condimentum saporis parvularum intelligentia facilis. In his autem scribendis seu disponendis ordinem festivitatum tenens, ab ipso nostrae Redemptionis exordio sum exorsus. Vale in Domino, ejus ancilla, mihi quondam in seculo cara, nunc in Ghristo carissima : in carne tunc uxor, nunc in spiritu soror, atque in professione sacri propositi consors. (Sequvntur sermones octo et viginti.) SBRXOHCM ABJtLABOI »IHIS. SERMONS D’ABÉLARD LETTRE A HÉLOÏSE Ayant achevé récemment, à l’aide de vos prières, ô ma sœur Héloïse, si digne de respect et d’amour en Jésus-Christ, le recueil des hymnes et des antiennes, je me suis hâté, travaillant vite contre mon habitude, d’écrire quelques sermons pour vous et pour les filles spirituelles réunies dans notre temple. Plus’occupé du sens de l’Écriture que de la forme, je me suis attaché à la lucidité des explications, non à l’éloquence du style ; j’ai cherché la signification de la lettre, uon les ornements de la rhétorique. Et peut-être ce style correct plutôt qu’élégant aura-t-il cet avantage, qu’il s’accommodera mieux à l’intelligence des âmes simples comme les vôtres. Pour celles aux- quelles ils sont destinés, cette négligence même, cette rusticité de la forme aura un air de grâce, de parure : l’aisance et la clarté sont les assaisonne- ments appropriés au goût d’humbles servantes. Ils sont écrits et classés suivant l’ordre des fêtes, en commençant par la Rédemption de Jésus-Christ. Adieu en Jésus-Christ, servante du Seigneur, jadis chère à mon âme dans le siècle, et si chère aujourd’hui dans le Christ ; mon épouse alors selon la chair, aujourd’hui ma sœur selon l’esprit, et ma compagne dans la profes- sion religieuse. (Suivent vingt-huit sermons.) MAGISTRI PETRI AB£LARDI EPISTOLA ET FIDEI CONFESSIO AD HELOISSAM Soror mea Heloissa, quondam mihiin ssculo cara, nunc in Christo caris- sima, odiosum me mundo reddidit logica. Aiunt enim perversi pervertentes, quorum sapientia est in perditione, me in logica prastantissimum essc, sed in Paulo non mediocritcr claudicare. Quumque ingenii pra^icent aciem, christianae fidei sublrahunt puritatem. Quia, ut mihi videtur, opinione po- tius traducuntur ad judicium, quam experientia ? magistratu. Nolo sic esse philosophus, ut recalcitrem Paulo ; non sic esse Aristoteles, ut secludar a Ghristo. Non enim aliud nomen est sub ccelo, in quo oporteat me salvum fieri. Adoro Christum in dextera Patris regnantem. Amplector eum ulnis fidei in carne virginali de Paracleto sumpta gloriosa divinitus operantem. Et ut trepida sollicitudo, cunctaeque ambages a corde tui pectoris explo- dantur, hoc de me teneto, quod super illam petram fundavi conscientiam mcam, super quam Christus sedificavit Ecclesiam suam. Cujus petra titu- lum tibi breviter assignabo. Credo in Patrem, et Filium, et Spiritum sanctum ; unum naturaliter et verum Deum : qui sic in personis approbat Trinitatem, ut seraner in substantia custodiat unitatem. Credo Filium per omnia Patri esse cosequalem, scilicet sternitate, potestate, voluntate et opere. Nec audio Arium, qui perverso ingenio actus, imo dsmomaco seductus spiritu, gradus facit in Trinitate, Patrem majorem, Filium dogmatizans minorem, oblitus legalis pnecepti : i Non ascendes, inquit lex, per gradus ad LETTRE ET PROFESSION DE FOI D’ABÉLARD A HÉLOlSE Héloïse, ma sœur, naguère chère dans le siècle, aujourd’hui si chère dans le Christ, la dialectique m’a rendu odieux au monde. Ils disent, en effet, ces pervers, qui pervertissent tout et dont la sagesse ne songe qu’à nuire, que je n’ai pas d’égal en dialectique, mais que j’ai failli grandement dans mon commentaire sur saint Paul. Us vantent la pénétration de mon esprit, en me refusant la pureté de la foi chrétienne. Sans doute, ils se sont laissés conduire dans leur jugement par la prévention plutôt que par la sagesse. Je renonce au titre de philosophe, si je dois être en désaccord avec saint Paul. Je ne veux pas être un Aristote pour être séparé du Christ ; car il n’est pas d’autre nom sous le ciel qui puisse me sauver. J’adore le Christ régnant à la droite du Père. Je l’embrasse des étreintes de la foi, dans la chair qu’il a empruutée au sein d’une vierge par la divine et miraculeuse opération du Saint-Esprit. Et pour que tout sentiment d’angoisse et de doute cesse de faire battre votre cœur, écoutez bien ceci : j’ai établi ma foi sur cette même pierre sur laquelle le Christ a bâti son Église. Ce qui est écrit sur cette pierre, je vais vous le dire brièvement. Je crois en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, un et seul vrai, qui admet la Trinité dans ses trois personnes, sans jamais cesser de conserver l’unité dans sa sutatance. Je crois que le Fils est égal au Père en toutes choses, savoir : l’éternité, la puissance, la volonté et les œuvres. Je repousse l’hérésie d’Arius, qui, poussé par un mauvais génie, que dis-je ? séduit par un esprit de l’enfer, établit des degrés dans la Trinité, enseigne que le Père est le premier, le Fils le second, et ne se souvient pas du précepte de 55 546 MAGISTHI PETRI AD^LARDI EPISTOLA. meum altare. » Ad altare quippe Dei per gradus ascendit, qui prius et posterius in Trinitate ponit. Spiritum eliam sanctum Patri et Filio con- substantialem et cooequalem per omniateslor, utpote quem bonitalis nomine designari volumina mea ssepe declarant. Damno Sabellium, qui eamdem personam asserens Patris et Filii, Patrem passum autumavit ; unde et Pa- iripassiani dicti sunt. Credo etiam Filium Dei factum esse Filium homini<, unamque personam ex duabus et in naturis duabus consistere. Qui post completam susceptx bumanitatis dispensationem passus est,et mortuusest. et resurrexit, et ascendit in ccelum, venturusque est judicare vivos et mor- tuos. Assero etiam in baptismo universa remitti delicla ; gratiaque nos egere, qua et incipiamus bonum, et perficiamus, lapsosque per poeniten- tiam reformari. De carnis autem resurrectione quid opus est dicere, quum frustra glorior me christianum, si non credidero resurrecturum ? Haec itaque est fides in qua sedeo, ex qua spei contraho firmitatem. In hac locatus salubriter, latratus Seyllae non timeo, vertiginem Charybdis rideo, mortiferos Sirenarum modulos non horresco. Si irruat turbo, non quatior. Si venti perflent, non moveor. Fundatus enini sum supra iirrmm petram. AB^BLARDl EP18TOLJE FINIS. LETTRE ET PROFESSION DE FOI D’HÉLOÏSE A ABÉLAJU). 547 la loi qui dit : « Vous ne monterez pas par des degrés à mon autel. » Or, celui-là monte par des degrés à l’autel de Pieu, qui place une personne de la Trinité avant ou après les deux autres. Je reconnais aussi que le Saint-Esprit est consubstautiel et égal en toutes choses au Père et au Fils, ainsi que je l’ai attesté dans mes divers ouvrages, en le désignant sous le nom de Bonté suprême. Je condamne Sabellius qui, faisant du Père et du Fils une seule et même personne, pense que le Père a aussi souffert la passion ; ce qui a fait donner à ses sectateurs le nom de patripassiens. Je crois aussi que le Fils de Dieu a été fait Fils de l’homme, et que sa per- sonne comprend les deux personnes et les deux natures. Je crois qu’après avoir accompli la destinée de l’humanité qu’il avait revêtue, il a souffert, il est mort, il est ressuscité, il est monté au ciel, et qu’il viendra juger les vivants cl les morts. J’affirme que tous les péchés sont remis dans le bap- tême, que nous avons besoin de la grâce pour commencer le bien et pour l’accomplir, et que nous pouvons nous relever de la chute par la pénitence. Ai-je besoin de parler de la résurrection de la chair, puisque je n’aurais nul sujet de me glorifier d’être chrétien, si je ne croyais à la résurrectiou ? Telle est la foi dans laquelle je suis établi, et sur laquelle je fonde la fer- meté de mon espérance. Solidement retranché dans cette croyance, je ne crains pas les aboiements de Scylla, ju me ris des abîmes de Charybde ; je n’ai pas peur des mortels accents des Sirènes. Se déchaîne la tempête, elle ne m’ébranlrra pas. Soufllent les vents, ils ne m’emeuvront pas, car je suis établi sur le roc. H* DE LA PBOrESMOX DE fOI b’aBÉI.ABI». APPENDIX i EPISTOLA PETRl VENERABILIS ABBATIS CLUNIACENSIS AD DOMINUM INNOCENTIUM II, PAPAM PBO PBTRO ABSUBDO Summo pontifici et nottro speciali palri, Domino papce Innocentio fraler Peirtu humilis Cluniacensium abbas obedientiam et amorem. Magister Petrus sapientise vestrae, ut credo, optime uotus, nuper a Frau- cia veniens, per Cluniacum transitum fecit ; quaesivimus quod teuderet : gravatum se vexationibus quorumdam, qui sibi, quod valde abhorrebal, uomen baeretici imponebant, majestatem Apostolicam se appellasse, et ad eam confugere velle respondit. Laudavimus propositura, et, ut ad notum et commune refugium confu- geret, admonuimus : juslitiam Apostolicam, quae nulli unquam etiam eitra- neo vel peregrino defuit sibi non defuturam diximus. Misericordiam ipsam, ubi ralio postularet, sibi occursuram promisimus. Venit interim dominus Cisterciensis abbas, et de pace ipsius et domini Clancvallensis, cujus causa appellaverat, nobiscum et cum ipso pariter egit. Dedimus et nos operam paci ejus : et, ut ad illum cum ipso iret, hortati su- mus. Addidimus hoc monitis nostris, ut si qua catholicas aurcs oflendentia APPENDICE LETTRE DE PIERRE, ABBÉ DE CLUNI AU PAPE INNOCENT II EN FATBCR DE PIERRE ABRLARD Le frère Pierre, humble abbé de Cluni, au souverain Pontife, notre père spécial : honneur, obéissance et amour. Maître Pierre, bien connu, j’imagine, de votre sagesse, a, en venant de France, récemment passé par Cluni. Nous lui avons demandé où il allait. 11 répondit que, succombant sous le poids des persécutions de ses ennemis, qui lui imposaient le nom odieux d’hérétique, il en avait appelé à la ma- jesté apostolique, et qu’il voulait chercher un refuge auprès d’elle. Nous avons loué son projet, et nous l’avons engagé à chercher asile auprès du grand et commun refuge ; nous lui avons dit que la justice Apostolique, qui n’avait jamais manqué même aux inconnus, aux étrangers, ne lui ferait pas défaut. Nous lui avons promis que, s’il y avait Heu, il trouverait môme la miséricorde. Dans l’intervalle, arriva l’abbé de G team, qui s’entretint avec nous et avec lui des moyens de rétablir la paix entre lui et le maître de Glairvaux, à cause duquel il en avait appelé. Nous avons donné nos soins à ce réta- blissement de la paix ; nous avons engagé maître Pierre à aller trouver, en compagnie de l’abbé de Oileaux, l’abbé de Cl.tirvaux ; nous l’avons engagé 550 APPENDDL aut scripsisset, aut dixisset, hortatu ejus et aliorum bonorum et sapieo- tum, et a verbis suis amoveret, et a libris abraderet. Et factum est ila. lvit, rediit ; cum domino Clarevallensi, mediaute Cisterciensi, sopitis prioribus querelis, se pacifice convenisse reversus retulit. Interim a nobis admonitus, magis autem a Deo, ut credimus, inspiratus, dimissis scbolarum et studiorum tumultibus, in. Cluniaco vestra sibi perpe- tuam mansionem elegit. Quod nos senectuti ejus, debilitati ejus, religioni ejus congruere putantes, et scientiam ejus vobis ez toto non incognitani magns fratrum nostrorum multitudini proficere posse credentes, voluntati cjus assensimus : et, si sic benignitati vestrae beneplacitum esset, benigue et cum gaudio nobiscum, vestris, ut nostis, per omnia, remanere concessiinus. Rogo igitur ego qualiscunque, tamen vester, rogat devotissimus vobis Cluniacensis conventus, rogat ipse per se, per nos, per prxsentium latores filios vestros, per has, quas ut scriberem rogavit litteras, ut reliquos dies vitae et senectutis suse, qui fortasse non multi sunt, in Cluniaco vestra eum consummare jubeatis, et ne a domo, quam velut passer, ne a nido, quem velut lurtur invenisse se gaudet, aliquorum instantia aut expelli, aut com- moveri valeat, more quo omnes bonos colitis, et etiam istum dilexistis, scuto defensionis Apostolicae protegatis. II EPISTOLA EJUSDEM PETRI ABBATIS CLUNIACENSIS VenerabUi et in Chritto plurimum dilecte sorori Heloksce abbatma, frater Petrus hutnilis Cluniacensium abbas, salniem, quam promisit Deus diligentihus se. Acceptis litteris charitatis tuae, quas mihi nuper per filium meum Theo- baldum misisti, gavisus, et eas mittentis gratia amicabiliter amplexus sum. Yolui statim rescribere quod aniino insederat : sed impedientibus impor- tunis curarOm exactionibus, quibus plerumque, imo pene semper, ceoere en outre, lui mettant sous les yeux son propre exemple ainsi que d’autres non moins sages et bons, à supprimer de son langage, à rayer de ses livres ce qu’il avait pu dire ou écrire de blessant pour des oreilles catholiques. Et ainsi a-t-il été fait. Il a été, il est reveuu, et à son retour, il a annoncé que toutes les vieilles querelles avaient été étouffées, et que la paix était faite avec l’abbé de Clairvaux, par l’intermédiaire de l’abbé de Citeaux. Alors, soit influence de nos conseils, soit plutôt inspiration de Dieu, il a déclaré que, renonçant au tumulte des cours et des études, il choisissait pour retraite définitive votre abbaye de Cluni. Dans la pensée que cet asile convenait à son âge, à sa santé, à sa piété, et dans l’idée que son savoir, qui ne vous est pas, sans doute, complètement inconnu, pouvait être utile à la grande multitude de nos frères, nous avons fait accueil à son désir, et si votre bonté y consentait, nous le recevrions avec plaisir et joie parmi nous, qui vous sommes, vous le savez, absolument dévoués. Je vous demande donc, si humble que je sois, mais vous appartenant du moins de cœur ; le couvent de Cluni qui vous est si étroitement attaché, vous demande, maître Pierre vous demande lui-même, par nous, par vos fils porteurs des présentes, par ces lettres qu’il nous a prié de vous écrire, de le laisser achever dans l’abbaye de Cluni les derniers jours de sa vie et de sa vieillesse, qui, sans doute, ne seront pas bien nombreux. Que les instances de quelques ennemis ne puissent le faire chasser de l’asile, qu’humble passereau, du nid que, pauvre tourtereau, il se réjouit d’avoir trouvé, ou qu’elles ne viennent pas l’y troubler ; que le bouclier de la défense Apostolique le protège, lui aussi, comme vous protégez tous ceux qui le méritent. II LETTRE DE PIERRE, ABBÉ DE CLUNI A sa respectable et très-chère sœur en Jésus Christ, Heloïse, abbesse, son humble frère, Pierre, abbé de Cluni : le salut que Dieu a promis à ceux qui l’aiment. La lettre de votre charité, que vous m’avez dernièrement envoyée par mon fils Thibault, m’a pénétré de joie ; et en considération de la personne qui l’avait écrite, je l’ai reçue avec un sentiment d’affection. J’ai voulu vous récrire aussitôt ce que j’avais dans le cœur ; les exigences de mes 553 APPENDIX. compellor, non potui. Vix tamen a tumultibus tandem interpolata die quod conceperam, altentavi. Yisum est ut aflectui tuo erga me, queni e< tunc ex Iitteris, et prius ex mihi missis xeniis cognoveram r saltexn verbo- rum vioem rependere festinarem, et quantum in corde meo Jocum libi di- lectionis in Domino servarem, ostenderem. Revera enim non nunc priniuni diligere incipio, quam ex multo tempore me dilexisse retniniscor. Necdum plene metas adolescentiae excesseram, necdum injuveniJes annos evaseram, quando nomen, non quidem adhuc religionis luae, $ed honesto- rum tamen et laudabtlium studiomm tuorum mihi fama innotuit. Audi&- bam tunc temporis mulierem, licet necdum saxuli nexibus expeditam, litteratoriae scientiae, quod perrarum est, et studio licet secularis sapientie summam operam dare : nec mundi voluptatibus, nugis vel deliciis, tb hoc utili discendarum artium proposito retrahi posse. Quumque ab his exercitiis detcslanda desidia totus pene torpeat muudus, et ubi subsisfere possit pes sapientiae, non dicam apud sexum feraineum, a quo ex toto explo- sus est sed vix aptid ipsos viriles animos invenire valeat : tu illo effercndo studio tuo et mulieres omnes evicisti, et pene viros universos superasti. Mox vero, juxta verba Apostoli, ut complacuit ei, qui te segregavit ex utero matris tu», vocarc te per gratiam suam, longe in melius discipiina- rum studia commutasti : et pro logica£\angelium, pro physica Apostolum, pro Platone Christum, pro Academia claustrum tota jam et vere philoso- phica mulier elegisti. Eripuisti victis spolia hostibus, et de thesauris iEgyptiacis per hujus peregrinationis desertum transiens, pretiosum in corde tuo taberuaculuni Deo erexisti. Gantasti cum Maria, demerso Pharaone, canticum laudis ; et beatae mortificationis tympanum, ut olim illa, prse manibus gerens, uovt modulaminis melos usque ad ipsas Deitatis aures docta tympanistria traus- misisti. Conculcasti jam incipiendo, quod per Omnipotentis gratiam bene perseverando conteres vetusti anguis, ac semper mulieribus insidiantis caput : atque elides, ut nunquam ulterius contra te sibilare audeat. Osten- tui facis et facies superbum principem mundi : et illum, qui divina voce vocatur rex filiorum snperbiae, ct juxta ipsius Dei ad beatum Job verba, tibi ac tecum cohabitantibus aucillis Dei alligatum ingemiscere coges. Et vere singulare miraculum, ac super omnia miranda opera extollendum, eum, quo, juxta prophetam, cedri nou fuerunt ulliores in paradiso Dei, el APPENDICE. 553 occupations auxquelles je suis la plupart du temps, pour ne pas dire tou- jours, obligé de céder, ne me l’ont pas ]>ermis. Mais, dès le premier jour de relâche que j’ai trouvé au milieu de ces tracas, j’ai mis la main à ce que j’avais résolu. Je voulais an moins reconnaître par mon empressement les sentiments que me témoignaient votre lettre, ainsi que les présents d’hos- pitalité que vous m’avez antérieurement adressés ; je voulais vous montrer quelle place j’avais réservée dans mon cœur à l’affection que je vous porte en Jésus-Christ. Et ce n’est pas d’aujourd’hui que date cette affection ; elle remonte fort loin dans mes souvenirs. Je n’avais pas franchi les bornes de l’adolescence, je n’étais pas entré dans les années de la jeunesse, quand votre nom parvint à mes oreilles ; ce n’était pas encore votre profession religieuse, mais votre si honorable et si louable goût de l’étude que signalait la renommée. J’entendais dire alors qu’une femme, encore retenue dans les liens du siècle, se consacrait à l’étude des lettres, et, chose rare, de la sagesse ; et que les plaisirs du monde, ses frivolités et ses dé irs, ne pouvaient l’arracher à l’idée de s’instruire. Quand le monde entier, pour ainsi dire, donne le spectacle de la plus déplorable apathie pour ces études, quand la sagesse ne sait plus où poser le pied, je ne dirai pas chez le sexe féminin, d’où elle est entière- ment bannie, mais dans l’esprit même des hommes, vous, par le transport de votre zèle, vous vous êtes élevée au-dessus de toutes les femmes, et il est peu d’hommes que vous n’ayez surpassés. Plus tard, quand, selon les paroles de l’Apôtre, il plut à celui qui vous avait mise à part dès le sein de votre mère de vous appeler à lui par sa grâce, vous avez dirigé vos études dans une voie meilleure ; femme vrai- ment philosophe, vous avez laissé la logique pour l’Évangile, la physique pour l’Apôtre, Platon pour le Christ, l’Académie pour le cloître. Vous avez enlevé les dépouilles de l’ennemi vaincu, et, traversant les déserts de ce pèlerinage avec les trésors de l’Egypte, vous avez élevé à Dieu dans votre cœur un précieux tabernacle. Pharaon englouti, vous avez chanté avec Marie le cantique de louanges ; et, comme elle autrefois, portant dans vos mains le tambour de la bienheureuse mortification, vous avez envoyé jusqu’aux oreilles mêmes de la Divinité les harmonies d’une hymne nou- velle. Vous avez foulé dès les premiers pas, et avec la grâce du Tout-Puis- sant, vous écraserez, tout h fait, en persévérant dans cette marche, la tète du serpent, l’antique et implacable ennemi de la femme ; vous la briserez si bien qu’il ne pourra plus désormais élever contre vous ses sifflements. Vous faites et vous ferez un monstre de ce superbe prince du monde ; et celui que h parole divine appelle le roi des fils de l’orgueil, selon les paroles mêmes de Dieu au saint homme Job, vous le réduirez à gémir enchaîné à vous et aux servantes du Seigneur qui habitent avec vous. Miracle vraiment unique et qu’il faut élever au-dessus de toutes les œuvres les plus merveilleuses ! Celui dont le prophète a dit que les cèdres 554 APPE3DK. cujus summitatem frondium abieles non adsequarunt, a fragili sexu vinoi : et fortissinium archangelum a mulicre infirmissima superari. Gignitur tali ducllo maxima ploria conditori : inferlur e converso summa iguouiinii deccptori. Exprobralur ei hoc certamine, non solum stultum, sed ct supcr omnia ridiculum fuisse, illum aspirasse ad aequalitatera sublimissinue majcstalis, qui nec breve luctanun ferre pnevalet feminae debilitatis. Su=*- tinet caput cujuslibet viclricis illius, merito talis victoriae, gemnieaoi a Regc ctelorum coronam ; ut quanto, in transacta pugna carne infirmiur, taulo iu remuueratione sempiterna appareat gloriosior. Uxc, charissima in Domino soror, vere nou adulando, sed exhortando dico, ut magnnm, in quo aliquamdiu perstitisti, bonum attendens, ad caute illud conservandum animosior reddaris : ut sanctas illas, quae tecum Domino scrviuut, secundum gratiam a Deo tibi collatam, ut in eodem sollicite agone contendant, verbis pariter ct exemplis accendas. Et euim unum de animalibiis illis, qux Ezecbiel propheta vidit, licet sis mulier : quac nou tantuin ut carbo ardere, sed ut lampas ardere debes pariter et lut cre. Es quidem discipula vcritalis, sed es cliam ipso oflicio, quantum ad tibi commissas pertinct, magistra humilitatis. Ilumililalis plaue, et totius ctrlestis disciplius, tibi a Deo magisteiium impositum cst : unde non solum tui, sed et commissi gregis curam baberc, et pro universis, majorem uni- versis debes mercedem reciperc. Manet tibi certe palma pro omnibus : quia, ut optinie nosti, quotquot ducatu tuo mundum mundique principem vicerint, tot tibi triumphos, tot gloriosa trophaea apud aeternura regem et judicem pneparabunt. Sed nec omnino apud mortales insolitum est feminas feminis principari, nec e\ toto inusitatum ctiam pra ?liari ; ipsos iusupcr viros ad pnclia corni- tari. Nam si vcrum est quod dicitur …..Fas est et ab ho»te doceri. et apud gentiles Amazonum regina Penfhesilaea cum suis Amazouibus, non viris, sed mulieribus, Trojani belli tempore, saepe pugnassc scribittir : ct in populo etiam Dci, prophctissa Debora Baracli judicem Israel contra Elhnicos animasse lcgitur. Cur ergo non liccat feminas virtutis contra fortem armatum ad pra ?lia procedcntes, ductrices fieri exercitus Domini, quum et illa, quod quidein indecrns vidchatur, manu tamen propria conlra hostes pugnaverit, et Iubc nostra Debora viros ipsos ad bella divina couimo- APPENDICE. 555 ne portaient pas si haut leur tète dans le paradis de Dieu, et que n’égalait point la cime des pins, est vaincu par le sexe fragile ; le plus terrible des archanges est abattu par une faible femme ! Ce combat que vous avez livré est pour le Créateur un grand sujet de gloire, et pour le tentateur un sujet de confusion profonde. Cette lutte rappelle, à sa honte, qu’il fut non-seule- ment insensé, mais singulièrement ridicule d’aspirer à élever sou front jusqu’au niveau de la sublime Majesté, lui qui ne peut même pas triompher de la faiblesse d’une femme. Le front de la victorieuse, en récompense d’une telle vieloire, reçoit du Roi des cieux une couronne de pierreries ; ainsi, plus elle était faible par la chair dans le combat qu’elle a livré, plus elle apparaîtra glorieuse dans la récompense étemelle. Ceci, nia très-chère sœur en Notre-Seigneur, je ne le dis point pour vous flatter, mais comme exhortation à envisager l’éniinencc du bien que vous poursuivez depuis longtemps, et à le conserver avec sagesse ; en sorte que vos exemples et vos paroles enflamment, suivant la grâce que Dieu vous a départie, le cœur des saintes qui servent avec vous le Seigneur, et qu’elles soutiennent la lutte avec le même zèle. Vous êtes, bien que femme, un des animaux de la vision du prophète Ézéchiel ; vous ne devez pas seulement brûler comme un charbon ; mais, comme une lampe, \ous devez à la fois brûler et éclairer. Vous êtes disciple de la vérité ; mais pour le rôle dont la charge vous est confiée, vous êtes eu même temps maîtresse d’humilité. L’enseignement de l’humilité et de toutes les célestes pratiques vous est imposé par Dieu. Aussi devez-vous veiller non-seulement sur vous-même, mais sur le troupeau qui vous est confié ; responsable de la communauté, vous recevrez une récompense supérieure à la commu- nauté. Oui, une palme vous est réservée entre toutes ; vous ne l’ignorez pas, t toutes celles qui, sous votre direction, auront vaincu le monde et le prince du monde, vous prépareront autant de triomphes, autant de glorieux tro- phées auprès du Roi et du Juge éternel. Au surplus, il n’est pas sans exemple dans l’humanité que des femmes aient commandé à des femmes ; quelquefois même on les a vues prendre les armes et accompagner les hommes sur les champs de bataille. Et, s’il est vrai, comme on le dit, que nous pouvons recevoir des leçons même d’un ennemi, ne voyons-nous pas que, chez les Gentils, la reine des Ama- zones, Pcnthésiléc, au rapport de l’histoire, combattit plusieurs fois, pen- dant la guerre de Troie, avec son armée, non d’hommes mais de femmes ; et que, même chez le peuple de Dieu, la proptu’tcsse Débora anima, dit-on, Barach, juge d’Israël, contie les idolâtres ? Pourquoi donc les femmes qui marche» t aux combats de la vertu contre le fort revêtu de ses armes ne pourraient-elles conduire les armées du Seigneur, quand Penthé>ilée, bra- vant ce qu’on appelait les convenances, ne craignit pas de combattre les ennemis de son propre bras ; quand notre grande Débora souleva, arma, 556 APPENDH. verit, armavcrit, accenderit ; victo dehinc Jabin rege, occiso Sisara duce, deleto profano exercitu, cecinit statim canticum illa, illudquc Dei laudiini : devola dicavit. Erit, Dei gratia hocfociente, postdatam tibi tuisque de lortgi fortioribus bostibus victoriam, longe tuum gloriosius canticum, quod sie laeta cantabis, ut nunquam postea laetari, nunquam cantare desistas. Inlerim eris ancillis Dei, hoc est coelcsti exercitui, quod iila suo judaico popuio Debora : nec a tam lucroso certamine, aliquo tempore, quolibet casu, nisi vincendo cessabi ?. Et quia hoc nomen Debora, ut tita novit eruditio, lingua llebraica apesn designat, cris etiam iu hoc et tu Debora, id est apis. Mellificabis eoim ta. sed non soli tibi, quia quicquid boni per diversos et a diversis collegisti, exeraplo, verbo, modisque quibus poteris, domesticis sororibus seu quibus- libet aliis, totum refundes. Satiabis hoc exiguo vitae morblis tempon* et te ipsam sacrarum Litterarum secreta dulcedine, et beatas sorores aperta prav dicatione, quousque, juxta vocem propheticam, in illa, quae proniittitur, die, distillent monles aeternam dulcedinem, et colles fluant lac et mel. Hoc enim licet de tempore gratiae dicatur, nil obstat, imo et dulcius est, ul de tempore gloriae accipiatur. Dulce mihi esset diu tecum de hujusmodi protrahere sermonem, quia et faniosa eruditione tua delector, et praedicata mihi a multis religione tua longe magis allicior. Utinam te Cluniacus nostra habuisset ! Ltinam te ju- cundus Marciuiaci carccr cum caeteris Ghristi ancillis libcttatem inde cce- Icstem expectantibus inclusisset ! Praetulissem opes religionis ac scieutiae maximis quorumlibet regum thesauris, et illarum sororum illud praecla- rum collegium cohabitatione tua clarius rulilare gauderem. Retulisses et ipsa ab ipsis non modicum quaestum, et summam mundi nobilitatem ac supcrbiam pedibus substratam mirareris. Cerneres omnigenos saeculi luxus miranda parcitate mutatos, et sordida quondam vasa diaboli in mundissima Spiritus sancti templa conversa. Videres puellas Dei, Satanae vel mundo ve- Iiit furto subtractas, super innocentise fundamentum altos virtutum erigere parietes : et usque ad ipsa cccli fastigia felicis fabricae cacumen producere. Laetareris angclica virginitate florentes castissimis viduis junctas, et uni- versas pariter beatas illius et magnae resurrectionis gloriam sustinentcs, infra arcta septa domorum etiam corporaliter beatae spei velut sepulcro jam conilitas. Quae licet omnia, et fortassis majora, cum tibi datisaDeo collegis APPENDICE. 557 enflamma les hommes eux-mêmes pour la guerre de Dieu, et, le roi Jabin vaincu, Sisara son général tué, l’armée profane détruite, entonna un can- tique et le consacra pieusement aux louanges du Seigneur ? Bieu plus glo- rieuse sera la victoire que tous remporterez par la grâce de Dieu, vous et vos filles, sur des ennemis bien plus redoutables ; bien plus glorieux aussi sera le chant que vous entonnerez, et si joyeuse vous le chanterez, que jamais plus la joie ni le chant ne cesseront de retentir dans votre cœur. Vous serez pour les servantes de Dieu, c’est-à-dire pour l’armée céleste, ce que Débora fut pour le peuple juif. Et ce combat, dont le profit est si grand, aucun temps, aucun événement ne viendra l’interrompre : la victoire seule y mettra un terme. Le nom de Débora, votre savoir ne l’ignore pas, signifie en langue hé- braïque abeille. Vous serez encore en cela une Débora, c’est-à-dire une abeille. En effet, vous composerez un trésor de miel, mais non pour un seul. Tous les sucs que vous aurez recueillis çà et là de diverses fleurs, vous les verserez par votre exemple, par vos paroles, par tous les moyens possibles, dans le cœur des femmes de votre maison ou d’autres femmes. Pendant le court espace de cette vie mortelle, vous vous rassasierez vous-mêrn", de la secrète douceur des saintes Écritures, et votre libre prédication en rassa- siera vos sœurs bienheureuses jusqu’au jour où, suivant la parole du Pro- phète, les montagnes distilleront l’éternelle douceur, où du sein des collines couleront des misseaux de lait et de miel. En effet, bien que cela soit dit du temps de la grâce, rien n’empêche, et il est plus doux de l’entendre du temps de la gloire. II serait doux aussi pour moi de prolonger avec vous un semblable en- tretien, tant je suis charmé par votre érudition ; tant surtout l’éloge que bien des personnes m’ont fait de votre piété m’attire ! Plùl à Dieu que notre abbaye de Cluni vous eût.possédée ! Plût à Dieu que cette délicieuse maison de Marcigny vous eût renfermée avec les autres servantes du Christ qui attendaient dans cette captivité ta liberté céleste ! J’aurais préféré les ri- chesses de la religion et de la science aux trésors des rois les plus opulents, et j’aurais vu avec ravissement le magnifique collège de ces saintes sœurs recevoir de votre présence un redoublement d’éelat. Vous auriez vous-même tiré quelque avantage de cet entourage, en considérant la plus haute no- blesse du monde et l’orgueil foulés aux pieds. Vous auriez vu toutes les délices du siècle échangées contre un dénùment inouï, et les vases impurs du démon devenus tout à coup des temples sans tache de l’Esprit saint. Vous auriez vu ces jeunes filles du Seigneur, dérobées à Satan ou au inonde comme par un larcin, élever sur les fondements de l’innocence les saintes murailles des vertus, et conduire jusqu’aux voûtes mêmes du ciel le faite de leur bienheureux édifice. Vous auriez tressailli de joie, en contemplant ces jeunes filles dans la fleur de leur augélique virginité, réunies aux plus chastes des veuves, soutenant avec elles la gloire de cette heureuse et glo- 558 APPENDIX. liabcas, licet forte nihil ad sacrarum rerum studium perlinens tiiri addi possit : augeretur tamen augmento graliarum tuarum non parvis, ut arbi- tror, comraodis respublica nostra. Sed quamvis a dispensatricc omnium icrum providentia Dei hoo »ot*is dc te ncgatum sit, concessum tamen est de illo tuo, de illo, inquam , sac|»c^ ac semper cum lionore nominando servo ac vere Cbristi philosopho. magi - i r«> Pctro : quem in ultimis vitae suoc aunis cadem divina dispositio Clunjacuin transmisit : et cam in ipso et de ipso super omne aurum el topazioii mwi- ncre cariore ditavit. Cujus sancts, humili ac devote inter nos convcrsationi, quod quan- tumve Cluniacus leslimonium ferat, brevis sermo uon cxplical. Nisi enim fallor, non recolo vidissc mc illi in humilitatis habitu et cesf u similcm : in lautum ul nec Gerraanus abjectior, nec ipse Martiuus bene discernenti pauperior apparerot. Quumque in magno illo fratrnm nosfro- rum grege, me compellcnle gradum superiorem teneret, ultimus omniiim vcstitu incullissimo videbatur. Mirabar sacpe, ct in processionibus eo me cum reliquis pro more praeeedente, pene stupebam, tanti tamque famosi nominis hominem sic seipsum contemnere, sic se abjicere posse. Et quta suutquidam religionis professores,. qui ipsum quem gerunt habitum reli- giosum nimis esse cupiunt sumptuosum, erat ille prorsus porcus in istis, cl cujuscumque generi9 simplit i veste contentus, nil ultra quaerebat. Hoc ct in cibo, hoc et in potu, hoc et in omni cura corporis sui servabat ; et non dico su- perflua, sed etcuncta nisi valde necessaria, tam insequam in omnibus verbo poriter etvita damnabat. Lcctioerat eicontinua, oratio frequens, silentium juge, nisi aut lratrum familiaris collatio, aut ad ipsos in conventu de divi- nis publicus sermo eum loqui urgebant. Sacramenta ccelestia, immortalis Agni sacrificium Dco ofierendo, prout poterat, frequcntabat, imo posl- quam litteris et labore meo Apostolioc graliae reddilus est, pene continua- bat. Et quid multa ? mens ejus, lingua ejus, opus ejus semper divina, sem- per philosophica, semper eruditoria meditabatur, docebat, fatebatur. Tali nobiscum vir simplex et rcctus, timens Deum et recedens a malo, tali, iuquam, per aliqnanluin tcmporis conversalione ultimos \it&suac dics APPENDICE. 559 rieuse résurrection, et sous l’étroite enceinte de la prison déjà corporelle- ment ensevelies dans le sépulcre de l’immortelle espérance. 11 est vrai que toutes ces grâces, et de plus grandes sans doute, vous sont départies par le ciel, à vous et à vos compagnes, et il serait difficile assurément de rien ajouter à votre zèle pour toutes les perfections chrétiennes. Mais noire communauté se fût assurément enrichie par l’accession des grâces pré- cieuses que vous possédez. Toutefois, si la Providence divine, dispensatrice de tontes choses, nous a refusé les avantages de votre propre présence, elle nous a du moins ac- cordé celle de l’homme qui vous appartient, du grand homme qu’il ne faut pas craindre d’appeler avec respect le serviteur et le véritable philosophe du Christ, de maître Pierre. La même Providence divine a bien voulu nous Peiivoyer à Cluni dans les dernières années de sa vie ; et nous pouvons dire qu’elle nous a fait, en sa personne, un don plus précieux que l’or et les perles. Sur la vie édifiante, pleine d’humilité et de dévotion qu’il a menée parmi nous, il n’est à Cluni personne qui ne puisse rendre témoignage, et on ne saurait la dépeindre en peu de mots. Je ne crois pas avoir jamais vu son pareil pour l’humilité dans la démarche et la tenue ; à ce point qu’aux yeux les plus alteutifs saint Germain n’aurait pu paraître plus négligé, ni saint Martin lui-même plus pauvre. Dans ce grand troupeau de nos frères, où je l’invitais à prendre la première place, il semblait toujours, par la mi tore de son vêtement, occuper la dernière. Je m’étonnais souvent, j’étais presque stupéfait de voir dans les processions, lorsqu’il marchait devant moi avec les autres frères suivant l’ordre cérémonial, de voir, dis-je, un homme d’un nom si grand et si fameux s’humilier et s’abaisser à ce point. 11 est des professeurs de religion qui, même dans l’habit qu’ils portent, re- cherchent l’éclat du luxe ; pour lui, modeste dans son costume, il se con- tentait de la robe la plus simple,, et ne cherchait rien au delà du nécessaire. Ainsi faisait-il pour le manger, pour le boire, pour tous les soins du corps ; tout ce qui est suj>erflu, tout ce qui n’est pas absolument indispen- sable, il le condamnait par sa parole et par son exemple, pour lui-même comme pour les autre-. Sa lecture était incessante, sa prière assidue, sou silence persistant, à moins de questions familières de la part des frères ou de conférences générales sur les choses divines qui le forçassent de parler. 11 s’approchait des sacrements, offrant à Dieu le sacrifice de l’Agneau im- mortel, aussi souvent qu’il le pouvait, que dis-je ? presque sans interrup- tion, depuis que, par ma lettre et mon entremise, il était rentré en grâce auprès du saint-siége. Qu’ajouterai-je de plus ? son esprit, sa bouche, ses actes, étaient voués incessamment à la méditation, à l’enseignement, à la manifestation des choses divines, philosophiques et savantes. Ainsi vécut parmi nous cet homme simple et droit, craignant Dieu et se détournant du mal ; ainsi vécut-il, dis-je, consacrant à Dieu les derniers 500 APPENDIX. consecraiis Deo, pausandi gratia (nam plus solito scabie et quibusdam corpo- ris incoramoditalibus gravabatur) a me Cabillonem missus est. Nam prop- ter illius soli amoenilatem, qua cunctis pene Burgundise nostrae partibus praeminet, locum ei habilem prope urbem quidem, sed tamen Arari interfluente, provideram. Ibi juxta quod incommoditas permittebat, anti- quasua revocans studia, libris semper incumbebat : nec, sicut de magno Gregorio legitur, momentum aliquod praterire sinebat, quin semper aut oraret, aut legeret, aut scriberet, aut dictaret. In his sacrorum operum exercitiis eum adventus illius evangelici Vi- silatoris reperit, liec eum, ut multos, dormientem, sed vigilantem iave- nit. Inveniteum vere vigilantem, et ad acternilatis nuptias, non ut fatuani, sed ut sapientem virginem evocavit. Altulit enim ille secum lampadem plenara oleo, hoc est conscientiam rcfertam sanctas vito testimonio. Nam ad solvendum commune mortalium debitum morbo correptus eoque ingra- vescente in brevi ad extrema perductus est. Tunc vero quam sancte, quam devote, quam catholice primo fidei, dehinc peccatorum confessionem lecerit, quanto inhiatis cordis aflectu viaticum peregrinationis ac vitae acteruac pignus, corpus scilicet Redemptoris Domini accenerit, quam fideliter cor- pus suum et animani hic et in xternum ipsi commendaverit, tesles sunt religiosi fratres et totius illius monasterii, in quo corpus saucti martyris Marcelli jacet, conventus. Hoc magisler Petrus fine dies suos consummavit ; et qui singulari scien- tiae magisterio toti pene orbi terrarum notus, et ubique famosus erat, iu illius discipulatu qui dixil :« Discite a me quia mitis sum et humilis corde, » mitis et humilis perseverans, adipsum, ut dignum est credere, sictransivit. Hunc ergo, venerabilis et carissima in Domino soror, cui post carnalcm copulam tanto validiore quanto meliore divinsc caritatis vinculo adhacsisli, cura quo et subquo diu Domino deservisti : hunc, inquam, loco tui, vel ul le alteram in gremio suo confovct, et in adventu Domini, in voce archangeli, et in tuba Dei descendentis dc coelp, tibi per ipsius gratiam restilueudum reservat. Esto ergo in Domino memor ipsius, esto etiam, si placet, et sanctis sororibus tecum Domino famulantibus fratres congregationis nostne ac so- rores, qui ubique terrarum pro posse suo eidem cui et tu Domino famu- lantur, sollicite commenda. Vale. APPERDICB. 561 jours de son existence. Gomme il était, plus que de coutume, tourmenté par la psore et par d’autres incommodités, je l’envoyai à Châlon prendre quelque repos. J’avais songé à lui assurer une retraite dans cette ville, sur les bords de la Saône, à cause de la salubrité du climat qui en fait presque la plus belle partie de notre Bourgogne. Là revenant à ses anciennes études, autant que sa santé pouvait le permettre, il était toujours penché sur ses livres ; et, semblable à Grégoire le Grand, il ne pouvait laisser passer un instant sans prier, lire, écrire ou dicter. C’est dans l’exercice de ces divines occupations que le trouva le Visiteur annoncé par l’Évangile ; il le trouva non pas endormi, comme bien d’autres, mais en éveil. Oui, il le trouva véritablement en éveil et se préparant aux noces de l’éternité, non pas comme une vierge folle, mais comme une vierge sage ; car il apportait avec lui sa lampe pleine d’huile, c’est-a-dire une conscience remplie du témoignage d’une sainte vie. Lorsqu’il fallut payer la dette commune de l’humanité, le mal qui le saisit empira promp- tement et le réduisit bientôt à l’extrémité. Dans quelles dispositions pieuses, saintes, catholiques, il confessa d’abord la foi au sein de laquelle il mourait, puis ses péchés ! avec quel élan de cœur il reçut le viatique du suprême voyage, le gage de la vie éternelle, c’est-à-dire le corps du divin Rédempteur ! avec quelle ferveur il lui recommanda son âme et son corps en ce monde et dans l’éternité ! tous les frères en furent témoins, ainsi que la communauté entière du couvent où repose le corps de saint Marcel, martyr. Telle fut la fin de la vie de maître Pierre. Celui qui était connu et célèbre dans le monde entier par, l’éclat incomparable de son enseignement rentra à l’école de celui qui a dit : i Apprenez de moi que je suis humble et doux de cœur ; » et persévérant dans la douceur et l’humilité, c’est ainsi qu’il alla, nous devons le croire, rejoindre son divin Maître. Donc, vénérable et très-chère sœur eu Notre-Seigneur, celui auquel vous avez été unie par le lien de la chair, ensuite par le lien plus solide et plus fort de l’amour divin ; celui avec, lequel et sous lequel vous vous êtes con - sacrée au service de Dieu ; celui-là, dis-je, Dieu le réchauffe aujourd’hui dans son sein à votre place, ou plutôt comme Un autre vous-même ; et au jour de la venue du Seigneur, à la voix de l’archange, au son de la trom- pette annonçant le souverain Juge descendant des cieux, il vous le rendra par sa grâce, il vous le réserve. Souvenez-vous de lui en Notre-Seigneur ; oui, souvenez-vous de lui, s’il plaît à votre cœur, et recommandez avec sollicitude aux prières des saintes sœurs qui servent avec vous le Seigneur, les frères de notre congrégation et les sœurs qui, par toute la terre, servent, selon leur pouvoir, le même Dieu que vous. Adieu. 36 503 iPPENOa. III EPISTOLA HELOISSjE AD PETRUM ABBATEM CLUNIACENSEM Petro reverendissimo Domino etpatri ac venerabili abbati Cluniacensium, HeloiiM, humilis Dei el ejus anciUat spirUum gratuz salutaris. Visitante nos Dei misericordia, dignationis vestr» nos visitavit gratia. Gralulamur, pater benignissime, et, quod ad parvitatem nostram magnitudo vestra descenderit, gloriamur. Est siquidem vestra visitatio, magna magnis quibuslibet gloriatio. Norunt alii quantum eis utilitatis vestra ? contulerit prasentia sublimitatis : ego certe non dicani enarrare dictu, sed nec ipso valeo comprehenderecogitatu, quam utilis, quam jucundus vester mihi fuerit ad- ventus. Abbasnoster, dominus noster apudnos anno praeteritoxvi kalendisde- cembris missam celebrastis, in qua Spiritui sancto nos commendastis ; in ca- pitulodivini nos sermonis elogiocibastis, corpus magistris nobis dedistis ac beneficium Cluniacenseconcessistis. Mihiquoque, quamnec ancills nomine dignam sublimis humilitas vestra tam scripto quam verbo sororem vocare non dedignata est, singulare quoddam velut amoris et sincerilatis privile- gium donastis, Tricenarium scilicet, quod mibi defuncts convcntus Clunia- censis persolvere. lndixistis etiam quod donum illud sigillatis confirmaretis apicibus. Quod itaque sorori, imo ancillae concessistis, frater, imo dominus, impleatis. Placeat etiam vobis aliud mihi sigillum mittere, in quo magistri absolutio litteris apertis contineatur, utsepulcro ejus suspendatur. Memi- neritis et amore Dei et nostri Astfalabii veslri, ut aliquamei vel a Parisiensi vel alio quolibet episcopo prsbendam acquiratis. Vale. Dominus vos custo- diat, et pnesentiam vestram quandoque nobis exhibeat. APPENDICE. 565 III LETTRE D’HÉLOISE A PIERRE, ABBÉ DE CLUNI A Pierre, très-révérend pasteur et père, vénérable abbé de Cluni, Hélrtte, humble tenante de Dieu et la tienne, t esprit de la grâce du salut. La miséricorde divine nous visitant, la grâce de votre Éminence nous a visitées. Nous nous réjouissons, excellent Père, que votre grandeur ait dai- gné descendre jusqu’à notre petitesse, et nous nous en glorifions ; car votre visite est un grand sujet de gloire pour les plus grands. Les autres savent combien la présence de votre sublimité leur a apporté d’avantages ; pour moi, je ne saurais, je ne dis pas seulement exprimer, mais concevoir le bienfait et lav douceur de votre visite. Vous, notre abbé, notre seigneur, vous êtes venu Tan passé, le seizième jour des calendes de décembre, célé- brer une messe pour nous recommander à l’Esprit saint ; vous nous avez nourries, dans le chapitre, de la parole divine ; vous nous avez rendu le corps du maître et accordé le bénéfice de Cluni. Et moi qui ne suis pas di- gne de porter le nom de votre servante, votre sublime humilité n’a pas dé- daigné de m’honorer, par écrit et de vive voix, du nom de sœur ; comme un gage particulier d’affection et de dévouement, vous m’avez donné un tricénaire que le couvent de Cluni doit acquitter après ma mort ; vous avez ajouté que vous consacreriez ce don par votre sceau. C’est cette promesse faite à votre sœur, que dis-je, a votre servante, que je viens vous prier, mon frère, ou plutôt mon seigneur, d’accomplir aujourd’hui. Veuillez éga- lement m’envoyer un autre sceau qui contienne, eu termes clairs, l’absolu- tion du maître, afin que je puisse le suspendre à son tombeau. Souvenez- vous aussi, pour l’amour de Dieu, de notre, de votre cher Astrolabe, afin d’obtenir en sa faveur quelque prébende de l’évèque de Paris ou de tout , autre diocèse. Adieu. Que le Seigneur vous garde et nous accorde quelque- fois le bonheur de votre présence. 4 APPENDDL. IV EPISTOLA PETRI CLUNIACENSIS ABBATIS AD HELOISSAM Venerabili et carissunoe sorori nostra*, Deique anciilce Eeloma^ ameUia- rum Dei dnclrici ac magistra, frater Petrus humilis Cluniaeensium ab- bas, saiutis a Deo, amoris a nobis in Christo plenitudinem. Gavisus sum, et hoc non parum, legens sanctitatis vestrse litleras, in qui- bus adventum meum ad vos nos fuisse transitorium, ex quibus adverti noo solum me apud vos non fuisse, sed et a vobis nunquam postmodum reoes- sisse. Non fuit, ut video, illud hospitium meum velut memoria hospitis unius noctis pnetereuntis, nec factus sum advena et peregrinus apud vos, sed civis sanctarum, et domesticus, utinam, Dei. Sic sacrae menti vestra cuncta inhceserunt, sic benigno spiritui vestro omnia impressa sunt, quae in illo fugaci seu volatico adventu meo dixi, quae feci, ut non dicam ea qu» studioseamc tunc dicta sunt, sed nec verbum forte negligenter prolatum, ad terram cederet. Ita notastis omnia, ifa tenaci memoriaD ex sinceritatis af- fectu derivatse commeudastis, quasi .magna, quasi coelestia, quasi sacro sancta, quasi ipsius verba vel operaJesu Christi. Forte moverunt vos ad illa sic retinenda, verba communis regule, hoc est tam nostrse quam vestrae, quae de bospitibus praecipit, Gbrislus in eis adoretur, qui et suscipitur. Forsitan et illa de pnepositis, licet ego pneposi- tus vobis non sim : « Qui vos audit, me audit. » Utinam bsec mihi semper gratia detur apud vos, ut mei memor esse dignemini, ut pro me Omnipo- tentis misericordiam cum sacro gregis vobis commissi collegio deprecemini. Rependo et ego in hoc vobis vicem quam possum) quia et longe antequam vos viderem, et maxime ex quo vestri notitiam habui, singularem vobis in intimis mentis meae recessibus, verae, non ficts caritatis locum servavi. Donum quod de Tricenario vobis pnesens feci, absens, ut voluistis, scrip* tum et sigillatum transmitto. APPKNOIGE. 565 IV LETTRE DE PIERRE, A6BÊ DE CLUNI, A HËLOlSE A notre vénérable et très-chère tenir, servante de Dieu, supérieure et maî- tresse des servantes de Dieu, Héloîse, son frère, Pierre, humble abbé de Cluni, la plénitude du salut par le Seigneur et celle de notre amour en Jésus-Christ. La lecture de la lettre de votre sainteté m’a causé une vive et bien vive joie ; j’ai tu que ma visite n’avait pas été pour vous un simple passage ; j’ai reconnu que non-seulement j’avais été avec vous, mais que, depuis, je ne vous avais pas quittées. L’hospitalité que vous m’avez donnée n’a pas été, je le sens, le souvenir de l’hôte d’une nuit ; je n’ai pas été chex vous un étran- ger, un pèleriu : j’ai eu droit de cité dans la demeure des saintes, puisséje dire ma place au foyer de Dieu. Tous les détails de ce que j’ai fait, de ce que j’ai dit, dans cette brève et rapide visite, se sont si bien fixés dans votre bienveillant souvenir, et ont laissé des traces telles dans votre âme sainte, que vous n’avez laissé tomber à terre aucune de mes paroles, je ne dis pas celles qui étaient dites avec intention, mais celles-là même que je laissais échapper. Vous avez tout noté, vous avez tout confié à une mémoire em- pruntant du cœur sa ténacité fidèle, comme des mots remarquables, comme des mots célestes, comme des mots divins, comme les paroles mêmes ou les œuvres de Jésus-Christ. Peut-être ce zèle de souvenir vous a-t-il été inspiré par les recommanda- tions de la règle commune à Cluni et au Paraclet, laquelle prescrit d’adorer le Christ dans nos hôtes, car nous le recevons avec eux. Peut-être aussi avez-vous pensé â cette prescription relative aux supérieurs, bien que je ne sois pas votre supérieur : « Celui qui vous écoute m’écoute moi-même. » Plaise au ciel que j’obtienne toujours de vous la même faveur, puissiez-vous daigner toujours vous souvenir de moi, et implorer pour mon âme la misé- ricorde du Tout-Puissant, vous et le saint troupeau qui vous est confié ! De mon côté, je vous offre tout le retour d’affection qui m’est possible. Bien longtemps avant de vous avoir vue, mais aujourd’hui surtout que je vous connais, je vous.ai réservé dans.le pins profond de mon cœur une place par- ticulière, et la place d’an amour sincère et vrai. Le don du tricenarium que je vous ai fait de vive voix, je vous le con- firme par un écrit scellé de mon sceau, ainsi que vous le désirez. 506 APPENDIX. Mitto etiam, sicut mandastis, magistri Petri absolutionem in charta simili- ter scriptam et sigillatam. Astralabio vestro vestrique causa nostro, mox ut facultas data fuerit, in aliqua nobilium Ecclesiarum prsebendam libens acquirere laborabo. fies U- men difficilis est : quia, ut saepe probavi, ad dandas in Ecclesiis snis prae- bendas variis objectis occasionibus, valde se difficiles prsebere episcopi so- Ient. Faciam tamen causa vestri quod potero, mox ut potero. Vale. ABS0LUTI0 PETRI AB£LARDI Ego Petrus Cluniacensis Abbas, qui Petrum Abaelardum in monachnin Cluniacensem recepi, et corpus ejus furtim delatum Heloissse abbatissss et monialibus Paracleti concessi, authoritate omnipotentis Dei et omnium sanctorum absolvo eum pro officio ab omnibus peccatis suis. FINIS Je vous envoie aussi, comme vous le demandez, l’absolution de maître Pierre, sur parchemin, également écrite de ma main, et scellée de mon sceau. Quant à votre cher Astralabe, qui est aussi le nôtre à cause de vous, dès que j’en trouverai le moyen, je chercherai, et ce sera bien volontiers, à lui obtenir une prébende dans quelqu’une de nos églises de premier ordre. La chose toutefois est malaisée. J’en ai fait souvent l’épreuve. Lorsqu’il s’agit d’accorder quelque prébende dans leurs églises, les évoques se montrent peu faciles ; ils ont toujours à opposer des fins denon-recevoir. Je ferai pourtant pour vous ce que je pourrai, et le plus tôt que je pourrai. Adieu. ABSOLUTION DE PIERRE ABËLARD Moi, Pierre, abbé de Cluni, — qui ai reçu Pierre Abélard comme moine de Cluni, et qui ai cédé son corps, secrètement transporté, à Héloïse, abbesse, et aux religieuses du Paraclet, — par l’autorité de Dieu tout-puissant et de tous les Saints, je l’absous, d’office, de tous ses péchés. Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres II.djvu/332 TABLE DES MATIÈRES ―――― Introductioni à xl Lettre première. — Abélard à un ami : histoire de ses malheurs.2 Lettre deuxième. — Héloïse à Abélard68 Lettre troisième — Abélard à Héloïse82 Lettre quatrième. — Héloïse à Abélard94 Lettre cinquième — Abélard à Héloïse110 Lettre sixième. — Héloïse à Abélard140 Lettre septième — Abélard à Héloïse172 Lettre huitième — Abélard à Héloïse238 Extraits des Règles du monastère du Paraclet364 Lettre d’Abélard aux vierges du Paraclet sur l’étude des lettres388 Questions Héloïse et réponses d’Abélard412 Lettres d’envoi des Hymnes d’Abélard532 Lettre d’envoi des Sermons d’Abélard542 Lettre d’Abélard à Héloïse : sa profession de foi544 Appendice548 I. Lettre de Pierre, abbé de Cluni, au pape Innocent II, en faveur d’Abélard548 II. Lettre de Pierre, abbé de Cluni, à Héloïse550 III. Lettre d’Héloïse à Pierre, abbé de Cluni562 IV. Lettre de Pierre, abbé de Cluni, à Héloïse. — Absolution d’Abélard561 ↑ Ouvrages inédits d’Abélard, pour servir à l’histoire de la philosophie scolastique en France, Introduction. ↑ V. Cousin, Introduction déjà citée. Cf. Ch. de Rémusat ; Abélard, sa vie, sa philosophie et sa théologie, t. II ; J. Simon, Abélard et la philosophie au douzième siècle ; Revue des Deux-Mondes, 1846, I ; Ch. Lévêque, Études de philosophie grecque et latine, 4e étude, ch. iii et iv. ↑ Correspondance de Roger de Habulin, comte de Bussy, édition L. Lalanne. Lettres 2336-2338. ↑ Cette traduction a été insérée dans le Recueil de lettres, publiées après la mort de Bussy 1693. ↑ Histoire d’Héloïse et d’Abélard, avec la lettre passionnée qu’elle lui écrivit, traduite du latin, in-12, à La Haye, 1687 ; rééditée en 1693, 1695, 1696, 1697, sous le même titre ; en 1720, sous un titre différent : Lettres d’Abélard et d’Héloïse, ou Amour et infortunes d’Abélard et Héloïse ; en 1722, sous cet autre titre : Nouveau recueil contenant la vie, les amours, les infortunes, les lettres d’Abélard et Héloïse, etc. — Histoire des Amours et infortunes d’Abélard et d’Héloïse, par Dubois, La Haye, 1711, in-18. — Recueil de lettres galantes et amoureuses d’Abélard et d’Héloïse, Amsterdam, 1704, in-12, réimprimé à Anvers, 1720, à Amsterdam, 1725. — Lettres d’Héloïse et d’Abélard mises en vers français, par M. de Beauchamps, 1714, etc., etc. ↑ Les véritables lettres d’Héloïse et d’Abailard. tirées d’un ancien manuscrit latin trouvé dans la bibliothèque de François d’Amboise, conseiller d’État ; traduites par l’auteur de leur vie, avec des notes historiques et critiques très-curieuses, 1722-23, 2 vol. in-12. Paris ; réimprimées en 1796 par Delaulnaye. Paris — D. Gervaise, avait publié, en 1720, la Vie de Pierre Abeillard, abbé de Saint-Gildas de Ruys, et celle d’Héloïse, son épouse, 2 vol. in-12. ↑ Le public est très-obligé au traducteur de ces Lettres de la découverte qu’il a faite, puisque tout le monde va présentement regarder toutes celles qui ont eu cours comme l’ouvrage de faiseurs de romans… » (Approbation de M. Richard, doyen des chanoines de l’Église royale et collégiale de Sainte-Opportune, à Paris, censeur royal.) ↑ Encyclopédie, art. Abailard. ↑ On ne compte pas moins de huit traducteurs de l’Épîtrc de Pope. — Voir les Êpitres d’Abailard et d’Heloïse, traductions en vers par divers auteurs, 1774. 2 vol. in-12 ; — Abélard et Héloise, avec un aperçu du douzième tiède, par F.-A. Turlol, 4822 ; — Héloïse et Abailard, lettres traduites du Latin par le comte de Bussy- Rabutin, avec les imitations en vers par de Bcauchamps, Colardeau, Dorât, Mercier, Fleury, B.. . Doux igné, Saur in, précédées d’une nouvelle préface, par E. Martineault Paris, Garnier, 1845. ↑ Voir, entre autres imitations, Le nouvel Abailard, par Rétif de la Bretonne. Paris, 1778, 4 vol. in-l%2 ; U nouvel Abailard, ou lettres de deux amants qui ne se sont jamais vus, 4 vol. in-12, en Suisse, 1779. — La parodie a fini par s’emparer elle-ménic du sujet : Histoire des Amours d* Abailard et d’Héloise, en vers satiri-comi-lmrlesqucs. Cologne, 172i, in-12 ; Le nouvel Abailard ou lettres d’un singe, par Th. de Champigny. 1763, etc. ↑ D’Alembert, Œuvres philosophiques et littéraires. Lettre A J.-J. Rousseau, citoyen de Genève, au sujet de l’article : Genève, de l’Encyclopédie. Édit. Bastien, t. V, p. 540. ↑ Génie du christianisme, part. II, liv. III, chap. v. — Cf. M. de Marchangy, la Gaule poétique, t. VI, p. 295. — En 1800, le roman de 1687 a reparu sous ce titre : Vie, amours, lettres et épitres amoureuses d’Héloise et Abailard, ouvrage composé d’après les documents les plus authentiques qui aient été publiés sur ces deux infortunés amants, suivis de détails exacts sur les diverses translations de leurs restes mortels, terminés par l’histoire curieuse et lamentable de Baudoin et Geneviève ou la côte des deux amants ; traduction eu vers de M. Creuzé de Lesser. — Paris, Baudry. ↑ lettres d’Abailard et d’Héloise, traduites par M. Oddoul, avec un Estai sur la vie et les écrits d’Abailard et d’Héloise, par M. et Mme Guiaot. Didier, 1839. ↑ Lettres d’Abailard et d’Héloïse, traduction nouvelle par le bibliophile Jacob, précédée d’un travail historique et littéraire, par M. Villenave. Charpentier, 1849. ↑ Abélard, sa vie, sa philosophie et sa théologie, par M. Charles de Rémusat, de l’académie française. Didier, 1840 ; 3e édition, 1865. ↑ Petri Abœlardi opera hactenus scorsini edita, nunc primum in unum collegit textum, ad fidem librorum editorum scriptorumque recensuit, notas, argumenta, indices adjecit Victor Cousin, adjuvantibus C. Jourdain et E. Despois. Parisiis, Durand, 1849. — Cette édition a été faite sur le manuscrit de la bibliothèque de Troyes, le plus ancien des manuscrits que l’on connaisse et qui date de la seconde moitié du xiiie siècle. Ceux qui existent à la Bibliothèque impériale (fonds latin, nos 2544, 2923) sont du xive siècle. D’après une note conservée à cette bibliothèque, les administrateurs du district de Nogent-sur-Seine possédaient, vers le milieu de l’an II (1793), un manuscrit qu’ils avaient retiré de la bibliothèque du Paraclet ; on ne sait ce qu’il est devenu. ↑ Index lectionum in Academia Zuricensi, 1841, in-4°. Zurich. ↑ Correspondance littéraire, t. I, p. 27 ; cf. p. 109 et suiv. ↑ Causeries du Lundi, VI, p. 298. On sait, de plus, qu’il existe de la plume de M. de Rémusat un drame d’Abélard « tout fait, et qui obtiendrait, le suffrage du public des lecteurs, si l’auteur se décidait à le publier. » (Id., Ibid., p. 297.) ↑ Dom. Gervaise, la Vie de Pierre Abailard, lv, 4. — Cf. Bayle, art. Abeilard ; Colardeau, Histoire abrégée d’Abélard et d’Héloïse ; Turlot, Héloïse et Abélard avec un aperçu du douzième siècle. ↑ La chronologie de la vie d’Abélard est assez difficile à déterminer. Né en 1079, à Nantes, c’est en 1113 qu’il parait être devenu le chef de l’École de Paris. Après divers voyages à Melun, à Laon, etc., il revient à Paris, vers 1117. Ses relations avec Héloise embrassent les années 1118 et 1119. En 1120, il fonde le Paraclet. En 1128, divers documents établissent qu’il était à la tête de l’abbaye de Saint-Gildas. — (Voir la Correspondance littéraire, 1856-7, n° 5). — En 1129, Héloïse et ses religieuses sont expulsées de Saint-Denis (V. Gallia Christiana, I. VII, Instrumenta, p. 52) ; la première bulle du pape Innocent II, qui les confirme dans la possession du Paraclet, est datée du 28 novembre 1131 (V. Gallia Christiana, I. III. p. 259, 260, Instrumenta). La Lettre à un Ami, postérieure à cet établissement, ne peut donc être antérieure à l’année 1132. On pense que c’est en 1134 qu’Abélard quitta définitivement l’abbaye de Saint-Gildas. On sait que, condamné par le concile de Sens, le 2 juin 1140, il mourut à Saint-Marcel, près Chalon-sur-Saône, le 21 avril 1142. ↑ WS : anti -> ami... ↑ Lettre à un Ami, § 6, p. 14 et suivantes. ↑ Lamartine, Le Civilisateur, 1853. ↑ Lettre à un Ami, § 6, p. 16. ↑ Élégie, 1. ↑ Lettre à un Ami, § 6, p. 18. ↑ Lettre à un Ami, § 8, p. 26. ↑ Correspondance littéraire, t. I, n° 2, p. 97 et suiv. ↑ Liv. I. p. 134. ↑ Lettres, II, §5 et 6, p 78 et suiv. ; Cf. III, § 1, p. 81, 102 ; § 4 et 5, p 90. ↑ Lettre à un Ami, § 14, p. 54 et suiv. ↑ Voir plus bas, p. 22. ↑ Voir la lettre de Roscelin, lettre intraduisible et qu’on ne peut même pas citer en latin, Abœlardi opéra, éd. V. Cousin, t. II, p. 802. ↑ Turlot, ouvrage cité, p. 154. — On se rappelle qu’Héloïse était née à Paris, en 11111 ; et qu’elle mourut au Paraclet, le 16 mai 1464. ↑ Lettres, V, g 4, p. 128. ↑ Lettre à un Ami, § 8, p. 26. ↑ Couvre-moi de baisers… je rêverai le reste. ↑ La Vie dAbedard, préface. ↑ M. de Remusat, 1,1, p. 141. ↑ Lettres, IV, § 5, p. 104. ↑ Dictionnaire, art. Héloue. ↑ Génie du christianieme, II, p. 3, 5. ↑ Lettres, II, § 6, p. 78 et suit. ; IV, p. 97 et suiv. ↑ Voir les arguments placés en tête de chaque lettre. Il ne faudrait pas les prendre comme gui les pour les lettres d’Uéloïsc ; ils en donneraient le plus souvent une idée fausse, et nous nu les avons reproduits que parce que nous les avons trouves dans le texte de V. Cousin ; mais ils présentent une analyse fidèle des réponses d’Abélard. ↑ Lettres, III. § 3, p. 88. ↑ Abélard, etc, par H. de Rémusat, liv. II et suit. Cf. J. Simon, étude citée. Gh. Lévêque, ouvrage cité ; Dictionnaire des science* philosophiques, publié sous la direction de M. Ad. Franck, art. Abélard ; J.-P. Charpentier, ouvrage cité. Voir aussi Y Essai historique, de M. et M"* Guixot, placé en tête de la traduction de M. Oddou.. On peut encore consulter : Michelel, Histoire de France, II, ch. 4 ; Jos. Berington, The hislory of the lives of Abeillard and Heloisa, 1793 ; Fessier, Abalard and Reloua, 1808 ; Morix Carrière, Abaelard und Heloise, 18 14 : Feuerbacb, Abaelard und Heloise, 1844 ; Gallia Christiaua, t. xn, col. 567 et seq. ; Brucker, Hist. crit, III, p 755, etc. ↑ Extrait* du réglée du Paraclet, p. 360. ↑ Lettres. VI, g 7, p. 152. ↑ Lettre, VI, § 9, p. 158, cf. u, p. 98. ↑ Voir plus haut, p. v. ↑ Cfa. Lévéque, onYrage cite. ↑ Ch. de Rémusat, I, p. 52. ↑ Canonictu tancti Martini Turonensù, in ckronico ad annum JiCXL. ↑ Villon, Ballade. — Cf. Et. Pasquier, Recherches sur ta France, livre VI, ch. 17 ; Damboise, préface ; Bertrand d’Argentré, Bi*loire de Bretagne, Ht. I, ch. 11. ↑ S. Bernard, Ep. CCLXXVIII. ↑ En moins de Tingt ans, cinq Papes, Lucins II (1146), Eugène III (1148), Anattate IV (1154), Adrien IV (1I57) Alexandre III (1163). lai accordent des lettres confirmatives de son établissement du Paraclet. ↑ Correspondance littéraire, ibid , p. 38, col. 2. ↑ Lettres portugaises, nouvelle édition conforme i la première (Paris, Cl. Darbin, 1669}. Paris, borean de la Bibliothèque choisie, 18à3. — On sait que la religieuse qui a écrit ces lettres se nommait Marianne Aleoforada, et que le chevalier à qui elles sont •irtmit» luit le comte de Chantilly, « un gros et grand homme, » dit Saint-Simon, c le meilleur, le plus brave et le plus rempli d’honneur, mais si bête ot si lourd, qu’on ne comprenait même pas qu’il cet quelques talents pour la guerre… » « A le voir, a l’entendre, ajoale-t-il, on n’aurait jamais pu se persuader qu’il eût inspiré un amour ansai démesuré que celai qui est l’âme de ces fameuses iMtre* portugaùei… s ↑ « Braacas m’a adressé une lettre si exclusivement tendre, écrivait madame de Sérigné, le 19 juillet 1671, qu’elle récompense tout son passé : il me parle de son cour i tomes les lignes ; si jetai faisais réponse sur le même ton, ce aérait une Portugaise. ↑ Ovide, De remed. atncr, i, 369. ↑ Ovide, Mitamorph., xm, 89. ↑ Lncain, Phnnal., iv, 135. 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