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Présentations d'auteurs : Athénée de Naucratis


 

Alfred CROISET, Histoire de la littérature grecque
tome V : Période alexandrine.
Paris, Boccard, 1928, pp. 778-780

 

L'érudition chez Élien n'était guère qu'un prétexte. Elle fut au contraire la passion sincère d'un autre écrivain du même temps, Athénée, qui est pour nous le représentant par excellence de la sophistique savante.

Tout ce que nous savons de lui, c'est qu'il était de Naucratis en Égypte; Suidas le qualifie de grammairien. Son principal ouvrage semble avoir été publié après 228. Il avait écrit sur plusieurs sujets, notamment sur les rois de Syrie (Banquet, V, 211 a). Mais la seule oeuvre de lui qui ait survécu et qui ait préservé son nom est le Banquet des Sophistes (g-Deipnosophistae).

Le Banquet des Sophistes, dans sa forme originale, était une véritable bibliothèque en trente livres. On l'abrégea une première fois, nous ne savons en quel temps, pour le réduire à quinze livres ; c'est en cet état qu'il nous est parvenu, avec des lacunes assez graves. On l'abrégea une seconde fois vers le commencement de la période byzantine ; et cet abrégé, qui s'est également conservé, supplée en partie aux lacunes du précédent. Lorsqu'un ouvrage subit ainsi des abréviations successives, il y a lieu de soupçonner qu'à l'origine il renfermait à la fois un certain nombre de choses utiles et beaucoup d'autres qui ne l'étaient pas. Cela est vrai en tout cas de celui dont nous parlons.

Athénée a imaginé une mise en scène dont l'idée première remontait par une longue tradition jusqu'à Platon. Le riche pontife romain Larentius donne un repas à des amis. A sa table s'assoient des savants de toute sorte (g-tous g-kata g-pasan g-paideian g-empeirotatous) : toutes les connaissances humaines sont représentées là, grammare, poésie, rhétorique, musique, philosophie, jurisprudence, médecine; académie pédante s'il en fût, chargée de débiter en conversations l'encyclopédie qui sera, la matière du livre. Quelques-uns des convives portent des noms illustres, Plutarque, Arrien, Galien, Masurius, Ulpien. Suivant la tradition du genre, ces personnages historiques sont traités plus ou moins en êtres de fantaisie, sans scrupule ni de chronologie ni d'exactitude morale; ils sont là pour embellir la scène, pour donner au lecteur le plaisir de se figurer qu il entend les propos d'hommes éminents, même quand ils débitent des inepties. A côté d'eux, d'autres convives, dont les noms, aujourd'hui inconnus, ne l'étaient peut-être pas au commencement du IIIe siècle; et, dans cette société mêlée, le Cynique indispensable, satirique attitré, bouffon au besoin. L'hôte est magnifique, savant, homme d'esprit, ami des doctes entretiens et habile à les provoquer. Grâce à lui, les propos appellent les propos, les sujets s'enchaînent ; chacun des convives à son tour paie son tribut; à la fin, on a parlé de tout...

Ce qu'était cette mise en scène dans le texte primitif, nous ne pouvons plus en juger qu'imparfaitement : car elle a été altérée et restreinte par les abréviateurs. Il se peut donc qu'il y ait eu à l'origine plus d'incidents, plus de variété, plus d'invention dramatique. En mettant les choses au mieux, tout cela ne pouvait faire en définitive qu'un bien médiocre dialogue ; car c'était la nature même du sujet qui l'empêchait d'être bon.

Des personnages qui dissertent au lieu de causer, qui débitent des articles de dictionnaire en guise de propos de table, qui prouvent leurs dires par des enfilades de citations, qui épuisent les énumérations par souci d'être complets, ne sont ni des gens du monde ni des êtres vivants. Ce sont des chapitres de traités, habillés en hommes. Le drame n'est ici qu'un prétexte, et l'encyclopédie, dissimulée, reparaît partout.

L'érudition de l'auteur, il est vrai, mérite d'être admirée. Bien que l'étude des sources du Banquet soit encore loin d'avoir donné des résultats définitifs, on peut constater qu'Athénée avait lu par lui-même un grand nombre des auteurs qu'il cite. Et ces citations accumulées prêtent aujourd'hui un grand prix à son oeuvre. C'est à lui que nous devons la meilleure partie de ce qui nous reste de la comédie moyenne et nouvelle. En outre, il n'y a pas dans toute l'antiquité de recueil d'informations sur les sujets les plus divers qui soit comparable en richesse à celui-là. Indépendamment des trop longues et fastidieuses notices sur les diverses façons de banqueter, sur les aliments, les boissons, le luxe, la cuisine et ses grands hommes, on y trouve de curieux chapitres sur les instruments de musique (fin du liv. IV et livre XIV), sur quelques banquets célèbres (liv. V), sur les devinettes (fin du liv. X), sur l'amour (g-Erohtikos g-logos, liv. XIII), avec mainte anecdote relative aux courtisanes célèbres. A chaque page, sous le fatras et le bavardage, les faits intéressants abondent. Bref, c'est un ouvrage qu'il faut dépouiller pour connaître l'antiquité, mais qu'il est impossible de lire.


 

Jean SIRINELLI, Les enfants d'Alexandre
La littérature et la pensée grecques (334 av. J.-Ch. - 519 ap. J.-Ch.)
Paris, Fayard, 1993, pp. 381-382

 

Nous ne sortons pas de cette veine encyclopédique avec l'ouvrage d'Athénée qui nous est parvenu sous le nom des Deipnosophistes ou le Banquet des sages. Nous n'avons aucune certitude en ce qui concerne la date de l'ouvrage, mais tout porte à le situer dans la première moitié du IIIe siècle. Ce sont des propos échangés à la table du pontife romain Larentius par une trentaine de convives érudits ou lettres. L'ouvrage fait évidemment songer aux Propos de table de Plutarque et se rattache donc à un genre littéraire que l'on pourrait faire remonter aux Banquets du IVe siècle; mais il n'a pas la variété de présentation de ces ouvrages, puisqu'il prétend retracer un unique et interminable repas et d'autre part il procède d'une manière assez fastidieuse sans aucune sorte de classement logique ou même de regroupement autour d'un problème.

Les convives partent d'une discussion sur les plats servis pour s'entretenir de l'organisation des banquets, de la literie, de la musique, de la danse, etc. Il est impossible et du reste inutile de chercher le lien qui unit ces détails, anecdotes, souvenirs entre eux : c'est par eux-mêmes et séparément qu'ils valent si l'on peut s'exprimer ainsi; c'est une boulimie d'informations qui seule peut animer le lecteur.

L'ouvrage est le plus souvent insipide; pour nous il présente cependant un double intérêt : tout d'abord il nous apporte une masse de renseignements probablement sans égale sur la vie privée des anciens, les objets, les usages, les manières, en les empruntant à sept cents auteurs et quinze cents ouvrages. En second lieu, il nous oblige à une réflexion sur les centres d'intérêt des lecteurs cultivés de l'époque. Quand on a parlé de curiosité on a seulement défini une attitude; à lire Athénée on s'aperçoit qu'il s'agit là d'une curiosité bien précise : connaître l'ensemble des précédents, des modèles et éventuellement des justifications des modes de vie de la tradition hellénique. On dirait d'une société pour qui le salut est dans la connaissance et le maintien des manières d'être et de se conduire héritées du passé, dans la certitude d'être conforme au genre de vie d'un certain nombre d'ancêtres déterminés choisis, quant aux époques et aux cités, comme système de référence.

C'est encore, dans le domaine très étroit du mode de vie, le souci d'assurer une cohérence légitimée par le passé aux moeurs et mentalités des notables de l'Empire romain. A ce titre aussi l'ouvrage est instructif pour le lecteur moderne à qui il fait connaître la volonté d'une société de maintenir à travers les orages de l'histoire la continuité d'une manière de vivre et donc d'être ensemble. On soupçonne que cette société devait avoir subi les brassages, avoir accueilli des couches sociales nouvelles pour avoir besoin de ces recueils de modèles.


 

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Dernière mise à jour : 21/09/2005