[0] LETTRE D’ARRIEN A TRAJAN (ADRIEN) DANS LAQUELLE SE TROUVE LE PERIPLE DU PONT-EUXIN. [1] Nous parvînmes à Trébizonde, ville grecque, comme le dit Xénophon, située sur la mer, et colonie de Sinope. Nous avons contemplé avec bonheur le Pont-Euxin du lieu d’où Xénophon et toi l’avez contemplé. [2] Les autels y sont encore debout; mais ils sont en pierre non polie; aussi les lettres qu’on y a gravées ne sont-elles pas très visibles. L’inscription grecque est pleine de fautes, écrite comme pouvaient l’écrire des barbares. J’ai ordonné de reconstruire ces autels en pierre blanche, et d’y graver les inscriptions en lettres bien lisibles. Ta statue est d’une attitude heureuse, car elle montre la mer; mais l’œuvre n’est ni ressemblante ni belle d’aucune façon. Envoie donc une autre statue digne de porter ton nom, et dans la même attitude; ce lieu semble tout préparé pour un monument éternel. [3] Il y a encore là un temple en pierres carrées, et qui n’est pas mal fait; mais la statue de Mercure n’est digne ni du temple ni du lieu lui-même. Si tu le trouves bon, envoie-moi une statue de Mercure, qui ait à peu près cinq pieds de haut; car c’est là ce qui me paraît le mieux en rapport avec les proportions du temple. Envoie-moi aussi une statue de Philésius, qui ait quatre pieds, car il me paraît convenable de lui donner une place dans le temple et sur l’autel de son aïeul. Un voyageur sacrifiera à Mercure, un autre à Philésius, un autre aux deux; les uns et les autres seront également agréables à Mercure et à Philésius: à Mercure, en honorant son descendant; à Philésius, en honorant son aïeul. C’est pourquoi j’ai moi-même sacrifié un bœuf, non pas comme Xénophon qui, dans le port de Calpé, à défaut de victime, prit un bœuf de trait, mais un noble animal que les habitants de Trébizonde m’avaient donné d’eux-mêmes. Nous avons ouvert les entrailles sur les lieux mêmes, et sur ces entrailles nous avons versé les libations. Tu devines sans peine quel est le premier pour qui nous avons fait des vœux; tu connais nos habitudes, et tu as la conscience de mériter que tous les hommes, même ceux qui, moins que nous, ont été comblés de tes bienfaits, fassent des vœux pour toi. [4] Partis de Trébizonde, nous avons abordé le premier jour au port d’Hyssus, et nous avons fait manœuvrer les fantassins qui y sont; car c’est là, comme tu le sais, un poste de fantassins qui a vingt cavaliers: ce qui est nécessaire pour le service. Il a fallu que ceux-là aussi, cependant, lançassent la javeline. [5] De là nous avons navigué, d’abord avec les vents qui, le matin, soufflent des fleuves, et aussi avec la rame; car ces vents étaient frais, comme dit Homère, mais insuffisants pour qui voulait naviguer vite. Puis le calme se fit si bien, que nous ne nous servîmes plus que de nos rames. Ensuite, du côté de l’Eurus, une nuée s’éleva tout à coup, qui creva, et poussa sur nous un vent violent, qui nous était exactement contraire, et qui faillit nous perdre. En peu de temps il rendit la mer si grosse que non seulement par les rames, mais encore par les parties où il n’y a pas de rames, une grande quantité d’eau entrait chez nous des deux côtés. Comme dans la tragédie : "Nous vidions le navire, et l’eau rentrait soudain". Heureusement les flots ne nous prenaient pas de travers; et nous finîmes par nous tirer de là à grand-peine et à force de rames; et après avoir cependant beaucoup souffert, nous arrivâmes à Athènes. [6] Il y a, en effet, dans le Pont-Euxin une ville ainsi nommée; dans le même lieu se trouve un temple de Minerve, qui est grec, et d’où me semble tiré le nom de la ville; un château abandonné y est aussi. Le port peut en été recevoir quelques vaisseaux, et leur fournir un abri contre le Notus et même contre l’Eurus; les navires, qui y entrent, seraient également protégés contre Borée, mais non contre l’Aparctias, ni contre le vent que l’on appelle le vent de Thrace dans le Pont, et Sciron dans la Grèce. Aux approches de la nuit, il y eut de terribles coups de tonnerre et d’éclairs; le vent ne resta pas le même: il passa au Notus, et puis bientôt du Notus à l’Africus, et le port ne fut plus sûr pour les vaisseaux. Avant donc que la mer fût tout à fait mauvaise, nous tirâmes sur le rivage tous ceux que ce lieu (Athènes) avait pu recevoir, à l’exception de la trirème qui, mouillée sous un rocher, resta sur ses ancres, sans avoir rien à craindre. Il nous parut bon de faire tirer la plupart des vaisseaux sur la grève voisine. Ils y furent tirés en effet et sans avaries, à l’exception d’un seul qui, en approchant de la terre, présenta mal à propos le flanc à une vague qui le jeta sur le rivage et l’y brisa. Tout fut sauvé cependant, non seulement les voiles, les agrès et les hommes, mais jusqu’aux clous et jusqu’à la cire que nous pûmes racler, de sorte que pour le reconstruire, nous n’avons besoin que de bois; bois dont, comme tu le sais, il y a grande abondance dans le Pont. La tempête dura deux jours, et force nous fut de rester. Nous ne devions pas d’ailleurs passer devant Athènes, même celle du Pont-Euxin, comme devant un havre désert et sans nom. [7] De là nous appareillâmes à l’aurore, en ayant les lames par le travers; mais le jour avançant, Borée souffla quelque peu, abattit la mer et la fit s’apaiser. Avant midi, nous avions fait plus de cinq cents stades, et nous étions à Apsarus, où cinq cohortes sont établies. J’ai donné la solde aux soldats; j’ai inspecté les armes, les remparts, les fossés, les malades et les approvisionnements de vivres; mon avis sur toutes ces choses se trouve dans mes lettres écrites en latin. On dit qu’Apsarus s’appelait autrefois Apsyrtus, car ce serait là qu’Apsyrtus aurait été tué par Médée; et l’on y montre encore le tombeau d’Apsyrtus. Le nom dans la suite aurait été corrompu par les barbares du voisinage, comme tant d’autres l’ont été. C’est ainsi que Tyane de Cappadoce se nommait, dit-on, autrefois Thoane, de Thoas, roi des Tauriens, qui, en poursuivant Oreste et Pylade, s’avança, selon la tradition, jusqu’à cet endroit, et y mourut de maladie. [8] Les fleuves devant lesquels nous avons passé dans notre navigation depuis Trébizonde, sont: l’Hyssus, qui a donné son nom au port d’Hyssus, à cent quatre-vingts stades de Trébizonde; l’Ophis, qui est éloigné du port d’Hyssus de quatre-vingt dix stades environ, et qui sépare la Colchide de la Thiannique; puis le fleuve nommé Psychros, distant de l’Ophis d’environ trente stades; puis le fleuve Calos, qui est, lui aussi, à trente stades du Psychros. Le fleuve suivant est le Rhizius, à cent vingt stades du Calos. A trente stades du Rhizius, se trouve un autre fleuve, l’Ascurus; et à soixante stades de l’Ascurus, l’Adienus. De là jusqu’à Athènes, il y a cent quatre-vingts stades. Le Zagatis est voisin d’Athènes, dont il est à sept stades à peu prés. En quittant Athènes, nous passâmes devant le Prytanis, sur lequel se trouve le palais d’Anchiale; ce fleuve est à quarante stades d’Athènes. Après le Prytanis, vient le Pyxites; il y a entre eux quatre-vingt-dix stades. Du Pyxites à l’Archabis, il y en a quatre-vingt-dix autres; et de l’Archabis à Apsarus, soixante. [9] Partis d’Apsarus, nous dépassâmes de nuit l’Acampsis, éloigné de quinze stades d’Apsarus. Le fleuve Bathys est à soixante-quinze stades de l’Acampsis; l’Acinasis, à quatre-vingt-dix stades du Bathys; et l’Isis, à quatre-vingt-dix stades également de l’Acinasis. L’Acampsis et l’Isis sont navigables; et les vents qui s’en élèvent le matin sont très forts. Après l’Isis, nous avons passé le Mogrus; entre le Mogrus et l’Isis, on compte quatre-vingt-dix stades; le Mogrus, lui aussi, est navigable. [10] De là nous avons navigué jusqu’au Phase, distant du Mogrus de quatre-vingt-dix stades. De tous les fleuves que je connaisse, c’est celui qui donne l’eau la plus légère et de la couleur la plus étrange. La légèreté de cette eau se prouverait par des balances, et sans cela, parce qu’elle surnage sur la mer et ne s’y mêle pas. C’est ainsi qu’Homère dit que le Titarésius coule sur le Pénée comme de l’huile. Si l’on puise à la surface des flots, l’eau que l’on ramène est douce; si l’on fait descendre le vase jusqu’au fond, elle est salée. Du reste, le Pont tout entier est d’une eau beaucoup plus douce que les autres mers; la cause en est dans tous ses fleuves infinis de nombre et de grandeur. Une preuve de cette douceur (s’il est besoin de preuves pour les choses qui se perçoivent par les sens), c’est que les habitants du rivage mènent tous leurs troupeaux à la mer et les y font boire; ceux-ci y boivent avec un plaisir évident, et c’est une opinion établie que cette boisson vaut mieux que l’eau douce. La couleur du Phase est celle d’une eau où l’on aurait plongé du plomb ou de l’étain; reposée, elle est très claire. Aussi n’est-ce pas la coutume que ceux qui naviguent sur le Phase portent avec eux de l’eau; dès qu’ils sont entrés dans son courant, il leur est ordonné de jeter toute l’eau qu’ils ont dans leur navire; sinon, c’est une opinion établie que ceux qui négligent de le faire ont une mauvaise navigation. L’eau du Phase ne se corrompt pas; elle reste saine pendant plus de dix ans; seulement elle devient de plus en plus douce. [11] A l’entrée du Phase, à gauche, est une statue de la déesse du Phase; à sa pose on la prendrait pour Rhéa; elle a des cymbales dans les mains, des lions sous son trône, et elle est assise comme l’est dans le temple de Cybèle à Athènes la statue de Phidias. On montre en cet endroit une ancre du vaisseau Argo; mais comme elle est de fer, elle ne me paraît pas ancienne. Sa grandeur cependant n’est pas celle des ancres d’aujourd’hui, et sa forme a quelque chose d’étrange; néanmoins elle me semble d’une date plus récente. On montrait encore d’anciens morceaux d’une autre ancre de pierre; et il est plus probable que ceux-là sont les débris de l’ancre de l’Argo. Il n’y avait là, du reste, aucun autre monument de l’histoire fabuleuse de Jason. [12] Le fort, où sont établis quatre cents soldats d’élite, m’a semblé, par la nature des lieux, et très fort et très bien placé pour protéger ceux qui naviguent de ce côté. Deux larges fossés entourent la muraille. Autrefois, le mur était de terre, et les tours placées dessus étaient de bois; mais maintenant le mur et les tours sont en briques cuites, et les fondations sont solides. On a dressé sur le mur des machines; bref il est pourvu de tout pour qu’aucun barbare ne puisse approcher de lui, et mettre en danger d’un siège ceux qui le gardent. Mais comme il fallait que le port fût sûr pour les navires, ainsi que tout ce qui, en dehors du fort, est habité par les hommes retirés du service et par un certain nombre de marchands, j’ai cru devoir, à partir du double fossé qui entoure la muraille, tirer un autre fossé qui va jusqu’au fleuve, et qui renferme le port avec toutes les maisons en dehors du mur. [13] Après le Phase nous avons dépassé le Charieis qui est navigable; entre les deux fleuves on compte quatre-vingt dix stades. Du Charieis nous avons navigué jusqu’en Chobus, éloigné de quatre-vingt dix autres stades et là nous avons pris terre; pour quelle raison, et qu’y avons-nous fait? C’est ce que t’apprendront mes lettres écrites en latin. Du Chobus nous sommes passés devant le Sigamès, fleuve navigable, qui est environ à deux cent dix stades du Chobus. Après le Sigamès est le Tarsuras; il y a cent vingt stades entre les deux. L’Hippus est à cent cinquante stades du Tarsuras, et l’Astéléphus à trente stades de l’Hippus. [14] L’Astéléphus dépassé, nous arrivâmes à Sébastopolis avant midi; depuis le Chobus nous n’avions pas pris terre, et depuis l’Astéléphus nous avions parcouru cent vingt stades. Ce même jour, nous avons pu payer aux soldats leur solde, et voir les chevaux, les cavaliers qui s’exerçaient à monter à cheval, l’hôpital, les approvisionnements; puis faire le tour des murs et des fossés. Du Chobus à Sébastopolis, on compte six cent trente stades; et de Trébizonde à Sébastopolis, deux mille deux cent soixante. Sébastopolis se nommait autrefois Dioscurias; c’est une colonie de Milet. [15] Voici les peuples devant lesquels nous avons passé. Les habitants de Trébizonde ont, comme le dit Xénophon, les Colchidiens pour voisins. Quant au peuple, qu’il dit très belliqueux et très ennemi des habitants de Trébizonde, et qu’il appelle Drilles, je crois, moi, que ce sont les Sanniens. Car aujourd’hui encore ils sont très belliqueux et très ennemis des habitants de Trébizonde ; ils occupent des lieux fortifiés, et sont un peuple sans roi; ils étaient autrefois tributaires des Romains; mais tout au brigandage, ils n’acquittent plus le tribut; désormais, Dieu aidant, ils l’acquitteront, ou nous les exterminerons. Après eux viennent les Machelons et les Heniochiens, dont Anchiale est le roi. Après les Machelons et les Heniochiens viennent les Zidrites; ils sont soumis à Pharasmane. Apres les Zidrites viennent les Lazes; le roi des Lazes est Malassas, qui tient de toi sa puissance. Après les Lazes viennent les Apsiles, dont Julien est le roi; c’est de ton père qu’il tient la royauté. Les Apsiles ont pour voisins les Abasques; les Abasques ont pour roi Rhesmagas; et celui-ci tient de toi la royauté. Après les Abasques viennent les Sanniges, chez lesquels est située Sébastopolis. Le roi des Sanniges, Spadagas, tient de toi sa royauté. [16] Jusqu’à l’Apsarus nous avons navigué vers l’Orient, sur la droite du Pont-Euxin. L’Apsarus m’a paru le point extrême du Pont dans sa longueur. Car de ce point notre navigation s’est dirigée vers le Nord, jusqu’au fleuve Chobus, et au-dessus du Chobus jusqu’au Sigames. A partir du Sigames, nous avons tourné, et nous nous sommes trouvés sur la gauche du Pont, jusqu’au fleuve Hippus. De l’Hippus jusqu’ä l’Astélephus et jusqu’à Dioscurias, nous avons aperçu le mont Caucase, dont la hauteur est environ celle des Alpes Celtiques. On nous montra un sommet du Caucase. Ce sommet a nom le Strobile, et c’est là que Prométhée fut enchaîné par Vulcain sur l’ordre de Jupiter, à ce que rapporte la fable. [17] Voici ce qui se trouve depuis le Bosphore de Thrace jusqu’à la ville de Trébizonde. Le temple de Jupiter Urius est à cent vingt stades de Byzance; c’est là que se trouve le passage très étroit, qu’on appelle la bouche du Pont, et par où il se jette dans la Propontide. Mais je te dis là ce que tu sais. Quand on part d’Hiéron, à droite, est le fleuve Rhébas ; il est à quatre-vingt-dix stades du temple de Jupiter; et à cent cinquante stades plus loin, le promontoire Noir. Du promontoire Noir au fleuve Artanes, où se trouve, prés d’un temple de Venus, un port pour les petits bâtiments, il y a encore cent cinquante stades. De l’Artanes au Psillis, il y en a cent cinquante, et les petits navires peuvent mouiller sous un rocher qui s’élève à peu de distance de l’embouchure de la rivière. De là au port de Calpé, deux cent dix stades. Le port de Calpé, son territoire, son havre, sa fontaine d’une eau pure et fraîche, ses forêts qui abondent en bois pour les vaisseaux, et qui sont en même temps giboyeuses, tout cela a été jadis décrit par Xénophon. [18] Du port de Calpé au Rhoès, vingt stades; c’est un havre pour les petits bâtiments. Du Rhoès à la petite île d’Apollonia, peu éloignée du continent, vingt autres stades. Cet îlot a un port. De là à Chèles, vingt stades. De Chèles jusqu’au point où le Sangarius se jette dans le Pont, cent quatre-vingts stades. De là aux bouches de l’Hypius, cent quatre-vingts autres. De là il y a plus jusqu’a Lillius, entrepôt de commerce, cent stades; et de Lillius à Elaeus soixante. De là à un autre entrepôt, cent vingt stades; de Calés au fleuve Lycus quatre-vingts; du Lycus à Héraclée, ville grecque dorienne, colonie de Mégare, vingt stades; à Héraclée il y a un port pour les navires. [19] D’Héraclée au lieu nommé Métroum, on compte quatre-vingts stades; de là à Posidium quarante; de là à Tyndarides quarante-cinq; de là à Nymphaee quinze et de Nymphaee au fleuve Oxinas trente; de l’Oxinas a Sandaraca quatre-vingt-dix; Sandaraca est un port pour les petits navires. De là à Crénides soixante; de Crénides au marché de Psilla, trente; de là à Tium, ville grecque ionienne, bâtie sur la mer, et elle aussi colonie de Milet, quatre-vingt dix stades. De Tium au fleuve Billaeus, vingt stades; du Billaeus au fleuve Parthenius, cent. C’est jusque-là qu’habitent les Thraces Bithyniens; Xénophon en fait mention, dans son histoire, comme du peuple le plus belliqueux de l’Asie; c’est même dans leur pays que l’armée grecque aurait souffert le plus de maux, après que les Arcadiens se furent séparés des troupes de Chirisophe et de Xénophon. [20] A partir de là, c’est la Paphlagonie. Du Parthenius à Amastris, ville grecque, quatre-vingt dix stades; port pour les vaisseaux. De là aux Erythines, soixante; et des Erythines à Cromna, soixante autres. De là à Cytore, quatre-vingt dix stades: port pour les vaisseaux à Cytore. De Cytore à Aegialus soixante stades; à Thyne, quatre-vingt dix, et à Carambie, cent vingt. De là à Zéphyrium, soixante; de Zéphyrium au mur d’Abonus, petite ville, cent cinquante. Le port n’est pas bon; cependant on peut y rester en sureté, si le vent n’est pas trop fort. Du mur d’Abonus à Aeginètes, il y a cent cinquante autres stades. [21] De là à Cinolis, entrepôt de commerce, soixante autres: dans la belle saison, les vaisseaux peuvent mouiller a Cinolis. De Cinolis à Stéphane, cent quatre vingts stades: bon port pour les vaisseaux. De Stéphane à Potamos, cent cinquante; de là au promontoire de Leptès, cent vingt; du promontoire de Leptès à Armène, soixante: il y a un port à Armène. Xénophon a fait aussi mention de cette ville. De là à Sinope, quarante stades: Sinope est une colonie de Milet. De Sinope à Caruse, cent cinquante stades: mouillage pour les navires. De là à Zagora, cent cinquante autres stades; et de Zagora au fleuve Halys, trois cent. [22] Ce fleuve autrefois était la limite du royaume de Crésus et de celui des Perses; il coule maintenant sous la domination romaine, ne venant pas du midi, comme le dit Hérodote, mais de l’orient. A l’endroit où il se jette dans le Pont, il sépare le territoire de Sinope de celui d’Amisus. Du fleuve Halys à Naustathmus, quatre-vingt-dix stades; il y a là un marais. De là à Conope, autre marais, cinquante autres; de Conope à Eusène, cent vingt; de là à Amisus, cent soixante. Amisus, ville grecque, colonie des Athéniens, est bâtie sur la mer. D’Amisus au port d’Ancone, où l’Iris se jette dans le Pont, cent soixante stades; des bouches de l’Iris à Héracleum, trois cent soixante, port pour les navires; et de là au fleuve Thermodon, quarante: c’est près de ce Thermodon qu’habitaient, dit-on, les Amazones. [23] Du Thermodon au fleuve Beris, quatre-vingt-dix stades; de là au fleuve Thoaris, soixante; du Thoaris à Oenoë, trente; d’Oenoë au fleuve Phigamunte, quarante; de là au fort de Phadisane, cent cinquante; de là à la ville de Polémonium, dix; de Polémonium au promontoire appelé Jasonien, cent trente; de là à l’île des Ciliciens, quinze; de l’île des Ciliciens à Boona, soixante-quinze; à Boona, il y a un port pour les vaisseaux. De là à Cotyore, quatre-vingt-dix stades. Xénophon en parle comme d’une ville, et dit qu’elle est une colonie des Sinopéens; aujourd’hui c’est un village, et pas bien grand. De Cotyore au fleuve Mélanthius, soixante stades au plus. [24] De là au Pharmatène, autre rivière, cent cinquante stades; de là à Pharnacée, cent vingt. Pharnacée s’appelait autrefois Cerasus; elle aussi est une colonie de Sinope. De là à l’île Arétiade, trente stades, et de cette île à Zephyrium, cent vingt : port pour les vaisseaux; de Zephyrium à Tripolis, quatre-vingt dix stades; de là à Argyre, vingt; d’Argyre à Philocalée, quatre-vingt dix; de Philocalée à Coralles, cent; de Coralles au mont Sacré, cent cinquante; du mont Sacré à Cordyle, quarante: port pour les vaisseaux; de Cordyle à Hermonassa, quarante-cinq: là aussi est un port; d’Hermonassa à Trébizonde, soixante stades: à Trébizonde tu fais creuser un port; car auparavant c’était un havre où les bâtiments ne pouvaient mouiller que pendant l’été. [25] Quant à la distance entre Trébizonde et Dioscurias, nous l’avons indiquée, en donnant la distance des fleuves. Pour nous résumer, de Trébizonde à Dioscurias, appelée aujourd’hui Sébastopolis, il y a deux mille deux cent soixante stades. [26] Voilà ce qui est à la droite des navigateurs qui vont de Byzance vers Dioscurias, poste fortifié où finit l’empire romain (à la droite de ceux qui entrent dans le Pont). Mais comme j’ai appris la mort de Cotys, roi du Bosphore Cimmérien, j’ai voulu encore que tu connusses bien la route par mer jusqu’au Bosphore, pour que, si tu décides quelque chose au sujet du Bosphore, tu puisses le décider en toute connaissance de la route. [27] En partant de Dioscurias, le premier port est à Pityunte : trois cent cinquante stades. De là à Nitica, cent cinquante stades: là habitait autrefois une nation scythe, dont fait mention l’historien Hérodote. Il dit qu’ils sont mangeurs de poux, et la réputation leur en reste encore. De Nitica au fleuve Abascus, quatre-vingt dix stades. Le Borgys est éloigne de l’Abascus de cent vingt stades, et Nésis est à soixante stades du Borgys; c’est là aussi que s’élève le promontoire Herculéen. De Nésis à Masaetique; quatre-vingt dix stades; de là à l’Achaeunte, soixante stades; c’est ce fleuve qui sépare les Zilches des Sanniges. Le roi de Zilches est Stachemphax, et celui-là aussi tient de toi sa royauté. [28] De l’Achaeunte au promontoire d’Hercule, cent cinquante stades; de là à un promontoire, où est un abri contre le vent de la Thrace et contre Borée, cent quatre-vingts stades. De là à la ville appelée l’Ancienne-Lazique, cent vingt; de là à l’Ancienne Achaia, cent cinquante: et ensuite jusqu’au port de Pagres, trois cent cinquante; du port de Pagres au port Hieron, cent quatre-vingts; et de là jusqu’à Sindique, trois cents. [29] De Sindique au port appelé Cimmérien et à Panticapée, ville du Bosphore, cinq cent quarante; de là an fleuve Tanaïs, qui sépare, dit-on, l’Europe de l’Asie, soixante. Le Tanaïs sort du Palus-Méotide, et se jette dans le Pont-Euxin. Eschyle cependant, dans le Prométhée délivré, fait du Phase la limite de l’Europe et de l’Asie. Les Titans, en effet, disent chez lui à Prométhée: « Nous venons, ô Prométhée ! pour voir tes souffrances et tes maux dans les fers ! » Puis, ils énumèrent les pays qu’ils ont traversés: « Là le Phase, grande et commune limite de l’Europe et de l’Asie. » On rapporte que le tour du Palus-Méotide lui-même est d’environ neuf mille stades. [30] De Panticapée au bourg Cazeca, assis sur la mer, quatre cent vingt stades; de Cazeca à Théodosia, ville déserte, deux cent quatre-vingts; c’était une ancienne ville grecque ionienne, colonie de Milet; et il en est fait mention dans de nombreux écrits. De là au port désert des Tauroscythes, deux cents stades; de là à Lampas la Taurique, six cents stades: de Lampas au port Symbolon, Taurique lui aussi, cinq cent vingt stades; et de là à la Chersonèse Taurique, cent quatre-vingts. De là Chersonèse à Cercinites, six cents stades, et de Cercinites au port Calos, Scythe lui aussi, sept cents. [31] Du port Calos à Tamyraces, trois cents. A Tamyraces est un marais, qui n’est pas grand; et de là aux bouches de ce marais, trois cents autres stades. Des bouches de ce marais à Eones, trois cent quatre-vingts stades; et de là jusqu’au fleuve Borysthène cent cinquante. En remontant le Borysthène, on trouve une ville grecque, nommée Olbia. Du Borysthène à une petite île déserte et sans nom, soixante stades; et de là à Odessus quatre-vingts; à Odessus est un havre pour les navires. Non loin d’Odessus est le port des Istrianiens, à deux-cent cinquante stades. Puis vient le port des Isiaciens; cinquante stades jusqu’à lui. De là à la bouche de l’Ister, nommée Psilon, douze cents stades; tout cet espace est désert et sans nom. [32] Quand de cette embouchure à peu près, on navigue droit vers la pleine mer avec le vent du nord, on rencontre une île, que les uns appellent île d’Achille, les autres course d’Achille; d’autres enfin Leucé à cause de sa couleur. On dit que Thétis l’a fait sortir de la mer pour son fils, et qu’Achille l’habite. Il y a en effet dans cette île un temple d’Achille, et une statue d’un travail ancien. L’île est déserte; quelques chèvres seulement y paissent, et l’on dit que ceux qui y abordent les offrent à Achille. Il y a dans ce temple beaucoup d’autres offrandes encore, des fioles, des anneaux, des pierres précieuses; toutes ces choses ont été offertes à Achille en témoignage de reconnaissance; et les inscriptions, les unes grecques, les autres latines, en toute sorte de mètres, sont l’éloge d’Achille. Il y en a pour Patrocle; car ceux qui désirent plaire à Achille, honorent Patrocle avec Achille. De nombreux oiseaux vivent dans cette île, des mouettes, des poules d’eau, des plongeons de mer, en quantité innombrable. Ce sont ces oiseaux qui prennent soin du temple d’Achille; tous les jours, le matin, ils volent à la mer, puis les ailes imprégnées d’eau, reviennent en toute hâte, et arrosent le temple; quand cela est bien fait, ils nettoient alors le pavé avec leurs ailes. [33] Voici encore ce que l’on raconte: De ceux qui abordent dans cette île, les uns, qui y sont venus avec intention, apportent sur leurs navires des victimes, qu’ils immolent en partie, et qu’en partie ils lâchent pour Achille; les autres, en certain nombre, y abordent forcés par la tempête; et ceux-ci empruntent au dieu lui-même une victime, en lui demandant, au sujet des victimes, si ce qu’il y a de préférable et de meilleur n’est pas de lui offrir celle qu’eux-mêmes dans leur sagesse ont choisie au pâturage, et pour laquelle ils déposent en même temps le prix qui leur semble convenable. Si l’oracle refuse (car il y a des oracles dans ce temple), ils ajoutent quelque chose au prix; et s’il refuse encore, ils ajoutent encore; quand l’oracle accepte, ils savent alors que le prix suffit. Voilà d’elle-même alors la victime sur ses pieds, et elle ne s’enfuit plus. Il y a là aussi beaucoup d’argent, qui a été offert au héros en payement des victimes. [34] On dit qu’Achille apparaît dans des songes à ceux qui ont abordé dans l’île; qu’il apparaît en mer au moment où l’on approche de l’île, et qu’il indique l’endroit le meilleur pour y aborder et y mouiller. Quelques-uns disent encore qu’Achille leur est apparu pendant la veille au haut du mât ou à l’extrémité d’une vergue, de la même manière que les Dioscures, avec cette seule infériorité d’Achille par rapport aux Dioscures, que les Dioscures vous apparaissent ainsi visibles, et vous sauvent par leur apparition, quel que soit l’endroit où vous naviguez, tandis qu’Achille ne le fait que pour ceux qui approchent de l’île. Il en est qui disent que Patrocle aussi leur est apparu en songe. Ces choses que je te transcris sur l’ile d’Achille, je les tiens de gens qui avaient abordé dans l’île, ou qui les avaient apprises d’autres; et elles ne me paraissent pas indignes de foi. Je crois en effet qu’Achille fut un héros s’il en fut jamais et mes raisons sont qu’il était d’illustre naissance, qu’il était beau, qu’il avait une âme courageuse, qu’il disparut vite du milieu des hommes, qu’il a été chanté par Homère, et qu’il a été si aimant, si dévoué a ceux qu’il aimait, qu’il a voulu mourir après les avoir perdus. [35] De la bouche de l’Ister, nommée Psilon, jusqu’à la seconde bouche, soixante stades. De là à la bouche appelée Calon, quarante stades; et de Calon à celle qu’on nomme Naracon, la quatrième bouche de l’Ister, soixante stades; de là à la cinquième, cent vingt; et de là à la ville d’Istria, cinq cents stades. De là à la ville de Tomes, trois cents stades; de Tomes à Callatis, trois cents autres: c’est un havre pour les navires. De là un port Carus, cent quatre-vingts: le pays autour du port s’appelle Carie. Du port Carus à Tétrisiade, cent vingt stades. De là à Bizus, lieu désert, soixante stades. De Bizus à Dionysopolis, quatre-vingts stades. De là à Odessus, deux cents; c’est un havre pour les vaisseaux. [36] D’Odessus jusqu’aux dernières pentes de l’Haemus, qui descendent jusqu’au Pont, trois cent soixante stades: là aussi il y a un port pour les navires. De l’Haemus à la ville de Mésembrie, quatre-vingt-dix stades: havre pour les navires. De Mésembrie à la ville d’Anchiale, soixante-dix stades; et d’Anchiale à Apollonie, cent quatre-vingts. Toutes ces villes sont grecques, situées en Scythie, à la gauche de celui qui entre dans le Pont. D’Apollonie à Chersonèse soixante stades: havre pour les navires. De Chersonèse aux murs d’Aulaeum, deux cent cinquante. De là a la côte de Thynias, cent vingt. [37] De Thynias à Salmydesse, deux cents stades. Xénophon parle de ce pays; il dit que ce fut jusque-là que s’avança l’armée grecque qu’il commandait, lorsqu’en dernier lieu elle se mit au service du Thrace Seuthés. Il s’est longuement étendu sur ce que ce pays n’a point de port; que c’est la que sont jetés les navires battus par la tempête; et que les Thraces du pays se disputent entre eux les débris des naufrages. De Salmydesse à Phrygia, trois cent trente stades; de là aux Cyanées, trois cent vingt. Ce sont ces Cyanées, qui, suivant les poètes, étaient autrefois errantes, et à travers lesquelles a passé le premier navire, l’Argo, qui porta Jason en Colchide. Des Cyanées au temple de Jupiter Urius, où est l’embouchure du Pont, quarante stades. De là au port de Daphné, surnommée la furieuse, quarante stades. De Daphné à Byzance, quatre-vingts. Voilà ce qu’on trouve du Bosphore Cimmérien au Bosphore de Thrace et à la ville de Byzance.