[8,0] LIVRE VIII. [8,1] CHAPITRE I. § 1. Le mouvement a-t-il commencé à un certain moment avant lequel il n'était pas? Cessera-t-il un jour de même qu'il a commencé, de façon que rien ne doive plus se mouvoir? Ou bien doit-on dire qu'il n'a point eu de commencement, et qu'il n'aura pas de fin? Doit-on dire qu'il a toujours été et qu'il sera toujours immortel, indéfectible pour toutes choses, et comme une vie qui anime tous les êtres que la nature a formés? § 2. Tous les philosophes qui ont étudié la nature ont admis l'existence du mouvement, parce qu'ils s'occupaient de la question de l'origine du monde, et que toutes leurs théories roulent sur la génération et la destruction des choses qui ne peuvent être si le mouvement, n'est pas. § 3. Quand on soutient que les mondes sont infinis et que les uns naissent tandis que les autres s'éteignent et périssent, on n'en admet pas moins l'existence éternelle du mouvement; car les mondes ne peuvent naitre et périr qu'à la condition nécessaire du mouvement. Ceux même qui n'admettent qu'un seul monde ou qui supposent qu'il n'est pas éternel, font également sur l'existence du mouvement des hypothèses conformes à leur système. § 4. Lorsqu'on suppose qu'il y a eu un temps où il n'y avait point de mouvement d'aucun genre, il n'y a que deux manières nécessairement de comprendre cette opinion : ou bien comme Anaxagore, il faut dire que toutes les choses étant confondues et dans le repos durant un temps infini, c'est l'Intelligence qui leur a communiqué le mouvement, et les a ordonnées; ou bien, comme Empédocle, il faut penser que les choses ont tantôt le mouvement et tantôt le repos; le mouvement, quand de plusieurs choses l'Amour n'en fait qu'une, ou quand d'une seule la Discorde en fait plusieurs; le repos, dans les intervalles de temps qui séparent l'action de l'Amour et de la Discorde. Voici les expressions même d'Empédocle : En sachant ramener leur foule à l'unité, Puis, quittant l'union pour la diversité, Ils vont sans que le temps ou les gène ou les presse; Et comme en aucun d'eux le changement ne cesse, Dans ce cercle immuable ils se font éternels. quand il dit : « le changement ne cesse, » Empédocle veut exprimer sans doute que les êtres passent d'une forme à l'autre. § 5. Examinons ce qu'il en est réellement de ces problèmes; car il importe de découvrir la vérité en ces matières, non pas seulement pour l'étude de la nature, mais en outre pour la science du principe premier des choses. § 6. Commençons tout d'abord ici en partant des définitions que nous avons posées antérieurement dans notre Physique. Nous disons donc que le mouvement est l'entéléchie, ou la réalisation du mobile en tant que mobile. Par une conséquence nécessaire, il faut supposer l'existence préalable des choses qui peuvent être mues selon une espèce quelconque de mouvement. Sans même s'arrêter à cette définition du mouvement, il n'est personne qui ne convienne que nécessairement ce qui peut être mu selon une des diverses espèces de mouvement doit, d'une manière générale, être capable d'être mu. Par exemple, il faut nécessairement que ce soit un objet susceptible d'altération qui s'altère, et que ce soit un objet qui peut changer de lieu qui subisse la translation dans l'espace, absolument comme il faut que le combustible existe avant qu'il n'y en ait combustion, et comme il faut que ce qui peut brûler existe avant qu'il ne brûle. § 7. Par conséquent, il faut nécessairement aussi, ou que les choses naissent à un certain moment donné avant lequel elles n'existaient pas, ou bien qu'elles soient éternelles, § 8. Si donc on admettait que tous les mobiles et les moteurs sont nés à un certain moment, il faudrait de toute nécessité qu'il y eût eu, antérieurement au mouvement dont on s'occupe, un autre changement et un autre mouvement relativement auquel seraient nés et le mobile qui peut être mu et le moteur qui peut mouvoir. § 9. Mais si l'on suppose que les moteurs et les mobiles ont éternellement existé sans qu'il y eût de mouvement, on voit sur le champ les étranges conséquences qui sortent de cette opinion pour peu qu'on la presse. § 10. Mais en poussant encore un peu plus loin, ces conséquences ne sont pas moins nécessaires. En effet, si parmi les choses qui sont, les unes susceptibles de recevoir le mouvement, et les autres capables de le communiquer, il faut qu'il y ait soit d'une part un premier moteur et d'autre part un premier mobile, soit en l'absence de l'un et de l'autre un absolu repos, il en résulte que nécessairement il y a eu un changement antérieur ; car il y avait bien une cause à ce repos, puisque le repos n'est que là privation du mouvement. Donc, avant le premier changement, il y aura déjà eu un changement antérieur. § 11. Certaines choses, en effet, ne produisent qu'une seule espèce de mouvement ; d'autres produisent les mouvements contraires. Ainsi, le feu échauffe et ne refroidit pas, tandis que la science des contraires paraît être une seule et même science. Ici il y a bien quelque chose de semblable; car le froid, considéré d'une certaine manière, en se retirant peut échauffer, de même que celui qui sait une chose peut commettre une erreur volontaire, en employant à rebours la science qu'il possède. § 12. Mais toutes les choses qui sont susceptibles d'agir, de souffrir, et de mouvoir, et celles qui sont susceptibles d'êtres mues, ne le sont pas toujours et dans tous les cas ; elles ne le sont que dans certaines conditions, et il faut par exemple qu'elles soient proches les unes des autres ; c'est en se rapprochant que l'une meut et que l'autre est mue, et quand les choses s'arrangent de façon que l'une soit susceptible d'être mue, et l'autre capable de mouvoir. § 13. Si donc le mouvement n'a pas toujours eu lieu, il est clair que c'est que les choses n'étaient pas disposées de telle sorte que l'une pût mouvoir et que l'autre pût être mue, mais qu'il a fallu nécessairement que l'une des deux vint à changer. C'est là en effet une nécessité absolue pour tous les relatifs ; et par exemple, si une chose qui n'était pas le double d'une autre en est actuellement le double, il faut bien que l'une des deux choses tout au moins, si ce n'est les deux, ait éprouvé un changement. Il y aura donc ainsi un changement qui sera antérieur même au changement qu'on croyait le premier. § 14. Mais outre cette impossibilité, comment encore concevoir qu'il puisse y avoir antérieur et postérieur, s'il n'y a pas de temps ? Ou bien comment y aura-t-il du temps, s'il n'y a pas de mouvement ? § 15. Mais comme le temps n'est certainement que le nombre du mouvement ou un mouvement d'une certaine espèce, du moment que le temps est éternel, il y a nécessité que le mouvement soit éternel comme lui. En général, tous les philosophes, si l'on en excepte un seul, semblent, il faut en convenir, unanimes dans leur système sur le temps ; tous le regardent comme incréé. Et c'est même en soutenant que le temps n'a point été créé que Démocrite essaie de démontrer qu'il est impossible que l'univers ait jamais pu l'être. Il n'y a que Platon qui admette la création du temps. Le temps est né, selon lui, avec le ciel; car il dit que le ciel a pris naissance. Si donc l'existence et la conception même du temps sont impossibles sans l'instant, et que l'instant soit une sorte de moyen terme réunissant tout à la fois un commencement et une fin, le commencement du temps futur, et la fin du temps passé, il faut nécessairement que le temps soit éternel ; car le bout du temps qui est considéré le dernier sera dans un certain instant, puisqu'il n'y a pas moyen dans le temps de saisir autre chose qu'un instant; et comme l'instant est à la fois commencement et fin, il est clair qu'il y a toujours du temps des deux côtés de l'instant, mais si le temps existe, il n'est pas moins clair que le mouvement existe aussi, puisque le temps n'est qu'un mode du mouvement. §16. Le raisonnement serait le même pour démontrer que le mouvement est indestructible. §17. De même qu'en cherchant à expliquer l'origine du mouvement, on en arrivait à cette conclusion qu'il y a un changement antérieur même au changement premier, de même aussi il faudra supposer dans ce nouveau cas qu'il y a un changement postérieur même au dernier changement ; car ce n'est pas du même coup que l'objet cessera d'être mu et d'être mobile, par exemple d'être brûlé et d'être combustible, puisqu'il se peut fort bien qu'un objet combustible ne soit pas brûlé ; et ce n'est pas non plus du même coup que l'objet cessera de mouvoir et d'être capable de mouvoir, § 18. De même aussi le destructible devra avoir été détruit, avant d'être détruit ; et ce qui le détruit devra encore exister après lui, puisque la destruction n'est qu'une espèce de changement. § 19. Mais si tout cela est impossible, il est évident que le mouvement est éternel ; et il ne se peut pas que tantôt il soit et que tantôt il ne soit point. § 20. Avancer en effet cette dernière opinion, ce n'est, je le crains bien, qu'une pure rêverie. § 21. Il n'y a pas plus de raison à soutenir que c'est la nature qui le veut ainsi, et que c'est là ce qu'on doit regarder comme le principe des choses, ainsi qui Empédocle semble le prétendre, quand il dit que l'Amour et la Discorde dominent tour à tour et donnent le mouvement aux choses, par une nécessité inhérente à leur nature, et que dans l'intervalle de leurs luttes, il y a le repos. § 22. C'est bien là encore ce que sont tout près de dire ceux qui, comme Anaxagore, ne reconnaissent qu'un seul principe. § 23. Mais il n'y a jamais de désordre dans les choses qui sont de nature et selon la nature ; car la nature est dans tous les cas une cause d'ordre et de régularité. L'infini ne peut jamais avoir de rapport rationnel avec l'infini, tandis que l'ordre est toujours un rapport et une raison. Mais qu'après un repos qui a duré un temps infini, commence ensuite par hasard le mouvement, et qu'il n'y ait pas plus d'importance à ce qu'il en soit ainsi plutôt maintenant qu'auparavant, sans qu'il y ait eu d'ailleurs aucun ordre antérieurement, ce n'est plus là, une œuvre de la nature ; car, ou bien ce qui est par nature est d'une manière absolue, sans être tantôt de telle manière et tantôt de telle autre, comme le feu, par exemple, qui, naturellement, se dirige toujours en haut, et sans qu'il soit jamais possible que tantôt il s'y dirige, et tantôt il ne s'y dirige pas; ou bien ce qui n'est pas absolu dans la nature a du moins une cause rationnelle. § 24. Il vaudrait donc mieux encore supposer, comme l'a fait Empédocle ou tel autre philosophe, que tour à tour l'univers est en repos, et qu'il reprend ensuite le mouvement; car cette succession alternative de phénomènes implique déjà un certain ordre régulier. § 25. Mais il ne faut pas, quand on avance de telles idées, se contenter d'affirmer simplement ce qu'on dit ; il faut tâcher aussi d'en expliquer la cause ; et au lieu de se borner à une hypothèse gratuite, et de poser un axiome déraisonnable, il faut en appeler à l'induction ou en apporter la démonstration. § 26. Les hypothèses admises par Empédocle ne sont pas des causes ; et ce n'est point là le rôle essentiel de la Discorde et de l'Amour, puisque l'un réunit les choses, et que l'autre au contraire les divise. Que si l'on parle de leur succession alternative, encore faut-il dire à quelles choses cette succession s'applique, comme on dit que parmi les hommes il y a quelque chose qui les rapproche, c'est l'amitié, et qu'il est bien vrai que les ennemis se fuient mutuellement. Alors, on imagine qu'il en est de même dans l'univers, parce qu'en effet il est certains cas où les choses se passent réellement ainsi. Mais il faudrait bien expliquer, en outre, comment ce phénomène peut s'accomplir dans des temps égaux et réguliers. § 27. En général, admettre que ce soit un principe et une cause suffisante d'un fait de dire que ce fait est toujours ou qu'il se produit toujours de telle ou telle manière, ce n'est pas du tout satisfaire la raison. C'est là cependant à quoi Démocrite réduit toutes les causes dans la nature, en prétendant que les choses sont actuellement de telle manière, et qu'elles y étaient antérieurement aussi. Mais quant à la cause de cet état éternel, il ne croit pas devoir la rechercher, ayant bien d'ailleurs raison à certains égards, mais ayant tort de vouloir appliquer ce principe à tout. Ainsi, le triangle a éternellement ses angles égaux à deux droits; et pourtant on peut bien trouver une autre cause à cette propriété éternelle du triangle, tandis qu'il y a, en effet, des principes qui, étant éternels, n'ont absolument aucune autre cause. § 28. Mais que ceci suffise pour démontrer que le temps n'a pu exister, et ne pourra exister qu'à la condition que le mouvement ait existé ou doive exister tout comme lui. [8,2] CHAPITRE II. § 1. Il n'est pas difficile de répondre aux principes qu'on opposerait à ceux qui viennent d'être développés; et voici les principaux arguments par lesquels on pourrait démontrer que le mouvement s'est produit à un certain moment, sans du tout avoir antérieurement existé. § 2. D'abord il n'y a point de changement qui soit éternel, parce que naturellement tout changement va d'un certain état à un certain état ; et par une conséquence nécessaire, tout changement a pour limite les contraires dans lesquels il se passe. Il n'y a donc pas de mouvement qui puisse aller à l'infini. § 3. En second lieu, on peut se convaincre, par l'observation, qu'un objet qui n'est pas mu actuellement et n'a en soi aucun mouvement, peut être mu à un certain moment ; par exemple, les êtres inanimés, pour lesquels sans qu'une partie ni le tout se meuve, et restant, au contraire, immobiles, il peut y avoir mouvement à un certain moment donné. Mais si le mouvement ne peut pas naître et sortir du néant, il faut dire alors, ou que le mouvement est éternel, ou qu'il est éternellement impossible. § 4. Ceci, du reste, est évidemment bien plus sensible encore dans les êtres animés, et nous le voyons par nous-mêmes; car, bien qu'il n'y ait en nous aucun mouvement, et qu'à ce moment nous soyons en repos, néanmoins nous nous mettons en mouvement ; et c'est en nous-mêmes que nous trouvons alors le principe du mouvement qui nous fait agir, sans qu'il y ait la moindre intervention du dehors. Mais nous ne pouvons pas en dire autant pour les choses inanimées, qui ne sont jamais mues que par une cause extérieure. Pour l'être animé, au contraire, nous disons qu'il se meut lui-même, attendu que, s'il demeure parfois dans un absolu repos, il se produit aussi en lui un mouvement qui ne vient que de lui seul, et où le dehors n'est pour rien. Mais si ce phénomène peut se passer dans l'animal, pourquoi ne se passerait-il pas aussi tout à fait de même dans l'univers? Si c'est possible dans le petit monde, ce l'est également dans le grand; et si c'est possible dans le monde, c'est possible aussi dans l'infini, si toutefois l'infini peut, ou se mouvoir tout entier, ou demeurer tout entier en repos. § 5. De ces divers arguments, le premier dont nous avons parlé, et qui consiste à dire que le mouvement qui va aux opposés ne peut pas être éternellement le même, et numériquement un, ce premier argument est très vrai. On peut même trouver qu'il y a en ceci nécessité absolue, puisqu'une seule et même chose ne peut avoir un mouvement qui soit un et toujours le même ; numériquement. Je cite un exemple, et je demande si le son d'une seule corde est toujours un seul et même son, ou si c'est toujours un son différent, tant qu'elle reste semblable et semblablement mue. Mais, quoi qu'il en soit de ceci, rien n'empêche que le mouvement ne soit un et le même, en étant continu et éternel. C'est ce que l'on verra plus clairement par ce qui va suivre. § 6. Il n'y a rien d'absurde à dire qu'un corps qui n'était pas en mouvement peut y être mis, selon que le moteur extérieur, tantôt existe, et tantôt n'existe point. Mais il faut examiner à quelles conditions cela est possible. Je dis donc que la même chose peut tantôt être mue par le même moteur capable de la mouvoir, et tantôt ne l'être pas. Cela revient absolument à rechercher comment il se fait que les choses ne sont pas toujours en repos ou toujours en mouvement. § 7. Quant au troisième argument, c'est celui qui peut surtout embarrasser, quand on voit que dans les êtres animés le mouvement se produit tout à coup, sans y avoir antérieurement apparu. L'être est en repos; puis tout à coup il marche, sans qu'aucune cause extérieure l'ait mis en action, du moins à ce qu'il semble. Mais c'est là une erreur. Dans l'animal, il y a toujours quelqu'un des éléments naturels dont il est formé, qui est en mouvement. Or, ce n'est pas l'être lui-même qui est cause du mouvement de ces éléments, et c'est peut-être le milieu qui l'enveloppe. Nous ne disons pas que ce soit l'être lui-même qui puisse se donner toute espèce de mouvement; mais nous n'entendons désigner que le mouvement dans l'espace. Or, il se peut fort bien, et peut-être même est- il nécessaire qu'il se passe dans le corps une foule de mouvements causés par tout ce qui l'environne. Ces mouvements agissent à leur tour sur la pensée et sur le désir, qui met alors lui-même en mouvement l'être entier. C'est ce qu'on voit bien dans les phénomènes du sommeil, L'animal s'éveille sans qu'il y ait de mouvement sensible, bien qu'il y ait pourtant un mouvement d'un certain genre. Mais ce que nous allons dire éclaircira tout ceci. [8,3] CHAPITRE III. § 1. Nous commencerons la discussion par la question que nous venons d'indiquer, celle de savoir pourquoi il y a des êtres qui tantôt se meuvent, et tantôt se remettent en repos. § 2. Nécessairement ou tout est toujours en mouvement, ou tout est toujours en repos ; ou bien certaines choses sont en mouvement, tandis que d'autres sont dans un repos complet; et dans ce dernier cas, ou les choses en mouvement sont dans un mouvement éternel, et les choses en repos y sont aussi d'une manière éternelle; ou bien tout dans la nature peut être indifféremment, soit en mouvement, soit en repos ; ou bien enfin, et c'est la troisième et dernière supposition, parmi les êtres il y en a qui sont éternellement immobiles, tandis que les autres sont dans un mouvement éternel, et que d'autres encore participent du mouvement et du repos tour à tour. C'est là ce qu'il nous faut étudier ; car c'est là que se trouve la solution de toutes les questions que nous nous sommes posées ; et ce sera pour nous le complément définitif de tout ce traité. § 3. Prétendre que tout est en repos, et en chercher la cause, sans tenir compte de l'observation sensible, c'est on peut dire, une faiblesse d'intelligence. § 4. C'est nier et mettre en doute l'ensemble des choses physiques, et non pas simplement une partie. § 5. Bien plus, ce sujet n'intéresse pas uniquement le physicien ; il regarde aussi toutes les sciences, à ce qu'il semble, et tous les systèmes, puisque toutes font usage de l'idée du mouvement. § 6. Ajoutez que, de même que dans les mathématiques, par exemple, les objections contre les principes ne regardent pas directement le mathématicien, de même ceci peut s'appliquer également à toutes les autres sciences, et le problème que nous agitons ici n'est pas du domaine propre du physicien, puisque pour lui c'est une hypothèse indispensable d'admettre que la nature est le principe du mouvement. § 7. Sans doute, affirmer que tout est en mouvement, c'est peut-être aussi une erreur; mais cette erreur s'éloigne moins des vérités de la science ; car nous avons établi que, dans les choses physiques, la nature est le principe tout à la fois du mouvement et du repos, et le mouvement est essentiellement un fait naturel. § 8. Quelques philosophes soutiennent aussi que le mouvement n'est pas partiel, attribué à telles choses et refusé à telles autres, mais que toutes choses sont en mouvement, qu'elles y sont éternellement, et que seulement ce phénomène échappe et se dérobe à nos sens. § 9. Quoique les partisans de cette opinion n'aient pas dit de quel mouvement spécial ils entendent parler, ou bien si c'est de toutes les espèces de mouvement, il n'est pas difficile de les réfuter. § 10. Ainsi il n'est pas possible que l'accroissement, ni la destruction, soient continuels et perpétuels; et il y faut un moyen terme. Le raisonnement est ici tout à fait le même que quand on essaie de prouver que la goutte finit par percer la pierre, ou que la plante qui y pousse finit par la rompre. En effet, si la goutte a creusé ou enlevé telle partie de la pierre, cela ne veut pas dire que dans un temps moitié moindre elle en ait enlevé antérieurement la moitié ; mais les gouttes agissent ici comme les matelots qui font le halage d'un navire; et tant de gouttes ont produit tel mouvement, sans que cependant une partie des gouttes ait pu en produire telle quantité dans aucune partie du temps. La portion enlevée de la pierre peut bien se diviser en plusieurs parties ; mais aucune de ses parties séparément n'a été mise en mouvement. Elles l'y ont été toutes ensemble, Donc évidemment il n'est pas nécessaire que toujours quelque chose se détache de la pierre, parce que la destruction peut se diviser à l'infini ; mais seulement il est nécessaire que le tout se détache enfin à un certain moment. § 11. Il en est de même pour l'altération, quelle qu'elle soit; car l'altération n'est pas divisible à l'infini par cela seul que l'objet altéré peut se diviser infiniment. Mais souvent l'altération se fait tout d'un coup, comme se fait, par exemple, la congélation de l'eau. § 12. C'est encore comme dans la maladie, où nécessairement un temps vient où l'on peut dire du malade qu'il guérira, et où ce n'est pas à l'extrémité même du temps qu'il change tout d'un coup. § 13. Le changement ici ne se fait nécessairement que de la maladie à la santé, et non point à autre chose; et par conséquent, soutenir que le changement se fait d'une manière perpétuelle, c'est contredire trop gratuitement les faits les plus palpables, puisque l'altération se fait toujours d'un contraire à l'autre. § 14. La pierre ne devient, ni plus dure, ni plus tendre. § 15. Et quant à la translation, il serait fort étonnant qu'on ne s'aperçût pas que la pierre est portée en bas, ou bien qu'elle s'arrête par la terre. § 16. On peut ajouter encore que la terre, et chacun des autres corps, doivent nécessairement demeurer dans les lieux qui leur sont propres, et ce n'est que par violence que le mouvement les éloigne de ces lieux. Par conséquent, s'il est des corps qui demeurent dans les lieux qui leur sont propres, il faut nécessairement que tous les corps ne soient pas en mouvement dans l'espace. § 17. Ainsi, les considérations que nous venons de présenter, et celles qu'on y pourrait ajouter doivent prouver qu'il est également impossible, et que tout soit en mouvement, et que tout soit en repos. § 18. Il ne se peut pas non plus que telles choses soient éternellement en repos, et que telles autres soient dans un mouvement perpétuel, et qu'il n'y ait rien qui soit, tantôt en repos, et tantôt en mouvement. § 19. Il faut dire que l'impossibilité que nous signalions un peu plus haut se répète également ici, puisque nous voyons se produire dans les mêmes choses les changements successifs dont nous venons de parler. § 20. Le contester, ce serait vouloir combattre l'évidence. En effet, ni l'accroissement des choses, ni le mouvement forcé qu'elles reçoivent quelquefois, ne sont possibles à moins que le corps, précédemment en repos, ne puisse recevoir un mouvement contre nature. Ainsi donc, cette théorie méconnaît, et la génération, et la destruction des choses. Or, tout le monde admet que le mouvement ne signifie guère que la production et la destruction des choses; car l'état auquel passe l'objet qui change, se produit, soit dans l'objet même, soit dans le lieu; et l'état qu'il quitte en changeant périt, ou du moins change de place. § 21. Donc évidemment, il y a des choses qui, à certains moments, sont en mouvement ; et il y a des choses qui, à certains moments, sont en repos. § 22. Quant à cette opinion que tout est tantôt en repos, et tantôt en mouvement, il faut la rapprocher des arguments qui viennent d'être rappelés. § 23. Mais c'est avec les définitions que nous venons de donner ici, que nous pouvons reprendre, pour point de départ, le même principe que nous avions antérieurement adopté : Tout est en repos, ou tout est en mouvement; ou bien, parmi les choses, les unes sont en mouvement, et les autres en repos ; et en admettant le repos des unes et le mouvement des autres, il faut nécessairement, ou que toutes soient tantôt en repos, et tantôt en mouvement; ou que toujours les unes soient en mouvement, et les autres toujours en repos; ou enfin qu'il yen ait qui passent alternativement du repos au mouvement, et du mouvement au repos. § 24. Plus haut, nous avons déjà établi qu'il n'est pas possible que toutes choses soient en repos. Mais reprenons encore ici cette considération ; car s'il est vrai, ainsi qu'on le prétend parfois, que l'être est infini et immobile, il faut du moins convenir que nos sens n'en peuvent rien apercevoir, et qu'il est sous nos yeux une foule de choses qui se meuvent. Si donc cette apparence est fausse, ou qu'on ne la prenne que pour une simple apparence, il ne s'ensuit pas moins que le mouvement existe, du moment qu'existe l'imagination, quand bien même l'apparence serait de telle façon, puis tout à coup de telle autre ; car l'imagination et l'opinion n'en sont pas moins elles-mêmes des mouvements réels. § 25. Mais disserter et faire des raisonnements sur des choses où nous pouvons avoir mieux que des raisonnements, c'est mal juger le meilleur et le pire; c'est mal discerner le certain de l'incertain, et ne pas savoir distinguer ce qui est principe de ce qui ne l'est pas. § 26. II n'est pas moins impossible que tout soit en mouvement, et que telles choses aient un mouvement éternel, tandis que les autres sont éternellement en repos. A tous ces systèmes, il y a toujours une seule réponse péremptoire : Nous observons qu'il y a des choses qui sont, tantôt en mouvement, et tantôt en repos. Donc évidemment, il est tout aussi impossible que tout soit continuellement en repos, ou que tout soit continuellement en mouvement, qu'il est impossible que, parmi les choses, les unes soient dans un mouvement éternel, et les autres dans un éternel repos. § 27. Reste donc à examiner si tout est susceptible de mouvement et de repos, ou bien s'il est des choses qui peuvent être ainsi, et s'il en est d'autres qui peuvent être toujours en repos, et d'autres qui peuvent être toujours en mouvement. C'est ce que nous allons démontrer. [8,4] CHAPITRE IV. § 1. Pour les moteurs et les mobiles, il faut distinguer ceux qui meuvent ou qui sont mus d'une façon accidentelle ; et d'autres, au contraire, qui meuvent ou sont mus essentiellement et en soi. Ainsi, le mouvement est accidentel pour tous les objets qui ne l'ont que parce qu'ils sont dans les moteurs et les mobiles, ou parce qu'ils n'ont le mouvement que dans une partie seulement. Au contraire, les objets sont mobiles et moteurs en soi et essentiellement, toutes les fois qu'ils ne sont pas seulement dans le moteur ou dans le mobile, et quand ce n'est pas simplement une de leurs parties qui meut ou qui est mue. § 2. Entre les moteurs et les mobiles en soi, on peut encore distinguer ceux qui se meuvent eux-mêmes, et ceux qui sont mus par un autre; ou bien ceux qui se meuvent naturellement, et ceux qui sont mus par force et contre nature. § 3. Ce qui se meut soi-même est mu selon les lois de la nature ; et ce sont, par exemple, tous les animaux, puisque l'animal est doué de la faculté de se mouvoir lui-même. Aussi pour tous les êtres qui ont en eux- mêmes le principe de leur mouvement, nous disons que c'est naturellement qu'ils se meuvent; et c'est ainsi que par le vœu seul de la nature l'animal se meut lui-même tout entier. Quant au corps, il peut tout à la fois être mu, et naturellement, et contre nature ; car il y a grande différence entre les mouvements qu'il peut avoir, comme il y en a entre les éléments dont il est composé. § 4. Parmi les êtres qui sont mus autrement que par eux-mêmes, les uns le sont suivant la nature, les autres le sont contre nature ; et, par exemple, un mouvement contre-nature, c'est celui des corps terrestres qui iraient en haut, et celui du feu qui irait en bas. § 5. Les parties des animaux peuvent souvent aussi être mues contre nature, quand elles le sont contre leurs positions régulières, ou contre leurs modes ordinaires de mouvement. § 6. C'est surtout dans les mouvements contre nature qu'on voit clairement que le mouvement est imprimé du dehors au mobile, parce qu'on voit alors avec pleine évidence que le mobile est mu par un autre que lui-même. § 7. Après ces mouvements contre nature, les plus manifestes sont ceux des êtres qui se meuvent eux-mêmes, comme les animaux que nous citions tout à l'heure. En effet, on ne peut pas hésiter à savoir clairement si c'est un autre qu'eux-mêmes qui les pousse; mais on peut avoir encore de l'hésitation sur ce qui meut, et ce qui est mu ; car il semble que ce qui se passe pour les bateaux, et pour tous les autres composés qui ne viennent pas de la nature, se passe aussi dans les animaux, où l'on distingue ce qui fait mouvoir et ce qui est mu; et c'est ainsi qu'on explique le mouvement de tout ce qui se meut soi-même. § 8. Mais il y a le plus grand doute pour le reste de la division que nous venons d'établir. Ainsi, parmi les êtres qui sont mus par une force étrangère, nous avons dit que les uns sont mus naturellement, et que les autres, seule opposition qui reste possible, sont mus contre nature. Ce sont ces derniers pour lesquels il y a difficulté de savoir par quelle cause ils sont mus. Ainsi, quelle est la cause qui meut les corps légers et les corps graves? Ces deux espèces de corps ne sont portés que par force dans les lieux qui leur sont opposés. Quand ils restent dans leurs lieux propres, le corps léger va naturellement en haut ; le corps grave va naturellement en bas. Mais, en ce cas, qui les meut? C'est là ce qui n'est pas de toute évidence, comme cela l'est quand ils reçoivent un mouvement qui ne leur est pas naturel. § 9. En effet, il est bien impossible de dire que ces corps se meuvent alors eux-mêmes; car cette faculté est toute vitale, et elle appartient exclusivement aux êtres animés. § 10. S'il en était ainsi, ces corps pourraient tout aussi bien s'arrêter; et, par exemple, si un corps est lui-même cause de la marche qu'il a, il peut également être cause que cette marche s'arrête. Par conséquent, s'il ne dépendait que du feu de se porter en haut, il pourrait tout aussi bien se porter eu bas. § 11. Il ne serait pas moins déraisonnable de croire que les éléments ne se donneraient qu'un seul et unique mouvement, s'ils avaient la faculté de se mouvoir eux-mêmes, § 12. On peut encore se demander comment il est possible que le continu et l'homogène se meuve lui-même ? En tant que un et continu, ce ne peut pas être par le contact qu'il se meuve, puisqu'à cet égard il est impassible. Mais c'est seulement en tant que séparés qu'il est possible que, de deux objets, l'un agisse et l'autre souffre l'action. Ainsi donc aucun de ses élément ne peut se mouvoir lui-même, puisqu'ils sont homogènes, et nul autre continu ne le peut davantage. Mais il faut que dans chaque cas, le moteur soit séparé du mobile, comme nous l'observons pour les choses inanimées, lorsque quelque être animé vient à les mettre en mouvement. § 13. Or, il est certain que ces choses sont toujours mues par une cause étrangère ; et c'est ce qu'on peut vérifier aisément en divisant les causes. On peut même se convaincre pour les moteurs de l'exactitude des principes qu'on vient de poser. Ainsi les uns sont susceptibles de mouvoir les choses contre nature ; comme le levier qui, naturellement, n'a pas la faculté de mouvoir les corps pesants ; et les autres meuvent selon la nature ; comme, par exemple, ce qui est chaud en acte et en fait, a le pouvoir de mettre en mouvement ce qui n'est chaud qu'en puissance. Même remarque pour tous les cas analogues. De même encore, on peut dire que le mobile selon la nature, est ce qui a en puissance une certaine qualité, une certaine quantité, et une certaine position, en supposant que cet objet a en lui-même un tel principe de mouvement, et qu'il ne l'a pas accidentellement ; car la quantité et la qualité peuvent se confondre; mais alors l'une n'est qu'accidentellement à l'autre, et elle n'y est pas essentiellement. § 14. Le feu et la terre sont mus de force par quelque cause étrangère, quand ils sont mus contre leur nature propre; ils sont mus non par force, mais naturellement lorsque, tout en n'étant qu'en puissance, ils tendent à leurs actes spéciaux. § 15. Mais comme l'expression En puissance a plusieurs acceptions, c'est là ce qui empêche de voir clairement la cause qui meut ces corps, le feu en haut et la terre en bas. § 16. On est en puissance d'une manière toute différente selon qu'on apprend, ou selon qu'on possède la science, et que l'ayant déjà, on n'en fait point usage. § 17. Mais toutes les fois que ce qui peut agir et ce qui peut souffrir sont ensemble, le possible vient à l'acte et se réalise. Par exemple, quand on apprend quelque chose, on passe de la simple possibilité à un état où l' on est tout autrement en puissance. En effet, celui qui possède la science, mais qui ne l'applique pas, est savant, on peut dire encore en puissance, mais il ne l'est pas comme il l'était avant de rien apprendre. Quand il est dans cet état, il agit et il emploie sa science si nul obstacle ne s'y oppose; ou autrement, on devra dire qu'il est dans le contraire de la science et dans l'ignorance. Il en est absolument de même en ceci pour les choses de la nature. Le froid par exemple est chaud en puissance ; et quand il change, il devient du feu et il brûle, si rien ne l'en empêche et ne lui fait obstacle. § 18. C'est une disposition toute pareille pour le léger et le pesant. Le léger vient du pesant, comme par exemple l'air vient de l'eau. Le pesant est en effet d'abord léger en puissance, et il devient léger en réalité et en fait, dès qu'il n'y a rien qui l'en empêche. L'acte du léger, c'est d'être en un certain lieu et en haut ; il en est empêché quand il se trouve dans le lieu contraire ; et tout ceci s'applique également à la quantité et à la qualité. § 19. Néanmoins on demande encore pourquoi les corps légers ou les corps graves se meuvent chacun vers le lieu qui leur appartient. Il faut répondre que c'est par une loi de la nature qu'ils sont en certains lieux, et que ce qui constitue essentiellement le léger et le pesant, c'est que l'un se dirige exclusivement en haut, et que l'autre se dirige en bas. § 20. Mais ainsi qu'on vient de le dire, il y a plusieurs manières d'entendre le léger et le pesant en puissance. Ainsi, l'eau est bien à certain point de vue, légère en puissance ; et lorsqu'elle est de l'air, il est possible encore que l'air ne soit léger qu'en puissance également; car s'il rencontre quelque obstacle, il ne peut aller en haut; mais dès que l'obstacle a disparu, le léger agit et il monte toujours plus haut. De même aussi la qualité change pour arriver à être en acte ; car lorsqu'on sait quelque chose, on peut sur le champ appliquer la science si rien ne vient vous en empêcher. De même encore, la quantité s'étend et se dilate, si rien ne l'arrête. § 21. Mettre en mouvement l'obstacle qui s'oppose à l'acte et l'empêche, c'est encore mouvoir, du moins d'une certaine manière, et dans un autre sens ce n'est pas précisément mouvoir. Par exemple, si l'on retire la colonne qui soutient quelque chose, ou si l'on ôte une pierre qui est sur une outre dans l'eau, c'est encore mouvoir indirectement, de même que la balle qui est renvoyée est mise en mouvement non par le mur, mais par le joueur qui l'a lancée. § 22. Il est donc clair qu'aucun de ces corps ne se meut spontanément lui-même ; mais ils ont encore le principe du mouvement, non pour mouvoir ou pour produire le mouvement, mais pour le recevoir et le souffrir. § 23. Ainsi, on le voit, tous les mobiles sont mus, soit naturellement, soit contre nature et par force. Tout ce qui est mu par force et contre nature est mu par quelque cause et quelque cause étrangère. Parmi les choses qui sont mues selon leur nature, celles qui se meuvent elles-mêmes sont mues encore par quelque cause, aussi bien que celles qui ne se meuvent pas par elles-mêmes, comme les corps légers et pesants ; car les corps reçoivent leur mouvement de ce qui les produit en les rendant pesants ou légers, ou de ce qui écarte les obstacles qui les empêchaient d'agir. Donc, il semble que tout ce qui est mu, que tous les mobiles, reçoivent leur mouvement de quelque chose. [8,5] CHAPITRE V. § 1. La proposition qu'on vient d'énoncer peut avoir deux sens : car, ou le moteur ne meut pas par lui-même, mais par une autre cause qui met le moteur lui-même en mouvement, ou bien le moteur meut par lui même. On peut encore distinguer dans ce dernier cas deux hypothèses: ou le moteur est le premier après l'extrême qui donne le mouvement, ou il meut par plusieurs intermédiaires. Ainsi le bâton meut la pierre, mu lui- même par la main que meut l'homme, et l'homme produit le mouvement, sans lui-même être mu par une autre cause. § 2. Nous disons également de ces deux moteurs, et du dernier et du premier, qu'ils donnent le mouvement; mais cela s'applique surtout au premier moteur qui meut le dernier, sans que le dernier puisse à son tour mouvoir le premier. Sans le premier moteur, le dernier reste incapable de mouvoir ; et celui-ci ne peut agir sans celui-là ; car le bâton ne transmettra en rien le mouvement, si l'homme ne le lui donne. § 3. Si donc tout ce qui est mis en mouvement est nécessairement mu par quelque chose, et si c'est par une autre chose qui est mue elle-même ou n'est pas mue, il faut aussi de toute nécessité, en supposant le mobile mu par un autre, qu'il y ait un premier moteur qui ne soit pas mu lui- même par une autre cause. Si ce moteur premier est bien en effet le premier, il n'est pas besoin d'en rechercher un autre ; car il est impossible de remontrer à l'infini du moteur au mobile mu lui-même par un autre, puisque dans l'infini il n'y a point de premier. § 4. Si donc tout mobile est mu par quelque chose, et si le moteur premier ne peut pas être mu par un autre, il faut de toute nécessité que ce moteur se meuve lui-même. § 5. Voici encore une autre démonstration de ce même principe. Tout moteur meut quelque chose et par quelque chose. Le moteur meut par lui seul ou par l'intermédiaire d'un autre. Par exemple, l'homme meut directement la pierre, ou il la meut par le moyen de son bâton; et le vent renverse directement un objet, ou c'est la pierre que le vent a chassée. § 6. Or, il est impossible qu'il y ait mouvement sans un moteur qui meuve par lui-même ce par quoi il meut ; et s'il le meut par lui-même, il n'y a plus besoin qu'il y ait un autre intermédiaire par lequel il meuve. Mais s'il y a quelque autre objet par lequel il meut, il faudra bien un moteur qui meuve, non plus par quelque chose mais par lui-même, ou autrement on irait à l'infini. § 7. En arrivant à un mobile qui meut à son tour, il faut nécessairement s'arrêter, et il n'y a plus de série à l'infini. En effet, si le bâton donne le mouvement parce qu'il est mu par la main, c'est alors la main qui meut le bâton, Mais si l'on suppose que c'est encore par elle que quelque autre chose donne le mouvement, il faut aussi que le moteur qui la met en mouvement soit différent; et quand un moteur différent meut par quelque chose, il faut nécessairement qu'il y ait antérieurement un moteur qui meuve par lui-même. § 8. Si donc, le moteur est mu, et qu'il n'y en ait plus un autre qui le meuve, il faut bien nécessairement qu'il se meuve lui-même spontanément. Par conséquent, ce raisonnement prouve directement que le mobile est mu par le moteur qui se meut lui-même, ou du moins qu'il faut remonter jusqu'à un moteur de ce genre. § 9. On arrive d'ailleurs à cette même conclusion en se mettant à un point de vue nouveau, outre ceux qui viennent d'être indiqués. En effet, si tout ce qui est mu est mis en mouvement par un moteur qui est mu lui- même, il n'y a que cette alternative : ou c'est un accident des choses que le mobile transmette le mouvement qu'il a lui-même reçu, sans se mouvoir de son propre fonds ; ou bien ce n'est pas accidentel, mais c'est en soi. § 10. D'abord si l'on dit que c'est par accident, alors il n'y a pas nécessité que le mobile soit mu ; et ceci admis, il est clair qu'il est possible qu'aucun être au monde n'ait de mouvement; car l'accident n'est pas nécessaire, et il peut ne pas être. § 11. Si donc nous admettons que le possible a lieu, il n'y a rien là d'absurde, bien qu'il puisse y avoir une erreur. Mais il est impossible qu'il n'y ait pas de mouvement au monde ; car, ainsi qu'on l'a démontré antérieurement, il y a nécessité que le mouvement soit éternel. § 12. Ceci d'ailleurs est parfaitement conforme à la raison. En effet, il y a ici trois termes indispensables: le mobile, le moteur, et ce par quoi il cause le mouvement. Le mobile doit nécessairement être mu ; mais il n'y a pas nécessité qu'il meuve à son tour. Quant à ce par quoi le moteur donne le mouvement, il doit à la fois mouvoir et être mu. En effet, ce terme change en même temps que le mobile, puisqu'il est dans le même temps et dans la même condition que lui. C'est ce qu'on peut voir clairement dans les corps, qui meuvent dans l'espace et qui déplacent; ils doivent en effet se toucher l'un l'autre jusqu'à un certain point. Enfin le moteur est immobile de façon à ce qu'il n'y ait plus d'intermédiaire par lequel il transmette le mouvement. Mais comme nous voyons que le terme extrême est mu sans avoir en lui-même le principe du mouvement, et que le mobile qui est mu l'est par un autre et non par lui-même, il est très rationnel, pour ne pas dire nécessaire, d'en conclure qu'il y a un troisième terme qui meut, tout en restant lui-même immobile. § 13. Aussi, Anaxagore a-t-il bien raison quand il dit que l'Intelligence est à l'abri de toute affection et de tout mélange, du moment qu'il fait de l'Intelligence le principe du mouvement; car c'est seulement ainsi, qu'étant immobile, elle peut créer le mouvement, et qu'elle peut dominer le reste du monde en ne s'y mêlant point. § 14. Cependant si le moteur est mu lui-même, non pas par accident, mais nécessairement, et s'il ne peut donner le mouvement sans le recevoir d'abord, il faut nécessairement que le moteur, en tant qu'il est mu, reçoive ou la même nature de mouvement, ou une autre espèce de mouvement. Par exemple, il faut que ce qui échauffe soit lui-même échauffé, que ce qui guérit soit lui-même guéri, que ce qui transporte soit lui-même transporté; ou bien il faut que ce qui guérit soit transporté, et que ce qui transporte soit doué d'un mouvement d'accroissement. Mais il est trop clair que cette dernière supposition est impossible. En effet, il faudrait alors pousser la division jusqu'aux cas individuels; et, par exemple, si quelqu'un enseigne la géométrie, il faudrait qu'on lui enseignât aussi à lui-même la même proposition de géométrie qu'il montre à un autre ; si l'on jetait quelque chose, il faudrait qu'on fût soi- même jeté d'un jet tout pareil. Ou bien, si le mouvement n'est pas pareil, il faudrait qu'il fût d'un autre genre, et d'une espèce différente. Ainsi, le corps qui en transporterait un autre, aurait lui-même le mouvement d'accroissement, de même que le corps qui accroîtrait un autre corps serait à son tour altéré par un autre, de même encore que le corps qui en altérerait un autre, aurait aussi lui-même une autre espèce de mouvement. Mais il y a nécessité de s'arrêter quelque part, puisque les espèces de mouvements sont en nombre limité. Si l'on prétend qu'il y a retour du mouvement, et que le corps qui altère est transporté lui-même plus tard, cela revient absolument à dire de prime abord que ce qui transporte est transporté, que ce qui enseigne est enseigné, etc. ; car évidemment tout mobile est toujours mu aussi par le moteur supérieur, et il est mis davantage en mouvement par le premier de tous les moteurs. Mais cela est impossible ; car celui qui enseigne peut bien aussi apprendre lui-même ; mais il n'en faut pas moins nécessairement que l'un n'ait point la science, et que l'autre, au contraire, la possède. § 15. Mais on arrive encore à une autre conséquence bien plus absurde que toutes celles-là, à savoir que tout ce qui peut donner le mouvement le reçoit, si l'on soutient que tout mobile est mu par un autre mobile. Dire qu'il est mu, c'est comme si l'on soutenait que tout ce qui est capable de guérir guérit en effet, et peut lui-même être guéri ; et que ce qui est capable de construire est construit, ou directement ou par plusieurs intermédiaires. Par exemple, cela revient à. dire que tout ce qui a la faculté de mouvoir est mis en mouvement par un autre moteur, sans que le mouvement reçu soit le même que celui qui est transmis à la chose voisine, et au contraire, en supposant qu'il est différent, comme si, par exemple, ce qui a la faculté de guérir était instruit. Mais en remontant ainsi de proche en proche, on arriverait à la même espèce de mouvement, ainsi que nous l'avons dit un peu plus haut. Donc on voit que l'une de ces conséquences est absurde, et l'autre erronée ; car il est absurde de croire qu'un être qui a la faculté de produire une altération, doit nécessairement à son tour être accru. Donc en résumé, il n'est pas nécessaire que tout mobile soit sans exception mis en mouvement par un autre mobile qui serait mu lui-même; donc il y aura un temps d'arrêt, de telle sorte que de deux choses l'une : ou le mobile sera mu primitivement par quelque chose qui est en repos, ou bien il se donnera à lui-même le mouvement. § 16. Quant à la question de savoir quel est le principe et la vraie cause du mouvement, ou de l'être qui se meut lui-même, ou de celui qui est mu par un autre, c'est ce que tout le monde peut décider ; car ce qui est cause en soi est toujours antérieur à ce qui n'est cause que par un autre. [8,6] CHAPITRE VI. § 1. Comme conséquence de ce qui précède, et en partant d'un principe différent, il faut voir, en supposant qu'il y ait quelque chose qui se meuve soi-même, comment et de quelle manière il se meut. § 2. D'abord tout mobile est nécessairement divisible en parties qui sont elles-mêmes toujours divisibles ; car c'est un principe qu'on a démontré plus haut dans les généralités sur la nature, que tout ce qui est mobile en soi est continu. § 3. Or, il est impossible que ce qui se meut soi-même se meuve soi- même tout entier; car alors il serait transporté tout entier, en même temps qu'il transporterait par le même mouvement ; tout en restant un et indivisible spécifiquement, il serait altéré et il altérerait ; il instruirait en même temps qu'il serait instruit ; il guérirait et à la fois serait guéri, relativement à la même guérison. § 4. Il a de plus été établi que si tout mobile est mu, c'est seulement quand il est en puissance et non en acte; ce qui est en puissance tend à se compléter en devenant actuel, et le mouvement est l'acte incomplet du mobile. Mais le moteur est déjà en acte et en fait. Par exemple, ce qui est chaud échauffe ; et plus généralement, ce qui a la forme, engendre la forme. Il faudra donc conclure que la même chose sera tout à la fois et sous le même rapport chaude et non chaude. Même observation pour tous les autres cas, où le moteur doit nécessairement avoir l'affection synonyme. § 5. Reste donc à dire que dans l'être qui se meut lui-même, il y a une partie qui meut, et une autre partie qui est mue. § 6. Mais ce qui démontre bien que l'être qui se meut lui-même, ne peut pas se mouvoir de telle façon que l'une des deux parties puisse indifféremment mouvoir l'autre, c'est qu'en effet il n'y aurait plus de premier moteur, si l'une des deux parties pouvait indifféremment mouvoir l'autre à son tour. L'antérieur est bien plus cause du mouvement que ce qui ne vient qu'après lui, et il meut aussi bien davantage. § 7. Nous avons dit en effet que mouvoir peut se prendre en deux sens : l'un où le moteur est mu lui-même par un autre; l'autre où il meut par lui seul. Mais ce qui est éloigné du mobile plus que ne l'est le milieu, est aussi plus rapproché du principe. § 8. De plus, il n'y a de nécessité que le moteur soit mu que quand il l'est par lui-même. Ainsi, une des deux parties ne rend a l'autre le mouvement qu'elle a reçu que par accident; et voilà comment je supposais qu'elle pouvait ne pas mouvoir. L'une des parties sera donc mue; et l'autre sera moteur et immobile. § 9. Ainsi, il n'est pas nécessaire non plus que le moteur soit mu à son tour. Mais ce qui est de toute nécessité, c'est que le moteur qui donne le mouvement soit lui-même immobile, ou qu'il se meuve lui-même, puisqu'il faut toujours qu'il y ait mouvement. § 10. De plus, le moteur recevrait lui-même le mouvement qu'il donne ; et un corps qui échauffe serait alors lui-même échauffé. § 11. Cependant on ne peut pas dire davantage que ce soit une seule partie, ou plusieurs parties du moteur supposé doué primitivement de la faculté de se mouvoir lui-même, qui chacune se meuvent spontanément; car si le moteur entier se meut lui-même, il faut ou qu'il soit mu par une quelconque de ses parties, ou que le tout soit mu par le tout. Si donc il est mu parce qu'une de ses parties se meut spontanément, c'est alors cette partie spéciale qui sera le moteur qui primitivement se meut lui- même; car séparée du reste, cette partie pourra se mouvoir encore, tandis que sans elle l'entier ne le pourra plus. Si ensuite on suppose que c'est le corps entier qui se meut lui-même tout entier, alors les parties ne se donneront plus le mouvement qu'indirectement. Par conséquent, si elles ne sont pas nécessairement en mouvement, on peut supposer qu'elles ne se meuvent pas elles-mêmes. Ainsi sur la masse entière, une partie donnera le mouvement en demeurant immobile; et l'autre partie sera mue ; car c'est seulement ainsi qu'on peut comprendre le mouvement spontané. § 12. Admettons encore que ce soit une ligne qui se meuve ainsi elle- même tout entière ; une partie de cette ligne donne le mouvement ; une autre partie le reçoit. La ligne AB pourra donc tout à la fois et se mouvoir elle-même, et elle sera mise en mouvement par A. § 13. Mais puisque le mouvement peut être donné, soit par un moteur qui est mu lui-même par quelque autre chose, soit par un moteur immobile, et que le mouvement peut être reçu, soit par un mobile qui meut quelque chose à son tour, soit par un mobile qui ne meut plus rien, le moteur qui se meut lui-même doit donc nécessairement être composé et d'une partie immobile qui meut, et d'une partie mobile qui, elle, ne meut pas nécessairement, mais qui peut indifféremment mouvoir ou ne mouvoir pas. Soit A le moteur immobile ; et B, qui est mu par A et qui à son tour meut C ; enfin C, qui est mu par B, mais qui ne meut rien absolument; car bien que B puisse atteindre C par plusieurs intermédiaires, nous supposons ici que c'est par un seul. Le tout ABC a la puissance de se mouvoir lui-même. Si je retranche C, AB pourra toujours se mouvoir lui- même ; car c'est A qui donne le mouvement, et c'est B qui le reçoit. Mais C ne peut pas se mouvoir lui-même; et il ne sera mu en aucune façon. Mais BC lui-même ne pourrait non plus se mouvoir davantage sans A ; car B ne peut donner le mouvement que parce qu'il est mu lui-même par un autre, et non point par une de ses parties. Ainsi donc AB est seul à se mouvoir lui-même. Donc le corps qui se meut lui-même doit nécessairement avoir une partie qui est un moteur immobile, et aussi une partie qui est mue et qui ne meut plus rien nécessairement à son tour. § 14. Maintenant, ou ces deux éléments se touchent mutuellement, ou bien l'un des deux seulement touche l'autre. § 15. Si le moteur est continu, car pour le mobile il est continu de toute nécessité, il est clair que le tout se meut, non point parce qu'une partie en lui a la faculté spéciale de se mouvoir elle-même; mais c'est l'ensemble qui se meut tout entier lui-même, mobile et moteur tout à la fois, parce qu'il y a en lui quelque chose qui est mu et qui meut. Ce n'est pas le tout qui meut, et ce n'est pas non plus le tout qui est mu; mais c'est A tout seul qui donne le mouvement, et B tout seul qui le reçoit. § 16. En supposant que le moteur immobile soit continu, on peut se demander si, après qu'on aura enlevé une partie de A ou une partie de B qui est mu par A, le reste de A donnera encore le mouvement, ou si le reste de B le recevra encore. Si cela est possible, en effet, c'est que primitivement ce n'était pas AB qui pouvait se mouvoir lui-même, puisqu'un certain retranchement étant fait sur AB, le reste de AB pourra néanmoins continuer à. se mouvoir. § 17. Rien n'empêche qu'en puissance tous les deux, ou au moins l'un des deux, c'est-à-dire le mobile, ne soit divisible; mais, en fait, il reste absolument indivisible; et s'il est divisé, il ne conservera plus la même puissance. Par conséquent, rien ne s'oppose à ce que cette propriété de se mouvoir soi-même, ne se trouve primitivement dans des corps qui soient divisibles en puissance. § 18. De tout ceci, il résulte donc qu'évidemment le moteur primitif est immobile; car soit que le mobile, qui reçoit le mouvement d'un autre, s'arrête sans intermédiaire et tout à coup au primitif immobile; soit qu'il s'arrête à un autre mobile qui a en outre la faculté de se mouvoir lui- même et d'être en repos, des deux façons le moteur primitif ne s'en retrouve pas moins immobile, après tous les termes qu'il met en mouvement. [8,7] CHAPITRE VII. § 1. Puisqu'il faut que le mouvement soit perpétuel et que jamais il ne cesse, il faut nécessairement aussi qu'il y ait quelque chose d'éternel qui meuve primitivement, soit unique, soit multiple; et que ce soit là le premier moteur immobile. § 2. D'ailleurs que toutes les choses qui sont immobiles, mais qui ne produisent point le mouvement, soient éternelles, peu importe pour la théorie que nous exposons maintenant. Mais voici les arguments qui prouveront qu'il faut de toute nécessité qu'il existe quelque chose d'immobile, à l'abri de toute espèce de changement, soit absolue soit accidentelle, et qui ait la faculté de communiquer le mouvement à un autre et en dehors de lui. § 3. Il y a des choses, si l'on veut, qui peuvent indifféremment tantôt être et tantôt n'être pas, sans qu'il y ait ni naissance ni destruction ; car on voit sans peine que, si une chose sans parties tantôt est et tantôt n'est pas, il faut nécessairement que ce soit sans subir le moindre changement qu'une chose de ce genre doive tantôt être et tantôt n'être pas. On voit aussi que parmi les principes qui sont immobiles, quoique capables de mouvoir, il se peut qu'il y en ait quelques-uns qui tantôt soient et tantôt ne soient pas; supposition qu'on peut faire pour quelques-uns, mais qu'on ne peut faire pour tous. § 4. En effet, il est clair que pour les choses qui se meuvent elles- mêmes, il doit y avoir une cause qui fait que tantôt elles sont et que tantôt elles ne sont pas. Tout ce qui se meut soi-même doit nécessairement avoir une certaine grandeur, puisque une chose sans parties ne peut jamais être mue. Mais d'après ce que nous avons dit, il n'est pas du tout nécessaire que le moteur ait des parties. Si certaines choses se produisent et si d'autres périssent, et, cela perpétuellement, on ne peut pas chercher la cause de ce phénomène continuel dans des choses qui sont bien sans doute immobiles, mais qui ne sont pas cependant éternelles. On ne peut pas non plus la chercher davantage, dans des choses qui meuvent celles-là éternellement, mais qui sont mues à leur tour par d'autres. C'est qu'en effet les choses de ce genre, ni séparément ni toutes ensemble, ne peuvent jamais être causes de l'éternel et du continu. Qu'il en soit ainsi, c'est là un fait éternel et nécessaire, Mais toutes ces choses sont infinies en nombre, et elles n'existent pas toutes à la fois. Donc évidemment, en supposant aussi nombreux qu'on voudra les principes des choses qui sont immobiles, mais qui en meuvent d'autres; en supposant que beaucoup de ces choses qui se meuvent elles-mêmes périssent et renaissent, et que le moteur immobile meuve telle chose, qui à son tour en meut une autre, il n'en existe pas moins quelque chose qui enveloppe et comprend tout cela, qui est en outre de chacune de ces choses, qui est la cause de cette alternative d'existence et de destruction, de ce changement continuel, et qui communique le mouvement à certaines choses qui elles- mêmes le transmettent à d'autres. § 5. Puis donc que le mouvement est éternel, il faut aussi que le moteur primitif soit éternel comme lui, en supposant que ce moteur soit unique ; et s'il y en a plusieurs, il faut qu'ils soient également éternels. § 6. Or, on doit penser que l'unité du moteur vaut mieux que sa pluralité; et on doit les supposer finis plutôt qu'infinis, si l'on en admet plusieurs ; car toutes conditions restant égales, il vaut toujours mieux les supposer finis, puisque dans les choses de la nature, le fini et le meilleur, quand ils sont possibles, sont plus ordinairement que le contraire. Mais il suffit même d'un seul principe, primitif et éternel parmi les immobiles, pour produire le mouvement et en être la cause dans tout le reste des choses. § 7. Ce qui prouve encore clairement qu'il faut de toute nécessité que le premier moteur soit quelque chose d'un et d'éternel, c'est que, d'après ce qui a été démontré plus haut, il faut nécessairement que le mouvement soit éternel lui-même. Or, si le mouvement est éternel, il faut non moins nécessairement qu'il soit continu; car ce qui est éternellement est continu, tandis que le successif n'est pas continu. D'autre part si le mouvement est continu, il est un ; et j'entends par Un le mouvement où il n'y a qu'un seul moteur et qu'un seul mobile; car si le moteur meut une chose, puis une autre, dès lors le mouvement entier n'est plus continu ; mais il est successif. [8,8] CHAPITRE VIII. § 1. Les considérations qui précèdent suffiraient pour démontrer l'existence d'un primitif immobile ; mais l'on peut s'en convaincre encore en regardant aux principes suivant lesquels agissent les moteurs. § 2. Il est d'observation évidente que, parmi les choses, il en est quelques-unes qui sont tantôt en mouvement et tantôt en repos. L'observation démontre également que toutes les choses ne sont pas en mouvement sans exception, ni que toutes ne sont pas en repos, pas plus qu'elles ne sont ni toujours en repos ni toujours en mouvement ; car c'est là ce que prouvent bien les choses qui participent à l'un et à l'autre, et qui ont la faculté tantôt de se mouvoir et tantôt de rester dans l'inertie. § 3. Bien que ce soient là des faits incontestables pour tout le monde, nous nous proposons néanmoins d'expliquer la nature de ces deux sortes de phénomènes, et de prouver que parmi les choses les unes sont éternellement immobiles, et que les autres sont éternellement mues. En procédant à cette démonstration, et en posant les principes suivants à savoir : que tout mobile est mu par quelque chose, que ce quelque chose est ou immobile, ou mu à son tour, et s'il est mu, qu'il est toujours mu ou par lui-même spontanément ou mu par une autre cause, nous en sommes arrivés à établir qu'il y a un principe pour tout ce qui est mu ; que pour les mobiles, ce principe est le moteur qui se meut lui-même; et que pour toutes les choses de l'univers, c'est l'immobile. § 4. D'abord nous voyons avec pleine évidence qu'il existe certaines choses qui se meuvent elles-mêmes; et tels sont par exemple les êtres vivants et les animaux. C'est même cette propriété de certains êtres qui a donné à penser que le mouvement pourrait bien naître, sans du tout exister préalablement, parce qu'on voyait qu'il en était ainsi dans ces êtres, qui étant par fois immobiles se meuvent ensuite, du moins à ce qu'il semble, § 5. Il faut bien remarquer aussi que ces êtres ne se donnent à eux- mêmes qu'une seule espèce de mouvement, et qu'encore ils ne se la donnent pas positivement, puisque la cause n'en vient pas de l'animal même. De plus, il y a dans ces êtres d'autres mouvements qu'ils ne peuvent pas se donner, bien que ces mouvements soient fort naturels, l'accroissement, la destruction, la respiration, tous mouvements que possède chaque animal, même en étant en repos et sans recevoir le mouvement spécial qu'il a la faculté de pouvoir se donner à lui-même. La cause de ces mouvements différents, c'est le milieu où vit l'animal, et l'ingestion des éléments divers qui entrent en lui. C'est par exemple, pour certains phénomènes, la nourriture que prennent les animaux. Quand ils la digèrent, ils dorment; et quand elle est distribuée dans le corps, ils s'éveillent, et ils se mettent en mouvement, la cause première de ce mouvement leur étant étrangère. Voilà comment les animaux ne se meuvent pas continuellement eux-mêmes; car dans les êtres qui se meuvent eux-mêmes, le moteur doit être différent d'eux, bien qu'il puisse lui-même être mu et qu'il puisse changer. § 6. Dans tous ces cas, le moteur primitif, c'est-à-dire ce qui est à soi- même la cause du mouvement, se meut bien spontanément, mais c'est cependant d'une façon accidentelle. Le corps en effet change de place ; et c'est de cette manière que change aussi de lieu ce qui est dans le corps, et se meut lui-même par une action analogue à celle du levier. § 7. De ces faits, on peut tirer la conséquence, que si une chose est comprise parmi les immobiles qui sont moteurs, tout en étant eux-mêmes mus indirectement, elle ne peut jamais produire un mouvement qui soit continuel. Or, puisque nécessairement il faut que le mouvement soit continu, il doit y avoir aussi un certain moteur primitif qui soit immobile et qui ne meuve pas seulement par accident, s'il est bien vrai, ainsi que nous l'avons dit, qu'il doit y avoir dans les choses un mouvement indéfectible et immortel, et que l'être demeure ce qu'il est en lui-même et dans le même lieu ; car le point de départ, le principe restant ce qu'il est, il faut nécessairement que tout demeure aussi de même, rattaché d'une manière continue au principe. § 8. Il ne faut pas d'ailleurs confondre le mouvement accidentel que l'être se donne à lui-même et celui qu'il reçoit d'une autre cause; car le mouvement qui vient d'une cause étrangère peut se rencontrer aussi dans certains principes de choses qui sont dans le Ciel et peuvent avoir plusieurs espèces de translations, tandis que l'autre mouvement appartient exclusivement aux êtres périssables. [8,9] CHAPITRE IX. § 1. S'il existe bien en effet éternellement un principe qui soit, ainsi que nous le disons, moteur tout en étant immobile et éternel, il faut que le premier mobile qu'il met en mouvement soit éternel ainsi que lui. § 2. Ce qui le prouve, c'est que la naissance, la destruction et le changement ne peuvent pas se trouver autrement dans les choses qu'à cette seule condition, à savoir qu'un certain mobile communiquera le mouvement reçu par lui. En effet, l'immobile donnera toujours le même mouvement, de la même manière et un mouvement unique, puisqu'il ne change jamais dans son rapport avec le mobile qu'il meut. Mais le mobile, au contraire, mu par l'immobile ou par un mobile qui a déjà reçu le mouvement, se trouvant dans des rapports constamment divers avec les choses, pourra ne plus être cause d'un mouvement identique. Comme il est dans des lieux contraires ou qu'il revêt des formes contraires, ce sera d'une façon contraire aussi qu'il communiquera le mouvement à chacun des autres mobiles, selon qu'il sera lui-même tantôt en repos, et tantôt en mouvement. § 3. Ce que nous venons de dire doit résoudre la question que nous nous étions posée au début : Pourquoi tout n'est-il pas ou en mouvement, ou en repos? Pourquoi certaines choses sont-elles dans un mouvement éternel ? Pourquoi d'autres sont-elles dans un éternel repos? Pourquoi y a-t-il des choses qui tantôt sont en mouvement, et tantôt n'y sont pas? La cause en est maintenant évidente : c'est que les unes sont mues par un immobile éternel, et alors elles changent éternellement, tandis que les autres n'étant mues que par un mobile qui change lui-même, doivent nécessairement changer aussi. Quant à l'immobile qui, ainsi que nous l'avons déjà dit, persiste d'une manière absolue, identique et toujours la même, il ne peut donner qu'un seul et absolu mouvement. [8,10] CHAPITRE X. § 1. Il est possible de rendre tout ceci encore plus clair en prenant un autre point de départ, c'est-à-dire en recherchant s'il peut ou non y avoir un mouvement continu; et, si ce mouvement peut exister, en recherchant ce qu'il est, et quel est le premier de tous les mouvements. Il est évident, puisque le mouvement éternel est nécessaire, que le moteur premier produit cette espèce de mouvement qui doit être de toute nécessité un, le même, continu et premier. § 2. Parmi les trois espèces de mouvement qui se rapportent, celle-ci à la grandeur, celle-là à la qualité et l'autre à l'espace, le mouvement dans l'espace que nous appelons la translation, doit être nécessairement le premier mouvement. En effet, l'accroissement ne peut avoir lieu si l'on ne suppose une altération préalable. Ce qui est accru s'accroit en partie par le semblable, et en partie par le dissemblable. Le contraire, comme on dit, est l'aliment du contraire; et tout s'adjoint et s'agglomère en devenant semblable au semblable. Par conséquent, l'altération peut être appelée le changement dans les contraires. Mais si la chose est altérée, il faut un altérant qui fasse, par exemple, d'une chose qui n'est chaude qu'en puissance, une chose qui est chaude en acte et en réalité. Donc évidemment, le moteur n'est pas toujours ici au même état; mais il est tantôt plus près et tantôt plus loin de la chose altérée. Or, tout ceci est impossible sans un déplacement, une translation. Si donc le mouvement est toujours nécessaire, il faut aussi que la translation soit toujours le premier des mouvements; et, si dans la translation même on en distingue d'antérieures et de postérieures, c'est la première de toutes les translations qui est le premier mouvement. § 3. D'un autre côté, le principe de toutes les affections des choses c'est la condensation et la raréfaction. La pesanteur et la légèreté, le dur et le mou, la chaleur et le froid ne sont, à ce qu'il semble, que des modifications qui condensent ou qui raréfient les corps d'une certaine manière. La condensation et la raréfaction ne sont au fond que la réunion et la division des éléments, d'après lesquelles on dénomme la génération ou la destruction des substances. Mais, pour se réunir tout aussi bien que pour se diviser, il faut également changer de lieu; de même encore que pour s'accroître et pour dépérir, il faut également aussi que la grandeur change de lieu dans l'espace. § 4. Voici encore une autre manière de se convaincre que la translation est le premier des mouvements. Le mot de Premier peut, quand il s'agit du mouvement aussi bien que pour tout le reste, recevoir plusieurs acceptions. On entend par premier et antérieur ce dont l'existence est indispensable à l'existence des autres choses, et qui, lui, peut lui-même exister sans elles. Or cette antériorité peut concerner et le temps et la substance. § 5. Comme il y a nécessité que le mouvement existe continument, c'est ou le mouvement continu qui existera contingentent, ou c'est le mouvement successif; mais c'est bien plutôt le mouvement continu; car le continu est préférable au successif ; et l'on doit supposer que le mieux existe toujours dans la nature du moment qu'il est possible. Quant à la possibilité d'un mouvement continu, nous la démontrerons plus loin, et en attendant nous la supposons. Mais il n'est pas possible qu'un autre mouvement que la translation soit continu ; et, par conséquent, il est nécessaire que la translation soit le premier mouvement. En effet, il n'y a aucune nécessité que le corps transporté s'accroisse ou s'altère; il n'y a aucune nécessité qu'il naisse ou qu'il périsse, tandis qu'aucun de ces mouvements n'est possible sans ce mouvement continu que peut seul produire le premier moteur. § 6. On doit ajouter que la translation est chronologiquement le premier mouvement; car les choses éternelles ne peuvent pas en avoir d'autre. § 7. Au contraire, dans toutes les choses qui sont soumises à la génération, c'est la translation qui est nécessairement la dernier des mouvements; car, après que les êtres sont nés, le premier mouvement pour eux c'est l'altération et la croissance, tandis que la translation ne peut être le mouvement que des êtres qui sont déjà complets et parachevés. § 8. Mais il faut nécessairement qu'il y ait aussi quelque autre chose qui soit antérieurement mue par translation, une chose qui, sans être produite elle-même, soit cause de la production pour les choses qui sont produites : comme, par exemple, l'être qui engendre est cause de l'être qui est engendré. On pourrait croire, il est vrai, que la génération est le premier des mouvements, parce qu'il faut tout d'abord que la chose commence par naître; et de fait il en est bien ainsi pour une quelconque des choses qui naissent et se produisent, Mais nécessairement il y a quelque autre chose en mouvement avant les choses qui se produisent, quelque chose qui existe déjà lui-même, et qui lui-même n'est pas produit. Puis il faut encore une autre chose antérieure à celle-là. § 9. Mais la génération ne pouvant être le premier mouvement, puisqu'alors tout ce qui est en mouvement serait périssable, il est clair qu'aucun des mouvements postérieurs à la génération ne peut être antérieur à la translation, J'entends par mouvements postérieurs l'accroissement et l'altération, la décroissance et la destruction, tous mouvements qui ne peuvent venir qu'après la naissance et la génération. Donc, si la génération n'est pas antérieure à la translation, aucun des autres changements ne le sera davantage. § 10. En général, ce qui devient et se produit semble toujours incomplet, et semble toujours tendre à son principe. Par conséquent aussi, ce qui est postérieur par génération paraît antérieur par nature; et c'est la translation qui est la dernière pour toutes les choses soumises à la génération. § 11. Aussi dans les êtres vivants, en voit-on qui sont absolument immobiles par défaut d'organes, les plantes, par exemple, et bon nombre d'animaux. D'autres plus parfaits ont le mouvement de translation. De telle sorte que, si la translation appartient plus particulièrement aux êtres qui ont une nature plus complète, cette espèce même de mouvement est donc par essence le premier de tous les mouvements. § 12. Voilà bien ce qui en fait le premier des mouvements. Mais elle l'est encore par cette raison que dans le mouvement de translation le mobile sort moins de sa substance que dans tout autre espèce de mouvement. Il n'y a que ce mouvement où il ne change rien de son être, de même qu'il change sa qualité dans l'altération, et sa quantité dans la croissance et le décroissement. § 13. Mais voici une nouvelle preuve plus forte que toutes les autres : c'est que le moteur qui se meut lui-même se donne d'une manière tout à fait spéciale ce mouvement de translation. Aussi disons-nous que c'est ce qui se meut soi-même qui est le principe et la cause première du mouvement, pour tous les mobiles et les moteurs, quels qu'ils soient. Donc, en résumé, il est évident d'après tout ceci que la translation est le premier des mouvements. [8,11] CHAPITRE XI. § 1. Maintenant, il faut expliquer la nature de cette translation première ; et la même étude nous conduira à démontrer évidemment la vérité du principe que nous supposons ici, comme nous l'avons déjà supposé antérieurement, à savoir qu'il peut y avoir un mouvement continu et éternel. § 2. Voici d'abord ce qui prouvera qu'aucun mouvement autre que la translation ne peut être continu. En effet, tous les mouvements et tous les changements sans exception ont lieu des opposés aux opposés. Par exemple, l'être et le non-être sont les limites de la génération et de la destruction; pour l'altération, les limites sont les affections contraires des choses; pour l'accroissement et la décroissance, c'est la grandeur ou la petitesse; c'est encore l'achèvement ou l'inachèvement d'une grandeur déterminée. Les mouvements contraires sont ceux qui aboutissent aux contraires. Or ce qui n'a pas éternellement tel ou tel mouvement, s'il existait antérieurement, a dû de toute nécessité être antérieurement dans le repos. Donc, évidemment, ce qui change aura un instant de repos dans le contraire. § 3. Il en est de même pour les autres espèces de changements. Ainsi, la destruction et la génération sont opposées l'une à l'autre, d'une manière générale, si on les considère d'une manière générale; et chaque destruction en particulier est opposée à chaque génération particulière. Par conséquent, s'il est impossible qu'un même objet subisse à la fois des changements opposés, il n'y aura pas de changement continu; mais il y aura un temps de repos dans l'intervalle de ces changements divers. § 4. Peu importe d'ailleurs que les changements qui sont compris sous la contradiction de l'être et du non-être, soient ou ne soient pas réellement contraires, pourvu qu'ils ne puissent pas s'appliquer à la fois au même objet; car ce n'est d'aucune utilité pour notre démonstration. § 5. Peu importe même qu'il n'y ait pas nécessité absolue d'un repos dans la contradiction, et qu'il n'y ait pas non plus de changement contraire au repos; car le non-être n'est peut-être pas en repos, et la destruction qui tend au non-être n'y est pas davantage. Mais il suffit ici qu'il y ait du temps dans l'intervalle, pour que dès lors le mouvement ne soit plus continu. En effet, la contrariété n'est pas utile à supposer dans les choses antérieures, et il suffit que les deux états ne puissent pas appartenir à la fois à un même objet. § 6. Mais il ne faut pas s'inquiéter de nous voir admettre qu'une même chose peut être à elle seule contraire à plusieurs, comme le mouvement, par exemple, est à la fois contraire et à l'inertie et au mouvement en sens contraire, Mais il suffit de comprendre que le mouvement contraire est opposé d'une certaine façon et au mouvement et au repos, tout de même que l'égal et le moyen sont opposés tout à la fois et à ce qui surpasse et à ce qui est surpassé, et que les mouvements ou les changements opposés ne peuvent coexister dans un même être simultanément. § 7. Il faut ajouter pour la génération et la destruction, qu'il serait tout à fait absurde de supposer que nécessairement l'être périt aussitôt après qu'il est né, sans subsister la moindre parcelle de temps. Donc, tout ceci peut expliquer tout aussi bien les changements qui sont différents de la génération ; car il est dans les lois de la nature qu'il en soit de même pour toutes les espèces de changements. [8,12] CHAPITRE XII. § 1. Expliquons maintenant comment il peut y avoir un mouvement d'une certaine espèce, infini, unique et continu; et prouvons que ce mouvement est le mouvement circulaire. § 2. Tout corps animé d'un mouvement de translation se meut, ou circulairement, ou en ligne droite, ou d'une façon mixte composée de l'un et de l'autre. § 3. Or, par une conséquence évidente, si l'un de ces deux premiers mouvements n'est pas continu, il est également impossible que le mouvement formé des deux le soit davantage. § 4. Il est clair d'abord que le corps qui se meut en ligne droite et dans une ligne finie; ne peut avoir un mouvement continu; car il revient sur lui- même ; et en revenant en ligne droite, il a les mouvements contraires. Ainsi, dans l'espace, le mouvement en haut est contraire au mouvement en bas; le mouvement en avant est contraire au mouvement en arrière; et le mouvement à droite est contraire au mouvement à gauche ; car ce sont là les oppositions du lieu et de l'espace que nous avons distinguées. Nous avons aussi établi antérieurement les conditions d'un mouvement un et continu, et nous avons dit que c'est le mouvement d'une seule chose dans un seul temps, et dans une chose qui n'a pas de différence spécifique. En effet, il y a trois termes à considérer, d'abord le mobile, l'homme ou Dieu; puis le moment où le mouvement se passe, c'est-à- dire le temps; puis ce dans quoi il se passe, c'est-à-dire le lieu, l'affection, l'espèce ou la grandeur. Mais les contraires diffèrent en espèce et ne sont pas un ; et les différences du lieu sont celles qu'on vient d'énumérer. § 5. Ce qui prouve bien que le mouvement de A en B est contraire au mouvement de B en A, c'est que ces deux mouvements s'arrêtent et s'empêchent mutuellement quand ils sont simultanés. Il en est de même pour le cercle. Ainsi, le mouvement de A en B est contraire au mouvement de A en C. Ils s'arrêtent réciproquement, bien qu'ils soient continus et qu'il n'y ait pas de retour, parce que les contraires se détruisent et s'empêchent mutuellement. Mais le mouvement oblique n'est pas le contraire du mouvement en haut. § 6. D'ailleurs, ce qui démontre surtout que le mouvement en ligne droite ne peut être continu, c'est que le corps qui revient sur lui-même doit nécessairement s'arrêter un instant, non-seulement sur la ligne droite, mais encore sur le cercle où son mouvement se fait. § 7. Car ce n'est pas la même chose d'avoir un mouvement circulaire et d'avoir un mouvement sur le cercle, puisqu'il se peut que le corps continue son mouvement, ou que rétrogradant au point d'où il était parti, il revienne de nouveau sur ses pas. § 8. Mais qu'il y ait nécessité absolue que le mouvement s'arrête ici un instant, c'est ce dont on peut se convaincre non pas seulement par l'observation sensible, mais encore par la raison seule. § 9. Voici notre principe : Trois choses étant à considérer, le point de départ, le milieu et la fin, le milieu, par rapport à chacun des deux autres termes, est les deux à la fois ; numériquement il est un; mais rationnellement il est deux. § 10. De plus, il faut ici distinguer toujours entre la puissance et l'acte , de telle sorte qu'un point quelconque de la droite pris entre les extrémités est le milieu en puissance , mais il ne l'est pas en fait , à moins qu'il ne divise cette droite, et qu'après un temps d'arrêt, le mouvement ne recommence; car c'est de cette façon seulement que le milieu devient tout ensemble commencement et fin, commencement du mouvement qui suit, fin du mouvement qui précède. § 11. Je donne un exemple. Soit A qui se déplace, s'arrêtant à B, et étant mu ensuite en C. Tant qu'il est dans un mouvement continu, A ne peut ni être allé au point B ni s'en être éloigné ; mais il ne peut y être qu'un instant, c'est-à-dire sans aucun temps appréciable; il n'y est que dans le temps total ABC, dont cet instant est une division. § 12. Que si l'on suppose que A s'approche et s'éloigne de B, alors il faudra toujours que A s'arrête dans son déplacement; car il est bien impossible que A s'approche et s'éloigne en même temps de B. Or ce sera nécessairement dans un point différent du temps. Il y aura donc du temps; et ce sera le temps intermédiaire entre deux mouvements. A, par conséquent , s'arrêtera en B. De même pour les autres points; car le même raisonnement s'applique à tous. § 13. Mais lorsque A dans son mouvement emploie le milieu B comme fin et comme commencement, alors il faut bien qu'il s'y arrête, puisqu'il en fait deux, absolument comme la pensée pourrait aussi le faire. § 14. Cependant le corps s'est éloigné du point A, qui est le commencement ; et il est arrivé à C, quand il finit son mouvement et qu'il s'arrête. § 15. Voici ce qu'on peut répondre à un doute, puisqu'en effet on en élève un, qui consiste dans l'argument suivant: Si E est égal à F, et si A se meut d'un mouvement continu de l'extrémité vers C, A est alors au point B en même temps que D se meut de l'extrémité F vers G, d'un mouvement uniforme, et avec la même vitesse que A. D arrivera à G avant que A n'arrive à C; car, nécessairement, ce qui s'est mis le premier en mouvement et est parti auparavant, doit aussi arriver auparavant. § 16. Ce n'est donc pas en même temps que A est arrivé à B et qu'il s'est éloigné de B. Aussi arrive-t-il plus tard; car si c'était en même temps, il ne retarderait pas; mais il faut nécessairement qu'il y ait eu un certain temps d'arrêt. § 17. Donc, il ne faut pas admettre que, quand A parvenait en B, D s'éloignait en même temps de l'extrémité F; car si A arrive en B, il faudra aussi qu'il s'en éloigne; et ce ne pourra pas être en même temps, mais c'était dans une section du temps, et non pas dans le temps lui-même. Or, il est impossible d'appliquer au continu ce qu'on vient de dire. § 18. Quant au mouvement qui revient sur lui-même, c'est là au contraire ce qu'il faut en dire nécessairement ; car si FG avait un mouvement en D, et que, revenant sur lui-même, il fût porté en bas, alors il emploie l'extrémité D comme fin et comme commencement, c'est-à-dire que d'un seul point il en fait deux. Donc, nécessairement il s'arrête et ce n'est pas en un même temps qu'il peut arriver à D et s'éloigner de D ; car alors il serait, et tout ensemble il ne serait point, dans le même instant. § 19. Mais on ne peut pas admettre ici la solution que nous donnions tout à l'heure ; car on ne peut pas dire que FG soit en section à D, ni qu'il y soit arrivé, et qu'ensuite il s'en éloigne. C'est qu'étant en acte et non plus en simple puissance, il doit atteindre nécessairement la fin. Or, ce qui est au milieu n'est qu'en puissance, tandis que G est en acte. C'est la fin quand le mouvement part d'en bas ; c'est le commencement quand le mouvement part d'en haut ; et il en est de même aussi pour les mouvements, § 20. Donc, nécessairement le corps qui revient en ligne droite sur ses pas doit s'arrêter ; donc aussi, sur la ligne droite, il est impossible qu'il y ait un mouvement continu éternel. § 21. Cette même réponse peut être opposée à ceux qui admettent l'objection de Zénon, contre le mouvement, et qui prétendent, que, si l'on doit, toujours atteindre et passer le milieu, les milieux sont infinis en nombre, et que l'infini ne peut pas être parcouru. § 22. Ou bien selon la forme différente que l'on donne encore à cette même objection, on prétend qu'en même temps que le mouvement parcourt la première moitié de l'étendue, il doit être possible de compter chaque milieu qui se produit successivement, et que par conséquent, quand on a parcouru la ligne entière on a réellement compté aussi un nombre infini. Or, tout le monde accorde que c'est là quelque chose de tout à fait impossible. § 23. Dans nos premières recherches sur le mouvement, nous avons résolu cette objection, en disant que le temps renferme en lui des infinis ; et il n'est pas absurde de soutenir que dans un temps infini on peut parcourir l'infini; et l'infini se retrouve également, soit dans la grandeur, soit dans le temps. § 24. Cette réponse est très suffisante contre celui qui argumente ainsi ; car la question était de savoir si dans un temps fini on peut parcourir ou sombrer l'infini. Mais pour la chose elle même et pour la vérité, cette réponse n'est pas satisfaisante. En effet, lorsque laissant de côté la longueur et cette question de savoir si dans un temps fini on peut parcourir l'infini, on pose ces questions relativement au temps lui-même, car le temps peut avoir des divisions infinies, alors cette solution ne peut plus suffire. § 25. Mais il faut répéter ici la vérité que nous venons d'énoncer tout à l'heure. Quand on divise une ligne continue en deux moitiés, il y a un point qui compte pour deux et qui est employé à la fois comme commencement et comme fin. Or, c'est là ce que l'on fait, soit que l'on compte numériquement, soit qu'on divise la ligne en moitiés. Mais par cette division, la ligne cesse d'être continue, aussi bien que le mouvement ; car il n'y a de mouvement continu que pour le continu. Or, dans le continu, il y a bien des moitiés en nombre infini si l'on veut; mais ce n'est pas en réalité; ce n'est qu'en puissance. Que si l'on veut les rendre réelles et les faire passer en acte, on ne produit plus un mouvement continu; on s'arrête. Il est clair que c'est là précisément aussi ce qui arrive quand on compte les moitiés ; car il faut alors nécessairement que sur la ligne on compte un seul point pour deux, puisque ce point est la fin d'une des moitiés et le commencement de l'autre, du moment que l'on compte non plus une ligne continue, mais lieux demi-lignes. § 26. Ainsi quand quelqu'un demande si l'on peut parcourir l'infini soit en temps, soit en longueur, on doit répondre qu'en un sens c'est possible, et qu'en un autre sens, ce ne l'est pas. Si l'on parle de choses en acte, en réalité, c'est impossible ; mais cela se peut fort bien s'il ne s'agit que de choses en puissance. En ayant en effet un mouvement continu, on parcourt accidentellement l'infini ; mais on ne le parcourt pas d'une manière absolue ; car, indirectement, la ligne peut bien avoir des moitiés en nombre infini; mais son essence et son être sont tout à fait différents. § 27. Mais il est évident que, si l'on n'admet pas que le point qui divise le temps en antérieur et postérieur, appartient toujours au temps postérieur, alors on arrive à cette conséquence absurde, qu'une même chose est à la fois et n'est pas, et que quand elle sera devenue, elle ne sera pas devenue. Ainsi le point, tout en restant le même et numériquement un, sera commun aux deux, le postérieur et l'antérieur ; mais rationnellement, il n'est pas identique, puisqu'il est la fin de l'un et le commencement de l'autre; et au fond, il appartient toujours à la dernière affection. § 28. Soit le temps représenté par ABC ; la chose dont il s'agit est représentée par D. Dans le temps A, cette chose est blanche ; mais dans le temps B, elle n'est pas blanche. Par conséquent, dans le temps C, elle est à la fois blanche et pas blanche. Pour un point quelconque de A, il est donc vrai de dire qu'elle était blanche, puisqu'elle l'était durant ce temps tout entier, et qu'en B, elle n'était plus blanche ; mais C est dans les deux. Il ne faut donc pas dire que la chose est blanche dans le temps A tout entier; mais il faut en excepter le dernier instant représenté par C ; et c'est là précisément le postérieur. § 29. Si la chose devenait non-blanche, et si elle périssait blanche dans A tout entier, c'est alors en C qu'elle est devenue ou qu'elle a péri. Par conséquent, c'est bien en C qu'il est primitivement vrai de dire qu'elle est blanche ou qu'elle ne l'est pas. Ou autrement, quoique la chose soit devenue, elle ne sera pas; et quand elle aura péri, elle sera encore. En d'autres termes, elle sera nécessairement, tout à la fois blanche et non- blanche ; elle sera, et tout à la fois elle ne sera pas. § 30. Mais si ce qui d'abord était du non-être devient nécessairement de l'être ; et si quand il devient, il n'est pas encore, il s'ensuit qu'il est impossible de diviser le temps en temps indivisibles. En effet, si dans le temps A, D est devenu blanc, il l'est devenu aussi, et l'est à la fois dans un autre temps indivisible, B, qui est la suite de A. S'il l'est devenu dans A, c'est qu'il ne l'était pas auparavant, et il l'est dans B. Il faut donc qu'il y ait une certaine génération intermédiaire; et par conséquent, il y a eu un temps dans lequel le phénomène s'est produit et est devenu. § 31. Car cette même démonstration ne peut être admise par ceux qui nient que le temps soit indivisible. Mais on répond que la chose est devenue et qu'elle est ce qu'elle est, dans le point extrême du temps pendant lequel elle se produisait. Or, rien ne tient à ce point ni ne le suit ; et cependant si les temps sont indivisibles, ils doivent se suivre. § 32. Ainsi il est clair que, si la chose est devenue dans le temps entier A, le temps dans lequel elle est devenue et a été, n'est pas plus considérable que le temps tout entier dans lequel elle est d'abord devenue seulement. § 33. Tels sont à peu près les raisonnements principaux sur lesquels on peut appuyer plus spécialement cette théorie ; mais à ne discuter les choses que logiquement, on peut arriver encore à la même conséquence par les arguments qui suivent. § 34. Tout ce qui se meut d'une manière continue, si aucun obstacle ne le gène, était antérieurement porté vers le point même auquel il est arrivé dans sa translation. Par exemple, si le corps est arrivé à B, c'est qu'il était porté aussi vers B ; et ce n'est pas seulement quand il s'en est rapproché, mais c'est au début même de son mouvement. Car pourquoi y serait-il porté maintenant plus qu'auparavant? De même aussi pour tous les autres cas. Mais le mobile qui va de A en C reviendra dans son mouvement continu de nouveau en A. Lors donc que de A il allait en C, il avait à ce moment même pour aller en A le mouvement venu de C. Par conséquent, il avait à la fois les mouvements contraires; car les mouvements en ligne droite sont contraires. § 35. Mais en même temps c'est supposer que l'objet change et sort d'un état où il n'est pas ; et si c'est là une chose impossible, il faut nécessairement qu'il y ait un arrêt en C. Donc le mouvement n'est pas un, puisque le mouvement interrompu par un repos n'est pas unique. § 36. Mais voici ce qui jette encore un nouveau jour sur cette théorie en s'appliquant plus généralement à toute espèce de mouvement. En effet si tout ce qui est en mouvement ne peut avoir qu'un des mouvements dont nous avons parlé, il ne se repose non plus que dans les repos opposés à ces mouvements; car il n'y en a pas d'autres que ceux qu'on a indiqués. Mais le mobile qui n'a pas toujours eu le mouvement qui l'anime, et j'entends des mouvements différents en espèce, et non point une partie quelconque d'un mouvement total, doit nécessairement s'être d'abord reposé dans le repos opposé au mouvement qu'il a, puisque le repos est la privation du mouvement. § 37. Si donc les mouvements contraires sont ici ceux qui ont lieu en ligne droite, et s'il est impossible que le même corps ait les mouvements contraires simultanément, le mobile qui va de A en C, ne peut aller en même temps de C en A. Mais comme ce mouvement n'est pas simultané, et que cependant le mobile l'éprouve, il faut bien qu'il se soit antérieurement arrêté en C ; car c'était ce repos qui était opposé au mouvement parti de C. Donc il est évident, d'après ce qu'on vient de dire, que ce mouvement n'est pas continu. § 38. Voici encore un nouvel argument qui paraît encore plus direct qu'aucun de ceux qui précèdent. C'est en un même temps que ce qui n'est pas blanc a péri et qu'il est devenu blanc ; or, si l'altération qui mène au blanc est continue, ainsi que celle qui part du blanc, et si elle ne subsiste pas un certain laps de temps quelconque, c'est, en même temps qu'a péri le non-blanc, que l'objet est devenu blanc et qu'il est devenu non-blanc; car le temps sera un seul et même temps pour les trois états. § 39. De plus parce que le temps est continu, il ne s'ensuit pas que le mouvement le soit aussi, et il n'en est pas moins successif. § 40. Mais comment l'extrémité pourrait-elle être la même pour les contraires, par exemple pour le blanc et le noir ? § 41. Quant au mouvement qui se fait en ligne circulaire, celui-là peut être un et continu ; car là il n'y a plus d'impossibilité. Le mobile parti de A. reviendra tout ensemble en A par la même impulsion ; car il se meut vers le point où il devra arriver. Mais pour cela, il n'aura pas en même temps les mouvements contraires, ni même les mouvements opposés ; car tout mouvement partant d'un point n'est pas contraire ni opposé à un mouvement revenant à ce point. Il n'y a que le mouvement en ligne droite qui soit contraire, puisque la ligne droite peut avoir des contraires dans l'espace et le lieu. Tel est par exemple le mouvement selon le diamètre; car c'est le plus éloigné, et le mouvement opposé est celui qui se passe sur la même largeur. Par conséquent, rien n'empêche que le mouvement circulaire ne soit continu, sans aucune interruption dans un intervalle quelconque de temps. § 42. En effet le mouvement circulaire est celui qui part de soi pour revenir à soi-même, tandis que le mouvement direct part de soi pour aller à un autre. § 43. Le mouvement en cercle n'est jamais dans les mêmes points, tandis que le mouvement en ligne droite y est aussi souvent qu'on veut. Ainsi le mouvement qui est toujours dans un autre point, puis dans un autre, peut fort bien être continu, tandis que celui qui revient plusieurs fois dans les mêmes points ne peut pas l'être; car il faudrait nécessairement que le corps eût en même temps des mouvements opposés. § 44. Par conséquent, il ne peut y avoir non plus de mouvement continu, ni dans le demi-cercle, ni dans toute autre partie de la circonférence; car il faudrait alors que les mobiles subissent plusieurs fois les mêmes mouvements et qu'ils éprouvassent les changements contraires, puisque l'extrémité ne s'y rattache pas au point de départ. Mais dans le mouvement circulaire, elle s'y rattache ; et ce mouvement est le seul qui soit parfait. § 45. La division que nous venons de faire prouve encore que les autres espèces de mouvements ne peuvent pas davantage être continues, puisque dans toutes le même mouvement se répète à plusieurs reprises. Ainsi il passe dans l'altération par les qualités intermédiaires; dans le mouvement de quantité, par les grandeurs moyennes ; et de même dans la génération et la destruction. Peu importe en effet que les choses où a lieu le changement soient en petit nombre ou en grand nombre; peu importe également qu'on ajoute ou qu'on retranche quelque chose d'intermédiaire ; de quelque manière qu'on s'y prenne, il faut que le mouvement se répète plusieurs fois dans les mêmes points. § 46. On voit donc bien d'après tout ceci que les Naturalistes n'ont pas raison de soutenir que toutes les choses sensibles sont dans un mouvement perpétuel, attendu que selon eux elles doivent toujours nécessairement avoir un des mouvements divers dont nous avons parlé. A les en croire, ce serait surtout le mouvement d'altération ; car ils prétendent que les choses sont dans un écoulement et dans un dépérissement incessants ; et ils rangent en outre dans l'altération la génération et la destruction des choses. Mais la théorie que nous venons d'exposer a dû prouver qu'il n'y a aucun mouvement continu de possible, si ce n'est le mouvement circulaire; et par suite le mouvement continu n'est possible ni dans l'altération ni dans l'accroissement. § 47. Voilà ce que nous avions à dire pour démontrer qu'il n'y a pas de changement qui soit infini ou qui soit continu, si ce n'est la translation circulaire. [8,13] CHAPITRE XIII. § 1. Il est clair que parmi les translations, c'est la translation circulaire qui est la première. § 2. Toute translation, ainsi que nous l'avons dit un peu plus haut, est ou circulaire, ou en ligne droite, ou mixte, c'est à dire composée de l'une et de l'autre. § 3. Or, il faut nécessairement que la translation circulaire et la translation directe soient antérieures à la troisième, qui n'est formée que des deux premières. § 4. Mais la translation circulaire est antérieure à la translation en ligne droite; car elle est plus qu'elle simple et complète. En effet il est bien impossible que la droite selon laquelle se passerait le mouvement soit infinie, parce qu'il n'y a point d'infini de ce genre. Et s'il y en avait, le mouvement n'y pourrait avoir lieu pour quoi que ce soit; car l'impossible ne se produit jamais, et il est impossible de parcourir une ligne infinie. Quant au mouvement sur une droite finie, si le mouvement y revient sur lui-même, il est composé ; et dès lors il y a en réalité deux mouvements; ou si le mouvement ne revient pas sur lui-même, il est incomplet, et il s'éteint. Mais le complet est antérieur à l'incomplet, en nature, en raison et aussi en temps, de même que l'impérissable est également antérieur au périssable. § 5. On doit ajouter que le mouvement qui peut être éternel, est antérieur à celui qui ne le peut pas. Or, la translation circulaire peut être éternelle ; mais parmi les autres mouvements, il n'y en a pas un, translation ou tout autre, qui jouisse de cette propriété ; car il y faut toujours nécessairement un repos; et du moment qu'il y a repos, le mouvement a péri. [8,14] CHAPITRE XIV. § 1. On comprend du reste très bien que la translation circulaire soit une et continue, tandis que la translation en ligne droite ne peut pas l'être. Dans le mouvement direct, le point de départ, le milieu, et la fin où il s'arrête, tout est déterminé ; et cette ligne a tout cela en elle-même. Ainsi il y a un point où le mobile commencera à se mouvoir, et un point où il achèvera et finira son mouvement. En effet, tout mobile est en repos aux deux extrémités, ou à celle d'où il part, ou à celle où il arrive. Mais tous ces éléments sont indéfinis dans le mouvement circulaire ; car où trouver une limite quelconque ici plutôt que là dans les points d'une circonférence? Tous sans exception peuvent être tout aussi bien soit le commencement, soit le milieu, soit la fin. Toujours il y en a qui sont au commencement et à la fin, en même temps que jamais ils n'y sont. On peut donc dire que la sphère se meut tout à la fois et est en repos, parce qu'elle occupe toujours le même lieu. § 2. Ce qui fait que toutes ces propriétés appartiennent au cercle, c'est qu'elles appartiennent d'abord au centre. Le centre en effet est le commencement, et le milieu de la grandeur comme il en est la fin; et comme le centre est en dehors de la circonférence, il n'y a pas de point où le mobile mis en mouvement puisse s'arrêter après avoir épuisé son mouvement ; car il est porté sans cesse vers le milieu, et non point vers l'extrémité. Voilà comment le cercle entier est en quelque sorte toujours immobile et en repos, et comment cependant il est dans un mouvement continu. § 3. Mais il y a ici réciprocité ; et c'est parce que le mouvement circulaire est la mesure de tous les autres qu'il doit être nécessairement le premier de tous ; car toutes choses se mesurent au primitif ; et c'est parce que ce mouvement est le premier qu'il sert de mesure à tous les autres mouvements. § 4. Il n'y a en outre que le mouvement circulaire qui puisse être uniforme ; car les mouvements en ligne droite n'ont pas lieu uniformément au commencement et à la fin ; et tout mobile sans exception est mu d'autant plus vivement qu'il s'éloigne davantage du point d'inertie. Mais le mouvement circulaire est le seul qui ait au dehors et non en lui-même son origine et sa fin. § 5. D'ailleurs tous les philosophes qui se sont occupés de l'étude du mouvement et qui en ont traité, admettent et témoignent unanimement que la translation dans l'espace est le premier des mouvements. Tous ils font remonter les principes du mouvement aux seuls moteurs qui produisent cette sorte de mouvement particulier. Ainsi, la division et la combinaison ne sont l'une et l'autre que des mouvements dans l'espace. Or, c'est ainsi que l'Amour et la Discorde font mouvoir les choses ; car l'une divise et l'autre réunit et combine. C'est encore ainsi qu'Anaxagore prétend que l'Intelligence, premier moteur de tout l'univers, divise et ordonne les choses. C'est même encore là le sentiment des philosophes qui ne reconnaissent point de cause de ce genre, et qui ne voient le principe du mouvement que dans le vide; car eux aussi ils disent que le mouvement de la nature est le mouvement dans l'espace, puisque le mouvement dans le vide est une translation; et il s'y accomplit comme dans le lieu. Tous ces philosophes pensent qu'aucun mouvement autre que celui-là ne peut appartenir aux éléments primitifs, et que les autres mouvements s'appliquent seulement aux composés que forment ces éléments premiers. Selon eux, l'accroissement, le dépérissement et l'altération ne sont que des combinaisons ou des divisions des corps indivisibles, des atomes. C'est encore le raisonnement de ceux qui expliquent la production et la destruction des choses par la condensation et par la raréfaction; car c'est toujours supposer que ces phénomènes ont lieu par combinaison et par division. C'est même là enfin l'opinion de ces autres philosophes qui font de l'âme la cause du mouvement, puisque, dans leur système, c'est ce qui se meut soi-même qui met en mouvement tout le reste; et que l'animal ou tout être qui a une âme, se donne à lui-même le mouvement dans l'espace ou la locomotion. § 6. J'ajoute qu'à proprement parler on ne dit réellement d'une chose qu'elle a du mouvement que quand elle se meut dans l'espace. Si elle demeure en repos dans le même lieu, elle a beau s'accroître ou dépérir ou s'altérer, on dit alors qu'elle se meut d'une certaine façon; mais on ne dit pas d'une manière absolue qu'elle se meuve. § 7. Ainsi donc on a démontré que le mouvement a toujours existé, et qu'il existera dans toute la durée du temps; on a dit quel est le principe du mouvement éternel et quel est le premier des mouvements; on a dit encore quel est le mouvement qui seul peut avoir lieu éternellement; et enfin on a établi que le premier moteur est immobile. [8,15] CHAPITRE XV. § 1. Il nous reste maintenant à prouver que ce moteur immobile doit nécessairement n'avoir ni parties ni grandeur quelconque; mais d'abord nous expliquerons quelques principes antérieurs à celui-là. § 2. Un de ces principes, c'est qu'il est impossible qu'une force finie puisse jamais produire le mouvement durant un temps infini. § 3. Il y a ici trois termes : le mobile, le moteur, et le troisième ce dans quoi le mouvement a lieu, c'est-à-dire le temps. De ces trois termes, ou tous sont infinis, ou tous sont finis, ou quelques-uns sont finis, deux ou un si l'on veut. § 4. Soit A le moteur; soit B le mobile; et le temps infini C. Supposons que D meuve une partie de B, représentée par E. Ce ne peut pas être dans un temps égal à C ; car un mouvement plus grand doit avoir lieu dans un temps plus long. Ainsi le temps F n'est pas infini. En ajoutant constamment à D, j'épuiserai A; et en ajoutant à E, j'épuiserai B. Mais j'aurai beau enlever toujours une portion égale au temps, je ne l'épuiserai point, attendu qu'il est infini. Par conséquent, tout A mettra B tout entier en mouvement dans une portion finie du temps C. Donc, il est impossible qu'un moteur fini puisse donner à quoi que ce soit un mouvement infini. Donc, évidemment, le fini ne peut produire le mouvement durant un temps infini. § 5. En second lieu, une grandeur finie ne peut pas du tout avoir une puissance infinie; et voici ce qui le prouve. § 6. Soit, en effet, une puissance toujours de plus en plus grande produisant le même effet dans un temps moindre, que d'ailleurs cette puissance échauffe, qu'elle adoucisse, qu'elle projette, ou que plus simplement elle meuve. Il faut nécessairement que ce moteur fini , mais à qui l'on suppose une puissance infinie, exerce son action sur ce qui l'éprouve avec plus de force que tout autre moteur ne le ferait, puisque la puissance infinie est la plus grande de toutes. § 7. Mais il ne peut pas y avoir ici la moindre parcelle de temps. Soit, en effet, A, le temps durant lequel la force infinie ou a échauffé ou a poussé. Soit aussi AB le temps dans lequel ait agi une force finie. En faisant toujours plus grande la force finie, j'arriverai à celle qui a donné le mouvement dans le temps A; car, en ajoutant toujours à un terme fini, j'arriverai à dépasser tout fini quelconque; de même que, si je retranche au lieu d'ajouter, j'arriverai également à épuiser. Ainsi, dans un temps égal, la force finie aura produit un mouvement aussi grand que la force infinie. Mais c'est là ce qui est tout à fait impossible. Donc aucune grandeur finie ne peut avoir une puissance infinie. § 8. De même non plus une puissance finie ne peut exister dans une grandeur infinie. § 9. Il se peut néanmoins qu'une puissance plus grande se trouve dans une grandeur moindre; mais il se peut bien davantage encore qu'il y ait plus de puissance dans une grandeur plus grande. § 10. Soit AB la grandeur infinie. BC a une certaine puissance qui dans un certain temps, dans un temps représenté par EF, meut D. Si je prends le double de BC, cette nouvelle force produira le mouvement dans la moitié du temps EF, puisque c'est là la proportion ; par exemple, elle le produira dans le temps FG. En procédant toujours ainsi, je ne parcours, pas il est vrai, AB; mais je prends toujours de moins en moins du temps donné. Donc la puissance sera infinie, puisqu'elle surpasse toute puissance finie; donc, pour toute puissance finie, le temps est nécessairement fini comme elle; car si dans tel temps donné telle force produit un mouvement, une force plus grande dans un temps moindre, mais d'ailleurs toujours fini, produira ce même mouvement selon la proportion inverse. Mais ici la force totale est infinie, comme le sont le nombre et la grandeur qui surpassent tout nombre ou toute grandeur finie. § 11. On peut encore démontrer ceci de la façon suivante. Nous prendrons une puissance de même espèce que celle qui se trouve dans la grandeur infinie, mais en la supposant dans une grandeur finie, et de façon qu'elle puisse mesurer la puissance finie qui se trouve dans l'infini. § 12. Tout ceci démontre donc qu'il ne peut pas y avoir de puissance infinie dans une grandeur finie, pas plus qu'il ne peut y avoir de puissance finie dans une grandeur infinie. § 13. Quant aux corps qui ont un mouvement de translation, il est bon de résoudre d'abord une question assez embarrassante. En effet, si tout mobile mis en mouvement est toujours mu par quelque chose, comment est-il possible que certains corps qui ne se meuvent point spontanément eux-mêmes, gardent un mouvement continu ; les projectiles, par exemple, sans que le moteur qui les a mis en mouvement les touche encore? § 14. Si l'on répond que cela tient à ce que le moteur en donnant le mouvement au corps, meut aussi quelque autre chose, l'air, par exemple, qui, mu d'abord lui-même, transmet ensuite le mouvement, il n'en reste pas moins également impossible qu'il y ait mouvement pour le corps, du moment que le premier moteur ne touche pas et ne meut pas. Mais il faut que toute la série soit mise à la fois en mouvement et qu'elle s'arrête tout ensemble, quand le premier moteur vient à s'arrêter, en supposant même que le moteur agisse comme l'aimant, c'est-à-dire que le corps qu'il a mis en mouvement puisse à son tour donner le mouvement. § 15. Il faut nécessairement aussi admettre que le premier moteur donne la faculté de produire le mouvement ou à l'air, ou à l'eau, ou à tel autre corps, que la nature a fait pour donner le mouvement et le recevoir. Mais le moteur et le mobile ne cessent pas à la fois. Il est bien vrai que le mobile cesse d'être mu en même temps que le moteur cesse de mouvoir; mais le mobile est encore moteur, et il meut quelque autre chose, qui est à la suite. Même raisonnement pour cette seconde chose. Elle cesse d'agir quand la force communiquée à ce qui suit devient moins capable de donner le mouvement; et elle finit par s'arrêter, quand le terme antérieur ne peut plus faire que le corps meuve, mais seulement qu'il soit mu. Alors nécessairement tout cesse du même coup, et le moteur et le mobile et toute la série du mouvement. § 16. Tel est donc le mouvement dans les choses qui peuvent être tantôt en mouvement et tantôt en repos. § 17. Pour elles, le mouvement n'est pas continu; mais il semble qu'il le soit, parce que les corps mis en mouvement ou se suivent ou se touchent; car le moteur n'y est pas unique; et il y a mouvement de tous les corps qui se suivent mutuellement. § 18. Aussi le mouvement de ce genre se produit dans l'air également et dans l'eau. § 19. Et on l'appelle quelquefois du nom d'action ou de résistance réciproque. § 20. Mais il est impossible de résoudre les questions que nous venons de poser, autrement que par l'explication que nous donnons. Cette résistance réciproque fait que tout peut à la fois être mu et mouvoir; mais elle fait par suite aussi que tout peut s'arrêter tout ensemble. Or ici on ne voit qu'une seule et même chose qui est animée d'un mouvement continu. Par qui donc le mouvement est-il donné? Ce n'est pas certainement par le même moteur. § 21. Mais puisque dans les choses il y a nécessairement un mouvement continu, et que ce mouvement est unique, il est nécessaire aussi que ce soit le mouvement d'une certaine grandeur; car ce qui est sans grandeur ne peut recevoir le mouvement. Il faut aussi que ce soit le mouvement d'un seul mobile, et qu'il soit causé par une seule force; car, autrement, il ne serait plus continu; un mouvement suivrait l'autre, et le mouvement serait divisé. § 22. Quant au moteur, s'il est unique, ou il meut après avoir été mu lui- même, ou il meut en étant immobile. S'il est mu, il faudra suivre la série et supposer que lui-même subit un changement et qu'il est mu par quelque chose ; mais l'on finira par s'arrêter, et l'on arrivera au mouvement produit par l'immobile. § 23. Quant à ce terme dernier, il n'a plus besoin de changer en même temps que les autres; et il aura toujours la puissance de donner le mouvement; car il n'y a aucune peine ni fatigue à le produire ainsi. Le mouvement créé de cette façon est uniformément égal, seul de tous les mouvements, ou du moins plus que tous les autres; car le moteur ne subit aucun changement; et le mobile lui-même ne doit point, relativement au moteur, en éprouver davantage, pour que le mouvement soit toujours semblable. § 24. Mais il faut nécessairement que le moteur soit ou au centre ou dans le cercle; car voilà les deux seuls principes d'où il peut partir. Or les parties les plus rapprochées du moteur sont celles qui ont le mouvement le plus rapide; et tel est le mouvement de l'univers. Donc c'est à la circonférence qu'est le moteur. § 25. Reste toujours à savoir s'il est possible qu'un mobile communique un mouvement continu, ou si sa continuité n'est pas plutôt comme une suite d'impulsions qui se répètent l'une après l'autre. En effet, le moteur de ce genre pousse, ou il attire, ou il fait les deux actions à la fois, ou il subit une action qui peut être réciproque de l'un à l'autre, comme nous venons de l'expliquer pour les projectiles. Mais si l'air ou l'eau, en tant que divisible, transmet le mouvement, et s'il faut que l'air et l'eau soient mus constamment, alors des deux façons il n'est plus possible que le mouvement soit unique, et il est seulement consécutif. Il n'y a donc de mouvement continu que le mouvement produit par l'immobile; puisqu'étant éternellement semblable , il sera à l'égard du mobile dans un rapport toujours le même et continu. § 26. D'après les principes qui viennent d'être exposés, il est clair que le moteur premier et immobile ne peut pas avoir de grandeur quelconque; car, s'il avait une grandeur, il faudrait qu'elle fût ou finie ou infinie. Or, nous avons démontré plus haut, dans la Physique, qu'il ne peut pas y avoir de grandeur infinie; et ici nous venons de prouver que le fini ne peut avoir une force infinie, et qu'une chose finie ne peut pas davantage produire le mouvement pendant un temps infini. Enfin il a été établi que le premier moteur produit un mouvement éternel, et qu'il le produit pendant un temps infini. Donc il n'est pas moins clair que le premier moteur est indivisible, qu'il est sans parties, et qu'il n'a absolument aucune espèce de grandeur.