[5,0] LIVRE V. [5,1] CHAPITRE I. § 1. Tout ce qui change vient à changer, soit par accident, comme, par exemple, lorsqu'on dit que le musicien marche, parce que l'être pour lequel c'est un accident d'être musicien se met à marcher ; soit quand on dit d'une manière absolue qu'une chose change, parce qu'une partie de cette chose vient à changer, comme cela se dit de toutes les choses dont le changement n'est considéré que dans leurs parties; ainsi on dit que le corps de quelqu'un se guérit, parce que l'oeil, ou la poitrine se guérissent, quoique ces organes ne soient que des parties du corps entier. Enfin, dans un dernier et troisième sens, on dit d'une chose qu'elle se meut, non plus parce qu'elle se meut par accident, ni parce que quelqu'une de ses parties est en mouvement, mais parce qu'elle se meut primitivement elle-même, et c'est là ce qu'est le mobile en soi. § 2. Mais dans chaque espèce de mouvement, le mobile en soi est différent : par exemple, un être qui s'altère ; et dans le mouvement même de l'altération, l'être devient différent, selon qu'il se guérit on qu'il s'échauffe. § 3. Du reste ces distinctions sont tout à fait les mêmes pour le moteur. Ainsi ou le moteur meut accidentellement; ou il meut partiellement, parce qu'une de ses parties peut créer le mouvement; ou bien enfin, il meut en soi primitivement; par exemple, le médecin guérit, et la main frappe. § 4. Il y a donc ici plusieurs termes à considérer : d'abord le moteur initial ; puis le mobile, ou l'objet mu ; en troisième lieu, le temps dans lequel le mouvement se fait ; enfin, outre ces trois termes, il y a encore le point d'où l'on part, et celui où l'on arrive; car tout mouvement part d'un certain point pour arriver à un autre point; et l'on doit distinguer comme très différents et le premier mobile, et le point vers lequel ce mobile est poussé par le mouvement, et le point d'où il est parti. Soient, par exemple, le bois, le chaud et le froid. De ces trois termes, l'un désigne l'objet, l'autre désigne l'état où il tend, et le dernier l'état d'où il part. C'est évidemment dans le bois qu'est le mouvement, et non point dans sa forme; car la forme ne donne ni ne reçoit le mouvement, non plus que le lieu ou la quantité ne le reçoivent ni ne le donnent. Mais il y a là un moteur, un mobile et un état vers lequel le mobile est mu; or, c'est l'état vers lequel tend le mouvement qui décide du nom donné au changement bien plutôt que l'état d'où le mouvement est parti. Voilà comment la destruction des choses est leur changement en non-être, bien que la chose détruite ne puisse changer qu'en venant de l'Etre; et la génération est un changement vers l'être, bien que ce soit du non-être qu'elle parte. § 5. On se rappelle que nous avons défini plus haut la nature du mouvement. § 6. Quant aux formes, aux affections et au lieu vers lequel se meuvent toutes les choses qui se meuvent, ils sont immobiles, comme, par exemple, la science ou la chaleur. § 7. Toutefois on peut se poser cette question : Si les affections des choses sont des mouvements, et si la blancheur est une affection, il pourrait donc y avoir un changement qui tendrait au mouvement. § 8. A cela il faut peut-être répondre que ce n'est pas la blancheur elle-même qui est un mouvement, mais que c'est le blanchissement. § 9. Mais ici encore on peut distinguer comme tout à l'heure et le mouvement par accident, et le mouvement d'une partie, c'est-à-dire le mouvement relatif à un autre, et le mouvement primitif qui n'a point un autre pour objet. Soit, par exemple, une chose qui devient blanche. Elle ne change qu'accidentellement en ce qu'on pense ; car, pour la couleur, c'est un pur accident d'être pensée ; elle change en une couleur; car le blanc est une partie de la couleur; elle change en étant en Europe; car Athènes où elle est fait partie de l'Europe; mais en soi, elle change en couleur blanche. § 10. Ainsi, l'on voit comment une chose se meut en soi, comment elle se meut par accident, et comment elle se meut et change par une de ses parties. On voit aussi ce qu'on doit entendre par primitif, soit pour le moteur soit pour le mobile. On voit enfin que le mouvement n'est pas dans la forme, et qu'il est dans le corps qui est mu, c'est-à- dire le mobile en acte. § 11. Nous laissons de côté le changement qui est accidentel ; car ce changement peut être en toutes choses, être toujours et s'appliquer à tout. Mais le changement qui n'est point accidentel, loin d'être en tout, n'est que dans les contraires, dans les intermédiaires et dans les contradictoires, comme l'induction pourrait nous le démontrer. § 12. Le changement peut avoir lieu en partant de l'intermédiaire, parce que le moyen terme est une sorte de contraire; car le changement s'applique à ce milieu, comme étant contraire à l'un et à l'autre extrême. Le milieu est, en quelque sorte, les deux extrêmes à la fois; et voilà comment on peut dire que le milieu est un contraire relativement aux extrêmes, et que les extrêmes sont des contraires relativement à lui. Par exemple, la note médiale est grave par rapport à la haute; et aiguë, par rapport à la basse; le gris est blanc par rapport au noir, et noir par rapport au blanc. [5,2] CHAPITRE II. § 1. Tout changement se faisant d'un certain état en un autre état, et le mot grec lui-même le prouve, puisqu'une partie de ce mot signifie qu'une chose a lieu après une autre, et que par conséquent on distingue ici quelque chose d'antérieur et quelque chose de postérieur, on doit dire que ce qui change peut changer de quatre manières : d'abord d'un sujet dans un sujet; de ce qui n'est pas sujet dans ce qui n'est pas sujet non plus ; en troisième lieu, de ce qui n'est pas sujet dans ce qui est sujet; et enfin de ce qui est sujet dans ce qui n'est pas sujet. J'entends d'ailleurs par sujet ce qui est indiqué par l'affirmation. § 2. Une conséquence nécessaire de ceci, c'est qu'il n'y a réellement que trois changements possibles : d'un sujet dans un sujet; d'un sujet dans ce qui n'est pas sujet; et de ce qui n'est pas sujet dans ce qui est sujet; car le mode de changement qui aurait lieu de ce qui n'est pas sujet dans ce qui n'est pas sujet, n'est pas vrai dire un changement, puisqu'il n'y a point là d'opposition véritable, et qu'il n'y a ni contraires, ni contradiction. § 3. Le changement par contradiction de ce qui n'est point sujet dans un sujet, est la génération. La génération est absolue quand le changement a lieu absolument ; elle est spéciale et relative quand le changement est celui d'une certaine qualité spéciale. Ainsi, le changement de ce qui n'est pas blanc et devient blanc est la génération du blanc. Mais le changement de ce qui n'existant pas absolument vient à être, est la génération absolue, d'après laquelle on dit simplement et d'une manière absolue que la chose devient, sans dire qu'elle devient telle ou telle chose. § 4. Le changement du sujet en non-sujet s'appelle destruction ; pris d'une manière absolue, c'est le changement de l'être au non-être; pris d'une manière relative, c'est le passage à la négation opposée, ainsi que nous venons de le dire pour la génération. § 5. Le non-être peut s'entendre d'ailleurs de plusieurs façons. Mais il ne peut y avoir de mouvement ni pour le non-être qui est exprimé par composition ou par division, ni pour ce qui est en simple puissance, c'est-à-dire l'opposé de l'être qui existe réellement et absolument en acte. Ainsi, le non-blanc ou le non-bon peut néanmoins avoir du mouvement indirectement; car l'être qui n'est pas blanc, par exemple, peut fort bien être un homme. Mais ce qui absolument parlant n'est point telle ou telle chose réelle, ne peut du tout être en mouvement; car il est impossible que ce qui n'est pas reçoive le mouvement. Par suite, et si cela est vrai, la génération ne peut être appelée un mouvement, puisque c'est le non-être qui est engendré et devient quelque chose. § 6. Mais bien que le non-être, quand il devient, devienne le plus souvent de façon accidentelle, il est vrai de dire de l'être qui devient absolument qu'il existe comme non-être. § 7. Il en est de même aussi pour le repos du non-être, et l'on trouve ici toutes les mêmes difficultés qui s'appliquaient à son mouvement. § 8. Et si tout ce qui se meut doit nécessairement être dans un lieu, le non-être n'est pas dans un lieu; car il faudrait alors qu'il existât quelque part. § 9. La destruction ne peut pas être un mouvement non plus que la génération; car c'est ou le mouvement ou le repos qui est contraire au mouvement, tandis que la destruction est contraire à la génération. § 10. En résumé, comme tout mouvement est un changement d'une certaine espèce, et qu'il n'y a réellement que les trois espèces de changement que nous avons indiquées; et comme les changements qui se rapportent à la génération et à la destruction des choses, ne sont pas des mouvements et ne sont que de simples oppositions contradictoires, il s'ensuit nécessairement qu'il n'y a que le changement d'un sujet dans un sujet qui puisse être pris pour un mouvement véritable. § 11. Quant aux deux sujets, ils sont ou contraires ou intermédiaires; car la privation doit être regardée comme un contraire; et pour l'exprimer, on se sert aussi de l'affirmation, comme quand on dit, par exemple, le nu, le blanc et le noir. [5,3] CHAPITRE III. § 1. Si donc les Catégories se divisent en substance, qualité, lieu, relation, quantité et action ou souffrance, il ne peut y avoir nécessairement que trois mouvements, à savoir celui de la quantité, celui de la qualité et celui du lieu. § 2. Dans la substance, il n'y a pas de mouvement, parce qu'il n'y a rien parmi tout ce qui est qui puisse être contraire à la substance. § 3. Il n'y a pas davantage de mouvement pour la relation ; car l'un des deux relatifs venant à changer, il peut être vrai encore que l'autre ne change nullement; et, par conséquent, le mouvement des relatifs n'est qu'indirect et accidentel. § 4. Il n'y a pas non plus besoin de mouvement pour l'agent et le patient, pas plus qu'il n'y en a pour le moteur et le mobile, attendu qu'il ne peut pas y avoir mouvement de mouvement, ni génération de génération, ni en un mot changement de changement. § 5. D'abord il peut y avoir deux manières d'entendre cette expression Mouvement de mouvement. Dans un premier sens, ce peut être en tant que mouvement d'un sujet; comme, par exemple, on dit d'un homme qu'il est en mouvement, parce qu'il change du blanc au noir. Est-ce donc que, de cette manière aussi, le mouvement peut s'échauffer ou se refroidir, se déplacer, s'accroître, périr? Mais il est évidemment impossible d'entendre ainsi la chose; car le changement ne peut être considéré comme un sujet. Ou bien doit-on entendre le Mouvement de mouvement en ce sens qu'un autre sujet, en partant du changement qu'il viendrait à éprouver, changerait d'une forme à une autre, comme, par exemple, l'homme passe de la maladie à la santé? Mais on ne peut pas dire non plus qu'il y ait là Mouvement de mouvement, si ce n'est d'une façon indirecte et accidentelle, puisque le mouvement, à proprement parler, n'est que le changement d'une forme dans une autre forme. La génération et la destruction sont dans le même cas aussi, sauf que la génération et la destruction vont à certains opposés, tandis que le mouvement ne va pas à ces mêmes opposés. L'être changerait donc en même temps et de la santé à la maladie, et, en outre, de ce même changement à un autre encore. Mais il est évident que dès qu'il aura été malade, c'est qu'il aura subi un changement d'une certaine espèce, puisqu'il peut rester dans cette souffrance; mais il ne se peut pas que le malade subisse un changement quelconque indéfiniment et au hasard, et que de cette situation nouvelle venue d'une situation antérieure, il passe encore à quelqu'autre situation différente, de manière à ce que ce soit le changement opposé à la maladie, c'est-à-dire le retour à la santé. Mais, au fond, ce ne peut-être qu'un simple accident, comme lorsqu'on passe du souvenir à l'oubli, attendu que l'être qui subit le changement vient simplement à changer, en passant ici à la mémoire et là à la santé. § 6. En second lien, ce serait tomber dans l'infini que de supposer qu'il y a changement de changement, génération de génération. On dit donc qu'il est nécessaire qu'il y ait eu un changement antérieur, pour qu'un changement postérieur soit possible, par exemple, si à un certain moment une génération absolue était elle-même engendrée et si elle devenait, il faudrait bien aussi que l'être engendré devint à ce moment. Par conséquent l'être qui était alors engendré absolument, n'existait pas encore ; mais il était simplement quelque chose qui devenait ; et une fois devenu, il devenait encore, de telle manière que même quand il était déjà devenu, il n'était pas encore. Mais comme dans les choses infinies il n'y a pas de premier terme, le premier changement n'aura pas lieu, ni par conséquent le changement qui le suit. Donc il n'y aura plus dans cette hypothèse, ni génération, ni mouvement, ni changement possibles. § 7. On sait encore que c'est la même chose qui a un certain mouvement, qui peut avoir le mouvement contraire et même le repos; et encore la génération et la destruction. Par conséquent ce qui devient, au moment même où il devient, périt aussi en devenant; car ce n'est ni avant même qu'il ne devienne, qu'il peut périr, ni aussitôt après puisque ce qui périt doit préalablement exister. § 8. Autre considération. Il faut qu'il y ait une matière substantielle et servant de support dans ce qui devient et dans ce qui change. Mais ici, quelle sera cette matière? Et de même que ce qui s'altère est on un corps ou une âme, de même ce qui devient ici serait-il on mouvement, ou génération ? Et puis, quel est ici le terme où aboutit le mouvement ? Car il faut bien que ce soit le mouvement et la génération de telle chose passant de tel état à tel autre état. Mais encore comment sera-ce possible? En effet, la génération et l'acquisition de la science, ne sera pas de la science; et par conséquent il n'y a ni génération de génération en général, ni telle génération spéciale de telle génération spéciale. De plus, comme il n'y a que trois espèces de mouvements, il faudrait que la nature substantielle et les termes où se passe le mouvement fussent quelqu'une de ces espèces; et, par exemple, que la translation s'altérât ou se déplaçât indifféremment. § 9. Mais puisque tout ce qui se meut ne peut se mouvoir que de trois façons, ou par accident, ou dans une de ses parties, ou en soi et dans sa totalité, ce ne serait qu'indirectement et par accident que le changeaient pourrait changer, comme, par exemple, si l'individu qui est guéri se met à courir ou à s'instruire. Mais nous avons déjà déclaré que nous ne nous occupons pas du mouvement accidentel. § 10. Or, comme le mouvement ne peut s'appliquer ni à la substance, ni à la relation, ni à l'action et à la passion, il reste qu'il s'applique seulement, à la qualité, à la quantité et au lieu, parce qu'il est possible qu'il y ait des contraires dans ces trois catégories. § 11. Le mouvement dans la qualité est ce qu'on peut appeler l'altération ; car c'est là le nom général qu'on lui donne dans toutes ses nuances. Mais quand je dis la qualité, je n'entends pas la qualité dans la substance, où la différence est aussi une qualité; mais la qualité passive, d'après laquelle on dit qu'un être est ou passif ou impassible. § 12. Le mouvement qui s'applique à la quantité n'a pas reçu de nom qui soit commun aux deux contraires; d'une part, c'est l'accroissement, et d'autre part le dépérissement. Le mouvement qui tend à la dimension complète de la chose, est l'accroissement ; et le dépérissement est le mouvement qui déchoit de cette dimension complète. § 13. Quant au mouvement qui se rapporte au lieu, il n'a dans le langage ordinaire, ni de nom commun, ni de nom particulier. Appelons-le, pour le nom commun, translation ; bien que ce mot de translation ne s'applique, à proprement parler, qu'aux choses qui, changeant de lieu, n'ont pas en elles-mêmes le principe qui les puisse arrêter, et à toutes les choses qui ne se meuvent point par elles-mêmes dans l'espace. § 14. Le changement en plus ou en moins dans la même forme s'appelle aussi altération, parce que c'est le mouvement du contraire au contraire, ou absolu ou partiel. Si la chose va au moins, on dit qu'elle change en allant vers son contraire ; mais si elle va au plus, elle va en quelque sorte de son contraire à elle-même. Du reste, il n'y a point ici de différence entre le changement absolu et le changement partiel, si ce n'est que dans ce dernier cas il n'y aura que des contraires partiels: Le plus et le moins dans une chose signifient seulement qu'il y a ou qu'il n'y a pas, plus ou moins du contraire dans cette chose. § 15. Ainsi, en résumé, on voit par ce quoi précède qu'il n'y a que ces trois espèces de mouvements. [5,4] CHAPITRE IV. § 1. L'immobile est ce qui ne peut pas du tout être mis en mouvement, pas plus qu'il n'est possible que le son soit visible. On appelle encore immobile ce qui meut qu'à peine dans un long espace de temps, c'est-à-dire ce qui se met lentement en mouvement, et qu'on nomme alors difficile à mouvoir. On appelle enfin immobile ce qui, devant et pouvant naturellement se mouvoir, ne se meut pas quand il le faut, où il le faut et de la manière qu'il faut. Dans les choses immobiles, c'est là seulement ce qu'on doit entendre par le repos; car le repos est le contraire du mouvement, et l'on peut dire que c'est la privation de la qualité dont le sujet serait susceptible. § 2. Ainsi, l'on doit déjà voir clairement, d'après ce que nous avons dit, ce que c'est que le mouvement et le repos, quel est le nombre et la nature des changements et des mouvements. [5,5] CHAPITRE V. § 1. Après ce qui précède, expliquons ce qu'il faut entendre par : Être ensemble, être séparé, se toucher, être intermédiaire, suivre, être cohérent, être continu ; et indiquons quels sont les objets auxquels ces termes s'appliquent naturellement. § 2. Être ensemble dans l'espace s'entend des choses qui sont dans un seul et même lieu primitif. § 3. Séparé s'entend des choses qui sont dans un lieu primitif différent. § 4. Se toucher se dit des choses dont les extrémités sont ensemble. § 5. L'intermédiaire est ce par quoi la chose qui change doit naturellement passer avant de parvenir à l'extrême dans lequel elle change, quand elle change selon sa nature d'une manière continue. L'intermédiaire suppose au moins trois termes; car le contraire est l'extrémité du mouvement. § 6. Et l'on dit que le mouvement est continu, quand il n'y a aucune interruption, ou du moins quand il n'y a qu'une très petite interruption de la chose et non pas du temps; car rien n'empêche qu'il n'y ait une interruption de la chose ; et, par exemple, après la note la plus haute on peut faire entendre aussitôt la note la plus basse. Mais je dis que cette interruption ne peut être que dans la chose pour laquelle le mouvement a lieu ; et c'est là ce qu'on peut voir, soit pour les changements qui ont lieu dans l'espace, soit pour tous les autres changements. § 7. Le mot de Contraire, en ce qui regarde le lieu, s'applique à ce qui est en ligne droite le plus éloigné possible; car la ligne la plus courte est déterminée et finie ; et ce qui est déterminé et fini peut servir de mesure. § 8. Suivre se dit d'une chose qui ne venant qu'après le commencement et étant ainsi déterminée, soit par position, soit par nature, soit tout autrement, n'est pas séparée de la chose après laquelle elle vient par aucune autre chose de même genre. C'est ainsi, par exemple, qu'on dit d'une ligne ou de plusieurs lignes qu'elles suivent une autre ligne, d'une unité ou de plusieurs unités qu'elles suivent une autre unité, d'une maison qu'elle vient à la suite d'une autre maison. Mais il se peut fort bien qu'il y ait entre les deux choses une chose différente; car ce qui suit est consécutif à quelque chose et est quelque chose de postérieur; et l'on ne peut pas dire que un suive deux, ni que le premier du mois suive le deux du mois; mais, tout au contraire, c'est deux qui suit un. § 9. Une chose est Cohérente à une autre, quand, venant à la suite de cette chose, elle la touche. § 10. Mais comme tout changement a lieu entre des opposés, et qu'on entend par opposés et les contraires et les contradictoires, il est évident que l'intermédiaire fait partie des contraires, attendu qu'il n'y a pas de milieu possible dans la contradiction. § 11. Enfin, on entend par Continu une sorte de cohérence. Ainsi je dis d'une chose qu'elle est continue quand les limites, par lesquelles les deux parties se touchent, se sont confondues et réunies, et qu'alors, comme le mot même l'exprime, elles se continuent et se tiennent. Mais c'est ce qui ne peut avoir lieu tant que les extrémités restent deux. § 12. Évidemment, il suit de cette définition qu'il n'y a de continuité que dans les choses qui, en se touchant, peuvent arriver naturellement à ne plus former qu'une seule chose; et autant le contenant peut devenir un, autant le tout deviendra un et continu : par exemple, quand un continu se forme soit à l'aide d'un clou, soit à l'aide d'un collage, d'un contact ou d'un soudage naturel. § 13. D'ailleurs, il n'est pas moins clair que l'idée de Suivre est antérieure à celle de Toucher; car ce qui touche une chose la suit nécessairement; mais ce qui suit une chose ne la touche pas toujours. Aussi c'est là ce qui fait que, dans les termes qui rationnellement peuvent être antérieurs, il y a consécution, tandis qu'il n'y a pas contact. § 14. Du moment qu'une chose est continue, il y a nécessité qu'elle touche; mais elle peut toucher sans être pour cela continue; car les extrémités des deux choses peuvent être ensemble dans l'espace, sans se confondre en une; mais si elles se confondent, il faut nécessairement qu'elles soient ensemble. Par suite, la combinaison des natures est la dernière à se produire; car, pour que les extrêmes se confondent et se soudent, il faut absolument qu'ils se soient touchés. Mais tout ce qui se touche ne se confond pas ; et, par conséquent, là où il n'y a pas de contact, il est évident qu'il n'y a pas non plus de mélange ni de fusion. § 15. Il s'ensuit que, bien que le point et l'unité soient séparés de la matière, ainsi qu'on le dit, il n'est pas possible que jamais le point et l'unité soient la même chose; car les points se touchent, tandis que les unités se suivent ; et, pour les points, il peut y avoir entr'eux un intervalle; car toute ligne est un intervalle entre deux points ; tandis que pour les unités, l'intervalle est nécessairement impossible ; car il n'y a rien absolument entre deux et un. § 16. Voilà donc ce qu'il faut entendre par les termes que nous avons énumérés : Ensemble, séparé, contact, intermédiaire, suite, cohérence, continuité ; et tels sont les objets auxquels ces termes peuvent s'appliquer. [5,6] CHAPITRE VI. § 1. Quand on dit que le mouvement est un, cette expression peut se prendre en plusieurs sens, parce que, selon nous, l'idée d'unité peut aussi en avoir plusieurs. § 2. Le mouvement est génériquement un, suivant les formes de la catégorie où on le considère. Ainsi, la translation est un mouvement qui est un sous le rapport du genre, pour toute translation quelconque; mais l'altération diffère de la translation par son genre qui est autre. § 3. Spécifiquement, le mouvement est un, lorsque, d'abord étant un en genre, il est un en outre dans une espèce indivisible. Par exemple, la couleur a des différences, puisque la couleur noire et la couleur blanche différent en espèces. Ainsi donc, toute couleur blanche, considérée sous le rapport de l'espèce, est identique à toute autre couleur blanche, de même que la couleur noire est spécifiquement identique à toute couleur noire. Mais cette couleur noire n'est plus spécifiquement la même que la couleur blanche. Par conséquent, la couleur blanche est spécifiquement identique à toute couleur blanche. § 4. S'il est par hasard des choses qui soient tout ensemble genres et espèces, il est clair que pour elles, le mouvement sera, à quelques égards, un sous le rapport de l'espèce ; mais, absolument parlant, il ne sera point spécifiquement identique. Tel est, par exemple, l'acte d'apprendre quelque chose et le mouvement de cet acte, si la science est une espèce de la conception, et le genre des sciences particulières. § 5. On peut se demander si le mouvement est bien en effet spécifiquement un et identique, lorsqu'une même chose change et se meut du même au même. Soit, par exemple, un seul et même point qui se nient allant et revenant à plusieurs reprises de tel lieu en tel lieu. Mais si l'on dit que dans ce cas le mouvement est identique, alors la translation circulaire se confondra avec la translation en ligne droite, et la rotation avec la marche, Ou bien notre définition n'a-t-elle pas établi que le mouvement est autre, quand la manière dont il se passe est spécifiquement autre ? Or, le mouvement circulaire est en espèce différent du mouvement en ligne droite. § 6. Voilà donc comment le mouvement est un et identique, soit en genre, soit en espèce. § 7. Mais absolument parlant, le mouvement est un, quand il est un en essence et en nombre. En analysant les choses, nous allons voir quel est le mouvement qui peut être ainsi considéré. Il y a trois termes à étudier, quand nous disons que le mouvement est un : l'objet, le lieu et le temps. Par l'objet, j'entends qu'il faut nécessairement qu'il y ait quelque chose qui soit en mouvement; un homme, par exemple, ou un morceau d'or, etc. Il faut en outre que ce mouvement ait lieu dans quelque chose : par exemple dans l'espace ou dans la qualité; et enfin qu'il ait lieu dans un certain moment ; car tout mouvement se passe dans le temps. Entre ces trois termes, l'unité de mouvement en genre et en espèce ne peut se trouver que dans le lieu où le mouvement se passe. La continuité de mouvement ne peut être, comme nous l'avons vu, que dans le temps. Mais l'unité absolue du mouvement ne peut se trouver que dans les trois termes réunis que nous venons d'indiquer. En effet, ce dans quoi le mouvement se passe doit être un et indivisible ; et par exemple c'est l'espèce. Le moment où il se passe doit être identique aussi; et c'est, par exemple, le temps, un et sans aucune interruption. Enfin, l'objet qui est en mouvement doit également être un, sans l'être, ni par accident, ni d'une manière commune. Il ne doit pas l'être par accident et indirectement; ainsi, le blanc devient essentiellement noir, ou Coriscus marche essentiellement. Mais si Coriscus et le blanc sont une seule et même chose, c'est seulement par accident. L'objet ne doit pas être commun; car il se pourrait que deux hommes se guérissent à la fois par une seule et même guérison ; et, par exemple, qu'ils se guérissent d'une ophtalmie qui les affecterait tous les deux ; mais leur ophtalmie ne serait pas une seule et même ophtalmie, et elle serait une seulement en espèce. § 8. Supposez que Socrate éprouve un changement qui soit le même par son espèce, mais qu'il l'éprouve dans un temps autre, et que chaque fois qu'il l'éprouve, ce soit dans des temps toujours différents. Si l'on admet qu'une chose détruite puisse redevenir numériquement une, le mouvement éprouvé par Socrate sera un et le même; si non, ce mouvement pourra bien être le même, mais il ne sera pas un. § 9. Une autre question fort analogue à celle-là, c'est de savoir si, par exemple, la santé est essentiellement une et identique dans les corps, et d'une manière générale, si les affections et les qualités y sont identiques et unes; car les corps qui les possèdent changent et se meuvent évidemment, et sont dans un flux perpétuel. Mais si la santé que j'ai maintenant est bien la même identiquement que celle que j'avais ce matin, pourquoi la santé que l'on recouvre après une maladie, ne serait-elle pas numériquement cette même santé qu'on possédait avant d'être malade? Car le raisonnement est identique de part et d'autre. La seule différence, entre ces termes, c'est que, si deux mouvements se confondent de telle manière en un seul qu'il soit numériquement un, il faut nécessairement que les affections soient unes aussi ; car pour ce qui est un numériquement, l'acte aussi est numériquement un. Mais il ne suffit pas que l'affection soit une pour que l'on puisse dire que l'acte le soit également. Ainsi du moment que l'on s'arrête de marcher, il n'y a plus de marche; et si l'on se remet à marcher, il y a marche de nouveau. Si donc c'était là un seul et même acte, il s'ensuivrait qu'une seule et même chose, tout en restant une, pourrait tout ensemble périr et renaître plusieurs fois. Mais ces questions s'éloignent trop du sujet qui doit actuellement nous occuper; revenons. § 10. Puisque tout mouvement est continu, il faut, quand le mouvement est absolument un, qu'il soit continu aussi ; car tout mouvement est divisible; et quand il est continu, il est un. § 11. Mais tout mouvement ne peut pas être continu à toute espèce de mouvement, pas plus que, dans tout autre cas, une chose quelconque ne peut être continue à la première chose venue. Il n'y a continuité qu'autant que les extrémités peuvent s'unir et se confondre. Or, il y a des choses qui n'ont pas d'extrémités; et il en est d'autres dont les extrémités sont spécifiquement différentes et simplement homonymes. Et par exemple, comment les extrémités de la ligne et de la marche pourraient-elles se toucher et s'unir? § 12. D'ailleurs, des mouvements qui ne sont identiques, ni en espèce ni en genre, peuvent se suivre. Par exemple, un homme qui court peut, après avoir couru, gagner sur le champ un accès de fièvre; et, comme un flambeau qu'on se passe de main en main, le mouvement de translation peut suivre. Mais pour cela il n'est pas continu; car on ne reconnaît de continuité que là où les extrémités peuvent se confondre et s'unir. § 13. Ainsi, les choses se tiennent et se suivent, parce que le temps est continu; le temps est continu à son tour, parce que les mouvements le sont aussi; enfin les mouvements ne sont continus que quand les extrémités des deux se confondent en une seule. § 14. Par conséquent, il faut nécessairement, pour que le mouvement soit continu et identique, qu'il soit le même en espèce, qu’il soit le mouvement d'une seule chose et qu'il se passe dans un seul temps. Je dis dans un seul temps, pour qu'il n'y ait pas d'immobilité ni d'arrêt dans l'intervalle; car, durant le temps où le mouvement viendrait à défaillir, il y aurait nécessairement un repos. Il y a plusieurs mouvements et non un mouvement unique, là où il se trouve un intervalle de repos ; et si un mouvement se trouve interrompu par un temps d'arrêt, ce mouvement n'est plus unique ni continu. Or, il est interrompu, du moment qu'il y a un temps intermédiaire. Mais pour un mouvement qui spécifiquement n'est point un et le même, il n'y a rien de pareil, lors bien même que le temps ne présente pas de lacune. Le temps alors est bien un; mais spécifiquement le mouvement est autre; car lorsque le mouvement est un et le même, il est aussi un et le même en espèce nécessairement; mais il n'y a pas nécessité que ce mouvement soit un d'une manière absolue. § 15. On voit maintenant ce qu'il faut entendre par un mouvement absolument un et le même. §16. On dit encore d'un mouvement qui est complet qu'il est un, soit en genre, soit en espèce, soit en substance. Ici, comme dans tout le reste, l'idée de complet et d'entier n'appartient qu’à ce qui est un. Mais quelquefois le mouvement a beau être incomplet, on n'en dit pas moins qu'il est un, pourvu qu'il soit seulement continu. § 17. Indépendamment de tous les mouvements uns et identiques dont nous venons de parler, on dit encore d'un mouvement qui est égal et uniforme qu'il est un ; car le mouvement inégal ne peut point en quelque sorte paraître un; mais un mouvement égal le paraît davantage comme le paraît la ligne droite. L'inégal est divisé; mais les mouvements ne diffèrent que comme le plus et le moins. § 18. Du reste, dans tout mouvement quelconque, on peut distinguer l'égalité ou l'inégalité. Ainsi, une chose peut subir un mouvement d'altération avec égalité, de même qu'elle peut subir un mouvement égal de déplacement dans l'espace, soit en cercle, soit en ligne droite; et l'on peut faire la même remarque pour l'accroissement et pour la destruction. § 19. Par fois la différence d'inégalité tient au lieu dans lequel le mouvement se passe; car il n'y a pas moyen que le mouvement soit égal sur une grandeur qui n'est pas égale. Prenons, par exemple, le mouvement selon une ligne brisée, ou selon une spirale, ou selon telle autre grandeur où une partie quelconque ne correspond pas à la partie quelconque qu'on a prise. Parfois aussi la différence d'inégalité du mouvement ne consiste ni dans le lieu parcouru, ni dans le temps, ni dans le but où tend le mouvement, mais dans la manière dont il se fait; car, quelquefois, on distingue le mouvement par la vitesse ou la lenteur. Quand la vitesse est la même, le mouvement est égal ; quand elle ne l'est pas, il est inégal. § 20. D'ailleurs ce qui fait qu'on ne doit considérer la lenteur ou la vitesse, ni comme des espèces ni comme des différences du mouvement, c'est qu'elles peuvent accompagner tous les mouvements, quelque différents qu'ils soient en espèce. La pesanteur et la légèreté ne sont pas davantage des espèces ou des différences, quand elles se rapportent à un même objet; ainsi pour la terre, par rapport à elle-même; et pour le feu, par rapport à lui-même. § 21. Cependant, le mouvement inégal est un et identique. parce qu'il est continu; mais il l'est moins, comme cela se voit dans la translation en ligne brisée; et le moins suppose toujours un certain mélange du contraire. § 22. Si d'ailleurs tout mouvement un peut être égal ou inégal, les mouvements qui ne se suivent pas spécifiquement ne peuvent pas non plus être uns et continus. En effet, comment un mouvement composé d'altération et de translation pourrait-il être égal? Car il faudrait d'abord que ces deux espèces de mouvements s'accordassent entr'elles. [5,7] CHAPITRE VII. § 1. Il nous faut encore expliquer quel est le mouvement qui est contraire à un autre mouvement, et donner aussi des explications analogues sur l'inertie ou le repos. § 2. Déterminons d'abord si le mouvement qui s'éloigne d'un certain objet, est contraire à celui qui va vers ce même objet? Par exemple, le mouvement qui s'éloigne de la santé est-il contraire à celui qui tend vers la santé, manière dont la génération et la destruction semblent être contraires entr'elles? Ou bien le mouvement contraire est-il celui qui part des contraires? Par exemple, le mouvement qui part de la santé est-il contraire à celui qui part de la maladie? Ou bien encore, est-ce celui qui tend aux contraires? Et par exemple, le mouvement qui tend à la santé est-il contraire à celui qui tend vers la maladie? Ou bien, le mouvement qui part du contraire est-il contraire à celui qui tend vers le contraire? Ainsi, le mouvement qui vient de la santé, est-il contraire à celui qui va vers la maladie? Ou bien enfin, celui qui va du contraire à l'autre contraire, est-il contraire à celui qui va aussi du contraire au contraire? Par exemple, le mouvement qui va de la santé à la maladie, est-il le contraire de celui qui va de la maladie à la santé? Il faut nécessairement que le mouvement contraire soit une de ces nuances, ou plusieurs de ces nuances; car il n'y a pas d'autres oppositions possibles. § 3. Le mouvement qui part du contraire n'est pas contraire à celui qui va vers le contraire. Ainsi le mouvement qui s'éloigne de la santé n'est pas contraire à celui qui va vers la maladie; car c'est un seul et même mouvement. Toutefois la façon d'être n'est pas identique de part et d'autre, pas plus que changer en quittant la santé n'est pas tout à fait la même chose que changer en allant à la maladie. § 4. Le mouvement qui s'éloigne du contraire n'est pas davantage contraire à celui qui s'éloigne de l'autre contraire; car tous les deux partent du contraire et vont vers le contraire, ou vers l'intermédiaire. Du reste, nous reviendrons un peu plus loin à cette nuance. Mais le changement qui va vers le contraire semblerait devoir amener cette opposition de mouvements contraires, plutôt que le changement qui part du contraire; car celui-ci repousse la contrariété dont il se dégage, tandis que celui-là la gagne. Or tout mouvement se désigne bien plutôt par le but où il tend que par le but d'où il s'éloigne. C'est ainsi que la guérison est le mouvement vers la santé ; et le malaise, le mouvement vers la maladie. § 5. Restent donc, et le mouvement qui va vers les contraires, et celui qui va vers les contraires en partant des contraires. § 6. Il est bien clair, d'ailleurs, que les mouvements qui vont vers les contraires partent, en outre, des contraires. Mais leur façon d'être n'est pas tout à fait identique. Je veux dire, par exemple, que ce qui va vers la santé n'est pas la même chose que ce qui s'éloigne dé la maladie, et réciproquement, que ce qui s'éloigne de la santé n'est pas la même chose que ce qui va vers la maladie. § 6. Leur façon d'être n'est pas tout à fait identique, voir plus haut, § 3, une distinction pareille. La troisième nuance peut donc se confondre en partie avec la cinquième. § 7. Mais comme le changement ne se confond pas avec le mouvement, car c'est le changement d'un certain sujet, réel en un autre sujet, qui est un vrai mouvement, il s'ensuit que le mouvement qui va d'un contraire à un contraire, est contraire au mouvement qui va d'un contraire à un contraire. Par exemple, le mouvement de la santé vers la maladie est contraire au mouvement de la maladie vers la santé. § 8. L'induction elle-même peut servir à montrer quels sont ici les contraires véritables. Ainsi, devenir malade est bien le contraire de recouvrer la santé ; Être instruit est le contraire d'être trompé, quand on ne se trompe pas soi-même ; car c'est aller vers des contraires, puisqu'il est possible qu'on acquière la science et l'erreur, soit par soi-même, soit par autrui. La tendance en haut est contraire à la tendance en bas, puisque ce sont là des contraires en longueur; la translation à droite est contraire à la translation à gauche; car ce sont là des contraires en largeur; enfin, le devant est contraire au derrière; car ce sont là aussi des contraires. § 9. Le changement qui va simplement au contraire, n'est pas un vrai mouvement; ce n'est qu'un changement par exemple, devenir blanc, sans que ce soit en partant de quelqu'autre état. § 10. Et là où il n'y a pas de contraires, le changement qui part du même est contraire au changement qui va vers le même. Ainsi, la génération est le contraire de la destruction, et la perte est le contraire de l'acquisition. Mais ce sont là des changements ; ce ne sont pas des mouvements. § 11. Quant aux mouvements qui vont vers l'intermédiaire, là où entre les contraires il y a un intermédiaire en effet, il faut les classer aussi parmi les mouvements vers les contraires; car le mouvement prend l'intermédiaire comme un contraire, quel que soit celui des extrêmes clans lequel il change. Ainsi l'objet passe du gris au blanc, comme il y passerait du noir; et il passe du blanc au gris, comme il passerait au noir. Du noir, il passe au gris comme il passerait au blanc, parce que le gris est le milieu qui se rapporte d'une certaine manière aux deux extrêmes, ainsi qu'on l'a dit antérieurement. § 12. Ainsi donc un mouvement est contraire à un mouvement, en ce sens que le mouvement qui va du contraire à l'autre contraire, est contraire à celui qui va de l'autre contraire au contraire. [5,8] CHAPITRE VIII. § 1. Comme ce n'est pas seulement le mouvement qui est contraire au mouvement, mais que c'est aussi le repos, il faut éclaircir ce point. Absolument parlant, c'est le mouvement qui est contraire au mouvement; mais le repos aussi y est opposé ; car le repos est une privation ; et la privation peut bien passer, à certains égards, pour une sorte de contraire. § 2. Quels sont donc le repos et le mouvement qui sont opposés l'un à l'autre ? C'est, par exemple, le repos dans l'espace qui est opposé au mouvement dans l'espace. § 3. Mais l'expression dont je viens de me servir est une expression absolue ; or, on cherche si, à un repos dans tel état, c'est le mouvement partant de cet état qui est opposé, ou bien si c'est le mouvement allant vers ce même état. § 4. Or, comme le mouvement suppose toujours deux termes, le repos dans tel état est opposé au mouvement qui part de cet état pour aller à l'état contraire ; et le repos dans l'état contraire est opposé au mouvement qui part du contraire pour arriver à cet état. § 5. De plus, les deux repos aussi sont contraires l'un à l'autre ; car il serait absurde, si les mouvements sont contraires, que les repos opposés à ces Mouvements ne fussent pas contraires également. § 6. Ce sont alors les repos dans les contraires ; et, par exemple, le repos dans la santé est contraire au repos dans la maladie, connue il est opposé au mouvement qui va de la santé à la maladie; car il serait absurde qu'il fût opposé au mouvement qui va de la maladie vers la santé. Le mouvement vers l'état même où il y a temps d'arrêt, est plutôt une tendance au repos ; et cet état peut parfaitement coexister avec le mouvement. Mais il faut nécessairement que ce soit l'un on l'autre de ces mouvements; car le repos dans la blancheur n'est pas contraire au repos dans la santé. § 7. Là où il n'y a pas de contraires, il y a changement, le changement qui part de tel état étant opposé en changement vers le même état ; mais il n'y a pas de mouvement. Ainsi, le changement qui part de l'être est opposé à celui qui va vers l'être; et il n'y a pas là de repos à proprement dire ; il n'y a qu'immuabilité. § 8. Si le non-être était quelque chose, l'immuabilité dans l'être serait contraire à l'immuabilité dans le non-être. Mais comme le non-être n'est pas quelque chose, on peut se demander à quoi est contraire l'immuabilité dans l'être, et si elle est du repos. § 9. Si elle est du repos, alors on doit admettre, ou que tout repos n'a pas pour contraire un mouvement, ou bien que la génération et la destruction sont des mouvements aussi. Il est donc clair qu'on ne peut pas dire que cette immuabilité soit du repos, à moins qu'on ne voie aussi des mouvements dans la destruction et la génération. Mais on doit dire que l'immuabilité est quelque chose de semblable au repos. §10. Ainsi donc, ou elle n'est contraire à rien, ou elle est contraire, soit à l'immuabilité dans le non-être, soit à la destruction. Mais la destruction part de cette immuabilité, et la génération y va. [5,9] CHAPITRE IX. § 1. On peut se demander pourquoi, lorsque dans le changement selon le lieu, il y a et des repos et des mouvements qui sont ou suivant la nature ou contre nature, on ne trouve dans les autres espèces de changements rien de pareil : par exemple, une altération selon la nature et une altération contre nature ; car la santé n'est pas plus selon la nature ou contre nature que ne l'est la maladie ; la noirceur ne l'est pas plus que la blancheur. Et de même encore pour l'accroissement et le dépérissement, ces changements ne sont pas contraires les uns aux autres en tant que selon la nature, ou contre nature, non plus que l'accroissement n'est pas contraire à l'accroissement. On peut encore en dire autant de la génération et de la destruction. Ainsi la génération n'est pas selon la nature, et la destruction contre nature, puisque rien n'est plus naturel que de vieillir; et nous ne voyons pas non plus que telle génération, soit selon la nature et que telle autre soit contre nature. § 2. Mais si c'est ce qui arrive par force qui est contre nature, la destruction par force, comme étant contre nature, sera contraire à la destruction naturelle. Il y a donc certaines générations qui se font par force et qui ne sont pas fatalement régulières, auxquelles les générations naturelles sont contraires. Il y a aussi des accroissements et des destructions violentes : par exemple, les accroissements de ces corps auxquels la volupté donne une puberté précoce ; ou bien encore les accroissements de ces froments qui sont forts tout à coup, sans avoir de profondes racines en terre. Mais pour l'altération, comment se passent les choses ? Est-ce de la mérite manière? Les altérations sont-elles les unes violentes, et les autres naturelles? Par exemple tels malades ne sont pas guéris dans les jours critiques ; et tels autres sont guéris dans les jours critiques. Ceux qui sont guéris hors les jours critiques sont altérés contre nature; les autres le sont naturellement. § 3. Mais alors les destructions seront contraires les unes aux autres, et ne le seront pas aux générations. Et où est la difficulté ? C'est parfaitement possible ; car telle destruction peut être agréable, tandis que telle autre est pénible. Par conséquent, la destruction n'est pas contraire à la destruction d'une manière absolue; mais elle l'est seulement en tant que l'une des destructions est de telle façon, et que l'autre est de telle façon différente. § 4. Ainsi donc, d'une manière générale, les mouvements et les repos sont contraires, selon le sens qui vient d'être expliqué. Par exemple le mouvement en haut est contraire au mouvement en bas ; ce sont là des oppositions de lieux contraires. Le feu, suivant sa tendance naturelle, se porte en haut, tandis que la terre se porte eu bas. Leurs tendances sont donc contraires, puisque naturellement le feu va en haut, et que s'il va en bas, c'est contre nature ; son mouvement de nature est contraire à son mouvement contre nature. Il en est de même des repos. Ainsi le repos en haut est contraire au mouvement de haut en bas. C'est ce repos contre nature qui serait celui de la terre, « si elle restait en haut. » Mais son mouvement de haut en bas est selon sa nature. Par conséquent, le repos contre nature est contraire au mouvement selon la nature pour le même objet, puisque les mouvements de ce même objet sont également contraires; et que l'un des deux, soit en haut soit en bas, sera selon la nature tandis que l'autre sera contre nature. § 5. Mais on peut se demander s'il y a génération du repos toutes les fois qu'il n'est pas éternel, et si cette génération du repos est précisément le temps d'arrêt du corps. § 6. Certainement il y a génération du repos pour un corps qui s'arrête contre nature; et par exemple, pour la terre quand elle reste en haut ; c'est parce qu'elle a été portée par force en haut, qu'elle s'y est arrêtée. § 7. Mais le corps qui s'arrête semble toujours avoir un mouvement de plus en plus rapide, tandis que celui qui est mu par force éprouve tout le contraire. Ainsi donc le corps sera en repos sans devenir précisément en repos. § 8. Et pour un corps, s'arrêter, c'est absolument la même chose qu'être porté vers son lieu spécial, ou du moins l'un se produit toujours simultanément avec l'autre. § 9. Une autre question, c'est de rechercher si le repos en tel état est contraire au mouvement qui s'éloigne de ce même état. En effet, quand le corps est mis en mouvement pour sortir de tel état, ou qu'il perd quelque état antérieur, il n'en semble pas moins garder encore quelque temps ce qu'il perd. Si donc c'est le même repos qui est contraire au mouvement parti de cet état pour aller à l'état contraire, il s'ensuit que les contraires seront simultanément dans l'objet. § 10. Ou bien ne peut-on pas dire que le corps est de quelque façon déjà en repos, si d'ailleurs il s'arrête plus tard, et qu'en général le corps qui est mis en mouvement est en partie ce qu'il est, et en partie ce en quoi il change? § 11. Et c'est là ce qui fait que le mouvement est plus contraire au mouvement que le repos. § 12. Il y a enfin pour le repos la question de savoir si tous les mouvements contre nature ont aussi un repos opposé. § 13. Si l'on soutenait qu'il n'y en a pas, ce serait absurde ; car le corps reste en place; et il y reste par force. § 14. Il y aurait donc alors quelque chose qui serait en repos, et non éternellement, sans que le repos eût eu une cause. § 15. Mais il est clair qu'il y aura un repos de cette espèce ; car il peut y avoir repos contre nature comme il y a mouvement contre nature. § 16. D'autre part, il faut se rappeler qu'il y a mouvement selon la nature et mouvement contre nature pour certains corps ; ainsi, pour le feu le mouvement naturel est en haut ; et le mouvement en bas est contre nature. Est-ce ce dernier mouvement qui est contraire à l'autre ? Ou bien est-ce celui de la terre, qui naturellement est portée en bas? § 17. Il est clair que tous les deux sont contraires; seulement ce n'est pas de la même manière. Mais, d'une part le mouvement selon la nature est opposé au mouvement selon la nature; et d'autre part, pour le feu, c'est le mouvement en bas qui est opposé au mouvement en haut, comme étant, l'un de nature, et l’autre, contre nature. § 18. Or, il en est de même aussi pour le repos. § 19. Voilà ce qu'il y avait à dire du mouvement et du repos, pour expliquer ce qu'ils sont chacun dans leur unité, et comment l'un peut être opposé à l'autre.