[1,1] LIVRE I. CHAPITRE I. § 1. Comme on ne parvient à comprendre et à savoir quelque chose dans tout sujet de recherches méthodiques où il y a des principes, des causes et des éléments, que du moment où on les connaît; car on ne pense jamais connaître une chose que quand on en connaît les causes premières, les principes premiers, et jusqu'à ses éléments; de même aussi pour la science de la nature, il est évident que l'on doit tout d'abord prendre soin de déterminer ce qui regarde les principes. § 2. La marche qui semble ici toute naturelle, c’est de procéder des choses qui sont plus connues et plus claires pour nous, aux choses qui sont plus claires et plus connues par leur propre nature. En effet, les choses qui sont notoires absolument, et les choses qui sont notoires pour nous, ne sont pas les mêmes ; et voila comment c'est une nécessité de commencer par les choses qui, bien que plus obscures par nature, sont cependant plus notoires pour nous, afin de passer ensuite aux choses qui sont naturellement plus claires et plus connues en soi. § 3. Ce qui est d'abord pour nous le plus notoire et le plus clair, c'est ce qui est le plus composé et le plus confus. Mais ensuite en partant de ces composés mêmes, les éléments et les principes nous sont rendus clairs par les divisions que nous en faisons. § 4. Ainsi donc il faut s'avancer du général au particulier ; car le tout que donne la sensation est plus connu ; et le général est une espèce de tout, puisque le général contient dans son ensemble une foule de choses à l'état de simples parties. § 5. C'est un rapport assez analogue à celui-là, que les noms des choses soutiennent avec les définitions. Les noms, en effet, expriment aussi une totalité quelconque; mais ils l'expriment d'une manière indéterminée ; par exemple, le mot Cercle, que la définition résout ensuite dans ses éléments particuliers. § 6. C'est encore ainsi que les enfants appellent d'abord Papa et Maman, tous les hommes, toutes les femmes, qu'ils voient; mais plus tard ils les distinguent fort bien les uns et les autres. [1,2] CHAPITRE II. § 1. Nécessairement il doit y avoir dans l'être ou un principe unique ou plusieurs principes. En supposant que ce principe soit unique, il doit être, ou immobile, comme le prétendent Parménide et Mélissus, ou mobile, comme l'affirment les Physiciens, soit qu'ils trouvent ce premier principe dans l'air, soit qu'ils le trouvent dans l'eau. En admettant qu'il y a plusieurs principes, ces principes sont en nombre fini et infini ; s'ils sont finis, mais en étant toujours plus d'un, ils sont alors deux, trois, quatre ou tel autre nombre ; s'ils sont infinis, ils peuvent être comme l'entend Démocrite, d'un seul et même genre, ne différant qu'en figure et en espèce ; ou bien ils vont même jusqu'à être contraires. § 2. C'est encore une étude toute pareille que font les philosophes qui recherchent quel est le nombre des êtres ; car ils recherchent d'abord si la source d'où sortent les êtres et les choses, est un principe unique, ou bien si ce sont plusieurs principes ; puis en supposant qu'il y ait plusieurs principes, ils se demandent s'ils sont finis ou infinis. Par conséquent, c'est rechercher encore si le principe et l'élément des choses est unique, ou s'il y en a plusieurs. § 3. Cependant, étudier cette question de savoir si l'être est un et immobile, ce n'est plus étudier la nature ; car de même que le Géomètre n'a plus rien à dire à un adversaire qui lui nie ses principes, et que cette discussion appartient dès lors à une autre science que la géométrie on à une science commune de tous les principes, de même le philosophe qui s'occupe des principes de la nature, ne doit pas accepter la discussion sur ce terrain. Du moment, en effet, que l'être est un, et un au sens d'immobilité où on le prétend, il n'y a plus à, proprement dire de principe, puisqu'un principe est toujours le principe d'une ou de plusieurs autres choses. § 4. Examiner si l'être est en ce sens, revient tout a fait à discuter telle autre thèse tout aussi vaine, parmi celles qui ne sont avancées que pour le besoin de la dispute, comme la fameuse thèse d'Héraclite. Autant vaudrait soutenir que l'être entier se concentre dans un seul individu de l'espèce humaine. § 5. Au fond, c'est simplement réfuter un argument captieux, défaut que présentent les deux opinions de Mélissus et de Parménide ; car elles reposent toutes deux sur des prémisses fausses, et elles ne concluent pas régulièrement. Mais le raisonnement de Mélissus est encore le plus grossier, et il ne peut pas même causer la moindre hésitation ; car il suffit d'une seule donnée absurde pour que toutes les conséquences le soient également ; et c'est une chose des plus faciles à voir. § 6. Quant à nous, posons comme un principe fondamental que les choses de la nature, soit toutes, soit quelques-unes au moins sont soumises au mouvement ; et c'est là un fait que l'induction ou l'observation nous apprend avec toute évidence. § 7. Mais, en même temps, nous ne prétendrons point répondre à toutes les questions, et nous ne réfuterons que les erreurs que l'on commet dans les démonstrations en partant des principes ; nous laisserons de côté toutes celles qui n'en partent pas. C'est ainsi, par exemple, que c'est au géomètre de réfuter la démonstration de la quadrature du cercle par les segments; mais le géomètre n'a plus rien à faire avec celle d'Antiphon. § 8. Néanmoins, comme sans traiter précisément de la nature, ces philosophes touchent à des questions physiques, il sera peut-être utile d'en dire ici quelques mots : car ces recherches ne laissent pas que d’avoir leur côté de philosophie. [1,3] CHAPITRE III. § 1. Comme le mot d'Être reçoit plusieurs acceptions, notre point de départ le plus convenable sera d'examiner d'abord ce qu'on entend quand on dit que l'être est un. Comprend-on par là que tout l'être est substance, ou bien que tout l'être est ou quantité ou qualité ? Si tout est substance dans l'être, comprend-on que c'est une substance unique qui est tout l'être ? et, par exemple, un homme un, un cheval un, une âme une, qui serait la substance de tout l'être ? Si tout est qualité dans l'être, comprend-on que c'est une qualité unique ? et, par exemple, que c'est le blanc, le chaud, ou telle autre qualité du même genre ? Ce sont-là des points de vue très différents ; mais ils sont tous également impossibles à soutenir. § 2. En effet, si l'être est substance et quantité et qualité, que d'ailleurs la qualité, la quantité et la substance soient indépendantes et séparées les unes des autres ou ne le soient pas, il en résulte toujours qu'il y a plusieurs sortes d'êtres. § 3. Si l'on dit que les êtres tout entiers sont qualité ou quantité, en admettant d'ailleurs ou en rejetant la substance, c'est une opinion absurde, si l'on peut qualifier d'absurde ce qui est impossible ; car rien ne peut exister séparément, si ce n'est la substance, puisque tout le reste se dit comme attribut de la substance qui est le seul support. § 4. Mélissus soutient que l'être est infini ; à ses yeux, l'être est donc une certaine quantité, puisque l'infini est dans la quantité. Or, la substance, pas plus que la qualité ou l'affection, ne saurait jamais être infinie, si ce n'est accidentellement, c'est-à-dire à moins d'être en même temps considérée comme des quantités à un certain point de vue. La définition de l'infini emprunte l'idée de quantité, mais ne suppose point celle de substance, ni celle de qualité. Si donc l'être est à la fois substance et quantité, dès lors il est deux et non plus un. § 5. Si l'être n'est que substance, il n'est plus infini ; il n'a même plus de grandeur quelconque ; car il faudrait qu'il fût une quantité. § 6. D'une autre part, comme le mot Un se prend en plusieurs acceptions tout aussi bien que le mot Être, il faut examiner à ce nouveau point de vue en quel sens on dit que tout l'être est un. Un se dit pour exprimer qu'une chose est continue ou qu'elle est indivisible ; ou ce mot s'applique aux choses dont la définition essentielle, destinée à expliquer ce qu'elles sont, est une seule et même définition, comme, par exemple, la définition du Jus de la treille et celle du Vin. § 7. Si par Un on entend continu, l'être alors est multiple, puisque le continu est divisible à l'infini. § 8. Mais ici l'on élève sur les rapports de la partie et du tout une question qui, sans tenir peut-être bien directement à notre sujet, mérite néanmoins par elle-même qu'on l'examine, c'est de savoir si le tout et la partie sont une seule chose ou plusieurs choses ; de quelle manière ils sont ou une seule chose ou plusieurs ; en supposant que ce sont plusieurs choses, comment cette multiplicité a lieu, recherche qui peut également s'appliquer à des parties non continues ; et enfin si chacune de ces parties, en tant qu'indivisible, est une avec le tout, attendu que chacune de ces parties constitue aussi une unité par elle-même. § 9. Si l'être est un en tant qu'indivisible, il n'est plus alors ni quantité ni qualité, et il cesse d'être infini comme le croit Mélissus. Il n'est pas davantage fini, comme le soutient Parménide, puisque c'est la fin, la limite seule qui est indivisible, et non point du tout le fini lui-même. § 10. Si l'on dit que tous les êtres peuvent être un, parce qu'ils auraient une définition commune, comme, par exemple, Vêtement et Habit se définissent de même, on ne fait plus alors que reproduire l'opinion d'Héraclite. Désormais tout se confond ; le bien se confond avec le mal, ce qui n'est pas bon avec ce qui est bon ; le bien et ce qui n'est pas bien sont identiques ; l'homme et le cheval sont tout un. Mais alors ce n'est plus affirmer vraiment que tous les êtres sont un, c'est affirmer qu'ils ne sont rien, et que la qualité et la quantité sont identiques. § 11. Du reste, les plus récents, tout aussi bien que les anciens, se sont beaucoup troublés de la crainte de prêter tout ensemble à une même chose l'unité et la multiplicité. Pour échapper à cette contradiction, les uns ont supprimé le verbe d'existence et retranché le mot Est, comme Lycophron. Les autres ont atténué l'expression pour la mettre en harmonie avec leurs idées ; et pour ne pas dire que l'homme cet blanc, ils disaient qu'il blanchit ; au lieu de dire qu'il est marchant, ils disaient qu'il marche ; et tout cela pour éviter, en admettant le mot Est, de faire plusieurs êtres de ce qui est un, supposant sans doute que l'Un et l'Etre ne peuvent avoir qu'une seule acception. § 12. Mais les êtres sont multiples, d'abord par leur définition ; car la définition de blanc, par exemple, est autre que celle de musicien, bien que ces deux qualités puissent appartenir à un seul et même être ; et, par conséquent, l'Un est multiple ; ou bien les êtres sont multiples aussi par la division, comme le tout et les parties. Sur ce dernier point, les philosophes dont nous parlons s'embarrassaient fort, et ils avouaient que l'Un est multiple, comme si la même chose ne pouvait pas être une et plusieurs à la fois, en ce sens seulement qu'elle ne peut avoir à la fois les qualités opposées, puisque l'Un peut exister et en simple puissance, et en réalité complète ou entéléchie. § 13. En suivant la méthode qui vient d'être exposée, on peut conclure qu'il est impossible que les êtres soient un seul et même être. [1,4] CHAPITRE IV. § 1. Même en partant des principes que ces philosophes admettent dans leurs démonstrations, il n'est pas difficile de résoudre les questions qui les arrêtent. Le raisonnement de Mélissus et de Parménide est également captieux ; ils ont l'un et l'autre des prémisses fausses, et ils ne concluent pas régulièrement. Mais le raisonnement de Mélissus est encore plus grossier et ne peut pas même causer la moindre hésitation. Il suffit d'une seule donnée absurde pour que toutes les conséquences le soient également ; et c'est une chose des plus faciles à voir. § 2. Il est de toute évidence que Mélissus raisonne mal ; car il admet cette hypothèse, que du moment que tout ce qui a été produit a un principe, ce qui n'a pas été produit ne doit point en avoir. § 3. C'est encore une erreur non moins grave de supposer que toute chose a un commencement et que le temps n'en a point ; qu'il n'y a point de principe pour la génération absolue, mais qu'il y en a pour l'altération, comme s'il n'y avait pas tel changement complet qui se produit tout d'une pièce. § 4. Ensuite, pourquoi l'être doit-il être immobile, parce qu'il est un ? En effet, quand une partie du tout qui est bien une, de l'eau, par exemple, se meut par elle-même, pourquoi l'être entier ne pourrait-il pas se mouvoir, lui aussi, de la même façon ? Et pourquoi l'altération y serait-elle impossible ? § 5. Enfin, il ne se peut pas que l'être soit un en espèce, à moins que ce ne soit par l'identité du principe d'où il sort. Il est même certains physiciens qui entendent l'unité de l'être entier en ce dernier sens, et qui ne l'entendent pas dans l'acception précédente ; car, disent-ils, l'homme, par exemple, est en espèce différent du cheval, et les contraires diffèrent également d'espèce entre eux. § 6. Les mêmes arguments peuvent être employés contre Parménide, bien qu'on puisse aussi lui en opposer de spéciaux ; et la réfutation consiste encore pour lui à démontrer d'une part que ses données sont fausses, et d'autre part qu'elles ne concluent pas. § 7. D'abord la donnée est fausse en ce qu'il suppose que le mot Être n'a qu'un seul sens, tandis qu'il en a plusieurs. § 8. En second lieu, il ne conclut pas régulièrement en ce qu'en admettant même que le blanc soit un, les objets blancs n'en sont pas moins plusieurs et non point un seul évidemment. En effet, le blanc n'est un ni par la continuité, ni par la définition ; car l'essence de la blancheur est autre que l'essence de l'être qui reçoit cette blancheur ; et, en dehors de l'être qui est blanc, il n'existe pas de substance séparée, puisque ce n'est pas en tant que la blancheur est séparée qu'elle diffère de l'être blanc. Mais, encore une fois, c'est que l'essence de la blancheur est autre que l'essence de l'être à qui cette blancheur appartient ; or, c'est ce que Parménide n'a pas su voir. § 9. Ainsi donc, quand on soutient que l'être est un, il faut de toute nécessité admettre non seulement que l'être exprime l'Un, bien que l'Un lui soit attribué, mais qu'il exprime aussi tout ensemble et l'existence réelle de l'être, et l'existence réelle de l'Un, puisque l'accident est toujours attribué à un sujet. Par suite le sujet auquel alors on applique l'être comme attribut, n'a plus d'existence propre puisqu'il est différent de l'être ; et voilà un être sans existence qui existe. C'est que de fait rien n'a l'existence substantielle que ce qui est réellement ; car il ne se peut pas qu'un être soit son attribut à lui-même, à moins que le mot Être n'ait plusieurs sens qui permettent d'attribuer l'existence à chacune de ces choses particulières. Mais on suppose que l'Être ne signifie que l'Un. § 10. Si donc l'être réel n'est jamais l'attribut accidentel de quoi que ce soit, mais qu'il reçoive au contraire les attributs, comment pourra-t-on dire que l'être vrai signifie l'être plutôt que le non-être ? Car si l'être réel se confond avec le blanc par exemple, et que l'essence du blanc ne soit pas identique à celle de l'être, puisqu'aucun être ne peut jamais être l'attribut du blanc, il s'en suit qu'il n'y a d'être que l'être réel ; et le blanc dès lors n'est pas, non point en ce sens qu'il n'est pas tel être, mais en ce sens qu'il n'est pas absolument du tout. Ainsi l'être réel devient un non-être ; car il est exact de dire qu'il est blanc, et le blanc n'exprimait pas l'être. § 11. En résumé, si le blanc exprime un être réel, il faut reconnaître dès lors que le mot Être peut avoir plusieurs sens divers. § 12. L'être, tel que le comprend Parménide, ne sera même plus susceptible d'une dimension quelconque, du moment que ce seul être est l'être réel, puisque chacune des deux parties du tout a toujours un être différent. § 13. Pour se convaincre que l'être réel se divise essentiellement en un autre être, il suffit de regarder à la définition d'un être quelconque. Par exemple, si l'homme est défini un certain être réel, il faut absolument que l'animal et le bipède soient également des êtres ; car si ce ne sont pas des êtres, ce sont des accidents, soit de l'homme soit de tout autre sujet ; ce qui est évidemment impossible. § 14. En effet on entend par accident ou attribut dans le langage ordinaire, d'abord ce qui peut indifféremment être et ne pas être dans le sujet, et ensuite ce dont la définition comprend l'être dont il est l'attribut. Ainsi être assis est un simple accident d'un être quelconque, en tant qu'accident séparable ; mais dans l'attribut Camard, il y a la définition de nez ; car c'est du nez seul que nous disons qu'il peut accidentellement être camard. § 15. Il faut ajouter encore que tout ce qui est compris dans la définition essentielle d'une chose, ou qui en forme les éléments, ne comprend pas néanmoins nécessairement dans sa définition, la définition du tout lui-même. Ainsi, la définition de l'homme n'est pas dans celle du bipède ; ou bien encore celle de l'homme blanc n'est pas dans la définition du blanc. § 16. Si donc il en est ainsi, et que le bipède soit un simple accident de l'homme, il faut nécessairement que l'accident soit séparable, c'est-à-dire que l'homme puisse n'être pas bipède ; ou autrement, la définition de l'homme serait impliquée dans l'idée de bipède. Mais c'est là ce qui est impossible, puisqu'an contraire c'est l'idée de bipède qui est impliquée dans la définition de l'homme. § 17. Si bipède, ainsi qu'animal, peut être l'accident d'un autre être, il s'ensuit que ni l'un ni l'autre ne sont des êtres réels, et que l'homme est aussi au nombre des accidents qui peuvent être attribués à un autre être. Mais l'être réel est précisément ce qui ne peut jamais être accident ou attribut de quoi que ce soit ; c'est le sujet auquel s'appliquent les deux termes, soit chacun séparément, soit même réunis dans le composé total qu'ils forment. § 18. Ainsi donc, l'être total est composé d'indivisibles. § 19. Quelques philosophes ont donné les mains aux deux solutions à la fois ; d'une part, à celle qui admet que tout est un, si l'être signifie l'un, et que le non-être lui-même est quelque chose ; et, d'autre part, à celle qui arrive par la méthode de division successive en deux, par la dichotomie, à reconnaître des existences et des grandeurs individuelles. § 20. Mais, évidemment, il est faux de conclure, parce que l'être signifierait l'un, et parce que les contradictoires ne peuvent être vraies à la fois, qu'il n'y a pas de non-être ; car rien ne s'oppose à ce que le non-être soit non pas absolument quelque chose qui n'est pas, mais qu'il ne soit pas un certain être. Ce qui est absurde c'est de soutenir que tout est un par cela seul qu'il n'existe rien en dehors de l'être lui-même ; car qui pourrait comprendre ce qu'est l'être, s'il n'est pas un certain être réel ? Et, s'il en est ainsi, rien ne s'oppose à ce que les êtres soient multiples, ainsi que je l'ai dit. § 21. Il est donc de toute évidence qu'à ce point de vue il est impossible de dire que l'être soit un. [1,5] CHAPITRE V. § 1. Pour étudier ce que disent les Physiciens, il faut distinguer deux systèmes. § 2. Les uns, trouvant l'unité de l'être dans le corps qui sert de sujet substantiel aux attributs, ce corps étant pour eux, soit un des trois éléments, soit tel autre corps, plus grossier que le feu et plus subtil que l'air, en font sortir tout le reste des êtres, dont ils reconnaissent la multiplicité, par les modifications infinies de la condensation et de la raréfaction, de la densité et de la légèreté. Mais ce sont là des contraires qui,d'une manière générale, ne sont qu'excès et défaut, comme le dit Platon en parlant du grand et du petit. Seulement Platon fait de ces contraires la matière même, réduisant l'unité de l'être à la simple forme, tandis que ces physiciens appellent matière le sujet qui est un, et appellent ]es contraires des différences et des espèces. § 3. Quant aux autres physiciens, ils pensent que les contraires sortent de l'être un qui les renferme, comme le croient Anaximandre et tous ceux qui admettent à la fois l'unité et la pluralité des choses, par exemple, Empédocle et Anaxagore. Car ces deux derniers philosophes font sortir aussi tout le reste du mélange antérieur ; et la seule divergence de leurs opinions, c'est que l'un admet le retour périodique des choses, tandis que l'autre n'y admet qu'un mouvement unique ; c'est que l'un regarde comme infinies les parties similaires des choses et les contraires, tandis que l'autre ne reconnaît pour infinis que ce qu'on appelle les éléments. § 4. Si Anaxagore a compris de cette façon l'infinité de l'être, c'est, à ce qu'il semble, parce qu'il se rangeait à l'opinion commune des Physiciens, que rien ne peut venir du néant ; car c'est par le même motif qu'il soutient que "tout à l'origine était mêlé et confus" et que "tout phénomène est un simple changement," comme d'autres soutiennent encore qu'il n'y a jamais dans les choses que composition et décomposition. § 5. Anaxagore s'appuie de plus sur ce principe que les contraires naissent les uns des autres ; donc ils existaient antérieurement dans le sujet ; car il faut nécessairement que tout ce qui se produit vienne de l'être ou du néant ; et s'il est impossible qu'il vienne du néant, axiome sur lequel tous les physiciens sont unanimement d'accord, reste cette opinion qu'ils ont dû accepter, à savoir que de toute nécessité les contraires naissent d'éléments qui existent déjà et sont dans le sujet, mais qui grâce à leur petitesse échappent à tous nos sens. § 6. Ils soutenaient donc que tout est dans tout, parce qu'ils voyaient que tout peut naître de tout, et ils prétendaient que les choses ne paraissent différentes et ne reçoivent des noms distincts, que d'après l'élément qui domine en elles par son importance, au milieu du mélange des parties dont le nombre est infini. Ainsi, jamais le tout n'est purement ni blanc, ni noir, ni doux, ni chair, ni os ; mais c'est l'élément prédominant qui est pris pour la nature même de la chose. § 7. Cependant, si l'infini, en tant qu'infini, ne peut être connu, l'infini en nombre et en grandeur étant incompréhensible dans sa quantité, et l'infini en espèce l'étant dans sa qualité, il s'ensuit que du moment que les principes sont infinis en nombre et en espèce, il est impossible de jamais connaître les combinaisons qu'ils forment, puisque nous ne croyons connaître un composé que quand nous savons l'espèce et le nombre de ses éléments. § 8. De plus, si une chose dont la partie peut être d'une grandeur ou d'une petitesse quelconque, doit être elle-même susceptible de ces conditions, j'entends une de ces parties dans lesquelles se divise le tout ; et s'il est possible qu'un animal ou une plante soit d'une dimension arbitraire en grandeur ou en petitesse, il n'est pas moins clair qu'aucune de ses parties non plus ne peut être d'une grandeur quelconque, puisqu'alors le tout en serait également susceptible. Or, la chair, les os et les autres matières analogues sont des parties de l'animal, comme les fruits le sont des plantes ; et il est parfaitement évident qu'il est de toute impossibilité que la chair, l'os ou telle autre partie aient une grandeur quelconque indifféremment, soit en plus soit en moins. § 9. En outre, si toutes les choses, telles qu'elles sont, existent les unes dans les autres et si elles ne peuvent jamais naître, ne faisant que se séparer du sujet où elles sont antérieurement, et étant dénommées d'après ce qui domine en elles, alors tout peut naître de tout indistinctement ; l'eau provient de la chair, d'où elle se sépare ; ou la chair provient de l'eau indifféremment. Mais alors tout corps fini est épuisé par le corps fini qu'on en retranche, et l'on voit sans peine qu'il n'est pas possible que tout soit dans tout ; car si de l'eau on retire de la chair, et que d'autre chair sorte encore du résidu, par voie de séparation, quelque petite que soit de plus en plus la chair ainsi tirée de l'eau, elle ne peut jamais, par sa ténuité, dépasser une certaine quantité appréciable. Par conséquent, si la décomposition s'arrête à un degré précis, c'est que tout n'est pas dans tout, puisqu'il n'y a plus de chair dans ce qui reste d'eau ; et si la décomposition ne s'arrête pas, et qu'il y ait séparation perpétuelle, dès lors il y aura dans une grandeur finie des parties finies et égales entr'elles qui seront en nombre infini ; et c'est là une chose impossible. § 10. J'ajoute que, quand on enlève quelque chose à un corps quelconque, ce corps entier devient nécessairement plus petit. Or, la quantité de la chair est limitée soit en grandeur soit en petitesse. Ainsi, évidemment, de la quantité la plus petite possible de la chair, on ne pourra plus séparer aucun corps ; car, alors, il serait moindre que la quantité la plus petite possible. § 11. D'autre part, il y aurait déjà, dans les corps supposés infinis, une chair infinie, du sang et du cerveau en quantité infinie, éléments séparés tous les uns des autres, mais qui n'en existent pas moins cependant, et chacun d'eux serait infini ; ce qui est dénué de toute raison. § 12. Prétendre que jamais la séparation des éléments ne sera complète, c'est soutenir une idée dont peut-être on ne se rend pas bien compte, mais qui, au fond, n'en est pas moins juste. En effet, les qualités affectives des choses en sont inséparables. Si donc les couleurs et les propriétés des êtres, étaient primitivement mêlées à ces êtres, du moment qu'on les aura séparées, il y aura quelque qualité, par exemple, le blanc ou le salubre, qui ne sera absolument que salubre ou blanc, et qui ne pourra plus même alors être l'attribut d'aucun sujet. Mais l'Intelligence supposée par Anaxagore tombe dans l'absurde quand elle prétend réaliser des choses impossibles, et quand elle veut, par exemple, séparer les choses, lorsqu'il est de toute impossibilité de le faire, soit en quantité soit en qualité ; en quantité, parce qu'il n'y a pas de grandeur plus petite ; en qualité, parce que les affections des choses en sont inséparables. § 13. Enfin, Anaxagore n'explique pas bien la génération des choses en la tirant de ses espèces similaires. En un sens, il est bien vrai que la boue se divise en d'autres boues ; mais, en un autre sens, elle ne s'y divise pas ; et si l'on peut dire que les murs viennent de la maison et la maison des murs, ce n'est pas du tout de la même manière qu'on peut dire que l'air et l'eau sortent et viennent l'un de l'autre. § 14. Il vaudrait mieux admettre des principes moins nombreux et finis, comme l'a fait Empédocle. [1,6] CHAPITRE VI. § 1. Tous les Physiciens sans exception, regardent les contraires comme des principes. C'est l'opinion de ceux qui admettent l'unité de l'être, quel qu'il soit, et son immobilité, comme Parménide, qui prend pour ses principes le froid et le chaud qu'il appelle la terre et le feu. C'est l'opinion de ceux qui admettent le rare et le dense, ou, comme le dit Démocrite, le plein et le vide, l'un de ces contraires étant l'être aux yeux de ces philosophes et l'autre le non-être. Enfin, c'est l'opinion de ceux qui expliquent les choses par la position, la figure, l'ordre, qui ne sont que des variétés de contraires : la position étant, par exemple, en haut, en bas, en avant, en arrière ; la figure étant d'avoir des angles, d'être sans angles, d'être droit, circulaire, etc. Ainsi, tout le monde s'accorde, de façon ou d'autre, à reconnaître les contraires pour principes. § 2. C'est d'ailleurs avec toute raison ; car les principes ne doivent ni venir les uns des autres réciproquement, ni venir d'autres choses ; et il faut, au contraire, que tout le reste vienne des principes. Or, ce sont là précisément les conditions que présentent les contraires primitifs. Ainsi, en tant que primitifs, ils ne dérivent pas d'autres choses; et, en tant que contraires, ils ne dérivent pas les uns des autres. Mais il faut voir, en approfondissant encore cette théorie, comment les choses se passent. § 3. Il faut poser d'abord cet axiome que, parmi toutes les choses, il n'y en a pas une qui puisse naturellement faire ou souffrir au hasard telle ou telle action de la part de la première chose venue. Une chose quelconque ne peut pas venir d'une autre chose quelconque, à moins qu'on n'entende que ce ne soit d'une manière purement accidentelle. § 4. Comment, par exemple, le blanc sortirait-il du musicien, à moins que le musicien ne soit un simple accident du blanc ou du noir ? Mais le blanc vient du non-blanc, et non pas du non-blanc en général, mais du noir et des couleurs intermédiaires. De même le musicien vient du non-musicien, mais non pas du non-musicien en général, mais il vient de ce qui n'a pas cultivé la musique ou de tel autre terme intermédiaire analogue. § 5. D'autre part, une chose quelconque ne se perd pas davantage dans une chose quelconque. Ainsi, le blanc ne se perd pas dans le musicien, à moins que ce ne soit encore en tant que simple accident ; mais il se perd dans le non-blanc, et non point dans un non-blanc quelconque, mais dans le noir, ou telle autre nuance de couleur intermédiaire. Tout de même le musicien se perd dans le non-musicien; et non point dans un non-musicien quelconque, mais dans ce qui n'a pas cultivé la musique, ou dans tel autre terme intermédiaire. § 6. Cet axiome s'applique également à tout le reste, et les êtres qui ne sont plus simples, mais composés, y sont pareillement soumis. Mais, en général, on ne tient pas compte de tous ces rapports, parce que les propriétés opposées des choses n'ont pas reçu dans le langage de dénomination spéciale. § 7. Car il faut nécessairement que ce qui est organisé harmonieusement vienne de ce qui n'est pas organisé, et que ce qui n'est pas organisé vienne de ce qui l'est. Il faut, en outre, que l'organisé périsse dans l'inorganisé, et non point dans un inorganisé quelconque ; mais dans l'inorganisé opposé. § 8. Peu importe qu'on parle ici d'organisation, ou d'ordre, ou de combinaison des choses. Evidemment cela revient toujours au même. Ainsi, la maison, pour prendre cet exemple, ou la statue ou telle autre chose, se produisent absolument de même. La maison vient de la combinaison de telles matières qui n'étaient pas antérieurement réunies de telle façon, mais qui étaient séparées. La statue, ou tout autre chose figurée, vient de ce qui était antérieurement sans figure. Et, de fait, chacune de ces choses n'est qu'un certain ordre ou une certaine combinaison régulière. § 9. Si donc cette théorie est vraie, tout ce qui vient à naître naît des contraires ; tout ce qui vient à se détruire se résout en se détruisant dans ses contraires ou dans les intermédiaires. Les intermédiaires eux-mêmes ne viennent que des contraires ; et, par exemple, les couleurs viennent du blanc et du noir. Par conséquent, toutes les choses qui se produisent dans la nature, ou sont des contraires, ou viennent de contraires. § 10. C'est jusqu'à ce point que sont arrivés comme nous la plupart des autres philosophes, ainsi que nous venons de le dire. Tous, sans peut-être en avoir d'ailleurs logiquement bien le droit, appellent du nom de contraires les éléments, et ce qu'ils qualifient de principes ; et l'on dirait que c'est la vérité elle-même qui les y force. § 11. La seule différence entr'eux, c'est que les uns admettent pour principes des termes antérieurs, et les autres des termes postérieurs ; ceux-ci, des idées plus notoires pour la raison, ceux-là, des idées plus notoires pour la sensibilité ; pour les uns c'est le froid et le chaud; pour les antres le sec et l'humide ; pour d'autres encore le pair et l'impair ; pour d'autres enfin l'amour et la haine, qui sont les causes de toute génération. Mais tous ces systèmes ne diffèrent entr'eux que comme je viens de l'indiquer. § 12. J'en conclus que tous en un sens s'accordent, et qu'en un sens tous se contredisent. Ils se contredisent sur les points où le voit de reste tout le monde ; mais ils s'accordent par les rapports d'analogie qu'ils soutiennent entr'eux. Ainsi tous s'adressent à une seule et même série ; et, toute la différence, c'est que parmi les contraires qu'ils adoptent, les uns enveloppent et que les autres sont enveloppés. C'est donc à ce point de vue que ces philosophes s'expriment de même et qu'ils s'expriment différemment, les uns mieux, les autres moins bien, ceux-ci, je le répète, prenant des notions plus claires pour la raison, ceux-là des notions plus claires pour la sensibilité. Ainsi, l'universel est bien plus notoire pour la raison ; c'est l'individuel qui l'est davantage pour les sens, puisque la sensation n'est jamais que particulière. Par exemple, le grand et le petit s'adressent à la raison ; le rare et le dense s'adressent à la sensibilité. § 13. En résumé, on voit clairement que les principes doivent nécessairement être des contraires. [1,7] CHAPITRE VII. § 1. Pour faire suite à ce qui précède, on peut rechercher si les principes de l'être sont au nombre de deux, de trois ou davantage. § 2. D'abord, il est impossible qu'il n'y en ait qu'un seul, puisque les contraires sont toujours plus d'un. § 3. Mais il est impossible, d'autre part, qu'ils soient en nombre infini ; car, alors, l'être serait inaccessible à la science. § 4. Et, dans tout genre qui est un, il n'y a qu'une seule opposition par contraires ; or, la substance est un genre qui est un. § 5. Mais les choses peuvent bien venir aussi de principes finis ; et, si l'on en croit Empédocle, il vaut mieux qu'elles viennent de principes finis que de principes infinis ; car il croit pouvoir expliquer par des principes finis tout ce qui Anaxagore explique avec ses infinis. § 6. Il y a en outre des contraires qui sont antérieurs à d'autres contraires ; et il y en a qui viennent de contraires différents : ainsi, le doux et l'amer, le blanc et le noir. Mais, quant aux principes, ils doivent toujours rester immuables. § 7. Je tire de tout ceci la conclusion, d'une part, qu'il n'y a pas un principe unique des choses, et, d'autre part, que les principes ne sont pas en nombre infini. § 8. Du moment que les principes sont limités, il y a quelque raison de supposer qu'ils ne peuvent pas être seulement deux ; car alors on pourrait également se demander, ou comment la densité peut jamais faire quelque chose de la rareté, ou à l'inverse comment la rareté produirait jamais la moindre action sur la densité ; et de même pour toute autre opposition par contraires. Par exemple, l'Amour ne peut pas se concilier la Haine, ni en tirer quoi que ce soit, pas plus que la Haine ne peut rien faire de l'Amour. Mais tous les deux agissent sur un troisième terme qui est différent de l'un et de l'autre ; et voilà pourquoi certains philosophes ont imaginé plus de deux principes pour expliquer le système entier des choses. § 9. Une autre difficulté qu'on rencontrerait si l'on refusait d'admettre qu'il y a une nature différente servant de support aux contraires, c'est que, comme l'observation nous le démontre, les contraires ne sont jamais la substance de rien. Or, le principe ne peut pas du tout être l'attribut de quoi que ce soit; car alors il y aurait un principe du principe, puisque le sujet est principe, et qu'il est antérieur à ce qui lui est attribué. § 10. De plus, nous soutenons que la substance ne peut être contraire à la substance ; et, alors, comment la substance pourrait-elle venir de ce qui n'est pas substance ? Et comment ce qui n'est pas substance serait-il antérieur à la substance même ? § 11. Il résulte de ceci que si l'on admet à la fois l'exactitude de notre premier raisonnement et l'exactitude de celui-ci, il faut nécessairement, pour sauver la vérité des deux, admettre un troisième terme outre les deux contraires. § 12. C'est du reste ce que font les philosophes qui constituent l'univers avec une nature et un élément uniques, prenant l'eau ou le feu, ou un élément intermédiaire. § 13. Mais il nous semble que c'est plutôt à cet intermédiaire qu'il faudrait prêter ce rôle, puisque le feu, la terre, l'air et l'eau sont toujours, entremêlés de quelques contraires. Aussi, on peut ne pas trouver déraisonnables ceux qui pensent que le sujet est encore quelqu'autre chose que les éléments ; puis, viennent ceux qui prennent l'air pour premier principe ; car l'air est celui de tous les éléments dont les différences sont le moins sensibles ; puis, enfin, ceux qui prennent l'eau pour principe de tout. § 14. Mais tous ces philosophes s'accordent à transformer leur principe unique par des contraires, telles que la rareté, la densité ; le plus, le moins ; et, comme nous le faisions remarquer un peu plus haut, ce n'est là, en résumé, qu'excès ou défaut. § 15. C'est, du reste, je crois, une opinion fort ancienne que de trouver dans l'excès ou le défaut tous les principes des choses. Seulement, tout le monde n'entend pas ceci de la même manière ; car les anciens prétendaient que ce sont les deux derniers qui agissent et que c'est l'unité qui souffre, tandis que quelques-uns des philosophes postérieurs avancent au contraire, que c'est bien plutôt l'unité qui agit, et que les deux autres ne font que souffrir son action. § 16. Ce sont ces arguments-là et des arguments analogues qui donneraient à penser, non sans raison, que les éléments sont au nombre de trois, comme nous venons de le dire. § 17. Mais on ne peut aller jusqu'à soutenir qu'ils sont plus de trois. Car, d'abord, l'unité suffit à souffrir les contraires. § 18. Puis, si l'on admet qu'ils sont quatre, il y aura dès lors deux oppositions par contraires, et il faudra, en outre, pour chacune d'elles séparément une autre nature intermédiaire. Or, s'ils peuvent, en étant simplement deux, s'engendrer l'un par l'autre, il y a, par conséquent, l'une des deux oppositions qui devient parfaitement inutile. § 19. Enfin, il est également impossible qu'il y ait plus d'une seule opposition primordiale par contraires ; car la substance étant un genre unique de l'être, les principes ne peuvent différer entr'eux qu'en tant que les uns sont postérieurs et les autres antérieurs. Mais ils ne différent plus en genre, un genre ne pouvant jamais contenir qu'une seule opposition, et toutes les oppositions pouvant, en définitive, être ramenées à une seule. § 20. Ainsi, évidemment, il ne se peut pas qu'il n'y ait qu'un élément unique ; il ne se peut pas non plus qu'il y en ait plus de deux ou trois. Où est ici le vrai ? C'est ce qu'il est très difficile de savoir, ainsi que je l'ai dit. [1,8] CHAPITRE VIII. § 1. La méthode que nous comptons suivre sera de traiter d'abord de la génération des choses dans toute son étendue ; car il est conforme à l'ordre naturel d'expliquer en premier lieu les conditions communes, pour arriver ensuite à étudier les propriétés particulières. § 2. Quand nous disons qu'une chose vient d'une autre chose, et que telle, chose devient différente de ce qu'elle était, nous pouvons employer ou des termes simples ou des termes composés. Or, voici ce que j'entends par là : quand je veux exprimer, par exemple, qu'un homme devient musicien, je puis dire ou que le non-musicien devient musicien, ou qu'un homme qui n'est pas musicien devient un homme musicien. J'appelle terme simple ce qui devient quelque chose, soit ici l'homme, soit le non-musicien ; et ce qu'il devient est également un terme simple, à savoir musicien. Au contraire, le terme s'appelle composé quand on exprime à la fois et le sujet qui devient quelque chose et ce qu'il devient : par exemple, quand on dit que l'homme non-musicien devient homme musicien. § 3. De ces deux expressions, l'une signifie non seulement qu'une chose devient telle chose, mais encore qu'elle provient de telle situation antérieure ; et, ainsi, un homme devient musicien de non-musicien qu'il était auparavant. Mais l'autre expression ne se prend pas universellement ; car elle ne veut pas dire que d'homme l'être est devenu musicien ; mais elle dit seulement que l'homme est devenu musicien. § 4. Dans les choses qui se produisent ainsi, au sens où nous entendons que des termes simples peuvent devenir quelque chose, il y a une partie qui subsiste en devenant quelque chose, et une autre qui ne subsiste pas. Ainsi, l'homme en devenant musicien subsiste en tant qu'homme, et il est homme ; mais le non-musicien, ou ce qui n'est pas musicien, ne subsiste point, que ce terme d'ailleurs soit simple ou complexe. § 5. Ceci une fois établi, on peut, dans tous les cas de génération, observer, pour peu qu'on y regarde, qu'il faut toujours, ainsi que nous venons de le dire, qu'il y ait une certaine partie qui subsiste et demeure pour supporter le reste. § 6. Ce qui subsiste, bien qu'il soit toujours un sous le rapport du nombre, ne l'est pas toujours dans la forme ; et, par la forme, j'entends aussi la définition qui remplace le sujet. L'un subsiste, tandis que l'autre ne subsiste pas. Ce qui subsiste, c'est ce qui n'est pas susceptible d'opposition, et l'homme subsiste de cette manière ; mais le musicien et le non-musicien ne subsistent pas ainsi, pas plus que ne subsiste le composé sorti de la combinaison des deux termes : je veux dire l'homme non-musicien. § 7. Mais cette expression qu'une chose sortant de tel état, devient ou ne devient pas telle autre, s'applique plus particulièrement aux choses qui, par elles-mêmes, ne subsistent pas : par exemple, on dit que de non-musicien on devient musicien ; mais on ne dit pas que d'homme on devienne musicien. Néanmoins, on emploie parfois une pareille locution même pour les substances ; et l'on dit à ce point de vue que la statue vient de l'airain, et non pas que l'airain devient statue. En parlant de ce qui est opposé et ne subsiste pas, on se sert indifféremment des deux expressions, et l'on dit ou que la chose vient de telle autre chose ou qu'elle devient telle autre chose. Ainsi, de non-musicien on devient musicien, et le non-musicien devient musicien. Voilà comment on s'exprime aussi de même pour le composé, puisque l'on dit également que de l'homme non-musicien vient le musicien, on bien que l'homme non-musicien devient musicien. § 8. Comme le mot Devenir peut avoir plusieurs acceptions, et comme on doit dire de certaines choses non pas qu'elles deviennent et naissent d'une manière absolue, mais qu'elles deviennent quelqu'autre chose, Devenir pris absolument ne pouvant s'appliquer qu'aux seules substances, il est clair que pour tout le reste il faut nécessairement qu'il y ait, au préalable, un sujet qui devient telle ou telle chose. Ainsi, la quantité, la qualité, la relation, le temps, le lieu, ne deviennent et ne se produisent qu'à l'occasion d'un certain sujet, attendu que la substance est la seule qui n'est jamais l'attribut de quoi que ce soit, tandis que tous les autres termes sont les attributs de la substance. § 9. Que les substances proprement dites, et en général tous les êtres qui existent absolument, viennent d'un sujet antérieur, c'est ce qu'on voit clairement, si l'on veut y regarder. Toujours il y a un être subsistant préalablement d'où naît celui qui naît et devient : les plantes et les animaux, par exemple, qui viennent d'une semence. Tout, ce qui naît et devient, généralement parlant, naît, soit par une transformation, comme la statue qui vient de l'airain ; soit par une addition, comme tous les êtres qui s'accroissent en se développant ; soit par une réduction, comme un Hermès, qu'on tire d'un bloc de pierre ; soit par un arrangement, comme la maison ; soit enfin par une altération, comme les choses qui souffrent un changement dans leur matière. Or, il est bien clair que, pour tout ce qui naît et se produit ainsi, il faut que tout cela vienne de sujets qui existent antérieurement. § 10. Il résulte donc clairement de tout ce qui précède que tout ce qui devient et se produit est toujours complexe, et qu'il y a tout à la fois et une certaine chose qui se produit et une certaine autre chose qui devient celle-là. J'ajoute qu'on peut même distinguer deux nuances dans cette dernière : ou c'est le sujet même, ou c'est l'opposé ; j'entends par l'opposé le non-musicien, et le sujet c'est l'homme, dans l'exemple cité plus haut. L'opposé, c'est ce qui est privé de la forme, ou de la figure, ou de l'ordre ; et le sujet, c'est l'or, l'airain ou la pierre. § 11. Une conséquence évidente de ceci, c'est que, puisqu'il y a des principes et des causes de tous les êtres qui sont dans la nature, principes primordiaux qui font de ces êtres ce qu'ils sont et ce qu'ils deviennent, non point par accident, mais tels que chacun d'eux est dénommé dans son essence, tout ce qui devient et se produit vient à la fois et du sujet et de la forme. Ainsi, l'homme devenu musicien est d'une certaine façon composé de l'homme et du musicien, puisque vous pourriez résoudre les définitions de l'un dans les définitions des deux autres ; et, par conséquent, on peut dire évidemment que tout ce qui devient et se produit vient toujours de ces principes. § 12. Le sujet est un numériquement, bien que spécifiquement il soit deux. Aussi, l'homme ou l'or, ou, d'une manière générale, la matière, est numérable ; car elle est davantage telle ou telle chose réelle, et ce qui se produit ne vient pas d'elle seulement par accident, tandis que la privation et l'opposition sont purement accidentelles. § 13. Quant à l'espèce, elle est une ; et, par exemple, c'est l'ordre, la musique, ou tel autre autre attribut de ce genre. § 14. Ainsi, on peut dire en un sens que les principes sont au nombre de deux, et l'on peut dire en un autre sens qu'ils sont trois. § 15. En un sens aussi ce sont des contraires, quand on dit, par exemple, le musicien et le non-musicien, le chaud et le froid, l'organisé et l'inorganisé ; mais, à un autre point de vue, ce ne sont pas des contraires, puisqu'il est impossible que les contraires agissent jamais l'un sur l'autre. Mais on peut répondre à cette difficulté, en disant que le sujet est différent et qu'il n'est pas du tout un contraire. § 16. Par conséquent, en un certain sens, les principes ne sont pas plus nombreux numériquement. Toutefois, ils ne sont pas absolument et purement deux, attendu que leur essence est différente ; et ils sont plutôt trois, puisque, par exemple, l'essence de l'homme est autre que l'essence du non-musicien, comme celle du non-figuré est autre que celle de l'airain. § 17. Nous avons donc exposé quel est le nombre des principes dans la génération des choses naturelles, et nous avons expliqué ce nombre. De plus, il est également clair qu'il faut un sujet aux contraires et que les contraires sont deux. Mais, à un autre point de vue, ceci même n'est pas nécessaire ; et l'un des deux contraires suffit pour produire le changement par sa présence ou par son absence. § 18. Pour bien savoir ce qu'est cette nature, cette matière première qui sert de support, on peut recourir à une analogie : ainsi, ce que l'airain est à la statue ou ce que le bois est au lit, ou bien encore ce que sont à toutes les choses qui ont reçu une forme, la matière et le non-figuré avant qu'ils aient pris leur forme propre, cette nature qui sert de support l'est à la substance, à l'objet réel, à ce qui est, à l'être. § 19. Elle est donc à elle seule un principe ; mais elle n'est pas une, et elle ne fait pas un être, comme le fait un objet individuel et particulier ; elle est une seulement en tant que sa notion est une, bien qu'elle ait en outre son contraire, qui est la privation. § 20. En résumé, on a expliqué dans ce qui précède comment les principes sont deux et comment ils sont aussi davantage ; car, d'abord on avait montré que les principes ne peuvent être que les contraires, et ensuite on a dû ajouter qu'il fallait nécessairement un sujet à ces contraires, et que par conséquent il y a trois principes, Maintenant ce qu'on vient de dire ici montre bien quelle est la différence des contraires, comment les principes sont les uns à l'égard des autres, et ce que c'est que le sujet qui sert de support. Ce qui n'est pas encore éclairci, c'est de savoir si l'essence des choses est ou la forme ou le sujet. Mais ce qu'on sait à cette heure, c'est qu'il y a trois principes ; c'est en quel sens ils sont trois, et de quelle façon ils le sont. Telle est notre théorie sur le nombre et sur la nature des principes. [1,9] CHAPITRE IX. § 1. Après ces développements, disons que cette théorie est déjà une manière de résoudre la question débattue par les anciens. § 2. Les premiers philosophes, malgré leur amour pour la vérité et leurs recherches sur la nature des choses, s'égarèrent, poussés en quelque sorte dans une autre voie par leur inexpérience, et ils soutinrent que rien ne se produit et que rien ne périt, parce qu'il y a nécessité, suivant eux, que ce qui naît et se produit vienne de l'être ou du non-être, et qu'il y a pour l'un et pour l'autre cas égale impossibilité. Car, d'abord, disaient-ils, l'être ne devient pas puisqu'il est déjà ; et en second lieu, rien ne peut venir du néant, du non-être, puisqu'il faut toujours qu'il y ait quelque chose qui serve de support. § 3. Puis, aggravant encore les conséquences de ce système, ils ajoutaient que l'être ne peut pas être plusieurs, et ils ne reconnaissaient dans l'être que l'être seul. § 4. Déjà nous avons fait voir comment ils ont été amenés à cette opinion. § 5. Mais à notre avis, entre ces diverses expressions, à savoir qu'une chose vient de l'être ou du non-être, ou bien que l'être ou le non-être fait ou souffre quelque chose, ou enfin que telle chose devient telle autre chose quelconque, il n'y a pas en un certain sens plus de différence que de dire ou que le médecin, par exemple, fait ou souffre telle chose, ou bien que de médecin l'être devient ou est telle autre chose. § 6. Mais comme cette dernière expression a un double sens, il est clair que celles-ci, à savoir que la chose vient de l'être et que l'être agit ou souffre, ont également deux acceptions. § 7. Si en effet le médecin vient à construire une maison, ce n'est pas en tant que médecin qu'il construit ; mais c'est en tant qu'architecte. S'il devient blanc, ce n'est pas davantage en tant que médecin, mais c'est en tant qu'il était noir, tandis que s'il guérit ou s'il échoue en tentant la guérison d'une maladie, c'est en tant que médecin qu'il agit. § 8. Mais comme on dit au sens propre, éminemment, que c'est le médecin qui fait quelque chose ou souffre quelque chose, ou devient quelque chose de médecin qu'il était, quand c'est en tant que médecin qu'il fait cette chose ou qu'il la souffre ou qu'il devient quelque chose, il est clair que, quand on dit qu'une chose vient du non-être, ou devient ce qu'elle n'était pas, c'est en tant que cette chose n'était pas ce qu'elle devient. § 9. C'est parce que les philosophes n'ont pas fait cette distinction qu'ils se sont tant égarés; et cette première erreur les a conduits jusqu'à soutenir cette absurdité que rien autre chose en dehors de l'être ne se produit ni n'existe, et jusqu'à nier toute génération des choses. § 10. Nous aussi, nous disons bien avec eux que rien ne peut, absolument parlant, venir du non-être ; mais nous admettons cependant que quelque chose peut venir du non-être, et, par exemple, indirectement et par accident. La chose vient alors de la privation, qui, en soi, est le non-être, et elle devient ce qu'elle n'était pas. Du reste, cette proposition est faite pour étonner, et il semble toujours impossible que quoi que ce soit puisse même ainsi venir du non-être. § 11. C'est encore de la même façon qu'il faut comprendre que l'être ne peut pas plus venir même de l'être que du non-être, si ce n'est par accident. § 12. L'être vient de l'être absolument de la même manière que si l'on disait que de l'animal vient l'animal, aussi bien que de tel animal particulier vient tel animal particulier aussi ; et par exemple, si l'on disait qu'un chien vient d'un cheval. Le chien alors pourrait venir non seulement d'un certain animal, mais encore de l'animal en général ; mais ce ne serait pas en tant qu'animal qu'il en viendrait, puisqu'il est déjà animal lui-même. Quand un animal doit devenir animal autrement que par accident, ce n'est pas de l'animal en général qu'il vient ; et si c'est d'un être réel qu'il s'agit, il ne viendra ni de l'être ni du non-être ; car nous avons expliqué qu'on ne peut comprendre cette expression, venir du non-être, qu'en tant que la chose n'est pas ce qu'elle devient. § 13. De cette façon, nous ne détruisons pas ce principe que toute chose doit être ou n'être pas. § 14. Voilà donc une première manière de résoudre la question posée par les anciens philosophes. § 15. Il y en a encore une autre qui consiste en ce qu'on peut parler des mêmes choses, soit en tant que possibles soit en tant qu'actuelles ; mais nous avons exposé cette théorie de la puissance et de l'acte avec plus de précision dans d'autres ouvrages. § 16. En résumé, nous venons de résoudre, comme nous l'avions promis, les difficultés qui ont amené nécessairement les anciens philosophes à nier quelques-uns de nos principes. C'est aussi la même erreur qui les a tant écartés de la route où ils auraient pu comprendre la génération et la destruction des choses, en un mot, le changement ; et cette nature première, s'ils avaient su la voir, aurait suffit pour dissiper leur ignorance. [1,10] CHAPITRE X. § 1. Il y a bien quelques autres philosophes qui ont touché à cette théorie de la nature première ; mais ils ne l'ont pas fait d'une manière suffisante. § 2. D'abord ils reconnaissent avec nous que quelque chose peut venir absolument du non-être, et qu'en ceci Parménide a toute raison. § 3. Mais ensuite ils prétendent que, la nature première étant une numériquement, elle ne doit également qu'être une en puissance ; or, c'est là une différence aussi énorme que possible. § 4. Pour notre part, nous affirmons que la privation et la matière sont des choses très diverses ; que la matière est le non-être par accident, tandis que la privation est le non-être en soi; et que la matière fort voisine de la substance est, à certains égards, substance elle-même, tandis que la privation ne l'est pas du tout. § 5. Mais d'autres philosophes placent le non-être dans le grand et le petit indifféremment, soit en les réunissant tous les deux ensemble, soit en les prenant chacun séparément ; et, par conséquent, cette manière qu'ils ont d'entendre la triade est absolument différente de celle qui vient d'être indiquée. En effet, ils sont bien allés jusqu'à ce point d'admettre comme nécessaire l'existence d'une nature qui doit servir de support ; mais ils ont supposé que cette nature est une ; et si quelque philosophe admet une dyade en la reconnaissant dans le grand et le petit, il n'en fait pas moins encore comme eux, puisqu'il oublie l'autre partie de l'être qui est la privation. § 6. L'une de ces parties, en effet, qui demeure et subsiste, concourt avec la forme pour produire comme une mère tous les phénomènes qui adviennent ; mais quant à l'autre partie de l'opposition des contraires, elle pourrait bien plus d'une fois faire l'effet de ne point exister du tout, pour celui qui ne regarderait en elle que son côté destructif. § 7. En effet, comme il y a dans les choses un élément divin, excellent et désirable, nous disons que l'un de nos deux principes est contraire à cet élément, tandis que l'autre est fait par sa propre nature pour rechercher et désirer cet élément divin. Mais dans les théories que nous combattons, il arrive que le contraire désire sa propre destruction. Cependant il est à la fois impossible, et que la forme se désire elle-même, parce qu'elle n'a aucune défectuosité, et que le contraire la désire, puisque les contraires se détruisent mutuellement. Mais c'est là précisément le rôle de la matière ; et elle est comme la femelle qui désire devenir mâle, ou le laid qui veut devenir beau; car la matière n'est pas le laid en soi ; elle n'est laide que par accident ; elle n'est pas non plus femelle en soi ; elle ne l'est qu'accidentellement. § 8. Dans un sens, la matière périt et naît ; et dans un autre sens, elle ne naît ni ne périt. Ce qui périt en elle, c'est la privation ; mais en puissance elle ne naît ni ne périt en soi. Loin de là ; il y a nécessité qu'elle soit impérissable et incréée. En effet, si elle naissait, il faudrait qu'il y eût antérieurement un sujet originaire d'où elle pût venir ; mais c'est là justement sa nature propre ; et alors la matière existerait avant même de naître ; car j'appelle matière ce sujet primitif qui est le support de chaque chose, et d'où vient originairement, et non par accident, la chose qui en sort. Si l'on dit que la matière peut périr, elle rentrera en elle-même, puisqu'elle est le terme extrême, et il s'en suivrait que la matière aurait péri avant même de périr. § 9. Quant au principe particulier de la forme, c'est le devoir de la Philosophie première de déterminer avec précision si ce principe est unique ou multiple, et d'étudier la nature de ce principe spécial, ou de ces principes, s'il y en a plusieurs. Nous renverrons donc pour cette occasion la théorie que nous ne faisons qu'indiquer ici, et nous nous réservons seulement de parler des formes naturelles et périssables dans les démonstrations qui vont suivre. § 10. En résumé, nous nous sommes borné jusqu'à présent à établir qu'il y a des principes ; nous en avons déterminé la nature et le nombre. Abordons à cette heure une autre théorie, en prenant un autre point de départ.