[4,0] MÉTÉOROLOGIE - LIVRE IV. [4,1] CHAPITRE PREMIER. § 1. (378b. 10) Comme on a établi qu'il y a quatre causes des éléments, il résulte que, suivant les combinaisons de ces causes, les éléments sont aussi au nombre de quatre, dont deux sont actifs, le chaud et le froid, et dont deux sont passifs, le sec et l'humide. § 2. On peut se convaincre de l'exactitude de ces principes par l'induction. En toutes choses, on voit la chaleur et le froid, déterminant, combinant, changeant les corps homogènes et les corps non homogènes ; humectant et séchant, durcissant et amollissant, tandis que les corps secs et humides sont déterminés par le chaud et le froid, et qu'ils subissent toutes les autres modifications dont on vient de parler, les souffrant d'abord eux-mêmes tels qu'ils sont, comme les souffrent aussi tous les corps qui se forment, en parties communes, par la combinaison de ces deux éléments. § 3. On peut s'en convaincre encore par les définitions que nous donnons de la nature de ces éléments ; car pour le chaud et le froid, nous les appelons actifs, attendu que ce qui coagule les corps est bien quelque chose d'actif. L'humide et le sec sont quelque chose de passif ; car ils sont faciles ou difficiles à délimiter, selon que leur nature vient à souffrir quelque modification. § 4. Il est donc évident que de ces quatre éléments les uns sont actifs, et les autres passifs. Ceci posé, il faut énumérer les effets par lesquels opèrent ainsi les éléments actifs, et rechercher les diverses espèces des éléments passifs. § 5. D'abord donc d'une manière générale, la génération absolue des choses et leur changement naturel sont l'oeuvre de ces puissances, ainsi que la destruction naturelle, qui est opposée à la génération et au changement. Ces puissances se retrouvent également dans les plantes et dans les animaux, et dans leurs parties. § 6. Mais la génération absolue et naturelle n'est qu'un changement causé par l'action de ces puissances, lorsqu'elles sont en un rapport convenable avec la matière qui est propre à chaque nature de corps. Ce sont alors les puissances que l'on vient d'indiquer, et qu'on appelle passives. (379a) C'est le froid et le chaud qui, en maîtrisant la matière, engendrent les choses. Mais lorsqu'ils ne dominent pas, il y a alors, même dans une simple partie, crudité et indigestion. § 7. La génération absolue a pour son contraire le plus ordinaire la putréfaction. En effet toute destruction naturelle est un acheminement vers cet état, comme par exemple la vieillesse et la dessiccation. La fin de tous ces phénomènes, c'est la décomposition, toutes les fois que quelqu'un des composés naturels n'est pas détruit violemment ; et par exemple, une destruction violente c'est de brûler de la chair, de l'os, ou telle autre chose de ce genre, dont la fin suivant leur destruction naturelle devrait être la putréfaction. § 8. Voilà pourquoi les choses qui se putréfient sont d'abord humides, et sèches à la fin ; car c'est de là qu'elles sont d'abord venues, et le sec a été délimité par l'humide, quand les éléments actifs ont opéré. La destruction a lieu quand le délimité l'emporte sur le délimitant, par l'action de ce qui l'entoure. § 9. Cependant à proprement parler, la putréfaction se dit pour les choses qui se détruisent successivement, quand elles s'éloignent de leur nature. Aussi toutes choses se putréfient, le feu excepté ; la terre, l'eau, l'air se putréfient ; car toutes ces choses sont matière et aliment pour le feu. § 10. La putréfaction est, dans tout corps humide, la destruction de sa chaleur propre et naturelle, par le fait d'une chaleur étrangère ; et cette chaleur étrangère ne peut être que celle du corps environnant. § 11. Puis donc que le corps souffre dans ce cas par le manque de chaleur, et que tout ce qui manque de cette puissance est froid, tous deux seraient cause de la putréfaction ; et la putréfaction serait la modification commune, et du froid propre au corps, et de la chaleur étrangère. § 12. C'est pour cela que toutes les choses qui se pourrissent deviennent aussi plus sèches, et qu'enfin elles deviennent terre et fumier. En effet, la chaleur propre du corps venant à sortir, l'humide naturel s'en évapore aussi ; et ce qui retient et attire l'humidité n'existe plus, puisque c'est la chaleur propre qui l'y attire et l'y fait entrer. § 13. Durant les froids, il y a moins de putréfaction que durant les chaleurs. C'est qu'en hiver, il y a peu de chaleur dans l'air et dans l'eau qui environnent les corps, de sorte que cette chaleur n'a aucune influence ; mais elle en a davantage en été. § 14. Ce qui est gelé ne peut pas non plus se putréfier ; car la glace est plus froide que l'air n'est chaud. L'air est donc dominé, et c'est le principe moteur qui domine. Ce qui bout ou ce qui est chaud ne se putréfie pas non plus ; car la chaleur qui est dans l'air, est moins forte que celle qui est dans la chose, de telle sorte qu'elle ne domine pas et qu'elle n'amène aucun changement. § 15. De même encore, ce qui est en mouvement et ce qui coule se putréfie moins que ce qui reste en place ; car le mouvement causé par la chaleur qui est dans l'air est plus faible que la chaleur qui préexiste dans (379b) la chose ; et par conséquent, elle ne produit aucun changement d'état. § 16. C'est la même cause qui fait que ce qui est en grande quantité se putréfie moins que ce qui est en petite quantité. Dans la grande quantité, il y a trop de feu propre et de froid, pour que les forces environnantes puissent l'emporter. § 17. Aussi l'eau de la mer, si on la divise par portions, se putréfie très vite, tandis que dans sa masse totale elle ne se putréfie pas ; et il en est de même pour toutes les autres eaux. § 18. Et les animaux naissent dans les choses putréfiées, parce que la chaleur naturelle qui s'en dégage recompose et rassemble les parties sécrétées et divisées. voilà donc ce que c'est que la génération, et aussi la destruction des choses. [4,2] CHAPITRE II. § 1. Il nous reste à dire quelles sont les modifications consécutives que déterminent les forces dont nous venons de parler, en agissant sur les objets déjà formés par la nature elle-même. La chaleur cause la digestion, et les espèces de la digestion sont : la maturation, la coction, la cuisson. Le froid cause l'indigestion, et l'indigestion a pour espèces : la crudité, le ramollissement et la coction imparfaite. § 2. Il faut bien remarquer que ces expressions ne correspondent pas très convenablement aux choses ; mais pourtant elles ne s'appliquent pas d'une manière générale à des phénomènes identiques. Par conséquent, il faut bien se dire que toutes ces espèces ne sont pas absolument, mais seulement à peu près, ce qu'on vient de dire. Nous allons les reprendre chacune à leur tour. § 3. La digestion est donc un achèvement par la chaleur naturelle et propre, agissant sur les opposés passifs. Et par ces opposés, j'entends la matière propre à chaque corps, puisque, quand elle est digérée, l'opération est achevée, et qu'elle est devenue tout ce qu'elle doit être. § 4. Le principe de cet achèvement vient de la chaleur propre, bien que cette chaleur puisse être aidée et complétée par quelque secours extérieur. C'est ainsi, par exemple, que la digestion des aliments est aidée par des lotions et par d'autres moyens analogues. Mais le principe, c'est la chaleur qui est dans le corps même. § 5. Le but de la digestion, c'est tantôt la nature même de l'être, la nature qui pour nous est forme et substance ; tantôt la fin de la digestion aboutit à une certaine configuration, lorsque le corps humide qui est ou cuit, ou rôti, ou putréfié, ou échauffé de toute autre manière, acquiert telle qualité ou telle dimension ; car alors il peut être mis en usage, et nous disons qu'il est digéré, comme le moût et les liquides qui sont dans les tumeurs, lorsqu'ils se convertissent en pus, et comme la larme quand elle devient chassie. Et de même pour une foule d'autres choses. § 6. C'est là du reste ce qui arrive à tous les corps, quand la matière et l'humidité sont dominées et vaincues ; car c'est elle qui est déterminée par la chaleur qui est dans la nature de l'objet; et tant que la définition lui convient, c'est sa nature. (380a) C'est là ce qui fait aussi que ce sont des objets de ce genre, urines, selles, et en général toutes les excrétions, qui sont des signes de la santé. On dit qu'elles sont digérés, parce qu'elles montrent que la chaleur propre l'emporte sur l'indéterminé. § 7. Il faut nécessairement que les choses digérées soient plus épaisses et plus chaudes ; car la chaleur rend la chose sur laquelle elle agit plus renflée plus épaisse et plus sèche. § 8. Voilà donc ce que c'est que la digestion. Quant à l'indigestion, elle est l'inaccomplissement de ces phénomènes par défaut de chaleur propre. Le défaut de chaleur, c'est le froid. L'inaccomplissement vient des opposés passifs, selon la matière spéciale de chaque objet, d'après sa nature. Voilà ce que nous avions à dire de la digestion et de l'indigestion. [4,3] CHAPITRE III. § 1. La maturation est une sorte de digestion ; car la digestion de la nourriture qui est dans les péricarpes, c'est ce qu'on appelle la maturation. Comme la digestion est une sorte d'achèvement, la maturation est achevée quand les semences, qui sont dans le péricarpe, sont en état de produire un fruit tout pareil à ce qu'elles sont; et c'est bien en ce sens aussi que, pour toutes les autres choses, nous entendons leur achèvement. § 2. La maturation s'applique donc précisément au péricarpe. C'est d'après la même idée que beaucoup de choses sont appelées mûres, quand elles sont digérées ; mais ce n'est que par métaphore, parce qu'il n'y a pas, ainsi qu'on l'a dit plus haut, de noms particuliers pour chaque achèvement spécial, dans les choses déterminées par la chaleur et le froid naturels. § 3. La maturation des tumeurs et du flegme, ainsi que de toutes les choses analogues, n'est que la digestion par l'humide intrinsèque de la chaleur naturelle qui est dans l'objet ; car ce qui ne domine pas ne peut pas déterminer. § 4. Ainsi donc, de la forme aérienne les corps passent à l'état aqueux par la maturation, et les corps aqueux deviennent terreux. Toutes les choses qui se mûrissent deviennent toujours plus lourdes, de légères qu'elles étaient ; et c'est pour atteindre ce résultat que la nature tantôt attire à elle certaines matières, et tantôt en rejette certaines autres. § 5. Voilà donc ce que c'est que la maturation. La crudité est le contraire ; et la non- digestion de la nourriture qui est dans le péricarpe est le contraire de la maturation. Elle est précisément l'humidité sans limite déterminée. Voilà pourquoi la crudité provient de l'air ou de l'eau, ou même est composée des deux à la fois. § 6. Mais si la maturation est une sorte d'achèvement, la crudité est un inachèvement. L'inachèvement tient au défaut de chaleur naturelle, et à sa disproportion relativement à l'humide digéré.. § 7. Rien en effet de ce qui est humide ne peut se mûrir par soi-même, sans qu'il n'y ait aussi du sec ; car l'eau est le seul des corps liquides qui ne s'épaississe pas. (380b) Et ce phénomène a lieu, soit parce que la chaleur y est en petite quantité, soit parce que le défini, c'est-à-dire l'humide, y est en grande quantité. Voilà encore pourquoi les sucs des choses crues sont légers, plutôt froids que chauds ; et qu'on ne peut ni les manger ni les boire. § 8. Du reste, le mot de crudité a plusieurs sens tout comme le mot de maturation. De là vient qu'on dit que les urines et les selles et les cathares sont crus et c'est par la même raison ; car on dit de toutes choses qu'elles sont crues, parce qu'elles ne sont pas dominées par la chaleur et qu'elles n'ont pas été constituées définitivement par elle. § 9. En poussant les choses un peu plus loin, on dit aussi de l'argile qu'elle est crue, du lait qu'il est cru, et d'une foule d'autres substances, si pouvant changer et se constituer sous l'influence de la chaleur, elles restent cependant sans éprouver cette influence. Et ce qui fait qu'on dit de l'eau qu'elle est bouillie, et qu'on ne dit jamais d'elle qu'elle est crue, c'est qu'elle n'épaissit pas. On a donc expliqué ce que c'est que la maturation et la crudité, et quelles sont les causes de chacune d'elles. § 10. Quant à l'ébullition, c'est d'une manière générale la digestion ou coction produite par la chaleur humide de l'indéterminé que l'humide renferme. Le mot d'ailleurs ne s'emploie proprement que pour les choses qui peuvent bouillir ; et cet indéterminé peut être, ainsi qu'on l'a déjà dit, ou de l'air ou de l'eau. § 11. La digestion ou coction se produit alors par le feu qui est dans l'humide ; car les choses que l'on met sur le gril ne sont que rôties ; et elles sont affectées de cette manière par la chaleur extérieure. Or le feu rend l'humide dans lequel il est, d'autant plus sec, en l'absorbant en lui-même. § 12. Mais l'objet qui est bouilli fait tout le contraire ; car l'humide qu'il contient s'en trouve excrété par la chaleur qui est dans le liquide extérieur. Voilà pourquoi les choses bouillies sont plus sèches que les choses grillées ; car les choses bouillies n'absorbent pas en elles l'humide, attendu que la chaleur du dehors l'emporte sur celle du dedans ; et si celle du dedans l'emportait, elle attirerait l'autre entièrement à elle. § 13. Tout corps du reste n'est pas susceptible d'être bouilli. Ainsi, un corps ne peut pas se bouillir quand il ne contient pas du tout d'humide, comme les pierres ; ou bien lorsque, tout en contenant de l'humide, cet humide ne peut pas être dominé, à cause de la densité de la matière, comme dans le bois. Mais les seuls corps qui puissent se bouillir, ce sont ceux qui ont de l'humidité susceptible d'être modifiée par la combustion qui se fait dans l'humide. § 14. On dit bien parfois que l'or bout, le bois et beaucoup d'autres corps ; mais ce n'est pas d'après la même idée ; c'est uniquement par métaphore, parce qu'il n'y a pas de mot qui réponde directement à ces différences. § 15. On dit aussi, en parlant des liquides, qu'ils sont bouillis, le lait, par exemple et le sirop, quand le suc qui est dans le liquide vient à être changé en quelqu'espèce nouvelle par le feu qui l'échauffe tout à l'entour, et de dehors, de manière à produire un état à peu près analogue à la cuisson bouillie (381a) dont il vient d'être parlé. § 16. Du reste, tout ce qu'on fait bouillir, ou qu'on cuit, n'a pas la même destination ; ici c'est pour manger, là pour boire, ou pour tel autre usage, puisqu'on dit aussi que les remèdes se cuisent en bouillant. § 17. Ainsi, les corps susceptibles d'être bouillis sont tous ceux qui pourront devenir plus épais, ou se réduire, ou se condenser, soit qu'ils restent identiques, soit qu'ils passent aux contraires, parce qu'en se sécrétant les uns deviennent plus épais et les autres plus légers, comme le lait qui peut devenir ou petit-lait ou crème. Quant à l'huile, on ne peut pas dire qu'en elle-même elle soit bouillie ; car elle n'éprouve aucune des modifications qu'on vient d'indiquer. § 18. La digestion, ou coction qui se fait dans la cuisson bouillie, est ce que nous venons de dire ; et elle est la même, soit qu'elle se produise par des instruments factices, ou dans des organes et instruments naturels ; car au fond, c'est toujours la même cause qui agit. § 19. La non-cuisson est l'indigestion contraire à la cuisson bouillie ; mais la cuisson bouillie peut avoir aussi pour contraire cette indigestion, qu'on appelle primitive, de l'élément indéterminé du corps, par suite de l'insuffisance de la chaleur contenue dans le liquide environnant. § 20. On a dit que cette insuffisance de chaleur est accompagnée de froid ; mais elle a lieu par un autre mouvement que le froid ; car la chaleur qui a fait la cuisson est éliminée, et l'insuffisance de chaleur vient, soit de la quantité de froid qui est clans le liquide, soit de celle qui est dans l'objet et à bouillir ; car alors il arrive que la chaleur qui est dans le liquide est trop grande pour n'y pas causer quelque mouvement, mais trop petite pour qu'elle puisse s'égaliser et avoir la force de digérer complétement. Aussi les choses à demi-cuites sont plus dures que les choses bouillies ; et les liquides sont plus déterminés qu'elles. Voilà donc ce que c'est que la cuisson et la non-cuisson, et comment elles se produisent. § 21. Le rôtissage est une sorte de digestion au moyen de la chaleur sèche et étrangère ; aussi quand on fait rôtir quelque chose et qu'on amène ainsi un changement et une coction, non par la chaleur de l'humide, mais par celle du feu, l'objet, quand l'opération est achevée, est grillé et non bouilli, et l'on dit qu'il est brûlé, s'il y a excès. C'est par la chaleur sèche que cette combustion se forme, quand, à la fin, le corps devient plus sec qu'il ne faut. § 22. Voilà aussi pourquoi le dehors est dans ce cas plus sec que le dedans, tandis que c'est tout le contraire pour les choses bouillies ; et pourquoi encore c'est une oeuvre plus difficile pour les chefs de cuisine de rôtir que de bouillir ; car il est difficile d'échauffer également les parties du dedans et celles du dehors ; les parties les plus proches du feu, sèchent toujours aussi le plus vite ; (381b) et c'est là ce qui fait qu'elles sèchent bien davantage. § 23. Les pores du dehors venant à se resserrer, l'humide qui est au dedans ne peut être excrété ; mais il y est emprisonné, dès que les pores viennent à se fermer. § 24. Le rôtissage et la cuisson bouillie se produisent artificiellement ; mais, ainsi que nous venons de le dire, il y a des actions tout à fait identiques même dans la nature. Les modifications produites sont pareilles de part et d'autre ; mais elles n'ont pas reçu de nom spécial. L'art ne fait qu'imiter la nature en ceci ; car la digestion des aliments dans le corps des animaux est tout à fait analogue à la cuisson bouillie, puisque la digestion se produit, dans l'humide et dans le chaud, par la chaleur, que renferme le corps ; et il y a parfois des indigestions qui ressemblent à la cuisson imparfaite. § 25. Il n'y a pas d'animal qui se produise dans la digestion, comme quelques auteurs le prétendent ; mais il s'en produit au milieu de la sécrétion qui se putréfie dans la cavité inférieure, et ensuite l'animal remonte quelquefois en haut ; car la digestion se fait dans la cavité supérieure ; mais l'excrément ne se putréfie que dans l'inférieure. Du reste, c'est dans d'autres ouvrages que nous avons dit quelle est la cause de ce phénomène. § 26. Ainsi donc, la dureté par l'incuisson est contraire à la cuisson bouillie. Il y a bien aussi quelque chose d'également opposé à cette digestion, qui est considéré comme une sorte de rôtissage ; mais ce quelque chose a encore moins de nom. Ce reviendrait à dire qu'il y avait mitonnage et non point rôtissage, par un manque de chaleur, qui tiendrait, soit à la petite quantité du feu extérieur, soit à la trop grande quantité d'eau dans la chose, rôtie. Alors il y a trop de chaleur pour qu'elle ne cause pas de mouvement, et il n'y en a pas assez pour digérer. § 27. Voilà donc ce que c'est que la digestion et l'indigestion, la maturation et la crudité, la cuisson bouillie et le rôtissage ; et voilà quels sont les états contraires à ceux-là. [4,4] CHAPITRE IV. § 1. Maintenant, il faut étudier les transformations des éléments passifs, de l'humide et du sec. Les principes passifs des corps sont l'humide et le sec ; et les autres états ne sont qu'un mélange de ceux-là. Là où l'un des deux domine le plus, le corps est davantage de sa nature. Ainsi tels corps tiennent plus du sec; tels autres tiennent davantage de l'humide. § 2. D'ailleurs, tous peuvent être ou actuellement et en réalité, ou être dans l'état opposé, c'est-à-dire en puissance. C'est là le rapport de la dessiccation à l'objet desséchable. § 3. Mais comme l'humide est facile à délimiter, et le sec difficile, le sec et l'humide éprouvent relativement l'un à l'autre quelque chose d'analogue aux rapports des mets et des assaisonnements. L'humide est pour le sec une cause de détermination ; et ils sont l'un pour l'autre comme la farine et l'eau, quand on fait de la colle. C'est l'explication que donne Empédocle dans ses vers sur la nature " Ayant collé la farine avec l'eau. " Et voilà, comment le nouveau corps se forme de la réunion des deux. § 4. Parmi les éléments, le sec s'applique le plus spécialement à la terre, et l'humide à l'eau ; et voilà pourquoi tous les corps qui ici-bas sont déterminés, ne peuvent l'être sans terre ni eau. Et selon que l'un des cieux l'emporte, chaque corps se montre suivant la prédominance de celui-là. § 5. C'est seulement de terre et d'eau que se composent les animaux ; il n'y en a point qui consistent d'air ni de feu, parce que ces deux premiers éléments sont la matière des corps. § 6. Parmi les modifications que les corps peuvent présenter, celles qui, nécessairement, appartiennent les premières à un corps déterminé, sont la dureté ou la mollesse ; car, nécessairement, ce qui est composé de sec et d'humide doit être dur ou mou. § 7. On appelle dur ce qui ne cède pas en rentrant en soi à sa surface, et mou ce qui cède sans se disperser tout à l'entour. Ainsi, on ne peut pas dire de l'eau qu'elle est molle ; car la surface ne cède pas en profondeur, quand on la presse ; mais elle se disperse tout autour. § 8. On peut donc dire absolument d'une chose qu'elle est dure ou molle, quand elle est dans cet état d'une manière absolue ; mais on peut l'appeler dure ou molle relativement à une autre, quand elle est dure ou molle par rapport à cette autre chose. Le dur et le mou sont toujours indéterminés, l'un relativement à l'autre, parce qu'ils présentent toujours du plus ou du moins. § 9. Mais jugeons toujours les choses sensibles par l'impression qu'elles causent à nos sens. Il est évident que nous déterminons d'une manière absolue la dureté et la mollesse par rapport au toucher ; le toucher devient pour nous une sorte de mesure moyenne ; et alors ce qui l'emporte sur lui est dur ; ce qui reste au-dessous de lui est considéré comme mou. [4,5] CHAPITRE V. § 1. Il est de toute nécessité que le corps déterminé dans sa propre limite, soit dur ou mou, parce qu'il doit ou céder ou ne pas céder. Il faut encore qu'il soit cohérent ; car c'est là la vraie détermination des corps. Ainsi, tout corps déterminé ou composé étant mou ou sec, et ces deux qualités ne pouvant exister que par la cohésion, on peut dire que les corps composés et déterminés ne pourraient jamais être sans la cohésion. C'est donc de la cohésion qu'il faut traiter. § 2. Il y a dans la matière deux causes : ce qui agit et ce qui souffre. Le principe qui agit, c'est ce dont vient le mouvement ; celui qui souffre, c'est la forme. Par suite, ce sont là les causes de la cohésion et de la diffluence ; les causes qui font que les corps sont secs ou qu'ils sont liquides. § 3. Le principe actif agit par deux forces ; le principe passif souffre par deux modifications, ainsi qu'on l'a dit. L'action se produit par le chaud et (382b) le froid ; la souffrance a lieu par la présence ou l'absence du chaud ou du froid. § 4. Comme la cohésion est une sorte de dessèchement, parlons d'elle en premier lieu. Ainsi donc, ce qui souffre est ou humide ou sec, ou est un composé des deux. Nous posons en fait que le corps de l'humide c'est l'eau, et que le corps du sec c'est la terre ; car ce sont là les éléments passifs dans les corps humides et secs. Aussi, le froid appartient-il davantage aux éléments passifs, puisqu'il est en eux, et qu'en effet la terre et l'eau sont froides. § 5. Mais le froid est actif aussi, en tant qu'il détruit les choses ou qu'il agit de toute autre manière accidentelle, ainsi qu'on l'a dit antérieurement. Quelquefois en effet on dit aussi que le froid brûle ou qu'il échauffe, non pas précisément comme la chaleur elle-même, mais parce qu'il rassemble la chaleur ou la répercute tout à l'entour. § 6. Tout corps qui est de l'eau, ou une espèce d'eau, peut se dessécher ; ou bien, s'il contient de l'eau, soit d'une manière adventice, soit naturellement. J'entends par eau adventice, celle, par exemple, qui est dans de la laine, et par eau naturelle celle qui est dans le lait. § 7. Les espèces de l'eau, ce sont par exemple le vin, l'urine, le petit lait, et en général toutes les substances qui ne laissent aucun dépôt ou qui ne laissent qu'un résidu passager, sans que ce soit à cause de leur viscosité ; car il y a des substances qui ne laissent jamais le moindre résidu, à cause de leur nature visqueuse, telles que l'huile et la poix. § 8. Toutes les substances se sèchent, soit par la chaleur soit par le froid ; mais c'est toujours par la chaleur; et le phénomène a lieu tout à la fois, soit par la chaleur du dedans, soit par celle du dehors. Les choses que sèche le refroidissement, comme un manteau, par exemple, qui est séché lorsque l'humide effectif qu'il contient est isolé, se sèchent par la chaleur intérieure qui fait évaporer l'humide ; et si l'humide y est en petite quantité, elles se sèchent, parce que la chaleur sort à cause du froid environnant. § 9. Ainsi donc, je le répète, tous les corps se sèchent, soit par la chaleur, soit par le froid ; tous se sèchent par la chaleur, soit du dedans soit du dehors, qui fait évaporer l'humide. J'entends par la chaleur extérieure celle qui s'applique, par exemple, aux choses que l'on fait bouillir ; et celle du dedans agit, quand l'humide disparaît et est détruit par la chaleur propre du corps qui transpire. Voilà ce qu'est la dessiccation. [4,6] CHAPITRE VI. § 1. Devenir humide, peut signifier deux choses : tantôt cela veut dire qu'il se forme effectivement de l'eau ; tantôt cela signifie que le corps qui était coagulé se fond et se dissout. Ainsi, l'air en se refroidissant peut prendre la consistance de l'eau, et ce que nous allons dire expliquera clairement tout à la fois, et la dissolution et la coagulation. § 2. Toutes les choses qui se coagulent se coagulent, ou par ce qu'elles sont de l'eau, ou parce qu'elles sont de terre et d'eau ; et elles se coagulent, ou par la chaleur sèche, ou par le froid. Aussi, se dissolvent-elles par les contraires, dans tous les cas (383a) où elles ont été coagulées ou par la chaleur ou par le froid. Ainsi, toutes les choses qui ont été coagulées par la chaleur sèche se dissolvent par l'eau, qui est l'humidité froide ; celles qui ont été coagulées par le froid sont dissoutes par le feu, qui est le chaud. Il y a des choses aussi qui semblent se coaguler par l'action de l'eau, comme le miel qu'on a fait bouillir ; mais en réalité il ne se coagule pas par l'eau ; il se coagule par le froid qui est dans l'eau. § 3. Toutes les choses qui sont de l'eau ne se coagulent pas par le feu ; car elles sont dissoutes par le feu, et le même objet ne peut pas être, pour un même objet et dans les mêmes conditions, cause d'un effet contraire. De plus, la coagulation n'a lieu que par l'absence du chaud ; et par suite évidemment, la dissolution vient de ce que la chaleur entre dans la chose, de telle sorte que c'est bien le froid qui fait que le corps se coagule. § 4. Aussi, les corps de ce genre en se coagulant ne s'épaississent pas ; car l'épaississement des corps n'a lieu que quand l'humide s'en va et que le sec se condense. Parmi les corps humides, l'eau est le seul qui ne s'épaississe pas. § 5. Tous les corps qui participent à la fois de la terre et de l'eau, se coagulent, soit par le feu, soit par le froid. Ils s'épaississent par tous les deux, en partie de la même manière, en partie d'une manière différente : par la chaleur, qui chasse l'humide; car, l'humide s'évaporant, le sec se coagule et se condense ; par le froid, qui chasse le chaud, avec lequel s'en va aussi l'humide qui s'évapore. § 6. Les corps mous qui ne sont pas humides ne s'épaississent pas ; mais ils se coagulent, quand l'humide en sort, comme l'argile que l'on fait cuire. Tous les mixtes qui sont humides s'épaississent aussi, comme le lait. § 7. Il y a beaucoup de ces corps qui même s'humidifient d'abord ; et ce sont ceux qui auparavant étaient ou épais ou durs par l'effet du froid. C'est ainsi que l'argile que l'on cuit se vaporise tout d'abord ; puis elle devient plus molle ; et voilà aussi ce qui fait qu'elle peut se déjeter dans les fours. § 8. Parmi les choses qui participent à la fois de la terre et de l'eau, mais qui ayant plus de terre se coagulent par le froid, les unes, qui se sont coagulées parce que la chaleur en est sortie, se dissolvent aussi par la chaleur quand la chaleur y rentre, comme la boue quand elle s'est coagulée et gelée. Celles au contraire qui se coagulent par le refroidissement, et parce que toute la chaleur s'est évaporée, celles-là sont indissolubles par la chaleur, tant que cette chaleur n'est pas excessive ; mais elles s'amollissent, comme le fer et la corne. § 9. Le fer, quand on le travaille, se dissout même jusqu'au point de devenir liquide et de se coaguler de nouveau. Et c'est comme cela que l'on fait les aciers ; le métal dépose, et la scorie (383b) s'épure en bas. Quand le métal a été traité plusieurs fois ainsi et qu'il est devenu pur, c'est alors qu'il devient de l'acier. § 10. On ne renouvelle pas du reste cette opération souvent, parce qu'il y a une grande perte, et que le poids devient beaucoup moindre quand on purifie de cette façon le métal. Le fer d'ailleurs est préférable, quand il a une moins grande pureté. § 11. La pierre appelée pyrimaque se dissout aussi de façon à tomber en gouttes et à couler; mais le liquide, quand il s'est coagulé de nouveau, reprend sa dureté. Les pierres ponces se dissolvent aussi jusqu'au point de couler ; et la partie qui coule, quand elle s'est figée, prend une couleur noire, et le corps devient à peu près pareil à de la chaux. La boue se dissout également, et se liquéfie ainsi que la terre. § 12. Quant aux choses qui se coagulent par la chaleur sèche, les unes sont indissolubles, et les autres sont solubles par l'humide. L'argile et quelques espèces de pierres qui se forment par le feu dans la combustion de la terre, comme les ponces, ne se dissolvent plus dans l'eau ; mais le nitre et les sels sont dissous par l'humide, non par tout humide quelconque, mais par l'humidité froide. § 13. C'est de même que toutes les espèces d'eau se dissolvent aussi dans l'eau, tandis qu'elles ne se dissolvent pas dans l'huile ; car l'humide froid est le contraire de la chaleur sèche. Si donc c'est l'un des deux qui a coagulé le corps, c'est l'autre qui le dissoudra; car c'est ainsi que les contraires seront causes d'effets contraires. [4,7] CHAPITRE VII. § 1. Toutes les choses qui ont plus d'eau que de terre ne font que s'épaissir par le feu ; mais celles qui ont plus de terre se coagulent. C'est ainsi que le nitre et les sels ont plus de terre, de même que l'argile et la pierre. § 2. La nature de l'huile est très difficile à classer ; car si elle avait plus d'eau, il faudrait qu'elle se coagulât par le froid, comme les glaces ; et si elle avait plus de terre, ce serait par le feu, comme l'argile. Mais au contraire elle ne se coagule ni par l'un ni par l'autre, et elle s'épaissit par l'action des deux. § 3. La cause en est qu'elle est pleine d'air ; aussi surnage-t-elle sur l'eau, parce que l'air est porté en haut. Le froid, en convertissant en eau l'air qui y est contenu, l'épaissit ; car toujours, quand on mêle de l'eau et de l'huile, le mélange est plus épais que l'une ou l'autre. § 4. Par l'effet du feu, et avec le temps, l'huile s'épaissit et blanchit; elle blanchit parce que l'eau, s'il y en avait, vient à s'évaporer ; elle s'épaissit parce que l'air forme de l'eau, quand la chaleur vient à diminuer et à disparaître. § 5. Des deux façons, c'est donc la même modification qui a lieu, et par la même cause, mais non pas de la même manière. L'huile s'épaissit par les deux : l'action du temps et celle du chaud. Mais elle ne se dessèche ni par l'un ni par l'autre; car ni le soleil ni le froid ne la dessèche, non seulement parce qu'elle est visqueuse, (384a) mais encore parce qu'elle contient de l'air. L'eau que l'huile contient ne se dessèche pas, et ne bout pas par l'action du feu, parce qu'elle ne se vaporise pas à cause de la viscosité de l'huile. § 6. Tous les corps mixtes composés d'eau et de terre doivent être classifiés d'après la quantité qu'ils renferment de l'un et de l'autre ; et par exemple, il y a un vin qui tout à la fois se coagule et peut bouillir : c'est le vin doux. § 7. L'eau est expulsée de tous les corps, quand ils se dessèchent. La preuve que c'est bien de l'eau, c'est que la vapeur se condense sous forme aqueuse, si l'on se donne la peine de la recueillir. Et toutes les fois qu'il reste quelque résidu d'un corps, c'est qu'il est de la terre. § 8. Quelques-uns, parmi ces corps, s'épaississent et se dessèchent aussi par le froid, ainsi qu'on l'a dit. C'est qu'en effet le froid, non seulement coagule et dessèche ; mais de plus, il épaissit. Il coagule et dessèche l'eau ; et il épaissit l'air, en en faisant de l'eau. La coagulation a été appelée une sorte de dessiccation. § 9. Ainsi donc, toutes les substances qui n'épaississent pas par le froid, mais qui se coagulent, ont plus d'eau que de terre, comme le vin, l'urine, le vinaigre, la lessive et le petit-lait. Toutes les substances qui s'épaississent par le feu sans s'évaporer, sont, les unes de terre, et les autres, mélangées d'eau et d'air ; ainsi le miel est de terre ; l'huile est d'air et d'eau. § 10. Le lait et le sang participent à la fois des deux, de l'eau et de la terre ; mais la plupart du temps, ils tiennent davantage de la terre, comme tous les corps humides d'où viennent le nitre et les sels. § 11. Il y a même des pierres qui se forment de quelques-unes de ces substances. Aussi, quand on n'isole pas le petit-lait, il est brûlé par le feu qui le fait bouillir; mais la partie terreuse se forme aussi par la présure, pour peu qu'on fasse bouillir le lait comme les médecins, quand ils font tourner le lait pour quelque médicament. § 12. C'est ainsi que le petit-lait et la crème se séparent, et le petit-lait une fois séparé ne s'épaissit plus; mais il est consumé comme de l'eau. Quand le lait n'a plus du tout de crème, ou s'il en a peu, il a plus d'eau, et il nourrit moins. § 13. Il en est de même du sang ; il se coagule, parce qu'il se dessèche en se refroidissant. Tous les sangs qui ne se coagulent pas, comme celui du cerf, ont plus d'eau que de terre et sont les plus froids. Aussi, n'ont-ils pas de fibres ; car les fibres sont de la terre et sont solides ; de telle sorte que si elles manquent, le sang ne peut plus se coaguler. § 14. Et cela vient alors de ce qu'il ne se dessèche pas ; car dans ce cas, c'est de l'eau qui reste, comme pour le lait quand la crème a été enlevée. La preuve, c'est que les sangs qui sont malades ne veulent pas se coaguler ; car ils sont pleins d'humeur et de pus ; or l'humeur est du flegme et de l'eau, parce qu'alors le sang n'est pas cuit et qu'il résiste à la coction naturelle. § 15. De plus, il y a des corps qui sont solubles comme le nitre ; d'autres qui sont insolubles comme l'argile et la pierre ; et parmi ces substances, les unes peuvent s'amollir par le feu comme la corne; les autres ne peuvent pas s'amollir, par exemple l'argile et la pierre. § 16. La raison en est que les contraires causent lès contraires; et par conséquent, si les corps se coagulent par deux causes, le froid et le sec, il faut nécessairement qu'ils se dissolvent aussi par le chaud et l'humide. § 17. Voilà pourquoi ils se dissolvent par le feu et par l'eau, qui sont des contraires : par l'eau, toutes les fois que c'est par le feu seul qu'ils se coagulent ; par le feu, toutes les fois que c'est par le froid seul qu'ils ont été coagulés. De sorte que les corps qui peuvent se coaguler par les deux, sont les plus insolubles de tous. § 18. Ce sont les corps qui, après avoir été échauffés, se coagulent par le froid . En effet, quand la chaleur sort et suinte, il arrive que la plus grande partie de l'humide est chassée de nouveau en dedans par le froid, de sorte qu'il ne laisse plus de passage pour l'humide. § 19. C'est là aussi ce qui fait que la chaleur ne dissout pas ces corps, tandis qu'elle dissout ceux qui ne sont exclusivement coagulés que par le froid ; et ces corps ne sont pas dissous non plus par l'eau ; car les corps qui sont coagulés par le froid ne sont pas dissous par l'eau ; mais elle ne dissout que ceux qui sont coagulés uniquement par la chaleur sèche. § 20. Le fer fondu par la chaleur se coagule de nouveau par le froid, de sorte qu'il a besoin des deux pour arriver à la coagulation ; aussi est-il insoluble à l'eau. Quant aux bois, comme ils sont de terre et d'air, ils sont combustibles ; mais ils ne sont ni fusibles ni susceptibles d'être amollis ; ils surnagent sur l'eau, si l'on en excepte l'ébène. § 21. Mais l'ébène ne surnage pas. C'est que tous les autres bois contiennent plus d'air que celui-là ; l'air a transpiré hors de l'ébène noir ; et il reste en lui plus de terre. § 22. L'argile n'est que de la terre, parce qu'elle se coagule peu à peu en se séchant ; car l'eau n'a plus les entrées par lesquelles l'air seul est sorti ; le feu n'en a pas non plus, puisque c'est lui qui a coagulé l'argile. § 23. Nous avons donc expliqué ce que c'est que la coagulation et la fusion, par quelles causes et dans quels corps elles se produisent. [4,8] CHAPITRE VIII. § 1. Il est évident, d'après les détails qui précèdent, que les corps se forment par le chaud et par le froid, et que c'est en épaississant, et en coagulant les corps que les éléments accomplissent leur fonction propre. Mais comme ce sont eux qui produisent tous les corps et les façonnent, il y a de la chaleur dans tous les corps ; et il n'y a aussi du froid que dans les corps, en petit nombre, où la chaleur fait défaut. D'autre part, comme ces éléments sont actifs, tandis que l'humide et le sec sont simplement passifs, les corps qui sont en partie formés des uns et des autres participent d'eux tous. § 2. C'est donc d'eau et de terre que sont composés les corps à parties similaires, soit dans les plantes soit dans les animaux ; et aussi les corps métalliques, comme l'or, l'argent et tous les corps analogues. ils sont formés de ces deux éléments et aussi de l'exhalaison qui est renfermée dans tous les deux, ainsi qu'on l'a dit ailleurs. § 3. Ces corps (385a) diffèrent entre eux, d'abord. par les modifications spéciales qu'ils causent sur nos sens, et parce qu'ils peuvent tous produire un certain effet sur nous. Ainsi, le blanc, l'odorant, le sonore, le doux, le chaud, le froid, ne sont ce qu'ils sont que parce qu'ils peuvent agir d'une certaine façon sur notre sensibilité. Mais les corps diffèrent entre eux par d'autres modifications plus spéciales qui viennent de ce qu'ils peuvent éprouver aussi quelque effet, et, par là, j'entends la fusion, la coagulation, la flexibilité et tant d'autres propriétés du même genre ; car ce sont là des propriétés toutes passives, tout aussi bien que l'humide et le sec. § 4. C'est là ce qui fait la différence entre l'os et la chair, le nerf et le bois, la feuille et la pierre, et chacun des autres corps naturels formés de parties similaires. § 5. D'abord, indiquons le nombre des propriétés des corps qui sont dénommés selon qu'ils peuvent ou ne peuvent pas telle ou telle chose. § 6. Voici ces modifications coagulable, incoagulable ; fusible, infusible ; ductile, non ductile ; malléable, non malléable ; flexible, non flexible ; amollissable, non amollissable ; friable, non friable ; cassant, non cassant ; modelable, non modelable ; compressible, incompressible ; étirable, inétirable ; extensible, inextensible ; fendable, infendable ; sécable, insécable ; visqueux, sec ; aplatissable, non aplatissable ; combustible, incombustible ; vaporisable, invaporisable. § 7. C'est par ces modifications que diffèrent entre eux la plupart des corps. Maintenant, expliquons quelle propriété ont chacune de ces modifications. Nous avons déjà, parlé antérieurement, d'une manière générale, de la coagulation et de la non-coagulation, de la fusion et de la non-fusion ; revenons-y cependant encore. § 8. Tous les corps qui se coagulent et qui se durcissent éprouvent ce changement, ceux-ci par le chaud, ceux-là par le froid : par la chaleur, qui dessèche l'humide, et par le froid, qui chasse la chaleur. § 9. Ainsi, les uns éprouvent cet effet par l'absence de l'humide; les autres, par l'absence du chaud. Pour ceux qui sont d'eau, c'est l'absence du chaud ; pour ceux qui sont de terre, c'est l'absence de l'humide. Les corps qui se coagulent par l'absence de l'humide sont dissous par l'humide, pourvu que leur cohésion ne soit pas telle que les pores qui leur restent ne soient pas plus petits que les globules de l'eau, comme par exemple l'argile. Les corps qui ne sont pas dans cette disposition sont dissous par l'humide, comme le nitre, les sels, et la terre qui vient de la boue. § 10. Ceux qui se coagulent par privation de chaleur sont dissous par la chaleur, comme la glace, le plomb, l'airain. § 11. Voilà donc quels sont les corps coagulables et fusibles, et (385b) ceux qui ne sont pas fusibles. Sont incoagulables tous ceux qui n'ont pas d'humidité aqueuse, et qui ne sont pas d'eau, mais qui ont plus de chaleur et de terre, comme le miel et le vin doux ; car ils sont en quelque sorte bouillants. Sont aussi non coagulables tous les corps qui ont bien de l'eau, mais qui toutefois ont plus d'air, comme l'huile, le vif-argent et les substances visqueuses, telles que la glu et la poix. [4,9] CHAPITRE IX. § 1. Parmi les substances coagulées, on appelle amollissables celles qui ne sont pas d'eau comme est la glace, car toute glace vient d'eau, mais qui sont plutôt de terre, et d'où l'humide tout entier n'est pas sorti, comme sont le nitre et les sels, et enfin qui ne sont pas de composition irrégulière, comme l'argile, mais qui sont étirables sans être détrempées, qui sont ductiles sans être de l'eau, et qui sont amollies par le feu, comme le fer, la corne et les bois. § 2. Parmi les choses qui fondent et ne fondent pas, les unes sont humectables ; les autres ne le sont point, comme l'airain, qui est inhumectable, bien qu'on puisse le fondre, tandis que la laine et la terre sont humectables, parce qu'elles s'imbibent. Quant à l'airain, il peut se fondre bien ; mais ce n'est pas par l'eau qu'il se fond. § 3. Parmi les corps qui se fondent dans l'eau, il y en a aussi quelques-uns qui sont inhumectables, comme le nitre et les sels ; car il n'y a point de corps fondable qui ne devienne aussi plus mou en s'imbibant d'eau. Il y a quelques corps qui, étant humectables, ne sont pas néanmoins fondants, comme ta laine et les fruits. § 4.. On appelle humectables tous les corps qui, étant de la terre, ont les pores plus grands que les particules aqueuses, mais qui sont plus dures que l'eau. Sont liquéfiés par l'eau tous les corps qui sont entièrement percés par elle. § 5. Mais comment se fait-il que la terre soit tout à la fois liquéfiable et humectable par l'humide ? Et pourquoi le nitre est-il seulement fondu et n'est-il pas humecté ? C'est que dans le nitre les pores traversent de part en part, de sorte que ses parties sont sur-le-champ divisées par l'eau, tandis que dans la terre les pores sont tout disjoints et ne se correspondent pas, de telle sorte que, de quelque façon qu'elle reçoive l'eau, la modification qu'elle subit est différente. § 6. Il y a aussi des corps qui sont flexibles, et qui sont tout droits, comme le roseau et l'osier ; et il y a des corps qui ne plient pas, comme l'argile et la pierre. § 7. Les corps qui sont tout à la fois flexibles et droits, sont ceux dont la longueur peut changer de la ligne circulaire à la ligne droite, et revenir de la ligne droite à la ligne circulaire. Se fléchir et redevenir droit, c'est changer ou être mu, selon la ligne droite ou la ligne circulaire ; car ce qui se courbe soit en haut soit en bas, (386a) n'en est pas moins courbe. § 8. Ainsi, le mouvement, soit en sens convexe, soit en sens concave, est ce qu'on appelle la flexion, l'étendue de l'objet restant toujours la même ; car si la flexion s'appliquait aussi à la ligne droite, le corps serait à la fois courbé et droit ; ce qui est impossible ; je veux dire que le droit ne peut pas être courbe. § 9. Si tout objet courbe doit être courbé soit en dedans soit en dehors, et si ces deux courbures ne sont que des déviations, l'une au concave l'autre au convexe, il n'y a pas de courbure possible en ligne droite ; mais la courbure et la ligne droite sont des choses toutes différentes l'une de l'autre. C'est donc là ce qu'on appelle les corps flexibles ou rigides, non flexibles et non rigides. § 10. Il y a des corps qui sont frangibles et friables, soit l'un ou l'autre, soit tous deux à la fois. Ainsi, le bois, qui est frangible, n'est pas friable ; la glace et la pierre sont friables, mais ne sont pas frangibles; l'argile est à la fois frangible et friable. § 11. Il y a cette différence cependant que la frangibilité est la séparation et la division de l'objet en grands morceaux, tandis que la friabilité est la séparation en un nombre de morceaux quelconque, pourvu que ce soit plus de deux. § 12. Tous les corps donc qui se sont coagulés de telle façon qu'ils aient beaucoup de pores qui ne se répondent pas entre eux, sont friables ; car les pores sont assez éloignés pour que cet effet se produise; mais ceux où les pores sont très pénétrants sont frangibles ; et ceux qui présentent les deux espèces de composition ont aussi les deux propriétés. § 13. Certains corps sont capables de garder des empreintes, comme l'airain et la cire; d'autres n'en sont pas susceptibles, comme l'argile et l'eau. L'empreinte est le déplacement partiel de la surface qui se renfonce, soit par une pression, soit par un coup, et d'une manière générale, par un contact quelconque. Il y a aussi des corps de ce genre qui sont mous, comme la cire, qui change en partie, bien que le reste de la surface demeure ce qu'elle est. Il y en a d'autres qui sont durs, comme l'airain. D'autres ne peuvent pas recevoir d' empreinte, et sont durs, comme l'argile ; car leur surface ne cède pas en profondeur. Il y en a d'autres encore qui sont liquides, comme l'eau, et qui cèdent, mais non par parties, et qui se déplacent tout entiers. § 14. Parmi les corps susceptibles d'empreinte, ceux qui demeurent empreints et sont impressibles à la simple action de la main, sont ceux qu'on peut modeler. Il y en a d'autres qui ne sont pas faciles à empreindre, par exemple la pierre et le bois. Il y en a aussi qu'on empreint aisément, mais où l'impression ne subsiste pas, comme la laine et l'éponge. Mais à vrai dire ceux-ci ne sont pas modelables ; ils sont seulement compressibles. § 15. On appelle compressibles tous les corps qui serrés peuvent rentrer sur eux-mêmes, la surface s'enfonçant en profondeur, sans se diviser, et sans qu'une molécule se mette à la place d'une autre, comme il arrive pour l'eau qui se déplace tout entière. § 16. La pression est le mouvement qui, venu du corps moteur, (386b) se produit par le contact ; c'est un coup, quand ce mouvement est accompagné de translation. § 17. On peut comprimer tous les corps qui ont des pores vides de matières homogènes ; et l'on appelle compressibles tous les corps qui peuvent rentrer dans leurs propres vides, ou dans leurs propres pores ; car quelquefois les pores où le corps se contracte ne sont pas vides, par exemple l'éponge mouillée, dont les pores en effet sont pleins. Mais ce sont les substances sont les pores sont pleins de parties plus molles que le corps même qui naturellement entre en eux. C'est ainsi que l'éponge, la cire, la chair sont compressibles. § 18. On appelle incompressibles les corps qui naturellement ne peuvent pas revenir par pression dans leurs propres pores, ou parce qu'ils n'en ont pas, ou parce que ces pores sont pleins de matières plus dures. C'est de cette façon que le fer est incompressible, ainsi que la pierre, et l'eau, et tout ce qui est liquide. § 19. On appelle extensibles tous les corps dont la surface peut se déplacer obliquement ; car étendre un corps, c'est faire que la surface, sans cesser d'être continue, puisse s'allonger vers le corps qui cause le mouvement. C'est ainsi que sont extensibles les cheveux, le cuir, le nerf, la pâte, la glu, tandis que l'eau et la pierre sont inextensibles. § 20. Il y a des corps qui sont tout à la fois extensibles et compressibles, et telle est la laine par exemple. Il y en a qui ne sont pas les deux à la fois, comme le flegme, qui n'est pas compressible, mais qui est extensible ; tandis que l'éponge est au contraire compressible ; mais elle ne s'allonge pas. § 21. Il y a des corps qui sont ductiles, comme l'airain ; d'autres qui ne le sont pas, comme la pierre et le bois. Les corps sont ductiles, quand la surface peut tout à la fois et du même coup, se déplacer partiellement en largeur et en profondeur. Ils ne sont pas ductiles quand ils ne peuvent pas subir cet effet. § 22. Tous les corps ductiles, sont susceptibles d'empreinte; mais tous les corps susceptibles d'empreintes ne sont pas toujours ductiles, par exemple le bois. Toutefois, on peut dire d'une manière générale que ces deux qualités sont réciproques. Parmi les corps compressibles, les uns sont ductiles, les autres ne le sont pas. La cire et la boue, par exemple, sont ductiles, tandis que la laine et l'eau ne le sont point. § 23. Il y a des corps qui se fendent, comme le bois ; d'autres, qui ne se fendent pas, comme l'argile. § 24. On dit d'une chose qu'elle peut se fendre, quand elle peut se diviser au-delà du point où l'instrument divisant la divise; car elle ne se fend que quand elle est divisée au-delà de l'espace où l'instrument divisant la divise, et quand la division gagne de l'avant, effet qui n'a pas lieu dans la coupure. On dit des corps qu'ils ne se fendent pas, quand ils n'éprouvent pas cet effet. § 25. Rien de ce qui est mou n'est fendable ; j' entends parler des choses qui sont absolument molles par elles-mêmes, et non de celles qui ne sont molles que relativement à d'autres; car en ce dernier sens, le fer lui-même pourrait être considéré comme mou. Mais, du reste, tous les corps durs ne sont pas non plus fendables, (387a) et il n'y a que ceux qui ne sont ni liquides, ni impressibles, ni friables. Ce sont tous les corps qui ont des pores allongés, par lesquels les parties peuvent adhérer naturellement les unes aux autres, et qui n'ont pas de pores en large. § 26. Parmi les corps durs ou mous, ceux-là sont susceptibles d'être coupés, où la division n'anticipe pas nécessairement, et qui ne sont pas friables, quand on les divise. Ceux qui sont liquides, ou à peu près liquides, ne peuvent pas être coupés. § 27. Il y a des corps qui sont tout à la fois susceptibles d'être coupés et fendables, comme le bois. Mais le plus souvent, tout ce qui est fendable, l'est dans sa longueur ; et ce qui est susceptible d'être coupé, l'est dans sa largeur. En effet, comme chaque corps peut avoir une foule de divisions, là où plusieurs longueurs se réunissent en une seule, le corps est fendable en ce sens ; mais là où plusieurs largeurs se réunissent en une seule, il est susceptible d'être coupé en ce sens. § 28. On dit d'un corps qu'il est visqueux, lorsque étant humide ou mou il est extensible. Un corps peut devenir visqueux, par le déplacement de ses parties, quand il est composé d'anneaux, comme les chaînes ; car les corps peuvent beaucoup s'étendre et se resserrer beaucoup. Les corps qui ne sont pas visqueux sont secs. § 29. On appelle aplatissables tous les corps qui, étant compressibles, gardent leur compression d'une manière durable ; non aplatissables, ceux qui sont tout à fait incompressibles, ou qui ne gardent pas leur compression d'une manière permanente. § 30. Il y a des corps qui sont combustibles ; d'autres, qui sont incombustibles. Ainsi, le bois est combustible; la laine et l'os, le sont aussi. Mais la pierre et le glace sont incombustibles. Sont combustibles tous les corps qui ont des pores capables de recevoir le feu, et qui ont dans leurs pores, disposés en ligne droite, une humidité plus faible que le feu. Ceux au contraire qui n'ont pas d'humidité ou qui l'ont plus forte que le feu, comme la glace et les végétaux très verts, sont incombustibles. § 31. Sont vaporisables les corps qui contiennent de l'humidité, mais qui l'ont de telle sorte qu'elle ne peut pas s'exhaler, à elle toute seule, sans le secours des combustibles ; car la vapeur n'est que la transformation en air ou en vent, sous l'action de la chaleur brûlante, de la sécrétion venant de l'humide et étant humide elle-même. § 32. Les substances vaporisables se sécrètent à la longue et se changent en air. Quelques-unes disparaissent tout à fait en se desséchant ; les autres deviennent de la terre. Mais cette sécrétion a cela de particulier qu'elle n'humecte pas, et qu'elle ne devient pas non plus du vent. § 33. Le vent est un écoulement continu de l'air en longueur. La vaporisation est la sécrétion commune du sec et de l'humide, mêlés ensemble par l'action de la chaleur brûlante. Aussi ne mouille-t-elle pas ; mais elle colore plutôt les choses qu'elle touche. § 34. La vaporisation d'un corps ligneux (387b) est la fumée. Je comprends aussi dans ce genre les os, les poils et tout ce qui s'en rapproche ; je les confonds, car s'il n'y a pas de nom général pour la fumée de toutes ces choses, cependant elles sont comprises dans ce même genre, chacune selon leur analogie, comme le dit aussi Empédocle : « Les feuilles, les cheveux, les ailes des oiseaux, « Les écailles couvrant des membres colossaux, « Tout cela se ressemble " La vapeur d'un corps gras s'appelle lignys, et celle d'un corps huileux s'appelle cnisse. § 35. Ce qui fait que l'huile ne bout pas et n'épaissit pas, c'est qu'elle est fumeuse, et qu'elle ne se vaporise pas. L'eau au contraire n'est pas fumeuse ; mais elle se vaporise. Le vin aussi, quand il est doux, est fumeux ; car il est gras, et il se comporte comme l'huile, puisqu'il ne gèle pas par le froid et qu'il ne se brûle pas. On lui donne le nom de vin ; mais de fait ce n'est pas du vin ; son suc n'est pas vineux, et voilà comment il ne grise pas. Le vin ordinaire n'a qu'une faible évaporation ; et c'est ce qui fait qu'il peut produire de la flamme. § 36. Il semble que tous les corps qui se résolvent en cendre sont combustibles. C'est ce qu'éprouvent tous les corps qui se coagulent, soit par la chaleur, soit tout ensemble par le chaud et le froid; car ces corps sont, comme on peut le voir, dominés par le feu ; mais, parmi les pierres, la pierre à cachets, qu'on appelle spécialement charbon ou escarboucle, est celle que le feu modifie le moins. § 37. Parmi les combustibles, les uns s'enflamment ; les autres ne s'enflamment pas. Il y a quelques-uns de ces derniers qui sont susceptibles de faire du charbon. Tous ceux qui peuvent donner de la flamme sont dits inflammables; ceux qui ne peuvent pas en donner sont ininflammables. § 38. On appelle inflammables tous les corps qui, n'étant pas liquides, peuvent cependant se vaporiser. La poix, l'huile, la cire sont plus inflammables, quand on les mêle avec d'autres corps, que quand elles sont seules. Les corps qui le sont le plus sont ceux qui font de la fumée. Parmi ces derniers corps, on appelle charbonneux ceux qui ont plus de terre que de fumée. § 39. Il y a des corps qui, étant fusibles, ne sont pas inflammables, par exemple l'airain ; et il y en a qui, étant inflammables, ne sont pas fusibles, comme le bois. Il y en a qui sont l'un et l'autre, comme l'encens. § 40. La cause en est que le bois a l'humide en quantité considérable et continu dans toutes ses parties, de manière qu'il est absolument consumé, tandis que l'airain, qui en a bien dans chacune de ses parties, ne l'y a pas continu; et l'humide y est en trop petite quantité pour produire de la flamme. L'encens, au contraire, est composé en partie d'une façon, et en partie de l'autre. § 41. Parmi les corps qui se vaporisent, ceux-là sont inflammables qui ne sont pas fusibles, parce qu'ils contiennent trop de terre ; car ces corps ont le sec qui est commun aussi (388a) au feu. Si donc le sec s'échauffe, il devient du feu. Aussi, la flamme est-elle de l'air, ou de la fumée qui brûle. § 42. L'évaporation des bois est la fumée; pour la cire, l'encens, et les corps analogues, pour la poix et tous les corps qui contiennent ou de la poix ou des substances pareilles, l'évaporation est de la lignys. Quant à l'huile et à tous les corps huileux, l'évaporation est de la cnisse ainsi que pour tous les corps qui ne peuvent pas du tout brûler, quand ils sont seuls, parce qu'ils ont peu d'humide, et que c'est par l'humide que la transformation se fait, mais qui brûlent très vite quand ils sont mêlés à d'autres substances ; car le gras sec est ce qu'on appelle onctueux. § 43. Les corps humides qui se vaporisent se rapportent davantage à l'humide (comme l'huile et la poix). Les corps humides qui brûlent tiennent plus du sec. [4,10] CHAPITRE X. § 1. C'est par ces propriétés et par ces différences que les corps homogènes diffèrent les uns des autres, ainsi que nous l'avons dit, soit au toucher, soit aussi par l'odeur, le goût et la couleur. § 2. J'entends par corps homogènes les corps métalloïdes, comme l'or, l'airain, l'argent, le plomb, le fer, la pierre, et les autres corps de ce genre, et même tous les corps qui ont la sécrétion de ceux-là. J'entends aussi par corps homogènes les éléments qui sont dans les plantes et les animaux, la chair, les os, le nerf, la peau, le viscère, les poils, les muscles, les veines. C'est de ces éléments que se composent les parties non homogènes, comme le visage, la main, le pied et plusieurs autres organes du même genre; et dans les plantes, le bois, la feuille, la racine et toutes les parties analogues à celles-là. § 3. Comme ces corps homogènes sont formés par l'action d'une autre cause, mais comme la substance d'où ils viennent est, en tant que matière, le sec et l'humide, c'est-à-dire l'eau et la terre, les deux éléments dont les corps portent le plus évidemment la puissante empreinte ; et comme les éléments actifs qui font ces corps homogènes sont le chaud et le froid, puisque c'est avec le sec et l'humide que le froid et le chaud constituent et coagulent les corps, il nous faut étudier, parmi les corps homogènes et les parties similaires, quelles sont les espèces qui sont de terre, quelles sont celles qui sont d'eau, et quelles sont celles qui participent de toutes deux. § 4. Parmi les corps qui ont été formés par la nature, les uns sont humides; les autres sont mous ; les autres sont durs On a dit antérieurement quels sont, parmi ces corps, ceux qui sont mous ou durs par la coagulation. § 5. Parmi les corps humides, ceux qui se vaporisent sont d'eau; ceux qui ne se vaporisent pas sont de terre, ou à la fois de terre et d'eau, comme le lait; ou de terre et d'air, comme le bois; ou enfin d'eau et d'air, comme l'huile. § 6. Tous les corps qui sont épaissis par la chaleur sont à la fois de terre et d'eau. On peut avoir quelques doutes pour le vin, parmi les corps humides ; (388b) car il peut tout à la fois se vaporiser, et pourtant il s'épaissit, témoin le vin nouveau. § 7. Cela tient à ce que le vin n'a pas une espèce unique, et qu'il varie beaucoup selon les espèces diverses ; car le vin nouveau a plus de terre que le vin vieux. Aussi, s'épaissit-il bien davantage par la chaleur, et gèle-t-il moins par le froid, parce qu'il contient beaucoup de chaleur et de terre. C'est ainsi qu'en Arcadie, il se dessèche tellement par la fumée, dans les outres où il est renfermé, qu'il faut le racler pour le boire. Mais si toute espèce de vin a de la lie, il est à la fois des deux éléments, de la terre et de l'eau, selon qu'il contient de la lie en plus ou moins grande quantité. § 8. Tous les corps qui s'épaississent par le froid sont de la terre ; tous ceux qui s'épaississent par le froid et la chaleur sont composés aussi de plusieurs éléments, comme l'huile, le miel et le vin doux. § 9. Parmi les corps solides, ceux qui se coagulent par le froid sont de l'eau, comme la glace, la neige, la grêle, le givre. Ceux qui se coagulent par la chaleur sont de la terre, comme l'argile, la crème, le nitre, les sels. Les corps qui se coagulent par les deux sont les deux ensemble. Ce sont tous les corps coagulés par le refroidissement ; et ces corps sont aussi ceux qui se coagulent par la privation des deux, c'est-à-dire la privation du chaud et celle de l'humide, sortant à la fois par l'action de la chaleur. Les sels en effet se coagulent par la seule privation de l'humide, ainsi que toutes les espèces de terre épurées. Mais la glace ne se coagule que par la seule privation de la chaleur. Aussi, les corps sont coagulés par les deux, et ils contiennent ces deux éléments. § 10. Les corps d'où l'humidité tout entière est sortie, sont de terre, comme l'argile ou l'ambre. Ainsi, l'ambre et les corps qui se distillent en larmes viennent de refroidissement, par exemple, la myrrhe, l'encens, la gomme. § 11. L'ambre paraît aussi de cette famille ; car il se coagule ; et de là vient qu'on y voit souvent des animaux qui s'y sont trouvés enveloppés. La chaleur, sortant par l'action de l'eau du fleuve, comme elle sort du miel bouillant, quand on le jette dans de l'eau, fait vaporiser l'humide de l'ambre. Tous les corps qu'on vient de nommer sont de la terre. § 12. Parmi ces corps, il y en a qui ne peuvent ni se fondre ni s'amollir, comme l'ambre ou certaines pierres, par exemple, les stalactites que l'on trouve dans les cavernes ; car ces stalactites se forment comme les pierres, non pas parce que la chaleur en sort sous l'action du feu, mais sous l'action du froid ; alors l'humide en sort en même temps, par la chaleur même qui en sort, tandis que dans les autres corps cet effet ne se produit que par le feu extérieur. Les corps qui ne sont pas desséchés tout entiers sont plutôt de la terre que de l'eau ; mais ils sont fusibles, comme le fer et la corne. Quant à l'encens et aux corps analogues, il se vaporise à peu près comme les bois. § 13. Comme il faut mettre au rang des corps liquéfiables, tous ceux qui se liquéfient et se fondent par le feu, il faut considérer ces corps plutôt comme aqueux. Il y en a quelques-uns aussi (389a) qui participent des deux, de l'eau et de la terre, comme la cire. Ceux qui sont dissous par l'eau sont de la terre ; ceux qui ne le sont ni par le feu, ni par l'eau, sont de la terre ou un mélange des deux. § 14. Si donc tous les corps sans exception sont humides ou solides, et s'il faut y comprendre les corps qui présentent les propriétés que nous avons dites, sans parler des propriétés intermédiaires, tous les caractères indiqués par nous feront reconnaître si les corps sont de terre ou d'eau ou composés de plusieurs éléments, et si c'est par le feu qu'ils se sont solidifiés, ou par le froid, ou par tous les deux ensemble. § 15. L'or, l'argent, le cuivre, le plomb, l'étain, le verre, et beaucoup de pierres qui n'ont pas de nom contiennent de l'eau ; car toutes ces substances fondent par la chaleur. Quelques vins aussi, puis l'urine, le vinaigre, la lessive, le petit-lait, et le pus, sont de l'eau, puisque tous ces corps se congèlent par le froid. § 16. Le fer, la corne, l'ongle, l'os, le nerf, le bois, les cheveux, les feuilles, l'écorce, sont plutôt de la terre. § 17. L'ambre, la myrrhe, l'encens et tous ces corps qu'on appelle des larmes, la pierre de tuf, et les fruits tels que les légumes et le blé, tous ces corps sont aussi de la terre, quoique les uns le soient plus, et les autres moins. Les uns peuvent mollir, d'autres se vaporiser, et être produits par le refroidissement. § 18. Le nitre, les sels, et certaines espèces de pierres qui ne viennent pas de refroidissement, et qui ne sont pas fusibles, sont également de la terre. Le sang et le sperme sont à la fois, de terre, d'eau et d'air. Le sang qui a plus de fibres a plus de terre ; aussi se gèle-t-il par le froid, et se fond-il par l'humide. Les sangs qui n'ont pas de fibres sont d'eau ; aussi ne se coagulent-ils pas. Le sperme se gèle par le froid, parce que l'humide en sort avec la chaleur. [4,11] CHAPITRE XI. § 1. D'après ce qu'on vient de dire, il faut poursuivre l'examen des corps, et indiquer quels sont ceux qui, parmi les solides ou les liquides, sont chauds ou froids. § 2. Ceux donc qui sont d'eau, sont froids en général, s'ils n'ont pas une chaleur étrangère, comme la lessive, l'urine, le vin. Ceux qui sont de terre, en général sont chauds, par suite de l'action de la chaleur qui les a formés, comme la chaux et la cendre. § 3. Il faut supposer que la matière est une sorte de froid ; car, comme le sec et l'humide sont de la matière, puisque ce sont des éléments passifs, comme aussi les corps de ces éléments sont principalement de la terre et de l'eau, et, comme la terre et l'eau sont caractérisées par la froideur, il en résulte évidemment que tous les corps qui sont absolument d'un seul de (389b) ces deux éléments, sont plutôt froids, s'ils ne reçoivent pas une chaleur étrangère, comme en reçoit l'eau qui bout, ou celle qui est échauffée en filtrant dans les cendres, cette eau tirant alors sa chaleur des cendres qu'elle a traversées, attendu que, dans tous. les corps qui ont été soumis au feu, il reste toujours de la chaleur en plus ou moins grande quantité. § 4. C'est pour cela aussi qu'il se forme des animaux dans les substances qui pourrissent ; car il se produit alors dans ces substances une chaleur qui détruit la chaleur particulière de chacune d'elles. § 5. Les corps qui sont tout à la fois de terre et d'eau, ont de la chaleur ; car ils se sont presque tous formés par la chaleur qui les a cuits. Il y a de ces corps qui ne sont que de la pourriture, comme les corps qui se décomposent en se liquéfiant. Ainsi, tant qu'ils gardent leur nature propre, ils sont chauds, comme le sang, le sperme, la mœlle, l'humeur, et tous les corps analogues. Mais quand ils sont corrompus, et qu'ils sortent de leur nature, ils ne sont plus chauds ; car il ne leur reste plus que la matière, qui est terre ou eau. § 6. Voilà pourquoi on a pu bien souvent les prendre pour l'une ou pour l'autre. Les uns ont prétendu que ces corps sont chauds ; d'autres ont soutenu qu'ils sont froids, en les voyant chauds tant qu'ils restent dans leur nature, et coagulés quand ils en sortent. § 7. Il en est donc comme on vient de le dire ; mais cependant, ainsi qu'on l'a expliqué, les corps dans lesquels la matière est surtout de l'eau, sont froids ; car c'est l'eau qui est la plus opposée au feu ; mais ceux où dominent la terre ou l'air, sont plus chauds. § 8. Il est possible, du reste, quelquefois, que les mêmes corps soient très froids et qu'ils deviennent très chauds par l'action d'une chaleur étrangère ; car ceux qui se resserrent le plus, et qui sont les plus solides, sont en même temps les plus froids, s'ils sont privés de chaleur ; et sont. les plus brûlants, si on les met au feu, comme l'eau qui brûle plus que la fumée, et la pierre plus que l'eau. [4,12] CHAPITRE XII. § 1. Après ces développements généraux, il faut en venir aux détails, et expliquer en particulier ce que sont la chair, l'os, et tous les autres corps à parties homogènes ; car nous connaissons maintenant de quels éléments se compose la nature de ces corps homogènes, quelles sont leurs espèces, et à quelle espèce se rapporte chacun d'eux, selon son origine. § 2. Les corps à parties homogènes viennent donc des éléments, et c'est d'eux, comme matière, que sortent toutes les oeuvres de la nature. Ainsi, tous les êtres naturels viennent des éléments qu'on a indiqués, comme de leur matière ; mais, quant à leur essence, elle découle de leur définition. § 3. C'est ce qu'on voit de plus en plus évidemment à mesure qu'on s'élève dans l'ordre des choses, et, en général, quand on observe celles qui sont des instruments, et qui sont employées en vue de quelque fin. Si, en effet, il est évident, par exemple, que le cadavre ne peut être appelé un homme que par simple homonymie, il ne l'est plus autant tout à fait que la main de ce mort n'est une main que par une homonymie pareille, de même que des flûtes de pierre ne seraient flûtes que de nom. En effet, il y a des choses dans la nature qui, comme celles-là, ne sont que des instruments. § 4. Mais ceci devient un peu moins évident pour la chair et pour l'os, et moins encore pour le feu, pour l'eau, pour la terre. Le but poursuivi est de moins en moins sensible dans ces cas, en proportion que la matière domine davantage. De même, en effet, que si l'on prend les choses dernières, la matière n'y est plus rien absolument qu'elle-même, et que l'essence y est tout à fait réduite à la définition, de même les intermédiaires ne sont ce qu'ils sont que dans la proportion où chacun d'eux se rapproche ; car chacun d'eux n'existe qu'en vue d'une fin ; et il n'est pas simplement de l'eau ou du feu, de même qu'il n'est pas non plus simplement, soit chair, soit intestin. Mais on peut le dire bien plus évidemment encore de la main ou du visage. § 5. Tous les corps sont ainsi déterminés par leur fonction ; car ceux qui peuvent accomplir comme il faut leur fonction propre, sont véritablement chacun ce qu'ils doivent être. Ainsi, l' oeil quand il voit, est vraiment oeil ; mais celui qui ne peut pas voir n'est oeil que par homonymie, comme le serait un oeil mort, ou un oeil de pierre. De même encore, une scie de pierre n'est pas une scie, si ce n'est comme l'est une simple image de scie. § 6. C'est bien encore ainsi qu'est la chair ; mais sa destination est moins évidente que celle de la langue, par exemple. II en est de même aussi du feu. Mais physiquement, sa fonction est moins évidente encore que celle de la chair. § 7. On en peut dire autant pour les parties des plantes, et aussi pour les objets inanimés, comme l'airain et l'argent ; car toutes ces choses ont une puissance quelconque, soit pour agir, soit pour souffrir, comme la chair et le nerf ; mais leurs raisons d'être ne sont pas parfaitement distinctes. § 8. Aussi, n'est-il pas facile de discerner quand la fonction existe et quand elle n'existe pas, à moins qu'elle ne soit tout à fait détruite, et qu'il ne reste que les formes seules, comme ces cadavres déjà anciens qui deviennent tout à coup de la cendre, quand on veut les toucher dans leurs tombeaux. C'est ainsi que les fruits, quand ils sont très vieux, ne sont fruits (390b) que par la mine, et ne le sont plus quand on les goûte, de même que ces vaines représentations qui sont faits avec du lait coagulé. § 9. Il se peut donc que les parties homogènes se forment par la chaleur, par le froid, et par les mouvements de tous deux, et qu'elles soient solidifiées, soit par le chaud, soit par le froid ; je veux parler des corps à parties homogènes, telles que la chair, l'os, les poils, les nerfs et tous les corps de cette espèce. § 10. Tous diffèrent en effet entre eux par les différences qu'on a dites antérieurement : l'extension, la traction, la friabilité, la dureté, la mollesse, et toutes les autres qualités analogues ; et ils se forment par le mélange du froid et du chaud, et par les mouvements qui en résultent. § 11. Mais les corps à parties non homogènes, quoique composés de ces éléments, ne paraissent pas présenter entre eux de ces différences, comme la tête, la main, le pied. Mais de même que la cause qui fait naître le cuivre et l'argent, c'est le froid et la chaleur, et le mouvement qu'ils produisent, et que ce n'est plus ce simple mouvement qui produit des choses telles que la scie, la burette, le coffre ; de même, d'un côté c'est l'art qui agit ; et de l'autre, c'est la nature, ou telle autre cause. § 12. Maintenant que nous savons d'une manière générale ce que sont tous les corps à parties homogènes, il faut rechercher ce que sont chacun d'eux particulièrement, comme le sang, la chair, le sperme, et tous les autres corps analogues ; car c'est ainsi que nous saurons, pour chacun d'eux, quelle est sa destination et quelle est sa nature, soit que nous en connaissions la matière, ou seulement la définition ; et surtout, si nous savons tout à la fois les causes de la génération et de la destruction pour les corps, et le principe d'où leur vient le mouvement. § 13. Ceci étant éclairci, il faudra étudier également les corps à parties non homogènes ; et enfin les êtres qui en sont composés, tels que l'homme, la plante, et tous les êtres de même ordre.