[0] DE LA JEUNESSE ET DE LA VIEILLESSE, DE LA VIE ET DE LA MORT. [1] CHAPITRE PREMIER. (464b10) § 1. Nous parlerons donc maintenant de la jeunesse et de la vieillesse, de la vie et de la mort; et peut-être nous sera-t-il nécessaire en même temps d'exposer les causes de la respiration, parce que c'est elle qui, dans, certaines espèces d'animaux, fait qu'ils vivent on, ne vivent pas. § 2. Nous avons approfondi la question de l'âme dans d'autres ouvrages; et nous avons fait voir que s'il est impossible que son essence soit le corps, elle n'en est pas moins évidemment dans une certaine partie du corps, et qu'elle doit être dans un de ces corps qui ont de la force dans les éléments dont ils se composent. Quant aux diverses parties ou facultés de l'âme, de quelque nom qu'il faille les appeler, c'est une question dont nous ne nous occuperons pas ici. § 3. Dans tous les êtres qu'on nomme animaux, et dont on peut dire qu'ils vivent, du moment qu'ils réunissent ces deux conditions, à savoir : vivre et être animal, il faut nécessairement que ce soit une seule et même partie qui fasse vivre l'être et qui le fasse appeler animal. En effet, l'animal, en tant qu'animal, ne peut pas ne pas vivre; mais un être, par cela seul qu'il vit, n'est pas nécessairement un animal. Ainsi, les plantes vivent bien, mais elles n'ont pas la sensibilité; et c'est cette faculté de sentir qui sépare ce qui est animal de ce qui ne l'est pas. Numériquement, il faut donc que ce soit une seule et même partie; mais par sa façon d'être, elle peut être plusieurs et différentes parties, parce qu'en effet on ne doit pas confondre être animal et vivre. § 4. Puis donc qu'outre les sens spéciaux il y a un sens commun, où il faut nécessairement que toutes les sensations en acte viennent converger, cette partie est le milieu de ce qu'on nomme dans l'animal le devant et le derrière. On appelle le devant, la partie où est la sensation pour nous, et le derrière est la partie opposée à celle-là. § 5. De plus, le corps de tous les êtres qui vivent se divisant en partie haute et partie basse, puisqu'en effet tous les animaux ainsi que les plantes mêmes ont un haut et un bas, il est clair que (468a) les êtres doivent avoir le principe qui les nourrit au centre de ces parties diverses. La partie par laquelle entre la nourriture nous l'appelons le haut, en regardant à l'individu seul, et non à tout le reste de l'univers qui l'entoure; et le bas, c'est la partie par où l'animal rejette d'abord le résidu. § 6. La disposition de ces parties est toute contraire dans les plantes et dans les animaux. Parmi les animaux, c'est surtout à l'homme qu'appartient, à cause de sa position droite, le privilège d'avoir sa partie haute dans le même sens que le haut du monde entier. Les autres animaux ont une position intermédiaire; mais les plantes qui sont immobiles et qui tirent du sol leur nourriture, doivent toujours nécessairement avoir cette partie placée en bas. Ainsi, les racines répondent précisément à ce qu'on appelle la bouche dans les animaux; les plantes reçoivent leur nourriture du sol, les animaux la prennent directement eux-mêmes. [2] CHAPITRE II. § 1. On peut distinguer trois parties principales dans lesquelles se divisent tous les animaux qui sont complets : l'une par où l'animal reçoit sa nourriture, l'autre par où il en rejette le résidu, et la troisième, qui est intermédiaire entre ces deux-là. Cette dernière partie se nomme la poitrine dans les plus grands animaux; et dans les autres, elle est remplacée par quelque partie correspondante. Ces parties sont plus séparées dans certaines espèces que dans certaines autres. § 2. Tous animaux qui marchent ont aussi, pour remplir cette fonction, des appareils spéciaux qui leur servent à porter tout le poids du corps, à savoir des cuisses et des pieds, ou des organes qui ont la même destination. § 3. Mais le principe de l'âme nutritive paraît se trouver au centre de ces trois parties; et c'est ce dont on peut se convaincre et par l'observation sensible, et aussi par la raison. Il y a, en effet, beaucoup d'animaux qui, même après qu'on leur a enlevé deux de ces parties, celle qu'on appelle la tête, et celle qui reçoit la nourriture, vivent cependant encore avec la partie ou est placé le centre. C'est là un fait qu'on peut vérifier sans peine dans les insectes, tels que les guêpes et les abeilles ; et de plus, il y a beaucoup d'animaux qui, sans être des insectes, peuvent vivre néanmoins même après qu'on les a divisés, pourvu qu'ils aient conservé la partie nutritive. § 4. En acte cette partie est une, mais en puissance elle, est multiple. § 5. Il en est de même aussi pour les végétaux. Les végétaux, quand on les a coupés, vivent encore séparément; et il peut sortir plusieurs arbres d'un seul individu, principe (468b) de tous les autres. § 6. On dira ailleurs d'où vient que certaines plantes ne peuvent revivre quand on les sépare du tronc, tandis qu'il en est d'autres qu'on peut faire repousser de bouture. § 7. Mais, du reste, en ceci les plantes sont tout à fait comme la race des insectes. Pour elles aussi, il faut nécessairement que l'âme nutritive dans les êtres qui la possèdent soit actuellement une; mais en puissance elle peut être multiple. Cette observation s'applique également au principe sensible; car les animaux que l'on a divisés ainsi semblent encore jouir de la sensibilité. § 8. Mais, quant à conserver complètement leur nature, les plantes le peuvent très-bien. Au contraire, les insectes et les autres animaux ne le peuvent point, parce qu'ils n'ont plus les instruments indispensables à leur conservation, et qu'ils manquent, soit de l'organe qui doit prendre la nourriture, soit de l'organe qui doit la recevoir. D'autres animaux manquent alors d'autres organes encore, en même temps qu'ils manquent de ces deux-là. § 9. C'est que les animaux qu'on peut ainsi diviser doivent être considérés à peu près comme plusieurs animaux soudés ensemble. Les animaux les mieux organisés ne sont pas susceptibles de cette division, parce que leur nature est une au plus haut degré possible. Toutefois, il y a certaines parties qui, même séparées, montrent des restes de sensibilité, parce qu'elles éprouvent encore une sorte d'affection analogue à celles que l'âme pourrait percevoir. Ainsi, les viscères sont séparés que l'animal fait encore un mouvement, comme les tortues qui se meuvent même après qu'on leur a enlevé le cœur. [3] CHAPITRE III. § 1. Du reste, il est encore d'autres preuves manifestes de ces faits dans les plantes et dans les animaux. § 2. Pour les plantes, il suffit d'observer leur développement, soit qu'elles viennent de semence, de greffe ou de bouture. Quand elles viennent de semence, c'est toujours du centre que part le développement; car toutes les graines ayant deux valves, le milieu se trouve précisément au point où toutes les deux se soudent, et il appartient à chacune de ces deux parties. C'est de là que sortent la tige et la racine quand la plante pousse; et le principe de toutes deux est le centre d'où elles sortent l'une et l'autre. § 3. C'est là ce qu'on peut très-bien observer aussi pour les troncs, soit dans les greffes, soit dans les boutures. Le tronc est le principe du rameau, et en est en même temps le centre. Aussi, l'on doit ou enlever ce tronc, ou y insérer le sujet, pour que le rameau ou les racines puissent en pousser, comme si le principe, soit du rejeton, soit de la racine, venait du centre. § 4. Dans les animaux qui ont du sang, c'est le cœur qui se développe d'abord ; c'est là ce qui est certain d'après les faits que nous avons observés, autant que nous l'avons pu voir sur les animaux au moment même où ils se développaient. Il faut nécessairement que dans les animaux qui n'ont pas de sang, ce soit la partie correspondante au cœur qui se forme aussi la première. Nous avons dit antérieurement, dans le Traité des Parties des animaux, que le cœur est le principe des veines, et que le sang est, dans les animaux qui en ont, nourriture définitive dont se forment les parties qui les composent. § 5. Il est donc évident que l'office de la bouche, en ce qui concerne la nourriture, se borne à une seule opération, et que celui des intestins est différent. Le cœur est la pièce principale, et c'est lui qui vient ajouter la fin à tout le reste. Une conséquence nécessaire de ceci dans les animaux qui ont du sang, c'est que le principe de l'âme sensible et nutritive soit aussi dans le cœur, parce que les fonctions des autres parties relativement à la nourriture n'ont lieu qu'en vue de l'œuvre accomplie par le cœur, et qu'on doit toujours placer la souveraineté dans la partie en vue de laquelle travaillent toutes les autres, et non pas dans les parties qui fonctionnent pour celle-là, comme le médecin n'agit qu'en vue de la santé. § 6. C'est donc bien dans le cœur qu'est le principe souverain de toutes les sensations, chez les animaux qui ont du sang; car c'est là que doit être placé nécessairement l'organe commun de tous les autres organes des sens. Or, il y a deux sens que nous voyons évidemment aboutir au cœur : ce sont le goût et le toucher; il faut donc aussi que les autres s'y rendent comme ceux-là. C'est en lui, en effet, que les autres organes des sens peuvent aussi communiquer leur mouvement; or, ces deux sens ne se rendent point du tout dans la partie supérieure du corps. § 7. Mais, si indépendamment de tout cela, la vie pour tous les êtres réside dans le cœur, il est clair qu'il faut aussi que le cœur soit le principe de la sensibilité. En effet, c'est en tant que l'être est animal que nous disons qu'il vit; et c'est en tant que le corps est sensible que nous disons qu'il est le corps d'un animal. § 8. Mais pourquoi certains sens se rendent-ils évidemment au cœur, et d'autres sont-ils dans la tête, ce qui a donné à penser à quelques philosophes que c'est par le cerveau que les animaux sentent ? C'est là une question que nous avons déjà éclaircie spécialement dans un traité différent. § 9. Il est donc certain, d'après ce que nous avons dit en nous appuyant sur les faits, que c'est dans le cœur, dans le centre des trois parties du corps, que se trouve le principe de l'âme qui sent, le principe de l'âme qui fait croître, et le principe de l'âme qui nourrît. [4] CHAPITRE IV. § 1. D'après cet axiome, donné par l'observation, qu'en toutes choses la nature tâche toujours de faire le mieux possible, il faut penser que c'est à la condition de se trouver dans le milieu de la substance de l'être, que chacun de ces deux principes accomplit le plus parfaitement sa fonction, à savoir : le principe qui élabore définitivement la nourriture, et celui qui la reçoit. C'est, en effet à cette condition, que le milieu sera en rapport avec l'un et avec l'autre; et le siège central de cette union (469b) est le siège du principe souverain. § 2. Il est évident, de plus, que l'être qui se sert d'une chose, diffère de la chose dont il se sert; et de même qu'il diffère en puissance, de même aussi il peut différer par la manière dont il se sert de cette chose, comme diffèrent la flûte et ce qui la met en jeu, c'est-à-dire la main. § 3. Si donc l'animal se distingue de tout le reste par cela seul qu'il possède le principe de la sensibilité, il faut nécessairement que ce principe réside dans le cœur, chez les animaux qui ont du sang, et que chez ceux qui n'en ont point, il réside dans la partie qui remplace le cœur. § 4. Or, toutes les parties de l'animal et tout son corps jouissent d'une certaine chaleur naturelle qui leur est innée. Voilà pourquoi, tant qu'ils vivent, ils paraissent chauds, et qu'une fois morts et privés de la vie, ils deviennent tout le contraire. On voit que dès lors le principe de cette chaleur doit nécessairement se trouver dans le cœur pour les animaux qui ont du sang, et dans la partie correspondante pour ceux qui n'en ont point, parce que tous, sans exception, élaborent et digèrent leur nourriture, grâce à cette chaleur naturelle, et que c'est surtout l'organe principal, le cœur ou l'organe correspondant, qui agit dans cette fonction. Aussi la vie demeure quand ce sont les autres parties seulement qui se refroidissent ; mais l'animal meurt sur-le-champ, du moment que le froid atteint celle-là, parce que c'est de là que dépend, pour tous les animaux, le principe de la chaleur et de l'âme, qui est en quelque sorte brûlante dans ces parties. § 5. Ainsi donc, pour les animaux qui n'ont pas de sang, c'est dans la partie qui remplace le cœur, et pour ceux qui en ont, c'est dans le cœur, que sont à la fois nécessairement et la vie et le foyer qui entretient la chaleur indispensable à la vie ; et ce qu'on appelle la mort n'est que la destruction de cette chaleur. [5] CHAPITRE V. § 1. Mais on peut observer que le feu est exposé à deux causes de destruction : ou il s'éteint ou il est étouffé. On dit qu'il s'éteint quand il se détruit de lui-même, et il est étouffé quand il cesse par l'action d'éléments contraires. Dans le premier cas, c'est la vieillesse; dans l'autre, c'est une destruction violente. § 2. Il se peut que ces deux destructions du feu viennent d'une seule et même cause. Ainsi, la nourriture venant à manquer, et la chaleur ne pouvant plus prendre l'aliment nécessaire, il y a destruction du feu; c'est alors le contraire qui, arrêtant la digestion, empêche que l'être ne se nourrisse. Parfois aussi le feu s'éteint de lui-même, quand la chaleur s'accumule en trop grande quantité, et que l'animal ne peut plus ni respirer, ni se refroidir. La chaleur accumulée ainsi absorbe bientôt toute la nourriture, et elle l'absorbe si rapidement que l'évaporation n'a pas le temps de se faire. § 3. Voilà pourquoi non-seulement un feu plus faible s'éteint de lui-même devant un feu plus fort, mais aussi pourquoi la flamme d'une lampe qui vit et subsiste par elle-même, si elle est placée dans une flamme plus grande s'y trouve consumée, (470a) comme tout autre combustible. La cause en est que la plus grande flamme a le temps de consumer la nourriture qui est dans la flamme (la plus petite) avant qu'il en arrive d'autre. Mais le feu continue toujours à se produire et à s'écouler comme un fleuve ; et si l'on ne voit pas ce mouvement, c'est à cause de sa rapidité. § 4. Il est donc évident que s'il faut que la chaleur se conserve parce qu'elle est indispensable à la vie, il faut aussi qu'il y ait un certain refroidissement de la chaleur qui est dans le principe. § 5. On peut en voir un exemple bien simple dans les charbons qu'on étouffe. Si on les enferme sans interruption dans cette machine à couvercle qu'on appelle un étouffoir, ils s'éteignent sur-le-champ. Mais si on lève plusieurs fois le couvercle et qu'on le remette tour à tour, ils demeurent très-longtemps allumés. Ainsi, couvrir le feu le conserve, parce qu'alors la cendre n'est pas assez épaisse pour l'empêcher de respirer, et qu'il résiste assez, grâce à l'air extérieur, pour ne pas s'éteindre par la quantité de chaleur qu'il renferme en lui-même. § 6. On a, du reste, expliqué, dans les Problèmes, la cause spéciale qui fait que le contraire arrive au feu qu'on couvre et à celui qu'on étouffe. L'un, en effet, s'éteint; l'autre, au contraire, subsiste plus longtemps. [6] CHAPITRE VI. § 1. Comme tout animal a une âme et qu'il ne peut vivre sans chaleur naturelle, ainsi que nous venons de le dire, les plantes trouvent dans leur nourriture et dans le milieu qui les entoure, tous les moyens suffisants pour conserver cette chaleur naturelle. La nourriture des végétaux leur donne du refroidissement, en s'introduisant en eux, comme elle en donne aux hommes dans le premier moment qu'on l'ingère, tandis que les jeûnes échauffent et provoquent la soif. En effet, quand l'air n'est pas mis en mouvement il s'échauffe toujours; mais, du moment que la nourriture entre, le mouvement que l'air reçoit refroidit l'animal jusqu'à ce que la nourriture ait reçu la digestion convenable. § 2. Mais si le milieu qui entoura le végétal est très-froid par suite de la saison qui amène des gelées violentes, le végétal se dessèche; ou bien, s'il y a de grandes chaleurs dans l'été, et que l'humidité que la plante tire du sol ne soit pas suffisante pour la refroidir, sa chaleur (naturelle) alors s'éteint et se perd. On dit, dans ce dernier cas, que les arbres sont frappés de marasme et ont un coup de soleil. Voilà pourquoi on met alors au pied des plantes des pierres d'une certaine espèce, (470b) ou des fossés pleins d'eau, pour que les racines puissent s'y rafraîchir. § 3. Quant aux animaux, comme les uns sont aquatiques et que les autres vivent dans l'air, c'est de ces deux éléments qu'ils tirent le refroidissement qui leur est nécessaire, les uns le prenant à l'eau, et les autres, à l'air. Mais pour expliquer de quelle manière et à quelles conditions s'accomplit ce phénomène, il faut entrer dans quelques développements.