[0] La Guerre de Mithridate. [1] CHAPITRE I. Les Grecs pensent que les Thraces ont participé à la guerre de Troie avec Rhésus, qui fut tué par Diomède de nuit de la façon décrite dans les poèmes d'Homère. Ils s'enfuirent jusqu'à la sortie du pont Euxin à l'endroit où le passage vers la Thrace est le plus court. Certains disent que comme ils ne trouvaient pas de navires ils restèrent là et s'emparèrent du pays appelé Bébrycie. D'autres prétendent qu'ils firent voile vers une contrée située au delà de Byzance et appelée le pays des Traces Bithyniens et s'installèrent le long du fleuve Bithya, mais qu'ils furent forcés par faim de retourner en Bébrycie, à laquelle ils donnèrent le nom de Bithynie à cause du fleuve où ils s'étaient justement installés ; à moins qu'ils ne changèrent ce nom insensiblement au fil du temps, car il n'y a pas beaucoup de différence entre Bithynie et Bébrycie. C'est ce que certains pensent. D'autres disent que leur premier roi fut Bithys, fils de Zeus et de Thrace, et que les deux pays prirent leur noms du roi et de la mère. [2] Voilà ma préface sur la Bithynie. Des 49 rois qui se succédèrent dans le pays avant les Romains, il ne me convient pas d'en faire mention dans mes écrits sur l'histoire romaine. Prusias, surnommé le Chasseur, fut celui à qui Persée, roi de Macédoine, donna sa soeur en mariage. Quand Persée et les Romains, peu de temps après, firent la guerre les uns contre les autres, Prusias ne prit pas parti entre les deux belligérants. Quand Persée fut fait prisonnier, Prusias alla trouver les généraux romains, revêtu d'une habit qu'ils appellent tebennus (toge), chaussé à la mode italienne, la tête rasée et coiffé d'un pilleus (bonnet) à la façon des esclaves qui ont été affranchis par testament, et son apparence était sale et insignifiante. Quand il les rencontra il leur fit en latin, « Je suis le libertus des Romains, ce qui voulait dire « affranchi. » « Ils en rirent et l'envoyèrent à Rome. Comme là il paraissait ridicule il obtint son le pardon. [3] Un peu plus tard, irrité contre Attale, roi du territoire de l'Asie au sujet de Pergame, Prusias ravagea son territoire. Quand le sénat romain apprit cela il envoya un mot à Prusias lui disant de ne pas attaquer Attale, qui était leur ami et leur allié. Comme il tardait à obéir, les ambassadeurs lui firent des recommandations sévères pour qu'il obéisse aux ordres du sénat et pour qu'il aille avec 1000 cavaliers jusque la frontière pour discuter d'un traité de paix avec Attale, qui, disaient-ils, l'attendait là avec un nombre égal de cavaliers. Dédaignant la poignée d'hommes qui accompagnaient Attale et espérant le capturer, Prusias envoya les ambassadeurs devant lui pour dire qu'il arrivait juste derrière avec 1000 hommes, alors qu'en réalité il avait mis en route son armée entière et s'avançait comme s'il allait au combat. Comme Attale et les ambassadeurs ayant appris la chose, avaient pris la fuite, chacun comme il le pouvait, Prusias se saisit des bêtes de charge appartenant aux Romains qui avait été abandonnées, captura et détruisit la forteresse de Nicéphore, y brûla les temples, et assiégea Attale, qui s'était sauvé à Pergame. Quand ces choses furent connues à Rome, une nouvelle ambassade fut envoyée, ordonnant à Prusias de dédommager Attale pour les dommages qu'il avait subis. Alors Prusias prit peur, obéit aux ordres et se retira. Les ambassadeurs décidèrent que comme pénalité il devait donner immédiatement à Attale vingt vaisseaux pontés, et lui payer 500 talents d'argent un peu plus tard. C'est pourquoi il lui laissa les navires et commença à effectuer les paiements au moment prescrit. [4] Comme Prusias était détesté de ses sujets à cause de sa cruauté extrême ils s'attachèrent fort à son fils Nicomède. Aussi Prusias commença à se méfier de lui et l'envoya habiter Rome. Apprenant qu'il y était fort estimé également, Prusias insista pour qu'il demande au sénat de le libérer du paiement de l'argent qu'il devait encore à Attale. Il envoya Ménas pour le seconder en tant qu'ambassadeur, et lui dit que s'il obtenait une remise des paiements il devait épargner Nicomède, mais dans le cas contraire de le tuer à Rome. Pour ce faire il le fit accompagner d'un certain nombre de petits navires et de 2000 soldats. Comme l'amende infligée à Prusias ne fut pas annulée (Andronicus, qui avait été envoyé par Attale pour défendre sa cause, prouva qu'elle était moindre que la valeur du pillage), Ménas, voyant que Nicomède était jeune un homme estimé et attirant, ne savait plus que faire. Il n'osait pas le tuer, ni retourner lui-même en Bithynie. Le jeune homme remarqua son embarras et chercha à lui parler : c'était juste ce que Ménas voulait. Ils formèrent un complot contre Prusias et y entraînèrent Andronicus, le légat d'Attale : il devrait persuader Attale de faire revenir Nicomède en Bithynie. Ils se donnèrent rendez-vous à Bernicé, une petite ville d'Épire, où ils montèrent dans un navire durant la nuit pour discuter sur ce qu'ils devaient faire et se séparèrent avant jour. [5] Le matin Nicomède sortit du navire revêtu de la pourpre royale et portant un diadème sur la tête. Andronicus le rencontra, le salua comme roi, et lui donna une escorte de 500 soldats qu'il avait avec lui. Ménas, feignant d'apprendre pour la première fois la présence de Nicodème, se précipita vers ses 2000 hommes et dit avec fausse agitation, « Puisque nous avons deux rois, un chez nous et l'autre qui arrive, nous devons regarder à nos propres intérêts, et nous former un jugement sûr pour l'avenir, parce que notre sécurité est assurée si nous prévoyons correctement lequel des deux sera le plus fort. L'un d'entre eux est un vieil homme, l'autre est jeune. Les Bithyniens sont opposés à Prusias ; ils sont attachés à Nicomède. Les Romains influents adorent ce jeune homme, et Andronicus lui a déjà donné une garde : ce qui prouve que Nicomède est l'allié d'Attale, qui possède un royaume étendu à côté de la Bithynie et est un vieil ennemi de Prusias. » En plus de cela il insistait sur la cruauté de Prusias, sur sa conduite indigne envers tout le monde et sur la haine générale que lui vouaient les Bithyniens pour cette raison. Quand il vit que les soldats détestaient également la méchanceté de Prusias, il les mena immédiatement à Nicomède et le salua comme roi, ainsi qu'Andronicus venait de le faire, et lui fournit une garde avec ses 2000 hommes. [6] Attale accueillit le jeune homme chaleureusement et ordonna à Prusias de lui donner certaines villes pour y résider et de lui fournir un territoire pour ses approvisionnements. Prusias répondit qu'il donnerait immédiatement à son fils tout le royaume d'Attale : il avait prévu de le donner à Nicomède quand il avait envahi auparavant l'Asie. Après cette réponse il accusa formellement à Rome Nicomède et Attale et les cita en jugement. Les forces d'Attale envahirent immédiatement la Bithynie et les habitants au fur et à mesure prenaient le parti des envahisseurs. Prusias, ne faisant confiance à personne et espérant que les Romains le sauveraient de la conspiration, demanda et obtint de son gendre, Diegylis, 500 Thraces, et avec eux seuls comme gardes du corps il se réfugia dans la citadelle de Nictaea. Le préteur romain, pour favoriser Attale, tarda à présenter les ambassadeurs de Prusias au sénat à Rome. Quand il les présenta, le sénat décréta que le préteur lui-même devrait choisir des légats et les envoyer pour résoudre les problèmes. Il choisit trois hommes, un qui par le passé avait reçu une pierre sur la tête, de laquelle il avait gardé des cicatrices ; un autre était malade de la goutte, et le troisième était considéré comme complètement idiot ; si bien que Caton fit une remarque cinglante sur cette ambassade, disant qu'elle n'avait ni jugement, ni pieds, ni tête. [7] Les légats arrivèrent en Bithynie et ordonnèrent la fin de la guerre. Nicomède et Attale feignirent de donner leur accord. On avait chargé les Bithyniens de dire qu'ils ne pouvaient plus supporter la cruauté de Prusias, d'autant plus qu'ils s'étaient plaints ouvertement de lui. Sous prétexte que ces plaintes n'étaient pas encore arrivées à Rome les légats repartirent, sans résoudre les problèmes. Comme Prusias désespérait de l'aide des Romains (il avait tellement confiance en eux qu'il avait négligé de se fournir des moyens pour sa propre défense) il se retira à Nicomédie afin de fortifier la ville et de résister aux envahisseurs. Mais les habitants le trahirent et ouvrirent les portes, et Nicomède y entra avec son armée. Prusias se sauva dans le temple de Zeus, où il fut poignardé par des gens de Nicomède. C'est ainsi que Nicomède remplaça Prusias comme roi de Bithynie. À sa mort, son fils Nicomède surnommé Philopator, lui succéda et le sénat confirma son pouvoir héréditaire. Voilà pour la Bithynie. Pour anticiper la suite, un autre Nicomède, petit-fils de celui-ci, laissa par testament son royaume aux Romains. [8] CHAPITRE II. Qui étaient les rois de Cappadoce avant les Macédoniens je ne peux le dire exactement - y-a-t-il eu un gouvernement propre ou étaient-ils sujets de Darius ? Je pense qu'Alexandre laissa les gouverneurs des nations conquises leur demandant simplement un tribut, pressé qu'il était de se diriger vers Darius. Mais il s'avère qu'il rétablit à Amisos, une ville du Pont, d'origine attique, sa forme de gouvernement originale qui était la démocratie. Mais Hieronymos prétend qu'il n'a pas eu de contact du tout avec ces nations, mais qu'il alla chez Darius par une autre route, le long du littoral de Pamphylie et de Cilicie. Mais Perdiccas, qui régna sur les Macédoniens après Alexandre, captura et fit mettre en croix Ariarthes, gouverneur de Cappadoce, soit parce qu'il s'était révolté soit pour régir ce pays selon la règle macédonienne, et plaça Eumène de Cardie pour gouverner ces peuples. Eumène fut considéré comme ennemi de la Macédoine et mis à mort, et Antipater, qui succéda à Perdiccas comme administrateur du territoire d'Alexandre, nomma comme satrape Nicanor de Cappadoce. [9] Peu après des dissensions éclatèrent entre Macédoniens. Antigone expulsa Laomedon de Syrie et gouverna lui-même. Il avait avec lui un Mithridate, rejeton de la maison royale de Perse. Antigone vit en rêve qu'il semait un champ avec de l'or, et que Mithridate le récoltait et l'emportait dans le Pont. Il l'arrêta donc, projetant de le mettre à mort, mais Mithridate s'échappa avec six cavaliers, fortifia une forteresse de Cappadoce, où beaucoup le rejoignirent à cause de l'affaiblissement de la puissance macédonienne, et il s'empara de la totalité de la Cappadoce et des pays voisins le long du Pont-Euxin. Cette grande puissance, qu'il avait acquise, il la laissa à ses enfants. Ils régnèrent l'un après l'autre jusqu'au sixième Mithridate qui succéda au fondateur de la maison, et qui alla faire la guerre aux Romains. Comme il y avait des rois de cette maison en Cappadoce et dans le Pont, je crois qu'ils en ont divisé le gouvernement, l'un régnant sur un pays et l'autre sur l'autre. [10] En tout cas un roi du Pont, Mithridate surnommé Euergetes (le bienfaiteur) fut le premier de ceux qui conclurent un traité d'amitié avec Rome, et qui même envoya des navires et quelques auxiliaires pour les aider contre les Carthaginois. Il envahit la Cappadoce comme si c'était un pays étranger. Lui succéda son fils Mithridate surnommé Dionysos, et aussi Eupator. Les Romains lui ordonnèrent de rendre la Cappadoce à Ariobarzane, qui s'était sauvé chez eux et qui paraissait avoir plus de droits sur le gouvernement de ce pays que Mithridate ; ou peut-être se méfiaient-ils de la puissance croissante de cette grande monarchie et pensaient qu'il valait mieux la diviser en plusieurs parties. Mithridate obéit, mais il mit une armée au service de Socrates, surnommé Chrestus, frère de Nicomède, roi de Bithynie, qui renversa ce dernier et usurpa le gouvernement. Ce Nicomède était le fils du Nicomède, fils de Prusias, qui avait reçu le royaume de Bithynie en héritage des mains des Romains. En même temps Mithraas et Bagoas chassèrent Ariobarzane, que les Romains avaient confirmé comme roi de Cappadoce, et Ariarthes prit sa place. [11] Les Romains décidèrent de restaurer Nicomède et Ariobarzane en même temps, chacun dans son propre royaume, envoyèrent à cette fin une ambassade, commandée par Manius Aquilius et ordonnèrent à Lucius Cassius, qui gouvernait l'Asie autour de Pergame et qui avait une petite armée sous son commandement, de l'aider dans leur mission. Des ordres semblables furent envoyés à Mithridate Eupator lui-même. Mais ce dernier, fâché contre les Romains à cause de leur intervention en Cappadoce, et pour avoir été récemment dépouillé de la Phrygie par ceux-ci (comme je l'ai raconté dans mon histoire hellénique), refusa de coopérer. Néanmoins Cassius et Manius, avec l'armée de ce dernier, et une force nombreuse composée de Galates et de Phrygiens, rétablirent Nicomède en Bithynie et Ariobarzane en Cappadoce. Et en même temps ils leur demandèrent, comme ils étaient voisins de Mithridate, de faire des incursions dans son territoire et de le pousser à la guerre, leur promettant l'aide des Romains. Les deux rois hésitèrent à commencer une guerre si importante à leurs propres frontières, parce qu'ils craignaient la puissance de Mithridate. Comme les ambassadeurs l'exigeaient, Nicomède, qui avait accepté de verser une grande somme d'argent aux généraux et aux ambassadeurs pour récupérer son territoire et qui les devait encore, et qui devait aussi d'énormes sommes qu'il avait empruntées à intérêt aux Romains de son pays qui l'importunaient pour cela, attaqua à contre-coeur le territoire de Mithridate et le pilla jusqu'à la ville d'Amastris, sans rencontrer de résistance. Bien que Mithridate ait eu ses forces prêtes, il se retira, parce qu'il voulait avoir une cause bonne et suffisante de faire la guerre. [12] Nicomède s'en retourna avec un butin abondant et Mithridate envoya Pélopidas auprès des généraux et des ambassadeurs romains. Il n'ignorait pas qu'ils voulaient lui faire la guerre, et qu'ils étaient à la base de cette attaque contre lui, mais il le dissimula afin d'obtenir plus de motifs valables pour la guerre à venir. C'est pourquoi il leur rappela les liens d'amitié et l'alliance conclue par lui même et par son père. En échange de cela, dit Pélopidas, on lui avait enlevé la Phrygie et la Cappadoce. Or la Cappadoce avait toujours appartenu à ses ancêtres et lui avait été laissée par son propre père. « La Phrygie, » continua-t-il, «lui a été donnée par votre propre général comme récompense de sa victoire sur Aristonicos ; néanmoins il a versé une grande somme d'argent pour celle-ci au même général. Et maintenant vous permettez à Nicomède de fermer les détroits du Pont-Euxin, et d'envahir le pays jusqu'à Amastris, et vous le voyez emporter un vaste butin en toute impunité. Mon roi n'était pas en état de faiblesse, il était préparé à se défendre, mais il attendait que vous soyez les témoins oculaires de ces événements. Puisque vous avez tout vu, Mithridate, qui est votre ami et votre allié, vous invite comme amis et alliés (comme le veut le traité) à nous défendre contre les dommages causés par Nicomède, ou d'empêcher ces dommages. » [13] Quand Pélopidas eut fini de parler, les ambassadeurs de Nicomède, qui étaient présents pour lui répondre, dirent : « Mithridate complote contre Nicomède depuis longtemps et a mis Socrates sur le trône par la force des armes, bien que Socrates eût bon caractère et jugeât normal que son frère aîné aie le pouvoir. Tels furent les exactions de Mithridate contre Nicomède que vous, Romains, avez établi sur le trône de Bithynie - exactions qui vous visaient évidemment autant que nous. De la même manière après que vous ayez ordonné aux rois asiatiques de ne pas attaquer l'Europe, il s'est emparé de presque toute la Chersonèse. Ces actes sont des exemples de son arrogance, de son hostilité, de sa désobéissance envers vous-mêmes. Regardez ses grands préparatifs. Il est tout à fait prêt, comme pour une grande guerre déjà décidée, non seulement avec sa propre armée, mais avec une grande force d'alliés, de Thraces, du Scythes, et de beaucoup d'autres peuples voisins. Il a formé une alliance matrimoniale avec l'Arménie, et il a envoyé des émissaires en Égypte et en Syrie pour rechercher l'amitié des rois de ces pays. Il possède 300 navires de guerre et en a d'autres en chantier. Il a envoyé des gens en Phénicie et en Égypte pour recruter des officiers et des pilotes. Ces choses que Mithridate rassemble en de telles quantités, ne sont pas accumulées contre Nicomède, Romains, mais contre vous. Il est fâché contre vous parce que, quand il avait acheté la Phrygie en corrompant l'un de vos généraux, vous lui avez ordonné d'abandonner ce qu'il avait mal acquis. Il est fâché à cause de la Cappadoce, que vous avez donnée à Ariobarzane. Il craint votre puissance croissante. Il fait des préparatifs sous prétexte qu'ils sont contre nous, mais en réalité il se prépare à vous attaquer s'il le peut. C'est le fait du parti de la sagesse de ne pas attendre jusqu'à ce qu'il déclare la guerre contre vous, mais de regarder ses actes plutôt que ses paroles, et de ne pas abandonner les amis authentiques et éprouvés pour un hypocrite qui vous offre le nom factice de l'amitié, et de ne pas permettre que votre décision au sujet de notre royaume fusse annulée par quelqu'un qui est également l'ennemi de nous tous. » [14] Après que les ambassadeurs de Nicomède eurent terminé, Pélopidas s'adressa de nouveau devant l'assemblée romaine, disant que si Nicomède se plaignait de faits anciens, il acceptait la décision des Romains, mais sur la situation actuelle (tout se passe sous vos yeux : le dépècement du territoire de Mithridate, la fermeture de la mer, et tout ce butin emmené) il n'y avait nul besoin de discussion ni de jugement. « Nous vous invitons, Romains, encore, » dit-il, « soit d'empêcher de tels outrages, soit d'aider Mithridate, qui est leur victime, soit de vous tenir à l'écart de tous ces événements et de lui permettre de se défendre et ne pas aider l'une ou l'autre partie. » Pélopidas répétait sa demande. Alors que les généraux romains avaient décidé bien avant d'aider Nicomède ils faisaient semblant d'écouter les arguments ce celui-ci. Mais les paroles de Pélopidas et l'alliance de Mithridate, qui était toujours en vigueur, les mettaient mal à l'aise, et ils se demandèrent pendant un moment quelle réponse lui faire. Finalement, après avoir longuement réfléchi, ils firent cette réponse astucieuse : « Nous ne souhaiterions pas que Mithridate souffrent le moindre mal de la part de Nicomède, mais nous n'acceptons pas qu'on fasse la guerre à Nicomède, parce que nous ne pensons pas que ce serait l'intérêt de Rome qu'il soit affaibli. » Après cette réponse ils renvoyèrent Pélopidas de l'assemblée, bien que celui-ci ait voulu montrer l'insuffisance de leur réponse. [15] CHAPITRE III. Mithridate, traité ouvertement de façon inique par les Romains, envoya son fils Ariarthe avec de grandes forces pour s'emparer du royaume de Cappadoce. Ariarthe prit rapidement le pouvoir et chassa Ariobarzane. Alors Pélopidas revint devant les généraux romains et leur dit : « Comment Mithridate a supporté patiemment vos injustices, quand il a été privé de la Phrygie et de la Cappadoce, il y longtemps qu'on vous l'a dit, Romains. Vous avez vu les dommages que Nicomède lui a infligés - et vous n'avez pas réagi. Et quand nous avons fait appel à votre amitié et à votre alliance, vous nous avez répondu comme si nous n'étions pas des accusateurs mais des accusés, en disant que ce ne serait pas dans votre intérêt que Nicomède subisse des dommages comme s'il en subissait. Vous êtes donc responsables envers la république romaine pour ce qui s'est passé en Cappadoce. Mithridate a fait ce qu'il a fait parce que vous nous avez dédaignés et vous nous avez raillé dans vos réponses. Il a l'intention d'envoyer une ambassade à votre sénat pour se plaindre de vous. Il vous enjoint d'être présents pour vous défendre et de ne rien faire à la hâte, ni de commencer une guerre d'une telle ampleur sans un décret de Rome elle-même. Vous devez considérer que Mithridate règne sur son domaine héréditaire, qui a 2000 stades de longueur et qu'il a acquis beaucoup de régions voisines, les Colchidiens, un peuple très belliqueux, les Grecs autour de Pont-Euxin, et les tribus barbares au delà de ceux-ci. Il a des alliés également prêts à obéir à ses demandes, les Scythes, les Taures, Bastarnes, les Thraces, les Sarmates, et tout ceux qui demeurent dans la région de Don, du Danube et de la mer d'Azof. Tigrane d'Arménie est son gendre et Arsace le Parthe son allié. Il a aussi un grand nombre de navires, prêts et d'autres en chantier, et des armements de toutes sortes en abondance. [16] « Les Bithyniens ne vous trompaient pas sur ce qu'ils vous ont dit récemment au sujet des rois d'Égypte et de Syrie. Non seulement il est probable qu'ils nous aideront si la guerre éclate, mais également nous aideront votre province nouvellement acquise de l'Asie, et la Grèce, et l'Afrique, et une partie considérable de l'Italie elle-même, qui fait encore maintenant une guerre implacable contre vous parce qu'elle ne peut pas supporter votre avidité. Avant d'avoir pu résoudre vos problèmes, vous attaquez Mithridate en envoyant contre lui Nicomède et Ariobarzane chacun à son tour, et vous dites cependant que vous êtes nos amis et nos alliés. Vous faites semblant qu'il en est ainsi, mais vous agissez comme des ennemis. Souffrez maintenant de voir si enfin les conséquences de vos actes vous ont mis dans un meilleur état d'esprit : empêchez Nicomède de blesser vos amis et alliés (dans ce cas je promets que le roi Mithridate vous aidera à mater la rébellion en Italie), ou rejetez le masque de l'amitié envers nous, ou allons à Rome et réglons le conflit là-bas. » Ainsi parla Pélopidas. Les Romains considérèrent le discours insolent et ordonnèrent à Mithridate de laisser Nicomède et la Cappadoce tranquilles (ils y avaient de nouveau ramené Ariobarzane). Ils ordonnèrent également à Pélopidas de quitter leur camp immédiatement, et de ne pas y revenir à moins que le roi n'obéisse à leurs ordres. Après avoir fait cette réponse, ils le renvoyèrent escorté de peur qu'il n'attire dans son camp des gens en cours de route. [17] Après ces pourparlers, ils n'attendirent pas de savoir ce que le sénat et les habitants de Rome penseraient d'une si grande guerre, mais ils commencèrent à rassembler des forces de Bithynie, de Cappadoce, de Paphlagonie et des Galates de l'Asie. Comme Lucius Cassius, gouverneur de l'Asie, avait sa propre armée, en hâte toutes les forces alliées furent réunies. Ils les divisèrent en corps séparés et les envoyèrent dans des camps, Cassius à la frontière de la Bithynie et de la Galatie, Manius sur le parcours de Mithridate pour se rendre en Bithynie, et Oppius, le troisième général, dans les montagnes de Cappadoce. Chacune avait environ 40.000 hommes, fantassins et cavaliers confondus. Ils avaient également une flotte sous la le commandement de Minucius Rufus et de Gaius Popillius à Byzance, gardant les bouches du Pont-Euxin. Nicodème commandant 50.000 fantassins et 6000 cavaliers. Telles étaient l'ensemble des forces rassemblées. Mithridate avait sa propre armée de 250.000 fantassins et 40.000 cavaliers, 300 bateaux pontés, 100 avec deux rangs des rames, et le matériel en proportion. Il avait comme généraux Neoptolème et Archélaos, deux frères. Le roi était présent dans la plupart des cas. Comme troupes auxiliaires, Arcathias, le fils de Mithridate, amenait 10.000 cavaliers de la Petite Arménie, et Doryalos commandait la phalange. Crateros avait le commandement de 130 chars de guerre. Tels étaient les préparatifs de chaque côté quand le Romains et le Mithridate en vinrent aux mains pour la première fois, vers la 173ème olympiade. [18] Quand Nicomède et les généraux de Mithridate arrivèrent en face l'un l'autre dans une large plaine large bordée par le fleuve Amnias ils rangèrent leurs forces en ordre de combat. Nicomède avait toutes ses troupes ; Néoptolème et Archélaos n'avaient que leur infanterie légère et la cavalerie d'Arcathias et quelques chars ; la phalange n'était pas encore arrivée. Ils envoyèrent en avant une petite force pour s'emparer d'une colline rocheuse dans la plaine de peur d'être encerclés par les Bithyniens, qui étaient beaucoup plus nombreux. Quand Néoptolème vit ses hommes délogés de la colline, il eut encore plus peur d'être encerclé. Il se hâta de venir à leur aide, tout en demandant de l'aide à Arcathias. Quand Nicomède vit le mouvement il chercha la bataille. Un combat farouche et sanglant s'ensuivit. Nicomède prit le dessus et mit les troupes de Mithridate en fuite jusqu'au moment où Archélaos, avançant sur le flanc droit, tomba sur les poursuivants, qui furent obligés de se porter contre lui. Il se retira peu à peu afin que les forces de Néoptolème puissent se rassembler. Quand il jugea que cela suffisait il avança de nouveau. En même temps les chars armés de faux chargèrent les Bithyniens, firent une brèche au milieu, tranchant les uns et déchirant les autres en morceaux. L'armée de Nicomède fut terrifiée de voir des hommes coupés en deux et qui respiraient toujours, ou taillés en morceaux et leurs restes accrochés aux faux. Atterrés par la hideur du spectacle plutôt que par la perte du combat, la peur s'empara de leur rang. Tandis qu'ils étaient en pleine confusion Archélaos les attaqua de front et Neoptolème et Arcathias, qui avaient fait demi-tour, attaquèrent leurs arrières. Ils combattirent longtemps attaqués de deux côtés. Lorsque la plupart de ses hommes furent tombés, Nicomède s'enfuit avec le reste en Paphlagonie, bien que la phalange de Mithridate ne soit pas encore intervenue du tout. Son camp fut pris, ainsi qu'une grande somme d'argent et beaucoup de prisonniers. Mithridate les traita tous avec bonté et les renvoya chez eux avec des vivres pour le voyage, d'où il gagna la réputation de clémence chez ses ennemis. [19] Ce fut la première bataille de la guerre Mithridatique et elle alarma les généraux romains, parce qu'ils s'étaient engagés dans une si grande guerre dans la précipitation, sans réfléchir, et sans décret du peuple romain. Un petit nombre de soldats avait battu des forces beaucoup plus nombreuses, sans avoir une meilleure position, sans erreur de l'ennemi, mais par la bravoure des généraux et la qualité des combattants. Nicomède maintenant campait à côté de Manius. Mithridate gravissait le mont Scoroba, qui se trouvait sur la frontière entre la Bithynie et le Pont. Cent cavaliers Sarmates en avant-garde tombèrent sur 800 cavaliers de Nicomède et en firent quelques-uns comme prisonniers. Mithridate les renvoya aussi chez eux et leur fournit des vivres. Neoptolème et Nemanès l'Arménien, rattrapèrent Manius qui faisait retraite à la forteresse de Protophachium aux environs de la septième heure, alors que Nicomède s'en allait pour rejoindre Cassius, et le contraignirent à combattre. Il avait 4000 cavaliers et dix fois plus de fantassins. Ils tua 10.000 de ses hommes et en fit prisonniers 300. Quand on les amena chez Mithridate, il les libéra de la même manière, gagnant par là la popularité chez ses ennemis. Le camp de Manius fut également pris. Il se sauva vers le fleuve Sangarius, y arriva la nuit, et s'enfuit à Pergame. Cassius, Nicomède et tous les ambassadeurs romains présents transportèrent leur camp à un endroit appelé la Tête du Lion, une forteresse très puissante en Phrygie, où ils commencèrent à exercer la foule nouvellement rassemblée d'artisans, de paysans et d'autres recrues qui n'y connaissaient rien, et ils recrutèrent pour les compléter des Phrygiens. Les trouvant incapables, ils abandonnèrent l'idée de combattre avec de tels hommes sans aucune expérience, les licencièrent et se retirèrent, Cassius avec sa propre armée à Apamée, Nicomède à Pergame et à Manius à Rhodes. Quand ceux qui gardaient les bouches du Pont-Euxin apprirent la chose, ils se dispersèrent également et livrèrent les détroits et tous bateaux qui s'y trouvaient à Mithridate. [20] En renversant en une seule fois l'entièreté du royaume de Nicomède, Mithridate en prit possession et mit de l'ordre dans les villes. Alors il envahit la Phrygie et logea dans une auberge qu'avait occupée Alexandre le Grand, pensant que cela lui porterait bonheur de s'arrêter où Alexandre s'était par le passé arrêté lui-même. Il envahit le reste de Phrygie, ainsi que la Mysie et les régions de l'Asie qui avaient été récemment acquises par les Romains. Alors il envoya des émissaires aux provinces contiguës et subjugua la Lycie, la Pamphylie, et le reste jusqu'en Ionie. Aux habitants de Laodicée sur le fleuve Lycos, qui lui résistaient toujours (le général romain, Quintus Oppius était arrivé dans cette ville avec sa cavalerie et des mercenaires et la défendait), il envoya un héraut devant les murs pour proclamer « Le roi Mithridate promet que les habitants de Laodicée ne souffriront aucun dommage s'ils lui livrent Oppius. » A cette annonce ils renvoyèrent les mercenaires sains et saufs, mais ils amenèrent Oppius lui-même à Mithridate avec ses licteurs marchant devant lui pour le ridiculiser. Mithridate ne lui fit aucun mal, mais il le promenait avec lui enchaîné, pour exhiber un général romain son prisonnier. [21] Peu après il captura Manius Aquilius, un des ambassadeurs et celui qui était le plus à blâmer dans cette guerre. Mithridate le promena, enchaîné sur un âne, et faisant proclamer au public que c'était Manius. Finalement, à Pergame, Mithridate lui fit verser de l'or fondu dans la bouche, voulant par cela sans doute rappeler aux Romains leur vénalité. Après avoir nommé des satrapes à la tête des diverses nations, il se rendit à Magnésie, à Éphèse et à Mitylène, qui le reçurent avec joie. Les Éphésiens renversèrent les statues romaines qui avaient été érigées dans leurs villes - ils le payèrent peu après. A son retour d'Ionie Mithridate prit la ville de Stratonicée, lui infligea une amende et y plaça une garnison. Voyant une belle jeune fille il l'ajouta à la liste de ses épouses. Si quiconque souhaite savoir son nom, elle s'appelait Monima, fille de Philopœmen. Contre les Magnésiens, les Paphlagoniens et les Lyciens qui s'opposaient toujours à lui, il laissa à ses généraux la direction de la guerre. [22] CHAPITRE IV. Telle était la situation avec Mithridate. Dès qu'on apprit à Rome l'offensive et l'invasion de l'Asie, on lui déclara la guerre, bien qu'on fût occupé par de pénibles dissensions en ville et une énorme guerre sociale : presque toutes les régions de l'Italie s'étaient révoltées les unes après les autres. Quand les consuls tirèrent au sort, le gouvernement de l'Asie et la guerre contre Mithridate furent confiés à Cornelius Sylla. Comme on n'avait pas d'argent pour payer ses dépenses on vota de vendre les trésors que le roi Numa Pompilius avait destiné aux sacrifices aux dieux ; si grand était leur manque de moyens à ce moment-là et si grande était leur ambition pour l'Empire. Une partie de ces trésors, vendus immédiatement, rapporta 9000 livres d'or et ce fut tout ce qu'ils purent dépenser pour une si grande guerre. D'ailleurs Sylla fut longtemps occupé par les guerres civiles, comme j'e l'ai raconté dans mes Guerres civiles. Pendant ce temps Mithridate fit construire un grand nombre de navires pour attaquer Rhodes, et il écrivit secrètement à tous ses satrapes et magistrats que le trentième jour suivant ils devraient attaquer tous les Romains et tous les Italiens dans leurs villes, et aussi leurs épouses, leurs enfants et tous les affranchis de naissance italienne, les tuer, laisser leurs corps sans sépultures et se partager leurs biens avec lui. Il menaça de punir ceux qui enseveliraient les morts ou cacheraient les vivants et il offrit des récompenses aux délateurs et à ceux qui tueraient les gens qui se cachaient, ainsi que la liberté aux esclaves qui trahissaient leurs maîtres. Aux débiteurs qui massacreraient leurs créanciers il offrit l'annulation de la moitié de leurs dettes. Ces ordres, Mithridate les envoya secrètement à toutes les villes en même temps. Quand le jour fixé arriva les calamités s'abattirent sur la province d'Asie : en voici quelques exemples. [23] Les Éphésiens arrachèrent les fugitifs, qui s'étaient réfugiés dans le temple d'Artémis, des statues même de la déesse et les tuèrent. Les habitants de Pergame tirèrent des flèches sur ceux qui s'étaient réfugiés dans le temple d'Esculape, alors qu'ils s'accrochaient toujours à sa statue. Les habitants d'Adramyttion poursuivirent dans la mer ceux qui cherchaient à s'échapper à la nage, les tuèrent et noyèrent leurs enfants. Les Cauniens qui étaient devenus sujets de Rhodes après la guerre contre Antiochus et qui venaient d'être libérés par les Romains, poursuivirent les Italiens qui s'étaient réfugiés près de la statue de Vesta du Sénat, les arrachèrent de l'autel, tuèrent les enfants devant les yeux de leurs mères, et puis tuèrent les mères elles-mêmes et leurs maris pour terminer. Les habitants de Tralles, pour s'en laver les mains, louèrent un monstre sauvage appelé Theophilus, un Paphlagonien, pour effectuer ce travail. Il conduisit les victimes au temple de la Concorde, et c'est là qu'il les assassina, coupant en outre les mains de ceux qui embrassaient les statues des dieux. Tel fut le destin terrible qui arriva aux Romains et aux Italiens dans toute la province de l'Asie, aux hommes, aux femmes, aux enfants, à leurs affranchis et à leurs esclaves : à tout ce qui était de sang italien ; ce qui rendit évident que c'était plus la haine des Romains que la crainte de Mithridate qui poussait les Asiatiques à commettre ces atrocités. Mais ils furent doublement châtiés de leur crime - une fois des mains de Mithridate lui-même, qui dans sa perfidie peu de temps après, se déchaîna contre eux et une autre fois des mains de Cornelius Sylla. En attendant Mithridate arriva dans l'île de Cos, où il fut accueilli avec bienveillance par les habitants et où il reçut et ensuite éleva comme un roi un fils d'Alexandre, ancien souverain d'Égypte, qui avait été laissé là par sa grand-mère, Cléopâtre, ainsi qu'une grande somme d'argent. Des trésors de Cléopâtre il envoya des objets de valeur, des oeuvres d'art, des pierres précieuses, des ornements féminins et beaucoup de l'argent dans le Pont. [24] Pendant ce temps les Rhodiens renforçaient leurs murs et leur port et érigèrent partout des machines de guerre, recevant de l'aide de Telmessos et de Lycie. Tous les Italiens qui s'étaient échappés d'Asie se rassemblèrent à Rhodes, et parmi eux Lucius Cassius, le proconsul de la province. Quand Mithridate s'approcha avec sa flotte, les habitants détruisirent les faubourgs pour qu'ils ne puissent être utiles à l'ennemi. Alors ils prirent la mer pour un combat naval avec une partie de leurs navires rangés de front et les autres de flanc. Mithridate, qui naviguait dans une quinquérème, ordonna à ses navires de gagner en colonne la haute mer et d'augmenter la cadence pour encercler l'ennemi, parce qu'ils étaient inférieurs en nombre. Les Rhodiens comprirent cette manoeuvre et se retirèrent lentement. Enfin ils firent demi-tour et se réfugièrent dans le port, fermèrent les portes, et combattirent Mithridate du haut de leurs murs. Celui-ci plaça son camp près de la ville et tentait continuellement de gagner l'entrée du port, mais comme il n'y arrivait pas, il attendit l'arrivée de son infanterie d'Asie. En attendant il y avait des engagements continuels entre les assaillants et ceux qui gardaient les murs. Comme les Rhodiens l'emportaient sur lui dans ces affrontements, ils reprirent graduellement courage et gardaient leur navires disponibles afin d'attaquer l'ennemi quand l'occasion s'en présentait. [25] Comme un des navires marchands du roi se déplaçait près d'eux à la voile une birème rhodienne s'avança contre lui. Beaucoup de navires des deux côtés allèrent aux secours des leurs et un rude combat naval s'engagea. Mithridate était supérieur à ses adversaires dans sa fureur et dans la multitude de ses navires, mais les Rhodiens l'encerclèrent et enfoncèrent ses bateaux avec une telle expérience qu'ils prirent une de ses trirèmes et la remorquèrent avec son équipage, des ornements de poupe et beaucoup de butin, et les ramenèrent dans le port. Au même moment une de leurs quinquérèmes fut prise par l'ennemi et les Rhodiens, ne le sachant pas, envoyèrent six de leurs navires les plus rapides pour aller à sa recherche, commandées par leur amiral Démagoras. Mithridate envoya vingt-cinq de ses navires contre lui. Démagoras se déroba jusqu'au coucher du soleil. Quand l'obscurité tomba, il attaqua les vaisseaux du roi qui faisaient demi-tour, il en coula deux, en poursuivit deux autres jusqu'en Lycie et rentra chez lui ayant passé la nuit en haute mer. Tel fut le résultat du combat naval : résultat inattendu pour les Rhodiens à cause du petit nombre de leur force, inattendu pour Mithridate à cause de la taille de la sienne. Au cours de ce combat tandis que le roi inspectait sa flotte dans son navire et exhortait ses hommes, un bateau allié de Chios éperonna le sien dans un bruit fracassant. Le roi fit semblant de rien au moment même, mais plus tard il punit le pilote et l'homme de vigile, et conçut une haine pour tous les habitants de Chios. [26] A peu près au même moment les forces terrestres de Mithridate longeaient la côte dans des navires marchands et des trirèmes, et un vent, soufflant de Caunos, les amena à Rhodes. Les Rhodiens aussitôt sortirent pour aller à leur rencontre, les attaquèrent alors qu'elles étaient encore dispersées et souffrant des effets de la tempête, en prirent certains, en défoncèrent et en brûlèrent d'autres, et firent environ 400 prisonniers. Sur quoi Mithridate se prépara à un second combat naval et à un siège en même temps. Il fit construire une sambuque, immense machine pour détruire les murs, et montée sur deux navires. Quelques déserteurs lui montrèrent une colline qu'il était facile d'escalader et où se situait le temple de Zeus Atabyrios, entourée par un mur peu élevé. Il fit embarquer une partie de son armée dans des navires durant la nuit, fit distribuer des échelles à d'autres, et ordonna aux deux parties de se déplacer silencieusement jusqu'à ce qu'elles voient un feu comme signal allumé depuis le temple d'Atabyrios ; et alors de faire le plus de bruit possible, et les uns attaquer le port et les autres le mur. Donc ils s'approchèrent dans un profond silence. Les sentinelles rhodiennes comprirent ce qui se passait et allumèrent un feu. L'armée de Mithridate, croyant que c'était le signal lumineux d'Atabyrios, rompirent le silence et se mirent à crier, aussi bien ceux qui portaient des échelles que le contingent qui se trouvait dans les navires. Les Rhodiens, sans être impressionnés du tout, leur répondirent par des cris et se précipitèrent en foule sur les murs. Les forces du roi ne firent rien durant la nuit, et le jour suivant elles furent repoussées. [27] Le Rhodiens eurent plus peur de la sambuque, qui s'avançait contre le mur où se trouvait le temple d'Isis. Elle fonctionnait avec des armes de diverses sortes, des béliers et des projectiles. Les soldats portant des échelles dans des petits navires l'entouraient, prêts à escalader le mur avec. Néanmoins les Rhodiens attendirent son attaque de pied ferme. Finalement la sambuque s'effondra sous son propre poids, et on vit Isis apparaître lançant un torrent de feu sur celle-ci. Mithridate désespéra de son entreprise et quitta Rhodes. Il fit alors le siège de Patara et commença à faire couper un bois consacré à Latone pour obtenir des matériaux pour ses machines, jusqu'à ce qu'il fût averti en rêve d'épargner les arbres sacrés. Laissant Pélopidas continuer la guerre contre les Lyciens il envoya Archélaos en Grèce pour gagner leur amitié par la persuasion ou par la force selon son bon vouloir. Après que Mithridate se fut déchargé de la plupart des charges sur ses généraux, il s'appliqua à lever des troupes, faire fabriquer des armes et passer du bon temps avec son épouse Stratonicée. Il dirigeait les procès contre ceux qui étaient accusés de conspirer contre lui, ou ceux qui incitaient à la révolte, ou ceux qui simplement favorisaient les Romains. [28] CHAPITRE V. Tandis que Mithridate s'occupait ainsi, voici ce qui se passait en Grèce : Archélaos, qui naviguait avec des vivres en abondance et une grande flotte, s'empara par la force et la violence de Délos et d'autres places qui s'étaient révoltées contre Athènes. Il tua 20.000 hommes dans ces places (la plupart étaient des Italiens), et fit rendre les places aux Athéniens. De cette façon, en vantant Mithridate et en le magnifiant, il réussit à faire entrer les Athéniens dans son alliance. Archélaos leur envoya le trésor sacré de Délos par les mains d'Aristion, citoyen athénien, accompagné de 2.000 soldats pour surveiller l'argent. Aristion se servit de ces soldats pour se rendre maître du pays, mettant à mort immédiatement certains Athéniens qui favorisaient les Romains et en envoya d'autres à Mithridate. Et cela, bien qu'il ait professé d'être un philosophe de l'école d'Epicure. Il n'était pas le seul à Athènes qui ait pactisé avec les tyrans (ainsi avant lui Critias et ses disciples). Mais en l'Italie aussi une partie des Pythagoriciens et ceux qu'on connaît sous le nom des Sept Sages dans d'autres régions du monde grec, se sont mis en tête de s'occuper des affaires publiques, ont régné cruellement et sont devenus de plus grands tyrans que les tyrans ordinaires ; c'est pourquoi on s'est mis à douter et à soupçonner les autres philosophes : leurs discours sur la sagesse provient-il d'un amour de la vertu ou comme consolation de leur pauvreté et de leur échec. Nous voyons beaucoup de ces derniers encore maintenant, obscurs et frappés par la pauvreté, se draper de la philosophie comme une question de nécessité, et faisant d'amers reproches aux riches et aux puissants, non parce qu'ils méprisent vraiment la richesse et la puissance, mais parce qu'ils envient ceux qui possèdent des ceux choses. Ceux qui sont diffamés par eux ont une bien meilleure raison de les dédaigner. Les lecteurs peuvent considérer que ces paroles se rapportent au philosophe Aristion, qui est la cause de cette digression. [29] Archélaos fit passer du côté de Mithridate les Achéens, les Lacédémoniens et toute le Béotie à l'exception de Thespies, qu'il continuait à assiéger. En même temps Métrophanès, envoyé par Mithridate avec une armée, ravagea l'Eubée, le territoire de Démétrias et celui de Magnésie, états qui refusaient d'embrasser sa cause. Bruttius s'avança de Macédoine contre lui avec une petite force, engagea un combat naval, coula un grand navire et une hemiolia, et tua tous ce qui s'y trouvaient sous les yeux de Métrophanès. Ce dernier pris de peur se sauva et, comme le vent était favorable, Bruttius ne ne put le rattraper, mais il donna l'assaut à Sciathos, qui était un entrepôt de butin pour des barbares, crucifia certains d'entre eux qui étaient des esclaves et coupa les mains aux hommes libres. Alors il se dirigea contre la Béotie, ayant reçu en renforts 1.000 cavaliers et fantassins de Macédoine. Près de Chéronée il engagea un combat qui dura trois jours contre Archélaos et Aristion, sans résultat probant. Comme les Lacédémoniens et les Achéens venaient en l'aide à Archélaos et à Aristion, Bruttius jugea qu'il n'était pas capable de s'opposer à tous et se retira au Pirée jusqu'à ce qu'Archélaos fut rejoint par sa flotte et ne se fut emparé aussi de cet endroit. [30] Sylla qui avait été nommé général pour la guerre contre Mithridate par les Romains, passa alors pour la première fois en Grèce avec cinq légions et quelques cohortes et escadrons et immédiatement réclama de l'argent, des renforts et des vivres de l'Étolie et de la Thessalie. Dès qu'il se crut assez fort, il s'avança pour attaquer Archélaos. Pendant qu'il traversait le pays, toute la Béotie se joignit à lui sauf quelques villes, et entre autres la grande ville de Thèbes qui avait pris avec une certaine légèreté le parti de Mithridate contre les Romains, mais qui alors changea allégrement de camp, pour passer d'Archelaus à Sylla avant l'affrontement général. Quand Sylla atteignit l'Attique, il détacha une partie de son armée pour assiéger Aristion à Athènes, et lui-même descendit attaquer le Pirée, où Archélaos s'était abrité derrière le mur avec toutes ses forces. La hauteur du mur était d'environ vingt mètres et il était construit de grandes pierres carrées. C'était le travail de Périclès du temps de la guerre du Péloponnèse, et comme il mettait ses espoirs de victoire dans le Pirée il l'avait fortifié le mieux possible. Malgré la taille des murs, Sylla y fit appliquer ses échelles immédiatement. Après avoir infligé et reçu beaucoup de dommages (les Cappadociens repoussèrent bravement son attaque), il se retira épuisé à Éleusis et à Mégare, où il fit construire des machines pour une nouvelle attaque contre le Pirée et imagina de l'assiéger avec une terrasse. Des machines et les appareils de tous les sortes, fer, catapultes, et autres choses étaient fournies par Thèbes. Sylla fit couper le bois de l'Académie et y fit construire ses plus grandes machines. Il fit démolir les longs murs, et employa les pierres, le bois de construction et la terre pour les remblais de sa terrasse. [31] Deux esclaves athéniens du Pirée - soit qu'ils favorisaient les Romains soit qu'ils s'occupaient de leur propre sûreté dans le cas où cela irait mal -, inscrivaient ce qui se passait sur les boules de plomb et les jetaient aux Romains avec une fronde. Comme ils le faisaient continuellement, cela arriva aux oreilles de Sylla, qui prêta attention aux missives et en trouva une qui disait : « Demain l'infanterie fera une sortie de front sur vos ouvriers, et la cavalerie attaquera l'armée romaine sur les deux flancs. » Sylla plaça en cachette des troupes en nombre adéquat en embuscade et quand l'ennemi sortit pensant prendre l'ennemi par surprise complète, ce sont eux qui furent fort surpris de la force cachée qui les attendait. Sylla en tua beaucoup et repoussa le reste jusqu'à la mer. Voilà comment se termina cet engagement. Comme les terrasses s'élevaient de plus en plus, Archélaos s'y opposa en érigeant des tours et y plaça une très grande quantité de traits à l'intérieur. Il fit venir des renforts de Chalcis et des autres îles et arma ses marins, parce que il se considérait vraiment en danger. Son armée était supérieure en nombre à celle de Sylla, elle le devint encore beaucoup plus par ces renforts. Il fit une sortie au milieu de la nuit avec des torches et brûla une des tortues et des machines qui la jouxtaient ; mais Sylla en reconstruit de nouvelles en dix jours et le replaça aux mêmes endroits que les anciennes. Contre elles Archélaos plaça une tour sur cette partie du mur. [32] A l'arrivée par la mer d'une nouvelle armée envoyée par Mithridate sous le commandement de Dromichaitès, Archélaos fit sortir toutes ses troupes pour engager le combat. Il plaça des archers et des frondeurs au milieu d'elles et les plaça juste sous les murs de sorte que la garnison au-dessus du mur puisse atteindre l'ennemi avec ses traits. D'autres furent postés autour des portes avec des torches en attendant l'occasion de faire une sortie. La bataille resta indécise pendant longtemps ; chacun reculant à son tour. D'abord ce furent les Barbares jusqu'à ce qu'Archélaos les eut arrêtés et les eut ramenés. Les Romains en furent effrayés au point de fuir à leur tour, jusqu'à ce que Murena les rattrape et les ramène. Une autre légion, qui revenait d'avoir été chercher du bois, ainsi que quelques soldats qui avaient été dégradés, prirent part au combat avec empressement, chargèrent avec violence contre les troupes de Mithridate, en tuèrent environ 2.000 et firent reculer le reste à l'intérieur des murs. Archélaos essaya de les rassembler une nouvelle fois et tint sa place si longtemps qu'il fut enfermé dehors et dû être hissé par des cordes. En considération de leur de comportement splendide Sylla leva les punitions de ceux qui avaient été dégradés et donna de grandes récompenses aux autres. [33] L'hiver arrivait déjà, Sylla établit son camp à Éleusis et le protégea par un fossé profond, s'étendant de l'intérieur des terres jusqu'à la mer pour que la cavalerie ennemie ne puisse aisément l'atteindre. Tandis qu'il poursuivait ce travail, on se battait tous les jours, tantôt le long du fossé, tantôt devant les murs de l'ennemi, qui sortait fréquemment et attaquait les Romains avec des pierres, des javelots et des balles de plomb. Sylla, ayant besoin de navires, envoya des ambassadeurs à Rhodes pour les obtenir, mais les Rhodiens ne pouvaient pas lui en envoyer parce que Mithridate commandait la mer. Il ordonna alors à Lucullus, un noble romain qui plus tard remplaça Sylla comme commandant de cette guerre, de se rendre secrètement à Alexandrie et en Syrie, et d'obtenir une flotte des rois et des villes maritimes, et de ramener avec elle le contingent naval des Rhodiens. Lucullus n'eut aucune crainte de la flotte ennemie. Il s'embarqua dans un vaisseau rapide et, changeant sans cesse de navire afin de cacher ses mouvements, il arriva à Alexandrie. [34] A ce moment les traîtres du Pirée jetèrent un autre message au-dessus des murs, disant qu'Archélaos cette nuit-là enverrait un convoi de soldats avec des vivres à la ville d'Athènes, qui souffrait de la faim. Sylla tendit un piège et s'empara des vivres et des soldats. Le même jour, près de Chalcis, Minucius blessa Néoptolème, un autre général de Mithridate, tua 1.500 de ses hommes, et fit encore plus de prisonniers. Peu de temps après, durant la nuit, alors que les gardes des murs du Pirée dormaient, les Romains prirent des échelles et des machines qui se trouvaient tout près, escaladèrent les murs, et tuèrent les gardes qui se trouvaient à cet endroit. Sur quoi certains des barbares abandonnèrent le rempart et se sauvèrent vers le port, pensant que tout le mur avait été pris. D'autres, reprenant courage, tuèrent le chef des envahisseurs et basculèrent le reste par dessus le mur. D'autres encore firent une sortie par les portes et brûlèrent presque une des deux tours romaines, et ils l'auraient brûlée si Sylla ne fut sorti du camp et ne l'aie sauvée au cours d'un combat farouche qui dura toute la nuit et le jour suivant. Alors les Barbares se retirèrent. Archélaos plaça une autre grande tour sur le mur vis-à-vis de la tour romaine et ces deux tours se combattaient, lançant sans arrêt toutes sortes de traits jusqu'à ce que Sylla, grâce à ses catapultes, qui lançaient vingt balles de plomb très lourdes à chaque décharge, ne tue un grand nombre d'ennemis, et fit vaciller la tour d'Archélaos qu'il rendit instable, et Archélaos fut obligé, par crainte de son écroulement, de la tirer en arrière à toute la vitesse. [35] Comme la famine augmentait de plus en plus à Athènes, les lanceurs de balle du Pirée donnèrent l'information que des vivres seraient envoyées de nuit. Archélaos soupçonna qu'un traître fournissait des informations à l'ennemi sur ses convois. C'est pourquoi, pendant qu'il envoyait des vivres, il posta une force aux portes avec des torches pour attaquer les machines romaines si Sylla attaquait le convoi de vivres. C'est ainsi que Sylla s'empara du convoi de vivres et qu'Archélaos brûla certaines machines romaines. En même temps Arcathias, fils de Mithridate, envahit la Macédoine avec une armée et sans difficulté il battit la petite force romaine qui s'y trouvait, subjugua tout le pays, nomma des satrapes pour la commander, et s'avança contre Sylla, mais il tomba malade et mourut près de Tisaeos. Pendant de temps la famine à Athènes augmenta très fort. Sylla construisit des palissades autour de la ville pour empêcher quiconque de sortir pour que, en raison de leur nombre, la faim devienne fort gênante pour ceux qui étaient enfermés. [36] Quand Sylla eut élevé sa terrasse à la taille appropriée au Pirée, il y mit ses machines. Mais Archélaos avait miné la terrasse et avait enlevé la terre sans que les Romains ne soupçonnent rien pendant longtemps. Soudainement la terrasse s'affaissa. Se rendant compte rapidement de la situation, les Romains retirèrent leurs machines et remblayèrent la terrasse, et, suivant l'exemple de l'ennemi, commencèrent de la même façon à miner les murs. Les mineurs se rencontrèrent sous terre et combattirent là avec des épées et des lances comme ils le pouvaient au milieu de l'obscurité. Tandis que ceci se passait, Sylla frappait le mur avec des béliers placés à partir de la terrasse jusqu'à ce qu'une partie de celui-ci s'écroulât. Alors il s'empressa de brûler la tour voisine, déchargea un grand nombre de traits incendiaires, et ordonna à ses soldats les plus courageux de monter les échelles. Les deux camps combattirent bravement, mais la tour fut brûlée. Une autre petite partie du mur s'écroula également : Sylla y posta immédiatement un poste de garde. Après avoir miné une partie du mur, qui n'était plus soutenu que par les madriers, il y plaça une grande quantité de soufre, de chanvre et de poix en dessous, et mit le feu à tout immédiatement. Les murs tombèrent - entraînant ci et là dans le vide les défenseurs qui s'y trouvaient. Cet accident inattendu démoralisa les forces qui gardaient les murs, car chacun croyait que la terre allait s'effondrer sous eux. La crainte et la perte de confiance les mirent dans un tel état qu'ils offraient encore une résistance faible à l'ennemi. [37] Contre ces forces démoralisées, Sylla continua un combat incessant, relevant continuellement ses propres troupes, amenant des soldats frais avec des échelles, une division après l'autre, tout en criant et en les exhortant, les poussant en avant en les menaçant et en les encourageant en même temps, et leur disant que la victoire était à leur portée. Archélaos, de son côté, faisait monter de nouvelles forces pour remplacer celles qui faiblissaient. Lui aussi changeait continuellement leur travail, les encourageant et les poussant au combat en leur disant que leur salut serait bientôt assuré. Il y avait dans les deux armées un haut degré d'ardeur et de courage et le combat devint acharné, le carnage était identique des deux côtés. Enfin Sylla qui était celui qui attaquait et donc le plus vite épuisé, fit sonner la retraite et ramena ses forces, félicitant plusieurs de ses hommes pour leur courage. Archélaos répara immédiatement les dommages faits à son mur durant la nuit, protégeant une grande partie de celui-ci par une demi-lune recourbée vers l'intérieur. Sylla attaqua aussitôt ce mur nouvellement construit avec son armée entière, pensant que comme il était encore humide et faible il pourrait facilement le démolir, mais comme il devait travailler dans un espace étroit et était exposé aux traits venant d'en haut, sur ses devants et sur son flanc, comme c'est habituel avec des fortifications en croissant, il fut de nouveau repoussé. Alors il abandonna l'idée de prendre le Pirée d'assaut et en fit le siège afin de le réduire par la famine. [38] CHAPITRE VI. Sachant que les défenseurs d'Athènes étaient sévèrement accablés par la faim, qu'ils avaient dévoré tout leur bétail, bouilli le cuir et les peaux, léché ce qu'ils pouvaient en obtenir, et que certains avaient même essayé de la chair humaine, Sylla ordonna à ses soldats d'entourer la ville d'un fossé pour que pas un des habitants ne puissent s'échapper secrètement. Ceci fait, il y fit amener ses échelles et en même temps commença à percer le mur. Les défenseurs affaiblis furent bientôt mis en fuite et les Romains entrèrent dans la ville. Il s'ensuivit un grand carnage sans pitié à Athènes, les habitants, par manque d'alimentation, étant trop faibles pour fuir. Sylla ordonna un massacre aveugle, qui n'épargnait ni les femmes ni les enfants. Il était irrité qu'ils se soient joints aussi vite aux Barbares sans aucune raison et avaient montré une aussi violente animosité contre lui. La plupart des Athéniens, en entendant la proclamation, se précipitèrent volontairement sur les épées des tueurs. Quelques-uns se précipitèrent vers l'Acropole, et parmi eux Aristion, qui avait brûlé l'Odeum, pour que Sylla ne puisse avoir du bois de construction immédiatement pour donner l'assaut à l'Acropole. Sylla interdit de brûler la ville, mais permit aux soldats de la piller. Dans beaucoup de maisons ils trouvèrent de la chair humaine prête à être mangée. Le jour suivant Sylla vendit les esclaves aux enchères. Aux hommes libres qui avaient échappé au carnage de la nuit précédente - il en restait peu - il promit la liberté mais il leur enleva le droit de vote par bulletin ou à main levée parce qu'ils avaient fait la guerre contre lui. Les mêmes restrictions furent prolongées à leur progéniture. [39] C'est ainsi qu'Athènes eut son plein d'horreurs. Sylla posta une garnison autour de l'Acropole, où Aristion et ses compagnons furent bientôt obligés de se rendre accablés par la faim et la soif. Sylla condamna à mort Aristion, ses gardes du corps, et tous ceux qui avaient exercé une autorité ou qui avaient fait n'importe quoi de contraire aux dispositions prises par les Romains après la première prise de la Grèce par ceux-ci. Sylla pardonna aux autres et donna à tous presque les mêmes lois qui avaient été précédemment établies par les Romains. Il retira environ quarante livres d'or et 600 livres d'argent de l'Acropole - mais ces événements sur l'Acropole se passèrent un peu plus tard. [40] Après la prise d'Athènes Sylla, ne supportant plus le long siège du Pirée, y fit venir des béliers, des projectiles de toutes sortes, un grand nombre de soldats, qui creusaient les murs à l'abri des tortues, et de nombreuses cohortes qui lançaient des javelots et tiraient des flèches en grand nombre sur les défenseurs des murs pour les repousser. Il fit écrouler une partie de la demi-lune nouvellement construite, qui était encore humide et peu résistante. Archélaos avait prévu cela dès le début et avait construit plusieurs autres comme lui à l'intérieur, de sorte que quand Sylla en terminait avec un il en trouvait un autre, et il n'arrivait jamais au bout. Mais il continuait avec une inlassable énergie, il remplaçait souvent ses hommes, il était présent partout au milieu d'eux, les exhortant et leur montrant que tout leur espoir de récompense dépendait de l'accomplissement du reste de leurs travaux. Les soldats aussi croyant que ce serait en fait la fin de leurs dures épreuves étaient stimulés au travail par amour de la gloire et en pensant que ce serait un exploit splendide de s'emparer de murs tels que ceux-là, c'est pourquoi ils serraient l'adversaire vigoureusement. Finalement Archélaos effrayé par leur persistance insensée et folle, leur abandonna les murs et se replia lui-même dans cette partie du Pirée qui avait été fortifiée et qui était baignée de tous les côtés par la mer. Comme Sylla n'avait pas de navires il ne pouvait pas l'attaquer. [41] De là Archélaos se retira en Thessalie par la Béotie et rassembla l'entièreté de ce qui lui restait aux Thermopyles avec celles amenées par Dromichiaitès. Il prit aussi sous son commandement l'armée qui avait envahi la Macédoine avec Arcathias, le fils du roi Mithridate : c'étaient des troupes fraîches et presque au grand complet, et il venait de recevoir de nouvelles recrues de Mithridate ; celui-ci n'avait jamais cessé de lui envoyer des renforts. Tandis qu'Archélaos rassemblait à la hâte ces forces, Sylla fit brûler le Pirée, qui lui avait donné plus d'ennuis que la ville d'Athènes, n'épargnant ni l'arsenal, les hangars pour les navires, ni aucun autre édifice célèbre. Alors il marcha contre Archélaos, passant également par la Béotie. Comme ils se rapprochaient, les forces d'Archélaos quittèrent les Thermopyles et se replièrent en Phocide : ces troupes se composaient de Thraces, de gens du Pont, de Scythes, de Cappadociens, de Bithyniens, de Galates, de Phrygiens, et d'autres venant de territoires nouvellement acquises à Mithridate, au total 120.000 hommes. Chaque nationalité avait son propre général, mais Archélaos avait le commandement suprême. Les forces de Sylla se composaient d'Italiens et de quelques Grecs et Macédoniens, qui avaient récemment abandonné Archélaos et étaient passé de son côté, et de quelques autres pays environnants, mais elles ne comptaient pas un tiers de celles des ennemis. [42] Quand ils eurent pris position vis-à-vis les uns des autres, Archélaos fit sortir à plusieurs reprises ses forces et demanda le combat. Sylla hésitait à cause de la nature du terrain et du nombre des ennemis. Comme Archélaos se retirait vers Chalcis, Sylla le suivit de près, cherchant le moment et l'endroit propices. Quand il vit l'ennemi campant dans une région rocheuse près de Chéronée, où il n'y avait aucune chance d'évasion pour le vaincu, il s'empara d'un large plaine voisine et plaça ses forces de manière à contraindre Archélaos au combat qu'il le veuille ou non. A ce endroit la pente de la plaine favorisait les Romains qu'ils avancent ou qu'ils se replient. Archélaos était entouré de rochers qui, dans une bataille, ne permettraient pas à son armée entière d'agir de concert, car il ne pouvait pas la reformer en raison de l'inégalité du terrain ; et si elle prenait la fuite, celle-ci serait empêchée par les rochers. Voyant pour ces raisons les avantages de la position, Sylla s'avançait sachant que la supériorité de l'ennemi en nombre ne lui donnerait aucun avantage. Archélaos n'avait pas l'intention d'engager le combat à ce moment-là, et c'est la raison pour laquelle il avait négligé le choix de l'emplacement de son camp. Comme les Romains s'avançaient, il s'aperçut avec peine et trop tard de l'état de ses positions, et il envoya en avant un détachement de cavalerie pour empêcher le mouvement des troupes ennemies. Le détachement fut mis en fuite et se brisa parmi les rochers. Il envoya soixante chars, espérant par leur choc diviser et casser en morceaux la formation des légions. Les Romains ouvrirent leurs rangs et les chars dans leur élan, ratèrent leur but et arrivèrent à l'arrière, et avant qu'ils ne puissent faire demi tour ils furent encerclés et détruits par les javelots de l'arrière garde. [43] Bien qu'Archélaos aurait pu combattre sans risque de son camp retranché, où les rochers l'auraient peut-être défendu, il se hâta de faire sortir sa vaste multitude d'hommes qui n'avaient pas prévu de combattre là, et les emmena de là dans un endroit qui était beaucoup trop à l'étroit, parce que Sylla s'approchait déjà. Il fit charger avec force sa cavalerie qui coupa en deux la formation romaine, et, en raison du peu de nombre de celle-ci, il encercla complètement les deux parties. Les Romains firent front à l'ennemi de tous les côtés et combattirent bravement. Les troupes de Galba et d'Hortensius souffrirent beaucoup plus car Archélaos avait engagé la bataille contre eux en personne, et les barbares combattant sous l'oeil de leur commandant étaient stimulés par l'émulation à se comporter le plus bravement possible. Mais Sylla se déplaça pour venir à leur aide avec un grand corps de cavalerie et Archélaos, sûr que c'était Sylla qui s'approchait, parce qu'il voyait les enseignes du commandant en chef, et l'apparition d'un plus grand nuage de poussière, cessa l'encerclement et commença à reprendre sa première position. Sylla, amenant l'élite de sa cavalerie et choisissant deux nouvelles cohortes qui avaient été placées en réserve, frappa l'ennemi avant qu'ils n'aient terminé sa manoeuvre et reformé ses lignes. Il mit la confusion, les mit en fuite et les poursuivit. Tandis que la victoire commençait de ce côté, Muréna, qui commandait l'aile gauche, n'était pas de reste. Réprimandant ses soldats pour leur négligence il se lança à son tout sur l'ennemi vaillamment et les mit en fuite. [44] Comme les deux ailes d'Archélaos étaient enfoncées, le centre ne tint plus en place, mais il se débanda. Alors tout ce que Sylla avait prévu arriva. N'ayant pas la place pour faire demi-tour, ni une campagne pour s'enfuir, ils furent repoussés par leurs poursuivants au milieu des rochers. Certains d'entre eux se précipitèrent aux mains des Romains. D'autres avec plus de sagesse se sauvèrent vers leur propre camp. Archélaos se plaça devant eux, en barra l'entrée, leur ordonna de faire demi tour et de faire face à l'ennemi. Il montrait par là une très grande inexpérience de la stratégie en temps de guerre. Ils lui obéirent à contre coeur, mais ils n'avaient plus de généraux pour les mener, ou de chefs pour les aligner, ou de gens pour leur montrer où se trouvaient leurs enseignes, et ils étaient dispersés çà et là comme dans une déroute désordonnée, et n'avaient aucun espace ni pour fuir ni pour combattre, parce que la poursuite les avait amenés dans l'endroit plus étroit. Ils se laissèrent tuer sans résistance, certains par l'ennemi, contre lequel ils ne pouvaient exercer de représailles, et d'autres par leurs propres amis dans la déconfiture et la confusion. De nouveau ils se sauvèrent vers les portes du camp, où il y eut encombrement. Ils invectivaient les portiers. Ils faisaient appel à eux au nom des dieux et des liens communs de leur pays, et leur reprochaient d'être abattus moins par les épées de l'ennemi que par l'indifférence de leurs amis. Enfin Archélaos, plus tard qu'il n'eut fallu, fit ouvrir les portes et ils se ruèrent à l'intérieur dans une désorganisation totale. Comme les Romains observaient la chose, ils poussèrent de grands cris, se précipitèrent dans le camp avec les fugitifs et remportèrent une victoire complète. [45] Archélaos et le reste de ceux qui avaient fui chacun de leur côté, arrivèrent ensemble à Chalcis. Il n'en restait pas plus de 10.000 sur les 120.000. Les pertes romaines ne furent que de quinze hommes, et deux de ces derniers reparurent peu après. Tel fut le résultat de la bataille de Chéronée entre Sylla et Archélaos, général de Mithridate : la sagacité de Sylla et le manque de réflexion d'Archélaos contribuèrent d'une égale façon au résultat de cette bataille. Sylla fit un grand nombre de prisonniers et une grande quantité d'armes et de butin, dont il fit un tas de la partie inutile. Alors il se ceignit de sa tunique selon la coutume romaine et le brûla en sacrifice aux dieux de la guerre. Après avoir accordé à son armée un court repos, il se hâta de poursuivre avec ses meilleures troupes Archélaos, mais comme les Romains n'avaient pas de navires, ce dernier navigua impunément parmi les îles et ravagea les côtes. Il débarqua à Zacynthe et en fit le siège, mais attaqué de nuit par des Romains qui séjournaient là, il réembarqua à la hâte et retourna à Chalcis plutôt comme un pirate que comme un guerrier. [46] CHAPITRE VII. Quand Mithridate apprit ce grand désastre, il fut étonné et frappé de terreur, comme c'était normal. Néanmoins, il poursuivit en toute hâte le recrutement d'une nouvelle armée dans toutes ses nations soumises. Pensant que certaines personnes seraient susceptibles de se retourner contre lui à cause de sa défaite, maintenant ou plus tard, s'ils en avaient l'occasion, il fit arrêter tous les suspects avant que la guerre ne s'étende. D'abord il fit mettre à mort les tétrarques de Galatie avec femmes et enfants, non seulement ceux qui étaient chez lui en amis, mais aussi ceux qui n'étaient pas sous sa sujétion - tous sauf trois qui s'échappèrent. Certaines de ces derniers furent pris par stratagème, les autres furent tués une nuit lors d'un banquet. Il croyait qu'aucun d'eux ne lui resterait fidèle si Sylla approchait. Il confisqua leurs biens, établit des garnisons dans leurs villes et nomma le satrape d'Eumachos pour commander cette nation. Mais les tétrarques qui s'étaient échappés recrutèrent immédiatement une armée des gens de la campagne, l'expulsèrent lui et ses garnisons et les chassèrent de la Galatie, de sorte que Mithridate ne possédait plus rien de ce pays sauf l'argent qu'il s'était approprié. Fâché contre les habitants de Chios, dont un navire avait accidentellement éperonné son bateau royal lors de la bataille navale près de Rhodes, il confisqua d'abord les biens de tous les habitants de Chios qui avaient rejoint Sylla et il envoya ensuite des gens pour s'enquérir quels biens à Chios appartenaient à des Romains. En troisième lieu, son général, Zénobios, qui conduisait une armée vers la Grèce, s'empara de nuit des murs de Chios et de tous les endroits fortifiés, plaça des gardes aux portes, et fit une proclamation demandant à tous les étrangers de rester tranquilles, et aux habitants de Chios de se rassembler pour leur donner un message du roi. Quand ils furent rassemblés il leur dit que le roi avait des soupçons sur la ville à cause de la faction romaine qui s'y trouvait elle, mais qu'il serait satisfait s'ils lui livraient leurs armes et donnaient les enfants des principales familles en otages. Voyant que leur ville était déjà dans ses mains ils lui donnèrent tous les deux. Zénobios les envoyés à Erythrées et indiqua aux habitants de Chios que le roi leur écrirait incessamment. [47] Une lettre arriva de Mithridate qui disait : « Vous favorisez encore maintenant les Romains, et plusieurs de vos citoyens séjournent toujours chez eux. Vous récoltez les revenus des biens romains au lieu de nous les donner. Votre trirème a heurté et secoué mon navire lors de la bataille devant Rhodes. J'ai volontairement imputé cet incident aux seuls pilotes, espérant que vous observeriez les règles de sécurité et resteriez mes sujets dociles. Vous avez maintenant secrètement envoyé vos plus nobles chez Sylla, et vous n'avez jamais poursuivi ni déclaré que cela s'était fait sans autorisation officielle : c'est comme si vous aviez coopéré avec eux. Bien que mes amis considèrent que ceux qui conspirent contre mon gouvernement, et qui ont l'intention de conspirer contre ma personne, doivent être punis la mort, je vous condamne à une amende de 2000 talents. » Telle était la teneur de la lettre. Le habitants de Chios voulurent envoyer des ambassadeurs au roi, mais Zénobios leur interdit. Comme ils étaient désarmés et avaient abandonné les enfants de leurs principales familles, et qu'une grande armée barbare s'était emparée de la ville, tout en gémissant ils rassemblèrent les ornements des temples et tous les bijoux des femmes pour arriver aux 2000 talents. Quand cette somme fut rassemblée Zénobios les accusa que le poids n'y était pas et les convoqua au théâtre. Alors il disposa son armée les épées dégainées autour du théâtre lui-même et le long des rues qui menaient de là à la mer. Ensuite il emmena un à un les habitants de Chios hors du théâtre et les mis dans les navires, les hommes séparés des femmes et des enfants, et tous furent traités avec violence par leurs ravisseurs barbares. C'est de cette manière qu'ils furent traînés devant Mithridate, qui les déporta vers le Pont-Euxin. Telles furent les malheurs qui s'abattirent sur les citoyens de Chios. [48] Comme Zénobios s'approchait d'Éphèse avec son armée, les citoyens lui demandèrent de laisser ses armes aux portes et d'entrer avec seulement quelques hommes. Il obéit et fit une visite à Philopœmen (le père de Monima, l'épouse préférée de Mithridate), que ce dernier avait nommé surveillant d'Éphèse, et il appela les Éphésiens à une assemblée. Ils ne s'attendaient à rien bon de lui, et renvoyèrent la séance au jour suivant. Mais pendant la nuit ils se réunirent et s'encouragèrent mutuellement, après quoi ils mirent Zénobios en prison et le mirent à mort. Ils fortifièrent alors leurs murs, firent faire des exercices aux citoyens, firent venir des vivres du pays et mirent la ville en état de siège. Quand les habitants de Tralles, de Hypaipa, de Métropolis et de plusieurs autres villes entendirent parler de cela, ils prirent peur de subir le même destin que celui de Chios, et suivirent l'exemple d'Éphèse. Mithridate envoya une armée contre les rebelles et infligea des punitions terribles à ceux qu'il captura, mais comme il craignait d'autres défections, il donna la liberté aux villes grecques, proclama l'annulation des dettes, donna le statut de citoyenneté à tous ceux qui y séjournaient et fit libérer les esclaves. Il faisait cela en espérant (et c'est ce qui se produisit) que les débiteurs, les étrangers et les esclaves considéreraient que leurs nouveaux privilèges leur resteraient seulement sous la règne de Mithridate, et que donc ils seraient bien disposés envers lui. Pendant ce temps Mynnio et Philotimos de Smyrne, ainsi que Clisthène et Asclépiodotes de Lesbos, tous des intimes du roi (Asclépiodote avait par le passé été son invité) s'associèrent dans une conspiration contre Mithridate. Asclépiodote lui-même la dénonça, et afin de confirmer son histoire, il s'arrangea pour que le roi se cache sous un divan et entende de que disait Mynnio. Le complot ainsi découvert, une partie des conspirateurs fut mis à mort au milieu des tortures, et beaucoup d'autres furent soupçonnés de menées semblables. Ainsi quatre-vingts citoyens de Pergame furent arrêtés pris sur le fait voulant faire la même chose, et d'autres dans d'autres villes. Le roi envoya partout des espions qui dénoncèrent leurs propres ennemis, et de cette façon environ 1500 hommes y perdirent la vie. Certains de ces accusateurs furent capturés par Sylla peu un plus tard et furent mis à mort, d'autres se suicidèrent, et d'autres encore se réfugièrent chez Mithridate lui-même dans Pont. [49] Tandis que ces événements se passaient en Asie, Mithridate rassembla une armée de 80.000 hommes, que Dorylaos conduisit à Archélaos en Grèce, qui avait toujours 10.000 hommes qui lui restaient de son ancienne armée. Sylla avait pris position contre Archélaos près d'Orchomène. Quand il vit arriver un grand nombre d'ennemis, il fit creuser un certain nombre de fossés de dix pieds de large, et il aligna son armée pour rencontrer Archélaos quand ce dernier s'avança. Les Romains combattaient mal parce qu'ils avaient peur de la cavalerie ennemie. Sylla allait ici et là le long de la ligne, encourageant et menaçant ses hommes. Ne parvenant pas à leur faire entendre raison de cette manière, il sauta de son cheval, saisi un étendard, il se plaça entre les deux armées avec ses gardes du corps, hurlant, « Si jamais on vous demandait, Romains, où vous avez abandonné Sylla, votre général, vous répondrez que c'était à la bataille d'Orchomène. » Comme les officiers voyaient qu'il était en danger, ils sortirent de leurs propres rangs pour venir à son aide, et les troupes, remplies de honte, les suivirent et repoussèrent l'ennemi jusqu'à leur tour. Ce fut le début de la victoire. Sylla sautant sur son cheval et parcourut ses troupes en les félicitant et en les encourageant jusqu'à la fin du combat. L'ennemi perdit 15.000 hommes, dont 10.000 cavaliers, et parmi eux Diogène, fils d'Archélaos. L'infanterie se réfugia dans son camp. [50] Sylla craignait qu'Archélaos ne lui échappe encore, parce qu'il n'avait aucun vaisseau, et ne se réfugiât à Chalcis comme auparavant. C'est pourquoi il posta des gardes la nuit à des intervalles dans l'ensemble de la plaine, et le jour suivant il encercla Archélaos avec un fossé à moins de 600 pieds de son camp, pour l'empêcher de s'échapper. Alors il fit appel à son armée pour finir ce résidu de la guerre, puisque l'ennemi ne s'exposait même plus à résister ; et ainsi il les mena contre le camp d'Archélaos. Des scènes pareilles se passèrent chez l'ennemi : un changement s'opéra amené par la nécessité. Les chefs se hâtaient çà et là, montrant le danger imminent, et ridiculisant les hommes de ne pouvoir défendre leur camp contre des assaillants inférieurs en nombre. Il y eut de chaque côté une grande précipitation et des cris : c'était un concours d'exploits de part et d'autres. Les Romains, protégés par leurs boucliers, démolissaient une saillie du camp quand les barbares sautèrent du parapet vers l'intérieur et prirent position autour de ce saillant, épées dégainées, pour arrêter les envahisseurs. Personne n'osa entrer jusqu'à ce que le tribun militaire, Basillus, sauta le premier et tua l'homme qui se trouvait devant devant lui. Puis l'armée entière le suivit. Il s'ensuivit la fuite et le carnage des Barbares. Certains furent capturés et d'autres repoussés dans le lac voisin, et, ne sachant pas nager, périrent tout en priant de leur laisser la vie sauve en langue barbare, ce que ne comprenaient pas leurs tueurs. Archélaos se cacha dans un marais, où il trouva un petit navire dans lequel il rejoignit Chalcis. Tout ce qui restait des forces de Mithridate sous forme de détachements séparés il les rassembla ici et là à toute hâte. [51] CHAPITRE VIII. Le jour suivant Sylla couronna le tribun Basillus, et donna des récompenses pour leur bravoure à d'autres. Il ravagea la Béotie qui changeait continuellement de camp, puis se dirigea vers la Thessalie, y installa ses quartiers d'hivers et attendit Lucullus et sa flotte. Comme il n'avait aucune nouvelle de Lucullus il commença à faire construire des navires pour lui. A la même époque Cornelius Cinna et Gaius Marius, ses rivaux à Rome, le déclarèrent ennemi des Romains, firent détruire ses maisons dans la ville et de campagne, et firent assassiner ses amis. Mais cela ne l'affaiblit pas, puisqu'il il avait une armée bienveillante et dévouée. Cinna envoya Flaccus, qu'il avait choisi comme collègue dans son consulat, en Asie avec deux légions pour prendre la charge de cette province et de la guerre contre Mithridate à la place de Sylla, qui fut alors déclaré ennemi public. Comme Flaccus ne connaissait pas grand chose dans l'art de la guerre, un sénateur du nom de Fimbria, expert dans les affaires militaires, l'accompagna comme volontaire. Tandis qu'il arrivaient de Brindes plusieurs de leurs navires furent détruits par une tempête, et certains qui étaient devant furent brûlés par une nouvelle armée qui avait été envoyée par Mithridate. D'ailleurs Flaccus n'était qu'un misérable, maladroit dans les punitions et avide de gain; il était détesté par l'armée entière. C'est pourquoi une partie de celle-ci qui avait été envoyée en avant-garde en Thessalie passa à Sylla, mais Fimbria empêcha le reste de déserter, parce que les soldats le considéraient plus humain et meilleur général que Flaccus. [52] Une jour dans une auberge il y eut une dispute entre lui et un questeur à propos de leurs logements. Flaccus, qui se proposa en tant qu'arbitre entre eux, montra peu de considération pour Fimbria, et ce dernier en fut vexé et menaça de rentrer à Rome. C'est pourquoi Flaccus nomma un successeur pour effectuer les fonctions dont Fimbria avait alors la charge. Fimbria attendit son heure, et comme Flaccus naviguait vers la Chalcédoine, il prit d'abord les faisceaux de Thermus, que Flaccus avait laissé comme son préteur, comme si l'armée lui avait confié le commandement, et quand Flaccus rentra peu après et se fâcha contre lui, Fimbria le contraint à fuir. Flaccus trouva refuge dans une maison et durant la nuit monta au-dessus du mur et se sauva d'abord en Chalcédoine, ensuite à Nicomédie et fit fermer les portes de la ville. Fimbria le suivit, le trouva caché dans un puits et le tua, bien que ce fût un consul romain et le général en chef de cette guerre, et que Fimbria lui-même ne fût qu'un simple citoyen qui l'avait accompagné en tant qu'ami invité. Fimbria coupa sa tête et la jeta dans la mer, et laissa le reste de son corps sans sépulture. Alors il se proclama commandant de l'armée et remporta quelques victoires contre le fils de Mithridate. Il poursuivit le roi lui-même jusqu'à Pergame. Ce dernier s'enfuit de Pergame à Pitanè. Fimbria le poursuivit et commença à encercler l'endroit avec un fossé. Alors le roi se sauva à Mitylène sur un navire. [53] Fimbria traversa la province d'Asie, punit la faction des Cappadociens, et dévasta le territoire des villes qui ne lui ouvrirent pas leurs portes. Les habitants d'Ilium (TROIE), assiégés par Fimbria (lieutenant romain), lancèrent un appel à Sylla pour obtenir de l'aide. Ce dernier promit qu'il allait arriver et leur enjoignit, en attendant, de dire à Fimbria qu'ils s'étaient confiés aux mains de Sylla. Fimbria, entendant cela, les félicita d'être déjà les amis des romains, et leur ordonna de l'admettre dans leurs murs parce qu'il était également romain. Il leur parla ironiquement aussi des rapports existant entre Ilium et Rome. Quand il fut admis ce fut un carnage aveugle et il brûla entièrement la ville. Ceux qui avaient été en communication avec Sylla furent torturés de diverses manières. Il n'épargna ni les objets sacrés ni les gens qui s'étaient sauvés dans temple d'Athéna, mais les brûla avec le temple lui-même. Il fit démolir les murs, et le jour suivant fit une recherche pour voir si quelque chose restait encore debout. Cette ville fut traitée alors plus mal qu'elle ne l'avait été par Agamemnon, pas une maison, pas un temple, pas une statue ne furent épargnés. Certains disent que la statue d'Athéna, appelée le palladium, qui , disait-on, était tombée du ciel, fut retrouvée intacte : les murs en tombant ayant formé une voûte au-dessus d'elle ; et c'est peut-être vrai à moins que Diomède et Ulysse ne l'aient emportée d'Ilium pendant la guerre de Troie. Ainsi fut détruite Ilium par Fimbria à l'issue de la 173eme olympiade (vers 86-84 av. J.-Chr.). Certains pensent que cette calamité eut lieu 1050 ans après celle qu'elle souffrit des mains d'Agamemnon. [54] Quand Mithridate entendit parler de sa défaite à Orchomène il se mit à réfléchir sur l'immense nombre d'hommes qu'il avait envoyés en Grèce depuis le début et le désastre continuel et rapide qui s'en étaient suivi. C'est pourquoi il envoya une lettre à Archélaos pour proposer la paix aux meilleures conditions possibles. Ce dernier eut une entrevue avec Sylla au cours de laquelle il dit : « Le roi Mithridate était l'ami de votre père, Sylla. Il est entré dans cette guerre à cause de la rapacité d'autres généraux romains. Il a confiance en ton caractère vertueux pour faire la paix, si tu lui offres des conditions justes. » Sylla n'avait pas de navires, car ses ennemis à Rome le lui avaient envoyé ni argent, ni autre chose, mais l'avaient proscrit ; il avait déjà dépensé l'argent qu'il avait pris dans les temples de Pytho, d'Olympie et d'Épidaure, en échange duquel il leur avait donné la moitié du territoire de Thèbes à cause de ses défections fréquentes ; et comme il était pressé de ramener en Italie son armée fraîche et intacte contre la faction hostile, il approuva la proposition, et dit : « Si une injustice a été faite à Mithridate, Archélaos, il aurait dû envoyer une ambassade pour exposer ses griefs; au lieu de cela il s'est mis en faute en s'emparant d'un si vaste territoire qui appartenait à d'autres, tuant un si grand nombre de personnes, s'emparant des biens publics et des fonds sacrés des villes, et confisquant les biens de ceux qu'il a tués. Il a usé autant de la même perfidie envers ses propres amis qu'envers nous, il en a fait mettre beaucoup à mort, y compris les tétrarques qu'il avait invités à un banquet, ainsi que leurs épouses et leurs enfants, bien qu'ils n'eussent commis aucun acte hostile. Envers nous il a manifesté une hostilité viscérale plus grande que ne nécessitait les aléas de la guerre, infligeant toutes les calamités possibles sur les Italiens dans l'ensemble de l'Asie, torturant et assassinant tous les Italiens, ainsi que leurs épouses, leurs enfants et leurs esclaves. Voilà la haine que portait cet homme contre l'Italie, qui feint maintenant l'amitié pour mon père ! - une amitié dont il ne se rappelait plus avant que je n'aie détruit 160.000 hommes. [55] « Au lieu de traiter de paix avec lui nous devrions être absolument implacables, mais dans votre intérêt je m'engage à obtenir son pardon à Rome s'il se repentit réellement. Mais s'il joue encore l'hypocrite, je te conseille, Archélaos, de t'occuper de toi-même et de considérer comment se passent actuellement les choses entre toi et lui. Considère comment il a traité ses autres amis et comment nous avons traité Eumène et Masinissa. » Alors qu'il parlait encore, Archélaos rejeta l'offre avec indignation, disant qu'il ne trahirait jamais quelqu'un qui lui avait donné le commandement d'une armée. « J'espère » dit-il « parvenir à un accord avec toi si tu offres des conditions acceptables. » Après un court instant de réflexion Sylla répondit : « Si Mithridate me livre l'entièreté de sa flotte dont tu disposes ; s'il rend nos généraux, nos ambassadeurs et tous les prisonniers, déserteurs et esclaves fugitifs et s'il renvoie en outre chez eux les habitants de Chios et de tous les autres qu'il déportés dans le Pont ; s'il enlève ses garnisons de tous les endroits sauf celles qu'il avait avant le début des hostilités ; s'il paye le coût de la guerre qu'il a lui même déclarée et s'il se contente de ses possessions héréditaires, j'espère persuader les Romains de laisser tomber les dommages qu'il a faits. » Telles étaient les termes de son offre. Archélaos retira immédiatement les garnisons de tous endroits qu'il occupait et s'en référa au roi pour les autres conditions. Afin de passer son temps en attendant, Sylla marcha contre les Enètes, le Dardaniens et le Sintes, tribus qui se trouvaient à la frontière de la Macédoine et qui envahissaient continuellement ce pays et dévastaient leur territoire. De cette façon il donna de l'exercice à ses soldats et les enrichit en même temps. [56] Les ambassadeurs de Mithridate se mirent d'accord sur tous les termes sauf ceux qui concernaient la Paphlagonie, et ils ajoutèrent que Mithridate pouvait obtenir de meilleures conditions, « s'il entrait en pourparlers avec votre autre général, Fimbria. » Sylla fut indigné d'une telle comparaison, dit qu'il punirait Fimbria, irait lui-même en Asie et verrait si Mithridate voulait la paix ou la guerre. Ceci dit il marcha à travers la Thrace vers Cypsella, après avoir envoyé Lucullus en avant-garde à Abydos : celui-ci venait de rentrer enfin, après avoir couru le risque plusieurs fois d'être capturé par des pirates. Il avait rassemblé une flotte assez importante composée de navires de Chypre, de Phénicie, de Rhodes et de Pamphylie, avait ravagé une grande partie de la côte ennemies et s'était opposé à des navires de Mithridate en cours de route. Alors Sylla venant de Cypsella et Mithridate de Pergame se réunirent pour discuter. Chacun avait avec lui une petite force dans une plaine à la vue des deux armées. Mithridate commença par rappeler l'amitié et l'alliance de son père pour les Romains. Ensuite il accusa les ambassadeurs, les membres de la commission et les généraux romains de l'avoir lésé en mettant Ariobarzane sur le trône de la Cappadoce, en le privant de la Phrygie, et en permettant à Nicomède de lui faire du tort. « Et tout ceci, » dit-il, « ils l'ont fait pour de l'argent, le recevant de moi et de ceux-là tour à tour ; ce qu'on reproche à la majorité d'entre vous, Romains, c'est la cupidité. Quand la guerre a éclaté du fait de vos généraux, tout que je faisais c'était de me défendre et était le résultat de la nécessité plutôt que de l'intention. » [57] Quand Mithridate termina de parler Sylla répondit : « Bien que tu m'aies appelé ici, » dit-il, « dans un autre but, à savoir, accepter nos conditions de paix, je ne refuserai pas de parler brièvement de ces sujets. J'ai remis Ariobarzane sur le trône de Cappadoce par décret du sénat quand j'étais gouverneur de Cilicie, et tu as obéi au décret. Tu aurais pu t'opposer à lui et en donner tes raisons, ou alors rester en paix pour toujours. Manius t'a donné la Phrygie par concussion, ce qui était un crime de notre part. Par le fait même que tu l'aies obtenu par corruption, tu admets que tu n'y avais aucun droit. Manius a été convaincu à Rome pour les actes qu'il avait faits pour de l'argent et le sénat les a tous annulés. Pour cette raison ils ont décidé, non de faire de la Phrygie, qui t'avait été donnée à tort, une tributaire de Rome, mais de lui donner la liberté. Si nous, qui l'avons prise par guerre, nous ne jugeons pas bon de la gouverner, de quel droit pourrais-tu l'obtenir ? Nicomède t'accuse de lui avoir envoyé contre lui un assassin du nom d'Alexandre, et puis Socrates Chrestus, pour lui disputer son royaume, et que c'était pour venger ces maux qu'il avait envahi ton territoire. Cependant, s'il vous faisait du tort, vous auriez dû envoyer une ambassade à Rome et attendre une réponse. Mais bien que tu te soies vengé rapidement sur Nicomède, pourquoi as-tu attaqué Ariobarzane, qui ne t'avait rien fait ? Quand tu l'a mis dehors de son royaume, tu as obligé les Romains, qui étaient là, de le remettre sur son trône. En les empêchant de le faire tu as fait une déclaration de guerre. Cette guerre, tu la méditais depuis longtemps, parce que tu espérais gouverner le monde entier si vous arriviez à battre les Romains, et les raisons que tu donnais étaient des prétextes pour cacher tes véritables intentions. La preuve de tout cela c'est que toi, bien que tu n'étais pas encore en guerre avec aucune nation, tu recherchais l'alliance des Thraces, des Sarmates et des Scythes, tu recherchais l'aide des rois voisins, tu construisais une marine et tu enrôlais des pilotes et des hommes de barre. [58] « Le moment que tu as choisi démontre surtout ta trahison. Quand tu as entendu que l'Italie s'était révoltée contre nous, tu as saisi l'occasion alors que nous étions occupés, pour tomber sur Ariobarzane, Nicomède, la Galatie, la Paphlagonie, et finalement sur notre province asiatique. Quand tu t'en es emparés, tu as commis toutes sortes d'exactions sur les villes, nommant des esclaves et des débiteurs à la tête de certaines d'entre elles, et libérant des esclaves et supprimant les dettes dans d'autres. Dans les villes grecques tu as fait tuer 1600 hommes sur de fausses accusations. Tu as invité les tétrarques de Galatie à un banquet et tu les as fait exécuter. Tu as envoyé à la boucherie ou tu as fait noyer tous les résidants de sang italien en un jour, y compris les mères et les enfants, n'épargnant même pas ceux qui s'étaient sauvés dans les temples. Quelle cruauté, quelle impiété, quelle haine illimitée n'as-tu pas manifestées envers nous ! Après avoir confisqué les biens de toutes tes victimes, tu t'es dirigé vers l'Europe avec de grandes armées, bien que nous ayons interdit l'invasion de l'Europe à tous les rois de l'Asie. Tu as envahi notre province de Macédoine et tu as privé les Grecs de leur liberté. Tu n'as commencé à te repentir et tu n'as demandé à Archélaos d'intervenir en ta faveur que quand j'ai repris la Macédoine et la Grèce livrée à ta violence, tué 160.000 de tes soldats, et pris tes camps avec tout leur matériel. Je suis étonné que tu veuilles maintenant chercher à justifier les actes pour lesquels tu as demandé le pardon par Archélaos. Si tu me craignais à distance, penses-tu que je sois venu près de toi pour avoir une discussion ? Le moment de celle-ci est passé quand tu as pris les armes contre nous, et nous avons vigoureusement repoussé tes assauts et nous les repousserons jusqu'au bout. » Alors que Sylla parlait toujours avec véhémence, le roi prit peur et consentit aux conditions données à Archélaos. Il livra ses navires et tout ce qu'on exigeait de lui, et garda son royaume paternel du Pont comme seule possession. Et ainsi se termina la première guerre entre Mithridate et les Romains. [59] CHAPITRE IX. Sylla s'avança alors à moins de deux stades de Fimbria et lui ordonna de livrer son armée puisqu'il jugeait qu'il la commandait contrairement à la loi. Fimbria répondit ironiquement que Sylla lui-même commandait illégalement. Sylla traça une ligne de retranchement autour de Fimbria, et plusieurs des soldats de ce dernier désertèrent. Fimbria rassembla le reste et les invita à rester avec lui. Comme ils refusaient de lutter contre des concitoyens, il déchira sa tunique et implora ses hommes un par un. Comme ils se détournaient toujours de lui et qu'encore plus désertaient, il circula parmi les tentes des tribuns, acheta certains d'entre eux à prix d'argent, convoqua de nouveau une assemblée et obtint qu'ils jurent de rester avec lui. Ceux qui avaient été subornés, crièrent que tous devaient être appelés un par un pour prêter serment. Il appela ceux qui avaient reçu de lui par le passé des faveurs. Le premier appelé s'appelait Nonius, qui avait été son compagnon de toujours. Comme même lui refusait de prêter serment, Fimbria dégaina son épée, menaça de le tuer, et il l'aurait fait s'il n'avait pas été alarmé par les cris des autres et n'avait été obligé à renoncer. Alors il persuada un esclave, avec de l'argent et la promesse de la liberté, d'aller chez Sylla en faisant semblant de déserter et de l'assassiner. Mais cet esclave au moment de passer à l'action, prit peur, et c'est ainsi qu'on le soupçonna ; il fut arrêté et avoua. Les soldats de Sylla qui étaient postés autour du camp de Fimbria furent remplis de colère et de mépris pour lui. Ils l'invectivaient et le surnommaient Athénion - un homme qui par le passé avait été un roi des esclaves révoltés en Sicile pendant quelques jours. [60] Sur quoi Fimbria par désespoir alla jusqu'à la ligne du retranchement et demanda un entretien avec Sylla. Ce dernier envoya Rutilius à sa place. Fimbria fut déçu d'abord de ne pas été considéré digne d'une entrevue, alors qu'on en donnait à l'ennemi. Comme il demandait le pardon pour des offenses dues à sa jeunesse, Rutilius promit que Sylla lui permettrait d'aller jusqu'à la mer en toute sécurité s'il prenait un navire pour quitter la province d'Asie, dont Sylla était le proconsul. Fimbria répondit qu'il avait un autre meilleur itinéraire. Il alla à Pergame, entra dans le temple d'Esculape et se poignarda avec son épée. Comme la blessure n'était pas mortelle il demanda à un esclave d'enfoncer l'arme. Ce dernier tua son maître et puis se tua lui-même. Ainsi périt Fimbria, qui à côté de Mithridate, fit le plus de dégâts en Asie. Sylla donna son corps à ses affranchis pour l'ensevelir, ajoutant qu'il n'imitait pas Cinna et Marius, qui avaient privé beaucoup de gens à Rome de leurs vies et d'enterrement après leur mort. L'armée de Fimbria passa de son côté, elle lui jura fidélité et il les adjoignit à ses propres troupes. Alors il ordonna à Curion de remettre Nicomède sur le trône de Bithynie, Ariobarzane sur celui de Cappadoce et rapporta le tout au sénat, ignorant qu'il avait été fait ennemi public. [61] Après avoir réglé les affaires de l'Asie, Sylla accorda la liberté aux habitants d'Ilium, de Chios, de Lycie, de Rhodes, de Magnésie, et à quelques autres, en récompense pour leur coopération, ou en récompense pour les grandes souffrances qu'ils avaient souffert pour lui, et les inscrivit comme amis du peuple romain. Alors il répartit son armée dans le reste des villes et fit une proclamation disant que les esclaves qui avaient été libérés par Mithridate devaient être immédiatement renvoyés à leurs maîtres. Beaucoup désobéirent et certaines villes se révoltèrent, plusieurs massacres s'ensuivirent, massacres d'hommes libres et d'esclaves, sous divers prétextes. Les murs de beaucoup de villes furent démolis. Beaucoup d'autres furent pillées et leurs habitants vendus comme esclaves. Les partisans des Cappadociens, hommes et villes, furent sévèrement punis, et particulièrement les Éphésiens, qui, dans une adulation servile pour le roi, avaient profané les offrandes romaines dans leurs temples. Après cela une proclamation fut envoyée aux principaux citoyens de venir à Éphèse un jour fixé pour rencontrer Sylla. Quand ils furent présents Sylla s'adressa à eux de la tribune et leur dit : [62] « Nous sommes venus la première fois en Asie avec une armée quand Antiochos, roi de Syrie, vous dépouillait. Nous l'avons chassé et avons fixé les frontières de son territoire au delà du fleuve Halys et du mont Tauros. Nous n'avons pas pris possession de vous quand nous vous avions délivré de lui, mais vous avons rendus libres, sauf que nous avons attribué quelques territoires à Eumène et aux Rhodiens, nos alliés dans la guerre, non comme tributaires, mais comme clients. En voici la preuve : quand les Lyciens se sont plaints des Rhodiens, nous avons privés ces derniers de leur autorité. Telle fut notre conduite envers vous. Mais vous, quand Attale Philomètor nous a laissé son royaume en héritage, vous avez aidé Aristonicos contre nous pendant quatre ans. Quand il fut capturé, la plupart d'entre vous, poussés par la nécessité et la crainte, sont revenus dans le droit chemin. Malgré tout cela, après vingt-quatre ans, quand vous en arrivèrent à une grande prospérité et quand vous eûtes embelli vous édifices publics et privés, vous vous êtes de nouveau laissé aller à la facilité et au luxe et vous avez saisi l'occasion, alors que nous étions occupés en Italie, d'appeler Mithridate et d'autres pour le rejoindre quand il est arrivé. Le plus infâme de tout, c'est que vous avez obéi à l'ordre qu'il a donné de tuer tous les Italiens dans vos villes, y compris les femmes et les enfants, en un jour. Vous n'avez pas même épargné ceux qui s'étaient sauvés dans les temples consacrés à vos propres dieux. Vous avez été d'une certaine façon puni pour ce crime par Mithridate lui-même, qui s'est renié, vous a donné une indigestion de pillage et de carnage, a redistribué vos terres, a remis les dettes, libéré vos esclaves, désigné des tyrans chez certains, commis des vols partout sur terre et sur mer ; vous avez alors compris immédiatement par expérience et comparaison quel genre de défenseur vous avez choisi à la place de votre ancien. Les instigateurs de ces crimes ont subi de notre part un châtiment. Il est nécessaire aussi que vous subissiez aussi un châtiment commun, car vous avez été tous coupables, et qui corresponde à vos crimes. Mais plaise au ciel que les Romains n'aient plus jamais à imaginer de carnage, de confiscation aveugle, d'insurrections serviles ou d'autres actes de barbarie. J'épargnerai donc maintenant la nation grecque et son nom tellement célébré dans l'ensemble de l'Asie, et pour cette juste réputation qui est à jamais chère aux Romains, je vous imposerai seulement les impôts de cinq ans, à payer immédiatement, ainsi que le coût des dépenses de la guerre que j'ai faite, et de celles que je ferai pour régler les affaires de la province. Je répartirai ces impôts entre vous, selon les villes, et fixerai la date du paiement. Je punirai ceux qui désobéissent comme s'ils étaient mes ennemis. » [63] Sur ces paroles Sylla répartit l'amende entre les délégués et envoya des hommes pour récupérer l'argent. Les villes, accablées par la pauvreté, empruntèrent à des taux élevés et hypothéquèrent leurs théâtres, leurs gymnases, leurs murs, leurs ports et tout autre propriété publique, étant pressés par des soldats plein de mépris. L'argent fut donc rassemblé et apporté à Sylla. La province de l'Asie eut sa suffisance de misère. Elle fut envahie ouvertement par un grand nombre de navires de pirates, ressemblant plus à des flottes régulières qu'à des bandes de voleurs. Mithridate les avait une première fois mis en branle au moment où il ravageait toutes les côtes, pensant qu'il ne pourrait pas garder longtemps ces régions. Leur nombre avait alors considérablement augmenté, et ils ne se confinaient pas aux seuls bateaux, mais attaquaient ouvertement les ports, les fortins et les villes. Ils prirent Iassos, Samos et Clazomènes, ainsi que Samothrace, où se trouvait alors Sylla, et on dit qu'ils volèrent dans le temple de cet endroit des ornements évalués à 1000 talents. Sylla, soit qu'il voulait que ceux qui l'avaient offensé soient maltraités, soit parce qu'il était pressé de s'attaquer à la faction hostile à Rome, les laissa et partit pour la Grèce, et de là passa en Italie avec une grande partie de son armée. C'est ce que j'ai rapporté dans mon histoire des guerres civiles. [64] La deuxième guerre mithridatique commença de cette façon. Muréna, qui avait été laissé par Sylla avec les deux légions de Fimbria pour mettre en ordre le reste de l'Asie, chercha des prétextes futiles pour déclencher la guerre, car il cherchait le triomphe. Mithridate, après son retour dans le Pont, alla faire la guerre aux Colchidiens et aux tribus autour du Bosphore Cimmérien qui s'étaient révoltés contre lui. Les Colchidiens lui demandèrent de leur donner son fils Mithridate comme roi, et quand il arriva, ils revinrent immédiatement à leur allégeance. Le roi soupçonna que tout cela avait été tramé par son fils dans son ambition d'être roi. C'est pourquoi il le fit venir, le fit enchaîner avec des chaînes en or, et ensuite le fit mettre à mort, alors qu'il l'avait bien servi en Asie dans les combats contre Fimbria. Contre les tribus du Bosphore il construisit une flotte et prépara une grande armée. L'importance de ses préparatifs fit croire qu'ils ne les faisait pas contre ces tribus mais contre les Romains, parce que il n'avait pas encore redonné la totalité de la Cappadoce à Ariobarzane, mais avait toujours gardé une partie de celle-ci. Il avait également des soupçons sur Archélaos. Il pensait que ce dernier avait concédé plus que c'était nécessaire à Sylla dans ses négociations en Grèce. Quand Archélaos entendit parler de cela, il prit peur et se sauva chez Muréna, et en le travaillant, il le persuada de devancer Mithridate en commençant les hostilités. Muréna entra soudainement en Cappadoce et attaqua Comana, une très grande ville de la province appartenant à Mithridate, possédant un temple riche et vénéré, et tua une partie de la cavalerie du roi. Comme les ambassadeurs du roi rappelaient le traité, il répondit qu'il n'avait vu aucun traité ; car Sylla ne l'avait pas mis par écrit, mais était parti après voir tenu ses engagements par ses actes. Après sa réponse Muréna commença immédiatement ses pillages, sans épargner l'argent des temples, et il s'installa dans ses quartiers d'hiver en Cappadoce. [65] Mithridate envoya une ambassade au sénat et à Sylla pour se plaindre des actes de Muréna. Ce dernier, en attendant, avait passé le fleuve Halys, qui était alors gonflé par les pluies et très difficile à franchir. Il prit 400 villages appartenant à Mithridate. Le roi n'offrit aucune résistance, mais attendait le retour de son ambassade. Muréna retourna en Phrygie et en Galatie chargé de butin. Là il rencontra Calidius, envoyé par Rome à cause des plaintes de Mithridate. Calidius n'apportait pas de décret du sénat, mais il déclara en public que le sénat lui ordonnait ne pas attaquer le roi, car il n'avait pas rompu le traité. Après avoir dit cela, il alla parler seul à Muréna. Muréna ne cessa pas ses violences mais envahit de nouveau le territoire de Mithridate. Ce dernier, pensant que cette guerre ouverte avait été ordonnée par les Romains, ordonna à son général Gordios d'exercer des représailles sur ces villages. Gordios saisit immédiatement et emmena un grand nombre d'animaux, de biens, d'hommes, soit des civils, soit des soldats, et prit position face à Murena lui-même, de l'autre côté d'un fleuve. Ni l'un ni l'autre n'engagèrent le combat jusqu'à ce que Mithridate n'arrivât avec une plus grande armée. Aussitôt un combat acharné s'engagea sur les rives du fleuve. Mithridate l'emporta, traversa le fleuve, et l'emporta partout sur Muréna. Ce dernier se retira sur une colline élevée où le roi l'attaqua. Après avoir perdu beaucoup d'hommes, Muréna se sauva par les montagnes en Phrygie par des chemins non défrichés, harcelé sans arrêt par les tirs de l'ennemi. [66] Les nouvelles de cette victoire brillante et décisive survenue rapidement fit passer beaucoup de gens du côté de Mithridate. Ce dernier expulsa toutes les garnisons de Muréna de Cappadoce et offrit un sacrifice à Zeus Stratios sur une immense bûcher de bois sur une haute colline, selon la coutume de son pays, qui se passe de cette façon. D'abord, les rois eux-mêmes portent le bois sur le bûcher. Alors ils installent un petit bûcher autour du premier, sur lequel ils versent du lait, du miel, du vin, de l'huile et toutes sortes d'encens. Un banquet est installé à terre pour des participants composé de pain et de mets (comme aux sacrifices des rois perses à Pasargades) et alors ils mettent le feu au bois. La hauteur des flammes est telle qu'on peut la voir à 1000 stades de la mer, et on dit que personne ne peut s'approcher pendant plusieurs jours à cause de la chaleur. Mithridate fit ainsi un sacrifice selon la coutume de son pays. Sylla pensa que ce n'était pas le moment de faire la guerre à Mithridate alors qu'il n'avait pas violé le traité. C'est pourquoi Aulus Gabinius fut envoyé pour rappeler à Muréna que l'ancien ordre de ne pas faire la guerre à Mithridate devait être pris au sérieux et pour réconcilier Mithridate et Ariobarzane. Lors d'une conférence entre eux Mithridate fiança sa petite fille de quatre ans à Ariobarzane, et profita de l'occasion pour stipuler qu'il devait non seulement garder cette partie de la Cappadoce qu'il occupait, mais d'autres parties en outre. Alors il donna un banquet à tous, offrant des prix en or à ceux qui l'emportaient en boisson, en nourriture, en plaisanteries, et ainsi de suite, comme il avait l'habitude. Gabinius fut le seul à ne toucher à rien. Ainsi se termina la deuxième guerre entre Mithridate et les Romains : elle dura environ trois ans. [67] CHAPITRE X. Maintenant que Mithridate avait les mains libres, il soumit les tribus du Bosphore et nomma Macharès, un de ses fils, roi de celles-ci. Alors il attaqua les Achéens au delà de la Colchide (on pense qu'ils descendent de ceux qui se sont égarés en revenant de la guerre de Troie), mais perdit deux tiers de son armée, en partie lors de combats, en partie à cause de la rudesse du climat, et en partie dans des embuscades. Quand il rentra chez lui et il envoya des ambassadeurs à Rome pour signer les accords conclus. En même temps Ariobarzane, de sa propre volonté ou à l'incitation d'autres, envoya aussi une ambassade pour se plaindre que la Cappadoce ne lui avait pas encore été rendue et que Mithridate en occupait toujours une grande partie. Sylla ordonna à Mithridate de quitter la Cappadoce. Il le fit et puis il envoya une autre ambassade pour signer les accords. Mais Sylla venait de mourir, et sous prétexte que le sénat était occupé à d'autres choses les préteurs ne les reçurent pas. Aussi Mithridate persuada son gendre Tigrane d'envahir la Cappadoce comme s'il agissait pour son propre compte. Cet artifice ne trompa pas les Romains. Le roi arménien jeta comme un filet autour de la Cappadoce et déporta environ 300.000 personnes, qu'il emmena dans son propre pays et les installa, avec d'autres, dans un endroit où il avait pour la première fois reçu le diadème de l'Arménie et qu'il avait appelé d'après son nom, Tigranocerte ou la ville de Tigrane. [68] Tandis que ces choses se passaient en Asie, Sertorius, le gouverneur de l'Espagne, incita cette province et tout le pays avoisinant à se rebeller contre les Romains, et choisit parmi ses compagnons un sénat à l'imitation de celui de Rome. Deux de ses partisans, Lucius Magius et Lucius Fannius, proposèrent à Mithridate de s'allier à Sertorius, lui faisant espérer qu'il posséderait une grande partie de la province d'Asie et des nations voisines. Mithridate se laissa persuader et envoya des ambassadeurs à Sertorius. Ce dernier les présenta à son sénat, se félicita que sa renommée s'était étendue jusqu'au Pont et qu'il pourrait maintenant assiéger la puissance romaine en Orient et en Occident. Aussi il conclut un traité avec Mithridate : il lui donnait l'Asie, la Bithynie, la Paphlagonie, la Cappadoce et la Galatie, et lui envoyait Marcus Varius comme général et deux Lucius, Magius et Fannius, comme conseillers. Avec leur aide Mithridate commença sa troisième et dernière guerre contre le Romains, au cours de laquelle il perdit tout son royaume et Sertorius perdit la vie en Espagne. Deux généraux furent envoyés contre Mithridate de Rome ; le premier, Lucullus, le même qui avait servi comme préfet de la flotte sous Sylla ; le second, Pompée, sous lequel la totalité de ses territoires, et le territoire contigu jusqu'à l'Euphrate, à la faveur et dans la foulée de la guerre contre Mithridate, tombèrent aux mains des Romains. [69] Mithridate avait combattu les Romains tellement souvent qu'il savait que cette guerre, tellement inavouable et commencée à la hâte, serait implacable. Il faisait tous ses préparatifs dans la pensée qu'il jouait son va-tout. Le reste de l'été et la totalité de l'hiver il les passa à faire couper du bois de construction, à fabriquer des navires et des armes. Il entreposa 2.000.000 le médimnes de blé le long de la côte. Sans compter ses anciennes forces il prit pour alliés les Chalybes, les Arméniens, les Scythes, les Taures, les Achéens, les Heniques, les Leucosyriens et ceux qui occupent le territoire près du fleuve Thermodon, appelé le pays des Amazone. Voilà les renforts ajoutés à son ancienne force provenant d'Asie. De l'Europe il s'adjoignit des tribus Sarmates, les Basilides, les Jazyges, le Coralliens et les Thraces qui demeurent le long du Danube et sur les montagnes du Rhodope et de l'Haemos, sans compter les Bastarnes, la nation la plus courageuse de toutes. La totalité des forces de Mithridate se composait d'environ 140.000 fantassins et 16.000 cavaliers. Une grande foule de pionniers, de porteurs de bagages, et de marchands les suivaient. [70] Au début du printemps Mithridate fit manoeuvrer sa marine et sacrifia à Zeus Stratios comme de coutume, et également à Poséidon en précipitant un char avec les chevaux blancs dans la mer. Alors il marcha contre la Paphlagonie avec ses deux généraux, Taxile et Hermocrate, à la tête de son armée. Quand il y arriva il fit un discours à ses soldats, faisant l'éloge de ses ancêtres et encore plus de lui-même, montrant comment son royaume était devenu immense en partant de rien, et comment son armée n'avait été jamais été défaite par les Romains quand il était présent. Il accusa les Romains d'avarice et de désir de puissance « à un degré tel, » dit-il, « qu'ils avaient asservi l'Italie et Rome elle-même. » Il les accusa de mauvaise foi en ce qui concerne le dernier traité qui existait toujours, disant qu'ils n'étaient pas disposés à le signer parce qu'ils ne cherchaient qu'une occasion pour le violer encore. Après avoir montré que c'était cela la cause de la guerre, il insista sur la composition de son armée et sur ses préparatifs, sur la préoccupation des Romains, qui faisaient une guerre difficile contre Sertorius en Espagne, et étaient englués dans les guerres civiles dans l'ensemble de l'Italie, « c'est pour cette raison, » dit-il, « qu'ils ont laissé la mer depuis longtemps aux pirates, et n'ont plus aucun allié, ni aucun sujet qui leurs obéissent toujours volontairement. Ne voyez-vous pas, » ajouta-t-il, « certains de leurs citoyens plus nobles (en montrant Varius et les deux Lucius) sont en guerre contre leur propre pays et sont nos alliés ? » [71] Quand il eut terminé de parler et d'encourager son armée, il envahit la Bithynie. Nicomède venait de mourir sans enfant et avait légué son royaume aux Romains. Cotta, son gouverneur, manquait tout à fait d'énergie. Il s'enfuit à Chalcédoine avec les forces qu'il avait. Aussi la Bithynie passa de nouveau aux mains de Mithridate. De partout les Romains se réfugièrent avec Cotta à Chalcédoine. Quand Mithridate y arriva, Cotta ne sortit pas pour le combattre parce qu'il ne connaissait rien dans les affaires militaires, mais son préfet naval, Nudus, avec une partie de l'armée occupa une position très forte dans la plaine. Il en fut chassé et s'enfuit vers les portes de Chalcédoine où beaucoup de murs gênaient considérablement ses mouvements. Il y eut une bousculade aux portes parmi ceux qui essayaient de rentrer tous en même temps, raison pour laquelle aucun trait lancé par les poursuivants ne manquait son but. Les gardes des portes, craignant pour la ville, baissèrent la porte au moyen de machines. Nudus et certains des autres chefs furent hissés par des cordes. Le reste périt au milieu de leurs amis et de leurs ennemis, tendant leurs mains en guise de supplication vers les uns et vers les autres. Mithridate profita de son succès. Il fit avancer ses navires jusqu'au port le jour même, cassa la chaîne de bronze qui fermait l'entrée, brûla quatre navires de l'ennemi, et en remorqua les soixante autres. Nudus n'offrit plus aucune résistance, ni Cotta; ils restèrent enfermés à l'intérieur des murs. Les pertes romaines furent d'environ 3000 hommes, parmi eux Lucius Manlius, un sénateur. Mithridate perdit vingt Bastarnes, qui avaient été les premiers à entrer dans le port. [72] CHAPITRE XI. Lucius Lucullus, qui avait été élu consul et général pour cette guerre, emmena une légion de Rome, l'adjoignit aux deux de Fimbria, et à deux autres supplémentaires, : cela faisait au total 30.000 fantassins et 1600 cavaliers. Avec ces hommes il plaça son camp près de Mithridate à Cyzique. Apprenant par des déserteurs que l'armée du roi comptait environ 300.000 hommes et que tous ses approvisionnements étaient fournis par des fourrageurs ou venaient de la mer, il a dit à son entourage qu'il réduirait en peu de temps l'ennemi sans combat, et il leur dit de se rappeler sa promesse. Voyant une montagne bien adaptée pour un camp, où il pouvait aisément obtenir des approvisionnements, et où il pouvait couper ceux de l'ennemi, il s'avança pour l'occuper afin de remporter une victoire par ce moyen sans danger. Il n'y avait qu'un passage étroit qui menait à cette montagne, et Mithridate le faisait garder fortement. C'était Taxile et d'autres chefs qui lui avaient conseillé de faire ainsi. Lucius Magius, qui était à la base de l'alliance entre Sertorius et Mithridate, maintenant que Sertorius était mort, eut des entretiens secrets avec Lucullus, et ayant obtenu des engagements, il persuada Mithridate de laisser passer les Romains et de les laisser camper où ils voulaient. « Les deux légions de Fimbria, » dit-il, « veulent déserter, et viendront à toi sous peu. A quoi bon un combat et un carnage quand tu peux t'emparer de l'ennemi sans combattre ? » Mithridate approuva ce conseil sans réfléchir et sans rien soupçonner. Il permit aux Romains de traverser le passage en paix et de fortifier une grande colline. Quand ils l'eurent fortifié, ils purent assurer leurs approvisionnements de l'arrière sans difficulté. Mithridate, d'autre part, était coupé par un lac, par des montagnes, et par des fleuves, de tous ses ressources venant de l'intérieur, à moins d'un approvisionnement occasionnel obtenu avec difficulté ; il avait peu d'espace pour ses sorties et il ne pouvait pas déloger Lucullus à cause de la difficulté du terrain, qu'il avait négligé quand il avait lui-même l'avantage. D'ailleurs, l'hiver approchait et interromprait bientôt ses approvisionnements maritimes. Comme Lucullus voyait la situation, il rappela à ses amis sa promesse, et leur prouva que sa prévision s'était pratiquement accomplie. [73] Alors que Mithridate aurait pu peut-être alors encore traverser les lignes de l'ennemi à cause de sa supériorité numérique, il négligea de le faire alors, mais fit le siège de Cyzique avec tout l'appareillage qu'il avait préparé, pensant trouver un remède de cette façon à ses difficultés et à son manque d'approvisionnement. Comme il avait abondance de soldats, il fit le siège de toutes les manières possibles. Il fit bloquer le port par une double digue et fit tracer une ligne de retranchement autour du reste de la ville. Il édifia des terrasses, fit construire des machines, des tours et des béliers protégés par des tortues. Il fit construire une machine de siège de 100 coudées de haut, sur laquelle se trouvait une autre tour remplie de catapultes lançant des pierres et de divers genres de traits. Deux quinquérèmes attachées l'une à l'autre portaient une autre tour contre le port, d'où un pont pouvait être projeté par un dispositif mécanique une fois qu'on approchait du mur. Quand tout fut terminé rapidement, il envoya d'abord vers la ville sur des navires 3000 habitants de Cyzique qu'il avait fait prisonniers. Ceux-ci levèrent leurs mains vers le mur en guise de supplication et demandèrent à leurs concitoyens de les épargner dans le péril où ils se trouvaient, mais Pisistratos, général de Cyzique, proclama du haut des murs que ceux qui étaient tombés aux mains de l'ennemi devaient accepter bravement leur destin. [74] Comme cette tentative avait échoué Mithridate fit venir la machine montée sur les bateaux et soudainement projeta le pont sur le mur et quatre de ses hommes en surgirent. Les habitants de Cyzique au début furent ébahis par la nouveauté du dispositif et se retirèrent un peu, mais comme le reste de l'ennemi était lent à suivre, ils reprirent du courage et précipitèrent les quatre hommes du haut des murs. Alors ils versèrent de la poix enflammée sur les navires et les contraignirent à faire demi-tour et à se retirer avec la machine. C'est ainsi que les habitants de Cyzique mirent en déroute les envahisseurs venus par la mer. Une troisième fois le même jour toutes machines furent engagées contre les citoyens fatigués, qui couraient d'un côté à l'autre pour s'opposer à un assaut constamment recommencé. Ils cassèrent les béliers avec des pierres, ou les détournèrent avec des noeuds coulants, ou amortirent leurs coups avec des paniers de laines. Ils éteignaient les traits enflammés avec de l'eau et du vinaigre, et cassaient la force des d'autres par des vêtements entassés ou par du tissu de toile non déployé. Bref, ils essayèrent toutes les ressources de l'énergie humaine. Bien qu'ils travaillaient avec beaucoup de persévérance, une partie du mur, affaiblie par le feu, s'effondra ; mais à cause de la chaleur personne n'osa s'y précipiter. Les habitants de Cyzique construisirent un autre mur autour de celui-ci la nuit, et pendant ce temps un vent violent vint fracasser le reste des machines du roi. [75] On dit que la ville de Cyzique fut donnée par Zeus à Proserpine en dot, et que de tous les dieux c'est pour elle que les habitants ont le plus de vénération. C'était le moment de sa fête, au cours de laquelle ils ont l'habitude de sacrifier une génisse noire à Proserpine, et comme ils n'en avaient pas ils en firent une en pâte. A ce moment une génisse noire nagea vers eux venant de la mer, plongea sous la chaîne à l'entrée du port, marcha dans la ville, trouva d'elle-même le temple, et s'installa près de l'autel. Les habitants de Cyzique la sacrifièrent avec grand espoir. Sur quoi les amis de Mithridate lui conseillèrent de quitter l'endroit puisqu'il était sacré, mais il refusa de le faire. Il monta sur le mont Dindymos, qui surplombait la ville, et fit construire une terrasse qui s'étendait de là jusqu'aux murs de ville, sur laquelle il construisit des tours, et, en même temps, il fit miner le mur par une galerie souterraine. Comme ses chevaux n'étaient pas utiles là, affaiblis par manque de nourriture et avaient les sabots endoloris, il les envoya par un chemin détourné en Bithynie. Lucullus tomba sur eux alors qu'ils traversaient le fleuve Rhyndacos, en tua un grand nombre, et prit 15.000 hommes, 6000 chevaux et une grande quantité de bagages. Tandis que ces choses se passaient à Cyzique Eumachos, un des généraux de Mithridate, envahit la Phrygie et tua un grand nombre de Romains, avec leurs épouses et leurs enfants, soumit la Pisidie, l'Isaurie et également la Cilicie. Alors Déjotaros, un des tétrarques de Galatie, poursuivit l'insolent et tua plusieurs de ses hommes. Tel était la situation en Phrygie. [76] Quand l'hiver arriva, Mithridate fut privé de ses approvisionnements par mer, - s'il n'en eut jamais eu ! - de sorte que son armée entière souffrit de la faim, et bon nombre d'entre eux moururent. Il y en a qui mangèrent les entrailles selon une coutume barbare. D'autres tombèrent malades en mangeant des herbes. En plus les cadavres jetés dehors dans le voisinage sans sépulture amenèrent la peste en plus de la famine. Néanmoins Mithridate continua ses efforts, espérant toujours prendre Cyzique au moyen des terrassements partant du mont Dindymos. Mais quand les habitants de Cyzique les eurent minés, eurent brûlé les machines qui s'y trouvaient et eurent fait de nombreuses sorties contre ses forces, sachant qu'ils étaient affaiblis par manque de nourriture, Mithridate commença à penser à la fuite. Il se sauva de nuit, partant lui-même avec sa flotte à Parion, et son armée se rendit par voie de terre à Lampsaque. Beaucoup perdirent leur vie en traversant le fleuve AEsepos, qui alors était gonflé par les pluies, et où Lucullus les attaqua. Ainsi les habitants de Cyzique échappèrent aux vastes travaux de siège du roi grâce à leur propre courage et à la famine que Lucullus lui fit endurer. Ils instituèrent des jeux en son honneur, qu'ils célèbrent encore aujourd'hui : ils les appellent "jeux de Lucullus". Mithridate envoya des navires pour ceux qui avaient trouvé refuge à Lampsaque, où ils étaient assiégés par Lucullus, et les emmena, ainsi que les habitants de Lampsaque. Laissant 10.000 hommes d'élite et cinquante vaisseaux sous les ordres de Varius (général envoyé par Sertorius), d'Alexandre le Paphlagonien et de Dionysios l'eunuque, il partit avec le reste de sa force pour Nicomédie. Une tempête s'éleva au cours de laquelle plusieurs navires des deux escadres furent détruits. [77] Quand Lucullus eut atteint ce résultat sur terre en affamant ses ennemis, il rassembla une flotte de la province asiatique et la partagea entre les généraux. Trirarius fit voile vers Apamée, prit la ville et fit massacrer un grand nombre d'habitants qui s'étaient réfugiés dans les temples. Barba prit Prusias, située au bas d'une montagne et occupa Nicée qui avait été abandonnée par la garnison de Mithridate. Au port des Achéens Lucullus prit treize navires à l'ennemi. Il rattrapa Varius, Alexandre et Dionysius sur une île déserte près de Lemnos (où l'on montre l'autel de Philoctète avec le serpent de bronze, les arcs et la cuirasse avec des bandelettes, pour nous rappeler les douleurs de ce héros), et les attaqua avec mépris. Ils résistèrent vaillamment. Il arrêta le mouvement des rames et envoya ses bateaux vers eux deux par deux afin de les attirer vers la mer. Comme ils refusaient de sortir, mais continuaient à se défendre sur terre, il envoya une partie de sa flotte de l'autre côté de l'île, y débarqua de l'infanterie, et repoussa l'ennemi vers leurs navires. Ils ne se risquèrent pas de se diriger vers le large, mais ils longèrent le rivage, parce qu'ils craignaient l'armée de Lucullus. Ainsi ils furent exposés aux traits de deux côtés, sur terre et au large, et eurent un grand nombre de blessés, et ce fut alors le carnage et la fuite. Varius, Alexandre, et Dionysios l'eunuque furent pris dans une caverne où ils s'étaient cachés. Dionysios avala le poison qu'il avait sur lui et mourut aussitôt. Lucullus donna l'ordre de mettre à mort Varius, parce qu'il ne voulait pas qu'un sénateur romain fasse partie de son triomphe, mais il conserva Alexandre pour ce triomphe. Lucullus envoya des lettres tressées de laurier à Rome, comme c'est la coutume des vainqueurs, et alors se dirigea vers la Bithynie. [78] Pendant que Mithridate faisait voile vers le Pont, une seconde tempête éclata et il perdit environ 10.000 hommes et soixante navires, et le reste fut dispersé en tout sens selon les caprices du vent. Le propre bateau de Mithridate se fracassa et il se rendit à bord d'un petit navire pirate bien que ses amis aient essayé de l'en dissuader. Les pirates le débarquèrent sain et sauf à Sinope. De là il se rendit à Amisos, où il demanda de l'aide à son gendre Tigrane l'Arménien et à son fils Macharès, le roi des Cimmeriens du Bosphore. Il ordonna à Dioclès de prendre une grande quantité d'or et d'autres présents aux Scythes voisins, mais Dioclès prit l'or et les présents et passa chez Lucullus. Lucullus s'avançait avec le prestige de la victoire, soumettant tout sur son chemin et vivant du pays. Alors il arriva dans un pays riche, exempt des ravages de la guerre, où un esclave était vendu quatre drachmes, un boeuf une, et des chèvres, des moutons, de l'habillement, et d'autres choses en proportion. Lucullus fit le siège d'Amisos et également d'Eupatoria, que Mithridate avait construit près d'Amisos et appelée d'après son nom et où il avait fixé sa résidence royale. Avec une autre armée il assiégea Themiscyre, qui porte le nom d'une des Amazones et est située sur le fleuve Thermodon. Ceux qui assiégeaient cet endroit, y amenèrent des tours, construisirent des terrasses et creusèrent des tunnels si grands qu'on pouvait y engager de grandes batailles souterraines. Les habitants firent des ouvertures dans ces tunnels et y envoyèrent de l'intérieur vers les travailleurs des ours, d'autres animaux et des essaims d'abeilles sauvages. Ceux qui assiégeaient Amisos souffrirent d'une autre façon. Les habitants les repoussèrent bravement, sortaient fréquemment et souvent les provoquaient au combat. Mithridate leur envoyait en abondance des vivres, des armes et des soldats depuis Cabira, où il passait l'hiver et rassemblait une nouvelle armée. Il rassembla environ 40.000 fantassins et 4000 cavaliers. [79] CHAPITRE XII. Au début du printemps Lucullus marcha par les montagnes contre Mithridate, qui avait placé des avant-postes pour gêner son approche, et pour lui envoyer des signaux lumineux toutes les fois que quelque chose d'important se produisait. Il nomma un membre de la famille royale, appelé Phoenix, pour commander cette garde avancée. Quand Lucullus approcha, Phoenix envoya le signal lumineux à Mithridate et puis passa à Lucullus avec ses troupes. Lucullus alors passa les montagnes sans difficulté et descendit vers Cabira, mais il fut battu par Mithridate lors d'un combat de cavalerie et se retira dans la montagne. Pomponius, son maître de cavalerie, fut blessé, fait prisonnier et amené devant Mithridate. Le roi lui demanda quel service il (Pomponius) pouvait lui rendre pour épargner sa vie. Pomponius répondit, « Un grand service si tu faisais la paix avec Lucullus, mais si tu continues à être son ennemi je ne m'intéresse même pas à ta question. » Les barbares voulurent le mettre à mort, mais le roi dit qu'il ne ferait pas violence au courage dans le malheur. Il fit sortir ses forces pour la bataille plusieurs jours de suite, mais Lucullus ne descendait pas et ne combattrait pas ; aussi il chercha dans les environs le moyen de venir à lui en escaladant la montagne. Alors un Scythe, du nom d'Olcaba, qui avait déserté chez Lucullus longtemps avant et avait sauvé la vie de nombreux romains dans les combats précédents de cavalerie, et qui pour cette raison avait été considéré digne de partager la table de Lucullus, sa confiance et ses secrets, vint dans sa tente alors qu'il se reposait à midi et essaya de forcer sa porte. Il portait un poignard court dans sa ceinture selon sa coutume. Comme on l'empêchait d'entrer, il se fâcha et dit qu'il était absolument nécessaire de faire réveiller le général. Les serviteurs répondirent que rien n'était plus utile à Lucullus que sa sécurité. Sur quoi le Scythe monta à cheval et alla immédiatement chez Mithridate, soit parce qu'il complotait contre Lucullus et pensait qu'on le suspectait, soit parce qu'il s'était considéré offensé et en était irrité. Il exposa à Mithridate qu'un autre Scythe, appelé Sobdacus, était sur le point de déserter chez Lucullus. Sobdacus en conséquence fut arrêté. [80] Lucullus hésita à descendre directement dans la plaine puisque l'ennemi était tellement supérieur en cavalerie, et ne voyait pas d'autre moyen. Mais il trouva un chasseur dans une caverne qui connaissait les chemins de montagne. Avec lui pour guide il descendit par des chemins détournés et raboteux en passant au-dessus de Mithridate. Il évita la plaine à cause de la cavalerie, descendit et choisit un endroit pour son camp où il eût un torrent devant lui. Car il manquait de vivres, il envoya chercher en Cappadoce du blé, et en attendant engagea des escarmouches fréquentes contre l'ennemi. Alors que les forces royales étaient mises en fuite, Mithridate arriva en courant de son camp et, avec des paroles lourdes de reproches, leur fit faire demi-tour avec une telle efficacité que les Romains en furent terrifiés à leur tour et se sauvèrent vers le haut de la montagne tellement rapidement qu'ils ne s'aperçurent pas pendant longtemps que l'ennemi ne les poursuivait plus, mais chacun pensait que le camarade en fuite derrière lui était un ennemi, si grande était la panique qui s'était emparé d'eux. Mithridate envoya des lettres partout pour annoncer cette victoire. Il envoya alors un détachement composé des plus courageux de ses cavaliers pour arrêter le convoi qui apportait des vivres de Cappadoce à Lucullus, espérant lui faire souffrir la même pénurie de vivres que celle que lui-même avait souffert à Cyzique. [81] Son grand projet était de couper les approvisionnements de Lucullus, qui venaient uniquement de Cappadoce, mais quand sa cavalerie arriva devant l'avant-garde du convoi dans un défilé étroit, ils n'attendirent pas que leurs ennemis aient atteint la plaine. C'est pourquoi leurs chevaux furent inutiles dans un espace étroit, où les Romains se mirent aussitôt en ordre de bataille à travers la route. Aidés, comme le sont naturellement les fantassins, par les difficultés du terrain, ils tuèrent une partie des troupes du roi, en précipitèrent d'autres dans les précipices et dispersèrent ceux qui fuyaient. Quelques uns d'entre eux arrivèrent à leur camp de nuit, et dirent qu'ils étaient les seuls survivants, de sorte que la rumeur enfla le désastre qui était déjà suffisamment grand. Mithridate entendit la nouvelle avant qu'elle n'arrive aux oreilles de Lucullus, et il supposa que Lucullus tirerait profit d'un si grand désastre de sa cavalerie pour l'attaquer immédiatement. C'est pourquoi il prit peur et pensa à fuir. Il communiqua immédiatement son projet à ses amis dans sa tente. Ils n'attendirent pas que le signal soit donné, mais en pleine nuit chacun envoya ses propres bagages hors du camp, ce qui fit un énorme encombrement d'animaux de charge autour des portes. Quand les soldats virent l'agitation, et ce que faisaient les porteurs de bagage, ils imaginèrent les choses les plus folles. Remplis de terreur, mélangée de colère parce que le signal ne leur avait pas été donné également, ils coururent démolir leurs propres fortifications et se dispersèrent dans toutes les directions dans la plaine, en désordre, sans ordres d'un général ou de n'importe quel autre commandant. Quand Mithridate entendit les précipitations désordonnées il sortit de sa tente et essaya de leur adresser la parole, mais personne ne l'écoutait. Il fut happé par la foule et tomba de cheval, mais fut remis en selle et conduit dans les montagnes avec quelques hommes. [82] Quand Lucullus fut informé du succès de l'arrivée de ses provisions et qu'il vit la fuite de l'ennemi, il envoya une grande force de cavalerie à la poursuite des fugitifs. Ceux qui rassemblaient toujours les bagages dans le camp, il les encercla avec son infanterie et ordonna pour l'instant de s'abstenir de piller, mais de tuer sans merci. Mais les soldats, voyant de la vaisselle d'or et d'argent en l'abondance et beaucoup de vêtements coûteux, négligèrent l'ordre. Ceux qui pourchassaient Mithridate lui-même coupèrent le bât d'une mule qui était chargée d'or : celui-ci se répandit à terre, et pendant qu'ils étaient occupées avec le ramasser, ils lui permirent de s'échapper à Comona. De là il se sauva chez Tigrane avec 2000 cavaliers. Tigrane ne l'admit pas en sa présence, mais ordonna de lui donner un train de vie royal dans ses domaines. Mithridate, désespérant de son royaume, envoya l'eunuque Bacchos à son palais pour mettre à mort comme il le pourrait ses soeurs, épouses et concubines. Celles-ci, avec une résignation merveilleuse, se tuèrent à coups de poignards, avec du poison ou des cordes. Quand les commandants de garnison de Mithridate virent cela, ils passèrent en foule chez Lucullus, sauf quelques-uns. Lucullus marcha contre ces derniers et régla la situation. Il envoya également sa flotte vers les villes de la côte du Pont et prit Amastris, Héraclée et d'autres villes. [83] Sinope continua à lui résister vigoureusement, et les habitants livrèrent un combat naval non sans succès, mais quand ils furent assiégés ils brûlèrent leurs navires les plus lourds, embarquèrent sur les plus légers, et s'en allèrent. Lucullus immédiatement en fit une ville libre, poussé par le rêve suivant. On dit qu'Autolycos, compagnon d'Hercule dans son expédition contre les Amazones, fut conduit par une tempête à Sinope et se rendit maître de la ville, et que la statue qu'on lui consacra rendait des oracles aux habitants de Sinope. Pendant qu'ils s'enfuyaient ils ne purent l'embarquer, mais l'enveloppèrent avec des tissus de toile et des cordes. Personne ne l'avait dit à Lucullus et il ne savait rien à son sujet, mais il rêva qu'Autolycus l'appelait et qu'il le voyait; et le jour suivant, quand des hommes lui apportèrent la statue enveloppée, il leur ordonna d'enlever la bâche et alors il vit ce qu'il pensait avoir vu la nuit. Voilà le rêve qu'il eut. Après Sinope Lucullus ramena dans leurs demeures les citoyens d'Amisos, qui s'étaient sauvés de la même manière par la mer, parce qu'il avait appris qu'ils avaient été emmenés là par Athènes quand elle dominait la mer ; qu'ils avaient eu un gouvernement démocratique au début, et qu'après ils avaient été soumis pendant longtemps aux rois de Perse ; que leur démocratie leur avait été rétablie par un décret d'Alexandre, et qu'ils avaient été finalement obligés de servir les rois du Pont. Lucullus eut de la sympathie pour eux, et voulant être à la hauteur de la faveur montrée au peuple attique par Alexandre il donna à la ville sa liberté et a rappela les citoyens de Sinope le plus rapidement possible. Ainsi Lucullus dévasta et repeupla Sinope et Amisos. Il entra dans les relations amicales avec Machares, le fils de Mithridate et le gouverneur le Bosphore, qui lui envoya une couronne d'or. Il exigea de Tigrane la reddition de Mithridate. Alors il rentra dans la province de l'Asie. Comme l'acompte de l'hommage imposé par Sylla restait dû il préleva le quart de la moisson, et a imposa une taxe sur les demeures et sur les esclaves. Il offrit un sacrifice triomphal aux dieux pour la fin de la guerre. [84] Après avoir fait ces sacrifices, il marcha avec deux légions et le 500 cavaliers contre Tigrane, qui avait refusé de lui livrer Mithridate. Il traversa l'Euphrate, mais il n'eut besoin des barbares, dont il traversait le territoire, uniquement que pour lui fournir les approvisionnements nécessaires puisqu'ils ne voulaient pas combattre, ou s'exposer à des souffrances en prenant parti dans la querelle entre Lucullus et Tigrane. Personne ne dit à Tigrane que Lucullus s'avançait, car il avait fait mettre en croix le premier homme qui lui avait apporté ces nouvelles, considérant qu'il voulait troubler le bon ordre des villes. Quand il a appris que c'était vrai, il envoya Mithrobarzane avec 2000 cavaliers pour retarder la marche de Lucullus. Il confia à Mancaeus la défense de Tigranocerte, ville, comme j'ai l'ai déjà dit, que le roi avait établie dans cette région en son honneur, et où il avait installé les notables des villes du pays sous peine de confiscation de toutes leurs marchandises qu'ils n'amenaient pas avec eux. Il l'entoura de murs de cinquante coudées de haut et assez larges pour contenir des écuries pour les chevaux. Dans les faubourgs il avait construit un palais et de grands parcs clôturés pour les animaux sauvages, et des étangs pour les poissons. Il érigea également une tour fortifié tout près. Il confia tout cela à Mancaeus, et alors il traversa le pays pour rassembler une armée. Lucullus, dès sa première rencontre avec Mithrobarzane, le battit et le mit en fuite. Sextilius enferma Mancaeus dans Tigranocerte, pilla le palais en situé hors des murs, a creusa un fossé autour de la ville et de la tour, amena des machines déplacées contre elles, et mina le mur. [85] Tandis que Sextilius faisait cela, Tigrane rassembla 250.000 fantassins et 50.000 cavaliers. Il en envoya environ 6000 à Tigranocerte, qui traversèrent la ligne romaine jusqu'à la tour, saisirent et ramenèrent les concubines du roi. Avec le reste de son armée Tigrane marcha contre Lucullus. Mithridate, qui fut alors pour la première fois admis en sa présence, lui conseilla de ne pas livrer bataille contre les Romains, mais de les harceler seulement avec sa cavalerie, de dévaster le pays, et de les réduire à la famine si possible, de la même manière que Lucullus l'avait fait contre lui à Cyzique, où il perdit son armée sans combattre. Tigrane se moqua s'un tel stratagème, s'avança et se prépara au combat. Quand il vit le petit nombre des forces romaines, il s'en moqua en disant, « si ce sont là des ambassadeurs, ils sont en trop grand nombre ; si ce sont des ennemis, ils sont en trop petit nombre. » Lucullus vit une colline bien située derrière Tigrane. Il ordonna à sa cavalerie de s'avancer pour harceler l'ennemi de front, de l'attirer vers eux et de se retirer pendant qu'ils montaient, pour que les barbares cassent leurs propres rangs en les poursuivant. Alors il envoya sa propre infanterie autour de la colline et en prit la possession sans être aperçu. Quand il vit que l'ennemi poursuivait comme s'ils avaient gagné la bataille et s'étaient dispersés dans toutes les directions, avec leur équipages, et se trouvaient au pied de la colline, il hurla « Soldats, nous sommes vainqueurs, » et il attaqua d'abord les équipages. Ceux-ci immédiatement s'enfuirent en pleine confusion et se précipitèrent sur leur propre infanterie, et l'infanterie contre la cavalerie. Alors la déroute fut complète. Ceux qui s'étaient éloignés à poursuivre la cavalerie romaine, furent tués quand celle-ci fit demi-tour. Les équipages se précipitaient sur d'autres au milieu du tumulte. Tous furent écrasés dans une telle cohue au point que personne ne pouvait voir exactement le désastre qu'ils subissaient. Ce fut un énorme carnage. Personne ne pilla, parce que Lucullus l'avait interdit avec menaces de punitions, de sorte qu'ils laissèrent des bracelets et des colliers sur la route, et continuèrent le massacre sur 120 stades jusqu'à la tombée de la nuit. Puis ils se mirent au pillage avec la permission de Lucullus. [86] Quand Mancaeos vit la défaite depuis Tigranocerte il désarma tous ses mercenaires grecs parce qu'il les soupçonnait. Ceux-ci, dans la crainte d'être arrêté marchaient et bivouaquaient en groupes tenant des gourdins dans leurs mains. C'est sur eux que Mancaeus marcha avec ses barbares armés. Ils roulèrent leur manteau autour de leurs bras gauches, en guise de boucliers, et combattirent courageusement contre leurs assaillants, en tuèrent certains, et se partagèrent leurs armes. Quand ils eurent assez d'armes prises à l'ennemi, ils s'emparèrent des tours, appelèrent les Romains de l'extérieur et les accueillirent quand ils montèrent. Telle fut la prise de Tigranocerte, et on pilla l'immense richesse d'une ville nouvellement construite et peuplée de nobles. [87] CHAPITRE XIII. Alors Tigrane et Mithridate traversèrent le pays pour rassembler une nouvelle armée, dont le commandement fut confié à Mithridate, parce que Tigrane pensait que ses désastres lui avaient enseigné une bonne leçon. Ils envoyèrent également des messagers aux Parthes pour solliciter l'aide de ce pays. Lucullus se son côté envoya des légats aux Parthes leur demandant de l'aider ou de rester neutres. Leur roi conclut des accords secrets avec tous les deux, mais n'était pas pressé de les aider. Mithridate fit fabriquer des armes dans chaque ville. Les soldats qu'il recrutait étaient presque tous des Arméniens. Parmi ces derniers il choisit les plus courageux au nombre d'environ 70.000 fantassins et moitié moins de cavaliers et renvoya les autres. Il les divisa en compagnies et cohortes le plus possible selon le système italien, et demanda à des généraux du Pont de les former. Quand Lucullus se dirigea vers eux Mithridate, avec toute son infanterie et une partie de sa cavalerie installa toutes ses forces sur une colline. Tigrane, avec le reste de la cavalerie, attaqua les fourrageurs romains et il fut vaincu, raison pour laquelle après les Romains cherchèrent du fourrage plus librement même à proximité de Mithridate lui-même, et campèrent près de lui. Alors une grand nuage de poussière apparut indiquant l'approche de Tigrane. Les deux rois avaient résolu d'encercler Lucullus. Ce dernier s'aperçut de leur mouvement et envoya devant les meilleurs de ses cavaliers pour attaquer Tigrane le plus loin possible et l'empêcher de se déployer en ligne de bataille sa colonne de marche. Il provoquait également Mithridate à combattre. Il commença à l'entourer d'un fossé, mais ne le provoqua plus. Finalement l'hiver arrivait et interrompit le travail des deux côtés. [88] Tigrane se retira alors à l'intérieur de l'Arménie et Mithridate se hâta de reprendre le reste de son royaume du Pont, emmenant avec lui 4000 hommes de ses propres troupes et autant d'autres qu'il avait reçus de Tigrane. Lucullus le suivit à la trace, mais il était obligé de revenir fréquemment par manque de vivres. Mithridate arriva le premier, attaqua Fabius qui avait été laissé aux commandes du Pont par Lucullus, le mit en fuite et tua 500 de ses hommes. Fabius libéra les esclaves qui étaient dans son camp et combattit encore un jour entier, mais la bataille lui fut défavorable jusqu'à ce que Mithridate fut frappé d'une pierre au genou, atteint par un trait sous l'oeil, et emporté à la hâte loin du champ de bataille. Pendant plusieurs jours on eut des craintes pour sa vie, et les Romains se tinrent tranquilles à cause du grand nombre de blessures qu'ils avaient reçues. Mithridate fut soigné par des Agares, une tribu scythe, qui se sert du venin de serpents pour soigner. Une partie de cette tribu accompagnait toujours le roi en qualité de médecins. Triarius, l'autre général de Lucullus, arriva alors avec sa propre armée au secours de Fabius et reçut de ce dernier ses forces et son commandement. Après qu'ils se furent rejoints, un combat s'engagea entre Mithridate et lui, durant lequel un vent, comme jamais on en connut de mémoire d'homme, emporta les tentes des deux armées, dispersa leurs bêtes de somme, et même emporta certains hommes dans des précipices. Les deux camps alors se retirèrent. [89] A la nouvelle que Lucullus approchait, Triarius empressé de passer à l'action, attaqua de nuit les avant-postes de Mithridate. Le combat fut longtemps indécis, jusqu'à ce qu'il charge avec force les troupes qui étaient en face de lui et remporta la bataille. Il traversa leurs rangs et amena leur infanterie dans un fossé boueux, où ils ne purent se tenir et furent massacrés. Il poursuivit leur cavalerie dans la plaine et voulait profiter de la chance du moment jusqu'à ce qu'un centurion romain, qui courait à côté de lui comme valet, le blessa gravement d'un coup d'épée dans la cuisse, car il ne pouvait pas compter lui transpercer le dos à travers sa cuirasse. Ceux qui étaient près de lui tuèrent immédiatement le centurion. Mithridate fut transporté à l'arrière et ses amis rappelèrent ses troupes, dans la précipitation, les privant de leur splendide victoire. La confusion régnait à cause de ce rappel inattendu, et de la crainte qu'un désastre se soit produit ailleurs. Quand on apprit ce qui s'était passé, les soldats se rassemblèrent consternés dans la plaine autour de la personne du roi, jusqu'à ce que Timothée, son médecin, eût arrêté l'hémorragie et ait fait soulever le roi pour que tout le monde puisse le voir. C'est de la même manière qu'en Inde, qu'Alexandre guéri se montra sur un navire aux Macédoniens, qui craignaient pour sa vie. Dès que Mithridate revint à lui il blâma ceux qui avaient rappelé l'armée du combat, et mena ses hommes le même jour encore contre le camp des Romains. Mais ils s'étaient déjà sauvés remplis de terreur. En dépouillant les morts on trouva 24 tribuns et 150 centurions. Rarement un tel nombre de d'officiers n'étaient tombés en une seule défaite. [90] Mithridate se retira dans le pays que les Romains appellent maintenant la Petite Arménie, prenant toutes les vivres qu'il pouvait transporter et détruisant le reste, afin d'empêcher Lucullus d'en obtenir durant sa marche. A ce moment là un sénateur romain du nom d'Attidius, qui pour fuire un procès, s'était rendu chez Mithridate depuis longtemps et qui avait apprécié son amitié, fut convaincu de conspirer contre lui. Le roi le condamna à mort, mais sans le faire torturer, parce qu'il avait été par le passé sénateur romain. Ses complices furent abominablement torturés. Les affranchis qui étaient au courant de la conspiration d'Attidius furent acquittés, parce qu'ils avaient des obligations envers leur patron. Alors que Lucullus avait déjà placé son camp près de Mithridate, le gouverneur de l'Asie envoya des hérauts pour dire que Rome accusait Lucullus de prolonger inutilement la guerre, ordonnait que les soldats qui étaient sous ses ordres soient démobilisés, et que les biens de ceux qui n'obéissaient pas à cet ordre seraient confisqués. Quand cette proclamation fut lue, l'armée fut congédiée immédiatement, sauf quelques-uns qui restèrent avec Lucullus parce qu'ils étaient très pauvres et ne craignaient pas le châtiment. [91] CHAPITRE XIV. Ainsi se termina la guerre de Mithridate contre Lucullus sans résultats effectifs et définitifs. Les Romains, embourbés par les révoltes en Italie et menacés de famine par les pirates, considéraient inopportun d'entreprendre une autre guerre de cette grandeur avant d'avoir mis un terme à leurs ennuis actuels. Quand Mithridate s'en aperçut il envahit de nouveau la Cappadoce et fortifia son propre royaume. Les Romains le laissèrent faire pendant tout le temps qu'ils dégageaient la mer. Quand ceci fut accompli, et alors que Pompée, qui avait anéanti les pirates, était toujours en Asie, la guerre contre Mithridate reprit immédiatement et le commandement en fut donné à Pompée. Puisque la campagne maritime fut une partie des opérations sous son commandement, qui débuta avant sa guerre contre Mithridate, et n'a pas trouvé de place ailleurs dans mon histoire, il me semble à propos de la raconter ici et mentionner les événements chronologiquement. [92] Quand Mithridate engagea la première fois la guerre contre les Romains et soumit la province de l'Asie (Sylla était alors en difficultés en Grèce), il pensa qu'il ne garderait pas la province longtemps, et c'est pourquoi il la pilla de toutes les sortes de manières, comme je l'ai mentionné plus haut, et envoya des pirates en mer. Au commencement ils rôdaient aux alentours avec quelques petits navires harcelant les habitants comme des voleurs. Comme la guerre se prolongeait ils devinrent plus nombreux et attaquaient avec de plus gros navires. Savourant leurs grands profits, ils ne renoncèrent pas quand Mithridate fut défait, eut fait la paix et se fut retiré. Comme ils avaient perdu leurs biens et leur pays en raison de la guerre et qu'ils étaient tombés dans un dénuement extrême, ils moissonnèrent la mer au lieu de la terre, au début avec des chaloupes et des hemiolii, puis avec des birèmes et des trirèmes, naviguant en escadrons sous le commandement de chefs de pirates, qui étaient comme des généraux d'une armée. Ils attaquèrent les villes non fortifiées. Ils minaient ou renversaient les murailles des autres, ou les prenaient par siège en règle et les pillaient. Ils enlevaient les citoyens les plus riches pour les amener dans leur repaire et en tiraient rançon. Ils dédaignaient le nom de voleurs et appelaient bénéfices les prises de guerre. Ils faisaient enchaîner des artisans pour leur service et rassemblaient continuellement comme matériaux du bois de construction, du bronze et du fer. Excités par leurs gains et déterminés à ne pas changer encore leur mode de la vie, ils se comparèrent à des rois, à des gouverneurs, et à de grands chefs d'armées, et pensèrent que s'ils arrivaient tout ensemble dans un même endroit ils deviendraient invincibles. Ils construisirent des navires et toutes sortes d'armes. Leur capitale se trouvait dans un endroit appelé les Rochers de Cilicie, qu'ils avaient choisie comme base et comme campement communs. Ils avaient partout des fortins, des tours, des îles désertes et des mouillages. Ils choisirent comme lieu principal de rendez-vous la côte de Cilicie là où elle était rocheuse, inhospitalière et surplombée de crêtes élevées, raison pour laquelle ils se firent tous appeler du nom commun de Ciliciens. Peut-être ce fléau débuta chez les hommes des Rochers de la Cilicie, mais il y avait aussi des Syriens, des Chypriotes, des Pamphyliens, des originaires du Pont et de presque toutes les nations orientales, qui, à cause de la longueur de la guerre contre Mithridate, préférèrent faire le mal plutôt que de le souffrir, et à cette fin choisirent la mer plutôt que la terre. [93] Ainsi en très peu de temps ils comptèrent jusqu'à des dizaines de milliers d'hommes. Ils dominaient alors non seulement les eaux orientales, mais toute la Méditerranée jusqu'aux colonnes d'Hercule. Ils battirent certains préteurs romains dans des combats navals, et entre autres le préteur de la Sicile sur la côte sicilienne elle-même. Aucune mer ne pouvait être empruntée en sécurité, et la terre restait inculte par manque de rapports commerciaux. La ville de Rome ressentit ce mal le plus profondément, ses sujets en étaient affligés et elle-même souffrant gravement de la faim en raison du nombre élevé d'habitants. C'était pour eux une grande et difficile charge de détruire une force si grande, composée de marins, dispersée sur terre et sur mer, si agile à fuir, ne sortant de nulle part, ni d'endroits connus, n'ayant aucune habitation ni rien qui ne leur soit propre, mais seulement ce que le hasard leur faisait prendre. Ainsi la grandeur et la nature sans exemples de cette guerre, qui n'était sujette à aucune loi et qui n'avait rien de réel ni d'évident, causait de la perplexité et de la crainte partout. Murena les attaqua, mais n'accomplit rien de spectaculaire, ni Servilius Isauricus. Et les pirates pleins de mépris envahirent les côtes de l'Italie, autour de Brindes et en Étrurie, capturèrent et emportèrent quelques femmes des familles nobles qui voyageaient, et également deux préteurs avec les insignes mêmes de leur charge. [94] Comme les Romains ne pouvaient plus supporter les dommages et la honte, ils nommèrent par une loi Cnaeus Pompée, qui était alors chez eux l'homme le plus réputé, commandant durant trois ans, avec pouvoir absolu sur toute la mer à partir des colonnes d'Hercule et sur toute la terre sur 400 stades à partir de la côte. Ils envoyèrent des lettres à tous les rois, gouverneurs, peuples et villes, leur enjoignant d'aider Pompée de toutes les façons possibles. Ils lui donnèrent le pouvoir enrôler des troupes et de prendre de l'argent dans les provinces, et ils fournirent une grande armée sur leurs propres fonds, et tous les navires qu'ils possédaient et une somme d'argent de 6000 talents attiques, - si grande et si difficile était, selon eux, la charge de surmonter de si grandes forces, tellement dispersées dans une si vaste mer, se cachant facilement dans tant de recoins, se retirant rapidement et revenant aussi inopinément. Avant Pompée, aucun homme n'avait été désigné par les Romains pour exercer un aussi grand pouvoir. Aussitôt il prit la tête d'une armée de 120.000 fantassins et de 4000 cavaliers, de 270 navires, y compris des hemiolii. Il avait vingt-cinq lieutenants de rang sénatorial, qu'ils appellent légats. Il leur donna une partie de la mer, leur donnant des navires, de la cavalerie et des fantassins, et les investissant du grade des préteurs, pour que chacun ait le pouvoir absolu dans le secteur qui leur était confié, alors que, Pompée, comme un roi des rois, allait de l'un à l'autre pour vérifier qu'ils restaient bien là où ils étaient postés, de peur que, tout en poursuivant les pirates dans un endroit, il ne fassent autre chose avant que leur travail ne soit fini, et pour avoir des forces pour les attaquer partout et pour les empêcher de se réunir les uns avec les autres. [95] Telle fut l'organisation de Pompée ; il mit Tiberius Nero et Manlius Torquatus à la tête de l'Espagne et des colonnes d'Hercule. Il affecta Marcus Pomponius aux eaux gauloises et à la Ligurie. L'Afrique, la Sardaigne, la Corse et les îles voisines furent données à Lentulus Marcellinus et à Publius Atilius, et à la côte de l'Italie elle-même à Lucius Gellius et à Gnaeus Lentulus. La Sicile et l'Adriatique jusque Acarnania furent assignées à Plotius Varus et à Terentius Varro ; le Péloponnèse, l'Attique, l'Eubée, la Thessalie, la Macédoine et la Béotie à Lucius Sisenna ; les îles grecques, toute la mer Égée et l'Hellespont aussi à Lucius Lollius ; la Bithynie, la Thrace, la Propontide et l'embouchure du Pont-Euxin à Publius Piso ; la Lycie, la Pamphylie, Chypre et la Phénicie à Metellus Nepos. Les ordres donnés aux préteurs étaient d'être prêts à attaquer, à se défendre et à rester dans leurs secteurs respectifs, afin chacun puisse arrêter les pirates mis en fuite par d'autres et ne pas s'éloigner de leurs propres secteurs en les poursuivant, ni courir en rond comme dans une course et prolonger inutilement leur travail. Pompée lui-même surveillait le tout. Il inspecta d'abord le secteur occidental, en quarante jours et passant par Rome en rentrant. De là il alla à Brindes et, partant de là, il passa un temps égal à visiter le secteur oriental. Il étonna tout le monde par la rapidité de ses mouvements, l'importance de ses préparatifs et sa réputation formidable, de sorte que les pirates, qui avaient compté l'attaquer d'abord, ou prouver au moins qu'il n'était pas facile de les combattre, prirent aussitôt peur, abandonnèrent leurs attaques sur les villes qu'ils assiégeaient, et s'enfuirent vers leurs citadelles et leurs mouillages accoutumés. Ainsi la mer fut aussitôt dégagée par Pompée et sans combat, et les pirates furent capturés partout par les préteurs dans leur secteur respectif. [96] Pompée lui-même se hâta vers la Cilicie avec des forces de diverses sortes et beaucoup de machines, car il comptait qu'il y aurait besoin de toutes sortes de combat et de siège contre l'escarpement des forteresses ; mais il n'eut besoin de rien. La terreur de son nom et la grandeur de ses préparatifs avaient provoqué la panique chez les pirates. Ils espéraient que s'ils ne résistaient pas ils seraient traités avec clémence. D'abord, ceux qui tenaient Cragos et Anticragos, leurs plus grandes forteresses, se rendirent, et après eux les montagnards de Cilicie, et, finalement tous, les uns après les autres. Ils abandonnèrent en même temps une grande quantité d'armes, certaines terminées, d'autres encore en cours de fabrication ; ainsi que leurs vaisseaux, certains toujours en construction, d'autres déjà à flot ; et aussi le bronze et le fer destinés aux navires, la toile pour les voiles, les cordages et toutes sortes de matériaux ; et finalement une multitude de prisonniers retenus pour une rançon ou enchaînés au travail. Pompée brûla les matériaux, emporta les navires et renvoya les captifs dans leurs pays respectifs. Bon nombre d'entre trouvèrent en rentrant leurs propres cénotaphes, parce que on croyait qu'ils étaient morts. Ces pirates qui en étaient sans doute arrivés à ce mode de vie non par méchanceté, mais à cause de la misère provoquée par la guerre, Pompée les installa à Mallos, Adama et Épiphanie et dans toutes les autres villes inhabitées ou peu peuplées dans les Cilicie Rocheuse. Il envoya certains d'entre eux à Dymé en Achaïe. Ainsi la guerre contre les pirates, qu'on avait crue très difficile, fut terminée par Pompée en quelques jours. Il captura soixante et onze navires, 306 se rendirent, et prit 120 de leurs villes, forteresses et bases de départ. Environ 10.000 des pirates furent massacrés au cours des combats. [97] CHAPITRE XV. Pour cette victoire gagnée tellement vite et inopinément, les Romains félicitèrent Pompée de façon démesurée ; et alors qu'il était toujours en Cilicie ils le nommèrent général de la guerre contre Mithridate, lui donnant les mêmes pouvoirs illimités qu'auparavant : de faire la guerre et la paix comme il le voulait et de proclamer amies ou ennemies les nations selon son bon vouloir. Ils lui donnèrent l'instruction de toutes forces au delà des frontières de l'Italie. Aucun général avant lui n'avait jamais obtenu tant de pouvoirs. C'était peut-être la raison pour laquelle on lui donna le titre de Pompée le Grand, parce que la guerre contre Mithridate avait presque été achevée par d'autres généraux avant lui. Il rassembla son armée et marcha sur le territoire de Mithridate. Ce dernier avait sa propre armée composée de 30.000 fantassins et de 3000 cavaliers, postée à sa frontière ; mais comme Lucullus avait récemment dévasté la région il avait un approvisionnement en blé limité, et pour cette raison plusieurs de ses hommes l'abandonnèrent. Il fit crucifier les déserteurs qu'il rattrapa ou leur fit crever les yeux ou les fit brûler vifs. Mais comme la crainte du châtiment diminuait le nombre de déserteurs, la famine augmentait. [98] Mithridate envoya une ambassade à Pompée pour lui demander à quelles conditions il pourrait obtenir la paix. Pompée répondit : « en livrant nos déserteurs et en te rendant à ma discrétion. » Quand Mithridate apprit les conditions, il les communiqua aux déserteurs, et comme il observait leur consternation il jura qu'à cause de la cupidité des Romains il ne ferait jamais la paix avec eux, ni leur abandonnerait quiconque, ni ne ferait jamais rien contre l'intérêt commun. Ainsi parla Mithridate. Alors Pompée plaça une force de cavalerie en embuscade, en envoya d'autres pour harceler ouvertement les avant-postes du roi, leur demanda de provoquer l'ennemi et puis de battre en retraite, comme s'ils étaient vaincus. Ils le firent jusqu'à ce que ceux qui étaient en embuscade prissent leurs ennemis à revers et les missent en fuite. Les Romains auraient pu entrer dans le camp de l'ennemi avec les fugitifs si le roi, n'appréhendant ce danger, n'avait pas fait sortir son infanterie. Alors les Romains se retirèrent. Tel fut la conclusion de la première prise d'armes et du premier combat de cavalerie entre Pompée et Mithridate. [99] Le roi, manquant de vivres, battit en retraite à contre-coeur et permit à Pompée d'entrer dans son territoire, comptant qu'il souffrirait également de la pénurie une fois installé dans la région dévastée. Mais Pompée s'était chargé d'avoir ses approvisionnements envoyés de l'arrière. Il contourna par l'est Mithridate, établit une série de fortins et de camps sur une distance de 150 stades, et fit tracer un retranchement pour l'empêcher de se ravitailler facilement. Le roi ne s'y opposa pas, soit qu'il était effrayé soit paralysé moralement, comme cela se produit souvent à l'approche d'une calamité. Manquant de nouveau de vivres, il fit abattre ses bêtes de somme, ne gardant que ses chevaux. Après avoir résisté cinquante jours encore il s'enfuit durant la nuit, dans un silence profond, par de mauvaises routes. Pompée le rattrapa avec difficulté durant la journée et attaqua son garde arrière. Les amis du roi lui demandèrent de se préparer au combat, mais il refusa. Il repoussa simplement les assaillants avec sa cavalerie et se retira au milieu des bois le soir venu. Le jour suivant il prit position dans une place-forte défendue par les rochers, à laquelle on n'avait d'accès que par une route, qui était gardée par quatre cohortes. Les Romains y mirent en face une forte garnison pour empêcher Mithridate de s'échapper. [100] Au lever du jour les deux commandants mirent leurs forces en armes. Les avant-postes commencèrent les escarmouches le long du défilé, et certains des cavaliers du roi, sans leurs chevaux et sans ordres, allèrent à l'aide des avant-postes. Un plus grand nombre de cavaliers romains les attaquèrent, et alors les soldats de Mithridate se précipitèrent vers leur camp pour enfourcher leurs chevaux et pour rivaliser ainsi avec les Romains qui s'avançaient. Quand ceux qui s'armaient toujours sur le terrain plus élevé regardèrent vers le bas et virent leurs propres hommes courir vers eux à toute vitesse en hurlant, mais comme ils n'en savaient pas la raison, elles pensèrent qu'ils avaient été mis en fuite. Ils jetèrent alors leurs armes et se sauvèrent comme si leur propre camp était déjà capturé de l'autre côté. Comme il n'y avait aucune route, ils tombèrent les uns sur les autres au milieu de la confusion, jusqu'à ce que finalement ils sautèrent dans les précipices. Ainsi périt l'armée de Mithridate par l'imprudence de ceux qui causèrent la panique en allant aider l'avant-garde sans en avoir reçu l'ordre. Le reste fut facile pour Pompée : massacrer et capturer les hommes qui n'étaient pas encore armés et enfermés dans un défilé rocheux. Environ 10.000 furent massacrés et le camp avec tout son matériel fut pris. [101] Mithridate s'échappa par les falaises avec uniquement ses écuyers et se sauva. Il tomba sur une troupe de cavaliers mercenaires et sur environ 3000 fantassins qui l'accompagnèrent directement au château de Simorex, où il avait accumulé de grandes sommes d'argent. Il donna des récompenses et le salaire d'une année à ceux qui s'étaient sauvés avec lui. Il prit avec lui 6000 talents et se hâta vers les sources de l'Euphrate, avec l'idée de passer de là en Colchide. Marchant sans interruption, il franchit l'Euphrate le quatrième jour. Trois jours plus tard il réorganisa et arma les forces qui l'avaient accompagné ou l'avaient rejoint, et entra en Arménie Chôtène. Là les Chôtènes et les Ibères essayèrent avec des flèches et des billes de plomb de l'empêcher d'entrer, mais il s'avança et arriva au fleuve Apsaros. Certains pensent que les Ibères d'Asie sont les ancêtres des Ibères d''Europe ; d'autres pensent que c'étaient des émigrés d'Europe ; et d'autres encore pensent qu'ils ont simplement le même nom, car leurs coutumes et leurs langues ne sont pas semblables. Mithridate passa l'hiver à Dioscurias en Colchide ; les habitants de Colchide pensent que cette ville conserve le souvenir du séjour des Dioscures, Castor et Pollux, de l'expédition des Argonautes. Mithridate y faisait des plans énormes, plans qui n'étaient pas appropriés à un fugitif, mais il conçut l'idée de faire le tour du Pont-Euxin, de traverser du Pont jusqu'aux Scythes autour de la mer d'Azov et par là arriver au Bosphore. Il avait l'intention de reprendre le royaume de Macharès, son fils ingrat, et d'attaquer les Romains une fois de plus ; de faire la guerre contre eux depuis l'Europe alors qu'ils étaient en Asie, et de mettre entre eux et lui comme ligne de partage le détroit qu'on nomme le Bosphore parce que Io l'avait traversé à la nage quand elle était changée en vache et fuyait la jalousie d'Héra. [102] Telle était l'entreprise chimérique que Mithridate imaginait. Cependant il pensait qu'il devait l'accomplir. Il traversait les tribus étranges et guerrières des Scythes, tantôt avec leur permission, tantôt par la force, parce que bien que fugitif et dans le malheur il était toujours respecté et craint. Il traversa le pays du Hénioques, qui l'accueillit volontairement. Les Achéens lui résistèrent : il les mit en fuite. Ce sont ces Achéens qui, dit-on, en rentrant du siège de Troie, furent conduits par une tempête vers le Pont-Euxin et subirent de nombreuses vexations aux mains des barbares parce qu'ils étaient des Grecs ; et quand ces Grecs envoyèrent des messagers chez eux pour obtenir des navires et que leur demande fut refusée, ils conçurent une telle haine pour la nation grecque que toutes les fois qu'ils capturaient un Grec, ils l'immolaient, à la façon des Scythes. Au début, dans leur colère, ils les immolaient tous, ensuite seulement les plus beaux et finalement quelques-uns tirés au sort. Voilà pour les Achéens de Scythie. Mithridate atteignit finalement le territoire d'Azov, où se trouvaient beaucoup de princes : tous le reçurent, l'escortèrent et s'échangeaient des présents, à cause de la renommée de ses exploits, son empire et sa puissance, qu'il ne fallait pas toujours dédaigner. Il forma avec eux des alliances en imaginant de nouveaux exploits les plus extravagants : marcher par la Thrace jusqu'en Macédoine, de Macédoine en Pannonie et de traverser les Alpes pour entrer en Italie. Avec les plus puissants de ces princes il faisait des alliances en donnant ses filles en mariage. Quand son fils Macharès apprit qu'il avait fait à un tel voyage en si peu de temps au milieu des tribus sauvages et à travers le défilé appelé "Portes des Scythes", où personne avant lui n'était passé, il lui envoya des ambassadeurs pour se défendre, disant qu'il était obligé de se concilier les Romains. Mais, connaissant le caractère exécrable de son père, il se sauva vers la Chersonèse Taurique, brûlant les navires pour empêcher son père de le poursuivre. Comme ce dernier obtint d'autres navires et les envoya contre lui, il prévint son destin en se tuant. Mithridate fit mettre à mort tous ses propres amis qu'il avait laissés là quand il était parti reprendre son royaume, mais laissa vivants ceux de son fils, car ils avaient agi sous les engagements de l'amitié privée. Voilà la situation de Mithridate. [103] Pompée poursuivit Mithridate dans sa fuite jusqu'en Colchide, mais il pensait que son ennemi n'arriverait jamais au Pont ou à la mer d'Azov, et qu'il n'entreprendrait rien d'important même s'il s'échappait. Il s'avança en Colchide afin de mieux connaître le pays visité par les Argonautes, Castor et Pollux, et Hercule, et il désira voir particulièrement l'endroit où, dit-on, Prométhée fut enchaîné au mont Caucase. Beaucoup de fleuves qui charrient de la poussière d'or invisible coulent du Caucase. Les habitants mettent des peaux de moutons à longues toisons dans le courant et rassemblent ainsi les particules flottantes. Peut-être telle était la toison d'or de AEtes. Toutes tribus voisines accompagnèrent Pompée dans son expédition d'exploration. Seule Orœses roi des Albaniens et Artoces roi des Ibériens placèrent 70.000 hommes en embuscade sur le fleuve Cyrtos, qui se jette dans la mer caspienne par douze bouches navigables, recevant les eaux de plusieurs grands affluents, dont le plus grand est l'Araxe. Pompée, soupçonnant qu'on voulait l'attirer dans une embuscade, fit jeter un pont sur le fleuve et repoussa les barbares dans une forêt dense. Ces barbares sont des combattants habiles dans les forêts, se cachant dans les bois et y sortant inopinément. Pompée encercla cette forêt avec son armée, y mit le feu et poursuivit les fugitifs épuisés jusqu'à ce qu'ils se rendent et lui donnent des otages et des cadeaux. Pompée reçut un de ses triomphes à Rome pour ces exploits. Parmi les otages et les prisonniers on trouva beaucoup de femmes, qui avaient des blessures aussi graves que les hommes. On crut que c'était des Amazones, mais on ne sait pas si les Amazones sont une nation voisine, qui fut appelée à leur aide à ce moment-là ou si certaines femmes guerrières sont appelées Amazones par les barbares de cette contrée. [104] A son retour Pompée marcha contre l'Arménie, reprochant à Tigrane d'être la cause de la guerre parce qu'il avait aidé Mithridate. Il n'était alors pas loin de la résidence royale d'Artaxata. Tigrane résolut de ne plus combattre. Il avait trois fils de la fille de Mithridate, deux qu'il avait tué lui-même, - un dans une bataille, où le fils luttait contre son père, et l'autre dans une partie de chasse parce qu'il avait négligé d'aider son père qui était tombé de cheval, et avait mis le diadème sur sa propre tête alors que le père se trouvait à terre -. Le troisième, dont le nom était Tigrane, semblait avoir été beaucoup affligé par l'accident de chasse de son père et avait reçu de celui-ci une couronne, mais, néanmoins, il l'abandonna aussi peu de temps après, fit la guerre contre lui, fut battu et se réfugia chez Phraate, roi des Parthes, qui venait récemment de succéder à son père Sintricos, à la tête de ce pays. Alors que Pompée approchait, ce jeune Tigrane, après avoir parlé de ses intentions à Phraate et reçu son approbation (Phraate désirait aussi l'amitié de Pompée), se réfugia chez Pompée comme suppliant ; et cela malgré qu'il fût un petit-fils de Mithridate. La réputation de Pompée parmi les barbares pour sa justice et sa bonne foi était grande. Tigrane le père, lui faisant confiance, vint à Pompée sans le prévenir pour s'en remettre à la décision de celui-ci et pour porter plainte contre son fils. Pompée ordonna aux tribuns et aux préfets de cavalerie d'aller à sa rencontre sur la route, comme acte de courtoisie, mais ceux qui accompagnaient Tigrane craignaient d'avancer sans la protection d'un héraut et se sauvèrent. Tigrane continua à s'avancer quand même et se prosterna devant Pompée comme devant un supérieur, à la façon barbare. Il y en a qui disent qu'il fut amené par des licteurs envoyés par Pompée. Quoiqu'il en soit, il vint s'expliquer sur le passé et donna à Pompée 6000 talents pour lui-même, et pour l'armée cinquante drachmes à chaque soldat, 1000 à chaque centurion, et 10.000 à chaque tribun. [105] Pompée lui pardonna le passé, le réconcilia avec son fils et décida que ce dernier gouvernerait la Sophène et la Gordyène (qu'on appelle maintenant la Petite Arménie), et le père le reste de l'Arménie, et qu'à sa mort le fils hériterait de son père. Il ordonna à Tigrane d'abandonner immédiatement les territoires qu'il avait gagnés lors de la guerre. En conséquence il abandonna la totalité de la Syrie de l'Euphrate à la mer ; il occupait en effet celle-ci et une partie de la Cilicie qu'il avait prise à Antiochus surnommé Pius. Les Arméniens qui avaient abandonné Tigrane en cours de route, alors qu'il se rendait à Pompée, parce qu'ils avaient peur, persuadèrent son fils, qui était toujours avec Pompée, d'attenter à la vie de son père. Pompée le fit arrêter et le mit dans les chaînes. Comme il essayait toujours d'exciter les Parthes contre Pompée, il fut emmené dans le dernier triomphe et mis à la mort ensuite. Et maintenant Pompée, pensant que la guerre était terminée, fonda une ville à l'endroit où il avait vaincu Mithridate, qu'il appela Nicopolis (la ville de la victoire) et qui se situe en Petite Arménie. À Ariobarzane il rendit le royaume de Cappadoce et en plus la Sophène et la Gordyène, qu'il avait accordées au fils de Tigrane et qui sont maintenant administrés comme des parties de la Cappadoce. Il lui donna également la ville de Castabala et certaines autres de Cilicie. Ariobarzane confia tout son royaume à son fils alors qu'il vivait encore. Beaucoup de changements eurent lieu jusqu'à la période de César Auguste, sous lequel ce royaume, comme beaucoup d'autres, devint une province romaine. [106] CHAPITRE XVI. Pompée franchit alors le mont Tauros et fit la guerre contre Antiochos, roi de Commagène, jusqu'à ce que ce dernier conclût un traité d'amitié avec lui. Il lutta également contre le Mède Darius et le mit en fuite, soit pour avoir aidé Antiochos, soit auparavant Tigrane. Il fit la guerre aux Arabes Nabatéens, dont le roi était Arétas, et contre les juifs (dont le roi Aristobule s'était révolté), jusqu'à ce qu'il ait pris leur ville la plus sainte, Jérusalem. Il envahit et soumit à la domination romaine sans combattre ces parties de la Cilicie qui n'étaient pas encore sujettes, et le reste de la Syrie qui se trouve le long de l'Euphrate, et le pays qu'on appelle Cœle-Syrie (Syrie creuse), la Phénicie et la Palestine, ainsi que l'Idumée, le pays des Ituréens et les autres régions de la Syrie qui portent un nom ; il ne reçut aucune plainte contre Antiochos, le fils d'Antiochos Pius, qui était présent et qui demanda son royaume ancestral, mais parce qu'il pensait que puisqu'il (Pompée) avait dépossédé Tigrane, le vainqueur d'Antiochos, ce territoire appartenait aux Romains par les lois de la guerre. Tandis qu'il faisait ces arrangements, des ambassadeurs vinrent chez lui de la part de Phraate et de Tigrane, qui se faisaient la guerre mutuellement. Ceux de Tigrane demandèrent l'aide de Pompée en tant qu'allié, alors que ceux des Parthes cherchaient à conclure un traité avec les Romains. Comme Pompée jugeait qu'il ne pouvait pas combattre les Parthes sans décret du sénat, il envoya des médiateurs pour régler leurs problèmes. [107] Tandis que Pompée était occupé à ces affaires, Mithridate avait fait son tout du Pont-Euxin et s'était emparé de Panticapée, une ville commerciale européenne à l'embouchure de cette mer. Là sur le Bosphore il fit mettre à mort Xipharès, un de ses fils, à cause d'une faute commise par sa mère. Mithridate avait une forteresse où, secrètement dans un cachette souterraine, il avait caché beaucoup de richesses dans des tonneaux de bronze cerclés de fer. Stratonice, une des concubines ou des épouses du roi, était responsable de cette forteresse, et alors qu'il faisait toujours son périple autour du Pont-Euxin, elle la livra à Pompée et lui indiqua où se trouvaient les trésors secrets, à condition que Pompée épargne son fils Xipharès, s'il le prenait. Pompée prit l'argent, promit qu'il épargnerait Xipharès, et permit à Stratonice d'emporter ses propres biens. Quand Mithridate apprit cela, il fit tuer Xipharès sur les rives du détroit, sous les yeux de sa mère qui regardait du rivage opposé, et fit jeter son corps sans sépulture, assouvissant par cela son dépit sur son fils afin de punir la mère qui l'avait offensé. Et alors il envoya des ambassadeurs à Pompée, qui était toujours en Syrie et qui ne savait pas que le roi était à cet endroit. Ils promirent que le roi rendrait hommage aux Romains s'ils lui laissaient son royaume ancestral. Comme Pompée exigeait que Mithridate vienne le trouver en personne et faire sa demande comme Tigrane l'avait fait, il répondit que tant qu'il serait Mithridate il n'y consentirait jamais, mais qu'il enverrait quelques-uns de ses fils et de ses amis pour le faire. Alors qu'il disait ces choses, il enrôlait une armée d'hommes libres et d'esclaves, faisait fabriquer des armes, des projectiles et des machines, s'approvisionnant en bois de construction, et tuant les boeufs de labour pour leurs tendons. Il prélevait des tributs sur tous, même ceux dont les moyens étaient les plus faibles. Ses agents firent beaucoup d'exactions, sans qu'il ne fût au courant, parce que il attrapa des ulcères sur le visage et ne permettait que la venue de trois eunuques, qui le guérirent. [108] Quand il fut guéri, son armée était rassemblée (elle se composait de soixante cohortes d'élite de 6000 hommes chacune et d'une grande multitude d'autres troupes, sans compter les navires et les forteresses qui avaient été prises par ses généraux durant sa maladie) ; il envoya une partie de celle-ci à travers le détroit à Phanagoria, un autre dans un endroit commercial à l'embouchure du Pont, afin de s'emparer du passage de chaque côté pendant que Pompée était toujours en Syrie. Castor de Phanagoria, qui avait été par le passé torturé par Trypho, l'eunuque du roi, attaqua ce dernier alors qu'il entrait en ville, le tua et appela les citoyens à se révolter. Bien que la citadelle fût déjà tenue par Artapherne et d'autres fils de Mithridate, les habitants empilèrent du bois autour de celle-ci et y mirent le feu, si bien que Artapherne, Darius, Xerxès et Oxathrès, fils de Mithridate et Eupatra, une de ses filles, craignant d'être brûlés vifs, se rendirent et furent emmenés en captivité. Parmi ces enfants seul Artapherne avait quarante ans ; les autres étaient de jeunes enfants. Cléopâtre, une autre de ses filles résista. Son père, admirant son esprit courageux, lui envoya un certain nombre de birèmes et la sauva. Toutes les forteresses voisines qui avaient été récemment occupées par Mithridate se révoltèrent alors pour imiter les Phanagoréens, à savoir, Chersonesos, Theodosia, Nymphaeum et d'autres autour du Pont-Euxin qui étaient des positions stratégiques. Mithridate, observant ces défections fréquentes, et ayant des soupçons sur l'armée elle-même, craignant qu'elle ne se mutine parce qu'elle avait été enrôlée de force et que les impôts étaient très lourds, et parce que les soldats manquent toujours de confiance envers des chefs malheureux, envoya certaines de ses filles sous la responsabilité d'eunuques pour qu'elles se marient à des princes scythes, leur demandant en même temps de lui envoyer des renforts aussi rapidement que possible. Cinq cents soldats de sa propre armée les accompagnaient. Peu après avoir quitté Mithridate ils tuèrent les eunuques qui les menaient (ils avaient toujours détesté ces personnes, qui étaient toutes puissantes auprès de Mithridate) et conduisirent les jeunes filles à Pompée. [109] Bien que privé de tant d'enfants, de forteresses, de son royaume entier, nullement prêt pour la guerre, et bien qu'il ne pouvait attendre aucune aide des Scythes, il pensait à des choses qui n'avaient rien à voir avec sa situation actuelle et qui ne correspondaient pas aux malheurs présents. Il projetait de se diriger vers la Gaule, dont il cultivait l'amitié depuis longtemps à cette fin, et avec eux d'envahir l'Italie, espérant que beaucoup d'Italiens le rejoindraient à cause de leur haine pour les Romains ; il avait entendu dire que telle avait été la politique d'Hannibal lors de sa guerre contre les Romains en Espagne, et que c'était de cette façon qu'il était devenu la terreur des Romains. Il savait que presque toute l'Italie venait de se révolter contre les Romains par haine pour ceux-ci et avait fait la guerre contre eux pendant longtemps, et avait soutenu Spartacus, le gladiateur, contre eux, bien que ce fût un homme ignoble. Avec ces idées, il avait hâte de se rendre en Gaule, mais ses soldats, bien que tentés par l'entreprise très audacieuse, furent découragés surtout par son énormité, et par la distance de l'expédition dans un territoire étranger, contre les hommes qu'ils ne pouvaient même pas surmonter dans leur propre pays. Ils pensaient aussi que Mithridate, dans son désespoir total, voulait finir sa vie d'une manière brillante et royale plutôt que dans l'oisiveté. Aussi ils le toléraient et restaient silencieux, parce que il n'y avait rien de médiocre ni de méprisable chez lui même dans ses malheurs. [110] Alors que la situation était difficile, Pharnace, le fils que Mithridate aimait le plus et qu'il avait souvent désigné comme son successeur, inquiet de l'expédition et pour le royaume (il avait toujours l'espoir d'être pardonné des Romains, mais savait qu'il ne l'aurait jamais si son père envahissait l'Italie), ou poussé par d'autres motifs, conspira contre son père. Les membres de la conspiration furent pris et torturés, mais Ménophane persuada le roi qu'il ne serait pas décent, juste avant de commencer son expédition, de mettre à mort le fils qui jusque là lui était le plus cher. Les gens étaient, dit-il, exposés à de tels revirements en temps de guerre, et quand la paix revenait, tout s'arrangeait. C'est pourquoi Mithridate se laissa persuader de pardonner à son fils, mais ce dernier, craignant la colère de son père, et sachant que l'armée appréciait peu l'expédition, se rendit de nuit chez les déserteurs romains qui campaient tout près du roi, et en exagérant la situation (ils la connaissaient déjà) leur montrant le danger d'attaquer l'Italie, et en leur faisant beaucoup de promesses s'ils refusaient d'y aller, les persuada d'abandonner son père. Après que Pharnace les eut persuadés il envoya des émissaires la même nuit dans les autres camps dans le voisinage et les gagna à sa cause. Tôt le matin ce furent les déserteurs qui les premiers poussèrent un cri, et ceux à côté d'eux le répétèrent, et ainsi de suite. Même les forces navales se mirent à crier, sans que peut-être ils aient été mis au courant, mais voulant du changement et méprisant les échecs de Mithridate et toujours prêts à s'attacher à un nouvel espoir. D'autres, qui ignoraient la conspiration, estimaient que tous en faisaient partie, et qui si eux seuls n'y participaient pas ils seraient méprisés par la majorité, et ainsi c'est par crainte et par nécessité plutôt que par inclination ils s'associèrent aux cris. Mithridate, réveillé par le bruit, envoya des messagers dehors pour s'enquérir ce que ceux qui criaient voulaient. Ceux-ci ne dissimulèrent pas leurs intentions mais lui dirent : « Nous voulons que ton fils devienne roi ; nous voulons un jeune homme au lieu du vieux qui est gouverné par les eunuques, qui a tué tant de ses fils, de ses généraux et de ses amis. » [111] Quand Mithridate entendit ces paroles il sortit pour discuter avec eux. Une partie de sa propre garde alla alors rejoindre les déserteurs, mais ces derniers refusèrent de les admettre à moins qu'ils ne fassent un geste irréparable comme preuve de leur fidélité et ils montraient en même temps Mithridate. Aussi ils s'empressèrent de tuer son cheval, parce que lui-même s'était déjà sauvé, et en même temps ils saluèrent Pharnace comme leur roi, comme si les rebelles étaient déjà victorieux, et l'un d'entre eux apporta une large feuille de papyrus d'un temple et le couronna de celle-ci au lieu du diadème. Le roi vit tout cela d'un haut d'un portique et il envoya messager sur messager à Pharnace demandant la permission de partir en toute sécurité. Comme aucun de ses messagers ne revenait, craignant d'être livré aux Romains, il remercia ses gardes du corps et les amis qui étaient resté fidèles et les envoya chez le nouveau roi, mais l'armée en tua certains d'entre eux sans aucune raison pendant qu'ils s'approchaient. Mithridate alors sortit le poison qu'il portait toujours à côté de son épée et le mélangea. Alors deux de ses filles, qui étaient encore vierges, qui avaient grandi ensembles, du nom de Mithridatis et Nyssa, qui avaient été promises aux rois d'Égypte et de Chypre, lui demandèrent de leur laisser une partie du poison; d'abord, elles insistèrent avec énergie et l'empêchèrent de le boire jusqu'au moment où elles en eurent et l'avalèrent. La drogue agit immédiatement sur elles ; mais sur Mithridate, bien qu'il marchât rapidement pour accélérer ses effets, elle n'eut aucun effet, parce qu'il s'était accoutumé à d'autres drogues en les essayant sans arrêt comme moyen de protection contre les empoisonnements. On appelle toujours ces drogues "les drogues de Mithridate". Voyant un certain Bituitos, un chef gaulois, il lui dit. « J''ai souvent profité de ton bras droit contre mes ennemis. J'en profiterai encore plus si tu me tues, et si tu me soustrais au danger d'être emmené dans un triomphe romain, moi qui fus un autocrate durant tant d'années, et le roi d'un si grand royaume, mais qui ne peux pas mourir maintenant par le poison parce que, comme un imbécile, je me suis immunisé contre d'autres poisons. Bien que j'aie prévu de m'immuniser contre tous poisons qu'on mélange dans la nourriture, je ne me suis pas immunisé contre ce poison domestique, toujours le plus dangereux pour les rois, à savoir la trahison de son armée, de ses enfants et de ses amis. » Bituitus, pris de pitié, rendit au roi le service qu'il demandait. [112] Ainsi mourut Mithridate, le seizième descendant de Darius, fils d'Hystaspe, roi des Perses, et le huitième de ce Mithridate qui se révolta contre les Macédoniens et acquit le royaume du Pont. Il vécut 68 ans ou 69, et régna 57 ans, parce que le royaume lui revint alors qu'il était orphelin. Il soumit les barbares voisins et beaucoup de Scythes, fit une guerre formidable contre les Romains pendant 44 ans, pendant lesquelles il conquit plusieurs fois la Bithynie et la Cappadoce, sans compter les incursions qu'il fit dans la province romaine d'Asie, en Phrygie, en Paphlagonie, en Galatie et en Macédoine. Il envahit la Grèce, où il accomplit de nombreux exploits remarquables, et occupa la mer de la Cilicie à l'Adriatique jusqu'à ce que Sylla le confina de nouveau dans son royaume héréditaire après avoir massacré 160.000 de ses soldats. Malgré ces grandes pertes il reprit la guerre sans difficulté. Il combattit contre les plus grands généraux de son temps. Il fut vaincu par Sylla, Lucullus et Pompée, bien que plusieurs fois il eut l'avantage. Il fit prisonnier Lucius Cassius, Quintus Oppius et Manius Aquilius et les promena partout avec lui. Il tua ce dernier parce qu'il était la cause de la guerre. Il rendit les autres à Sylla. Il défit Fimbria, Murena, le consul Cotta, Fabius et Triarius. Il fut toujours intrépide et indomptable même dans les malheurs. Et même vaincu il ne laissa passer aucune occasion d'attaquer les Romains. Il fit alliance avec les Samnites et le Gaulois; il envoya des ambassades à Sertorius en Espagne. Il fut souvent blessé par des ennemis et des conspirateurs, mais il ne renonça jamais à ses projets, même dans sa vieillesse. Aucune conspiration n'échappa à sa vigilance, même pas la dernière, mais il l'a laissé s'étendre volontairement et périt en pleine connaissance de cause - si ingrate est la méchanceté ce celui qui a été une fois pardonné. Il était sanguinaire et cruel envers tous - il tua sa mère, son frère, trois fils et trois filles. Il était de haute taille, comme les armes, qu'il envoya à Némée et à Delphes, le montrent, et jusqu'au bout il resta si fort qu'il montait à cheval, lançait le javelot et pouvait parcourir 1000 stades en un jour, en changeant de chevaux de distance en distance. Il avait l'habitude de conduire un char avec seize chevaux à la fois. Il cultiva les études grecques, et ainsi connaissait le culte religieux de la Grèce, et était fanatique de musique. Il était sobre et endurant dans beaucoup de domaines, et se laissait aller seulement aux plaisirs des femmes. [113] Tel fut la fin de Mithridate, qui portait les noms de famille d'Eupator et de Dionysos. Quand les Romains entendirent la nouvelle de sa mort ils organisèrent une fête parce qu'ils étaient délivrés d'un ennemi intraitable. Pharnace envoya le cadavre de son père à Pompée à Sinope dans une trirème, ainsi que les personnes qui avaient capturé Manius, et beaucoup d'otages, grecs et barbares, et demanda qu'il lui permette soit de régner sur son royaume paternel, soit sur le seul Bosphore, que son frère Macharès avait reçu de Mithridate. Pompée pourvut aux dépenses de l'enterrement de Mithridate et ordonna à ses serviteurs de faire un enterrement royal de ses restes et de les placer dans les tombeaux des rois à Sinope, parce qu'il admirait ses grands exploits et le considérait le premier des rois de son temps. Pharnace, pour avoir délivré l'Italie de beaucoup d'ennuis, fut inscrit comme ami et allié des Romains, et reçut le Bosphore comme royaume, sauf Phanagoria, dont les habitants furent déclarés libres et indépendants parce qu'ils furent les premiers à résister à Mithridate quand il se refaisait ses forces, rassemblait des navires, créait une nouvelle armée et des bases militaires, et parce qu'ils avaient poussé d'autres à se révolter et avaient été la cause de son effondrement final. [114] CHAPITRE XVII. Pompée avait nettoyé les repaires des voleurs et abattu le plus grand roi vivant dans une seule et même guerre, et avait remporté des batailles, sans compter celle de la guerre pontique, contre la Colchide, les Albanais, les Ibères, les Arméniens, les Mèdes, les Arabes, les Juifs et d'autres nations orientales, prolongea l'empire romain jusqu'en Égypte. Mais il ne pénétra pas en l'Égypte, bien que le roi de ce pays l'ait invité à réprimer une sédition, et lui ait envoyé des vaisseaux, de l'argent et de l'habillement pour son armée entière. Il craignait la grandeur de ce royaume encore prospère, ou souhaitait se garder de la jalousie de ses ennemis, ou à cause des avertissements des oracles, ou pour d'autres raisons que je donnerai dans mon histoire égyptienne. Il laissa certaines des nations subjuguées en liberté et en fit des alliés. Il en plaça d'autres directement sous l'autorité romaine, et il en distribua d'autres à des rois - à Tigrane, l'Arménie ; à Pharnace, le Bosphore ; à Ariobarzane, la Cappadoce et les autres provinces mentionnées. À Antiochos de Commagène il rendit Séleucie et les parties de Mésopotamie qu'il avait conquises. Il fit de Dejotarus et d'autres "tétrarques" des Gallo-Grecs, (ce sont maintenant les Galates limitrophes de la Cappadoce). Il fit d'Attale prince de Paphlagonie et Aristarque prince de Colchide. Il nomma également Archelaos prêtre de la déesse adorée à Comana, qui est une prérogative royale. Castor de Phanagoria fut proclamé ami du peuple romain. Beaucoup de territoires et d'argent furent accordés à d'autres. [115] Il fonda également des villes, en Petite Arménie Nicopolis, en mémoire de sa victoire ; dans le Pont Eupatoria, que Mithridate Eupator avait construite et appelée d'après son nom, mais détruite parce qu'elle avait reçu les Romains. Pompée la fit reconstruire et l'appela Magnopolis. En Cappadoce il reconstruisit Mazaca, qui avait été complètement ruinée par la guerre. Il reconstruisit d'autres villes en beaucoup d'endroits, villes qui avaient été détruites ou endommagées, dans le Pont, en Palestine, en Cœle-Syrie et en Cilice, dans lesquelles il plaça la plupart des pirates, et où la ville autrefois appelée Soli est maintenant connue sous le nom de Pompeiopolis. La ville de Talauri où Mithridate entreposait ses meubles. Là on trouva 2000 coupes en onyx incrustées d'or, beaucoup de phiales, des rafraîchisseurs de vin et des rhytons, ainsi que des divans et des chaises ornementales, des freins pour des chevaux et des caparaçons pour leur poitrail et leurs épaules, tout cela ornementé de la même manière de pierres précieuses et d'or. La grandeur de ce magasin était telle que l'inventaire dura trente jours. Certaines de ces choses étaient des héritages de Darius, fils d'Hystaspe ; d'autres venaient du royaume des Ptolémées, déposées par Cléopâtre dans l'île de Cos et données par les habitants à Mithridate ; d'autres avaient été fabriquées ou encore rassemblées par Mithridate lui-même, car il était amoureux des belles choses tant en mobilier qu'en d'autres choses. [116] À la fin de l'hiver, Pompée distribua les récompenses ; 1500 drachmes attiques à chaque soldat et pour leurs chefs en proportion, le tout, dit-on, s'élevant à 16.000 talents. Alors il se dirigea vers Éphèse, s'embarqua pour l'Italie et se hâta vers Rome, ayant renvoyé chez eux ses soldats à Brindes, ce qui augmenta considérablement sa popularité chez les Romains. Alors qu'il approchait de la ville, on arrivait à sa rencontre par cortèges successifs, d'abord des jeunes, le plus loin de la ville, puis des hommes de différents âges arrivaient suivant l'allure de leur marche ; en dernier lieu arriva le sénat, qui applaudissait ses exploits, parce que personne auparavant n'avait vaincu un tel ennemi, et en même temps n'avait amené tant de grandes nations sous le joug et prolongé l'empire romain jusqu'à l'Euphrate. On lui attribua un triomphe plus brillant que tout ce qui ne s'était jamais fait, alors qu'il n'avait que 34 ans. Il dura deux jours successifs, et beaucoup de nations étaient représentées dans le cortège : le Pont, l'Arménie, la Cappadoce, la Cilice, tous les peuples de la Syrie, sans compter des Albanais, des Heniocques, des Achéens, des Scythes et des Ibères orientaux. Sept cents navires complets furent introduits dans le port. Dans le cortège triomphal il y avait les chariots et des litières remplies d'or ou d'autres ornements de diverses sortes, ainsi que le divan de Darius, fils d'Hystaspe, le trône et le sceptre de Mithridate Eupator lui-même, et sa statue, haute de huit coudées, en or massif, et 75.100.000 drachmes en pièces d'argent. Le nombre de chariots portant des armes était infini, ainsi que les rostres des navires. Après cela venait la multitude de captifs et de pirates, aucun d'eux n'était enchaîné, mais tous étaient vêtus dans des leurs costumes indigènes. [117] Devant Pompée lui-même se trouvaient les satrapes, les fils et les généraux des rois contre qu'il avait combattus (certains avaient été capturés et d'autres donnés en otages) au nombre de 324. Parmi eux étaient Tigrane, fils de Tigrane, et cinq fils de Mithridate : Artapherne, Cyrus, Oxathres, Darius, et Xerxès, et aussi ses filles, Orsabaris et Eupatra. Olthacès, chef de la Cholcide faisaient partie également du cortège, et Aristobule, roi des juifs, les tyrans de Cilicie et les gouverneurs féminins des Scythes, trois chefs ibères, deux albanais, et Ménandre de Laodicée, qui avait été chef de cavalerie de Mithridate On portait dedans le cortège les images de ceux qui n'étaient pas présents, celles de Tigrane et de Mithridate, les représentant au combat, vaincus et se sauvant. Même le siège de Mithridate et sa fuite silencieuse de nuit étaient représentés. Enfin on montrait comment il était, et la description de ses filles qui étaient mortes avec lui, et il y avait aussi la représentation des fils et des filles qui étaient mortes avant lui, et des statues de dieux barbares vêtus à la mode de leurs pays. Un écriteau aussi portant cette inscription : « Bateaux avec rostres de bronze pris : 800 ; villes fondées en Cappadoce : 8 ; en Cilicie et en Cœle-Syrie : 20 ; en Palestine celle qui est aujourd'hui Seleucis. Les rois vaincus : Tigrane l'Arménien, Artocès l'Ibérien, Orœzes l'Albanais, Darius le Mède, Aretas le Nabatéen, Antiochos de Commagène. » Voilà l'inventaire de l'inscription. Pompée lui-même était monté sur un char incrusté de pierres précieuses, portant, dit-on, un manteau d'Alexandre le Grand, si l'on peut croire la chose. Celui-ci, dit-on, avait été trouvé au milieu des biens de Mithridate que les habitants de Cos avaient reçus de Cléopâtre. Son char était suivi des généraux qui avaient fait campagne avec lui, quelques-uns à cheval et d'autres à pied. Quand il arriva au Capitole, il ne fit pas mettre à mort les prisonniers, comme c'était la coutume lors d'autres triomphes, mais les renvoya tous chez eux aux frais de l'État, sauf les rois. Parmi ceux-ci Aristobule fut le seul à être exécuté et Tigrane un peu plus tard. Tel fut le triomphe de Pompée. [118] Ainsi les Romains battirent le roi Mithridate après 42 années de lutte, soumirent la Bithynie, la Cappadoce et d'autres peuples voisins vivant près du Pont-Euxin. Dans cette même guerre qui partie de Cilicie qui n'était pas encore soumise, ainsi que des pays syriens, gagna la Phénicie, la Cœle-Syrie, la Palestine et le territoire qui se trouvait entre elles et le fleuve Euphrate, bien qu'ils n'appartinssent pas à Mithridate, par l'effet de la victoire remportée sur lui ils furent obligés de payer l'impôt, soit immédiatement soit plus tard. La Paphlagonie, la Galatie, la Phrygie et la partie de la Mysie qui touche la Phrygie, et en outre la Lydie, la Carie, l'Ionie et tout reste de l'Asie mineure appartenant autrefois à Pergame, ainsi que la vieille Grèce et la Macédoine, à qui Mithridate avait fait faire sécession, furent complètement récupérés. Plusieurs de ces peuples, qui avant ne leur rendaient pas hommage, étaient maintenant soumis à Rome. Pour ces raisons je pense qu'ils ont considéré que c'était une grande guerre et appelèrent la victoire qui la termina "la grande victoire" et donnèrent le titre de "Grand" à Pompée qui la gagna pour eux (c'est le nom qu'on lui donne encore maintenant) à cause du grand nombre de nations reprises ou ajoutées à leur empire, la durée (quarante ans) de la guerre, et le courage et la résistance que Mithridate avait fait preuve dans toutes les circonstances. [119] Mithridate souvent eut plus de 400 navires en propre, 50.0000 cavaliers, et 250.000 fantassins, avec des machines et des armes en proportion. Comme alliés il eut le roi d'Arménie et les princes des tribus scythes autour du Pont-Euxin et de la mer d'Azov et de là jusqu'aux Thraces du Bosphore. Il eut des rapports avec les chefs des guerres civiles romaines, qui faisaient rage alors, et avec ceux qui s'étaient révoltés en Espagne. Il établit des relations amicales avec les Gaulois pour envahir l'Italie. De la Cilicie jusqu'aux colonnes d'Hercule il remplit la mer de pirates, qui empêchèrent tout commerce et toute navigation entre les villes et causèrent pendant longtemps une énorme famine. En bref, il n'y eut rien chez cet homme qu'il ne fît ou qu'il n'essayât de faire pour entreprendre le plus grand bouleversement possible, s'étendant de l'Orient à l'Occident, pour renverser, pour ainsi dire, le monde entier, soit en lui faisant la guerre, soit en faisant des alliances, soit en le harcelant par des pirates, soit en le troublant par le voisinage de la guerre. Telle fut la diversité de cette guerre, mais elle finit par rapporter les plus grands gains aux Romains, parce qu'ils repoussèrent les frontières de leur empire du lever du soleil jusqu'au fleuve Euphrate. Il est impossible de séparer tous ces exploits par nations, puisqu'ils furent accomplis en même temps et furent imbriqués les uns dans les autres. Ceux qui pouvaient être séparés, je les ai mis chacun à leur place. [120] Pharnace assiégea les Phanagoréens et les villes voisines du Bosphore jusqu'à ce que les Phanagoréens fussent obligés par la faim de sortir et de combattre, et il les battit ; pourtant il ne leur fit aucun mal, mais fit un traité d'amitié avec eux, prit des otages et se retira. Peu après il prit Sinope et eut l'idée de prendre aussi Amisos, raison pour laquelle il fit la guerre contre Calvinus, le général romain, au moment où Pompée et César marchaient l'un contre l'autre, jusqu'au moment où Asander, un de ses propres ennemis, le chassa de l'Asie, alors que le Romains étaient encore trop préoccupés pour le faire. Après il combattit César lui-même (quand ce dernier eut renversé Pompée et fut rentré d'Égypte), près du mont Scotios, où son père avait battu les Romains commandés par Triarius. Il fut battu et se sauva à Sinope avec 100 cavaliers. César était trop occupé pour le poursuivre, mais Domitius fut envoyé contre lui. Il rendit Sinope à Domitius, qui décida de le laisser partir avec sa cavalerie. Il tua ses chevaux, bien que ses hommes en furent fort marris, puis s'embarqua et se sauva vers le Bosphore. Là il rassembla une troupes de Scythes et de Sarmates et prit Theodosia et Panticapée. Son ennemi, Asander, l'attaqua de nouveau, et ses hommes furent battus parce qu'ils n'avaient plus de chevaux et parce qu'ils n'étaient pas accoutumés à combattre comme fantassins. Seul Pharnace combattit vaillamment jusqu'à ce qu'il mourût de ses blessures, âgé alors de cinquante ans et ayant été roi du Bosphore pendant quinze ans. [121] C'est ainsi que Pharnace perdit son royaume et César le donna à Mithridate de Pergame, qui lui avait rendu de grands services en Égypte. Mais les habitants du Bosphore ont maintenant leur propre gouvernement et un préteur est envoyé tous les ans par le sénat pour gouverner le Pont et la Bithynie. Bien que César ait été offensé par les autres gouverneurs qui avaient obtenu leurs charges en cadeaux de Pompée, pour l'avoir soutenu contre lui, néanmoins il les confirma dans leurs charges, sauf le sacerdoce de Comana qu'il enleva à Archelaos et le donna à Lycomède. Peu après, tous ces territoires et ceux que Caius César ou Marc Antoine avaient donnés à d'autres, devinrent des provinces romaines sous César Auguste, après la prise de l'Égypte, puisque les Romains n'avaient besoin que du plus léger prétexte de le faire dans chaque cas. Ainsi, comme leur empire s'était étendu grâce à la guerre contre Mithridate, de l'Espagne et des colonnes d'Hercule jusqu'au Pont-Euxin et jusqu'aux sables qui bordent l'Égypte et jusqu'au fleuve Euphrate, il était normal que cette victoire fût appelée "Grande" et que Pompée, qui commandait l'armée, fût surnommé "le Grand". Comme ils possédaient aussi l'Afrique jusqu'à Cyrène (Apion, roi de ce pays, un bâtard de la maison des Lagides, leur avait laissé par testament Cyrène elle-même), l'Égypte seule leur manquait pour être les maîtres de toute la Méditerranée.