[0] LETTRE d’AGOBARD A L’EMPEREUR LOUIS SUR L’INSOLENCE DES JUIFS. [1] « Très-Chrétien et véritablement très-pieux, victorieux dans le Christ et triomphateur Louis, très fortuné Empereur et toujours Auguste, Agobard le plus humble de tous vos serviteurs : Puisque Dieu tout-puissant, qui dans son éternelle prévoyance a préétabli qu’un pieux dirigeant viendrait dans des urgences extrêmes, a élevé votre sagesse et votre zèle pour la religion au-dessus des autres mortels de votre temps, il n’est point de doute qu’il vous ait préparé en remède aux temps périlleux dont parle l’Apôtre : "Dans les derniers jours viendront des temps périlleux, et il y aura des hommes qui s’aimeront eux-mêmes, cupides, hautains, etc. et n’auront de la piété que l’apparence, mais en nieront la vertu ; d’eux il n’y a rien à attendre qui ne soit déjà vu, excepté le déliement des liens de Satan et le piétinement ouvert de la cité sainte (Jérusalem) durant quarante deux mois, lequel se fera par le chef de tous les iniques, l’Antéchrist". Quoiqu’il en soit, je supplie votre tranquille longanimité de prêter une oreille très patiente aux paroles par lesquelles moi le dernier de vos serviteurs estime absolument nécessaire que votre très sainte sollicitude doive être avertie d’une affaire très urgente, la seule ou principale à laquelle votre gouvernance doive remédier avant toute autre ; si j’avais pu en poursuivre la narration en taisant les noms, je l’aurais fait absolument. Mais parce que cela ne peut se faire, je m’en remets à votre bonté et à votre patience, m’exposant à des dangers en vous faisant savoir ce qu’il est funeste de taire. [2] Vos envoyés Gerric et Frédéric sont arrivés, précédés par Erardus, et n’agissant pas, à vrai dire, du tout pour vos affaires, mais bien pour le parti opposé : ils se sont, en effet, montrés terribles envers les chrétiens et doux envers les juifs, surtout à Lyon où ils ont formé le parti de la persécution contre l’Eglise, suscité beaucoup de gémissements, de soupirs et de larmes. La persécution, principalement exercée contre moi, n’a pas à être dénoncée par moi dans sa totalité, à moins peut-être que votre très clémente sollicitude ne veuille en être instruite. Dans la mesure cependant où elle est préjudiciable à l’Eglise, si votre mansuétude le permet, je vais vous en informer brièvement. Des juifs d’abord sont venus, qui m’ont remis une instruction en votre nom, et une autre à celui qui administre la ville de Lyon à la place du comte, lui recommandant de venir en aide aux juifs contre moi. Ces instructions, quoiqu’on en ait fait lecture en votre saint nom, nous ne les croyons aucunement être de vous. Mais les juifs ont commencé à être transportés d’une insolence odieuse, menaçant de nous faire souffrir toutes les vexations par les envoyés qu’ils avaient acquis à leur cause pour se venger des chrétiens. Après eux est venu Erardus, répétant les mêmes choses, et disant que votre majesté avait été fortement indisposée contre moi à cause des juifs. Sont ensuite venus les envoyés en question, ayant en leur main un ordre de réquisition d’impôt et de collectes de sanctions, que nous ne pensons pas, tels qu’ils sont, être de vous. C’est pour ces raisons que les juifs jubilent à l’extrême, que les chrétiens sont attristés. Je veux parler non seulement de ceux qui ont fui ou qui se sont cachés ou bien se sont éloignés, mais aussi de tous les autres chrétiens qui ont vu ou ont entendu ce qui s’est produit : c’est surtout parce que l’opinion des juifs a été à ce point affermie, que ces juifs ont osé prêcher irrévérencieusement aux chrétiens ce qu’il leur est préférable de devoir croire et recevoir, blasphémant devant eux le Seigneur Dieu et notre Sauveur Jésus Christ. [3] Cette perversité est renforcée par les paroles des envoyés qui susurraient aux oreilles de certains que les juifs ne sont pas abominables, comme la plupart des gens le pensent, mais au contraire chers à vos yeux, et par leurs hommes de la faction (des persécuteurs des chrétiens) disant qu’ils étaient meilleurs que les chrétiens. Moi-même, à la vérité, le plus indigne de vos serviteurs n’étais pas à Lyon, à cause des moines de Nantua qui souffraient entre eux d’une certain différend. J’ai néanmoins adressé à nos envoyés précisément de brefs messages dans lesquels je leur disais qu’ils prescrivissent ce qu’ils voudraient, ou ce qu’il leur avait été ordonné, et nous leur obéirions. Mais nous n’avons éprouvé d’eux aucune indulgence ; au point que certains de nos prêtres, qu’ils menaçaient nominalement, n’osaient pas leur révéler leur présence. Voilà ce que nous avons souffert des protecteurs des juifs, pour la seule raison que nous avons prêché aux chrétiens de ne pas leur vendre des esclaves chrétiens, de ne pas permettre aux juifs eux-mêmes de vendre des chrétiens à l’Espagne, ni à ces juifs d’avoir des domestiques à gages, de ne pas permettre aux femmes chrétiennes de célébrer le Sabbat avec eux, de ne pas travailler les jours de Dimanche, de ne pas déjeuner aux jours de la Quadragésime avec eux, et que leurs domestiques mangent de la viande avec eux ces mêmes jours, et qu’un chrétien n’achète pas des viandes sacrifiées et écorchées par les juifs, et les vende à d’autres chrétiens, de ne pas boire leur vin, et d’autres choses de ce genre. C’est en effet l’usage des juifs, quand ils immolent un troupeau pour le manger, que le même troupeau forcé par trois incisions ne soit pas égorgé. Si après l’ouverture des entrailles le foie semble endommagé, si le poumon a un côté attaché, s’il est atteint d’un gonflement, si l’on ne trouve pas de bile, et autres choses de la sorte, ces saletés rejetées par les juifs sont vendues aux chrétiens et sont appelée d’un terme injurieux bêtes chrétiennes. [4] Pour le vin impur et dont ils n’usent pas, sinon pour le vendre aux chrétiens, s’il arrive qu’il coule à terre et un endroit aussi sale qu’il soit possible, ils l’extraient de nouveau, à la hâte, de la terre, et le remettent pour la conservation dans des jarres. Ils font beaucoup de choses comme cela et d’autres qui sont à blâmer, dont non seulement les Chrétiens mais de nombreux Juifs sont témoins. Qu’ils maudissent quotidiennement dans toutes leurs prières sous le nom du Nazaréen Notre Seigneur Jésus-Christ et les chrétiens, non seulement le Bienheureux Jérôme qui a écrit qu’il les connaissait bien de l’intérieur et dans leur peau, est témoin, mais la plupart des Juifs le disent d’eux-mêmes. J’ai, pour résumer la chose aux chrétiens, pris un exemple et parlé de la sorte : Supposez un homme qui aime et soit fidèle à son aïeul ou à son maître, et qu’un homme en quelque manière soit leur ennemi, leur détracteur, leur insulteur, les menace vivement, il ne veut pas être ami de cet homme, ni son convive, ni boire avec lui. Si cela était, cet aïeul ou le maître l’appréhenderait, dans l’opinion qu’il ne leur est pas fidèle. C’est pourquoi, en sachant bien que sans nul doute les Juifs sont des blasphémateurs et, pour ainsi dire, des gens qui médisent du Seigneur Jésus Christ et de ses fidèles chrétiens, nous ne devons pas nous joindre à eux pour la nourriture et les boissons, en nous conformant tout juste à ce qui est donné par les exemples et prescrit par les paroles des saint Pères. Par ailleurs, du fait qu’ils vivent parmi nous, nous ne devons pas être méchants envers eux, ni porter atteinte à leur vie, à leur santé ou à leurs richesses; observons la mesure ordonnée par l’Eglise, qui n’est en aucune façon obscure, mais qui a été exposée de façon évidente ; que ce soit notre devoir d’être pareillement prudents ou humains envers eux. [5] Je vous ai dit, très pieux maître, quelques mots sur la perfidie des juifs, sur notre mise en garde, sur l’attaque de la Chrétienté qui se produit par les protecteurs des juifs, ne sachant si elle peut parvenir à votre connaissance. Il est cependant au plus haut point nécessaire que votre très pieuse sollicitude sache de quelle façon la foi chrétienne est mise en péril chez quelques-uns par les juifs. Ils se vantent, en effet, mentant à de naïfs chrétiens, de ce qu’ils vous sont chers à cause des patriarches, de ce qu’ils apparaissent à votre vue et vous quittent et sortent avec honneur, de ce que les personnes les plus excellentes désirent leurs prières et leurs bénédictions, et ils affirment qu’elles veulent avoir un auteur de la loi, tel qu’eux-mêmes (les juifs) l’ont ; ils disent que vos conseillers sont montés contre nous à cause d’eux, parce que nous défendons aux chrétiens de boire leur vin ; en s’efforçant d’affirmer ceci, ils se vantent d’avoir reçu d’eux (des chrétiens) quantité de livres d’argent pour l’achat de leur vin; et après avoir parcouru les canons (règles), ils affirment ne pas trouver pourquoi les chrétiens doivent s’abstenir de leurs nourritures et boissons ; ils montrent des ordonnances signées de votre nom avec des sceaux d’or, et des termes attenants, qui, comme nous le pensons, ne sont pas véritables ; ils montrent des vêtements de femme, comme s’ils avaient été donnés à leurs épouses par vos parents ou les matrones des palais ; ils font état de la gloire de leurs ancêtres ; il leur est permis, contrairement à la loi, de bâtir de nouvelles synagogues : on en arrive au point que des chrétiens ignorants disent qu’il vaut mieux que leur prêchent les juifs que nos prêtres ; et surtout que les envoyés plus haut mentionnés, pour ne pas leur empêcher la pratique du Sabbat, ont donné des instructions que soient changés les marchés qui se tenaient ordinairement les samedis, jours auxquels ils doivent coutumièrement se rassembler, ils se sont rangés à leur opinion en disant que cela conviendrait aux chrétiens à cause de la vacation dominicale ; cela s’est révélé être plus inutile aux juifs, parce que ceux qui sont à proximité, en faisant les courses le samedi, assistent le dimanche plus librement aux offices et aux prêches ; et ceux qui viennent de loin, à l’occasion du marché assistent aux offices du matin comme à ceux du soir, après la célébration de la messe, et reviennent avec édification chez eux. Et si maintenant il plaît à votre très douce mansuétude de prêter attention, disons ce que les Eglises des Gaules et leurs directeurs, tant rois qu’évêques ont pensé et estimé qu’il fallait penser de la séparation des deux religions, à savoir de celle de l’Eglise et de la juive, et ils ont laissé des écrits à la postérité en conformité avec l’autorité ou les Actes des apôtres, prenant son origine dans l’Ancien Testament. Il en ressort quels détestables ennemis de la vérité ils sont , et combien ils sont pires que tous les incrédules, comme l’enseigne la Divine Ecriture, et combien ils ont une idée plus indigne de Dieu et des choses célestes que tous les infidèles. Toutes ces choses nous les avons discutées avec nos frères et les avons envoyées pour les présenter à votre très haute Excellence. [6] La page précédente venait d’être dictée, quand est survenu un fugitif d’Espagne, de Cordoue, qui disait avoir été volé, encore petit enfant, il y a vingt-quatre ans, par un juif de Lyon, mais qu’il s’était enfui, cette année, avec un autre rescapé pareillement volé par un juif d’Arles. En recherchant et en trouvant ceux qui étaient connus de cet homme, certains nous ont dit que d’aucuns avaient été volés, d’autres véritablement achetés et vendus : qu’on venait de découvrir maintenant que de nombreux chrétiens sont vendus par des chrétiens et procurés par des juifs, que sont perpétrées par eux (les juifs) de nombreuses choses abominables qui sont honteuses à écrire. »