[2,0] LIVRE SECOND. [2,1] CHAPITRE I. De la position de la ville de Bethléem. En commençant ce second livre, nous devons dire quelques mots de la ville de Bethléem, dans laquelle notre Sauveur daigna naître de la sainte Vierge. Cette ville est remarquable, non pas tant par sa grandeur qui est fort médiocre, comme nous l’a dit Arculfe, que par sa renommée qui s'est étendue dans toutes les églises de l’univers. Elle est située sur la croupe de la montagne et entourée de vallées de tous côtés : cette croupe de montagne a environ mille pas de l’occident à l’orient. Sur le plateau supérieur, un petit mur sans tours, construit au sommet du monticule, domine les vallées qui l’entourent, et dans l’intérieur des murs s'étendent au loin les maisons des habitants. [2,2] CHAPITRE II. De l’endroit de la nativité du Christ. A l’extrémité de l’angle oriental de la ville est une demi-grotte naturelle, dont la partie intérieure, la plus reculée, est nommée le berceau de notre Seigneur ; c’est là que sa mère le coucha après sa naissance. La partie qui se trouve à l'entrée, près du berceau, est le lieu même où il naquit. Cette grotte de Bethléem, berceau du Sauveur, a été en son honneur recouverte à l'intérieur d'un marbre précieux. Au-dessus de cette demi-grotte, sur une voûte de pierre, est construite une grande église en l'honneur de Notre-Dame, à l'endroit même où la tradition rapporte que naquit le Seigneur. [2,3] CHAPITRE III. De cette pierre, située hors des murs, sur laquelle on jeta l'eau qui servit à laver notre Seigneur après sa naissance. Il faut aussi dire quelques mots de cette pierre située hors de l'enceinte de la ville, et sur laquelle on jeta du haut du mur l'eau qui servit à laver d'abord le corps du Seigneur. L'eau de ce bain sacré, en tombant du mur sur la pierre placée au-dessous, rencontra comme une cavité naturelle, et depuis le jour où cette cavité a été remplie jusqu'à nous, à travers le cours de beaucoup de siècles, elle est toujours également remplie d'une eau limpide, notre Sauveur faisant ainsi, le jour même de sa naissance, ce miracle célébré par le prophète : « Il fit sortir l'eau de la pierre, » et dont plus tard l'apôtre Paul disait : « Le Christ était la pierre. » Ce fut lui, en effet, qui, dans le désert, fit sortir pour son peuple altéré une eau consolatrice d'un rocher aride, et c'est encore ce même Dieu qui, par sa puissance et sa sagesse, fit sortir de l'eau de la pierre de Bethléem et conserve toujours cette cavité, pleine d'une onde pure. Arculfe l'a vue de ses yeux et s'y est lavé le visage. [2,4] CHAPITRE IV. De l'église où l'on voit le tombeau de David. J'interrogeai aussi notre voyageur sur le sépulcre du roi David, et il me répondit : « J'allais souvent vers le sépulcre où fut enterré le roi David ; il est placé au milieu de l'église, sans aucun ornement qui le distingue, si ce n'est une petite pyramide de pierre et une lampe qui brûle au-dessus. Cette église est hors des murs de la ville, dans une vallée voisine, située à la partie nord du mont Bethléem. [2,5] CHAPITRE V. D’une autre église à l'intérieur de laquelle est le sépulcre de saint Jérôme. Arculfe nous dit encore, quand nous lui parlâmes du sépulcre de saint Jérôme. « J’ai visité le sépulcre de saint Jérôme, sur lequel vous m'interrogez. Il est dans une autre église, hors de la même ville, dans la vallée qui avoisine la partie sud de la montagne. Ce sépulcre de saint Jérôme, fait dans le même genre que celui de David, n'a aucun ornement. » [2,6] CHAPITRE VI. Des tombeaux des trois pasteurs qui, à la naissance du Seigneur, furent entourés d'une clarté céleste. Arculfe nous a aussi dit quelques mots des tombeaux des trois pasteurs qui, la nuit de la naissance du Christ, furent entourés d'une clarté céleste : « J'ai visité les tombeaux de ces trois pasteurs inhumés sous une large pierre, dans une église, à mille pas environ à l'est de Bethléem. Lorsque le Seigneur naquit dans ce lieu, prés du parc de leurs troupeaux, une lumière angélique les entoura, et aujourd'hui, en cet endroit, on a construit une église qui contient les sépulcres de ces trois pasteurs. » [2,7] CHAPITRE VII. Du sépulcre de Rachel. La Genèse rapporte que Rachel fut aussi ensevelie à Effrata, c'est-à-dire dans le pays de Bethléem, et le Livre des lieux (Locorum Liber) rapporte aussi qu'elle fut enterrée dans ce pays près de la route. J’interrogeai Arculfe sur cette route et il me répondit : Il existe une voie royale qui mène de Jérusalem vers le midi à Chébron ; Bethléem est située près de cette voie, à l’orient, à environ six milles de Jérusalem. La sépulture de Rachel est à l’extrémité occidentale de cette voie quand on va à Chébron. Il est d'une construction grossière, sans ornements et couvert seulement d'une pyramide de pierres. On y voit encore aujourd'hui le nom de Rachel tel que le fit inscrire Jacob, son époux. [2,8] CHAPITRE VIII. De Chébron. Chébron (Hébron), appelée aussi Mambré, jadis métropole dès Philistins et demeure des géants, où David régna sept ans, n'est plus maintenant, au rapport d'Arculfe, entourée de murs; elle offre seulement les vestiges de ruines d'une antique cité, et l'on y trouve à peine de viles cabanes, les unes en dedans, les autres en dehors de ces restes de murs, dans la plaine qui les entoure; c'est dans ces cabanes que se retirent les habitants. [2,9] CHAPITRE IX. De la vallée de Mambré. A l'orient de Chébron, on trouve une double caverne en face de Mambré, qu'Abraham acheta d'Effron l'Héthéen pour y construire un double sépulcre. [2,10] CHAPITRE X. Des sépulcres des quatre patriarches. Dans cette vallée (de Mambré), Arculfe visita le lieu des sépulcres d'Arbée (Hébron), c'est-à-dire des quatre patriarches Abraham, Isaac, Jacob et Adam, le premier homme. Leurs pieds, au lieu d'être tournés vers l'orient, comme c'est la coutume dans les autres pays, le sont vers le midi et leurs têtes regardent le nord. Le lieu des sépulcres est entouré d'un petit mur carré. Adam, le premier homme, à qui Dieu son créateur, dit aussitôt, après son péché : « Tu es de terre, et tu iras dans la terre, » est séparé des trois autres. Son corps est placé vers l’extrémité nord de ce mur triangulaire, non pas dans un sépulcre de pierre taillé dans le roc, comme les autres de sa race dans la terre même, et poussière il repose dans la poussière, en attendant la résurrection avec tous ses descendants. C'est ainsi que s'est accomplie la sentence divine prononcée contre lui. Comme notre premier père, les trois autres patriarches sont couverts d'une vile poussière : leurs quatre sépulcres ont seulement de petits dômes arrondis dans une seule pierre, comme ceux d'une basilique, et précisément de la longueur et de la largeur de chaque sépulcre. Les trois sépulcres d'Abraham, d'Isaac, et de Jacob, voisins les uns des autres, sont couverts, comme nous l'avons dit, de dômes faits en pierre dure ; mais, le sépulcre d'Adam a un dôme d'une couleur plus sombre et d'un moindre travail. Arculfe vit aussi là trois dômes plus petits et plus modestes sous lesquels reposent Sara, Rébecca et Lia. Ce champ sépulcral des patriarches est à environ un stade, vers l'orient, de l'antique cité de Chébron. Cette ville fondée, dit-on, non seulement la première de la Palestine, mais encore avant toutes celles de l'Egypte, n'offre plus aujourd'hui que de misérables ruines. Mais en voilà assez sur les sépulcres des patriarches. [2,11] CHAPITRE XI. De la montagne et du chêne de Mambré. La colline de Mambré, située à mille pas vers le nord des sépulcres que nous venons de décrire, est couverte d'herbes et de fleurs et regarde Chébron qui lui est opposée au midi. Sur le plateau supérieur de ce monticule, appelé Mambré, est une plaine vers la partie nord de laquelle est construite une grande église de pierre, et, à droite, entre deux murs de cette grande basilique, s'élève, ô merveille! le chêne de Mambré, nommé aussi le chêne d'Abraham, parce que ce fut sous son ombrage que le patriarche donna autrefois l'hospitalité à des anges. Saint Jérôme raconte que ce chêne subsista depuis le commencement du monde jusqu'à l'empire de Constantin; et il ne dit pas que même alors il n'existait plus, parce qu'en effet s'il n'était plus entier comme auparavant, il en restait cependant encore quelque partie; et encore maintenant, comme nous le dit Arculfe, qui l'a vu de ses propres yeux, il en reste un tronc sans vie protégé par le toit de l’église et qui peut a peine être embrassé par deux hommes. De ce tronc lacéré de tous côtés par les haches on envoie des parcelles dans les divers lieux du globe, à cause de la vénération qu'on a pour ce chêne, en souvenir de l'entretien mémorable que le patriarche Abraham y eut avec les anges. Dans l'enceinte de cette église, construite en cet endroit à cause de la sainteté du lieu, sont les demeures de quelques religieux. Mais laissons là Mambré et avançons. [2,12] CHAPITRE XII. De ce bois de pins d'où l'on transporte à dos de chameau du bois pour le chauffage à Jérusalem. A la sortie de Chébron, dans la plaine située vers le nord, non loin du bord de la route à gauche, est un petit mont couvert de pins, à trois milles de Chébron. De ce bois on transporte à dos de chameau, jusqu'à Jérusalem, des pins pour le chauffage; à dos de chameau, car dans toute la Judée, comme nous l'a dit Arculfe, on ne voit que très peu de chariots ou de charrettes. [2,13] CHAPITRE XIII. De Jéricho. Saint Arculfe a visité l'endroit où fut la ville de Jéricho, détruite par Josué après le passage du Jourdain et la défaite et la mort du roi. Cette ville fut rebâtie par Oza de Béthel, de la tribu d'Éphraïm, et notre Sauveur daigna souvent la visiter. A l'époque où les Romains assiégeaient Jérusalem, elle fut prise et détruite à cause de la perfidie de ses habitants ; on la reconstruisit une troisième fois, et, après un long temps, elle fut de nouveau renversée ; aujourd'hui on en voit encore quelques ruines. Chose étonnante, la maison de Rahab reste seule après ces trois destructions : c'est la femme qui cacha dans son grenier, sous de la paille de lin, les deux envoyés de Jésu-ben-Nun (Josué, fils de Nun). Maintenant les murs de pierre de sa maison sont encore debout sans toit. Sur l'emplacement de la ville on ne voit aucune habitation, aucune maison, et tout est couvert de vignes et de moissons. Entre ces ruines et le fleuve du Jourdain sont des bois de palmiers, et au milieu de petits champs sur lesquels sont construites un nombre presque innombrable de cabanes habitées par la misérable race des Chananéens. [2,14] CHAPITRE XIV. De Galgala. Arculfe a vu une, grande église construite à Galgala, dans ce lieu où les fils d'Israël, après avoir passé le Jourdain, firent leur première station dans la terre de Chanaan. [2,15] CHAPITRE XV. Des douze pierres que les fils d'Israël, après le passage du Jourdain, tirèrent du lit desséché. Dans cette église, saint Arculfe vit les douze pierres dont parla le Seigneur à Josué après le passage du Jourdain : « Choisis douze hommes, un dans chaque tribu, et commande-leur de prendre dans le lit du Jourdain, à l'endroit où posèrent les pieds des prêtres, douze grosses pierres, que vous porterez au lieu où vous fixerez vos tentes cette nuit. » Arculfe, disais-je, les a vues; elles sont encore grossières et non travaillées; il y en a six à droite sur le pavé de l'église, et autant dans la partie nord : deux jeunes gens vigoureux d'aujourd'hui pourraient à peine en soulever une seule. L'une d'elles, par je ne sais quel accident, fut brisée; mais ses deux morceaux ont été réunis par un ouvrier au moyen d'une barre de fer. Galgala, où est fondée cette église, est située dans le territoire de la tribu de Juda, en deçà du Jourdain, à l'est de l'antique Jéricho dont elle est éloignée d'environ cinq milles. Le tabernacle y resta quoique temps, et l'église a été construite au lieu où l'on déposa les douze pierres ; les habitants de ce pays l'ont en grand honneur. [2,16] CHAPITRE XVI. Du lieu où le Seigneur fut baptisé par Jean. Le lieu sacré et vénérable où le Seigneur fut baptisé par Jean est toujours couvert par les eaux du Jourdain ; et comme le raconte Arculfe, qui avait souvent traversé le fleuve de l'une à l'autre rive, on a planté une grande croix de bois dans ce lieu, et l'eau y arrive jusqu'au cou d'un homme de grande taille, ou, dans les temps de grande sécheresse, jusqu'à la poitrine; lorsque les eaux sont grosses la croix tout entière est cachée. Le lieu ouest cette croix, et où notre Seigneur fut baptisé, est en dehors du lit du fleuve; et, de cet endroit, un homme vigoureux peut jeter avec la fronde une pierre sur l'autre rive, du côté de l'Arabie. De cette croix à la terre ferme, on a construit un pont soutenu par des arches; ce pont, fait en pente, sert à descendre jusqu'à la croix, puis à remonter. A l'extrémité du fleuve est une petite église carrée, à l'endroit où l’on garda, dit-on, les vêtements du Seigneur pendant qu'on le baptisait. Cette église, soutenue au-dessus de l'eau par quatre piliers de pierre, est inhabitable parce que l'eau y entre de tous côtés : elle est protégée par un toit et soutenue, comme nous l'avons dit, par des piliers et des arches. Elle est construite dans la partie basse de la vallée, à travers laquelle coule le fleuve du Jourdain; dans la partie haute est un grand monastère édifié sur le plateau de la montagne, en face l'église qu'il domine. Là aussi est une église carrée en pierres, entourée par le mur même du monastère et dédiée à saint Jean-Baptiste. [2,17] CHAPITRE XVII. De la couleur du Jourdain. La couleur du Jourdain, comme nous l'a raconté Arculfe, est pareille à celle d'un lac blanchâtre ; et, lorsqu'il entre dans la mer Morte, on suit facilement sa trace, au moyen de cette couleur, pendant assez longtemps. [2,18] CHAPITRE XVIII. De la mer Morte. Dans les grandes tempêtes, la mer Morte, en brisant ses flots sur le rivage, y dépose une grande quantité de sel ; ce sel se dessèche suffisamment à l'ardeur du soleil, et fournit un grand profit, non seulement aux voisins, mais encore aux nations plus éloignées. Le sel se produit autrement dans la montagne de la Sicile. Les pierres de cette montagne, chassées de la terre, forment un sel naturel que l'on nomme proprement sel terrestre. Il y a donc une différence entre le sel marin et le sel terrestre; d'où le Seigneur dit dans l'Évangile à ses apôtres : « Vous êtes le sel terrestre, etc. » C'est saint Arculfe qui nous a parlé de ce sel terrestre que produit la montagne de la Sicile, parce que, pendant les quelques jours qu'il passa en Sicile, il le vit, le toucha et le goûta, et reconnut que c'était le véritable sel. Il nous en a dit autant du sel de la mer Morte, qu'il éprouva également par ses trois sens. Il parcourut toute la côté de ce lac; dont la longueur est de 580 stades jusqu'à Zaros, en Arabie, et la largeur de 150 stades aux environs de Sodome. [2,19] CHAPITRE XIX. Des sources du Jourdain. Arculfe alla aussi à ce lieu de la province de Phénicie où le Jourdain paraît sortir du pied du Liban, de deux sources voisines; l'une s'appelle Jor, l'autre Dan, et toutes deux en se réunissant prennent le nom de Jourdain. Mais il faut noter que ce n'est pas au mont Panius que le Jourdain prend sa source, mais dans la Trachonitide, à 120 stades de Césarée de Philippe, qui maintenant s'appelle Panias, du mont Panius. Le nom de cette source, qui est dans la Trachonitide, est Fiala; elle est toujours abondante; c'est de là que le Jourdain prend son cours sous terre, jusqu'à ce que, se divisant au mont Panius, il reparaisse en bouillonnant partagé en deux bras nommés, comme nous l'avons dit, Jor et Dan. Ces deux bras, après un petit intervalle, se réunissent en un seul fleuve qui, continuant sa roule, parcourt sans interruption 120 stades jusqu'à la ville appelée Julias. Puis il passe au milieu du lac de Génézar, et enfin, après avoir erré quelque temps dans le désert, il entre dans le lac Asphaltite et y est absorbé. Ainsi, après être sorti vainqueur de deux lacs, il est arrêté par le troisième. [2,20] CHAPITRE XX. De la mer de Galilée. Saint Arculfe a parcouru en grande partie la mer de Galilée, nommée aussi lac Cinéreth ou mer de Tibériade. De grandes forêts l'avoisinent. La longueur de cette mer est de 140 bons stades, sa largeur de 40; ses eaux sont douces et bonnes à boire, d'autant qu'elles ne sont pas troubles et fangeuses comme celles des lacs ordinaires, ce qui tient à ce que de tous côtés le rivage de la mer de Tibériade est sablonneux. Les poissons de ce lac l'emportent aussi sur tous par leur saveur et leur grosseur. Ces quelques détails sur la source du Jourdain et sur le lac de Cinéreth, sont tirés en partie du troisième livre de la captivité des Juifs, en partie des récits d'Arculfe. Il nous a raconté qu'il fut huit jours à faire le chemin qui sépare la sortie du Jourdain de la mer de Galilée de son embouchure dans la mer Morte; il nous a dit aussi que souvent il avait contemplé cette mer salée du sommet du mont des Oliviers. [2,21] CHAPITRE XXI. Du puits de Samarie. Le saint prêtre Arculfe, en parcourant le pays de Samarie, vint à la ville appelée en hébreu Sichem, par les Grecs et les Latins Sicima, et que quelquefois on nomme à tort Sichar. Auprès de cette ville, hors des murs, il vit une église dont les quatre bras sont étendus vers les quatre points cardinaux, de manière à former une croix. En voici le dessin. A l'intérieur, au centre, est la fontaine ou le puits de Jacob, regardant les quatre bras. C'est là que le Sauveur, fatigué de marcher, s'arrêta vers la sixième heure du jour, et qu'une Samaritaine vint puiser de l'eau à cette même heure de midi. Cette femme dit entre autres choses au Sauveur : « Seigneur, le puits est profond, et vous n'avez rien pour puiser de l'eau. » Or Arculfe, qui a bu de l'eau de ce puits, en a mesuré la profondeur qu'il nous a dit être de 10 coudées, et la coudée est la longueur de deux mains. Sichem ou Sicima, autrefois ville sacerdotale et de refuge, est dans la tribu de Manassé, sur le mont Effraïm; c'est là que sont enterrés les os de Joseph. [2,22] CHAPITRE XXII. De la fontaine du désert. Arculfe a vu dans le désert une petite source très limpide couverte d'un toit de pierre, et dont les bords sont usés par les pas des visiteurs. C'est là, dit-on, que buvait saint Jean-Baptiste. [2,23] CHAPITRE XXIII. Des sauterelles et du miel sauvage. Les évangélistes disent du même saint Jean : « Sa nourriture était des sauterelles et du miel sauvage. » Or Arculfe a vu dans ce désert où Jean habitait une petite espèce de sauterelles, longues à peu près d'un doigt, au corps grêle et mince; comme leur vol n'est pas plus considérable que le saut d'une grenouille, on les prend facilement dans les herbes, et cuites avec de l'huile, elles fournissent aux pauvres un aliment. Voici aussi ce que nous dit Arculfe du miel sauvage : « J'ai vu dans ce même désert des arbres dont les feuilles, larges et arrondies, ont la couleur du lait et la saveur du miel ; elles se cassent facilement, et, lorsqu'on veut les manger, on commence par les pétrir pour ainsi dire dans ses mains, puis on s'en nourrit. » C'est bien là du miel sauvage, puisqu'il est produit par les bois. [2,24] CHAPITRE XXIV. Du lieu où le Seigneur bénit cinq pains et deux poissons. Arculfe alla visiter ce champ qui forme une vaste plaine de gazon que l'on n'a jamais labourée depuis le jour où le Sauveur y rassasia cinq mille hommes avec cinq pains et deux poissons. On n'y voit nul édifice, mais seulement quelques colonnes de pierre sur le bord de la source dont ils burent en ce jour. Ce lieu est au delà de la mer de Galilée, en face la ville de Tibérias qui lui est opposée au midi [2,25] CHAPITRE XXV. De Capharnaüm. En descendant de Jérusalem, si l'on veut aller à Capharnaüm, directement par Tibérias, il faut suivre le lac de Cinéreth, appelé aussi mer de Tibériade ou de Galilée, puis le champ de la bénédiction dont nous venons de parler. Non loin du bord du lac de Cinéreth est le port de Capharnaüm, sur les limites de Zabulon et de Nephtali. Cette ville, comme nous l'a dit Arculfe, qui l'a aperçue d'une montagne voisine, n'a pas de murs ; elle est resserrée entre la montagne et le lac, et s'étend au loin, le long de la mer, de l'occident à l'orient, ayant la montagne au nord et le lac au midi. [2,26] CHAPITRE XXVI. De Nazareth et de son église. La ville de Nazareth, au rapport d'Arculfe qui s'y arrêta, est, comme Capharnaüm, sans murailles ; elle est située sur une montagne et renferme de grands édifices de pierre, entre autres deux églises très vastes. L'une, au milieu de la ville, bâtie sur deux voûtes, a été construite en ce lieu où fut nourri le Sauveur; cette église, édifiée, comme nous l'avons dit, sur deux voûtes et soutenue par des piliers interposés, renferme dans sa partie souterraine une source limpide où vient puiser tout le peuple et d'où l'on fait monter de l'eau par des tuyaux dans l'église supérieure. L'autre église a été bâtie au lieu où était la maison dans laquelle l'archange Gabriel vint trouver Marie pour lui annoncer la naissance du Christ. Voilà ce qu'Arculfe nous a rapporté de Nazareth, où il resta deux jours et deux nuits. Il ne put y séjourner plus longtemps parce, qu'il était pressé par un Soldat du Christ nommé Pierre, issu de Bourgogne et menant une vie solitaire qu'il avait quittée pour l'accompagner dans ce voyage, mais à laquelle il revint. [2,27] CHAPITRE XXVII. Du mont Thabor. Le mont Thabor est situé en Galilée, à trois milles du lac de Cinéreth qu'il regarde vers le nord. Cette montagne, couverte d'herbes et de fleurs, est d'une admirable rondeur. A son sommet ombragé est une vaste plaine entourée par une grande forêt : au milieu de cette plaine est un monastère considérable où demeurent bon nombre de moines. Le sommet de cette montagne ne se termine pas en pointe, mais forme un plateau de 24 stades de large; la hauteur du Thabor est de 30 stades. Sur ce plateau supérieur sont fondées trois églises célèbres, d'après le nombre de tentes que Pierre, rempli de joie et de crainte par une céleste vision, voulait construire sur ce mont sacré, disant au Seigneur : « Nous sommes bien ici, faisons trois tentes, l'une pour, toi, l'autre pour Moïse et l'autre pour Elie. » Le monastère, les trois églises et les cellules des moines sont entourés d'un mur de pierre. Saint Arculfe ne s'arrêta qu'une nuit sur cette sainte montagne; car Pierre le Bourguignon, son guide dans ces contrées, ne lui permettait pas de s'arrêter longtemps dans le même lieu, afin de le faire se hâter. Il faut noter, en passant, que le nom de ce mont fameux doit s'écrire en grec par un thêta et un oméga, et en latin avec une aspiration et un o long, Thabôr. Telle est l'orthographe qu'on trouve dans les livres grecs. [2,28] CHAPITRE XXVIII. De Damas. La cité royale de Damas, comme nous l'a rapporté Arculfe qui y demeura quelques jours, est située dans une vaste plaine et entourée d'une large enceinte de murs fortifiés d'un grand nombre de tours; hors des murs, il y a beaucoup de bois d'oliviers; quatre grands fleuves parcourent la ville pour l'égayer. Un roi sarrasin s'est emparé de cette ville et y règne. Il y a en cette cité une grande église en l'honneur de saint Jean-Baptiste, et aussi un temple pour les Sarrasins infidèles. [2,29] CHAPITRE XXIX. De Tyr. Dans son voyage, Arculfe a visité aussi Tyr, métropole de la province de Phénicie, appelée en hébreu et en syriaque Sour, et qui, suivant les historiens grecs et latins, était dans le principe entièrement séparée du continent. Mais, dans la suite, Nabuchodonosor, roi des Chaldéens, l'assiégea et, pour rapprocher ses machines et ses béliers, fit faire des jetées, de sorte que d'une île on fit un continent. C'était une belle et noble ville, que les Latins ont nommée à bon droit étroite, car dans un étroit coin de terre on trouve à la fois une île et une cité. Elle est située dans la terre de Chanaan, et c'est de cette ville qu'était la femme chananéenne ou tyro-phénicienne de l'Évangile. Remarquons que la relation de saint Arculfe est entièrement d'accord sur la position de Tyr avec les commentaires de saint Jérôme. Ce que nous avons dit également de la position du mont Thabor et de sa forme, d'après Arculfe, est conforme à ce que rapporte saint Jérôme de cette montagne. Arculfe mit sept jours à se rendre du Thabor à Damas. [2,30] CHAPITRE XXX. De la position d'Alexandrie, et du fleuve de Nil. Cette grande cité, autrefois la métropole de l'Egypte, s'appelait No en hébreu. C'est une ville populeuse qui, reconstruite par le fameux Alexandre, roi des Macédoniens, est connue dans tout l'univers sous le nom d'Alexandrie, ayant reçu de son fondateur son nom et sa puissance. Ce que nous raconta Arculfe de sa position concorde avec ce que nous avons lu ailleurs. Descendant de Jérusalem et s'embarquant à Joppé, il mit quarante jours à se rendre à Alexandrie, ville dont le prophète Naum parle ainsi : « L'eau l'entoure de toutes parts. » En effet, sa richesse, c'est la mer; ses murailles, ce sont les eaux. Au sud, elle est bordée par les bouches du Nil; au nord, par le lac Maréotique. Ainsi placée sur le Nil et la mer, elle est de toutes parts ceinte par les eaux et est comme emprisonnée entre l'Egypte et la mer Méditerranée. Son port est d'un accès facile, parce qu'il a, pour ainsi dire, la forme du corps humain : ainsi sa tête est plus large, sa gorge, par laquelle il reçoit les flots de la mer et les vaisseaux, est plus étroite ; puis lorsqu'on est échappé de ce col, la mer se dilate comme le reste du corps humain. A droite du port est une petite île, surmontée d'une tour élevée que les Grecs et les Latins ont appelée Pharos, à cause de son usage : en effet, on l'aperçoit au loin en mer, et, dans la nuit, elle annonce aux navigateurs, par la flamme qu'on y entretient, que la terre est proche, pour les empêcher de se briser sur les rochers et pour leur montrer le col du port d'Alexandrie. On y a placé des employés qui nourrissent le feu avec des fagots, afin d'annoncer l'approche de la terre et d'éclairer l'entrée de ces gorges dangereuses, de peur que la frêle carène ne touche les écueils et Adrien, ne se brise au port même contre les rochers cachés sous les flots : aussi, pour éviter ce danger, il faut que le vaisseau oblique un peu, car l'entrée du port est plus étroite sur la droite, et l'on ne peut aborder sûrement qu'à gauche. Autour de l'île on a construit des digues immenses, afin que les flots en se brisant ne puissent ébranler l'île dans ses fondements, et que les vents dans leur furie ne puissent l'engloutir; c'est ce qui fait que ce canal, resserré entre les digues et les rochers, est toujours agité et comme furieux, si bien que son passage est toujours dangereux pour les navires. La largeur du port est de trente stades. Quelles que soient les tempêtes, le port intérieur est toujours sûr, car ces gorges étroites et ces digues arrêtent les flots de la mer, et ainsi l'intérieur du port est à l'abri de ces tempêtes et de ces ouragans qui troublent son entrée. Et ce n'est pas en vain qu'à l'intérieur il est ainsi sûr et vaste, car là arrivent toutes les marchandises qui doivent être répandues, dans le monde entier. Des peuples innombrables viennent y chercher ce dont ils ont besoin. Le pays est fertile et abonde de tous les dons de la terre et de toutes les marchandises commerciales, à tel point qu'il nourrit le monde entier de ses grains et le fournit de tout ce qui lui est nécessaire. Cette contrée, où il ne pleut jamais, est arrosée par les inondations du Nil ; et ainsi tout concourt à fertiliser les champs, et la bonté du climat et la fécondité du sol, en même temps que, par eau, les transports se font plus commodément. Ceux-ci naviguent, ceux-là sèment; les uns guident les navires, les autres cultivent la terre sans charrue, transportent leurs blés sans chariots. Le pays est tout coupé par les eaux, et les terres semblent entourées comme d'un rempart de navires échelonnés le long des deux rives du Nil ; car ce fleuve est navigable jusqu'à la ville des Éléphants, c'est ainsi qu'ils la nomment; plus loin, les navires ne peuvent avancer à cause des cataractes, c’est-à-dire des montagnes d'eaux, non pas que le fleuve diminue, mais parce qu'il se précipite dans des abîmes énormes. Celle relation de saint Arculfe sur Alexandrie et le fleuve du Nil est entièrement d'accord avec ce que nous avons lu dans d'autres auteurs auxquels nous avons emprunté quelques détails sur les périls du port, sur l'île et la tour qu'on y a construite, sur la position d'Alexandrie entre la mer et les bouches du Nil, etc. La ville, ainsi resserrée des deux côtés, s'étend au loin de l'occident à l'orient, ce que confirme le récit d'Arculfe; car il rapporte qu'étant entré dans la ville au mois d'octobre, vers la troisième heure, il voulut la parcourir dans sa longueur, et le soir était arrivé qu'il avait à peine terminé sa promenade. La ville est entourée d'une longue enceinte de murs défendus par de nombreuses tours le long des bords du Nil et des côtes recourbées de la mer. Quand on arrive d'Egypte et qu'on entre dans Alexandrie, au nord, on trouve une grande église où est enterré saint Marc l'Evangéliste; son sépulcre est devant l'autel, à l'orient de celle église quadrangulaire, et est surmonté d'un dôme de marbre. Telle est la ville d'Alexandrie, appelée, comme nous l'avons dit, No, avant qu'elle eût été reconstruite par Alexandre le Grand. C'est en cet endroit que la bouche du Nil, appelée Canopique, sépare l'Asie de l'Egypte et de la Lybie. Les Égyptiens, pour éviter les inondations du Nil, construisent de hautes digues le long de ses rives; et si elles sont brisées par la négligence des gardiens ou par une trop forte inondation, les champs alors ne sont plus arrosés, mais submergés et dévastés. Aussi ceux qui habitent les pays plats de l'Egypte, comme nous l'a dit saint Arculfe, qui a souvent descendu ce fleuve, demeurent au-dessus des eaux, dans des maisons construites sur pilotis. On trouve dans le Nil, comme nous l'a rapporté le prêtre Arculfe, des crocodiles ; ce sont des quadrupèdes aquatiques, non pas très grands, mais très voraces, et si forts qu'un seul d'entre eux, si par hasard il peut trouver un cheval, un âne ou un bœuf paissant près de la rive, sort tout à coup des eaux, se jette sur lui, et, le saisissant par un pied, l'entraîne dans le fleuve où il le dévore tout entier.