DU JEUNE ULRICH VON HUTTEN EXHORTATION A LA VERTU, ELEGIE. 1. Moi, quand je songe aux épreuves que réserve le sort changeant, quand je songe aux voies rudes et incertaines que ménage la vie, 3. aux préoccupations si contradictoires et aux travaux si divers qui pèsent sur les hommes, mon esprit gémit et s’afflige au plus profond de moi. 5. En effet, toutes les consolations que tu vois dans ce monde prêt à se rompre, toutes sont destinées à périr au bout du compte. 7. Et comme la balle légère est arrachée aux épis vides, et comme la forêt chevelue est secouée par les souffles violents du Notus, 9. la confiance qui s’attache aux choses humaines est prompte à se briser ; elle ne sonne pas juste et trompe par ses accents incertains. 11. Lui qui naguère était riche, la fortune inconstante lui a retiré ses faveurs, et le voilà qui, brûlé de soleil, se tourmente à retourner le sol pour un maigre profit. 13. Tarquin était roi, et il tenait en sa puissance les villes du Latium ; la Rome des fils de Dardanus, obéissait à sa volonté : 15. il n’en tomba pas moins, (que vaut en effet notre pouvoir ?). Il tomba donc et fut exilé des villes qu’il avait soumises. 17. On mentionne les mêmes avatars à propos du règne du tyran de Sicile, qui se retrouva à enseigner aux enfants comme maître d’école après avoir perdu son sceptre. 19. Admettons pourtant que ces biens te restent et que tu vives pour un temps dans la prospérité, que terres et mers fassent partie de ton empire, 21. Admettons que la foule inconstante te vénère, et te dresse une statue, que ta table royale te dispense toujours de fastueux banquets, 23. Admettons que la force et la beauté du corps ainsi qu’une maison bien tenue constituent ton bonheur, et qu’une belle fille vienne prendre place en ton lit, 25. Admettons encore, si tu tiens à ce genre de choses, que ta famille soit d’une antique origine : qui viendra dispenser ces biens-là à ta cendre et à tes restes ? 27. Moi, je les ai vus les corps tout pâles de ces grands rois : un petit brancard suffisait à porter leur gloire si grande ! 29. Mais où donc est ce front orgueilleux, de mépris se gonflant ? Où donc cette noble grandeur et ces guerrières mains ? 31. Lui qui naguère sur tant de peuples, sur tant de villes hier étendait son empire, il gît, la face contre la terre répugnante, comme un tronc abattu. 33. Les corps des rois pourrissent aussi, malgré tout leur faste ; va maintenant et brandis ton sceptre d’une main ferme ! 35. Va maintenant et tire gloire et orgueil de ta beauté, de ta fortune, de tes richesses ! Jouis pendant un court moment de la grandeur de ton nom ! 37. Te voilà nu ! et, toi que rien ne contentait, tu écrases de tout ton poids le fond de ton sépulcre glacé. Nue, ton ombre s’achemine en pleurant vers les marécages du Styx. 39. Apprenez, mortels, comment gouverner le Sort toujours en alerte ; il s’empare de tous les instants qu’on lui laisse sans y prendre garde. 41. Les cadeaux, les pouvoirs, les droits exceptionnels qu’il vous promet, ses belles paroles : rejetez-les ! et méprisez la divinité impuissante de cette déesse imaginaire. 43. Plus brillante est la vertu, plus sûre aussi, que cette faveur fugace. Elle seule dispose pour ses fidèles de vraies récompenses. 45. Certains poursuivent les richesses ; d’autres les honneurs ; d’autres encore veulent manger à la table des grands : 47. Ils ont tout, mais il leur manque la vertu qu’ils ont négligé d’acquérir, parce qu’aucune faveur ne peut acheter la vertu. 49. Vous aussi, galants délicats, qui recherchez l’amour et ses passions, allez ! vos joyeux plaisirs ne procurent pas de vrais biens ! 51. Toi qui es amoureux, tu verras ton visage enlaidi par les rides, quand la triste vieillesse t’aura donné des cheveux blancs. 53. La vertu seule a longue vie, sache le, seule elle n’a aucun tort, la vertu ! Sans rien qui l’entache, elle est au principe d’une vie nouvelle. 55. Recherche-la, toi qui te préoccupes de la vie et qui n’a cure des choses mortelles. C’est quelque chose que de prendre en mains sa propre vie.