[61] LXI. D'UN ROTURIER QUI VOULAIT SE FAIRE ANOBLIR. Un serviteur du Duc d'Orléans, homme sans éducation et de moeurs grossières, demandait à son maitre de l'anoblir. Cela se fait en France en achetant des fiefs, seul moyen de mener sur ses terres la vie d'un noble. Le Duc connaissait bien son homme : — « Je pourrais facilement te faire riche, » lui répondit-il, « mais noble, jamais. » [62] LXII. DE GUGLIELMO QUI AVAIT UN BEL APPAREIL PRIAPIQUE. Il y avait dans notre ville de Terra-Nuova un certain Guglielmo, charpentier de son état, et suffisamment bien doué en fait d'appareil Priapique. Sa femme avait confié la chose aux voisines. Elle morte, Guglielmo en épousa une autre, jeunette et simple, nommée Antonia, laquelle, grâce aux commères, avait déjà quelque idée de ce trait gigantesque. La première nuit qu'elle coucha avec son mari, elle tremblait fort, n'osait s'approcher de lui et redoutait l'assaut. Guglielmo comprit enfin ce qui faisait peur à cette enfant, et, pour la consoler : « On ne t'a pas menti, » lui dit-il, mais j'en ai deux, un petit et un grand; cette nuit, pour ne pas te faire de mal, je ne me servirai que du petit ; tu verras, rien de plus doux; après, nous essayerons du grand, si tu veux. » Elle consentit et se laissa faire sans jeter un cri, sans éprouver nulle douleur. Au bout d'un mois, devenue plus libre et plus hardie, une nuit qu'elle faisait des mamours à son mari : « Mon mignon, » lui dit-elle, « si tu essayais maintenant de cet autre camarade, tu sais, du grand? » Le mari qui, en ce point, valait presque un baudet, se mit à rire du bon appétit de sa femme : c'est lui-même qui depuis, dans une réunion, nous a conté l'histoire. [63] LXIII. Réponse d'une femme de PISE. Sambacharia, femme de Pise, fut un jour prompte à la riposte. Un farceur s'approcha d'elle pour la plaisanter : « Le prépuce de l'âne vous salue, » dit-il. Elle de s'écrier aussitôt : — « Tu as bien la mine d'être son ambassadeur. » Apres cette malicieuse répartie, elle lui tourna le dos. [64] LXIV. MOT d'une matrone qui vit à la fenêtre les vêtements d'une femme débauchée. Une femme débauchée avait étendu le matin à ses fenêtres toutes sortes de nippes, que lui avait données son galant. Une matrone, passant devant son logis, vit cet étalage : « En voici une, » dit-elle, « qui fait ses robes comme l'araignée fait sa toile, avec son cul, et qui étale ce beau produit à tous les yeux. » [65] LXV. UN BON AVIS. Quelqu'un, au moment de la vendange, priait un de mes compatriotes, très facétieux personnage, de lui prêter quelques tonneaux. L'autre répondit : « Si j'entretiens ma femme toute l'année, c'est pour m'en servir au besoin. » Il voulait dire par là qu'on ne doit pas demander à emprunter aux autres ce qui leur est nécessaire. [66] LXVI. MOT D'un habitant de Pérouse à sa femme. Les habitants de Pérouse passent pour des gens aimables et faciles a vivre. Une femme, nommée Petruccia, demanda à son mari de lui acheter des souliers neufs pour aller le lendemain à la fête. Le mari voulut bien, et il lui recommanda en même temps de lui faire cuire, le matin avant de partir, une poule pour son dîner. La poule préparée, la femme se mit sur le pas de sa porte, aperçut un jeune homme qu'elle aimait à la folie, et rentrant aussitôt, lui fit signe de venir bien vite la rejoindre, pendant que son mari n'etait pas là. Pour ne pas perdre de temps, elle grimpe l'escalier et se couche à terre, de manière qu'on pouvait l'apercevoir du seuil. "Superimposito autem iuuene, dunes eius cruribus ac pedibus amplexas, elle se livrait tout entière au grand oeuvre. Le mari, cependant, persuadé que sa femme était déjà partie pour la fête et qu'elle rentrerait tard, avait invité un de ses amis à diner, en le prévenant que la ménagère manquerait au repas. Ils entrent ; notre homme marchait le premier, quand, du bas de l'escalier, il aperçoit sa femme jouant des pieds en l'air "supra iuuenem". « Ohé ! Petruccia ! » s'écria-t-il, « par le cul de l'âne! » (c'est leur juron favori) si c'est comme cela que tu te promènes, tu n'useras jamais tes souliers neufs. » [67] LXVII. PROPOS PLAISANT d'UN JEUNE HOMME. Une femme de la campagne se plaignait de ce que ses oisons ne se portaient pas bien : une voisine, pour sûr, leur avait jeté un sort en les admirant sans avoir soin d'ajouter : "Dieu les bénisse!" comme cela se dit toujours. Un jeune homme l'entendit : — « Hé, je vois bien maintenant, » s'écria-t-il, pourquoi mon aiguillette a si piteuse mine, depuis quelque temps. On l'a trouvée belle, l'autre jour, mais on n'a pas du tout ajouté la bénédiction dont tu parles. C'est ce qui fait que je la crois ensorcelée, car elle n'a jamais pu se dénouer depuis. Dis donc : Dieu la bénisse ! je t'en supplie, pour qu'elle redevienne ce qu'elle était auparavant. » [68] LXVIII. D'un imbécile qui prit pour lui-même quelqu'un qui imitait sa voix. Le père d'un de nos amis avait des relations avec la femme d'un parfait imbécile, affecté en outre de bégaiement. Une nuit qu'il allait chez elle, croyant le mari absent, il frappa bruyamment a la porte et demanda qu'on lui ouvrit, en imitant la voix du mari. Notre benêt, qui était à la maison, se reconnut au son de la voix : « Giovanna, va donc ouvrir, » dit-il, "Giovanna, fais donc entrer ; cela m'a bien l'air d'être moi qui frappe." [69] LXIX. D'un paysan qui portait une oie à vendre. Un jeune paysan allait à Florence vendre une oie ; une dame, qui se croyait de l'esprit, le vit et lui demanda, pour se moquer de lui, le prix de son oie : — « Elle ne vous coûtera pas cher, » répondit-il, « — Combien donc? — Laissez-vous faire, une seule fois. — Tu veux rire, » reprit la Dame, mais viens toujours à la maison, et nous conviendrons du prix. » L'autre, une fois entré, n'en voulut pas démordre, et la dame finit par consentir à payer en cette monnaie. Mais comme, dans la lutte, elle avait eu le dessus, lorsque ensuite elle réclama l'oie, le paysan refusa net : « Vous ne vous êtes pas laissé faire, » dit-il, « c'est vous au contraire qui m'avez jeté sur le carreau. » Il fallut recommencer et, cette fois, le jeune drôle put se comporter en vrai cavalier. Aux termes de la convention, la dame réclamait l'oie : nouveau refus du gars, sous prétexte qu'ils étaient seulement quitte à quitte : « Il n'était pas payé, » disait-il, « il n'avait fait que venger l'injure reçue la première fois, quand il avait eu le dessous. » La discussion durait encore, quand survint le mari ; il demanda de quoi il s'agissait : — « Je voulais, » dit-elle, « te faire faire un bon repas, et ce mauvais garnement empêche tout ; il était convenu avec moi de vingt sols ; maintenant qu'il est entré à la maison, il change d*avis et veut deux sols de plus. — Morbleu ! répliqua le mari, « il ne sera pas dit que nous manquerons un bon repas pour si peu. Tiens! l'ami, » ajouta-t-il, et voici ton compte. » Le paysan emporta l'argent, et le reste. [70] LXX. D'un avare qui but de l'urine. Un de nos collègues de la Curie, d'une avarice notoire, venait souvent au repas des domestiques et goûtait leur vin pour voir s'il était assez largement baptisé. Il prétextait, au contraire, veiller à ce que le vin fut bon. On s'en aperçut, les gens s'entendirent et mirent sur la table de l'urine fraîche, au lieu de vin, au moment où ils s'attendaient à le voir venir. Notre homme arriva en effet, comme d'ordinaire, avala une bonne gorgée d'urine, et tout en crachant et vomissant à moitié, quitta la salle ; il poussait de grands cris et proférait mille menaces contre ceux qui lui avaient joué ce tour. Ils terminèrent leur repas au milieu de grands éclats de rire. Le machinateur de cette mauvaise farce me l'a racontée plus tard ; il en riait encore. [71] LXXI. D'un berger qui fit une confession incomplète. Un gardeur de moutons, de cette partie du Royaume de Naples où le brigandage est un métier, vint une fois trouver un Confesseur pour lui dire ses péchés. Tombé aux genoux du prêtre : « Pardonnez-moi, mon Père, » lui dit-il en pleurant, « car j'ai grandement fauté. » Le prêtre l'exhortant à tout avouer, le berger s'y reprit a plusieurs fois, avant de parler, en homme qui a commis un crime épouvantable. Enfin, sur les instances du Confesseur : « Un jour de jeûne » dit-il, "comme je faisais un fromage, il me jaillit dans la bouche quelques gouttes du lait que je battais, et je ne les ai pas crachées! » Le prêtre, qui connaissait bien les moeurs du pays, sourit d'entendre cet homme s'accuser, comme d'un gros péché, de n'avoir pas observé le Carême, et lui demanda s'il n'avait pas d'autres méfaits sur la conscience. Le berger dit que non : — « N'aurais-tu pas, avec tes camarades, comme cela se fait si souvent chez vous, pillé ou assassiné quelque voyageur ? — Oh que si ! » répondit l'autre : « j'en ai tué et volé plus d'un, avec les amis ; mais cela arrive si souvent chez nous, qu'on n'y attache pas d'importance. » Le Confesseur eut beau lui remontrer que c’étaient là deux grands crimes : le berger, ne pouvant croire que le meurtre et le vol, choses habituelles dans son pays, tirassent à conséquence, demandait seulement l'absolution pour le lait qu'il avait bu. Triste résultat de l'habitude du mal : elle fait prendre les plus grands crimes pour des peccadilles. [72] LXXII. D'un joueur mis en prison pour avoir joué. A Terra-Nuova, il y a des peines portées centre ceux qui jouent aux dés. Quelqu'un de ma connaissance, pris sur le fait, tomba sous le coup de la loi et fut jeté en prison. On lui demandait la cause de son incarcération : — « Notre Podestat, » répondit-il, « m'a mis en prison pour avoir joué mon argent. Qu'aurait-il donc fait, si j'avais joué le sien ? » [73] LXXIII. REMONTRANCE d'un père à son fils qui s'enivrait. Un père avait vainement tenté de réprimer chez son fils un penchant décidé pour l'ivrognerie. Il vit une fois dans la rue un homme saoul, honteusement vautré, le cul à l'air; une foule d'enfants l'entouraient en riant et se moquaient de lui ; le père appela son fils pour lui montrer ce triste spectacle, espérant le détourner ainsi de s'enivrer. Mais le fils, dès qu'il eut aperçu l'ivrogne : "Dites-moi, je vous prie, mon père," s'écria-t-il, "où trouve-t-on le vin avec lequel cet homme s'est saoulé? il doit être joliment bon, et j'en voudrais bien aussi." L'aspect dégoûtant de cet homme ivre, loin de l'effrayer, lui donnait envie de boire. [74] LXXIV. D*UN JEUNE HOMME DE PÉROUSE. Hispina, de Pérouse, était aussi un jeune homme d'une noble maison, mais si débauché, qu'il faisait honte à toute sa famille. Un de ses parents, Simone Cecolo, sage vieillard honoré de tous, le prit à part un jour, l'exhorta longuement à mener une vie meilleure, lui remontra l'opprobre du vice et l'excellence de la vertu. Lorsque Simone eut achevé, l'autre lui dit : — « Vous parlez fort bien, en termes choisis, comme il convient à un homme éloquent; mais j'ai cent fois entendu de pareils sermons, de plus beaux même, et je n'ai jamais voulu faire mon profit de ces excellents conseils. » — Le précédent ne réussit pas mieux par l'exemple que celui-ci par un beau discours. [75] LXXV. DU DUC D'ANJOU QUI MONTRA A RIDOLFO UN RICHE TRÉSOR. On blâmait, dans un cercle de savants personnages, la folle manie de ceux qui consacrent tant de peines et de soins à rechercher et à acheter des pierres précieuses ; « Ridolfo de Camerino, » dit alors quelqu'un, a bien raillé à ce propos la sottise du Duc d'Anjou, à son départ pour le Royaume de Naples. Ridolfo etait venu le voir dans son camp; le Duc lui montra des objets d'un grand prix et, entre autres, des marguerites, des saphirs, des escarboucles et d'autres pierreries d'une grande valeur. Après les avoir vues, Ridolfo demanda ce que ces pierres valaient et à quoi elles pouvaient servir. Le Duc répondit qu'elles étaient d'un grand prix, mais qu'elles ne rapportaient rien. — "Eh bien ! » dit Ridolfo, « je vous montrerai, moi, deux pierres qui m'ont coûté dix florins et qui m*en rapportent deux cents tous les ans. » Le Duc était émerveillé ; Ridolfo le conduisit à un moulin qu'il avait fait bâtir et lui montra une paire de meules : « Voilà, » dit-il, « qui est autrement utile et profitable que toutes vos pierres précieuses. » [76] LXXVI. Du même Ridolfo. Un habitant de Camerino voulait voyager pour voir le monde. Ridolfo lui conseilla d'aller jusqu'à Macerata, et, quand il en fut revenu : « Tu as vu toute la terre, » lui dit-il ; "qu'y a-t-il, en effet, dans le monde ? des collines, des vallées, des montagnes, des plaines, des champs cultivés, des terres en friche, des bois et des forêts : toutes choses que l'on trouve entre Camerino et Macerata. » [77] LXXVII. MOT plaisant d'un habitant de Pérouse. Un habitant de Pérouse avait un tonneau rempli d'excellent vin, mais c'était un tout petit tonneau. Quelqu'un lui envoya demander du vin par un enfant, avec une cruche énorme. Il la prit dans ses mains et la flaira : "Oh, oh !" dit-il, « elle pue diablement. Jamais je n'y mettrai de mon vin; va t’ en et rapporte-la à celui qui t'a envoyé. » [78] LXXVIII. DISPUTE de deux femmes galantes à propos d'une pièce de toile. Deux femmes Romaines, que j'ai connues, qui n'avaient ni le même âge, ni la même beauté, allèrent chez un de nos collègues de la Curie, lui vendre du plaisir. Il fit deux fois l'amour avec la plus jolie, une seule fois avec l'autre, pour ne pas avoir l'air de la dédaigner et l'engager à lui ramener sa compagne. En se séparant d'elles, il leur donna une pièce de toile, sans leur dire quelle serait la part de chacune. Quand il fallut partager, le désaccord se mit entre les deux femelles : l'une voulait avoir les deux tiers de l'étoffe, puisqu'elle avait fait double besogne; l'autre voulait en avoir la moitie, puisqu'elles étaient deux. Chacune faisait valoir ses raisons; l'une prétendait qu'elle avait plus travaillé, l'autre qu'elle avait eu tout autant de peine. Des paroles elles en vinrent aux coups; elles se prirent aux cheveux, les ongles se mirent de la partie. Les voisins d'abord, les maris ensuite accoururent; nul ne savait la cause de la querelle; chacune des deux femmes prétendait que l'autre avait commencé. Les maris prirent fait et cause pour leurs femmes : après elles, ce fut à leur tour de se battre ; pierres et bâtons entrèrent en danse, jusqu'au moment ou l'intervention de la foule mit fin à la bataille. Les hommes, qui ignorent encore la cause du débat, se sont enfermés chez eux, suivant la coutume Romaine, et nourrissent l'un contre l'autre une haine profonde. La pièce de toile est déposée intacte chez un tiers, jusqu'a ce que la question soit tranchée ; mais les femmes cherchent secrètement à s'entendre et à partager. On demande aux Docteurs : "quid iuris"? [79] LXXIX. LE COQ ET LE RENARD. Un Renard, ayant faim, cherchait par ruse à s'emparer de quelques poules refugiées, à la suite d'un Coq, au sommet d'un arbre élevé, qu'il ne pouvait atteindre. Il s'avança gracieusement vers le Coq, et le saluant avec politesse : « Que fais-tu là-haut ? » lui dit-il. "Tu ne sais donc pas les excellentes nouvelles qui nous sont arrivées ? — "Pas le moins du monde, » répondit le Coq, « dis-nous les donc". — "Je viens exprès te les annoncer pour te faire plaisir, » reprit le Renard. « Tous les animaux ont tenu un grand conseil et conclu entre eux une paix perpétuelle ; il n'y a plus de crainte à avoir ; aucun animal ne peut plus être traqué ni molesté par un autre; tous doivent vivre en paix et dans la concorde la plus parfaite; chacun peut aller en toute sûreté, même seul, où il lui plait. Descendez donc de là-haut, et fêtons ensemble ce beau jour. » Le Coq ne fut pas dupe de la ruse du Renard : — « Tu m'apportes là,» lui dit-il, "une bonne nouvelle ; cela me fait bien plaisir, » et en même temps il tendait le cou, se dressait sur ses pattes pour voir plus loin et prenait un air tout étonné : — « Que regardes-tu donc ainsi ? » dit le Renard. — « Je regarde,» répondit le Coq, « deux chiens qui viennent par ici au grand galop, la gueule ouverte. » Le Renard se mit à trembler : — « Adieu ! » s'écria-t-il, « il faut que je me sauve avant qu'ils n'arrivent, » et il fit mine de fuir : — « Pourquoi t'en vas-tu donc? » reprit le Coq; « que crains-tu? puisque la paix est faite, tu n'as rien à redouter. — "Je ne sais pas trop, » répliqua le Renard, « si ces maudits chiens ont eu connaissance du traité. » Ainsi la ruse fut déjouée par la ruse. [80] LXXX. PLAISANT PROPOS. Un personnage, un peu trop libre dans ses paroles, tenait audacieusement, dans le palais même du Pape, des propos légers qu'il accompagnait de gestes expressifs : — « Que dis-tu donc?" s'écria un de ses amis; « on te prendrait pour un fou". — "Ce serait bien mon affaire, » répliqua-t-il; «je ne puis autrement conquérir les bonnes grâces de ceux qui sont au pouvoir, puisque c'est actuellement le règne des sots et que toutes les affaires sont entre leurs mains. »