[2,0] LIVRE II. [2,1] CHAPITRE I : GÉNÉALOGIE DES PRINCES DES FRANCS. On a vu, dans le livre précédent, par quel homme illustre le monastère de Centule fut fondé, et par qui lui furent pour la première fois enseignées les voies de la sainteté; comme cet homme, qui fut notre premier pasteur vécut dans le monde, et comment il mérita le ciel ; nous avons en même temps conduit notre histoire jusqu'à notre sixième abbé. Nous allons maintenant parler du septième, qui obtint justement de la grâce du S. Esprit ce nombre de sept, et dont le séjour au milieu des frères fut favorisé des Cieux. C'est Angilbert également cher à Dieu et aux hommes, illustre par sa naissance, remarquable par sa vertu, le nourrisson des rois et des grands, mais aujourd'hui beaucoup plus heureux encore, par ce qu'il est au milieu des anges. Comme je me suis proposé de parler quelquefois de la splendeur de notre monastère, qui fut, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, anobli par la sainteté de notre premier fondateur, il est juste de faire connaître la noblesse de notre septième abbé, qui, par ses soins et ses travaux, procura de grands accroissements à son église. L'an de l'incarnation 754, lorsque Pépin gouvernait l'empire des Francs avec ses fils Charles et Carloman, Angilbert, digne à jamais des louanges de tous les hommes de bien, s'était, par la noblesse de son caractère, tellement concilié l'amitié de ces trois princes, qu'ils avaient pour lui des entrailles de père. Ce sont ordinairement les hommes qui s'efforcent de plaire aux rois, mais, par un renversement merveilleux, c'était à lui que les rois s'efforçaient de plaire. Je pense donc faire honneur à mon livre, en rapportant ici les généalogies de ces princes. Clotaire, quatrième roi des Francs et fils de Clovis qui fut baptisé par S. Rémi, eut une fille nommée Blithilde, qu'Ansbert, revêtu de la dignité sénatoriale, mérita d'avoir pour épouse, et dont il eut trois enfants, Arnold, Fériol et Moderic. Arnold engendra Arnoul, qui fut d'abord préfet du palais sous Clotaire, père de Dagobert, et qui devint ensuite évoque de la ville de Metz. Arnoul eut pour fils Flodulfe, Ansegise et Gualchise, père du bienheureux Vandrille. Ansegise devint maire et préfet du palais après son père et engendra Pépin qui fut senieur et duc. Celui-ci eut pour fils Charles qui fut aussi senieur et duc.] Ansegise et Pépin son fils étant morts, Charles, après plusieurs guerres et plusieurs batailles sanglantes, enleva au tyran Rainfroi le gouvernement de toute la nation des Francs et s'en empara. Poursuivant ensuite la guerre avec vigueur, il accabla par toute la France les tyrans qui lui disputaient le souverain pouvoir; il envahit les biens de l'église pour subvenir aux frais de ses expéditions et en enrichit le fisc ; plus tard il les distribua à ses propres soldats. Il vainquit, dans deux grandes batailles, l'une en Aquitaine près de Poitiers, l'autre près de Narbonne sur les bords de la Berre, les Sarrasins qui cherchaient à se rendre maîtres de la Gaule, et les força à retourner en Espagne. Comme il ne savait céder en aucune manière à ses ennemis et que son inflexibilité ne lui permit jamais d'épargner à personne, la postérité lui donna le nom dur de Martel (Tudites) ; c'est ainsi qu'on appelle une sorte de marteau d'artisan, qui écrase sous ses coups les corps les plus durs. Charles fit alliance avec Leutbrand, roi des Lombards, et lui envoya Pépin son fils, pour qu'il lui coupât le premier la chevelure, selon, la coutume des fidèles, et qu'il fût son parrain. Leutbrand remplit ce devoir avec beaucoup de plaisir et renvoya le fils à son père, après l'avoir comblé de présents. Charles étant mort après une longue administration, ses deux fils Pépin et Carloman gouvernèrent pendant quelque temps, sous Childéric, qui n'eut de roi que le nom, l'empire des Francs, qu'ils partagèrent amiablement entre eux. Car à cette époque la dignité royale était déchue, et les préfets du palais s'étaient emparés de tout le pouvoir. Ils ne laissaient au roi que la liberté de porter un vain titre et de conserver le fantôme de la royauté, d'entendre les ambassadeurs et de leur faire, à leur départ, comme de sa propre autorité, des réponses qui lui étaient enseignées ou plutôt dictées. L'administration du royaume et la conduite de toutes les affaires, tant du dehors que de l'intérieur, avaient été usurpées par les préfets de la cour. [2,2] CHAPITRE II. CARLOMAN CÈDE SON DUCHÉ A SON FRÈRE ET SE FAIT MOINE. Au bout de quelques années, Carloman abandonnant à Pépin, son frère, la partie du royaume qui lui était échue en partage, et épris d'une vive passion pour la vie contemplative, se rend à Rome et s'enferme pendant quelque temps, avec dévotion, dans le monastère de S. Silvestre, situé sur le mont Soracte. Mais, comme les Francs, qui allaient en pèlerinage à Rome en l'honneur de l'apôtre S. Pierre, le troublaient souvent dans sa retraite, et, par la fréquence de leurs visites, nuisaient à l'acquittement de ses devoirs religieux, il prit le parti de changer de couvent et de se retirer au Mont-Cassin, qu'un homme d'une grande sainteté, appelé Pétronace, restaurait alors. Pépin restant ainsi seul dépositaire de l'autorité, mit sur sa tête la couronne des Francs; et, par l'ordre du pontife romain Etienne, qui se trouvait alors à Paris par la perversité des Lombards, qui l'avaient chassé d'Italie, l'indolent monarque Childéric fut déposé, rasé et contraint de mener une vie privée. Pépin avait eu de Bertrade, son épouse, deux fils Carloman et Charles. Pendant le long séjour que le pape Etienne fit à Paris, il fut affligé d'une maladie grave, mais les SS. apôtres Pierre et Paul et S. Denis lui apparurent et lui annoncèrent qu'il recouvrerait la santé et qu'il remonterait paisiblement sur son siège. Ayant recouvré la santé, il sacra rois Pépin et Bertrade, son épouse, ainsi que leurs deux fils, pendant l'office divin et au milieu des saints mystères qu'il célébra lui-même, dans l'église de S. Denis, le jour de la grande fête de Noël. Pépin vécut encore douze ans et laissa le trône à ses deux fils ; mais Carloman étant mort, tout le royaume passa à Charles son frère. L'illustre Angilbert, par la noblesse de son caractère et par la pureté de sa conduite, se fit tellement aimer de ce grand prince, qu'il occupa la première place dans son amitié et reçut de lui en mariagesa propre fille nommée Berthe, dont il eut deux fils Arnide et Nithard. Charles ne borna pas là ses bienfaits ; il accrut encore les honneurs dont son favori jouissait à la cour et lui confia un duché de toute la terre maritime. Jusqu'alors le monastère de Centule, depuis longtemps fondé par S. Riquier, avait été habité par des moines, qui servaient Dieu avec dévotion, qui se montraient riches de vertus et de sainteté, mais qui n'étaient pas amplement pourvus des biens de ce monde; non, que les terres, les revenus ou les villages dont ils avaient été dotés par leur fondateur, eussent dépéri, mais parce qu'ils employaient tous leurs produits à soulager les pauvres au lieu de les faire tourner à leur profit. Angilbert, après avoir été pourvu de son duché, s'étant rendu dans le Ponthieu, apprit par les gens du pays les signes et les prodiges de vertu que le Christ tout puissant opérait continuellement sur le tombeau de son saint confesseur Riquier, et les œuvres pies qui avaient mérité au monastère de Centule la faveur et la protection divine. Il voulut alors être témoin de ces merveilles qui sont évidemment le gage de la prédilection de Dieu, et demanda à l'empereur Charles la permission de remplir un vœu et de satisfaire le désir qu'il avait formé au fond de son cœur, de restaurer l'église de S. Riquier. Sa prière lui fut accordée avec bonté par le roi, qui lui promit que son secours et sa protection ne lui manqueraient jamais. Le prince fait aussitôt ouvrir ses riches trésors et invite son bien aimé à y puiser tout l'argent qu'il désirait et dont il avait besoin pour mettre ses projets à exécution. Après avoir embrassé tendrement son roi et son ami, le respectable Angilbert retourne en Ponthieu et à Centule, et prend dans le monastère de notre saint fondateur l'habit et l'humilité de moine. Peu de temps après, la place d'abbé devint vacante, et Angilbert, qui se distinguait entre tous les moines par sa continence et son humilité, se vit, à la prière des frères, et par l'ordre du roi, promu à cette honorable dignité. Après sa nomination, le roi lui envoya des artisans très habiles à tailler le bois, la pierre, le verre et le marbre. Et, comme il voulait accroître, par toute sortes de moyens, la richesse et la gloire du monastère de Centule, pour marquer l'amour qu'il portait à S. Riquier et la la tendre affection qu'il avait pour son ami Angilbert, il fit partir pour Rome un grand nombre de forts chariots, qui devaient rapporter de cette ville du marbre et des colonnes destinées à l'ornement dudit monastère. Il envoya, en outre, des messagers dans plusieurs royaumes et dans plusieurs villes, pour ordonner à ses sujets, ou pour prier les sujets des gouvernements étrangers, de lui envoyer les reliques des saints qu'ils possédaient en divers endroits. Si quelqu'un veut connaître quelles reliques lui furent apportées, qu'il consulte la liste que l'honorable Angilbert en a dressée lui même, et que je transcrirai tout à l'heure. [2,3] CHAPITRE III. De la reconstruction du monastère de Centule. Alors Angilbert, muni du secours de Dieu ainsi que du consentement et des largesses de tout genre du roi Charles, abattit l'ancien temple bâti par S. Riquier, et en fonda un nouveau avec un art remarquable. Son motif en démolissant l'ancien, était qu'il renfermait le tombeau où était déposé le corps vénérable de S. Riquier, et qu'il avait fait vœu d'élever sur ces restes sacrés une magnifique église. Le roi Charles lui accorda comme on l'a dit, sur ses propres trésors, des sommes d'argent si considérables qu'on aurait plutôt manqué, pour achever ces grands ouvrages, d'ouvriers et de matériaux, que d'argent pour les payer. Un jour qu'on érigeait les colonnes de marbre du baldaquin, l'une d'elles échappa des mains des ouvriers et se cassa en deux morceaux ; ce qui causa une si grande douleur à tous ceux qui étaient présents, que tous les travaux furent en ce jour interrompus. Mais, le lendemain matin, les travailleurs en revenant à leur ouvrage, et lorsqu'ils avisaient aux moyens de remédier à la fracture de la veille, furent bien surpris de voir la colonne debout sur sa base sans aucune cassure. L'ange du Seigneur était venu, et, en touchant du doigt l'endroit de la fracture, avait aussitôt rétabli la colonne dans son premier état. On montre encore la trace du doigt de l'ange, et la colonne y paraît divisée en deux à ceux qui la regardent, tandis qu'au contraire c'est l'endroit où l'adhérence du marbre est la plus forte. On commença la construction du monastère avec un grand appareil, avec un soin infini et de grands honneurs. Lorsque cette église magnifique fut achevée, on la consacra au Seigneur sous l'invocation de S. Riquier. C'était la plus belle église de ces temps là. Elle a, vers l'Orient, une grande tour derrière le sanctuaire, et, vers l'Occident, une autre tour pareille à la première et dont elle est séparée par le vestibule. La tour du Levant est construite près de l'endroit où S. Riquier a été enterré. Son tombeau a été placé de manière que l'autel du saint se trouve du côté des pieds et dans un lieu plus élevé, et que l'autel de l'apôtre S. Pierre est placé du côté de la tête. La tour du Levant est consacrée à S. Riquier avec le sanctuaire et le baldaquin ; et la tour du Couchant est consacrée à notre S. Rédempteur. Le célèbre Angilbert a fait écrire ces vers autour du mur intérieur de cette dernière tour : Dieu tout puissant, qui gouvernes le ciel et la terre, Dieu dont la majesté éclate de toutes parts, Abaisse un de tes regards du haut de ton trône glorieux ; A tes serviteurs, Dieu de bonté, prête ton secours. Accorde la paix aux princes et le salut aux sujets ; Repousse les menaces des ennemis et réprime les guerres. Je te conjure d'avoir pour agréable ce magnifique temple Que moi, Angilbert, ai fait élever pour ta gloire. A l'empereur Charles, par le secours du quel j'ai tout achevé, Accorde les bénédictions et les joies de ton royaume ; Et que celui qui, dans ce temple, élèvera vers toi ses prières Voie toujours ses vœux accomplis. On voit encore aujourd'hui sur le pavé du chœur un ouvrage de marbre si beau et si achevé, que tous ceux qui le contemplent assurent qu'il n'en existe point de pareil en aucun autre endroit. Angilbert a fait graver sur le pavé du temple, devant l'autel de S. Riquier, des vers que je crois nécessaire de rapporter ici : Moi Angilbert, humble abbé, mû par l'amour de Dieu, Ai fait faire ce pavé, Afin qu'après ma mort le Christ, ma vie et mon salut, Daigne m'accorder le repos des saints. Comme l'ancienne église de S. Riquier avait d'abord été dédiée à Ste Marie, Angilbert, pour ne pas être irrévérencieux envers la mère de Dieu, lui en fit bâtir une autre, que l'on voit encore aujourd'hui, en deçà de la rivière du Scardon. Il en fit encore construire une troisième, sur les bords de la même rivière, en l'honneur du S. abbé Benoît. Lorsqu'on promène la vue sur ces trois édifices, on voit au Nord la grande église, qui est celle de S. Riquier ; au Midi paraît la seconde église, qui est située en deçà de la rivière du Scardon et dédiée à la bienheureuse vierge Marie; et l'on découvre à l'Orient la dernière, qui est la plus petite des trois. Le cloître a la forme d'un triangle; un même toit s'étend de l'église de S. Riquier à celle de Notre-Dame, de l'église de Notre-Dame à celle de S. Benoît, et de l'église de S. Benoît à celle de S. Riquier. Les trois murs, en se joignant, laissent entre eux un espace triangulaire et découvert. Le monastère a été construit de manière que tous les arts et tous les ouvrages de première nécessité pussent être, conformément à une disposition de la règle de S. Benoît, exercés dans son enceinte. L'eau du torrent du Scardon traverse le clos du monastère et fait tourner le moulin des moines. Après avoir ainsi décrit en peu de mots la situation de l'abbaye, je vais parler maintenant de sa dédicace, et pour cela je me servirai des propres paroles d'Angilbert, que l'on a conservées jusqu'à ce jour, et dont voici la transcription. [2,4] CHAPITRE IV. RÉCIT DE L'ACHEVEMENT ET DE LA DEDICACE DE L'ÉGLISE DE CENTULE PAR LE VÉNÉRABLE ANGILBERT. Nous Angilbert, considérant et étudiant, avec le plus grand soin et la plus vive ardeur, comment, du consentement de mes frères et de tous les fidèles de la sainte église, ainsi que de l'aveu de tous les gens de bien, nous devions, avec l'aide de Dieu, reconstruire, sur un meilleur plan, ce lieu saint dont l'administration nous a été confiée, à nous indigne, par le Dieu tout puissant et par notre très excellent maître Charles sérénissime empereur, pour que les moines et les autres serviteurs de Dieu qui doivent l'habiter, et même nos successeurs dans la suite des temps, puissent servir dignement le Seigneur et implorer, avec plus d'efficacité, la miséricorde divine pour mon dit seigneur et pour moi, et, en même temps, pour que nos travaux tournent à notre consolation éternelle et à celle de tous ceux qui se dévouent, comme nous, au culte de Dieu, et aussi pour qu'ils servent de récompense à ceux qui prient le Seigneur; nous avons conduit cette entreprise aussi bien qu'il nous a été possible et avec toutes les lumières de notre faible raison, non pas encore ainsi que nous l'eussions voulu, mais ainsi que nous l'avons pu. Et comme tout le peuple des fidèles doit confesser, honorer, adorer de cœur et croire fermement la sainte et indivisible Trinité, nous nous sommes appliqué, avec l'aide du ciel et de notre dit seigneur empereur, à fonder, dans ce lieu, un témoignage de notre foi et, au nom du Dieu tout puissant, trois églises principales, avec toutes leurs dépendances. La première et la plus grande est en l'honneur de notre Sauveur et de S. Riquier; la seconde en l'honneur de Ste Marie, mère de Dieu et toujours vierge, et des SS. apôtres, et la troisième, renfermée dans le cloître des frères, en l'honneur de S. Benoît abbé et de tous les autres SS. abbés réguliers. Les dédicaces de ces trois églises ont été faites, avec un grand appareil religieux, par douze vénérables et saints évêques, dont nous croyons devoir rappeler les noms dans cet ouvrage, en signe du respect qu'ils méritent, et pour transmettre leur mémoire à nos descendants. Ces douze prélats sont : Mégimhard, vénérable archevêque de Rouen, les très illustres évêques Georges, Absalon, Gerfroi, Pléon, Heldiguard, Théodoin, Ydelmar, Benoît et Kellan ; et les très nobles prélats Jean et Passif, légats de la sainte Église Romaine, Le jour des calendes de janvier, ces grands personnages élus de Dieu, consacrèrent au Seigneur avec beaucoup de joie, de recueillement et de dévotion, l'autel de notre Sauveur où sont ses reliques et celles des Saints Innocents qui ont souffert pour lui ; celui de S. Riquier où sont ses reliques et celles de la Sainte Vierge ; celui de S. Pierre qui renferme les reliques de ce saint ainsi que les reliques de S. Paul et de S. Clément; celui de S. Jean-Baptiste où se trouvent ses reliques et celles de Zacharie son père ; celui de S. Etienne, qui possède ses reliques avec celles de S. Siméon qui porta le Seigneur dans ses bras; celui de S. Quentin, où se trouvent ses reliques et celles de S. Crépin et de S. Crépinien ; celui de la Sainte-Croix, où sont déposés des morceaux de la vraie croix ; celui de S. Denis qui possède ses reliques et celles de ses compagnons Rustique et Eleuthère; celui de S. Maurice qui renferme les reliques de ce saint et celles des SS. Exupère et Candide ; celui de S. Laurent qui possède ses reliques et celles des SS. Sébastien et Valérien ; et l'autel de S. Martin où sont déposées ses reliques avec celles des SS. Rémi, Vaast, Médard, Valeri, Loup, Servais, Germain et Éloi. Dans l'église de S. Benoît, l'autel de ce saint, où sont ses reliques et celles de S. Antoine et de S. Colomban ; l'autel de S. Jérôme, où sont ses reliques et celles de S. Ephrem et de S. Equice ; et celui de S. Georges, où sont les reliques de ce saint avec celles de S. Eusèbe et de S. Isidore. Le VI des ides de septembre, le jour même de la nativité de la Vierge, les vénérables et glorieux évêques Georges, Absalon, Pléon et Gerfroi, firent, dans l'église de Notre-Dame, la consécration de l'autel de la Vierge, où sont déposées ses reliques avec celles des saintes Félicité, Perpétue, Agathe, Agnès, Luce, Cécile, Anastase, Gertrude et Pétronille; de celui de S. Paul, qui possède les reliques de ce saint et celles de S. Barnabe et de S. Timothée; de celui de S. Thomas, où sont ses reliques et celles de S. Ambroise et de S. Sulpice ; de celui de S. Philippe, où sont ses reliques et celles des SS. Silvestre et Léon ; de celui de S. André, où sont ses reliques et celles des SS. Georges et Alexandre ; de celui de S. Jacques, où sont ses reliques et celles des SS. Sixte et Apollinaire ; de celui de S. Jean l'évangéliste, où sont ses reliques avec celles des SS. Lin et Clet; de celui de S. Barthélemi où sont ses reliques et celles des SS. Ignace et Polycarpe ; de celui de S. Simon, où sont ses reliques et celles des SS. Côme et Damien ; de celui de S. Mathieu, où sont ses reliques et celles de S. Marc et de S. Luc ; de celui de S. Thaddée, où sont ses reliques et celles des SS. Nazaire et Vital ; de celui de S. Jacques, frère du Seigneur, où sont les reliques de ce saint avec celles des SS. Protais et Gervais, et de celui de S. Mathias, où sont ses reliques et celles des SS. Hilaire et Augustin. L'autel de l'archange Gabriel, qui est situé vers la porte du Midi, fut consacrée le VIII des calendes d'avril, le jour de la fête de l'Annonciation ; celui de S. Michel qui se trouve à la porte du Couchant, fut consacré le III des calendes d'octobre par le vénérable évêque Hildeguald ; et celui de l'ange Raphaël, qui est situé vers la porte du Nord, fut consacré le II des nones de septembre par le religieux évêque Jessé, à ces SS. archanges et à toute la milice céleste. Nous avons aussi, toujours avec l'aide de notre roi, reconstruit, depuis les fondations, le reste des murs de la même abbaye, tels qu'on les voit aujourd'hui. Et afin que les habitants de ce monastère trouvent un plus grand charme à fréquenter les offices divins et à servir le Seigneur tout puissant, nous avons, avec la coopération divine, clos en entier ce saint lieu de fortes murailles. [2,5] CHAPITRE V. Des reliques qui ont été apportées de divers pays en ce saint lieu de centule, et des châsses qui les renferment. Lorsque les églises, dont je viens de parler, eurent été bâties avec beaucoup de soin, et consacrées à notre Seigneur J.-C, à sa glorieuse mère et à tous les saints, comme nous l'avons vu plus haut, nous fûmes enflammés d'un vif désir et d'un ardent amour d'acquérir, autant qu'il nous serait possible, et avec la grâce de Dieu, quelques reliques de ces saints pour en orner le temple du Seigneur. C'est pourquoi nous travaillâmes, de toutes les forces de notre corps et de notre esprit, à rassembler, avec le secours de Dieu et avec l'assistance de notre glorieux empereur, toutes celles qui nous étaient envoyées de toutes les parties de la Chrétienté, pour les déposer dans ces lieux saints, de la manière qu'on verra ci-dessous. Nous en reçûmes d'abord de la sainte église Romaine, qui nous furent cédées par le pape Adrien d'heureuse mémoire, et après lui par le vénérable pontife romain Léon. Des députés, envoyés par notre glorieux seigneur, nous en apportèrent ensuite de Constantinople et de Jérusalem. De vénérables pères, parmi lesquels on compte des patriarches, des archevêques, des évêques et des abbés, nous en envoyèrent aussi d'Italie, de la Germanie, de l'Aquitaine, de la Bourgogne et de la Gaule. Nous reçûmes encore, du sacré palais, des parties de chacune des reliques qui y avaient été recueillies par les rois antérieurs et qui furent ensuite rassemblées en plus grand nombre par notre dit seigneur, et que ce glorieux prince voulut bien partager avec nous, pour en enrichir notre monastère. Nous avons pris soin de faire connaître ici la nature de toutes les reliques dont nous sommes certains et dont nous avons reçu les titres de la part des saints hommes dont nous avons parlé, et les noms de tous les saints, afin que nous et nos successeurs, qui voudront connaître ces choses, en glorifiions à jamais notre Seigneur J.-C., qui est béni dans tous les siècles, et qui nous fait la grâce, quoi qu'indignes, de nous accorder ces bienfaits et tous les autres dont nous avons été comblés. Mais nous n'avons pas cru devoir parler des reliques dont les noms sont incertains et qui nous ont été envoyées par les mêmes personnes. Quant aux premières, voici l'ordre que nous suivrons en les décrivant. Nous mentionnerons d'abord celles qui appartiennent à notre Seigneur et Rédempteur, à sa glorieuse mère et aux SS. apôtres; ensuite celles qui appartiennent aux SS. Martyrs, puis celles des Confesseurs et enfin celles des SStes Vierges. Reliques {- - -}. Voilà jusqu'à présent les noms que nous connaissons des reliques qui nous ont été envoyées par de SS. pères. Nous avons distingué celles des martyrs de celles des confesseurs. Nous nous abstiendrons de décrire les autres reliques des saints dont les noms nous sont inconnus. Après avoir enfermé, ainsi qu'on l’a dit, ces restes sacrés en grande cérémonie et avec beaucoup de dévotion, nous avons, au nom de la sainte Trinité, préparé avec soin une grande châsse ornée d'or et de pierreries, dans laquelle nous avons déposé une partie de ces saintes reliques et que nous avons fait placer, en l'honneur des saints à qui elles appartiennent, sous la crypte de notre Sauveur. Quant aux autres reliques, nous les avons déposées dans treize châsses plus petites enrichies d'or, d'argent et de pierreries, que nous avions reçues, avec les restes précieux qu'elles renfermaient, de la piété des vénérables pères dont nous avons souvent parlé, et nous avons fait placer ces châsses sur la croix que nous avons fait suspendre à l'arcade devant l'autel de S. Riquier; le tout pour servir, dans ce saint lieu, à la plus grande gloire de Dieu et à la vénération de tous ses saints. [2,6] CHAPITRE VI. Des autels et de l'ornement de celui de S. Riquier Lorsque les autels des saints dont nous avons fait mention furent consacrés et enrichis, comme on l'a vu, de leurs reliques, nous nous sommes appliqués avec zèle, pour la plus grande gloire de Dieu et la vénération des saints en l'honneur desquels ils avaient été élevés, et avec la grâce d'en haut ainsi qu'à l'aide des libéralités que nous avions reçues de notre grand seigneur, de sa très noble race et des autres honorables et libres personnes, à les orner d'ouvrages d'or, d'argent et de pierres précieuses, et à les placer convenablement sur les baldaquins. On compte, dans l'église du Sauveur et de S. Riquier, onze autels, deux baldaquins et deux pupitres faits d'or, d'argent et de marbre. Dans celle de Ste Marie et des SS. apôtres, treize autels, un baldaquin et un superbe pupitre. Dans celle de S. Benoît, trois autels, et dans les chapelles des anges Gabriel, Michel et Raphaël, trois autels. Ce qui fait en tout trente autels, trois baldaquins et trois pupitres. Quant aux vases et ornements sacrés, ces églises possèdent 17 croix enrichies d'or et d'argent, 2 couronnes d'or, 6 lampes d'argent et 12 lampes de cuivre dorées et argentées; 3 pommes d'or, 2 calices d'or avec leurs patènes; 1 grand calice d'or ciselé avec sa patène; 12 autres calices d'argent avec leurs patènes ; 10 offertoires d'argent ; une table enrichie d'or et d'argent vers le chef de S. Riquier; 2 grands ostia] ornés d'or et d'argent ; 2 autres moins grands, 2 autres petits, enrichis des mêmes métaux; une ceinture d'or, une superbe écritoire en or et argent; un couteau enrichi d'or et de perles ; un livre couvert en ivoire et magnifiquement orné d'or, d'argent et de perles; une bourse brodée en or; 4 encensoirs d'argent doré; 13 hanaps dorés; un grand bassin d'argent avec des ciselures également en argent; un coquemar d'argent; deux paires de burettes avec leurs cuvettes; une canne d'argent et une autre d'ivoire; deux bénitiersd'argent; 2 sivones d'argent, une clé d'or, une clochette d'argent, 13 couronnes avec leurs lampes; devant l'autel de S. Riquier, 6 colonnes enrichies d'of et d'argent, 3 petites croix] ornées d'argent ainsi que les arches où elles sont suspendues; 3 clochers dorés, 15 belles cloches avec leur battants, 3 petites cloches; 6 figures d'airain et une d'ivoire; 2 candélabres dorés, 7 ostia dorés, 78 tentures (pallia) données par nous, ainsi que 200 chapes, 24 dalmatiques de soie, 6 aubes romaines ornées de franges d'or avec leurs aumusses, 260 aubes de lin, 30 chasubles de soie, 10 de pallio, 6 de couleur perse, 1 de pisce, 15 de plalta, et 5 de cendato;] 5 étoles enrichies d'or, 10 nappes de soie à franges d'or, 5 coussins de pallio et 5 corporaux de pallio. Parmi les livres, un évangile en lettres d'or avec des plaques d'argent enrichies d'or et de pierres précieuses, un autre évangéliaire complet et 200 autres volumes. Ajoutez encore beaucoup d'autres ornements en plomb, en verre et en marbre, qui se trouvent dans les sacristies et dans les autres pièces de service; ainsi qu'une foule d'ustensiles qu'il serait trop long de décrire. Le prix de toutes ces richesses, évalué par nous et par les autres fidèles qui se livraient alors avec moi au service de Dieu et de S. Riquier, pouvait s'élever à quinze mille livres et plus. Telle est l'histoire que nous a donnée S. Angilbert de la construction, de la consécration et des ornements de l'église de Centule. Elle est parvenue jusqu'à nous sans altération, trois cents ans après qu'elle a été écrite, et je l'ai insérée, non sans fatigue, dans ce petit ouvrage, pour l'instruction des temps à venir. Il existait encore une foule d'autres choses instituées par lui en l'honneur du culte divin, mais, comme elles ne sont pas parvenues jusqu'à nous, soit à cause du long temps écoulé depuis, soit à cause des changements survenus dans notre église, ou encore par la volonté des abbés qui ne les ont pas conservées, je ne les rapporterai pas ici. Il en est cependant quelques-unes qui sont venues à notre connaissance et dont je ferai mention, par ce qu'elles tournent à la gloire de notre saint lieu. Angilbert, après avoir dit que les ornements de l'église et les dépenses du trésor pouvaient être évalués à la somme de quinze mille livres et plus, ajoute ce qui suit. [2,7] CHAPITRE VII : Institutions de S. Angilbert, concernant la vie des religieux. Après avoir ainsi réglé ces choses, avec le secours de Dieu, aussi bien qu'il nous avait été possible, et après avoir orné nos églises des reliques des saints dont il a été parlé, je m'occupai avec ardeur, sous la protection divine, des louanges à rendre au Seigneur, des doctrines à propager et des cantiques spirituels à chanter en l'honneur de J.-C.; toutes choses qui éclairent l'esprit, aussi bien que les édifices de marbre et les autres décorations réjouissent les yeux. Nous avons donc établi dans l'église de Centule 300 moines pour y vivre régulièrement, et nous avons voulu et réglé que ce nombre, qui pourrait s'accroître, ne serait jamais diminué. Nous avons institué, en outre, que cent enfants seraient élevés dans nos écoles, qu'ils seraient habillés et nourris comme les frères, et que, partagés en trois chœurs, ils assisteraient les moines dans leurs psalmodies et dans leurs chants; de manière que le chœur de notre S. Sauveur serait composé de cent moines et de trente-quatre enfants ; celui de S. Riquier de cent moines et de trente-trois enfants, et que le chœur qui chantait devant la sainte Passion aurait cent moines et trente-trois enfants. Ces trois chœurs quand on célébrera les louanges du Seigneur, devront chanter, en commun et tous ensemble, les heures canoniques; après quoi le tiers de tout le chœur réuni sortira alternativement de l'église pour vaquer aux nécessités de la vie, et reviendra ensuite à une heure fixée pour célébrer de nouveau les louanges du Seigneur. Dans chacun des trois chœurs on veillera exactement à ce que le nombre des prêtres, des lévites et des autres clercs, demeure constamment le même. Les chantres et les lecteurs observeront une mesure réglée, pour éviter que les chœurs ne se nuisent les uns aux autres. Ils chanteront tous ensemble pour le salut de notre glorieux maître, l'empereur Charles, et pour la stabilité de son empire. Après l'office des matines et des vêpres, tous les chœurs se réuniront devant la sainte Passion, à l'exception de dix psalmistes qui resteront dans chaque chœur, et, sortant par la porte de S. Gabriel et par la salle de l'abbé, ils se rendront en chantant à Ste Marie, en traversant la partie occidentale du cloître; et, après avoir fait dans cette église les prières du jour, ils reviendront par l'église de S. Benoît située à l'Orient du monastère. Puis ils monteront l'escalier de S. Maurice, et reprendront leurs places en rentrant dans l'église de S. Riquier. Nous voulons, en outre, qu'on observe avec dévotion de chanter tous les jours la sainte messe ; et, à cet effet, trente frères au moins officieront devant les divers autels de l'église, sans être pour cela dispensés d'assister aux deux grandes messes qui seront chaque jour célébrées dans le monastère, le matin et à midi, et dans les quelles il sera fait mémoire du S. pape Adrien, de notre glorieux souverain, de son épouse et de ses enfants; afin que, suivant la parole de l'apôtre, nous nous acquittions des prièresque nous devons pour les rois et tous ceux qui sont constitués en dignité sur la terre. « Charles, par la grâce de Dieu, roi des Francs et des Lombards et patrice des Romains, à notre cher et respectable Albin abbé, salut éternel en notre seigneur J.-C. Nous avons appris, etc. « Mais, ne voulant pas en dire davantage, parce qu'il ne faut pas donner trop d'étendue à cette lettre, et surtout parce qu'on ne doit user que de peu de paroles avec le sage, je m'en tiendrai au petit nombre de choses que j'ai dites en peu de mots. Et, comme vous empruntez les paroles de la reine de Saba à Salomon, sur la félicité des serviteurs qui nous assistent et qui entendent les préceptes de notre sagesse, en tant néanmoins que vous approuviez cette explication, je vous dirai : Venez, assistez-nous et écoutez, afin que nous jouissions ensemble, dans des prés toujours verts, de la variété des fleurs des saintes écritures. » Fin (explicit) de la lettre de Charlemagne au seigneur Albin. Le même abbé, appelé à Centule par le vénérable Angilbert, orna des fleurs de sa rhétorique la vie de S. Riquier, qui avait été écrite avec simplicité et négligence de style. Il prouve dans la préface de son ouvrage, qu'il adresse au glorieux empereur Charles, les grands et nombreux miracles opérés par notre patron et rapportés dans l'histoire abrégée de ce S. homme. Il composa aussi des antiennes, des répons et des hymnes en l'honneur du même saint, afin que sa fête eût un office digne de lui. Il faut remarquer que, dans un de ses hymnes à la louange de S. Riquier, il dit en s'adressant à ce vénérable confesseur : « Tu as bâti deux superbes monastères, l'un près d'Abbeville et l'autre à Centule. » ÉPITAPHE DE S. RIQUIER; SUR LE DEVANT DU TOMBEAU. Une urne d'or renferme un trésor céleste. C'est Riquier, adorateur de J.-C. Il fut le saint pasteur de ce pays Et Centule lui a consacré ce monument élevé. SUR LE COTÉ DROIT. Il renonça aux honneurs du monde et en obtint de magnifiques ; Il méprisa les richesses par amour de Dieu. Il mortifia son corps par de grandes austérités Et toute la terre vit en lui un homme saint et un grand homme. SUR LA TABLETTE. Il rendit la vie aux morts et la vue aux aveugles Et procura par sa ferveur la santé aux lépreux. Il fut plein des vertus et des paroles des apôtres Et eut toujours à la bouche la nourriture céleste. SUR LE COTÉ GAUCHE. Le prince Charles, en lui bâtissant avec amour ce temple Digne de lui, lui éleva aussi ce tombeau. Depuis cent soixante ans environ Il habite ici tout entier avec les serviteurs de Dieu. A SES PIEDS. Qu'il jouisse du royaume des cieux qu'il a mérité par ses vertus Et qu'il conserve la paix à celui des Francs. Ainsi soit-il. ET AILLEURS. Bienheureux Riquier, protège toujours tes fidèles Et que les demeures célestes les reçoivent à leur départ de ce monde. Albin, nommé aussi Alcuin, abbé, lévite et moine, et auteur de la vie de S. Riquier, mourut le IVv des calendes de juin. Vers ce temps-là florissait S. Adelard, abbé de Corbie, qui, par la noblesse de son caractère et la pureté de sa vie, s'était acquis une grande considération dans toute la Gaule. Au nombre de ses amis et de ses disciples se distingua particulièrement Ratbert, qui nourrissait une si grande amitié pour nos moines que tout ce qu'il nous envoyait ou nous écrivait n'était pas seulement des paroles d'amour, mais respirait l'amour même et l'affection la plus vive. Témoin de la vie de S. Adélard, il dit un jour : « Réjouis-toi, Corbie. De saints monastères ont produit leur propre patron ; ainsi Arras a produit S. Vaast, et Centule le très saint Riquier, et tu vas avoir aussi ton S. Adelard. » Remarquez avec quel respect il s'exprime en parlant de l'illustre pasteur, notre patron. Il emploie pour lui le superlatif, tandis qu'il se contente de nommer simplement le célèbre évêque Vaast. Cette glorieuse qualification fut donnée à S. Riquier à cause de l'importance et du grand nombre des miracles qu'il opéra chez nous, et à cause de l'admirable pureté de sa vie, que chacun sait avoir été non seulement sainte, mais encore un miroir de sainteté. Le même Ratbert envoya à un moine de notre couvent, nommé Golland, une exposition sur l'évangile de S. Mathieu. Il avait tant de considération pour les moines de Centule qu'il leur adressait tous ses écrits, afin de leur procurer plus d'autorité par l'approbation de nos frères. ÉPITAPHE DE S. CADOC CONFESSEUR. Cette pierre couvre le corps du religieux prêtre Cadoc. L'Irlande l'a produit et la Gaule le possède. Il suivit avec joie les commandements de notre Seigneur J.-C. Et son cœur pur méprisa les richesses de sa patrie. C'est pourquoi il rapporta un grand nombre de bons fruits Et obtint le prix ineffable du royaume céleste. Angilbert, guidé par sa piété, Lui érigea ce tombeau et lui fit cette épitaphe. AUTRE. Celui dont le corps est enterré en cette place Jouit par ses mérites du bonheur des saints. C'est Fricor le compagnon de Caidoc ; Centule est heureux de le posséder. Son austère vertu lui fit mépriser les joies de ce monde Et lui acquit une gloire éternelle. Lorsque Dieu l'eut ordonné, il monta aux demeures célestes. Angilbert a consacré cette épitaphe à son honneur. Ainsi-soit-il. [2,8] CHAPITRE VIII. De la mort de Saint Angilbert et de sa sépulture ou de Nithard son fils et son successeur En l'an de l'Incarnation de notre Seigneur 814, de l'indiction VI, le V des calendes de février, l'empereur Charles le Grand, de glorieuse mémoire, après avoir triomphé avec éclat, par la grâce divine, de tous ses ennemis, après avoir possédé en paix l'empire romain et les royaumes des Francs et des Lombards, sortit de ce monde pour entrer, comme nous le croyons, dans le séjour du bonheur éternel, qu'il a mérité par le respect et l'honneur qu'il s'est plu à rendre soigneusement à Dieu et aux saints. Le vénérable Angilbert, quoique brisé par la vieillesse, par l'austérité de ses jeûnes et la continuité de ses veilles, et quoique hors d'état de pouvoir marcher, assista néanmoins à l'ouverture du testament de ce grand prince, qui avait légué ses trésors aux prélats, pour être distribués en aumônes aux églises de son empire, et procura, avant de mourir, à l'église de Centule, de grands honneurs et des bénéfices considérables. Il y avait alors vingt et une métropoles entre les quelles Charlemagne avait partagé la plus grande partie de ses richesses. C'étaient les villes de Rome, de Ravennes, de Milan, de Friuli, de Grado, de Cologne, de Mayence, de Juvave ou Salzbourg, de Trêve, de Reims, de Sens, de Besançon, de Lyon, de Rouen, d'Arles, de Vienne, de Moustier-en-Tarentaise, d'Embrun, de Bordeaux, de Tours et de Bourges. Quatre abbés seulement furent admis à ce partage. Leurs noms sont Fridige, Adalong, Angilbert et Irminon. Angilbert jouissait d'une si haute considération et de si grands honneurs auprès de son prince que nous le voyons, dans l'histoire de ce temps, tenir quelquefois la cour du Roi le jour de Noël ou le jour de Pâques, honneur qui fut longtemps conservé à ses successeurs par les rois qui eurent notre Gaule en partage. Après la mort de Charlemagne, Louis, son fils, lui succéda et prit en main le gouvernement de tous les états que son père avait possédés. Dès la première année du règne de Louis, le S. Angilbert, accablé d'infirmités, approchait de la demeure des bienheureux. Le Père éternel qui devait bientôt attirer à lui un de ses enfants chéris, l'affligeait de pénibles souffrances, pour le rendre digne du bonheur sans fin qu'il lui préparait. Sentant son mal croître de plus en plus, et voyant qu'il allait quitter le séjour des hommes, il ordonna avec beaucoup d'humilité qu'il fût enterré devant la porte du temple dont il s'était montré sans relâche le protecteur et le bienfaiteur. Je ne parlerai pas des larmes qui furent répandues ni des sanglots qui éclatèrent à l'approche de sa mort, pour éviter que notre douleur, renouvelée par ce récit après un si long intervalle de temps, ne se fraie un passage à travers les plaintes et les gémissements. Dans l'année même que mourut notre glorieux empereur Charles, et vingt jours après le trépas de ce prince, en l'an 814 de l'Incarnation de notre Seigneur, et de l'indiction VI, au mois de février, le XII des calendes de mars, l'homme de Dieu, le vénérable Angilbert, après avoir vu célébrer autour de lui les saints mystères, enleva dans le séjour des bienheureux sa glorieuse âme, dégagée de son vase de boue, et enrichie des bonnes œuvres qu'il avait continuellement pratiquées. Ce qu'il désirait avec toute l'ardeur de ses vœux, ce qu'il avait mérité par ses vertus, il l'a obtenu aujourd'hui ; il jouit de la présence de J.-C, et il le voit tel qu'il est, dans toute sa gloire. C'est la promesse irrévocable qui nous a été faite par notre Seigneur, lorsqu'il a dit que ceux qui l'aimaient seraient aimés de son Père et de lui et jouiraient de sa vue pour prix de cet amour. Voici ses paroles : Je me manifesterai à lui, c'est-à-dire, à celui qui m'aime et qui prouvera son amour par ses œuvres. Le corps vénérable de notre père bien aimé fut enseveli par ses fils avec un tendre respect, et enterré honorablement, avec toute la vénération qui était due au S. abbé, devant la porte de la grande église. Le lieu de sa sépulture se trouvait à l'entrée de cette basilique, de manière que personne ne pouvait y entrer sans fouler sa tombe sacrée. C'était là, comme on l'a vu un peu plus haut, qu'il avait voulu, par humilité, être déposé. Sur des tablettes de pierre placées autour de sa sépulture, étaient gravés ces vers, le premier du côté de la tête, le second du côté gauche, le troisième du côté des pieds et le quatrième du côté droit : Roi des rois, donne le repos à Angilbert, car tu es un saint roi. Loi des lois, accorde lui la vie éternelle, car tu es la souveraine loi. Lumière, qu'il jouisse toujours de la lumière, car tu es la lumière pure. Douce paix, fais qu'il goûte la paix éternelle, car tu es la paix. Nous aurions bien des choses grandes et remarquables à dire sur cet homme vénérable, mais, comme nous ne pouvons rapporter tout ce qui se trouve dans l'histoire des Francs, concernant sa personne sacrée et sa vertu éclatante, nous prions le lecteur de se contenter, pour les louanges de Dieu et l'honneur de son saint, du peu que nous rapportons. Mais, si nous n'avons pas assez de talent pour raconter tout ce qui a rapport à sa personne, nous avons assez de discrétion pour ne pas ennuyer ceux qui nous écoutent, par une trop grande abondance de paroles. Le corps d'Angilbert reposa dans le lieu que nous avons dit pendant 28 ans, jusqu'à la 26e année du règne de l'empereur Louis, et sous celui de notre Seigneur J.-C, qui n'aura de borne dans aucun siècle, ainsi soit-il. Maintenant que nous avons fini le récit de la vie, du zèle et de la vertu du septième abbé de l'abbaye de Centule, nous prendrons un peu de repos, afin que la douleur dont nous n'avons pu nous défendre (parce que nous sommes de faibles mortels), en rapportant l'histoire de sa mort, ait le temps de s'exhaler avec nos soupirs. Et, en outre, il me paraît convenable de consacrer, dans notre histoire, un livre tout entier et sans partage, à la louange de celui qui nous a témoigné un si grand amour. Nous devons cependant dire, avant de terminer ce livre, qu'après la mort de S. Angilbert, son fils Nithard, qu'il avait eu de Berthe, fille du roi Charles fut nommé abbé de Centule à sa place, et que, peu de jours après être entré en fonctions, il fut tué dans un combat et fut enlevé de ce monde. Il a été enseveli à côté de son père, où il repose en paix, sous le règne de notre Seigneur J.-C, qui gouverne le monde, avec son Père et le S. Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.