[8,0] LIVRE VIII. [8,1] LETTRE PREMIÈRE. ENNODIUS A BOÈCE. C’est animé de l’espoir d’un heureux succès que j’entreprends de vous écrire. Il nous est permis en effet de venir, par ce discours, goûter notre part à vos honneurs du consulat, et lorsque la pourpre dont vous êtes revêtu est rehaussée encore par les mérites de celui qui la porte, c’est bien l’occasion de donner libre cours à notre éloquence. Ne sera-t-il accordé qu’à la science d’exprimer l’amour, et faudra-t-il croire qu’il est défendu à un ignorant de laisser tout haut parler son cœur? Les vœux que l’art ne déguise pas de ses artifices, n’en éclatent qu’avec plus de sincérité. Quant à nous, ce que nous sommes de cœur, nous le sommes de bouche, absolument inhabile à voiler sous les feintes douceurs du langage les amertumes du cœur. C’est louer avec discrétion que de ne faire entrer dans la louange que ce que suggère la pensée. Grâces soient donc rendues au Dieu tout-puissant de ce qu’en votre personne il conserve la vieille gloire de votre famille, y ajoute même et, ce qui est plus encore à considérer que la sublimité de cette dignité, vous rend digne des plus élevées. Cette gloire, il est vrai, était due à votre origine, mais, et vous n’en êtes que plus illustre, vous l’obtenez par les mérites de votre personne. Ce fut l’usage des anciens de conquérir sur le champ de bataille les dignités curiales et d’acheter au péril de leur vie l’éclat des honneurs. Mais aujourd’hui que Rome est devenue le prix des vainqueurs, il faut un autre genre de mérite. Notre candidat, après une lutte éclatante, reçoit un triomphe mérité, bien que jamais il n’ait vu la guerre. Il a conquis ses lauriers au barreau et n’a pas cru nécessaire de porter les armes. Ses armes, à lui, sont celles de Cicéron et de Démosthène, et comme s’il fut né au sein de la paix, en un siècle ami des arts, il a recueilli et s’est approprié ce que l’un et l’autre de ces orateurs ont de suréminent. Qu’on ne craigne point une fâcheuse discordance entre le génie d’Athènes et celui de Rome; n’en doutez point, ce que les divers peuples ont de bon peut être recueilli et réuni. A vous seul vous embrassez l’un et l’autre, et ce qui, distribué entre plusieurs, aurait suffi à chacun, répond à peine en bloc à votre avidité. Vous voulez imiter l’éloquence des anciens et vous la surpassez; vous prêtez à vos maîtres la perfection que vous leur demandez. J’en ai, dans votre très honorée lettre, la preuve manifeste. Plut à Dieu que vos missives fussent aussi fréquentes qu’agréables! Vous direz peut-être: il n’est que juste de louer un parent qui travaille au bien commun de la famille car ce n’est pas à un seul, comme on pourrait le croire, que la toge et les palmes apportent de l’honneur. Il m’arrive une part, il est vrai, de vos dignités. Mais, croyez-le, je suis plus fier encore du génie et des talents de celui qui les a reçues. S’il est arrivé que ces dignités fussent attribuées au hasard, en vous elles ne furent données qu’au mérite. On a vu les suffrages amener au bâton d’ivoire consulaire des nullités, uniquement en considération de leurs aïeux. En vous sont réunis et le mérite personnel de l’éloquence latine et l’éclat d’une liguée où la pourpre est de tradition. O si le cadre d’une lettre déjà longue ne m’imposait des limites! ce que d’autres embellissent des grâces du discours, au risque de paraître oublier ma condition, moi je le dirais tout crûment. Je reviens à l’objet propre des lettres : Je vous annonce que je vais bien et je vous prie de me donner des nouvelles de votre santé, Vous mettrez le comble à vos faveurs si vous m’accordez celle de me répondre. J’ajoute une prière: vous avez dans la ville de Milan une maison que, dans votre abondance, vous négligez et semblez avoir abandonnée; je vous demande de me la céder à tel titre qu’il vous plaira. N’est-il pas justes que vos parents aient ce qui provient du patrimoine de famille? J’en prends Dieu à témoin, croyez que si j’ai la bonne fortune de l’obtenir même sans que votre avoir subisse aucun détriment, je vous en serai reconnaissant comme d’une libéralité. Puissiez-vous, de votre côté, voir vos vœux aussi heureusement réalisés. Veuillez donc, si je dois être assuré de cette acquisition, m’en donner la garantie par un écrit en règle. [8,2] LETTRE II. ENNODIUS A AVIÉNUS. Il appartenait à votre Grandeur, qui s’attache à marcher d’après les leçons qu’elle reçoit d’un vénérable père, de produire au jour l’opulence de son génie et de faire briller, pour attester son affection filiale, la science acquise par de si longs travaux. Cette composition vous vaudrait doublement des éloges le jour où la piété filiale devenue plus en honneur, on mettrait au concours la palme de la parole: ce discours qui nous révèle votre bon cœur, vous fait honneur. Du même coup éclate la pompe de votre éloquence et la force de votre foi. Ceux que la fortune élève au faîte des dignités paraissent porter de l’affection à leurs inférieurs en proportion de ce qu’ils daignent leur adresser la parole. C’est, mon cher Seigneur, ce que ne manque point de faire ce père si occupé, élevé aux plus hautes charges de l’Etat. N’est-ce pas, en effet, témoigner du mépris que de garder le silence lorsque l’on a le loisir de parler? Je me souviens avoir lu : l’Avare de paroles ne rend point d’honneur. Quant à présent je vous adresse mes salutations respectueuses et vous fais savoir que je vais bien. Il reste à désirer que mes avances me vaillent la joie d’un long entretien. [8,3] LETTRE III. ENNODIUS A MESSALA. Après une lettre qu’enfin mes nombreuses missives vous forcèrent à m’écrire, de nouveau vous vous obstinez à garder le silence. Cette philosophie du silence, vous la gardez, je crois, par nécessité, non à dessein ; vous ne prenez pas garde que les anciens ne se taisaient un temps que pour mieux parler dans la suite et que cette règle du silence était pour eux la source de l’éloquence. Vous me paraissez, vous, n’adopter la méthode des écoles silencieuses d’Athènes que dans sa première partie et vous refusez de divulguer ce que vous avez appris dans le silence. Montrez donc, en laissant parler vos lèvres, les trésors de science que vos oreilles attentives ont recueillis. Vous m’avez adressé vos dictions si je n’y ai pas trouvé l’élévation désirable, on ne peut cependant y relever rien de trop inférieur. J’ai rendu grâces à Dieu de ce que vous aviez enfin brisé les liens où vous tenait enchaîné la négligence. D’après ces débuts je me suis promis mieux pour l’avenir. Mais hélas! ce dernier envoi que vous m’avez fait, à moi à qui vous n’adressez rien, n’est encore que le premier. Seigneur Messala, que Dieu vous accorde d’avoir tous les jours présent aux yeux du cœur de qui vous êtes fils. Mais je ne veux pas prolonger ces pénibles paroles. Adieu. Agréez mes salutations et montrez-moi par de fréquentes lettres, que mes avis ont porté leur fruit. [8,4] LETTRE IV. ENNODIUS A ARATOR. En même temps que vous vous êtes éloigné de nous, vous avez perdu le souvenir de notre amitié. Emporter au delà des murs des sentiments d’affection vous fut chose impossible. Tant que vous habitez la ville vous prodiguez, et non sans art, vos hypocrites flatteries. Mais dès que vous avez décidé d’aller à la campagne, vous laissez là, comme d’encombrants bagages, le souvenir des amis. Vous avez cherché les délices des champs, et nous, nous restons ici près de vous, emprisonnés dans nos murailles. Elle n’avait pas de racines, cette affection, pour que vous l’ayez ainsi mise de côté comme un importun souci. Vous direz peut-être : Mais pourquoi si promptement éclater en reproches? Faut-il avant les délits armer le bourreau? Vous deviez écrire aussitôt arrivé au terme où vous portaient vos désirs, vous en aviez fait la promesse formelle. Or au dire de votre père, qui jamais ne sut cacher vos méfaits, des serviteurs sont venus de chez vous sans porter de lettres. Je crains que ce penchant à ne rien dire ne s’aggrave avec le temps, et que l’abus du silence ne favorise chez vous cette insouciance dont vous devriez rougir. Mon cher seigneur, je vous salue donc et je vous tiens comme obligé de vous souvenir de vos promesses puisque c’est le front couronné de lierre qu’à l’ombre des futaies séculaires vous êtes promené. [8,5] LETTRE V. ENNODIUS A FAUSTUS. Les artisans que vous adresse le saint évêque, n’ont nul besoin d’être munis d’une recommandation. Quand une chose porte en elle-même ce qui peut le plus contribuer à la faire agréer, c’est lui faire tort que de s’employer à la louer. Il vous suffira de voir cette domesticité pour ne pas douter qu’elle ne vous soit envoyée par l’église et qu’elle n’ait été tirée de ses trésors et de son sein que dans le but de vous faire acquérir à vous-même, en échange des libéralités que vous lui prodiguerez, une large récompense dans le siècle meilleur. Qui donc ne reconnaîtrait, selon la parole du bienheureux martyr Laurent, que de tels marchés sont les plus avantageux du monde et nous procurent les plus précieuses richesses? Dans le nombre se trouvent des femmes privées il est vrai de la vue corporelle, mais dont les âmes brillent d’un éclat merveilleux: car ce qui leur est refusé de bien-être corporel est tout profit pour leurs âmes. N’allez pas les mal recevoir parce qu’elles ne pourront voir et qu’elles n’offriront pas à la vue de votre maturité les charmes d’une séduisante beauté. Pour celui dont la vie est vouée au culte de la vertu, subvenir à de telles misères c’est être au ciel : croyez-moi : les larmes abondantes que vous versez devant Dieu vous procurent déjà une grande joie, mais vous serez heureux de posséder sous votre toit des chrétiennes dont les pieuses larmes ne tarissent pas. Ce n’est pas tout : bien que ce que je vous ai déjà signalé vous paraisse de très grand prix, voici mieux encore. L’une de ces femmes, d’origine libre, est sans enfants, et, disposition bien proche de la sainteté, je pense qu’elle n’en aura jamais. Car il y a pour les chrétiens une stérilité féconde et se priver des douceurs du siècle est la plus grande consolation. Mais de crainte que votre esprit absorbé par les charges publiques n’éprouve du dégoût à la lecture d’une trop longue lettre, bien que les bonnes choses dont je vous parle au début soient propres à piquer vôtre intérêt et que les agréments dont j’ai, selon les lois de la rhétorique, paré mon exorde, doivent rendre attrayant tout le discours, je ne veut pas vous tenir plus longtemps en suspens au sujet de ce que vous désirez savoir et, sans plus tarder, je vous dirai que je n’ai pu obtenir aucun renseignement. J’ai bien parlé des mules devant l’évêque, mais il a paru ne pas prêter l’oreille à ce sujet. Notre frère Gaïanus qui vous est tout dévoué, a insisté de son côté et nous avons pressé la chose jusqu’à l’importunité, mais nos efforts communs sont restés sans résultat. On ne voit plus d’autre moyen que celui d’insinuer au saint pontife votre père qu’il doit se souvenir des nombreux services que vous lui avez rendus et, en retour, vous témoigner sa reconnaissance par quelque présent. Si cette manière d’agir vous agrée, écrivez-le moi sans retard si non, indiquez-moi de quelle façon nous devons procéder. Et maintenant, moi dont le dévouement vous est connu et qui depuis de nombreuses années me suis employé à servir vos intérêts, je vous ai en quelques mots rapides signalé tout ce que j’ai fait ce récit sous la plaine d’un autre eut sûrement exigé de nombreuses pages. [8,6] LETTRE VI. ENNODIUS A AVIÉNUS. C’est justice, je crois, de fournir moi-même le premier ce que j’attends de vous. Il convient, en effet, que si l’on désire être l’objet d’honnêtes prévenances, on y invite par son exemple. On éperonne ainsi la lenteur de celui auquel, le premier, on rend ses devoirs. En vous adressant l’hommage de mes salutations, je vous annonce que me voici relevé de la maladie dont je fus affligé pour l’expiation de mes péchés et revenu en santé, je vous prie de me faire connaître l’état de votre prospérité et j’espère que vous serez abondant sur ce sujet. [8,7] LETTRE VII. ENNODIUS À SÉNARIUS. Sous l’inspiration d’une conscience pure, les charges dont honore la confiance du prince n’empêchent pas de rendre à l’affection ce qui lui est dû et la cour n’exclut point les élans d’une tendre amitié. C’est faire preuve d’une solide affection que d’en garder les sentiments sous la presse des affaires. Faites-moi apprécier davantage encore, en m’écrivant, les honneurs auxquels vous êtes élevé et dont l’importunité de mes prières m’a obtenu de vous voir comblé ; conserver les relations d’ami est l’honneur des dignités. Là-dessus, je vous adresse mes très humbles salutations et je me borne à cette courte lettre sachant très bien que prolongée elle courrait risque de vous déplaire. Je vous prie de rendre grâces au Seigneur pour moi de ce qu’il a daigné dissiper la peine dont j’ai souffert avant que vous eussiez pu en être informé. [8,8] LETTRE VIII. ENNODIUS AU DIACRE HELPIDIUS. Par quels moyens, par quel artifice pourrais-je pousser votre fraternité à écrire, lorsque vous, un homme si abondant en paroles, vous gardez là-bas un silence obstiné? Et bien, je veux tenter de vous faire parler en parlant moi-même et d’amener par mon propre bavardage cette érudition Attique à se produire dans une lettre. Est-ce juste, en vérité, d’être resté de si longs jours sans tenir votre promesse et sans même me faire savoir par la moindre lettre comment vous aviez fait le voyage? Seriez-vous par hasard disposé à persévérer à mon égard dans ces excès de discrétion? Vous dédaignez donc l’entretien de ceux dont vous avez, à si grands frais, recherché l’amitié ! Croyez-moi, si vous ne vous corrigez de ce vice avec cette promptitude qui d’ordinaire caractérise votre marche, nous serons forcés de nous chercher d’autres patrons qui sachent se souvenir et payer notre affection de retour. Là dessus, en vous disant adieu, c’est à l’ami et au médecin que je m’adresse je vous révèle que je suis atteint d’un mal très grave; si une lettre de vous, qui m’apporte un peu de gaieté, ne vient me guérir, on me verra bientôt tirer une langue de six pieds. [8,9] LETTRE IX. ENNODIUS A MESSALA. Si par la grâce de Dieu vous sortiez de vos habitudes de nonchalance pour vous adonner à l’étude, si vous preniez garde à ce que promet votre génie naturel, à ce qu’attend de vous le seigneur Faustus, vous ne négligeriez certes pas de m’écrire comme je le désire. Mais je crains fort une déception et que, lorsque je désire vous voir laborieux, je ne vous trouve à courir les champs dans une grossière oisiveté. Que la divine miséricorde dont les trésors sont inépuisables, vous réveille de cette léthargie et que par un secours d’en haut, elle enrichisse votre parole si pauvre. Allons, qu’au moins ces affronts vous obligent à m’écrire. Je vous dis donc adieu et vous prie de me faire connaître par vos lettres ce qui se passe autour de vous. [8,10] LETTRE X. ENNODIUS A MAXIME SÉNATEUR. Que vos vœux trouvent dans le conseil divin un favorable accueil; qu’à vos noces vienne Dieu lui-même qui accorda au premier père, encore en possession de l’immortalité originelle, la faveur de sa bénédiction. Daigne notre Christ vous accorder de ne perdre ni le fruit de la vertu que vous avez gardée, ni les avantages des noces. Qu’ainsi la virginité tourne à l’avantage de la famille, et que votre chasteté n’y perde rien ; par un dessein admirable de la Providence, le siècle ne perdra rien en vous, puisque vous serez père, ni la grâce divine, puisque vous serez pudique. Obtenez ce qu’Isaac, pieusement sollicité, souhaita à son fils le plus jeune. Que votre femme entre dans la maison de sa belle-mère sous ces mêmes auspices qui accompagnèrent au foyer de Tobie sa belle-fille. Trouvez en votre épouse le motif d’un amour parfait et qu’elle le trouve en vous dans la virginité si fidèlement gardée. Croyez que celle qui vous est choisie est l’unique à laquelle, comme si vous n’étiez pas de ce monde de corruption, vous vous êtes gardé. Je n’ai pu venir, mais je suis présent par la prière. Je vous salue et j’espère, cher seigneur, que vous daignerez agréer mon envoi. [8,11] LETTRE XI. ENNODIUS A ARATOR. C’est pour moi un étonnement de vous voir, par votre honteuse obstination à garder le silence, laisser perdre son prix à une éloquence façonnée pour faire l’ornement de Rome, et consumer ainsi sans fruit, faute de les distribuer, des richesses littéraires qui coûtèrent tant à amasser. Tout honneur accordé à ceux qui le méritent rejaillit sur son auteur; empêcher l’esprit de manifester sa culture, c’est l’amoindrir. C’est une même aberration, qu’un rustre se produise ou qu’un homme en état de cueillir des louanges, se tienne dans l’obscurité. N’avez-vous donc rien à raconter, ou bien moi-même ne vous semblé-je pas digne de jouir de vos entretiens? Il y eut au moins une matière qui mériterait d’être célébrée par quiconque est capable de parler ou d’écrire, je veux dire les noces de cet homme chez lequel l’illustration de la naissance et l’abondance des richesses, aussi grandes qu’elles soient, le cèdent à l’éducation et à la modestie. Pénétré d’horreur pour tous les vices de la chair, il repoussait comme de honteuses jouissances tout ce que les lois ont donné comme remède et, refusant de livrer son corps aux exigences matrimoniales, il croyait se trahir que de sacrifier au monde quelque chose de sa libre chasteté. Quoique ces vertus ne soient pas de votre goût, vous devriez quand même, pour montrer votre talent, en faire l’éloge? Nous pouvons croire que vous devenez bon, si nous vous entendons louer ce qui est honnête. Maintenant en vous adressant mes plus profondes salutations, je vous réclame une réponse. Ne me jugez pas sur cette lettre, car, Dieu m’en est témoin, comme je revenais de la basilique, je l’ai dictée durant le parcours. [8,12] LETTRE XII. ENNODIUS A FLORUS. Si vous voulez savoir combien sont étroits les liens de l’amitié qui me rattache à vous, interrogez votre propre cœur: nul en effet ne saurait être aimé s’il ne donne lui-même des témoignages de son affection. Il s’établit entre les âmes comme une émulation d’amour ; l’ardeur qui les anime trahit, muette, leurs sentiments réciproques. Si donc vous êtes résolu à me payer de retour, insistez auprès du seigneur Faustus pour qu’il me fasse acquérir, de mes deniers comptants si bon lui semble, cette maison de campagne du Faubourg. J’en jouirai paisiblement tant que je serai en Ligurie et, après ma mort, lui et les siens la possèderont. C’est la liberté, la subsistance, qu’après Dieu il paraîtra me rendre si j’obtiens par lui cette bonne fortune. Et vous, que votre fille vive, qu’elle vous donne des fils tels que vous les désirez, que Dieu élève votre âme à la gloire de ses saints, que votre frère vous soit conservé, si par votre insistance humblement importune vous amenez à succès ma demande. Devant Dieu qu’il considère ma détresse il n’est pas de plus grand service que son crédit et son affection puissent actuellement me rendre. [8,13] LETTRE XIII. ENNODIUS AU PRÊTRE AURÉLIEN. Mon affection pour vous n’est qu’hypocrisie s’il n’est pas vrai qu’en vous quittant je restai près de vous et que votre béatitude, quoique arrêtée, fut emportée avec moi. En moi, comme en tout homme, l’esprit commande au corps; mais lorsqu’il s’agit de vous aimer, il perd toute son indépendance. Donc, tout en vous payant avec toute l’humilité que je dois, le tribut de mes salutations, je vous annonce que le brisement du voyage n’a nullement altéré ma santé. Vous voyez de quelles attentions et de quel aimable empressement je me plais à reconnaître votre sollicitude: faites, comme il est écrit, qu’en rendant ce que vous avez reçu, vous me donniez lieu de me réjouir à la nouvelle de votre prospérité. [8,14] LETTRE XIV. ENNODIUS A FAUSTUS. Je tairais mes tristesses si je ne comprenais que votre sollicitude m’est un soulagement. Vous ignorez encore combien je suis malade, en proie, pour l’expiation de mes péchés à de fréquents accès de fièvre mes forces qui semblaient rétablies, sont complètement abattues. Vous donc, procurez-moi le remède accoutumé de votre sainte conversation et puisque la médecine humaine est impuissante à me donner la guérison, que vos prières me l’obtiennent. [8,15] LETTRE XV. ENNODIUS A EDASIUS. Avant d’être mis à l’épreuve, le dévouement des amis ne paraît pas : dès lorsqu’il s’est manifesté il s’attache les cœurs animés de quelques sentiments. Mais combien elle est volontaire la servitude que nous imposent ceux qui nous sont chers! Je l’avoue à votre Grandeur : j’ignorais, avant de connaître ce que mon homme m’a rapporté, tout ce qu’il y avait en votre sublimité de sentiment et de bienveillance caché sous le manteau d’une noble humilité : j’ai reconnu un homme que son dévouement élève au-dessus de tout ce qu’il y a de plus vénérable, tant il prend à cœur les intérêts de ses amis absents. A votre départ vous aviez, il est vrai, beaucoup promis ; et voici que sous l’inspiration de votre conscience, vous avez donné bien davantage. Mon cher Seigneur et fils, en vous payant le tribut de mes salutations les plus cordiales, je vous ai et je vous rends des actions de grâces insuffisantes pour les services que dès le premier instant de nos relations, vous m’avez rendus. Et puis je vous prie de nous faire entrer en possession de ce qui reste de ces propriétés. Voici une confiance qui découle de vos bons offices précédents : lorsque j’osais à peine vous adresser une prière tandis que vous m’étiez inconnu, maintenant je n’hésite pas à vous envoyer un ordre. [8,16] LETTRE XVI. ENNODIUS A BARBARA. Si j’ai différé de vous rendre mes devoirs, si j’ai fait trêve de causeries et remis si longtemps de vous envoyer l’expression de mes respectueux sentiments, n’y voyez ni un oubli de ce que je vous dois, ni un mépris de ce que nous avions convenu. Mais sachez qu’à peine revenu de Rome, je fus assailli de diverses maladies et mis à deux doigts de la mort. En vérité, Madame, puisse le ciel réserver un pareil bonheur à vous et aux vôtres! tant il est vrai qu’en témoignage du prodige d’autrefois, notre Christ a de nouveau rappelé du tombeau Lazare, mais celui-là pécheur et loin de ressembler hélas! à celui qui mérita d’être dit l’ami du Sauveur. C’est un même fait, malgré le temps qui nous sépare; l’œuvre divine apparaît même plus grande en ce dernier, puisque ce que Lazare mérita me fut gratuitement accordé. Voilà ce qui m’a tenu en silence mais à peine revenu à la vie, mon premier soin fut de vous rendre mes devoirs, priant Dieu qu’il vous couvre, vous et les vôtres de sa protection. Je me promets bien de vous voir, selon mes désirs, pour votre bonheur et votre joie, appelée à la dignité de dame de Cour en service au palais. Gardez-vous bien, Madame, de vous soustraire à ce labeur, de vous refuser à cette charge. Que les provinces voient ce qu’il y a de bon à Rome et, presque insensibles aux paroles, que du moins elles soient portées au bien par les beaux exemples dont vous leur donnerez le spectacle. Et maintenant, après vous avoir rendu mes salutations, je vous prie de ne pas me priver de votre chère correspondance qui est ma plus douce consolation mais ne souffrez pas qu’un autre dicte ce que vous m’écrivez: qu’ainsi votre prière toujours soit exaucée. [8,17] LETTRE XVII. ENNODIUS A STÉPHANIE. Je crois que, sans en être instruits, vous m’êtes venus en aide dans le péril; sinon, d’où me viendrait cette conviction que Dieu donne de ne rien ignorer à ceux qu’il favorise d’une sorte de prescience universelle. Donc après mon retour de la Ville, les mystères divins furent renouvelés en moi et les merveilles anciennes des temps reculés ont été reproduites dans le présent. De nouveau Lazare fut rappelé du tombeau, non, à la vérité, l’égal de celui qui mérita le nom d’ami du Rédempteur; mais si les faits sont différents, le mystère est le même. Amené par des maladies multiples jusques au tombeau, mais rappelé à la vie par la voix de Dieu, mon premier soin est de me retourner vers vous pour vous rendre mes devoirs. Je crois plaire à Dieu si tout d’abord j’applique cette langue qu’il m’a rendue, à présenter mes hommages à ses serviteurs. Après donc m’être acquitté du devoir de vous saluer, je vous supplie de me continuer avec plus de ferveur encore, le secours de vos prières, afin que par votre mérite, la divine miséricorde daigne confirmer ce qu’elle m’a accordé; et puis, que je reçoive fréquemment de vous ces bonnes lettres dont la lecture m’apporte un si grand soulagement. Je vous prie en outre, et par l’âme du seigneur Astérius, au nom de votre sainte profession (de veuve), de ne point faire dicter vos lettres par un autre: puisse-t-il briller de l’auréole que vous lui désirez, jusques à la consommation des temps. [8,18] LETTRE XVIII. ENNODIUS A FAUSTUS. L’importunité du porteur qui a exigé de moi cette lettre, sert mes plus ardents désirs. Ainsi en m’adressant sa demande il me rend service. Cet homme est en procès et demande à soumettre sa cause à l’examen de votre justice dont tout le monde accepte les décisions et il est persuadé que nul autre ne sera à même de discerner la vérité de son bon droit si vous lui faites défaut. Je vous en supplie pour lui vous, fidèle aux commandements divins, vous dont l’unique objet est de découvrir la vérité, venez en aide à ce pauvre affligé. J’espère en outre, tout en vous rendant l’hommage de mes salutations, que vous profiterez des fréquentes occasions qui se présentent pour me faire parvenir les nouvelles de votre prospérité que je reçois toujours avec tant de bonheur. [8,19] LETTRE XIX. ENNODIUS A FAUSTUS. Aussi fréquentes que soient les lettres, elles paraissent toujours rares à ceux qui les attendent avec impatience, et toute l’exactitude que l’on met à écrire reste insuffisante au gré de celui que l’affection tient dans l’inquiétude ; mais recevoir une lettre et n’y pas répondre, c’est, en vérité, fouler aux pieds les lois les plus élémentaires de l’urbanité. Donc, après vous avoir rendu le devoir de mes salutations je vous annonce, grâces à Dieu, que les suffrages des saints et vos prières m’ont obtenu une sensible amélioration et que cette violence de fièvre et de désespoir s’est amortie. Pour ce qui reste, je nourris l’espoir que vous daignerez accueillir avec votre bienveillance ordinaire la demande que mon frère Florus, comme moi votre serviteur, vous remit de ma part. D’ailleurs si pour le présent la chose paraît à mon avantage, vous qui considérez surtout l’avenir, vous trouverez encore à y profiter le plus. [8,20] LETTRE XX. ENNODIUS A AGNELLUS Si j’étais en état de vous rejoindre, je m’abstiendrais d’écrire. Mais comme ma santé ne le refuse, il me reste cette dernière ressource. Celui pour qui rien n’est secret, sait que malgré la distance qui nous sépare, je ne puis rester éloigné de vous. Je viens donc calmer votre inquiétude par la nouvelle qu’en ce qui me concerne tout est pour le mieux; c’est l’objet du commerce épistolaire, et je vous en prie, de votre côté, donnez-moi de vos nouvelles. J’ajoute, après l’hommage de mes salutations, que je vous ai dépêché un serviteur pour recevoir le cheval. Envoyez-le moi tel qu’il fasse honneur à celui qui l’a donné et que je sois heureux et fier de l’avoir reçu. [8,21] LETTRE XXI. ENNODIUS A BÉATUS. S’il m’était possible, en vous écrivant, d’effacer ma dernière lettre, je le ferais mille fois. Mais parce qu’il est impossible à l’homme de ne jamais se tromper, moi que vous entourez de respect comme un vieillard, moi, votre père, je vous demande en grâce d’ensevelir ma précédente lettre dans un éternel oubli : Puissiez-vous revenir à votre père et à votre patrie doué des qualités que chaque jour je proclame auprès de tous ceux qui m’entourent. J’eus le tort de me fier à une lettre étrangère et dans la précipitation de ma plume, de vous blesser inconsidérément. Vous aviez agi selon la sagesse en lisant mes vers au seul seigneur Probus qui fait la loi parmi les savants. C’était ce qu’il convenait de faire. Moi, je n’eusse pas dû si mal à propos ajouter foi à un autre et, autant que je le puis comprendre, je me suis ému sans motif. Allez donc au seigneur Probus, (qu’ainsi votre père vive et moi-même que toujours vous avez aimé, puissiez-vous m’entendre encore vivant, car je dicte ces lignes presque à la mort), embrassez-lui pour moi les genoux et dites-lui de ce dernier vers, que Terentianus m’a induit en erreur par cet exemple : "Sic fatur lacrimans, classique immitit habenas" (Virgile, Énéide, VI, 1). Cependant il a indiqué tout ce qu’il y avait à corriger. Je vous salue avec toute l’affection que je vous dois. Si je guéris, je corrigerai les vers et je vous les renverrai. Votre lettre confiée au jeune enfant Rufin ne m’est parvenue qu’en juillet c’est ainsi qu’ignorant ce qui s’était passé, je me suis tellement ému. [8,22] LETTRE XXII. ENNODIUS A FLORUS. A qui ferais-je part de mon heureux retour à la santé sinon à vous qui n’avez cessé de le désirer si sincèrement? Certes il ne convient pas qu’un autre l’apprenne avant vous. Donc, vous ayant tout d’abord salué, je m’empresse de vous faire savoir que par un bienfait du ciel, lorsque j’étais abandonné des médecins, je viens d’être guéri : ce fut pour moi un motif de reprendre espoir de guérir que de voir les médecins se déclarer impuissants. Je sais quelle sera votre joie de cette nouvelle; unissez-vous donc à moi pour rendre grâces à l’auteur de ce bienfait, et si votre absence doit se prolonger, donnez-moi par lettre des nouvelles de votre santé. [8,23] LETTRE XXIII. ENNODIUS A FLORUS. L’honorable Eleuthérius a une affaire dont l’audience a été attribuée par le Préfet du prétoire à Vicarius. Il désire obtenir de moi une lettre de recommandation auprès de votre Grandeur, persuadé que, toute justice sauve d’ailleurs, il sera muni de tous les moyens nécessaires s’il est aidé d’un mot de moi auprès de vous. Je vous en prie donc, après vous avoir honoré de mes salutations, si réellement le procès qu’on lui fait est injuste, prêtez-lui un secours efficace, car il ne faut pas qu’au préjudice du bon droit la ruse voie réussir ses habiles intrigues. [8,24] LETTRE XXIV. ENNODIUS A FAUSTUS. Votre extrême bonté qui a son principe par delà l’humanité, ne se dément point. En vérité, quelle excellente médecine que les soins d’une âme sainte, car une conscience pure impose pour ainsi dire à Dieu ce qu’elle demande. Après votre départ je me sentis brûler d’ardeurs encore plus fortes et, poussé par le diable, je tombai dans un complet désespoir. Le médecin vint et me déclara n’avoir plus rien à faire. Abandonné des hommes, ce me fut un motif de reprendre confiance. Aussitôt, fondant en larmes, je me tournai vers le céleste médecin je demandai de l’huile de saint Victor et j’en armai contre les fièvres tout ce corps dont on préparait déjà la sépulture. Dieu le sait, à l’instant celui que ce grand soldat tenait pour Général (Jésus-Christ) me porta secours, et ce que j’avais demandé par le digne témoin de son nom, je l’obtins sans délai. Bientôt cette funeste ardeur, principe de mort éternelle, s’adoucit et, sur la neuvième heure, comme on lit, par l’ordre de mon Christ, elle disparut entièrement. Je sais les heures de votre prière, je sais qu’à ce moment vos larmes furent en aide au pauvre patient. Je n’ai pas voulu vous taire une nouvelle si désirée ; mais la rareté des porteurs ne m’a pas permis de satisfaire plus tôt à notre commun désir. Car ce m’est un grand bonheur de vous savoir heureux bien que, de votre part vous portiez la vertu jusqu’à paraître insensible à tout sujet de joie. [8,25] LETTRE XXV. ENNODIUS A FAUSTUS. Aussitôt que la miséricorde divine eut abaissé sur moi un regard favorable et que mon âme, terrifiée de l’approche du jugement de Dieu, eut trouvé quelque soulagement dans l’espoir qui lui était rendu de prolonger quelque temps sa vie en ce monde pour son amendement, je ne manquai pas d’écrire à votre Grandeur pour lui faire connaître ces bienfaits divins. Oui, c’est vrai : dès lors que les médecins m’eurent abandonné, celui dont l’assistance s’obtient par l’innocence et par les larmes, ne me fit pas défaut. Croyez-le ; il me fallut cet abandon complet de la médecine, sans quoi j’étais perdu et parce que les soins des hommes me rendaient plus malade, leur défection fut le commencement de ma guérison. Je vous ai déjà écrit tout cela dans une première lettre ; mais, pour ne pas manquer une occasion, j’ai ajouté ceci dans l’espoir qu’après avoir reçu l’hommage de mes salutations, vous me ferez le plaisir de me donner des nouvelles de votre prospérité au sujet de laquelle je suis dans l’inquiétude. [8,26] LETTRE XXVI. ENNODIUS A AVIÉNUS. Si l’on désire avoir de vous des lettres, il faut bien ne pas se taire et ce n’est pas en vous donnant l’exemple du silence que l’on obtiendra de vous faire parler. Grâce aux suffrages de vos prières que votre innocence et votre piété font agréer de notre Dieu, je me sens déjà mieux et je désire, après vous avoir rendu les devoirs de mes salutations, savoir si vous vous portez bien, car maintenant que je suis moi-même revenu en santé, je n’ai plus qu’une consolation la joie de vous savoir en prospérité. [8,27] LETTRE XXVII. ENNODIUS A BARBARA. Je me trouve encore à l’extrémité; et pourtant mon Seigneur, dans sa bonté, ne tient pas compte de l’énormité de mes péchés, car je mérite de longtemps souffrir. Mon âme toutefois, malgré qu’elle tienne à peine à la vie, n’a pas manqué de rendre ses devoirs à votre révérence. Elle se voit sur le point de comparaître au tribunal de Dieu, et ses regards se reportent encore sur ceux qu’en ce monde elle a aimés. O qu’il est donc vrai de dire qu’une sainte affection survit même à la mort. Donc, Madame, tout en vous saluant avec le respect que je vous dois, je vous en prie, considérez ma position et au nom de l’éclat de votre rang et de vos mérites, suppliez mon seigneur le Souverain Pontife et les autres personnages ses frères, d’intercéder pour moi, afin que le Seigneur tout puissant, à leur prière, ne retarde pas les effets de sa clémence toujours miséricordieuse. [8,28] LETTRE XXVIII. ENNODIUS A BÉATUS. Comment pourrez-vous me payer de retour de ce que je vous écris si souvent et, qu’à votre occasion, je ne crains pas d’affronter le public? Rien ne peut m’en détourner: ni votre âge, ni l’imperfection du style en proportion avec la pauvreté de mon génie. Je préfère me confier à l’indulgence qu’à la science et l’on doit estimer les qualités reçues à la naissance au-dessus des avantages que donnent les études : Etes-vous fidèle? C’est une qualité naturelle dont Dieu vous a doué. L’érudition sera aussi un don divin mais ne viendra qu’en seconde ligne. Il est nécessaire que l’amour de l’intégrité soit votre unique règle de conduite, vous déjà désigné pour remplir les premiers rôles dans la société. Vous saurez donc, après avoir agréé l’hommage de mes salutations, que selon votre demande, j’ai dicté à votre adresse, quoiqu’à la hâte, une lettre de conseils. J’ai pris le soin de l’expédier au patrice Symmaque pour y faire retoucher ce qui serait à corriger. Mais dans la crainte que, par suite de quelque négligence, elle ne vint à se perdre, je vous en fais tenir une copie. Ayez la discrétion de n’en rien dire gardez-vous bien de révéler à l’éminent personnage dont nous venons de parler, qu’un exemplaire vous a été adressé ; demandez-lui en communication comme d’une chose nouvelle et si vous reconnaissez que mon œuvre a mérité de lui plaire, vous la porterez sans crainte à la connaissance des hommes de bon goût. [8,29] LETTRE XXIX. ENNODIUS A BEATUS. Je ne suis point le jouet de votre erreur et je ne me laisse pas davantage prendre à votre affection à rebours. Vous, vous avez agi selon l’ordre de votre âge, de la nature, de vos dispositions. Moi, je me suis trompé en jugeant de vous autrement que ne l’exigeait la vérité. C’est toujours là qu’en arrivent ceux qui se laissent dominer par une sotte affection. Il faut, à cette heure, parler sans détour: où vous a conduit votre présomption insensée? Comment, oublieux de votre ignorance, avez-vous pu dire au saint prêtre (Adéodat) que dans ces vers, quoique composés en un instant, manquait, de l’avis de certains, la perfection d’une gracieuse mesure? Entrait-il dans mon dessein de diffamer mon écrit? L’Epitaphe exigeait-elle cela? Etait-ce raisonnable? Quel ignorant? Quel insensé de vos pareils a parlé de la sorte, et livré à la dent de vos critiques, une poésie qui obtint du seigneur Faustus l’accueil le plus bienveillant? Le troisième phaleuce, peut-être, parce qu’ils ignorent Terentianus, a pu leur fournir, sur une syllabe, matière à gloser. Au reste, j’ai ce que je mérite; n’est-il pas écrit de ne point jeter les perles devant les animaux immondes? J’ai très bien conscience du peu de valeur de mes dictions et de mon manque de talent; mais jusqu’ici j’ignorais que vous eussiez quelque science ni que vous fussiez capable d’en acquérir. Adieu, passez à d’autres victimes de votre mauvaise langue. [8,30] LETTRE XXX. ENNODIUS AU PRÊTRE ADÉODAT. J’étais encore sous le coup des graves atteintes de la maladie et tout brisé de la violence de la fièvre lorsque le Christ voulut donner en moi un exemple de ce que rapportent les anciens témoignages de la résurrection de Lazare et confirmer l’Evangile par des exemples actuels. C’est alors que je reçus vos lettres. Il voulut, lui qui est tout puissant, qu’en ces jours où il m’avait rendu la vie, ses amis vinssent encore me réconforter et relever mon courage de leurs lettres. A propos de mes vers, cette monstruosité qui vous en a été dite, ce jugement insensé m’a fait rire en vérité. Sachez donc que mon seigneur (Faustus) les a fort estimés, bien qu’ils aient été composés en un instant, au passage du courrier. Si pourtant vous ne les avez pas encore gravés, ne le faites pas. Il me suffit d’avoir, en les écrivant, payé ma dette. Et maintenant j’en viens à ce qui doit faire le principal objet des désirs des saints, je veux dire que vous redoubliez vos prières pour votre ami malade et, si je le mérite, que vous me favorisiez de fréquentes lettres pour mon instruction et ma consolation. [8,31] LETTRE XXXI. ENNODIUS A BOÈCE. La considération de votre Grandeur, me fait un devoir de vous écrire, mais la hâte du porteur m’oblige d’être bref. Je n’ai pu le retenir, tant il est pressé, mais je n’ai pas voulu le laisser partir sans ce billet, vu l’urgence de nos affaires. Je vous ai plusieurs fois écrit relativement à la maison que je vous ai demandée. S’il vous est possible d’accéder à mes désirs, ne tardez pas à me le faire savoir, car tous les bâtiments, faute d’entretien, tombent de vétusté. Mon cher seigneur, je vous adresse l’hommage de mes salutations et vous prie de vouloir bien, sans détriment pour vous, écouter ma demande et me venir en aide. [8,32] LETTRE XXXII. ENNODIUS A SYMMAQUE. C’est pourvoir à une urgente nécessité que d’adresser au Père commun les orphelins et les étrangers. Vous n’avez aux soucis de votre apostolat qu’une consolation, celle de prêter assistance à ceux qui sont éloignés de leur patrie. Je me garderai de tenir pour affligés ceux qui ont la bonne fortune de parvenir jusques à vous. Parents, patrie, ressources, ils n’ont plus à les chercher ailleurs ceux sur lesquels votre couronne étend sa sollicitude. Le porteur des présentes, de noble extraction, va poursuivre à Rome les études propres à mettre en relief la noblesse de sa race. Je le recommande très humblement et avec instance à votre Béatitude. Daignez agréer l’hommage de mes salutations et redoubler, en considération de moi, la bienveillance qui vous est habituelle. [8,33] LETTRE XXXIII. ENNODIUS AU DIACRE HORMISDAS. Tandis que la dignité dont vous êtes revêtu tire son plus bel ornement de la bonté qui vous anime, tandis que tout ce qu’il y a de gens pieux se demandent ce que vous serez un jour, l’application que vous donnez aux affaires a tellement grandi le diacre que déjà elle nous promet en lui le Pontife. Le porteur des présentes, que recommandent et la pureté de ses mœurs et la sublimité de sa naissance, privé par leur mort de l’assistance et des consolations de ses parents, s’est rendu à Rome pour y cultiver, quoique étranger, les arts libéraux. Voyez si ce que j’en ai dit le rend digne d’obtenir l’aide d’un religieux bien né et qui dispose d’une grosse fortune. Et maintenant après vous avoir rendu le devoir de mes salutations, je vous en prie, si vous m’aimez, si vous tenez à la bonne réputation que vous avez acquise, venez en aide au porteur de telle façon qu’il en profite. [8,34] LETTRE XXXIV. ENNODIUS A L’ABBÉ PORCIEN. Nous savons par les exemples divins que la visite des hommes célestes est toujours une faveur de Dieu. Quel souvenir en effet garderait-on des pécheurs si, par des voies cachées, n’intervenait la grâce céleste, pour écarter des esprits, sous l’influence de son inspiration, l’oubli qu’aurait pu faire naître l’aversion qu’inspirent les péchés. Ce nous est un gage assuré de la divine miséricorde que de ne pas être en oubli auprès des amis de Dieu. Aussi je rends grâces à la Trinité notre Dieu qui a contraint votre révérence à m’honorer de ses entretiens. J’accepte aussi la loi de votre obédience : car il n’y a pas un mince honneur à obéir lorsque la gloire du Christ est réservée à ceux qui commandent. Priez pour moi, vous qui étant encore des hommes, avez évité les faiblesses de l’humanité, vous qui liés encore au corps avez le bonheur d’être dégagés des chaînes de la chair. Agréez l’hommage de mes salutations et accordez-moi de féconder en mon âme par la culture de vos saints discours la moisson de la grâce. [8,35] LETTRE XXXV. ENNODIUS AU PRÊTRE AURÉLIEN. C’est une occasion bien désagréable qui, cette fois, a répondu à mes désirs et mes vœux se trouvent servis par une dure nécessité : Aux charmes des débuts de votre lettre que j’avais lus avec ravissement, succède un exposé dont je suis demeuré confondu. Le malheur dont vous me faites part, a voilé, comme d’une nuit obscure, les douceurs de ces premières lignes et la suavité de ces paroles de miel. En vérité, tandis que je vous lisais, les mots semblaient m’entrer dans les yeux comme des dards. Car tandis que la lettre d’un sage coupe l’ennui de l’absence, d’un instant de joie, je me suis vu forcé de constater la chute de cette Ethéria, devenue trop terrestre et tombée, des hauteurs que son nom indique, au fond du tartare, sous l’inspiration du mal. Je tais ce qu’elle devait à ses parents, ce qu’elle devait à la pudeur, de quelle maison cette malheureuse est sortie pour aller au crime, comment elle abandonne les serviteurs de Dieu pour contracter un mariage qui n’est qu’une prostitution. Croyez-moi: elle a trouvé dans son crime même son juste châtiment et, sous le toit de son nouveau mari, celui qui la plonge dans ce honteux libertinage se chargera de l’en punir. En faisant choix de cet indigne, elle se fait à elle-même justice de sa faute. Je prolongerais ma lettre si je ne désirais ensevelir dans l’oubli le souvenir de cette femme néfaste. Vous voulez, par leur expulsion, en décharger la Gaule. Nous souhaitons, nous, que L’Italie n’en soit pas souillée. Qu’ils gagnent les Syrtes de Libye et qu’ils soient retranchés du commerce de l’humanité. Si d’une part ils fuient Aurélien et de l’autre Ennodius, en quel pays iront-ils chercher un asile? Je me suis hâté de transmettre au seigneur Préfet ce que vous m’aviez prescrit. Il a aussitôt obtenu des ordres royaux qui, nous avons droit de le croire, feront triompher la cause des honnêtes gens nos amis. Et vous, quoiqu’il arrive, tenez-vous en paix, car pour le juste châtiment des méchants la rigueur du jugement de Dieu sera suffisante. Mon cher seigneur, en vous rendant l’hommage de mes salutations je vous prie, puisque l’occasion de voyageurs ne vous manque pas, de me procurer souvent le plaisir de recevoir de vos bonnes nouvelles. [8,36] LETTRE XXXVI. ENNODIUS A BOÈCE. Le silence fait perdre à votre langue le fruit de votre érudition, et tandis que vous teniez ainsi voilée la beauté de votre éloquence, on avait lieu de croire que vous manquiez d’un talent qui tout récemment jeta un vif éclat. Vous avez fait lever un nouvel astre de la parole et la clarté dont il brille dans votre lettre, fait juger que dès son aurore il atteint le plein jour. Je vous rends grâces de ce que vous m’écrivez une si charmante lettre pour me presser de rester fidèle à l’amitié. Mais si ma foi vous était connue, vous n’auriez pas à cet égard le moindre doute. Et moi, je crains de découvrir en vous cette fidélité douteuse que vous me prêtez et tandis que vous soupçonnez votre ami de tiédeur, je me demande si votre affection ne s’est pas refroidie Mon cher Seigneur, je vous rends, comme par le passé, l’hommage de mes salutations et j’espère que vous m’écrirez fréquemment car et l’amitié et le talent vous invitent à donner à ce commerce une grande étendue. [8,37] LETTRE XXXVII. ENNODIUS A BOÈCE. Le moindre résultat qu’obtient une requête relève le discours, et le succès donne de l’éloquence et la nourrit; D’autre part, le discours à beau être abondant, si la demande est refusée, les pages sont bien arides. On doit des éloges aux lettres heureuses bien plutôt qu’aux lettres savantes. C’est, on peut le dire, parler un langage sublime que de savoir, par le charme de la parole, captiver les hommes les plus haut placés. La mauvaise fortune fait évanouir tous les moyens oratoires; rien, au contraire, n’enrichit la langue comme d’obtenir des faveurs. Il y a déjà quelque temps j’adressai à votre Eminence une lettre que j’avais pris l’extrême liberté de lui écrire. Vous daignâtes y faire une réponse si bienveillante que j’en étais à me reprocher d’avoir laissé perdre, en me tenant en repos. un temps où j’étais en telle faveur qu’il me suffisait du moindre effort pour gagner l’assentiment de celui qui disposait du pouvoir. Vous aviez même promis que la maison dont je vous faisais la demande, ne me serait pas refusée. C’était un double succès qui me rendait très fier, car je voyais ma renommée grandie par le témoignage flatteur d’un homme si parfait et mon avoir augmenté par les libéralités de son opulence. Mais voici de détestables retards qu’ont fait naître mes péchés. L’homme de votre Eminence que j’attendais, est, il est vrai, venu, mais il assure n’avoir point d’ordres en conformité de mes désirs. Voyez là de louches manœuvres que je n’ai que trop méritées comme on ne peut s’opposer ouvertement aux promesses qui m’ont été données et en obtenir la révocation, on en fait retarder l’exécution. Loin de ma pensée d’avoir la moindre défiance de votre parfaite bonne volonté; il est d’un esprit sans conscience de supposer qu’on oublie ses engagements. Mais, je vous en prie, tout en affirmant au grand jour que vous êtes un homme de parole, déjouez les manœuvres ténébreuses ourdies contre moi. Veuillez donc rendre utile ce que vous m’accordez par une prompte réalisation. Mon cher Seigneur, en vous rendant l’hommage de mes salutations j’y ajoute la prière que votre réponse à la susdite demande m’apporte, à moi aussi, votre largesse consulaire. [8,38] LETTRE XXXVIII. ENNODIUS A SYMMAQUE. Comment ne pas être écouté lorsqu’on recommande des étrangers au père commun. Les nobles esprits on droit à être patronnés partout, mais principalement auprès de ceux savant obliger même sans en être priés. Si le sublime jeune homme Béatus, porteur des présentes, trouve un bienveillant accueil auprès de votre couronne, votre glorieux pontificat comme il est de tradition, en sera illustré, car ce jeune homme, et par sa naissance et par ses mœurs, est digne de vne faveurs. IL suffit aux personnages de mérite d’être loués en de mots. Après vous avoir adressé l’hommage de mes salutations je vous prie de me réconforter, moi qui vous aime, de vos fréquentes lettres. [8,39] LETTRE XXXIX. ENNODIUS AU DIACRE HORMISDAS. Si vous me gardiez encore la bienveillance qui me fut promise, de fréquentes lettres m’en fourniraient la preuve. C’est à peine s’ils daignent abaisser leurs regards vers les humbles mortels ceux qu’une heureuse fortune a élevés au faite des honneurs. Ne serait-il pas très fâcheux que la perspective d’heureux succès tranchât les liens de l’amitié? Il ne faut pas que l’affection soit diminuée par le fait de la bonne fortune qui nous sourit. Si pourtant je n’ai pas tout à fait perdu vos bonnes grâces, s’il reste encore une étincelle de l’amitié que vous m’aviez promise, souffrez que je vous recommande Béatus, très noble jeune homme, porteur des présentes. Il est juste qu’en ma considération il trouve auprès de votre Béatitude un père et une patrie. Soyez le tuteur de ce particulier, vous qui bientôt le serez de toute l’Eglise. Monseigneur et frère, après vous voir très humblement salué, je vous prie de me signaler sans retard, par une lettre, si vous êtes en bonne santé. [8,40] LETTRE XL. ENNODIUS A BOÈCE. Renouveler une demande c’est accuser une bonne volonté d’être oublieuse. Loin de moi de prétendre stimuler quelqu’un qui court, ni rappeler au souvenir de sa promesse un homme fidèle à ses engagements. Je veux seulement résumer ici ce que j’écrivis il y a quelque temps à votre Eminence pour obtenir que la maison au sujet de laquelle vous m’aviez déjà par lettre manifesté vos intentions, me soit remise. Je charge le porteur de vous adresser mes salutations et mes compliments et je souhaite d’apprendre que votre santé est aussi bonne que la mienne. [8,41] LETTRE XLI. ENNODIUS A AGAPIT. On ne pourrait se consoler de l’absence des amis si l’on ne trouvait dans le commerce épistolaire un salutaire remède qui procure aux âmes avides de converser ensemble, l’aliment désiré. Par la plume, en effet, le cœur se représente à merveille un visage ami et, sans que le travail en souffre, goûte les douceurs de la conversation. C’est ce que votre Grandeur excelle à faire, et pour ne pas laisser nos relations sans aliment, vous avez daigné m’écrire. Je dois vous payer de retour, puisque vous me prouvez que vous ne m’oubliez pas. En vous rendant l’hommage de mes salutations je vous prie ne pas omettre de continuer ce que vous savez être pré cieux aux yeux de ceux qui vous sont chers et qui savent vous aimer. [8,42] LETTRE XLII. ENNODIUS A AVIÉNUS. Vous êtes malade et cette nouvelle vient augmenter mon propre mal. Car il est ordinaire à ceux qu’agite l’inquiétude et comme naturel d’avoir peine à croire passé ce qu’on redoute, de se mettre sous les yeux le bonheur d’autrefois et de soupirer après son retour. En toute vérité, seigneur Aviénus, après la crainte de Dieu, il ne me reste plus d’attache à cette triste vie que votre affection. Aux meilleurs moments, je suis las que vous m’avez laissé, abîmé dans le désespoir. Il me reste à souhaiter que vos prières m’obtiennent rémission de mes fautes et, si Dieu le trouve bon, une mort prompte, fin de mes tourments, car mourir serait moins amer qu’une telle vie. Mon cher seigneur, je vous salue, comme je le dois, en toute humilité, vous priant de me faire connaître les nouvelles qui pourraient venir de Rome au sujet de notre affaire. [8,43] LETTRE XLIII. ENNODIUS A MESSALA. Vit-on jamais celui qui s’adresse à Dieu avec confiance ne pas obtenir ce qu’il demande? L’âme qui ne chancelle pas dans la foi, voit ses vœux aussitôt exaucés. Or voici que mon silence m’obtient de vous ce que depuis longtemps, ne purent obtenir mes entretiens multiples. Autant que je le vois, pour recevoir de vous des lettres il n’y a qu’à se taire ; vous ne parlez qu’à ceux que vous croyez muets ; quant aux autres qui passent pour avoir une langue, vous vous abstenez de leur adresser la parole. A mon égard, vous avez agi comme il convenait à un ami et, comme vous le dites vous-même, à un parent: dans l’abattement où me jette cette grave maladie, vous avez pensé à relever mon courage de vos bonnes paroles. Je vous supplie de me les continuer. Mon cher Seigneur, je vous rends l’hommage de mes salutations et vous prie en grâce d’intercéder pour moi par tous les saints de Dieu, à fin que rendu à la vie, j’aie encore le bonheur de vous voir.